Loi « climat et résilience » : application de l'article 49
Question de :
M. Roger Chudeau
Loir-et-Cher (2e circonscription) - Rassemblement National
M. Roger Chudeau interroge Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, à la demande de la FFAM (Fédération française des associations de sauvegarde des moulins), sur les modalités d'application de l'article 49 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre les effets du dérèglement climatique, dite loi « climat et résilience », qui modifie l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le but d'interdire la destruction des moulins à eau dans le cadre des obligations de continuité écologique. En l'espace de 15 ans, sur un total de 60 000 ouvrages en rivière recensés en 2010 par l'OFB, 12 000 ont été « partiellement » ou « totalement » détruits dans le cadre du « plan de restauration de la continuité écologique » mis en œuvre par la circulaire du 25 janvier 2010. Sur ces 12 000 ouvrages détruits, 10 000 environ sont des chaussées de moulins à eau ou leurs vannages. Ces destructions massives d'un patrimoine installé depuis des siècles sur les rivières françaises se sont accompagnées d'une explosion du coût de la sinistralité climatique en France (inondations, sècheresses), passé de moins de 3 milliards d'euros en moyenne au début des années 2010, à 6 milliards actuellement. En effet, en relevant le niveau des eaux des rivières et en ralentissant les écoulements sur l'ensemble du réseau hydrographique français, les dizaines de milliers de petites retenues de moulins à eau ont pour vertu à la fois de préserver les eaux et la vie aquatique lors des sècheresses estivales, de nourrir les nappes tout au long de l'année ; mais également, lors des fortes pluies, de faciliter les débordements précoces dans les plaines alluviales permettant de limiter le pic de crue et les inondations à l'aval des bassins versants. Dans le Pas-de-Calais par exemple, qui a subi de graves inondations en novembre 2023, 320 ouvrages ont été partiellement ou totalement détruits. Sur le seul bassin de la Vilaine, 100 ouvrages ont été détruits. Les eaux ne sont plus préservées, leur flux n'est plus régulé, ce pour quoi ces ouvrages avaient été aménagés et entretenus durant des siècles. En outre, alors que ces destructions devaient favoriser le retour des poissons migrateurs sur les rivières, ces espèces n'ont jamais été aussi peu nombreuses qu'en 2023. Ce résultat était prévisible, comme la FFAM l'a déjà fait connaître. À l'instar des barrages de castors de hauteur équivalente et modeste auxquels les chaussées de moulins n'ont fait que succéder : en conservant d'importants volumes d'eau dans les rivières lors des sècheresses estivales, ils préservent la vie et permettent le développement des alevins et juvéniles de saumons ou de truites. En conclusion, assise non sur la connaissance, mais sur une dangereuse dialectique d'opposition entre l'homme et la nature, cette politique de destruction est fille de l'ignorance et du dévoiement des lois. Elle aura déjà coûté plusieurs milliards d'euros à la France et ses conséquences sur la sinistralité climatique se fera de plus en plus durement sentir à mesure que les destructions s'accumulent. C'est pourquoi il lui demande si l'article 49 de la loi n° 2021-1104, qui interdit de détruire ces ouvrages anciens, sera enfin appliqué par les administrations de l'eau et si seront rénovés et remontés certains ouvrages détruits afin de rétablir les équilibres d'autrefois et juguler ces phénomènes.
Réponse publiée le 15 juillet 2025
Le ministère partage l'objectif de concilier la restauration écologique des rivières avec la préservation du patrimoine hydraulique, notamment lorsqu'il s'agit de moulins en activité ou porteurs d'une valeur historique ou énergétique. Cette politique prend également en compte le développement de la petite hydroélectricité, les usages récréatifs et les spécificités locales, en lien étroit avec les collectivités et les agences de l'eau. La politique de restauration de la continuité écologique vise à concilier les enjeux de restauration des fonctionnalités des cours d'eau avec le développement de la petite hydroélectricité, la préservation du patrimoine culturel et historique, ainsi que les activités sportives en eaux vives. La majorité des interventions réalisées et financées consistent en la mise en place de dispositifs de franchissement, tout en maintenant les ouvrages et les retenues en amont. Toutefois, de nombreuses études et publications scientifiques démontrent l'intérêt d'effacer certains petits ouvrages, tant pour la survie et la reproduction des poissons migrateurs que pour l'amélioration générale des fonctionnalités écologiques des rivières, leur biodiversité et la qualité des eaux. Le niveau de conciliation doit donc être adapté aux enjeux propres à chaque cours d'eau et bassin versant, en laissant une place suffisante à la suppression des seuils inutiles et obsolètes, seule solution permettant une restauration complète des habitats et de la qualité de l'eau. Lorsque les enjeux patrimoniaux, paysagers ou énergétiques sont avérés, des solutions techniques alternatives à l'effacement sont envisagées, telles que les passes à poissons à haut rendement ou les dispositifs de contournement. Ces solutions peuvent bénéficier d'un accompagnement financier, à condition qu'elles permettent une réelle amélioration écologique. Le règlement européen sur la restauration