Pratiques dangereuses et déloyales des plateformes de e-commerce asiatiques.
Question de :
M. Éric Bothorel
Côtes-d'Armor (5e circonscription) - Ensemble pour la République
M. Éric Bothorel interroge Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire, sur les pratiques dangereuses et déloyales des plateformes asiatiques, comme Shein et Temu, qui menacent gravement l'écosystème du commerce français et européen. Selon M. Philippe Wahl, président directeur général de La Poste, Temu et Shein représentent désormais 22 % des colis acheminés par l'entreprise sur le territoire national, contre moins de 5 % il y a cinq ans. Shein et Temu figurent ainsi parmi les dix sites commerçants les plus visités en France et comptent plusieurs millions de clients, dépassant ainsi les acteurs français établis. Après son lancement en France en avril 2023, Temu a multiplié ses ventes par six en six mois. De son côté, Shein est désormais le site e-commerce le plus populaire dans la mode féminine en France, avec plus de 20 % de parts de marché, devant tous les leaders européens et mondiaux. Or ces nouveaux acteurs font peser une réelle menace sur l'ensemble du tissu commercial français et européen. Cette menace est d'autant plus inquiétante que ces groupes s'appuient sur des financements considérables, y compris étatiques, qui créent des distorsions de concurrence impossibles à résorber. Ces pratiques soulignent que les enjeux dépassent les simples considérations économiques. Par ailleurs, ces acteurs ne respectent pas les réglementations en vigueur en France et en Europe. Cela crée des distorsions de concurrence graves et nourrit l'incompréhension des acteurs du commerce et du e-commerce implantés en France et qui respectent le cadre légal en vigueur. Ces pratiques se font aussi au détriment de la sécurité des consommateurs (selon une étude de Toy industries of Europe, 95 % des jouets testés sur Temu sont non conformes aux normes de sécurité) et de la protection de l'environnement. Ces sites agissent sur le sol français au mépris des lois et en toute impunité, alors même que les moyens légaux permettant de mettre un terme à ces agissements existent, comme l'ont prouvé les mesures prises en d'autres temps à l'encontre du site Wish. Malgré l'annonce faite il y a deux ans par les autorités d'une enquête à l'encontre de ces sites, ces procédures n'ont toujours pas abouti. Enfin, ces acteurs bénéficient d'avantages disproportionnés, tels que des tarifs postaux préférentiels et des exemptions douanières, qui faussent le marché et affaiblissent le tissu commercial français. Il lui demande comment le Gouvernement entend protéger le marché français face à cette concurrence déloyale et quelles mesures immédiates sont mises en place pour assurer le respect des réglementations en vigueur, garantir la sécurité des consommateurs et préserver l'équité vis-à-vis des commerçants français.
Réponse publiée le 10 juin 2025
Le Gouvernement est plus que jamais mobilisé sur ce sujet prioritaire pour notre tissu commercial et industriel. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) veille au quotidien à la sécurité et la conformité des produits vendus sur les places de marché en ligne. Elle organise ainsi chaque année depuis 2018 des campagnes de prélèvements reposant sur la procédure de l'« achat mystère » (permettant aux enquêteurs de se placer dans la situation d'achat d'un consommateur) de produits proposés sur les places de marché électroniques les plus populaires : Amazon, Temu, Shein, Aliexpress… Ces enquêtes annuelles permettent d'éprouver, d'une part, la réactivité des plateformes, qui se positionnent souvent comme de simples intermédiaires mais qui doivent malgré tout supprimer ou rendre inaccessibles promptement les annonces de produits illicites dès qu'elles sont informées de l'existence d'une anomalie, et, d'autre part, leur niveau de coopération pour la gestion des campagnes de rappel des produits dangereux. Lorsque nécessaire, les services de la DGCCRF établissent des fiches d'indice de danger pour que les produits identifiés comme dangereux puissent immédiatement être traités comme des alertes. S'agissant de produits proposés par des vendeurs non identifiés et vraisemblablement situés en dehors de l'Europe, la DGCCRF cherche systématiquement à contacter les opérateurs économiques en cause pour obtenir un prompt retrait des annonces de ces produits, selon la procédure dite de « notice & takedown » (procédure prévue pour ce type d'opérateur de plateforme lorsqu'il est établi qu'il héberge un contenu illicite). En cas d'absence de réaction d'une place de marché face à des produits dont la dangerosité et la non-conformité constituent des manquements à la législation, une injonction de retrait des annonces illicites est alors formalisée. Elle se double si nécessaire d'une procédure