Suivi des recommandations du rapport relatif à la gestion des marnières
Question de :
M. Robert Le Bourgeois
Seine-Maritime (10e circonscription) - Rassemblement National
M. Robert Le Bourgeois interroge Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche sur le suivi des recommandations du rapport de la CGEDD de mai 2019 sur « La gestion des risques engendrés par les marnières abandonnées ». En effet, si la recommandation d'augmenter de 30 à 80 % le taux de subvention pour les opérations de prévention et de comblement des marnières dans le cadre du fonds « Barnier » a bel et bien été respectée, il n'en va pas de même de toutes les préconisations du rapport. Il soulignait ainsi que la disparité des doctrines communales ou départementales en matière de gestion des cavités souterraines devait laisser la place à « une harmonisation régionale, voire nationale ». Il en appelait également à une amélioration des « méthodes de détection à grand rendement des marnières ». Cette recommandation semble particulièrement d'actualité pour certaines communes du Pays de Caux et du Pays de Bray dont 80 % du territoire est concerné par un risque de marnières (communes du Catelier ou de La Chaussée par exemple), mettant un coup d'arrêt à tous les projets en cours. Il en va de même pour de nombreux agriculteurs pour lesquels la DDTM ne réclame plus seulement un décapage mais également un forage, bien plus coûteux, ce qui remet en cause la viabilité économique des projets. En somme, il souhaiterait savoir comment l'État entend accompagner les élus et personnes concernés et apporter les réponses proposées par ce rapport, attendues par les Normands afin que leur territoire ne soit pas, demain, entièrement paralysé en raison de suspicions de cavités souterraines et de marnières.
Réponse en séance, et publiée le 11 juin 2025
MARNIÈRES EN NORMANDIE
Mme la présidente . La parole est à M. Robert Le Bourgeois, pour exposer sa question, no 372, relative aux marnières en Normandie.
M. Robert Le Bourgeois . Depuis décembre dernier, Le Catelier, petit village de ma circonscription qui compte moins de 300 habitants, vit le pire cauchemar d’une commune normande : la suspicion de marnières. Comme leur emplacement précis n’a pu être identifié, c’est le principe de précaution qui s’applique. Concrètement, cela signifie qu’un périmètre de 60 mètres est établi autour de chaque zone prétendument à risque, ce qui classe de facto 80 % du territoire communal en zone de suspicion de marnières. Les conséquences sont simples, mais catastrophiques pour les habitants – permis de construire bloqués, ventes suspendues et même axes routiers fermés.
Cette règle des 60 mètres prévaut dans la Seine-Maritime et l’Orne, mais si l’on va dans l’Eure, la doctrine est différente : le périmètre de sécurité y est proportionnel à la taille estimée de la marnière. Dans le Calvados et la Manche, le périmètre est encore différent. Il faut aussi prendre en compte les multiples exigences des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), qui varient selon les situations. En Seine-Maritime, si les propriétaires privés peuvent se contenter d'un décapage pour lever une suspicion, les agriculteurs doivent procéder en outre à un forage, ce qui revient beaucoup plus cher. Je pense à ce couple d’agriculteurs qui avait obtenu un permis de construire pour bâtir une extension : ce permis est désormais bloqué car ils ne peuvent pas financer un forage.
Cette disparité doctrinale est source de complexité, mais aussi d'inégalité. Il existe pourtant un risque sérieux de paralysie générale pour la Normandie, puisqu'on estime n'avoir identifié que 20 % des marnières existantes. Il pourrait y en avoir quatorze par kilomètre carré – je suis bien conscient que ce chiffre est incertain.
En mai 2019, le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a publié un rapport qui affirmait : « Il est […] impératif de ne pas accroître l'exposition au risque par la réalisation de nouvelles constructions sur des zones qui pourraient receler des marnières. » Mais, à en croire les estimations, c'est presque dans toute la Seine-maritime, et dans une grande partie de la région Normandie, que les constructions devraient être stoppées – l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) n'a qu'à bien se tenir !
