Surcharge des juridictions pour mineurs : le cas alarmant d'Évreux
Question de :
Mme Katiana Levavasseur
Eure (2e circonscription) - Rassemblement National
Mme Katiana Levavasseur alerte M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation particulièrement préoccupante que connaît actuellement le tribunal pour enfants d'Évreux, dans le département de l'Eure. En effet, en raison d'une hausse de plus de 18 % des dossiers d'assistance éducative entre 2023 et 2024, les magistrats ont été contraints de mettre en place des mesures dites de « gestion dégradée », les amenant à statuer, dans de nombreux cas, sans audience ni débat contradictoire. Les associations de protection de l'enfance du territoire, réunies au sein de l'URIOPSS Normandie, tirent ainsi la sonnette d'alarme. Elles s'inquiètent des conséquences d'une justice rendue uniquement sur dossier, sans débat contradictoire et dénoncent la charge émotionnelle injustement transférée aux équipes éducatives. Déjà fortement sollicitées, celles-ci se retrouvent désormais seules pour annoncer des décisions judiciaires prises sans audience. Et ce cas n'est pas isolé. À l'échelle nationale, 522 juges pour enfants doivent suivre plus de 260 000 mineurs en danger. Nombre d'entre eux sont en charge de plus de 450 situations, certains dépassant même les 800. Une telle surcharge engendre une saturation du système et des retards qui compromettent profondément l'efficacité de la justice des mineurs. Aussi, elle lui demande quelles mesures le Gouvernement compte engager pour rétablir des conditions dignes de fonctionnement au tribunal pour enfants d'Évreux et quels moyens humains et budgétaires l'État entend mobiliser afin de garantir à chaque enfant vulnérable le droit d'être réellement entendu.
Réponse en séance, et publiée le 11 juin 2025
TRIBUNAL POUR ENFANTS D'ÉVREUX
Mme la présidente . La parole est à Mme Katiana Levavasseur, pour exposer sa question, no 370, relative au tribunal pour enfants d'Évreux.
Mme Katiana Levavasseur . Ma question s'adresse au garde des sceaux. La justice des enfants, pourtant au cœur de nos engagements républicains, est grandement fragilisée. Le cas du tribunal pour enfants d'Évreux, dans l'Eure, en est un exemple particulièrement préoccupant.
En raison d'une hausse alarmante du nombre de dossiers d'assistance éducative – passé de 1 746 en 2023 à 2 064 en 2024 –, les magistrats ont dû appliquer des mesures dites de gestion dégradée. Concrètement, cela signifie des audiences supprimées, des décisions rendues sans entendre les familles et un net recul du contradictoire.
Les associations de protection de l'enfance du territoire tirent aussi la sonnette d'alarme. Elles alertent notamment sur les limites d'une justice rendue sur dossier, sans débat, ainsi que sur la charge émotionnelle injustement transférée vers les équipes éducatives, déjà fortement sollicitées et désormais contraintes d'annoncer seules des décisions judiciaires prises sans audience. Cette absence d'audience prive par ailleurs les familles d'un moment essentiel de reconnaissance institutionnelle, affaiblit la portée symbolique des décisions et expose davantage les enfants à un risque de rupture dans leur parcours de protection.
Le cas du tribunal pour enfants d'Évreux n'est pas isolé. Cette situation locale est le symptôme d'un malaise plus large. À l'échelle nationale, les chiffres sont tout aussi accablants : 522 juges pour enfants doivent suivre plus de 260 000 enfants en danger. Nombre d'entre eux gèrent plus de 450 situations, certains jusqu'à 800. Pire : près de 80 % de ces juges ont déjà renoncé à placer un enfant en danger, faute de solution d'accueil disponible. Comment accepter qu'en France, en 2025, la justice des enfants soit contrainte de renoncer à ce point à son action, à sa mission de protection des mineurs vulnérables ?
Si les magistrats sont indépendants, l'organisation de la justice relève, elle, pleinement de la responsabilité de l'État. Ce sont bien les choix budgétaires et politiques du gouvernement qui déterminent le niveau de justice qu'un enfant en danger peut espérer recevoir. Je demande donc à M. le ministre quelles mesures il compte engager pour rétablir des conditions de fonctionnement dignes au tribunal pour enfants d'Évreux, et quels moyens humains et budgétaires il entend mobiliser afin de garantir à chaque enfant vulnérable le droit d'être réellement entendu.
Mme la présidente . La parole est à M. le ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur . Je renouvelle les excuses du garde des sceaux, qui ne peut être présent ce matin. Il propose la réponse suivante. Dans le cadre de la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, 10 000 emplois supplémentaires seront créés d'ici à 2027 au sein du ministère de la justice – principalement des postes de magistrat mais aussi de greffier –, soit une hausse de 11 % en cinq ans. Les services judiciaires bénéficieront ainsi en particulier de la création de 1 500 postes de magistrats entre 2022 et 2027.
La prochaine promotion de l'École nationale de la magistrature (ENM) sera aussi importante que l'année précédente avec, à nouveau, un chiffre historique de 470 postes offerts aux auditeurs de justice et 100 postes au concours complémentaire.
Concernant la justice des mineurs, au service de laquelle le ministère de la justice est particulièrement mobilisé, d'ici à 2027, ce sont 56 postes de juge des enfants qui doivent être créés, ce qui devrait renforcer significativement les tribunaux pour enfants. En outre, il convient d'ajouter à ces chiffres la création de 50 postes supplémentaires fléchés vers la justice des mineurs, au titre de la réserve de 150 postes qui doit être instaurée d'ici à 2027.
S'agissant de la situation du tribunal pour enfants d'Évreux, au 1er septembre 2025, sous réserve de l'avis du Conseil supérieur de la magistrature à la suite des propositions de nomination faites à l'occasion de la prochaine transparence intermédiaire, à paraître le 13 juin, il ne connaîtra aucune vacance s'agissant des quatre postes localisés. En outre, la première présidente de la cour d'appel de Rouen a sollicité la création d'un cinquième poste de juge des enfants au sein de la cible 2027, conformément à la volonté de donner la priorité à la justice des mineurs au niveau national. Il en sera évidemment tenu compte.
Soyez assurée que les services du ministère de la justice sont pleinement mobilisés et continueront de prêter une attention particulière à la situation du tribunal judiciaire d'Évreux, notamment lors des prochaines mobilités, avec pour objectif premier de résorber la vacance, dans la limite des possibilités offertes par les candidatures exprimées et la nécessaire péréquation à laquelle doit se conformer la répartition des moyens à l'échelle nationale.
Auteur : Mme Katiana Levavasseur
Type de question : Question orale
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 3 juin 2025