Première séance du lundi 07 juillet 2025
- Présidence de Mme Naïma Moutchou
- 1. Restitution d’un bien culturel à la république de Côte d’Ivoire
- 2. Mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille
- 3. Décès d’un député
- Suspension et reprise de la séance
- 4. Mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille (suite)
Présidence de Mme Naïma Moutchou
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Restitution d’un bien culturel à la république de Côte d’Ivoire
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la restitution d’un bien culturel à la république de Côte d’Ivoire (nos 1350, 1662).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Nous sommes réunis pour que se poursuive le parcours de restitution du tambour parleur atchan à la république de Côte d’Ivoire. Nous sommes à la fin d’un long travail commun mené par les commissions des affaires culturelles du Sénat et de l’Assemblée nationale et par le ministère de la culture. Je tiens d’ailleurs à saluer l’adoption du texte à l’unanimité, mercredi dernier, en commission des affaires culturelles.
Si le texte traite d’une demande particulière, il s’inscrit dans une démarche plus globale consistant à renouveler les relations de la France avec le continent africain, comme s’y était engagé le président de la République lors de son discours de Ouagadougou en 2017. Le président de la République et son homologue, le président Alassane Ouattara, ont ainsi acté, en 2021, la restitution du tambour parleur. Depuis, un travail partenarial a été engagé pour que ce tambour puisse retrouver son pays d’origine. Le ministère de la culture a été présent à chaque étape, en lien avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Je souhaite renouveler mes remerciements envers les équipes du musée du Quai Branly-Jacques Chirac, celles du musée des Civilisations de Côte d’Ivoire (MCCI), les services de la direction générale des patrimoines et de l’architecture (DGPA), le service des affaires juridiques du ministère et l’ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, M. Jean-Luc Martinez.
Nous avons choisi de procéder en deux étapes : le dépôt, puis la restitution. La première s’est déroulée le 18 novembre 2024, lorsque j’ai signé, avec mon homologue ivoirienne, Mme Françoise Remarck, une convention de dépôt garantissant le retour du tambour à Abidjan dans un avenir très proche. Tous les parlementaires ayant travaillé sur cette question étaient d’ailleurs conviés à la signature, car il ne s’agissait pas de contourner le circuit législatif mais d’affirmer très concrètement notre volonté de procéder à une restitution définitive.
Pour ne pas perdre de temps, le Sénat a déposé une proposition de loi visant la restitution définitive. Pendant que nous travaillions à une troisième loi-cadre, il était en effet indispensable de disposer d’une solution législative de court terme, dont les délais seraient compatibles avec les enjeux diplomatiques de la restitution du tambour à la république de Côte d’Ivoire. Il s’agit, par l’article unique de cette proposition de loi, de déroger au code du patrimoine, lequel dispose que les collections nationales sont inaliénables. Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité le 28 avril au Sénat, puis le 2 juillet en commission à l’Assemblée nationale. Je souhaite qu’il en soit de même aujourd’hui.
Si cette loi d’espèce nous permet de traiter ce cas particulier, je sais que l’essentiel des attentes est tourné vers la loi-cadre à venir. Comme je l’ai annoncé mercredi dernier, le gouvernement présentera d’ici à fin juillet un texte en ce sens, qui portera sur la restitution de biens culturels provenant d’États qui, du fait d’une appropriation illicite, en ont été privés. C’est une question ancienne, au sujet de laquelle les positions ont considérablement évolué ces dix dernières années. Je souhaite réunir les parlementaires dès le début du mois de septembre pour évoquer le contenu et la méthode de ce projet de loi. Nous devons y travailler ensemble, de manière apaisée et vertueuse : ces débats doivent pouvoir rassembler la représentation nationale et éviter toute instrumentalisation. J’espère que l’Assemblée nationale procédera ainsi.
Pour conclure, revenons à cette proposition de loi et à la restitution du tambour parleur. Celle-ci aura lieu dans la perspective de la réouverture prochaine du musée des Civilisations de Côte d’Ivoire. Par le soutien que la France apporte à sa rénovation et à sa modernisation, ce musée incarne parfaitement notre ambition en matière de coopération muséale et patrimoniale avec la Côte d’Ivoire et, de façon plus générale, notre volonté que chaque restitution soit accompagnée d’un dispositif de coopération rassemblant experts français et experts étrangers autour de projets communs. C’est dans ce nouveau musée d’Abidjan que le tambour parleur trouvera prochainement un nouvel écrin.
Mme la présidente
La parole est à M. Bertrand Sorre, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
M. Bertrand Sorre, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
La présente proposition de loi d’espèce prévoit la restitution du tambour Djidji Ayôkwê à la Côte d’Ivoire, qui en a fait la demande en 2019. Elle a été adoptée à l’unanimité au Sénat – en commission le 9 avril, puis en séance le 28 avril –, sans modification du texte initial, et a connu la même unanimité mercredi midi, lors de son examen en commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. J’espère voir cette unanimité consacrée aujourd’hui dans notre hémicycle, afin que s’achève dans les meilleurs délais un processus engagé il y a déjà plusieurs années.
Après une loi comparable ayant permis la restitution de plusieurs biens culturels de grande valeur au Bénin et au Sénégal il y a déjà cinq ans, on se surprend à espérer que cette loi d’espèce soit la dernière. Il ne s’agit pas de mettre fin aux restitutions ; ce souhait, qui aurait pu trouver librement à s’exprimer il y a encore quelques années, semble heureusement avoir cédé la place à une reconnaissance largement partagée de la légitimité de restitutions bien encadrées. Non, si l’on peut souhaiter la disparition des lois d’espèce, c’est parce que la création d’une procédure administrative adaptée, dérogatoire au principe d’inaliénabilité des collections publiques, devrait être prochainement soumise à l’appréciation du Parlement, comme l’a assuré Mme la ministre il y a quelques minutes encore.
Une procédure de ce type existe déjà pour deux catégories de biens présents dans les collections publiques : les restes humains et les biens ayant fait l’objet d’une spoliation à caractère antisémite dans le contexte des années 1933 à 1945. Deux lois-cadres permettent désormais de surmonter l’inaliénabilité des biens appartenant à des collections publiques pour faciliter leur restitution, sous certaines conditions précises et au terme d’un examen scientifique collégial visant à vérifier la provenance et l’identification de ces biens. Nombre d’entre nous ont eu l’honneur d’adopter récemment ces textes qui avaient fait l’objet d’un très large consensus.
L’examen de tels projets et propositions de loi d’espèce constitue pour nous, parlementaires, une occasion passionnante de nous pencher sur des sujets fondamentaux pour la mémoire de notre pays. Le contrôle que nous exerçons sur l’inaliénabilité des collections publiques tient à ce qu’elles sont propriété collective de la nation. Il pourrait donc sembler paradoxal que le rapporteur d’une proposition de loi d’espèce appelle de ses vœux une loi-cadre qui conduirait à réduire le rôle des élus dans le processus de restitution. Si un tel texte s’applique, les parlementaires ne sanctionneront plus par leur vote la sortie des collections publiques ; par conséquent, ils auront un regard bien plus lointain sur ces procédures. C’est pourquoi nous devrons nous assurer d’introduire dans cette loi à venir les mécanismes nécessaires pour préserver, au minimum, la bonne information des parlementaires, qui devront être tenus au courant du dépôt de demandes d’États étrangers et de la constitution de commissions scientifiques en vue de leur examen. Ne nous interdisons pas non plus de réfléchir au maintien, sous une forme ou sous une autre, de la participation des parlementaires à ces travaux et à ces décisions – ils pourraient, par exemple, intervenir à certains moments clés du processus.
La nécessité d’alléger le processus de restitution constitue pourtant une première raison de soutenir l’adoption de la dernière loi-cadre manquant encore au triptyque annoncé après la remise du rapport de M. Jean-Luc Martinez. Un tel texte permettrait aussi de rendre plus transparent et plus objectif le processus de restitution, jugé parfois trop dépendant du pouvoir politique : les demandes seraient en effet traitées selon des critères historiques élaborés par la communauté scientifique, ce qui renforcerait la légitimité des restitutions. Enfin, il compléterait l’arsenal juridique français en la matière : la France disposerait d’un cadre législatif complet et unique pour traiter les demandes de restitution, manifestant ainsi au niveau international une volonté d’exemplarité et de transparence qui lui ferait honneur.
Loin d’être contradictoire avec cet effort, la présente proposition de loi représente l’aboutissement d’un processus similaire à ceux qui pourraient être engagés sous le régime d’une future loi-cadre. En effet, elle parachève un travail collaboratif culturel, scientifique et diplomatique engagé il y a plusieurs années. Elle sera surtout, j’y insiste particulièrement, le point de départ de nouvelles collaborations, dans le cadre d’un partenariat renforcé par le retour du tambour parleur. Je tiens à saluer avec force le travail remarquable des professionnels impliqués dans ce travail commun – les équipes du musée du Quai Branly et du musée des Civilisations d’Abidjan, celles du ministère de la culture, celles du ministère de l’Europe et des affaires étrangères –, sans qui la restitution du tambour n’aurait pas la même portée. Je rends hommage à leur engagement.
L’objet qui doit être restitué est très impressionnant. Sculpté au XIXe siècle dans un précieux bois d’iroko, il mesure environ 3,5 mètres et pèse plus de 400 kilos. Sa réplique en 3D a même été projetée lors de la Coupe d’Afrique des nations de football, ce qui a donné une bonne idée de la ferveur que suscitait la perspective de son retour. Le tambour parleur a longtemps été utilisé comme un outil de communication au sein de la communauté atchan, servant notamment à alerter les villageois des opérations menées par les autorités coloniales pour les recruter en vue du travail forcé ou pour les enrôler dans les forces militaires françaises. Il aurait d’ailleurs été volé en 1916 par l’administrateur du cercle des Lagunes, Marc Simon, afin d’empêcher cette forme de communication entre les villages. En somme, il s’agissait pour les occupants de faire taire ce tambour parleur trop bavard pour mieux asseoir leur autorité.