Certaines préconisations du rapport ont été appliquées, ce qui est heureux : il faut le saluer. Mais il reste beaucoup à faire : harmonisation des doctrines, amélioration des techniques de détection, respect du devoir de transparence, clarification des responsabilités de chacun. Comment l'État entend-il accompagner les élus et les personnes concernées par une suspicion ou une présence avérée de marnières ? Comment garantirez-vous à ces territoires – communes, particuliers, entreprises, agriculteurs – que tous leurs projets ne seront pas bloqués en raison de ce risque ?
Mme la présidente . La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . Vous évoquez une situation de risque : il s'agit de protéger les biens et les investissements. Le recul du trait de côte est un phénomène comparable, qui touche beaucoup de constructions qui ont été bâties au plus près du littoral. Nous sommes aujourd'hui contraints d'indemniser les propriétaires car le risque n'avait pas été suffisamment pris en compte au moment de la construction. Ces maisons représentent l'investissement d'une vie. Les collectivités se retrouvent également en très grande difficulté.
S'agissant de la situation que vous évoquez, j'aborderai plusieurs points – je m'exprime au nom de ma collègue Mme Agnès Pannier-Runacher.
À la suite du rapport que vous avez cité, les services de l'État ont conduit des travaux pour harmoniser, à l'échelle nationale, la caractérisation du phénomène d'effondrement. Il s'agit d'en savoir plus sur la réalité du risque.
Pour améliorer la connaissance et l'évolution des marnières sur le long terme, un observatoire local a été créé au sein de la marnière de Fauville-en-Caux. Des instruments permettent d'y tester de nouvelles méthodes et de recueillir des données pour comprendre l'évolution du terrain. La détection à grand rendement des marnières progresse également, en particulier les méthodes non invasives. Elle fait l'objet d'expérimentations notamment dans votre département, afin de cartographier le phénomène.
Les opérations de décapage restent aujourd'hui nécessaires pour détecter les puits d'accès, mais ne suffisent pas à certifier l'absence de galeries. C'est pourquoi des sondages très localisés sont réalisés. L'État accompagne les maîtres d'ouvrage qui doivent procéder à ces opérations de reconnaissance des marnières lorsqu'elles constituent un danger imminent pour les personnes et les biens par l'intermédiaire du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier. Dans le cadre de la loi de finances 2025, ce fonds a vu sa dotation budgétaire fortement progresser, atteignant 300 millions d'euros en autorisation d'engagements. Cet abondement permettra de mieux répondre aux enjeux de protection des populations.
Pour améliorer l'information des élus et de la population, un inventaire des cavités souterraines est mis à jour en continu à partir d'études locales, une attention particulière étant portée à la Normandie. De plus, en Seine-Maritime et dans l'Eure, les services de l'État mettent à disposition une carte portant spécifiquement sur les marnières. Enfin, des informations sont mises en ligne sur le site georisques.gouv.fr.
Nous pourrions certes mettre la tête dans le sable et considérer que cette situation existe depuis des siècles, et que nous pouvons continuer à faire comme avant. Au contraire, on pourrait estimer qu'il est temps d'établir un diagnostic clair pour mieux comprendre les risques et procéder à des ajustements. J'ai prêté une attention particulière à la partie de votre intervention qui portait sur l'harmonisation entre départements. Vous auriez pu me tenir le discours inverse : il faut tenir compte de la géologie et adapter les critères à chaque département. Une règle pertinente dans une zone ne l'est pas nécessairement dans une autre. Nous devons nous fonder sur la science et les connaissances, faire preuve de pragmatisme et, surtout, assurer la protection des Français. Je ne souhaite pas que nous mettions l'actif, le patrimoine, l'épargne des Français en danger, en laissant construire des bâtiments susceptibles de s'effondrer.
Auteur : M. Robert Le Bourgeois
Type de question : Question orale
Rubrique : Mines et carrières
Ministère interrogé : Transition écologique, biodiversité, forêt, mer et pêche
Ministère répondant : Transition écologique, biodiversité, forêt, mer et pêche
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 3 juin 2025