Question écrite n° 8015 :
ANEF : quand le numérique devient un obstacle à l'accès aux droits

17e Législature

Question de : M. Idir Boumertit
Rhône (14e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

M. Idir Boumertit attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur les dysfonctionnements persistants de la plateforme ANEF (Administration numérique pour les étrangers en France) et leurs conséquences sur l'accès aux droits des personnes étrangères. Depuis sa généralisation progressive à l'ensemble des titres de séjour, la plateforme ANEF fait l'objet de vives critiques de la part des acteurs de terrain, en raison des obstacles importants qu'elle oppose aux usagers, en particulier les plus précaires. Si le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 permet de rendre obligatoire le recours à un téléservice, le Conseil d'État a rappelé, dans une décision du 3 juin 2022, que cette obligation ne peut être mise en œuvre qu'à la condition d'assurer un accompagnement effectif et des solutions de substitution adaptées. Or une enquête nationale menée par la Fédération des acteurs de la solidarité, rendue publique en octobre 2024, documente de manière approfondie l'ampleur des dysfonctionnements constatés sur le terrain. Sur plus de 480 structures interrogées, 82 % estiment que le Centre de contact citoyen (CCC) n'apporte aucune aide concrète aux usagers et seulement 5 % déclarent que leur préfecture propose systématiquement une modalité de substitution en cas de blocage. Près de 70 % indiquent l'absence totale d'information claire sur les sites préfectoraux. Plus inquiétant encore, ces défaillances techniques et organisationnelles entraînent des ruptures de droits : perte d'accès aux prestations sociales (Caisses des allocations familiales, Caisses primaires d'assurance maladie), radiation de France Travail, impossibilité de travailler ou de se loger. Ces situations plongent certaines personnes dans une précarité administrative dramatique, avec des conséquences durables sur leur insertion sociale et professionnelle. Ces constats ont été partagés par la Défenseure des droits dans son rapport de novembre 2024, qui évoque « des atteintes massives aux droits des usagers » et appelle à un renforcement immédiat des garanties d'accessibilité et de continuité du service public. Le Défenseur souligne en particulier l'inadaptation des dispositifs pour les publics vulnérables et la nécessité de garantir un véritable accès multicanal aux démarches, conformément aux principes d'égalité devant le service public. Dans ce contexte, il lui demande quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour garantir un accès réel et équitable aux démarches administratives liées au séjour, assurer le respect des modalités de substitution prévues par l'arrêté du 1er août 2023 et restaurer l'effectivité des droits fondamentaux des personnes étrangères présentes sur le territoire, en particulier celles qui rencontrent des obstacles techniques ou linguistiques dans l'usage du numérique.