Ainsi, le tambour n’est pas, ou du moins pas seulement, un instrument de musique. Il servait plutôt à transmettre des messages codés et à marquer les temps forts de la communauté atchan. Selon les mots de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France – Son Excellence Maurice Kouakou Bandaman, dont je tiens à saluer la présence en tribune –, c’est un « outil de gouvernance locale, d’organisation sociale et d’affirmation identitaire ». Il constitue donc un élément important de l’identité spirituelle et culturelle des Atchans, population autochtone de la région de l’actuelle capitale ivoirienne, et sa restitution contribue à une reconnaissance apaisée des souffrances infligées.
Le projet de coopération dans lequel s’inscrit la restitution du tambour a permis le développement de nouveaux outils de recherche scientifique, le renouvellement des instruments de médiation culturelle et la formation de professionnels ivoiriens sur place. La numérisation du tambour lors de sa restauration a précédé celle de toute la collection du MCCI, ce qui constitue une première sur le continent africain. La formation à l’utilisation de cet outil numérique apparaît en outre de nature à garantir sa pleine appropriation.
Les efforts consentis en attendant le retour du tambour seront prolongés par des collaborations culturelles pérennes entre nos deux pays, car celles-ci reposent désormais sur un socle de travail commun et une connaissance réciproque des acteurs. L’adaptation des infrastructures du musée d’Abidjan a ainsi mobilisé, sous le pilotage du MCCI, l’Agence française pour le développement (AFD), Expertise France et plusieurs entreprises françaises et ivoiriennes spécialisées dans l’ingénierie culturelle. Le projet culturel dans lequel s’inscrit la restitution du tambour devrait donc avoir des retombées réelles pour les Ivoiriens en contribuant à renforcer l’offre culturelle locale et le potentiel touristique de la ville. Très concrètement, cela signifie aussi des emplois créés sur place et des compétences développées pour le futur.
Dès lors que la proposition de loi sera adoptée – ce que j’appelle, vous l’aurez compris, de mes vœux –, les modalités de retour du tambour pourront être définies, en pleine coopération avec la partie ivoirienne, qui prévoit des festivités populaires à l’arrivée. La taille de l’objet implique nécessairement un transport en avion-cargo tout à fait particulier, et il appartiendra à la Côte d’Ivoire de déterminer les conditions les plus appropriées pour ce retour, ainsi que son calendrier, dans le délai d’un an après la promulgation de la loi.
Le retour du tambour Djidji Ayôkwê à la Côte d’Ivoire contribuera à réparer une extorsion commise à l’époque coloniale, mais il sera bien plus que cela. Il sera le témoin de notre prise de conscience de la valeur symbolique de cet objet et permettra de renouer des fils brisés lors de son arrachement à sa communauté.
Il manifestera notre volonté d’apporter notre contribution à la redécouverte et à la réappropriation de leur histoire par les Ivoiriens. Pour citer à nouveau les mots inspirants de l’ambassadeur Maurice Bandaman, « c’est l’âme des Anciens, portée par ce tambour, qui revient accompagner la jeunesse ivoirienne ».
C’est pourquoi un soutien sans réserve, unanime, de la représentation nationale à l’aboutissement de ce long voyage me paraît indispensable. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi d’une portée historique, culturelle et morale considérable. Nous accomplissons un acte de justice, un acte de réparation et un acte politique. Il s’agit de restituer à la Côte d’Ivoire un bien culturel exceptionnel : le tambour parleur Djidji Ayôkwê, classé au patrimoine national, conservé jusqu’ici au musée du Quai Branly-Jacques Chirac.
En tant que présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je veux saluer la profondeur de cet acte, qui dépasse le seul cadre juridique : c’est un geste de réparation, de reconnaissance et de dialogue, qui donne corps à un engagement fort de la France envers ses partenaires africains. C’est aussi un geste à l’égard de notre propre mémoire historique, la reconnaissance claire d’une histoire de violences coloniales, de spoliations et d’effacement culturel, et le signe, je l’espère, d’un tournant dans notre rapport à l’héritage colonial.
J’étais présente le 18 novembre 2024, aux côtés de Mme Rachida Dati et de Mme Françoise Remarck, pour la signature de la convention de dépôt du tambour ainsi que d’une convention de partenariat entre la France et la Côte d’Ivoire. Cette restitution s’inscrit dans une coopération culturelle ambitieuse, déjà en marche, qui nous honore et qui doit se poursuivre.
Mais soyons lucides : ce geste, aussi fort soit-il, arrive après plus d’un siècle de silence et après trois années d’inertie administrative – malgré l’engagement solennel pris par le président de la République en 2021. Il a fallu un déplacement sénatorial, une mobilisation parlementaire et une demande renouvelée des autorités ivoiriennes pour que le processus se débloque enfin.
Oui, je me réjouis de cette restitution. Mais nous ne pouvons pas nous en contenter. Nous ne pouvons plus continuer à gérer les restitutions au cas par cas, au gré des rapports de force ou des calendriers diplomatiques. Nous avons besoin d’une loi-cadre claire et ambitieuse, qui redonne un sens éthique, scientifique et culturel à nos collections publiques.
C’est pourquoi nous nous félicitons de l’annonce par Mme la ministre de l’arrivée d’une loi-cadre sur les restitutions culturelles. Nous nous engagerons pleinement dans ce chantier nécessaire, attendu et porteur d’avenir.
Le Djidji Ayôkwê est un tambour parleur sacré du peuple atchan. Instrument de musique et de communication mais aussi de cohésion et de résistance, il transmettait des messages codés à travers la forêt, notamment pour prévenir des dangers, pour avertir les villages des réquisitions coloniales, pour organiser la riposte, la solidarité, la survie. C’est précisément pour cela qu’il a été confisqué en 1916 par l’administration coloniale française, placé dans un jardin comme un trophée, exposé à la pluie, réduit au silence, au mépris, à l’oubli. Il a été arraché à son peuple, à son usage, à son sens.
Aujourd’hui, ce tambour revient, et avec lui, reviennent un peu de dignité, un peu de mémoire, un peu de justice.
Sa présence dans les collections françaises est le fruit d’une dépossession, d’un épisode colonial douloureux. La restitution que nous votons aujourd’hui n’est pas une faveur ; c’est une réparation.
Il est temps que l’on enseigne l’histoire coloniale dans toute sa complexité, dans toute sa brutalité, et surtout dans toute sa vérité. Car une république qui refuse d’assumer ses responsabilités historiques est une république qui renonce à sa propre promesse d’égalité. Chaque restitution doit aussi être l’occasion de transmettre, d’éduquer et de raconter autrement. Dans nos écoles, dans nos musées, dans nos récits nationaux, il est temps d’ouvrir un espace où les mémoires blessées trouveront enfin leur place. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et EcoS.)
Je veux enfin saluer le rôle des communautés, des chercheurs, des militants, des artistes qui, depuis des années, portent cette lutte pour la restitution et la justice culturelle. Aujourd’hui, leur combat trouve une première reconnaissance.
Je veux aussi rappeler que cette restitution ne doit surtout pas être la dernière. Il reste des milliers d’objets, d’archives, de restes humains dans nos collections, qui attendent de retrouver leur place, leur sens, leur communauté d’origine. Cette restitution ne tourne pas la page, elle écrit un nouveau chapitre. Ne refermons surtout pas la porte : ouvrons-la, et ouvrons-la en grand. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – M. le rapporteur applaudit également.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Lise Magnier.
Mme Lise Magnier
Permettez-moi, au nom du groupe Horizons & indépendants, d’apporter notre soutien résolu à la proposition de loi relative à la restitution du tambour parleur Djidji Ayôkwê à la république de Côte d’Ivoire, adoptée à l’unanimité par le Sénat et soumise aujourd’hui à notre assemblée.
Ce texte s’inscrit dans une dynamique historique et politique majeure : celle de la reconnaissance des mémoires et du renouvellement des relations entre la France et le continent africain. Depuis le discours de Ouagadougou en 2017, la France a engagé un travail inédit sur la restitution des biens culturels issus de contextes d’appropriation contestés. Cette dynamique s’est d’ores et déjà traduite par la restitution de vingt-six œuvres au Bénin et d’un sabre historique au Sénégal, puis par l’adoption de lois sur les restitutions d’une part de biens spoliés pendant la seconde guerre mondiale et d’autre part de restes humains.
Pourtant, force est de constater que notre droit demeure lacunaire : en l’absence d’une loi-cadre générale, chaque restitution nécessite une loi d’espèce, ralentissant et complexifiant le processus.
Cette situation, relevée par le Conseil d’État en février dernier, fragilise la cohérence de notre action et nourrit l’attente légitime de nos partenaires, tout en exposant la France à des critiques sur la lenteur de ses engagements. Le traitement au cas par cas, s’il permet d’avancer, ne saurait constituer une réponse pérenne à la demande croissante de justice mémorielle et de circulation des œuvres. C’est pourquoi je tiens à vous remercier, madame la ministre, de l’engagement que vous avez pris à cette tribune à poursuivre, en concertation avec le Parlement et les parties prenantes, les travaux engagés pour doter la France d’un cadre juridique stable, lisible et respectueux de notre patrimoine commun.
