Veut-on encore produire de l'acier en Europe ?
Question de :
M. François Ruffin
Somme (1re circonscription) - Écologiste et Social
M. François Ruffin interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique : veut-on encore produire de l'acier en Europe ? « On est le plus gros site de production d'acier du continent européen. Le haut-fourneau numéro 4, c'est le plus grand d'Europe. Avec la COP 21, on a engagé des projets de décarbonation à l'horizon 2030. Mais en juin 2024, on nous a annoncé que tous les projets, on les mettait en stand-by, au carton, tout ça, ça coûtait trop cher. Depuis, l'outil de travail se dégrade, il n'y a plus d'investissement, il n'y a plus d'embauche ». Lors de la venue de M. le député sur le site d'ArcelorMittal de Dunkerque, Gaëtan, Reynald et leurs collègues étaient inquiets. Pour leur usine, pour leurs emplois, pour leur territoire : « Notre patron nous le répète à toutes les réunions : une tonne d'acier produite en France rapporte trente euros à Mittal. C'est trois cents euros en Inde ou au Brésil » D'où la chronique d'une mort lente. Les « services supports », cent cinquante emplois ici, 1 500 en Europe, sont supprimés : comptable, achats, informaticiens, par exemple, sont délocalisés en Inde. Et c'est toute la sidérurgie française, européenne, qui risque d'être sacrifiée. Comment, alors, parler de souveraineté ? Dans une Europe qui, avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), s'est fondée sur l'acier ? Le continent sera-t-il bientôt dépendant de la Chine et de l'Inde pour ce matériau essentiel, stratégique, indispensable ? Le Gouvernement a le mot « souveraineté » à la bouche régulièrement. M. le député s'en félicite, car il y a encore quelques années, ce concept était jugé sale et archaïque. Mais ce n'est pas tout d'en parler, il faut le faire. Que va-t-il prendre comme mesures pour sauver la filière acier ? Quand va-t-il mettre en place des taxes aux frontières et des barrières douanières pour protéger l'industrie ? Quand va-t-il exiger d'ArcelorMittal, qui s'est gavé d'aides publiques, des contreparties ? Il lui demande ce qu'il compte faire à ce sujet.
Réponse publiée le 26 août 2025
L'industrie sidérurgique est un secteur stratégique pour l'économie de l'Union européenne car elle fournit des intrants essentiels à de nombreux secteurs, notamment l'automobile, l'énergie, la construction ou encore la défense. L'acier se trouve à la base de très nombreuses chaînes de valeurs industrielles. Le Gouvernement est conscient de la situation préoccupante à laquelle est confrontée la sidérurgie européenne, plusieurs défis majeurs menaçant sa pérennité. Les coûts de production ont augmenté en raison de la hausse des coûts de l'énergie et du carbone alors que les prix ont chuté en raison des surcapacités mondiales, de la concurrence déloyale des pays-tiers et de la baisse de la demande. En conséquence, la production de l'Union européenne a diminué et l'utilisation actuelle des capacités est inférieure aux niveaux et aux seuils de rentabilité. Cette situation complique la décarbonation des usines sidérurgiques européennes, plusieurs producteurs ayant interrompu leurs investissements dans des projets d'acier vert, à l'image d'ArcelorMittal à Dunkerque, dont le projet de décarbonation est une étape indispensable pour (i) pérenniser à terme son activité et (ii) atteindre nos objectifs nationaux de baisse des émissions de gaz à effet de serre. La pérennité de l'activité d'ArcelorMittal en France, et plus largement la compétitivité de toute la sidérurgie de l'Union européenne, doit donc s'analyser à l'aune de ce contexte difficile. Dès lors, cette situation unique appelle la France à s'engager au niveau national et au niveau européen. Au niveau national, l'État est au rendez-vous du soutien à ce projet stratégique, puisqu'il a signé en janvier 2024, via l'ADEME, une convention d'aide de 850 millions d'euros. Cette aide n'a pas encore été versée puisqu'elle est conditionnée à la commande effective des actifs stratégiques du projet, à savoir les fours à arc électrique et le réacteur de réduction directe du fer (dit "DRP"). Par ailleurs, pour permettre à ArcelorMittal et plus généralement aux industriels électro-intensifs d'accéder à une électricité compétitive, EDF développe, dans le cadre de l'accord conclu avec l'État en novembre 2023, une nouvelle politique commerciale basée sur des contrats de long terme d'environ 10 ans. Ces derniers sont négociés bilatéralement avec les industriels, le tout dans une logique de partage des risques. En janvier 2024, ArcelorMittal a annoncé avoir signé avec EDF une lettre d'intention relative à la conclusion d'un contrat d'allocation de la production nucléaire (CAPN), ce qui lui permettra de sécuriser ses approvisionnements futurs en électricité en France – et ce à un prix compétitif. Au niveau européen, le Gouvernement plaide pour des mesures urgentes nécessaires pour assurer à ArcelorMittal, ainsi qu'aux autres acteurs européens, des perspectives économiques claires et porteuses lui permettant d'engager ses investissements dès 2025. En octobre dernier, le Gouvernement a été à l'initiative de la réouverture de la mesure de sauvegarde afin d'améliorer la protection de la filière de l'acier européen. Un premier renforcement a été mis en oeuvre le 1er avril 2025, une consultation est en cours pour rendre cette mesure de sauvegarde plus efficace encore au 1er janvier 2026. Le Gouvernement avait également alerté la Commission européenne sur la nécessité absolue d'élaborer un plan d'urgence pour l'acier européen. Ce plan a figuré parmi les priorités des 100 premiers jours du nouvel exécutif européen, en faveur d'une amélioration significative des instruments de défense commerciale – afin qu'ils soient plus efficaces et rapidement opérationnels. Il a été annoncé le 19 mars 2025. En outre, et pour maintenir l'enjeu de la sidérurgie européenne sur le haut de la pile des priorités de l'Union européenne, le Gouvernement a été à l'initiative d'un « Sommet européen pour une stratégie européenne autour de l'industrie de l'acier ». Ce sommet tenu le 27 février 2025 à Bercy a été l'occasion de rappeler à la Commission les mesures urgentes à prendre, notamment la mobilisation complète et accélérée des instruments anti-dumping et antisubventions – y compris sur la base de la menace de préjudice. L'amélioration rapide de la mesure de sauvegarde actuellement en vigueur (y compris avec la mise en place de niveaux de quotas plus adaptés à la demande européenne) et la présentation d'un nouveau mécanisme de défense commerciale ont aussi été évoquées. Enfin, il a été question de l'amélioration du mécanisme d'ajustement aux frontières pour le carbone (MACF) afin de garantir que les aciers importés supportent une tarification carbone alignée sur celle que paient déjà les sidérurgistes européens dans le cadre de l'EU-ETS. Aussi le Gouvernement est-il pleinement mobilisé pour garantir à ArcelorMittal un cadre national et européen lui permettant de confirmer ses investissements en France en dessinant des perspectives solides à long terme. Il en va non seulement de notre souveraineté en matière de production d'acier mais aussi de la capacité de notre sidérurgie à se décarboner en assurant à la fois sa viabilité économique et la réalisation de nos objectifs climatiques. Les grandes puissances industrielles sont d'abord et avant tout des puissances sidérurgiques, et la France doit continuer à produire de l'acier sur son sol.
Auteur : M. François Ruffin
Type de question : Question écrite
Rubrique : Industrie
Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique
Ministère répondant : Industrie et énergie
Dates :
Question publiée le 22 avril 2025
Réponse publiée le 26 août 2025