Réponse publiée le 9 septembre 2025

La dématérialisation des procédures de demande de titre de séjour, de document de voyage et de circulation dans l'administration numérique des étrangers en France - ANEF s'est effectuée progressivement, depuis 2020. Ce déploiement progressif a été effectué afin de répondre aux enjeux de dématérialisation et de transformation publique, mais également afin de répondre à un enjeu d'obsolescence des technologies utilisées jusqu à présent. En parallèle des travaux sur le nouveau ce système d'information, l AGDREF doit continuer à fonctionner afin de maintenir la continuité du service. Une partie non négligeable des difficultés techniques résulte du maintien de ce système d information historique. Son décommissionnement, actuellement en cours, permettra de réduire ces difficultés techniques et le déploiement des dernières fonctionnalités sur l ANEF permettra de les résoudre durablement. Dans l'attente de la résolution des difficultés évoquées, le ministère de l'intérieur a déployé un plan d'actions pour lutter contre les ruptures de droits. Ce plan s'articule autour de quatre leviers complémentaires : un volet réglementaire, un volet informatique, un volet de pilotage du réseau et du renforcement des moyens humains et un volet communication, chacun visant à minimiser les sources de fragilité identifiées suite à la mise en place de l ANEF. Sur le volet réglementaire, à la suite de la décision du Conseil d Etat du 3 juin 2022, une procédure de prise en charge des usagers bloquées sur l ANEF a été mise en place par la direction générale des étrangers en France - DGEF et le centre de contact citoyens - CCC. Les usagers concernés se signalent auprès du CCC en indiquant les entraves manifestes du dépôt de la demande, puis sont pris en charge par les équipes de la DGEF, en lien avec la préfecture territorialement compétente afin qu'une solution alternative au dépôt dématérialisé leur soit proposée rapidement. En 2024, le centre de contact citoyens de France Titres a transmis 4 377 signalements à la DGEF. En parallèle, 1 120 942 demandes ont été déposées sur l ANEF. Les signalements non résolus par le CCC représentent donc 0.4 % du volume des demandes. Lorsque le blocage technique est constaté en préfecture et signalé par le point d accueil numérique (PAN), l'usager est également systématiquement orienté vers une solution alternative au dépôt en ligne. Par ailleurs, une circulaire du 4 août 2023 a été diffusée à l'ensemble des préfectures afin de leur donner des orientations claires sur le double circuit (point d accueil numérique et centre de contact citoyen) qui s'offre à l'usager en cas de blocage technique dans le dépôt de la demande dans l ANEF. Enfin, l'instruction du 4 août 2024 recommande de subordonner l'accès au point d'accueil numérique (PAN) à une prise de rendez-vous préalable pour pouvoir qualifier les demandes et organiser la mise à disposition des agents du service des étrangers, notamment dans le but de fournir un accompagnement « métier ». La majorité des structures proposent deux à trois modes de prise de rendez-vous en point accès numérique (PAN) ANEF : par téléphone, à l'accueil général de la préfecture, ou sur internet via un module de rendez-vous ou une adresse courriel dédiée de la préfecture. Sur le volet informatique, côté agents, le téléservice de l'ANEF comporte plusieurs fonctionnalités destinées à prévenir les ruptures de droits. Le système d'information facilite la possibilité pour les encadrants d'identifier les situations présentant un caractère d'urgence et d'en prioriser le traitement. Ce dispositif a été complété en août 2024, par la mise en service de filtres avancés, permettant à l'ensemble des agents d'identifier les étrangers demandeurs dont le titre ou l'attestation de prolongation d'instruction arrive à expiration. Coté usagers, un nouvel outil numérique visant à prévenir les situations de ruptures de droit a été développé également par le ministère de l'intérieur. Les usagers titulaires d'un titre de séjour dont le motif est disponible sur l'ANEF sont alertés par courriel et par SMS de l'arrivée à échéance prochaine de leur titre et du délai dans lequel leur demande de renouvellement doit être présentée. Sur le volet de pilotage du réseau et du renforcement des moyens humains, le ministère renforce la coopération entre les différentes parties prenantes par une communication plus fluide entre la Direction Générale des Étrangers en France (DGEF) et les préfectures. D'importants moyens sont ainsi mobilisés pour relever le défi de la transition numérique et renforcer la qualité du service rendu à l'usager. A cet égard, l'accompagnement au bénéfice des services des préfectures a été renforcé par les services centraux par le biais notamment de « missions d appui et de conseil ». Ce dispositif facilite la détection et la résolution des anomalies techniques de manière coordonnée, permettant une réponse plus rapide et mieux adaptée aux difficultés rencontrées ainsi que la mise en oeuvre de solutions de contournement si nécessaire. Par ailleurs, une cellule numérique du quotidien ANEF a été créée courant avril 2025 pour renforcer l'accompagnement des préfectures au changement. Cette cellule est accompagnée par une équipe technique qui prend en charge les anomalies sur place. Plusieurs déplacements ont déjà eu lieu et d'autres sont d'ores et déjà programmés. En matière de moyens le ministère de l'intérieur a doté d'effectifs supplémentaires les services « étrangers » en 2023 et 2024 (12 ETP en 2023 et 60 ETP en 2024, soit 72 sur 2 ans). Il a également doté d'effectifs pérennes supplémentaires les services d accueil, notamment les PAN « étrangers » (5 ETP en 2023 et 9 en 2024, soit 14 ETP en 2 ans). Par ailleurs, lors d'un déplacement à Metz en novembre 2024, le ministre a annoncé la création de 101 ETP dans les préfectures dont une partie substantielle sera dédiée aux services étrangers. Il est à noter également qu'un plan de renfort triennal à hauteur de 570 vacataires (soit 190 par an) a été déployé au titre des années 2022 à 2024. En 2025, il a été décidé de maintenir à un niveau équivalent aux années précédentes, les renforts fléchés pour les services étrangers, soit 190 ETPT. Enfin, sur le volet « communication », un plan de communication nationale destiné aux usagers et aux services préfectoraux a été mis en oeuvre depuis 2023. Chaque déploiement de nouvelles téléprocédures est assorti d'un dispositif d'accompagnement renforcé à l'égard des usagers et des préfectures à différentes étapes : 15 jours avant chaque mise en service, des outils de présentation dédiés sont adressés aux préfectures comprenant un guide « usagers », un guide « agents », une foire aux questions (FAQ), des « fiches métier » ainsi qu'un kit de communication destiné aux services préfectoraux (« prêt à publier ») sur les sites internet des préfectures avec une infographie actualisée répertoriant l'ensemble des procédures dématérialisées. 15 à 20 jours avant chaque mise en service, une démonstration aux responsables du centre de contact citoyen est effectuée afin de renforcer la compréhension de la téléprocédure et de mieux accompagner les usagers. 10 jours avant chaque mise en service, des démonstrations de la téléprocédure sont organisés en visioconférence par les équipes de la DGEF. Après chaque mise en service, des échanges réguliers sont organisés par la DGEF pour répondre aux interrogations des préfectures et faciliter la remontée des anomalies et d'éventuels besoin d'évolutions fonctionnelles. Par ce plan d'actions, le ministère réaffirme son engagement à garantir un accès équitable aux droits pour tous les usagers de l'ANEF.

Données clés

Auteur : M. Idir Boumertit

Type de question : Question écrite

Rubrique : Étrangers

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Dates :
Question publiée le 1er juillet 2025
Réponse publiée le 9 septembre 2025

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