Conséquences de l'électrification massive de l'industrie automobile sur l'emploi
Question de :
M. Jérôme Nury
Orne (3e circonscription) - Droite Républicaine
M. Jérôme Nury souhaite attirer l'attention de M. le ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie, sur les conséquences préoccupantes de la politique européenne d'électrification massive de l'industrie automobile, notamment vis-à-vis des sous-traitants. La réduction des émissions de gaz à effet de serre est un impératif que nul ne conteste. La France fait pour cela figure d'exemple avec son mix électrique basé très majoritairement sur le nucléaire et l'hydroélectricité. Miser sur l'électrification plus dense des usages peut donc avoir du sens en matière environnementale mais encore faut-il que cela fasse l'objet d'une véritable stratégie qui prend en considération le tissu industriel actuel. Or force est de constater que les politiques européenne et française d'électrification massive de l'industrie automobile suscitent de sérieuses inquiétudes sur le plan social et économique. En réduisant drastiquement les besoins en moteurs thermiques et en composants associés à ces véhicules dans des calendriers intenables, ces décideurs publics ont sous-estimé les répercussions directes sur l'emploi dans ces filières sur les territoires. Le cas de la fermeture annoncée d'ici la fin de l'année 2026 du site de Forvia à Messei, dans l'Orne, en est une illustration frappante. Cette fin d'activité pour les 109 salariés de ce site spécialisé dans la fabrication de pots d'échappement - segment appelé à disparaître avec la fin programmée des véhicules thermiques - aura des conséquences humaines et économiques majeures pour le bocage ornais. Par ces décisions idéologiques prises sans concertation avec les filières industrielles, l'État a largement délaissé les sous-traitants automobiles souvent implantés en zones rurales sans prévoir une réelle politique d'accompagnement de transition pour permettre aux salariés concernés un reclassement ou une reconversion. Il lui demande donc quelles actions urgentes le Gouvernement entend mettre en œuvre pour soutenir les sites menacés comme celui de Messei, afin d'accompagner les salariés dans des parcours de formation et de reconversion dignes et de permettre aux entreprises sous-traitantes de s'adapter aux mutations de l'industrie automobile. Il souhaite également savoir comment l'État entend intégrer davantage les sous-traitants dans les politiques industrielles liées à la transition écologique ; la transition environnementale ne pourra s'appliquer sereinement qu'avec l'assentiment des personnes concernées et non à leur détriment.
Réponse en séance, et publiée le 11 juin 2025
ÉLECTRIFICATION DE L'INDUSTRIE AUTOMOBILE
Mme la présidente . La parole est à M. Jérôme Nury, pour exposer sa question, no 349, relative à l'électrification de l'industrie automobile.
M. Jérôme Nury . Je souhaite alerter le gouvernement sur l'avenir du site de Forvia, situé à Messei, dans l'Orne, dans ma circonscription. Ce site, spécialisé dans la fabrication de pots d’échappement, voit son avenir compromis non pour des questions de performance industrielle ou de délocalisation, mais tout simplement à cause de la baisse, voire de la disparition du marché.
Il s'agit d'une disparition programmée par des décisions abruptes et précipitées, fixées sans concertation avec les professionnels du secteur de l’automobile. L’électrification à marche forcée de toute notre flotte, imposée par l’Europe à l'horizon 2035 – c’est-à-dire demain –, a des conséquences directes sur toute la filière automobile, qui était la dernière grande industrie française présente sur nos territoires.
Nous ouvrons grand nos portes et le marché français à des constructeurs chinois qui maîtrisent mieux que nous ces nouvelles technologies et qui concurrencent directement nos constructeurs français et européens avec des modèles performants à bas coût ; en plus, nous démolissons méthodiquement toute la sous-traitance automobile, qui représente de nombreux emplois et détermine les dynamiques économiques locales de nombreux bassins industriels, comme celui du bocage ornais.
Conséquence directe de ces décisions ahurissantes, la fermeture du site Forvia de Messei, annoncée par la direction il y a quelques semaines, a provoqué l’incompréhension, la colère et l’inquiétude des 109 salariés concernés et de leurs familles. Ces femmes et ces hommes qualifiés, qui ont consacré leur vie à une activité industrielle structurante pour tout le territoire, font donc les frais d’une décision idéologique, prise sans étude d’impact et relayée avec zèle par nos gouvernants, qui se sont peu préoccupés jusqu’ici de ses conséquences sur l’emploi et sur la filière automobile française.
Je me tourne donc vers le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, pour que l'État soit présent à nos côtés, à Messei, aux côtés des personnels de Forvia et des élus locaux, pour donner des perspectives non seulement à ce site industriel mais aussi à chacune et chacun des salariés qui vont subir cette fermeture.