L’article unique de la proposition de loi vise à sortir le tambour parleur ivoirien des collections publiques françaises, dérogeant ainsi au principe d’inaliénabilité inscrit dans notre code du patrimoine. Cette dérogation, strictement encadrée, répond à une demande officielle formulée dès 2019 par la Côte d’Ivoire, demande à laquelle le président de la République s’était engagé à répondre favorablement lors du sommet Afrique-France de 2021.
Cet objet, confisqué en 1916, n’est pas un simple objet d’art : il est un symbole vivant de la culture atchan, une entité spirituelle et un pan essentiel de la mémoire collective ivoirienne.
Sa restitution, attendue par tout un peuple, est aussi le fruit d’une coopération exemplaire entre nos institutions muséales, nos gouvernements et les communautés concernées. La convention de dépôt signée en novembre 2024 a déjà permis le retour temporaire du tambour à Abidjan, dans l’attente du transfert de propriété que nous autorisons aujourd’hui.
Dès lors, notre groupe considère que la valeur historique, culturelle et symbolique de ce bien culturel justifie pleinement la dérogation au principe d’inaliénabilité.
Ce geste fort s’inscrit dans la continuité des engagements de la France pour la réparation des injustices passées et pour le dialogue des cultures.
En votant ce texte, nous faisons œuvre de justice et nous nourrissons l’amitié entre les peuples. Nous montrons que la France sait conjuguer respect de son patrimoine, fidélité à ses principes et reconnaissance des mémoires. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et Dem. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Nicole Sanquer.
Mme Nicole Sanquer
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est attendue : elle autorise la restitution du tambour parleur Djidji Ayôkwê à la république de Côte d’Ivoire. Le groupe LIOT soutient sans ambiguïté ce texte de justice et de mémoire. Le débat dépasse le cadre juridique : il engage l’éthique, la reconnaissance de l’histoire partagée et le respect dû aux peuples spoliés.
La quasi-totalité du patrimoine matériel des pays d’Afrique subsaharienne se trouve conservée hors du continent africain. Accepter de restituer des œuvres n’est ni renier le passé, ni se déposséder ; c’est au contraire regarder le passé en face et accepter que des captations et annexions patrimoniales ont participé au système colonial.
Djidji Ayôkwê n’est pas un objet quelconque. Il servait jadis de voix au peuple ébrié ; il transmettait des messages, rassemblait le peuple lors des cérémonies ou des décisions importantes, alertait même de l’arrivée de l’occupant. Durant la colonisation, ce tambour fut un symbole de résistance pacifique : ses rythmes codés alertaient les villages de l’arrivée des recruteurs de travail forcé. L’administration coloniale l’a confisqué pour des raisons évidemment politiques : il s’agissait d’empêcher les communautés de s’organiser et de résister aux expéditions punitives. Depuis, il est resté silencieux, relégué dans nos collections muséales.
Restituer Djidji Ayôkwê, c’est faire plus que rendre un bien culturel : c’est réparer une injustice historique et redonner vie à la voix d’un peuple réduit au silence. En 2019, la Côte d’Ivoire a officiellement réclamé 148 pièces de son patrimoine conservées en France, dont ce tambour emblématique. En 2021, le président de la République a promis sa restitution lors du sommet Afrique-France. Il est temps de tenir parole. Je salue la coopération entre nos pays qui a permis, via une convention de dépôt en 2024, de présenter temporairement le tambour à Abidjan. Mais un prêt n’est pas une restitution définitive : il faut désormais entériner le transfert de propriété de cet objet au peuple ivoirien.
Ce n’est pas la première fois que la France lève l’obstacle de l’inaliénabilité pour rendre une œuvre à son pays d’origine – nous avons voté des lois d’espèce pour le Bénin et le Sénégal –, mais nous ne pouvons plus nous satisfaire de multiplier de telles lois : il nous faut un cadre général.
Or la loi-cadre promise dès 2017 se fait toujours attendre. Le Conseil d’État a estimé que la conduite des relations internationales et la coopération culturelle ne suffisent pas à justifier une dérogation au droit. Ces critiques s’entendent mais peuvent être prises en compte pour aboutir à un nouveau texte. Nous appelons à concrétiser rapidement la loi-cadre annoncée afin de pouvoir traiter de manière transparente et scientifique les demandes de restitution de biens coloniaux. Madame la ministre, je vous remercie de vous être engagée à présenter un texte avant septembre.
Les travaux des sénateurs Pierre Ouzoulias et Max Brisson préconisaient déjà l’emploi d’un cadre méthodologique respectueux et fondé sur une expertise scientifique préalable. Notre groupe insiste sur la nécessité d’accentuer l’effort en matière de recherche de provenance des biens culturels, ce qui implique de mieux former les jeunes diplômés et professionnels initiés à l’histoire de l’art ou au droit en leur faisant découvrir les activités du chercheur en provenance et de soutenir les établissements culturels dans leur rôle de médiation.
Accepter la restitution ne revient ni à nier le passé, ni à fragiliser nos musées, mais à assumer notre histoire dans toute sa complexité et à en ouvrir un nouveau chapitre fondé sur le respect, la justice et la coopération.
En votant aujourd’hui pour la restitution du tambour Djidji Ayôkwê, nous accomplissons un acte de justice et d’amitié envers la Côte d’Ivoire.
Que ce tambour, libéré du silence, retentisse à nouveau en Côte d’Ivoire ! Qu’il soit le symbole d’une voix retrouvée et du respect mutuel entre nos nations ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT et SOC. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Maillot.
M. Frédéric Maillot
Si vous pensez qu’il est aujourd’hui question de restituer un simple objet, un simple tambour, j’ai bien peur que vous vous trompiez, chers collègues.
Pour de nombreux peuples, le tambour est bien plus qu’un objet, bien plus qu’un simple instrument de musique. Il occupe une place centrale dans la culture africaine autochtone. Dans les cultes où il permet la communication avec les esprits, il joue très souvent un rôle fondamental. Chez moi, à La Réunion, le gros tambour qu’on appelle le roulèr est capital pour le servis kabaré, la cérémonie afro-malgache lors de laquelle on invoque les ancêtres. Il en va de même chez les Malbars, d’origine indienne, qui pratiquent le polythéisme : chez eux, il y a autant de façon de jouer du tambour qu’il y a de divinités. En Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, le tambour a contribué à la survie des cultures, des cultes mais aussi des sociétés. Nombreuses sont les luttes qu’il a permis de faire résonner !
Ce tambour parleur est hautement sacré pour l’ethnie atchan, mais combien existe-t-il de tambours à restituer ? Combien d’autres biens culturels sont-ils encore dans les musées français ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. – Mme la présidente de la commission applaudit également.) Cette situation montre que le passé colonial n’est pas entièrement digéré.
La promesse faite en 2017 à Ouagadougou trouve une issue favorable en 2025 grâce à la mobilisation des parlementaires. Il aura fallu huit ans pour qu’une promesse présidentielle soit remplie, huit ans pour qu’une ethnie se voit restituer ce qu’on lui a si injustement confisqué ! Combien d’années faudra-t-il patienter pour que nous ne nous contentions plus d’une politique par à-coups et que nous puissions mener une politique ambitieuse et respectueuse des attentes des peuples dépossédés de leurs biens ?
Aujourd’hui, nous parlons d’un tambour qui a été confisqué par un agent de l’administration coloniale. Ce dernier avait compris qu’imposer le silence, le mutisme, était une arme plus puissante que toutes les autres. La lenteur administrative et le non-respect de la parole donnée sont la continuité de la violence imposée au peuple ivoirien.
La politique de restitution au cas par cas de ces objets à la valeur sentimentale et historique considérable n’est pas à la hauteur du sujet.
Mes chers collègues, si peu nombreux que vous soyez aujourd’hui dans l’hémicycle, savez-vous que des restes de nos ancêtres à nous, Réunionnais et Guyanais, sont encore éparpillés dans les musées français ? Si la loi du 26 décembre 2023 a certes marqué un tournant en facilitant la restitution des restes humains, elle nous a une fois de plus laissés de côté, nous, peuples ultramarins.
En tant que députés, nous avons sonné l’alerte : que fait-on pour inventorier ces restes humains qui se trouvent encore dans les archives et comprendre l’ampleur du phénomène ? À ce jour, rien. Les restes de 800 personnes originaires des pays dits d’outre-mer feraient partie des collections du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), mais ce nombre est-il certain ? Nous demandons le rapatriement de nos ancêtres sur nos terres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS.)
Les spécialistes estiment que les restes humains seraient bien plus nombreux et qu’un travail significatif de recherches et de restitution reste à mener. Mais l’absence de loi-cadre et de perspectives de recherche globale laisse les associations, les militants et les descendants dans une attente interminable. Cette histoire ne peut être laissée de côté : il y a urgence à agir.
Il est en effet urgent de rendre leur dignité aux personnes réduites à l’état de restes humains, dignité que l’histoire française a tenté de leur enlever, de respecter les héritiers de notre histoire et d’éviter que la mémoire de nos anciens ne tombe dans l’oubli. Cette mémoire mérite le respect et non le silence. Les réduire à l’oubli, c’est étouffer leur cri. C’est aussi donner raison à celui qui disait que le bourreau tue toujours deux fois, la deuxième fois par le silence.
Actuellement, la loi ne nous permet pas de restituer les restes humains de ces personnes qui sont pourtant nos ancêtres directs. Travaillons collectivement pour voter une loi-cadre qui respecte les besoins et la dignité des nôtres car il n’y aura pas de réconciliation s’il y a des omissions.
