Question écrite n° 6353 :
Distorsion de concurrence dans le secteur du transport aérien

17e Législature

Question de : Mme Sophia Chikirou
Paris (6e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

Mme Sophia Chikirou alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur les distorsions de concurrence croissante dans le secteur du transport aérien. La logique de libéralisation du marché, promue par l'Union européenne, l'a amenée à conclure un accord avec le Qatar en 2021 sur le secteur du transport aérien. Cet accord, dont les conditions de négociation posent question depuis le scandale du « Qatargate », est entré en vigueur sans ratification préalable par la France. Il permet à Qatar Airways d'opérer sur le marché européen en contrepartie d'engagements en matière de transparence et de concurrence équitable. Cependant, aucun mécanisme de contrôle et de sanction n'a été mis en place pour vérifier le respect de ces engagements. Cela se traduit par une mise en concurrence déloyale entre des opérateurs français, soumis aux normes sociales, fiscales et environnementales de l'Union européenne, et Qatar Airways, qui bénéficie de soutiens publics massifs et d'un cadre réglementaire beaucoup plus souple, tant sur le plan social qu'environnemental. Cette situation met en difficulté les compagnies aériennes françaises et menace directement des milliers d'emplois en France. Pour Air France, dont l'État français détient 28 % du capital, ce sont 40 000 emplois directs en Île-de-France qui sont en danger. Elle favorise également le dumping social et va à l'encontre des objectifs climatiques français et européens. Elle lui demande donc quelles mesures le Gouvernement compte prendre pour garantir une concurrence équitable dans le secteur aérien tout en veillant à faire respecter les normes sociales et environnementales du pays.

Réponse publiée le 1er juillet 2025

L'accord aérien entre l'Union européenne et ses États membres d'une part, et le Qatar d'autre part, a été signé le 18 octobre 2021. Cet accord est, depuis lors, mis en œuvre sur une base administrative, en attente de ratification par les États membres et du vote du Parlement européen. Cette pratique correspond à la tradition internationale en matière d'accords aériens, tradition sans laquelle Air France et les compagnies du pavillon français ne pourraient pas bénéficier des nouveaux droits de trafic négociés en leur faveur chaque année par les services de l'État. Avant cette signature, la grande majorité des États membres de l'Union européenne avait déjà totalement libéralisé le trafic avec ce pays. Mais aucun de ces accords ne comportait de dispositions novatrices en matière de concurrence, directement inspirées du droit européen sur les abus de position dominante, les ententes, ou encore les concentrations et sur les aides d'État. Le texte comporte aussi des obligations de transparence financière, seule à même de permettre le respect de ces dispositions concurrentielles. Il renvoie aux obligations des États découlant de leur appartenance à l'Organisation internationale du travail (OIT), ce qui est là aussi novateur dans un accord aérien. Il entérine, enfin, la nécessité de protéger l'environnement, avec notamment un engagement à appliquer le dispositif CORSIA de l'Organisation de l'aviation civile internationale. Aucun État membre, pris individuellement, n'aurait été en mesure de négocier de telles dispositions. D'autres États du Golfe persique, conscients des engagements à prendre, ont refusé la négociation. En échange, les compagnies aériennes du Qatar ont le droit d'opérer des vols directs en nombre illimité de/vers l'Union européenne. En pratique, Qatar Airways exploite seulement quatre allers-retours hebdomadaires supplémentaires vers la France par rapport à 2021. Cette croissance n'est pas de nature à mettre en difficulté des opérateurs français, au regard de la progression plus significative, sur cette même période, d'autres compagnies étrangères. Le mécanisme de contrôle de l'accord est constitué des réunions annuelles du comité mixte, instance instituée par l'accord aérien, qui permet de formaliser le dialogue entre les parties sur son interprétation et de surveiller sa mise en œuvre. Il est composé de représentants de la Commission européenne, des États membres, en présence des compagnies aériennes et d'organisations syndicales. Il permet à la partie européenne de formuler des demandes précises sur l'application par le Qatar des dispositions concernant la concurrence équitable, et d'encadrer les réponses qatariennes selon une procédure et des délais précis. Les autorités françaises sont particulièrement attachées à ce que l'État du Qatar coopère de façon pleine et entière sur ces sujets. L'accord comporte une clause de règlement des différends et d'arbitrage permettant à une Partie d'appliquer des mesures correctives provisoires si l'autre n'applique pas l'accord, avant même qu'une décision définitive ne soit rendue. Par ailleurs, en cas d'absence de solutions sur les questions identifiées par une Partie en matière de transparence financière, de discrimination, de subventions ou de pratiques déloyales, des dispositions permettent que des mesures unilatérales, y compris de retrait des droits de trafic, peuvent être prises sans devoir recourir à la procédure de règlement des différends. À ce stade, le Qatar a produit de premiers documents financiers sur sa compagnie aérienne (financement des aéronefs) et sur l'aéroport de Doha. En matière d'environnement, le Qatar affiche des scores recevables, avec notamment un objectif de 10 % d'incorporation de carburants alternatifs pour ses vols en 2030 au lieu des 6 % requis par les exigences européennes. La ratification des conventions fondamentales de l'OIT n'a pas encore progressé mais le Qatar a réalisé des réformes en matière de droit du travail et a signé, en 2024, un programme de travail avec l'OIT, incluant notamment l'appui aux actions des syndicats internationaux au Qatar. Les autorités françaises demandent régulièrement des preuves des progrès réalisés. C'est pour elles la condition sine qua non pour la poursuite de l'application provisoire de l'accord aérien.

Données clés

Auteur : Mme Sophia Chikirou

Type de question : Question écrite

Rubrique : Transports aériens

Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Ministère répondant : Transports

Dates :
Question publiée le 29 avril 2025
Réponse publiée le 1er juillet 2025

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