Fibre optique : prise en charge des malfaçons par les opérateurs
Question de :
M. Arnaud Le Gall
Val-d'Oise (9e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Arnaud Le Gall alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur les malfaçons des opérateurs privés lors des opérations de raccordements des foyers à la fibre optique. L'ouverture des communications électroniques à la concurrence en 1998 a entraîné la privatisation et la libéralisation du marché des télécommunications. Quatre « opérateurs commerciaux d'envergure nationale » (OCEN) se partagent ce secteur : Free, Orange, SFR et Bouygues. Si, au 31 décembre 2023, 99 % des foyers français étaient équipés en téléphonie, la couverture de l'offre internet est en revanche plus disparate. Certaines zones demeurent sous ou mal-dotées, or il n'est plus à démontrer que la fracture numérique est bien constitutive d'une inégalité sociale. En effet, la dématérialisation de la plupart des services, publics ou non, ainsi que des démarches administratives, rend l'accès à internet indispensable afin d'en garantir l'accès à toutes et tous, sans discrimination géographique, en respect des principes républicains et démocratiques. Le plan « France Très Haut Débit » (PFTHD) est censé réduire cette fracture numérique, en fixant pour objectif le raccordement à la fibre optique de l'ensemble des foyers français d'ici à 2025. Au 30 septembre 2024, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) établissait que sur 44,5 millions de locaux éligibles à la fibre optique, près de 40 millions en étaient déjà pourvus, soit environ neuf foyers sur dix. Toutefois, ce même texte constatait un ralentissement dans le rythme de raccordement. Surtout, ces données ne disent rien sur la qualité de ces opérations. Or la libéralisation du marché a entraîné la multiplication des sous-traitants via le mode « STOC » (« sous-traitance opérateur commercial »), selon lequel le propriétaire du réseau, soit l'opérateur d'infrastructure, sous-traite le raccordement à un opérateur commercial, qui à son tour le sous-traite à une autre entreprise, etc. Ce marché oligopolistique attire de nombreux prestataires. En bout de chaîne, au niveau local, les agents indépendants, généralement peu formés, travaillent dans l'urgence, avec une cadence intenable car ils et elles sont rémunérés au nombre de raccordements effectués. Le mode d'organisation de ce marché entraîne deux effets délétères. Premièrement, l'opérateur est rarement celui qui, in fine, sera mis en cause en cas de mauvais raccordement puisque les OCEN se défaussent sur les petits prestataires. Deuxièmement il est souvent impossible de retracer la chaîne de responsabilité tant celles-ci sont intriquées. Par conséquent, les malfaçons se multiplient. Des échanges avec des syndicats mixtes tels que Val-d'Oise Numérique, porteurs d'initiatives publiques de déploiement de la fibre optique dans les zones jugées peu rentables par les opérateurs privés, révèlent que, sous pression de leur donneur d'ordre, les prestataires ne s'embarrassent pas des détails lors des raccordements, n'hésitant pas à débrancher d'autres clients afin de finaliser le raccordement du leur. En retour, ces derniers, lésés, interviennent directement dans l'armoire pour rétablir leur ligne ou les vandalisent dans l'espoir que l'opérateur d'infrastructure interviendra. Un cercle vicieux se met en place. Souvent, dans les zones d'initiatives publiques, c'est le délégataire de service public qui, sur demande de l'autorité publique délégante, pallie les dommages générés par ce dysfonctionnement systémique de la filière, ne serait-ce que pour apporter une solution temporaire aux clients et clientes. Par exemple, le Réseau d'initiative publique Débitex, lancé par les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise, dépasse parfois son périmètre d'action afin de dépanner temporairement des clients, en réparant les boîtiers endommagés le temps que l'agent mandaté par l'entreprise privée se déplace. Dans certaines situations ubuesques, l'opérateur d'infrastructure remet en conformité des armoires dont la destruction découle de la logique d'ubérisation, sans même que l'opérateur commercial ne contribue aux frais de remise en fonction. Pourtant, hormis de très rares cas de vandalisme, ce sont les sous-traitants eux-mêmes qui ont causé les dommages. Cette opération coûte entre 50 et 100 000 euros par armoire, pour une réparation généralement temporaire, le mode STOC produisant toujours les mêmes effets. Cette gabegie affecte l'économie générale des réseaux d'initiative publique cofinancés par des subventions publiques. Ils font ainsi les frais des arrangements oligopolistiques des OCEN. Parallèlement, sur le terrain, les seuls interlocuteurs sont souvent les maires. N'ayant aucune responsabilité dans ces défaillances structurelles, ils et elles deviennent pourtant les réceptacles de la colère des citoyens, notamment dans les petites localités. Face à cette situation, M. le député souhaite que soit engagée une réflexion en vue de corriger ces dysfonctionnements. Les réseaux de fibre optique sont des infrastructures essentielles, parfois vitales. M. le député considère dès lors qu'ils doivent revenir dans le domaine du public d'une part et que, d'autre part, fourniture du service et entretien du réseau doivent être pris en charge par un opérateur unique contrôlé par la puissance publique. Il s'agit ainsi de démanteler le fonctionnement oligopolistique de ce marché et de remettre les besoins des citoyens au cœur de la politique du numérique. Pour cela, il propose la mise en œuvre d'un plan national coordonnée avec tous les acteurs, le contrôle de la puissance publique s'exerçant par des audits fréquents portant sur les contrats d'aménagement numérique conclus entre les collectivités territoriales et les opérateurs depuis 2004. La gabegie doit cesser. Les opérateurs commerciaux doivent assumer leurs responsabilités, au besoin en étant sanctionnés : pénalités de la part de l'opérateur d'infrastructures, amendes dissuasives établies par l'État ou l'ARCEP. Il est anormal que des entreprises privées perçoivent, directement ou indirectement, autant d'argent public sous couvert d'assumer des missions de service public, sans que cela ne soit assorti d'une garantie réelle de résultats. À cet égard, les solutions techniques proposées par la filière pour maintenir le mode STOC, très rémunératrices pour les OCEN (caméras, serrures électroniques, recours à l'IA, etc.), sont des leurres. Elles alourdissent le coût de la réparation, n'empêchent pas les dégradations et n'améliorent pas le suivi des interventions. Engager ce débat nécessite donc d'auditionner des acteurs de terrain comme les syndicats mixtes en charge de l'aménagement numérique du territoire et pas uniquement les opérateurs comme c'est souvent le cas. Dans l'immédiat, il lui demande comment il compte rendre plus efficaces les dispositifs de contrôle et de sanction et mettre ainsi les opérateurs commerciaux devant leurs responsabilités. Plus globalement, il souhaiterait savoir comment il entend mettre fin à une situation dans laquelle citoyens et élus locaux assument les malfaçons de quatre opérateurs privés subventionnés pour garantir une continuité et une qualité de service, ce qu'ils ne font que très imparfaitement.