d'injonction numérique [1], qui permet de solliciter les fournisseurs d'accès Internet afin de rendre inaccessible aux internautes situés en France les pages web des sites incriminés. Par ailleurs, conformément au DSA [2], chaque fournisseur de service intermédiaire (dont les fournisseurs de places de marché) n'ayant pas d'établissement au sein de l'Union européenne mais y proposant des services, est tenu de désigner un représentant, responsable légal en cas de non-conformité au DSA. Enfin, la plupart de ces plateformes ayant été désignées « très grandes plateformes » par la commission européenne, elles sont soumises à des obligations encore plus strictes, notamment d'atténuation des risques systémiques découlant de l'utilisation de sa plateforme. Les obligations de ces plateformes ont encore été renforcées récemment, avec l'entrée en vigueur du règlement sur la sécurité générale des produits, le 13 décembre 2024. Par exemple, elles doivent retirer les produits illicites de leurs plateformes sous 48 heures quand ils leur sont signales. Et ils doivent veiller à ce que des produits identiques ne réapparaissent pas sur leur plateforme ensuite. En parallèle, afin d'assurer l'information des consommateurs susceptibles d'avoir acheté des produits dangereux, la DGCCRF publie régulièrement des communiqués de presse mettant en garde les consommateurs français à l'égard de produits clairement identifiés comme dangereux et/ou d'opérateurs dont le comportement enfreint la réglementation en vigueur (annonces illicites, absence de réponse aux sollicitations des autorités françaises demandant des mesures correctives, etc.). Plus largement, la DGCCRF appelle régulièrement les consommateurs à demeurer vigilants dans le choix des produits qu'ils achètent sur Internet et particulièrement sur les places de marché électroniques, en les invitant à consulter sur son site ses conseils pour les achats en ligne ainsi que la liste des produits d'ores et déjà rappelés. Pour améliorer la surveillance des offres sur Internet, les consommateurs peuvent également déposer sur la plateforme SignalConso un signalement de toute anomalie qu'ils auraient constatée. Le Gouvernement est plus que jamais mobilisé sur ce sujet et a annoncé le 29 avril plusieurs actions massives. Premièrement, le nombre de contrôles portant sur ces plateformes de commerce en ligne sera triplé (un seul contrôle pouvant, par ailleurs, entraîner le retrait de milliers de produits identiques). Deuxièmement, la ministre du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et Moyennes entreprises et de l'Economie sociale et solidaire porte un changement de doctrine des contrôles afin que ces derniers se fassent dans une logique "360°" : désormais, les différents manquements potentiels seront contrôlés en même temps, afin de protéger les consommateurs et les commerçants pouvant subir une concurrence déloyale. Troisièmement, la Ministre a demandé un ciblage spécifique de ces contrôles sur les plateformes qui présentent les risques les plus élevés, dans une logique d'allocation optimale des moyens et effectifs. Du reste, si un manquement est constaté chez un acteur de plus petite taille, les services de contrôle vérifieront également si le même manquement est observable sur les principales plateformes. La Ministre a également annoncé un renforcement de la coordination entre la DGDDI et la DGCCRF. Enfin, le travail effectué sur la proposition de loi dite "ultra fast fashion" permet de traiter spécifiquement du sujet des principales plateformes. La France, au demeurant, est particulièrement proactive au niveau européen, afin de mobiliser les autres Etats membres dans des enquêtes transnationales. C'est en grande partie son action qui a débouché sur l'annonce par la Commission européenne de sanctions éventuelles à l'encontre de Shein, en mai 2025. La France agit également pour mettre fin à l'exonération de droits de douanes en-dessous de 150 euros le colis et pour la mise en place de frais de gestion pour les colis qui traversent nos frontières. Grâce à la forte mobilisation du Gouvernement, la Commission européenne a annoncé dernièrement son souhait que des frais de gestion de 2 euros soient mis en place sur les petits colis de moins de 150 euros. Le Gouvernement poursuit sa forte mobilisation sur ce sujet prioritaire pour notre économie et la préservation de notre tissu commercial et industriel. [1] Telle que prévue à l'article L.521-3-1 du Code de la consommation [2] Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques
Auteur : M. Éric Bothorel
Type de question : Question écrite
Rubrique : Commerce extérieur
Ministère interrogé : Commerce, artisanat, PME, économie sociale et solidaire
Ministère répondant : Commerce, artisanat, PME, économie sociale et solidaire
Dates :
Question publiée le 4 mars 2025
Réponse publiée le 10 juin 2025