Une étude du Conseil européen pour les relations internationales («The Art of Vassalisation», Jana Puglierin & Jeremy Shapiro, avril 2023) détaille comment la supériorité militaire américaine au sein de l’OTAN s’est traduite par un déséquilibre de direction politique dans l’organisation depuis 2022. Le retour de la guerre en Ukraine s’est en effet accompagné d’un réveil de l'Organisation, mais sans autonomie européenne : ce sont, comme du temps de la guerre froide, les États-Unis qui donnent le « la ». Parmi les multiples causes de cette situation figurent les faibles moyens alloués à la défense en Europe, en comparaison avec les États-Unis. Au-delà de la guerre en Ukraine, le contexte militaire international est marqué par l’émergence d’un nouveau pôle atomique en Iran et par une prolifération du terrorisme en Afrique subsaharienne, alors que les précédentes crises au Moyen-Orient qui ne sont pas résolues.


Le présent projet de loi de programmation militaire apparait comme un moyen de pallier nos lacunes et de maintenir notre rang de grande puissance militaire crédible, crédibilité garante de notre place sur la scène internationale. En cela, il s’agit ici d’une continuité cohérente à la loi de programmation militaire 2019/2025 qui inversait la tendance décennale à la diminution des dépenses.


L’effort budgétaire vise l’objectif des 2% du PIB en 2025 : le montant des besoins programmés s’élève à 413,3 milliards d’euros. Cet effort est louable, il permet de débloquer des fonds nécessaires à l’évolution technologique de nos forces armées. 10 milliards d’euros seront consacrés à l’innovation, 4 au cyber, 5 au développement de drones et robots. La guerre de haute intensité déclenchée en Ukraine a montré l’importance des forces armées téléguidées, du renseignement et des armes de haute technologie. Dans les domaines économiques et logistiques, les modalités de priorité octroyées aux forces armées afin de permettre la constitution de stocks stratégiques sont absolument nécessaires. L’effort budgétaire se décline également dans le traitement des anciens militaires, blessés ou en retraite qui est simplifiée. 


Au-delà des dispositions budgétaires, ce projet de loi prévoit de doter nos forces armées de capacités d’intervention renforcées dans le domaine numérique. Le Conseil d’État conclut que les dispositions sont proportionnées à la mission de sécurité nationale poursuivie, sans atteinte démesurée à la liberté d’expression, assurant un équilibre entre poursuites des intérêts supérieurs de la nation et respect de l’État de droit et des libertés fondamentales.


Le contexte actuel d’imbrication des crises vient également remettre en question le modèle actuel de nos forces armées. Notre fonctionnement est actuellement celui d’une armée expéditionnaire, articulée autour des OPEX, modèle qui connait des limites alors que le spectre d’une guerre interétatique à haute intensité fait son retour. Le présent projet de loi permet d’assurer la place de la France comme un partenaire stratégique de premier plan, propre à remplir pleinement son rôle de puissance d’équilibres. Par l’affirmation renouvelée de l’importance de la dissuasion nucléaire dans notre système de défense et par un encadrement plus strict de la filière, le projet de loi assure la crédibilité de notre système nucléaire.


Ce texte propose également de repenser la place de l’armée dans la société. Le rôle du SNU est réaffirmé, les objectifs de recrutement de la réserve, 105 000 réservistes en 2030, sont ambitieux. De plus, le projet de pérennisation de l’Ordre de la Libération permet, à travers la réaffirmation de l’héritage résistant, de renforcer la présence de l’institution militaire dans la société.


Un autre défi que rencontrent nos forces armées est celui de la « tyrannie des distances ». Il est crucial pour notre crédibilité internationale et notre capacité à être un partenaire stratégique d’affirmer notre souveraineté sur notre ZEE de manière renouvelée. L’effort porté par ce projet de loi sur le renforcement de nos forces navales va dans ce sens et aborde de manière cohérente cet enjeu. Il représenterait 13 milliards de besoins programmés et prendra la forme de la livraison de 9 Patrouilleurs outre-mer, 13 Patrouilleurs Antille-Guyane, un nouveau porte-avion et d’une augmentation des effectifs déployés en outre-mer.


En somme, ce projet de loi fixe de manière cohérente et volontaire des pistes pour maintenir la France parmi les grandes puissances militaires mondiales. Le budget proposé est historique et bienvenu et l’ensemble devrait permettre d’atteindre nos objectifs et de nous préparer à réagir en cas de conflit de haute intensité.