Le groupe GDR votera pour cette proposition de loi d’espèce afin de rendre au peuple ivoirien sa dignité. Nous espérons que la ministre présentera sa loi-cadre dans les mois à venir.
Au nom de la justice, rendez au peuple ivoirien leur tambour ! Au nom de cette même justice, accordez réparation aux peuples d’outre-mer : rendez-nous nos ancêtres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric-Pierre Vos.
M. Frédéric-Pierre Vos
Dans la lagune Ébrié, près d’Abidjan, allongé entre les palétuviers, un tambour servait au peuple atchan à avertir des dangers, à appeler à la guerre ou à convoquer la tribu pour les cérémonies. Au-delà de cette fonctionnalité remarquable, puisqu’on pouvait l’entendre à plusieurs kilomètres à la ronde, il revêtait également une valeur sacrée aux yeux des sept villages des Bidjans.
En 1916, un épisode de l’histoire coloniale a conduit à la confiscation de ce tambour, qui a intégré les collections métropolitaines. C’est dans ces conditions qu’il a été exposé au musée du Trocadéro, puis au musée du Quai Branly.
Son retour était demandé depuis longtemps par les Atchans et la revendication tribale est devenue une revendication nationale au moment de l’indépendance. Cette demande n’avait jusqu’à aujourd’hui pas été satisfaite. La république de Côte d’Ivoire a officiellement demandé à la France la restitution du tambour en 2019.
Faut-il rappeler dans cette enceinte le rôle prééminent joué par nos amis de Côte d’Ivoire dans l’épisode de la décolonisation et l’importance du président Houphouët-Boigny ? Il était plus que temps d’écouter la demande lancinante de nos amis ivoiriens à qui nous ne saurions refuser la restitution de ce tambour sacré. Quelle formidable occasion pour nous, députés, de réaffirmer cette amitié indéfectible qui nous lie à nos amis de Côte d’Ivoire en adoptant cette proposition de loi qui entraînera la sortie de ce fameux tambour des collections publiques ? Ce déclassement lui permettra de prendre le chemin du retour vers la lagune Ébrié.
En ma qualité de président du groupe d’amitié France-Côte d’Ivoire, c’est avec beaucoup de fierté que je prononce ce discours. Je me réjouis que nous nous apprêtions à voter, du moins l’espéré-je, un texte de loi à l’unanimité – à une fois n’est pas coutume. Cette unanimité transcendant nos tendances politiques est le seul vœu que je forme.
M’étant entretenu avec certains de ses membres, je sais par ailleurs que la communauté bidjan est très attentive à nos travaux : elle espère un retour rapide de ce tambour vers la lagune Ébrié.
Une fois retourné en Côte d’Ivoire, ce tambour renforcera les liens entre nos deux nations.
Le groupe Rassemblement national votera en faveur de cette restitution, sans moraline ni repentance, mais simplement parce que nous sommes entre amis. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Graziella Melchior.
Mme Graziella Melchior
Nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi qui revêt une importance toute particulière puisqu’elle prévoit la restitution à la Côte d’Ivoire d’un bien inestimable – le tambour parleur dit Djidji Ayôkwê.
Ce tambour a une histoire singulière : révélateur des relations qui ont lié nos deux pays, il présente une forte dimension symbolique car il reflète la vie d’une communauté.
Rappelons en premier lieu que notre histoire commune est celle d’une colonisation brutale qui démarra à compter de 1893 pour s’achever en 1958, quand la Côte d’Ivoire devint une république autonome à la suite d’un référendum. C’est dans le contexte de la colonisation française que le tambour Djidji Ayôkwê s’inscrit. Pouvant émettre des sons audibles à plus de cinquante kilomètres aux alentours, ce tambour sentinelle servait en effet, entre autres, à prévenir la communauté bidjan ou atchan de l’arrivée des envoyés de l’administrateur français qui venaient enrôler des hommes dans le cadre du système de travail forcé mis en place par le gouvernement de l’Afrique occidentale française (AOF). Il fut confisqué par l’administrateur colonial en 1916 car il symbolisait la résistance.
Au-delà de cette vocation utilitaire, le tambour Djidji Ayôkwê présentait un caractère anthropomorphique puisqu’il était considéré comme un être humain, somme de tous les ancêtres décédés. Il incarnait la puissance de la communauté.
Sculptée selon toute vraisemblance par le maître artisan Biengui au XIXe siècle dans un bois à la forte importance symbolique, et rehaussée de pigments, cette pièce colossale pèse plus de 400 kilogrammes et mesure 3,3 mètres de long. Elle doit son nom à la panthère-lion qu’elle représente, laquelle semble agripper une forme convexe. Son caractère remarquable n’a pas échappé aux autorités françaises qui la transportèrent à Paris, où elle finit par intégrer les collections publiques du musée du Quai Branly.
Nous nous apprêtons à restituer ce bien patrimonial cent six ans après son départ de Côte d’Ivoire. Son importance est telle qu’il a été le premier objet d’une liste de demandes de restitution de 148 pièces élaborée par la Côte d’Ivoire en 2019. Ces demandes faisaient suite à l’engagement pris par le président de la République française à Ouagadougou en novembre 2017 : il avait alors formulé le souhait de permettre des restitutions du patrimoine africain en Afrique. Ce discours a eu un retentissement mondial, non seulement en Afrique mais aussi dans tous les pays anciennement colonisateurs, ce qui a entraîné de nombreuses restitutions, mais aussi des travaux de recherche, des colloques et des expositions.
Dans notre pays, ces restitutions emportent des questionnements tout particuliers en raison de notre passé colonial, de notre place dans le monde et de notre attachement si singulier à notre patrimoine – notre législation en la matière est quasiment unique. En effet, nos collections publiques sont réputées inaliénables, imprescriptibles et insaisissables.
Ce droit qui a longtemps fait notre fierté soulève aujourd’hui des questions. En effet, après la loi visant à la restitution des biens spoliés durant l’Occupation, adoptée en 2023, et celle sur la restitution des restes humains, nous avons le devoir de nous pencher sur les biens culturels issus des pays colonisés.
Par conséquent, le président de la République a demandé à l’ambassadeur Jean-Luc Martinez un rapport préalable à une loi-cadre qui nous permettrait de procéder à ces restitutions sans devoir passer par une loi d’espèce, comme c’est le cas aujourd’hui. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir annoncé en tout premier lieu devant la représentation nationale que vous présenteriez un tel projet de loi en Conseil des ministres au cours de l’été.
Néanmoins, dans cette attente, il nous revient de respecter nos engagements à l’égard de la Côte d’Ivoire en autorisant la restitution du tambour par cette loi d’espèce que notre groupe Ensemble pour la République soutient bien évidemment.
Je souhaite en profiter pour souligner ici le partenariat remarquable entre nos deux pays, notamment le travail mené par les équipes du musée du Quai Branly et celles des ministères de la culture et des affaires étrangères. Le tambour a fait l’objet d’une restauration complète. Sa restitution contribue à la formation de conservateurs du patrimoine ivoiriens ainsi qu’à la valorisation et au développement du musée des Civilisations de Côte d’Ivoire.
Cette restitution emporte donc une valeur mémorielle fondamentale. Elle sera l’occasion d’une grande célébration, tant le tambour est attendu par de nombreux Ivoiriens, et constituera le ciment d’une conscience nationale tournée vers l’union et la liberté.
Par cette loi, nous rendons à la Côte d’Ivoire une œuvre d’art volée et nous contribuons ainsi à la politique de réparation des traumatismes passés de la colonisation et, ce faisant, au renouvellement de nos relations bilatérales. Voilà de quoi nous rendre fiers de voter cette loi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Taché.
M. Aurélien Taché
C’est une grande joie de pouvoir aujourd’hui voter pour un texte qui permettra la restitution à la Côte d’Ivoire du tambour parleur dont nous avons injustement privé les Ivoiriens pendant tant d’années. Ce tambour, aussi appelé Djidji Ayôkwê, a été confisqué par l’administration coloniale en 1916 et se trouve en France depuis 1929. Pour la communauté atchan, qui le possédait, le Djidji Ayôkwê était bien plus qu’un instrument de musique : c’était un symbole culturel et spirituel. Après un siècle passé en France, il était grand temps que cet objet soit rendu à ses propriétaires légitimes, la communauté atchan et le peuple ivoirien, et je salue votre volontarisme, madame la ministre, pour que cette restitution ait enfin lieu.
Toutefois, si nous devons passer par une loi d’espèce, comme lorsque nous avons restitué au Bénin vingt-six objets du trésor d’Abomey, c’est qu’il n’existe toujours pas de dispositif général encadrant les restitutions. Une loi-cadre a pourtant été promise par le président de la République dès 2017 et vous nous avez annoncé en commission qu’elle serait étudiée dès cet été. Pouvez-vous nous le confirmer et surtout nous donner plus d’éléments sur son calendrier ? Cette loi est nécessaire car la France doit tourner pour de bon la page de son passé colonial. Celui-ci continue d’enflammer le débat public et nous éloigne du chemin nouveau que nous devons tracer avec des peuples avec qui nous avons tant en partage, à commencer par notre langue. Aussi ne pouvons-nous plus nous en remettre au fait du prince pour la restitution des biens spoliés pendant la colonisation.
Comme c’est le cas avec le Djidji Ayôkwê, cette restitution concerne le plus souvent des objets qui n’ont pas simplement une dimension culturelle, mais aussi une portée cultuelle et liturgique, et qui sont très attendus par les communautés traditionnelles. À La France insoumise, nous sommes très attachés au principe d’inaliénabilité des collections publiques, mais nous pensons qu’il doit être aménagé pour permettre une politique de restitution ambitieuse, dans la lignée de celle que le Parlement a adoptée en 2023 pour les restes humains et les biens spoliés sous l’Occupation.