de la nature en fait d'ailleurs un objectif volontaire, preuve que ces solutions sont globalement positives et nécessaires dès lors qu'elles sont réalisables. Concernant les chiffres évoqués, il est important de rappeler que les 60 000 ouvrages mentionnés dans certains débats publics correspondent à une estimation ancienne et large des obstacles à l'écoulement recensés en 2010. Il ne s'agissait pas uniquement de moulins, mais d'un ensemble très hétérogène comprenant des radiers de ponts, buses, épis, vannes, petits barrages, etc. En 2025, l'inventaire actualisé recense plus de 110 000 obstacles. Il n'existe aucun recensement officiel faisant état de la destruction de 10 000 moulins imputable à la politique de continuité écologique. Par ailleurs, aucun ouvrage hydraulique n'est supprimé sans l'accord explicite de son ou ses propriétaires. Sur le plan scientifique, en ce qui concerne la gestion quantitative de la ressource en eau, les petites retenues jouent un rôle très limité dans le soutien à l'étiage. Leur faible volume ne permet pas d'assurer un débit minimal durable en période de sécheresse. Seules les grandes retenues (plusieurs millions de m³), majoritairement situées en amont des bassins versants, peuvent relâcher l'eau stockée sur plusieurs semaines pour maintenir un écoulement minimal. L'effacement d'un petit nombre d'ouvrages n'est donc pas responsable des assèchements estivaux observés sur de nombreux cours d'eau. Ces phénomènes sont avant tout la conséquence du dérèglement climatique, souvent aggravée par une pression excessive sur la ressource en période de basses eaux. Par ailleurs, le libre écoulement de l'eau dans un bassin versant, via son réseau hydrographique, est un processus structurant du grand cycle de l'eau. Cette eau qui s'écoule n'est pas perdue : elle est redistribuée naturellement vers les territoires situés en aval. Elle contribue au bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques et au maintien de leurs services écosystémiques gratuits, tels que l'auto-épuration de l'eau, la dénitrification naturelle, la production de biomasse, le maintien des zones humides et le soutien naturel à l'étiage. Concernant la gestion qualitative de l'eau et des écosystèmes aquatiques, l'intérêt écologique des petites retenues d'eau, qui transforment des eaux courantes en eaux stagnantes, est contestable. Ces ouvrages réchauffent l'eau, concentrent les sédiments et les pollutions, ce qui nuit à la biodiversité et à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau. C'est pourquoi de nombreuses suppressions de seuils ou plans d'eau, menées par les collectivités compétentes dans le cadre de la GEMAPI, sont motivées par l'amélioration de la qualité biologique et physico-chimique des rivières. Les résultats observés dans la majorité des cas suivis scientifiquement sont globalement positifs. Ces bénéfices sont liés à la restauration de la libre circulation des organismes aquatiques (poissons, macro-invertébrés, etc.) et des sédiments, à la diversification des écoulements et des habitats, à la baisse des températures de l'eau ou encore à la disparition des cyanobactéries et des phénomènes d'eutrophisation. Ces opérations peuvent cependant susciter des inquiétudes légitimes, notamment en ce qui concerne la préservation du patrimoine local ou l'évolution des paysages. Le ministère y est attentif, c'est pourquoi chaque projet fait l'objet d'une concertation territoriale approfondie, en lien étroit avec les réalités locales. Enfin, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 relative à la lutte contre le dérèglement climatique et au renforcement de la résilience n'interdit pas la suppression de retenues d'eau, mais encadre cette pratique dans le cas particulier des moulins situés sur des cours d'eau classés en « liste 2 » au titre de l'article L.214-17 du code de l'environnement (soit 11 % du linéaire des cours d'eau). Elle prévoit que : « S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. » Les agences de l'eau financent des projets respectant les dispositions légales. Il convient également de rappeler que les projets de restauration de la continuité écologique sont portés localement par les collectivités compétentes au titre de la GEMAPI. Ces interventions sont élaborées dans le cadre d'un dialogue avec les usagers des territoires et en cohérence avec les objectifs de gestion durable de l'eau à l'échelle des bassins versants. Par ailleurs, la cour administrative d'appel de Versailles, dans sa décision du 18 novembre 2024, a reconnu la légalité des dispositions du programme d'intervention de l'agence de l'eau Seine-Normandie prévoyant le financement de suppressions d'ouvrages situés en lit mineur. Le ministère reste pleinement à l'écoute des retours du terrain et des attentes exprimées par les élus comme les citoyens. Cette politique de restauration, construite localement avec les acteurs du territoire, ne vise pas à opposer les usages, mais à préserver les fonctionnalités écologiques essentielles de nos rivières, tout en valorisant leur patrimoine, au bénéfice des territoires et des générations futures.
Auteur : M. Roger Chudeau
Type de question : Question écrite
Rubrique : Eau et assainissement
Ministère interrogé : Transition écologique, biodiversité, forêt, mer et pêche
Ministère répondant : Transition écologique, biodiversité, forêt, mer et pêche
Dates :
Question publiée le 18 février 2025
Réponse publiée le 15 juillet 2025