Réponse publiée le 26 août 2025
Le Gouvernement est attentif à la qualité des réseaux en fibre optique. Le mode de « sous-traitance à l'opérateur commercial » (STOC) a permis de répondre à une appétence forte des Français pour la fibre optique et de faire face à un rythme soutenu de demandes de raccordement à la fibre optique. La France est aujourd'hui la championne européenne en matière de taux d'abonnements à la fibre optique, loin devant les autres pays européens. Toutefois, le mode STOC a pu affecter la qualité d'exploitation des réseaux déployés, en parallèle d'autres causes de dysfonctionnements, notamment des choix d'architectures de réseaux atypiques par les opérateurs d'infrastructures. La filière s'est engagée en septembre 2022 pour une amélioration de la qualité de service. Ces engagements portent sur trois axes : Le premier axe relève du renforcement de la formation des intervenants et la qualité des interventions terrain par la mise en place d'une certification au niveau des intervenants et des entreprises ; Le second axe porte sur le renforcement des contrôles à la fois par : la transmission des opérateurs commerciaux de leurs plannings d'intervention aux opérateurs d'infrastructure en faisant la demande est en cours d'expérimentation sur une vingtaine de réseau où la qualité de réseau est la plus dégradée. Pour en éprouver l'efficacité, un nombre plus significatif d'audits conduits par les opérateurs devra être réalisé ; la mise en œuvre effective des comptes-rendus d'intervention, dispositif clé pour valider la qualité des raccordements, s'est maintenant généralisée ; la mise en œuvre d'e-intervention, un outil partagé entre tous les opérateurs, qui permet d'envoyer des alertes en cas de débranchements involontaires/volontaires. Des expérimentations sont en cours pour permettre le rebranchement « à chaud » lors d'un débranchement intempestif ; Le troisième axe porte sur la reprise des infrastructures dégradées, que ce soit au niveau des points de mutualisation ou des réseaux vieillissants ou mal dimensionnés qui nécessitent une reprise globale de l'infrastructure. A ce jour, Xp Fibre, Altitude et Free ont lancé des plans de reprise dont l'Arcep assure le suivi. Le Val d'Oise est notamment concerné par le plan de reprise d'Xp Fibre. Le Gouvernement demeure vigilant sur la mise en œuvre effective de ces trois axes par les opérateurs et en a confié le contrôle à l'Arcep, à laquelle les opérateurs sont tenus de rapporter. L'Autorité effectue un état des lieux de la mise en œuvre de chacun des axes à l'occasion des comités de concertation « réseaux fixes », qui réunissent tous les trimestres les associations de collectivités, les opérateurs d'infrastructures, les opérateurs commerciaux, les fédérations professionnelles, les services de l'Etat (DGE, ANCT), ainsi que la Commission Supérieure du Numérique et des Postes. En outre, l'Arcep publie régulièrement un observatoire de la qualité des réseaux en fibre optique, évaluant pour chaque réseaux le taux de panne et le taux d'échec de raccordement. La dernière publication en date de mars 2025 atteste d'une amélioration de la qualité des réseaux en fibre optique perceptible sur la majorité des réseaux. L'Arcep relève ainsi : « Il apparait une poursuite de l'amélioration constatée précédemment sur les taux de pannes et une stabilité sur les taux d'échecs au raccordement. Les réseaux les plus dégradés voient leur taux de pannes moyen diminuer de 0,51 % en janvier 2024 à 0,30 % en octobre 2024, se rapprochant ainsi progressivement des standards de marchés. Néanmoins, sur certains réseaux, notamment en Ile-de-France, les taux de pannes et d'échecs au raccordement restent encore élevés. ». A l'instar de la position tenue lors de l'examen de la proposition de loi adoptée le 2 mai 2023 au Sénat, le Gouvernement considère que la remise en cause par la loi de la possibilité de recourir au mode STOC serait de nature à déstabiliser de manière durable la chaine de valeur au risque de ralentir les déploiements en fibre optique, sans garantie que ces problèmes soient résolus. C'est pourquoi, le Gouvernement a privilégié le suivi rapproché des engagements pris par la filière en lien avec l'Arcep. Par ailleurs de premières expérimentations sur des modes alternatifs de déploiement ("mode OI") sont en cours de lancement.
Auteur : M. Arnaud Le Gall
Type de question : Question écrite
Rubrique : Télécommunications
Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique
Ministère répondant : Industrie et énergie
Dates :
Question publiée le 15 avril 2025
Réponse publiée le 26 août 2025