Et c’est bien à la représentation nationale de se saisir du sujet. Quels types d’œuvres seront-ils concernés ? Dans quelle mesure cette politique pourra-t-elle s’appliquer aux collections privées ? Que faire quand plusieurs pays réclament le même objet ? Comment s’assurer de ses conditions de préservation ? Vous le voyez, les questions sont nombreuses. Des propositions intéressantes figurent dans le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain, ainsi que dans le rapport Martinez sur les critères de restituabilité, tous deux remis au président de la République. Au fond, la restitution des biens culturels aux anciennes colonies ne peut avoir de sens que si elle s’inscrit dans le cadre d’une politique étrangère globale, qui met les aspirations et les droits des peuples au premier plan.
Le cas de la Côte d’Ivoire est de ce point de vue significatif. En effet, l’approche de l’élection présidentielle prévue à l’automne plonge le pays dans une crise politique majeure. La liste électorale sur laquelle repose la légitimité du scrutin présente un taux d’irrégularité estimé à 75 %, soit environ six millions d’irrégularités sur huit millions d’inscrits. Cette anomalie intervient alors même que 5 millions d’euros ont été alloués par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères français à l’opérateur Civipol censé œuvrer à la modernisation de l’état civil et au recensement. Force est de constater que les objectifs affichés ne sont pas atteints et que personne ne sait où ces fonds sont passés. Dans le même temps, plusieurs figures majeures de l’opposition – Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Charles Blé Goudé – ont été exclus de manière brutale de la compétition électorale, conduisant de facto à une élection présidentielle sans opposants.
Dans ce contexte, le silence de la France quant à l’attitude d’Alassane Ouattara, dont tout porte à croire qu’il se dirige de manière illégale vers un quatrième mandat, soulève de vives interrogations. Car la non-ingérence n’est pas l’indifférence, et nous n’avons pas toujours été aussi prudents par le passé. Ce silence est d’autant plus grave que circule une photographie montrant notre ambassadeur en poste à Abidjan arborant un tee-shirt à l’effigie de la première dame ivoirienne, envoyant ainsi un signal politique lourd de conséquences. Il n’y a pas de cohérence entre une volonté affichée de réparer les blessures du passé à travers un geste de restitution important comme celui que nous envisageons aujourd’hui et une forme de complaisance, voire de soutien tacite, envers un régime engagé dans une dérive autoritaire. Notre ministre des affaires étrangères doit donc s’exprimer. Une politique étrangère digne de ce nom ne peut en effet ignorer les aspirations des peuples, ni faire preuve d’indulgence à l’égard de pratiques contraires aux principes que la France défend sur la scène internationale.
Nous voterons bien entendu en faveur de ce texte, mais nous ne pouvons pas nous en tenir là. Les pays que la France a colonisés et qu’elle a spoliés d’un patrimoine inestimable méritent toute notre exigence, tout notre sérieux et une diplomatie forte au service des droits des peuples. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Frédéric Maillot applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Brun.
M. Philippe Brun
Je salue la présence dans les tribunes de M. l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, Maurice Kouakou Bandaman, ancien ministre ivoirien de la culture et de la francophonie, dont je sais qu’il participe depuis de nombreuses années au travail de restitution.
Déjà, en 1958, Félix Houphouët-Boigny, alors ministre d’État de la France, transmettait au général de Gaulle, président du Conseil, une lettre de la communauté atchan demandant la restitution du tambour parleur Djidji Ayôkwê. Cette demande alors restée lettre morte voit aujourd’hui sa conclusion. Ce fut un combat de longue haleine depuis 1958, depuis 2017 et le discours de Ouagadougou, depuis l’engagement du président de la République en 2021, depuis la visite que nous avons effectuée avec Yaël Braun-Pivet et le groupe d’amitié France-Côte d’Ivoire de l’Assemblée nationale en 2023. Lors de cette visite, le président Alassane Ouattara avait demandé solennellement aux parlementaires français de voter enfin une loi conforme aux engagements que nous avions pris.
Car cela a été rappelé, l’enjeu de cette proposition de loi n’est pas simplement de débattre de l’incessibilité des œuvres et de notre patrimoine culturel, ou du transfert d’œuvres entre musées, tel qu’il est parfois organisé pour certaines d’entre elles. Nous discutons de la restitution d’un bien qui porte en lui tous les stigmates de la violence coloniale. Lorsque le colon Marc Simon a confisqué ce bien en 1916, c’est toute l’âme du peuple atchan qui a été confisquée du même coup. Ce geste résume à lui seul les innombrables sévices culturels et civilisationnels de la violence coloniale.
Restituer aujourd’hui le tambour parleur n’est qu’une piètre réparation de la violence de la colonisation. Celle-ci n’est pas seulement la négation d’une culture et d’une civilisation, mais la négation de l’humanité tout entière. À la suite de cette restitution, je souhaite que nous continuions ensemble à réparer les douleurs du passé. Car nul ici ne peut dire que la colonisation a été un acte de civilisation ou d’échange culturel : elle a bel et bien été un crime contre l’humanité. Nous sommes nombreux, sur les bancs de cet hémicycle, à espérer qu’un jour un président de la République, comme lors du discours du Vel’ d’Hiv’ de 1995, exprimera les excuses de la France pour les actes qu’elle a commis et l’humanité qu’elle a détruite dans certains pays.
En votant aujourd’hui pour cette proposition de loi, nous faisons un acte de civilisation, cette même civilisation niée par la France en 1916. Madame la ministre, vous avez exprimé la volonté qu’une loi-cadre soit présentée au Parlement. Tous les groupes y sont bien sûr favorables et saluent l’engagement en ce sens que vous avez pris en commission et il y a quelques minutes à cette tribune – le gouvernement déposera un texte cet été. Puisque nous sommes désormais assurés que vous serez là jusqu’à l’automne (Sourires), nous pourrons donc examiner le texte à la rentrée parlementaire, ce qui nous ferait honneur.
Chers collègues, au moment où nous parlons, j’ai une pensée pour le président Houphouët-Boigny, qui a tant fait pour l’amitié entre la France et la Côte d’Ivoire et dont les paroles résonnent encore dans cet hémicycle, lui qui fut parlementaire de la République et signataire éternel de la Constitution de 1958 en tant que ministre d’État : « Nous voulons aller de l’avant, assurément, mais sans, pour autant, renier notre passé, sans tourner le dos à celles de nos formes de civilisation qui constituent notre originalité et dont le monde a grand besoin, nous le savons. » Le monde a grand besoin de redonner vie aux civilisations qui ont été niées. Le monde a grand besoin que la France ouvre grand les yeux sur son passé colonial. La France et la Côte d’Ivoire ont grand besoin de cette proposition de loi. C’est donc avec honneur que le groupe Socialistes et apparentés la votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Martin.
M. Sébastien Martin
Le texte que nous examinons n’est en rien anodin. Sous une apparente singularité se cache une question beaucoup plus large, qui soulève des enjeux profonds : notre rapport à l’histoire, à la mémoire, à nos partenaires internationaux et plus largement au patrimoine culturel, dans une époque de mondialisation et de réconciliation.
Rappelons-le, en 2021, une loi avait permis la restitution de vingt-six œuvres au Bénin et d’une œuvre au Sénégal. À l’époque, notre assemblée avait été saisie des mêmes interrogations, des mêmes espoirs et aussi des mêmes inquiétudes. Le groupe Droite républicaine s’était montré favorable à ces restitutions, mais avait souligné la nécessité de garanties solides pour la protection de l’intégrité des collections et la pérennité de notre droit patrimonial, et pour que la France demeure un carrefour universel de la culture.
Car la question est sensible et touche à des principes fondamentaux : le caractère inaliénable des biens publics ; le devoir de conservation, qui suppose que les œuvres confiées à nos institutions soient protégées pour les générations futures ; la vocation universelle des musées français, qui doivent rester ouverts à toutes les cultures. Nous ne devons jamais perdre de vue le rôle irremplaçable de nos musées, qui ne sont pas de simples vitrines nationales : ce sont des lieux de savoir, de dialogue, d’universalité.
La France, à travers des institutions comme le musée du Quai Branly-Jacques Chirac, le musée Guimet et bien évidemment le Louvre et le musée d’Orsay, accueille chaque année des millions de visiteurs venus des quatre coins du monde. Ces visiteurs ne viennent pas seulement pour admirer des œuvres françaises : ils viennent pour découvrir des civilisations entières, rencontrer l’art africain, asiatique, océanien, s’émerveiller devant la diversité des expressions humaines. Ces musées sont des lieux dans lesquels le patrimoine mondial est rendu visible au plus grand nombre, dans lesquels il est protégé et transmis, dans lesquels il joue pleinement le rôle d’ambassadeur des cultures.
M. Jean-Victor Castor
En 2025 !
M. Sébastien Martin
Pourtant, il existe une autre exigence, tout aussi légitime : celle du respect des histoires nationales, des mémoires blessées et du désir des peuples de renouer avec leur patrimoine. Le tambour parleur qui nous occupe aujourd’hui n’est pas une œuvre comme les autres. Il incarne l’esprit de la communauté atchan et fut un outil de gouvernance et de communication utilisé pour transmettre des messages entre les villages, mais aussi pour prévenir de l’arrivée des troupes coloniales lors d’opérations de recrutement forcé ou d’enrôlement militaire. Ce n’est donc pas seulement un objet d’art, c’est un témoin vivant de l’identité et de l’histoire d’un peuple.