Nous avons besoin que le gouvernement fasse preuve de persuasion auprès du groupe Forvia, afin que le plan de sauvegarde de l’emploi négocié entre la direction et les représentants du personnel permette un reclassement réel des salariés, qu'il leur permette aussi de rebondir grâce à des formations adaptées et à des prises en charge dans la durée, qui tiennent compte des situations de chacun – je pense notamment aux salariés proches de la retraite, qui ont eu des carrières longues.
Nous avons également besoin de l’État pour qu'il nous aide à donner une deuxième vie à ce site industriel d’une superficie de près de 11 hectares, où 40 000 mètres carrés de bâtiments ont accueilli jusqu’à plus de 2 000 salariés dans les années 1970. Certes, tout sera fait par Forvia pour trouver des repreneurs, jurisprudence Florange oblige, mais il va certainement falloir reconfigurer les lieux, dépolluer, démolir et réhabiliter afin d'éviter que le site ne devienne une friche industrielle.
L’accompagnement de l’État sera donc essentiel pour mobiliser l’ensemble des acteurs publics et privés. Il pourrait se concrétiser par une convention de revitalisation ambitieuse ou par l'intégration du site dans des dispositifs d'aide nationaux comme l’appel à projets « Sites clés en main France 2030 », que l’ANCT – Agence nationale de la cohésion des territoires – compte lancer dans quelques jours. Pouvons-nous compter sur le gouvernement pour ce site de Messei et pour ses salariés ?
Mme la présidente . La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . Vous appelez l'attention de mon collègue Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, sur l'accompagnement non seulement de ce site, mais, plus largement, de toute la filière des sous-traitants automobiles, dans le cadre de la transition vers le véhicule électrique.
Depuis octobre 2023, nous mettons en œuvre un plan dédié à ces sous-traitants. Il s'agit d'investir dans la filière, de favoriser sa compétitivité et sa diversification. Depuis 2020, les aides au secteur représentent un engagement de plus de 2 milliards d'euros, pour 6 milliards d'investissements consentis. Ces aides ont permis de réduire de trois à quatre ans l'âge moyen du parc de machines, qu'il convenait de moderniser, pour le rendre plus efficace et compétitif. Nous avons en outre encouragé la recherche et développement dans l'utilisation de matériaux biosourcés et la création de filières de recyclage. Plus largement, l'objectif est que la fabrication se fasse en France, des vélos électriques aux poids lourds en passant par le matériel agricole.
Par ailleurs, nous avons obtenu – c'est une très grande victoire – une révision rapide du règlement européen qui pénalisait les sous-traitants. Les flexibilités ainsi obtenues éviteront des difficultés en cascade chez les équipementiers, qui représentent la majorité des emplois de la filière.
Vous le savez, les sous-traitants ont besoin de temps : ils sont pris en tenaille entre des efforts de diversification hors de l'automobile qui n'ont pas encore complètement porté leurs fruits, des volumes de voitures électriques encore insuffisants et des commandes historiques de voitures thermiques en baisse. Résultat : les constructeurs se fournissent malheureusement de plus en plus en Chine, pour réduire les prix sans baisser leurs marges.
Nous travaillons sur cette question au niveau européen avec Stéphane Séjourné, commissaire européen à la prospérité et à la stratégie industrielle. Nous tenons à ce que les véhicules commercialisés en Europe aient un contenu local, de sorte qu'ils n'y soient pas seulement vendus, mais aussi, de plus en plus, produits. Outre l'assemblage final, la fabrication des composants doit aussi se faire en Europe, au bénéfice des sous-traitants.
Cette transition n'est pas fluide, ni parfaitement linéaire. Il peut arriver qu'il n'y ait pas d'autre solution que la restructuration. L'État est alors présent pour accompagner cette opération ainsi que la formation des salariés, tout en assurant un dialogue social de qualité. Par exemple, nous avons mobilisé des fonds importants pour la reprise de la Fonderie de Bretagne.
Dans le cas que vous évoquez, nous serons très vigilants non seulement sur l'accompagnement des salariés et de leurs familles, de sorte qu'ils puissent rebondir sur le territoire, mais aussi sur l'avenir du site, qui ne doit pas devenir une friche. Nous avons tenu il y a quelques semaines à Versailles l'édition 2025 de la réunion Choose France. L'État accompagne la transformation de tels sites industriels en sites dits clés en main. Ainsi, chaque fois qu'un industriel s'intéresse à la France, nous pouvons lui indiquer les endroits où il peut déployer rapidement son activité : ayant connu une activité industrielle comparable, ces sites sont déjà équipés et les autorisations environnementales ont déjà été accordées.
Le site que vous mentionnez pourrait tout à fait être ajouté à la liste des sites pris en mains pour les prochains investisseurs ou repreneurs, français ou étrangers, qui souhaitent étendre leur activité. J'y veillerai en lien avec le cabinet de Marc Ferracci.
Auteur : M. Jérôme Nury
Type de question : Question orale
Rubrique : Industrie
Ministère interrogé : Industrie et énergie
Ministère répondant : Industrie et énergie
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 3 juin 2025