Depuis 2019, la France et la Côte d’Ivoire ont engagé un dialogue exemplaire pour préparer cette restitution, un dialogue fondé sur le respect mutuel, la coopération technique, la formation de professionnels et la volonté de bâtir ensemble une relation culturelle nouvelle. Ce partenariat est sans doute un modèle : il montre qu’il est possible de conjuguer le retour d’œuvres emblématiques et la construction d’un avenir commun.
Mais ce modèle doit devenir une politique. Car légiférer au coup par coup n’est pas une solution. Chaque nouvelle demande de restitution, chaque loi d’espèce expose la France à des débats longs, parfois passionnés. Il est temps de doter notre pays d’un cadre juridique clair et durable : une loi-cadre qui fixe les principes, les procédures et les garanties. Ce cadre devrait s’appuyer sur trois piliers : un dialogue structuré avec les États demandeurs ; un accompagnement des pays bénéficiaires pour garantir les conditions de conservation et de valorisation des œuvres restituées ; une exigence de réciprocité culturelle afin que la France continue à jouer pleinement son rôle de carrefour universel des arts et des savoirs. Rappelons aussi que la restitution n’est pas la seule voie. Les conventions de prêt de longue durée et les expositions itinérantes, entre autres, sont des outils qu’il ne faut pas négliger.
Chers collègues, en soutenant ce texte, nous faisons plus que restituer un tambour parleur : nous affirmons une certaine idée de la France, une France fidèle à ses principes mais ouverte au dialogue, une France soucieuse de son patrimoine mais consciente de l’histoire qu’elle partage avec d’autres nations. Le groupe Droite républicaine votera en faveur de ce projet de loi, mais il appelle le gouvernement à ne pas s’arrêter là. Nous attendons une réflexion de fond sur une politique cohérente de gestion du patrimoine culturel issu du contexte colonial ou de transferts historiques. Nous attendons une stratégie qui permette à la France d’être à la hauteur de son histoire, de son rayonnement et de ses responsabilités. (Mme Lise Magnier applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Steevy Gustave.
M. Steevy Gustave
Michel Leiris écrivait dans L’Afrique fantôme : « On pille des Nègres, sous prétexte d’apprendre aux gens à les connaître et les aimer, c’est-à-dire, en fin de compte, à former d’autres ethnographes qui iront eux aussi les aimer et les piller. » Ce n’était pas le regard d’un simple observateur, mais celui d’un homme lucide, qui voyait, sous l’apparence du savoir, la condescendance, la dépossession et le vol.
Ce qu’il dénonçait a un visage, encore aujourd’hui : le Djidji Ayôkwê. Ce tambour parleur, sculpté dans un bois rare et gravé de signes sacrés, n’était pas un simple objet. Il était un centre de gravité, un point d’équilibre, un lien vivant entre les membres de la communauté et entre les générations. Il rythmait la vie, annonçait les événements, lançait les rassemblements, alertait des dangers. Il accompagnait les rites, donnait corps à la parole. Il gouvernait sans armes, réunissait sans discours.
C’était un outil de transmission, une force d’unité. C’était un griot de bois, qui parlait sans bouche mais portait la voix d’un peuple. Il transmettait les récits, la sagesse et l’autorité des anciens. C’est en cela qu’il dérangeait, parce qu’il faisait vivre une mémoire que le pouvoir colonial voulait effacer, parce qu’il incarnait une autorité qui ne venait pas des colons, parce qu’il rassemblait, alors qu’on voulait les dominer.
Il ne faisait pas que résonner, il éveillait les esprits, les mémoires et les résistances. Dans ce réveil, il affirmait une vérité insupportable : la dignité d’un peuple qui ne se rend pas. L’armée coloniale française ne pouvait le tolérer : en 1916, en pleine répression coloniale, lors d’une expédition punitive à Adjamé, le tambour a été confisqué. Il n’a été ni acheté ni échangé. Il a été pris, comme pour faire taire un ennemi trop puissant pour être combattu autrement.
Ce geste visait à briser un lien, à interrompre une mémoire et à éteindre une force. Mais ce tambour n’est pas un objet inerte : il est habité par ceux qui l’ont sculpté, par les anciens qui l’ont écouté, par les silences qu’on lui a imposés. Ce ne sont pas des fibres de bois qu’on a figées, ce sont des voix qu’on a voulu faire taire, des âmes capturées, une mémoire emprisonnée. (M. Frédéric Maillot applaudit.)
J’emprunte ici les mots d’un grand sage, Amadou Hampâté Bâ : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. » Restituer ce tambour, c’est rallumer une bibliothèque éteinte, c’est rendre voix aux ancêtres et lumière à ceux qu’on a plongés dans l’obscurité.
Victor Hugo écrivait, un an après le sac de Pékin : « La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. » Et l’histoire l’a confirmé. La conférence de Berlin, en 1885, a consacré le partage du continent africain. Les musées impériaux se remplissaient à coups de butins. Le vol devenait méthode ; la dépossession, système ; l’humiliation, doctrine. C’est ainsi que le tambour, comme tant d’autres, s’est retrouvé enfermé, arraché à sa terre, coupé de ses vivants et vidé de sa voix.
Il aurait dû être l’un des premiers à revenir grâce à l’adoption d’une loi-cadre. Mais cette loi, annoncée depuis 2017, n’est toujours pas votée et les œuvres sont toujours protégées juridiquement et rendues intransférables par un verrou législatif, rendant leur sortie des collections publiques quasiment impossible. En l’absence d’un cadre général, seule une loi isolée peut les libérer. C’est pourquoi nous sommes présents dans cet hémicycle.
Nous ne pouvons plus être la caution des promesses oubliées ni nous réfugier derrière des principes, quand les peuples réclament la justice. Cette proposition de loi isolée doit être la dernière. Je la voterai, oui, mais je le dis solennellement : il faut aller plus loin, une loi-cadre est nécessaire – une loi claire, assumée et respectueuse des peuples, pour que les restitutions cessent d’être des faveurs exceptionnelles et deviennent des actes républicains.
Le musée du Quai Branly-Jacques Chirac compte encore 90 000 objets africains : un butin colonial mis sous verre, l’humiliation figée mais toujours visible, au nom du patrimoine. Le retour du tambour n’est pas un geste symbolique, c’est un devoir d’État, un devoir à l’égard de la jeunesse africaine et de notre propre idée de la justice.
Les biens culturels volés laissent des blessures qui traversent les générations. Ils arrachent les racines, coupent les liens avec les morts, les rites et les ancêtres, empêchent les vivants de se souvenir et de transmettre. Quand une œuvre revient, ce n’est pas seulement un objet qui rentre, c’est la mémoire d’un peuple qui retrouve sa fierté. Restituer, en effet, ce n’est pas seulement réparer : c’est rendre la dignité, c’est raviver la mémoire, c’est permettre aux peuples de rêver à nouveau.
Je terminerai avec les mots du manifeste culturel panafricain : « La conservation de la culture a sauvé les peuples africains des tentatives de faire d’eux des peuples sans âme et sans histoire […] Et si la culture relie les hommes entre eux, elle impulse aussi le progrès. » La France ne perd rien à rendre ce qui ne lui appartient pas. Elle y gagne en honneur, elle y gagne en justice et elle y gagne en grandeur. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR ainsi que sur les bancs des commissions. – Mme Maud Petit applaudit également.)
Mme la présidente
Sur l’article unique, je suis saisie par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Géraldine Bannier.
Mme Géraldine Bannier
Permettez-moi, en préambule, d’emprunter les mots de la ministre de la culture ivoirienne, Françoise Remarck, à l’occasion de la signature de la convention de dépôt, en novembre dernier : « La communauté atchan et le peuple bidjan attendaient ce retour depuis plus d’un siècle. Cette restitution est un symbole du retour d’un bien qui porte des valeurs autour de la cohésion sociale, de la paix, qui sont chères au président de la République. »
Il s’agissait là, il y a quelques mois, d’une première étape, d’un premier pas, avant la loi de restitution attendue et mise en débat aujourd’hui ; elle permettra qu’à terme, après réhabilitation du musée des civilisations d’Abidjan, le tambour puisse définitivement y retrouver sa place et être apprécié des populations ivoiriennes.
De quel « petit » objet parlons-nous ? J’emploie bien sûr ce qualificatif avec ironie… Djidji Ayôkwê est un instrument rituel en bois, long de 3,31 mètres de long, pesant 430 kilogrammes, fendu et orné d’un léopard bondissant. Il servait notamment, durant la période du recrutement forcé pour la construction de routes, à annoncer l’arrivée des colons dans les villages, permettant ainsi aux hommes de fuir. Il fut dérobé par ces mêmes colons en 1916, dans un faubourg d’Abidjan.
La charge symbolique de l’objet, emblème de résistance réclamé de longue date par la Côte d’Ivoire, fait de sa restitution « un geste fortement historique », selon Clavaire Aguego Mobio, chef traditionnel ébrié, qui souligne également que « ce tam-tam parleur va rappeler notre histoire et revaloriser notre peuple dont les traces sont en train de disparaître avec l’urbanisation sauvage de l’agglomération d’Abidjan » et que « la disparition du tambour avait beaucoup déstabilisé l’organisation sociale et traditionnelle des Ébriés ».
Parmi les 148 œuvres d’art officiellement réclamées par la Côte d’Ivoire à la France depuis 2018, le Djidji Ayôkwê sera la première à revenir dans son pays. Le geste de pacification des mémoires que représente cette restitution est d’autant plus fort que le tambour est un objet militaire. Puisse ce geste donner envie partout ailleurs – car nous en avons bien besoin – de faire cesser enfin l’harmonie infernale des tambours et trompettes que décrit Voltaire, ou plutôt, en termes actualisés, celle des missiles et drones.
Le groupe Démocrates votera ce texte et son article unique, qui prévoit une dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques prévu à l’article L. 451-5 du code du patrimoine, et un transfert de l’œuvre dans un délai maximal d’un an.
La loi-cadre promulguée le 22 juillet 2023, limitée aux œuvres spoliées par les nazis à la suite des persécutions antisémites, méritera sans doute de voir son périmètre élargi ou d’être suivie par d’autres lois-cadres, pour inclure d’autres catégories d’œuvres et éviter de recourir à chaque fois à une loi spéciale, dès lors qu’une restitution sort de ce cadre strict. Madame la ministre, nous avons bien entendu votre annonce en ce sens.
Laurent Lafon, rapporteur au Sénat, dont je salue le travail ainsi que celui de notre rapporteur Bertrand Sorre, rappelait à juste titre que les restitutions sont le sens de l’histoire. Inutile pour moi de battre tambour plus longtemps devant vous : débattons à présent de la proposition de loi, tambour battant si nécessaire. Elle concrétise enfin une promesse présidentielle de 2021. Il s’agit de ne plus différer davantage ce beau geste entre la France et la Côte d’Ivoire. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem, EPR et SOC, ainsi que sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre
J’ai été interpellée – de manière très respectueuse, d’ailleurs – par deux parlementaires au sujet du calendrier législatif. Le projet de loi-cadre sur la généralisation des restitutions a d’ores et déjà été transmis au Conseil d’État, dont nous attendons l’avis. Une réunion est prévue la semaine prochaine pour faire le point sur l’avancement du texte. Dès que l’avis du Conseil d’État sera rendu, nous le présenterons au Conseil des ministres, avec pour objectif une première lecture dès l’automne. Rassurez-vous, monsieur Brun : je serai là ! (Sourires.)
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bertrand Sorre, rapporteur
Je souhaite souligner deux motifs de réjouissance. Le premier est la confirmation, par Mme la ministre, de la préparation d’un projet de loi-cadre. Avec son adoption, nous tiendrons l’engagement pris par le président de la République au début de son premier mandat : celui de doter notre droit de trois lois-cadres, chacune adaptée à un type de bien à restituer.
Ces lois-cadres nous permettront de sortir de la logique des lois d’espèce. Nous pouvons nous en réjouir car il s’agissait d’un engagement fort. Si l’on se projetait dix ou quinze ans en arrière, on verrait à quel point ces sujets étaient beaucoup plus conflictuels et sensibles.
Le second motif de réjouissance est d’avoir entendu, lors de cette discussion générale, l’ensemble des groupes politiques – sans exception – annoncer leur intention de voter ce texte. L’unanimité n’est pas si fréquente dans cet hémicycle, mais sur un sujet comme celui-ci, elle s’imposait naturellement. Sans préjuger du résultat du vote, je m’en réjouis et je tiens à vous remercier pour le travail que nous avons réalisé ensemble en faveur de cette restitution tant attendue.
Explications de vote
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi qui ne fait pas l’objet d’amendement. Nous en venons immédiatement aux explications de vote.
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS)
Ce débat fait partie d’un chantier immense, celui des conséquences de la colonisation trop souvent passée sous silence dans la construction de notre récit national. Avec le retour du tambour Djidji Ayôkwê, nous affirmons que la France ne peut s’enorgueillir de ses centaines de collections nationales, bâties sur la violence et la dépossession des peuples.
Ce tambour n’est pas un trophée, pas plus qu’une pièce de musée, mais le symbole d’une communauté que l’on a privée de mémoire. Il faut lire ce geste à sa juste hauteur : ce n’est pas la restitution d’une curiosité, mais le retour d’un bien spolié à un peuple.
Cette exigence ne se limite pas à la Côte d’Ivoire, mais traverse toute l’histoire coloniale de la République. En Algérie, par exemple, une commission mixte réclame la restitution des effets personnels de l’émir Abdelkader : épée, burnous, manuscrits, objets volés en 1843 après la prise de la smalah, à l’issue d’une conquête sanglante. Ces pièces d’une valeur symbolique immense sont enfermées dans nos musées, aujourd’hui encore inaccessibles à leur peuple d’origine, parce que bloqués par le principe inébranlable de l’inaliénabilité des collections.
Dans toute l’Afrique, ces questions s’accumulent : Sénégal, Bénin, Madagascar, Cameroun, Algérie, tous attendent que la France cesse la diplomatie symbolique, les dons parcimonieux et les prêts distingués, pour construire une véritable politique de restitution. Du Maghreb à l’Indochine, des Antilles à l’Afrique de l’Ouest, la colonisation française fut un crime organisé, ponctué de pillages, de destructions et de massacres. Elle fut un crime contre l’humanité.
Au Sénégal, dès 1857, on pilla les trésors du Tékrour. À Madagascar, on emporta reliques et objets sacrés après la répression de 1947. Au Cameroun, on exhuma les corps des résistants pour les étudier. En Indochine, on saccagea les pagodes et en Algérie, on vida les bibliothèques et on emporta manuscrits et archives.
Il faut voir l’exposition fière de ces trésors dans nos musées nationaux comme les restes d’un empire de violence. Pendant que la mémoire des peuples est mise sous verre, la République continue trop souvent de faire la leçon et de se draper dans les vertus universelles, sans reconnaître la base coloniale de sa puissance.
Dans ce silence organisé, résonnent les mots implacables de Kery James : « À tous ces racistes à la tolérance hypocrite, qui ont bâti leur nation sur le sang, maintenant s’érigent en donneurs de leçons, pilleurs de richesses, tueurs d’Africains, colonisateurs, tortionnaires d’Algériens. » Ces vers disent tout ce que l’histoire officielle a voulu cacher et tout ce que nos musées ne racontent pas. Ils rappellent que la domination ne s’efface pas avec le temps et qu’elle se perpétue tant qu’elle n’est pas reconnue, réparée et restituée.
Sur le modèle d’Aimé Césaire, je refuse la France qui se regarde comme une puissance civilisatrice. La colonisation fut un crime ; ce crime a été nié, enjolivé. Aujourd’hui, il est encore trop souvent réduit à un épisode regrettable, pire, salvateur. Le tambour doit rentrer en Côte d’Ivoire – un acte de droit, de vérité. Tout ce qui a été pillé, volé, doit être restitué, comme autant de preuves tangibles que la France sait regarder son passé en face. (M. Frédéric Maillot applaudit.) Il ne s’agit pas de faire des cadeaux, mais de respecter les peuples spoliés, humiliés une première fois, puis une seconde fois par notre inertie. Nous devons voter en faveur du texte, mais ce vote, qui, encore une fois, est une bonne chose, ne sera efficace qu’à condition de constituer le point de départ d’une future loi-cadre mettant fin au système colonial structurel dans notre patrimoine, reconnaissant que la justice mémorielle ne peut être traitée case par case, tambour par tambour, sabre par sabre. Il faut qu’une rupture législative mette un terme à cette inéluctable hypocrisie.
Aimé Césaire écrivait qu’une civilisation qui n’enlève pas ses chaînes est une civilisation qui s’enterre ; en refusant de restituer ce qu’elle a volé, la France continue de forger ses chaînes. Rompons avec cette logique : nous devons aller plus loin, avec force, avec ce sentiment de l’histoire intact. La colonisation est terminée, non seulement dans ses discours, mais dans ses actes. Nous voterons, je le répète, pour cette proposition de loi ; nous poursuivrons jusqu’à ce que chaque tambour, chaque sabre, chaque manuscrit volé retrouve son peuple, car il n’y a pas de fraternité sans justice, pas de mémoire commune sans vérité, pas de République digne sans réparation. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Victor Castor.
M. Jean-Victor Castor (GDR)
Je profite de cette occasion pour rappeler que nous, en Guyane, connaissons la violence de la colonisation : je sens ce lien avec les peuples d’Afrique, d’Asie, tous ces peuples qui ont été colonisés par l’Occident. La violence dont nous parlons a par exemple résidé dans la doctrine de la terra nullius, en vertu de laquelle les colons, les jésuites ont considéré qu’à leur arrivée, il n’y avait là personne et les terres étaient en friche. Le résultat, c’est qu’aujourd’hui, chez nous, en Guyane, le préfet décide à qui il attribue les terres, y compris dans le cas des peuples autochtones !
Vous le savez, madame Dati, ces autochtones, massacrés par centaines de milliers dans le cadre d’un génocide, réclament désormais la restitution de six corps. Le cas est prévu par la proposition de loi de Christophe Marion relative aux demandes de restitution de restes humains originaires du territoire national ; ce texte-cadre ayant trait à nos pays encore colonisés – Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Polynésie, Nouvelle-Calédonie – traîne dans les coulisses et ne parvient pas à obtenir l’aval des groupes parlementaires en vue de son inscription à l’ordre du jour d’une semaine transpartisane au sein de notre assemblée. Nous reportons sur le texte issu de l’initiative au Sénat de Mme Morin-Desailly, la loi du 26 décembre 2023 relative à la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques, nos espoirs de ne pas avoir à passer par une loi d’espèce, spécifique à la Guyane.
Il s’agit de centaines de restes humains – des restes humains ! Rendre même des corps aux communautés concernées, la France n’y arrive pas ; à croire que ces corps, en 2025, restent considérés comme des objets. Il faut des conditions à la restitution – nous entendons encore certains collègues le soutenir –, il faut que des scientifiques y réfléchissent. « Collections publiques », au nom de quoi ? Qui décide de ce principe d’imprescriptibilité ? Dites-vous que ce sont des biens, des corps, qui ont été volés ! Au nom de quoi, de la puissance administrante, de la puissance coloniale ? Les peuples colonisés ne savent même pas ce qui se trouve dans vos musées ; les inventaires sont sans transparence, opaques ! Si l’on ne sait pas ce qu’il y a, que demanderait-on ?
Lorsque les nazis ont envahi la France, ils ont récupéré des dizaines de milliers d’œuvres d’art ; à juste titre, la nation française a réclamé qu’elles lui reviennent. Au nom de quoi ? Tout simplement parce que c’étaient ses biens à elle. Dans cette assemblée, je suis en difficulté : en 2025, j’y entends encore s’exprimer des réticences. De surcroît, entre les discours et les actes, il y a un écart énorme. Depuis 132 ans qu’ils sont ici, dans un musée, que faisons-nous de ces six Kali’na ? Que faisons-nous de tous ces restes humains, pas même reconnus, appartenant aux communautés autochtones de chacun de nos pays ?
Madame Dati, je vous ai écrit à plusieurs reprises ; je vous invite à prendre la main, afin que les choses aillent très vite. M. Marion n’était pas censé déposer une proposition de loi : le premier ministre Barnier avait donné son aval à un projet de loi, et avec un projet de loi, nous n’en serions pas là. Tout est bloqué ! C’est pourquoi je vous invite à choisir au plus vite le bon véhicule législatif : en Guyane, on ne peut plus attendre. Il faut cesser ce double langage. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Vote sur l’article unique
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 111
Nombre de suffrages exprimés 111
Majorité absolue 56
Pour l’adoption 111
Contre 0
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de loi.)
(Applaudissements sur divers bancs.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
2. Mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille
Nouvelle lecture
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille (nos 1487, 1656).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Dans le cadre de cette nouvelle lecture, l’objectif pour le gouvernement est toujours de rapprocher l’élection des maires de Paris, Lyon et Marseille du droit commun. Notre motivation est toujours d’améliorer la vie démocratique de notre pays et, en l’occurrence, de plus de 3 millions de nos concitoyens.
Avant d’entrer dans la discussion du texte, je veux saluer le travail de ses rapporteurs à l’Assemblée nationale et au Sénat, Jean-Paul Mattei et Lauriane Josende.
Je souhaite également remercier les forces politiques de Paris, Lyon et Marseille qui ont accepté le dialogue, même si les résultats de ces échanges ont été inégalement constructifs. Que les interlocuteurs soient pour ou contre la réforme, certains échanges ont été très utiles, d’autres bien plus fermés ou simplement polémiques.
La responsabilité du gouvernement reste de faire fonctionner les institutions et de permettre à la représentation nationale d’examiner et de voter les textes dont elle est saisie. C’est la raison pour laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui.
Sur le fond, le gouvernement, attentif aux riches débats ayant eu lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat, a cherché à avancer sur la question du rôle des maires d’arrondissement dans l’hypothèse où ils ne siégeraient pas au conseil municipal central, même si cette hypothèse reste assez théorique. Il a aussi répondu précisément aux préoccupations quant à la stabilité du corps électoral sénatorial.
Cette réflexion itérative a conduit le gouvernement à prendre deux engagements. D’une part, celui de conduire une mission flash pour définir les compétences des mairies d’arrondissement – il s’agit d’une demande légitime dans la mesure où aucun texte législatif ne fixe actuellement ce cadre dans le code général des collectivités territoriales (CGCT). D’autre part, celui de présenter un projet de loi organique sur le mode d’élection des sénateurs, afin d’adapter les règles de désignation du corps électoral sénatorial en vue des élections de septembre 2026.
Dans les débats qui s’ouvrent, il conviendra de trancher le cas particulier de Lyon, au sujet duquel le gouvernement sera à l’écoute des parlementaires.
Notre volonté constante demeure celle de proposer aux habitants de Paris, Lyon et Marseille un mode de scrutin plus clair, plus lisible en leur donnant un double choix : celui de leur maire d’arrondissement – maire de la proximité – et celui de la mairie centrale – l’incarnation politique et stratégique de la ville. Cela garantira une clarté et une liberté de choix supplémentaires.
Si 90 % des habitants sont favorables à cette réforme, je perçois bien que l’adhésion à ce projet est moins forte parmi les élus en place.
Depuis quelques semaines, je me suis replongé dans les débats et les commentaires concernant le mode de scrutin de Paris, Lyon et Marseille (PLM) depuis 1982. Un mot revient de façon récurrente depuis plus de quarante ans, sur tous les bancs, à toutes les époques : « tripatouillage ». (M. Sylvain Maillard sourit.)
Je nous invite à un effort sémantique pour traiter le fond car il ne suffit pas de prononcer un mot pour qu’il qualifie, discrédite ou réforme la chose.
Mme Danielle Simonnet
Pourtant, ce n’est pas faux…
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Par ailleurs, réparer un tripatouillage n’est pas un tripatouillage supplémentaire ; c’est précisément le contraire. C’est le rétablissement d’un ordre démocratique plus sain.
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Pour peu que nous nous en donnions la peine, ce dont je ne doute pas, nous pourrions tous, au terme de cette nouvelle lecture, être collectivement porteurs de ce progrès. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Mattei, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Notre assemblée est invitée à débattre en ce début d’après-midi d’une proposition de loi qu’elle a déjà adoptée il y a quelques semaines avec un large soutien transpartisan. Je la considère comme une avancée majeure pour la démocratie municipale dans nos trois plus grandes villes.
La loi du 31 décembre 1982 portant modification de certaines dispositions du code électoral relatives à l’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, dite loi PLM, a institué un mode de scrutin dérogatoire pour l’élection des conseillers municipaux à Lyon et Marseille et des conseillers de Paris dans notre capitale.
Depuis plus de quarante ans, à l’initiative du ministre de l’intérieur de l’époque, M. Gaston Defferre, les électeurs de ces trois villes votent à l’échelle de leur secteur pour désigner un conseil d’arrondissement. Certains de ces conseillers siègent ensuite au conseil municipal de Lyon et de Marseille ou au conseil de Paris, et élisent alors le maire de la commune.
Ce système, censé rapprocher les élus des habitants, a progressivement montré ses limites. Il est devenu complexe et peu lisible pour les citoyens. Dans certains cas, un maire peut même être élu sans avoir réuni une majorité de voix à l’échelle de la commune, comme à Marseille en 1983.
Plus largement, ce mode de scrutin pave la voie à d’étonnantes négociations de couloirs, parfois au mépris des électeurs, qui peuvent légitimement se sentir floués par un système qui ne reflète pas toujours les équilibres électoraux tels qu’ils ressortent du vote.
Surtout, le mode de scrutin applicable exclusivement à Paris, Lyon et Marseille revient sur un principe fondamental, cardinal dans notre démocratie, selon lequel un électeur égale une voix. Rien ne justifie que le bulletin de vote d’un électeur de droite dans un arrondissement de gauche, ou d’un électeur de gauche dans un arrondissement de droite, n’ait aucune valeur et n’emporte aucune conséquence pour l’élection du maire du fait de la sectorisation de son élection. C’est pourtant le cas dans les trois plus grandes villes de France. Cela devrait tous nous interpeller. Chacun comprendra donc ici qu’un tel mode de scrutin peut susciter des réserves légitimes. Mes travaux, en tant que rapporteur du texte, me conduisent à constater qu’il trouve bien peu de soutiens pour le défendre et le justifier.
Le personnel politique des trois villes concernées, de la majorité comme de l’opposition, ainsi que l’ensemble des personnes que j’ai auditionnées pour préparer ces travaux le reconnaissent : pour ces communes, une réforme du mode de scrutin est utile. Personne n’est fermé par principe à cette idée.
La proposition de loi que nous examinons fait ce constat et tente d’apporter des solutions. Je tiens à nouveau à saluer le travail de ses auteurs, nos collègues Sylvain Maillard, David Amiel, Olivia Grégoire et Jean Laussucq, qui planchent sur ce texte depuis de longs mois…
M. Sylvain Maillard
Deux ans !
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur
…et nous donnent l’occasion de corriger ce qui m’apparaît comme une anomalie.
Ce texte n’est pas le grand soir pour les trois plus grandes communes de France. Il propose bien humblement, si j’ose dire, de revenir à une architecture électorale plus lisible rapprochant Paris, Lyon et Marseille du droit commun.
Il instaure à cette fin un scrutin de liste à l’échelle de la commune pour l’élection du conseil municipal de Lyon et de Marseille ou du conseil de Paris, et un scrutin à l’échelle de chaque arrondissement pour élire les conseils d’arrondissement, auxquels les citoyens sont très attachés. Cette réforme ne fait donc pas disparaître les arrondissements, mais les préserve et les conforte, en ouvrant par ailleurs un chantier à venir sur la clarification de leurs compétences. M. le ministre l’a évoqué.
Après l’avoir dit en première lecture puis, la semaine dernière, en commission, je répète que ce texte ne bouleverse pas l’organisation électorale de nos trois plus grandes villes, mais qu’il la clarifie aux yeux des électeurs et des habitants de Paris, Lyon et Marseille, conformément à notre rôle et à notre ambition de législateur.
Adopté très largement par notre assemblée le 9 avril dernier, avec un soutien transpartisan réunissant un grand nombre de sensibilités politiques de notre hémicycle, ce texte a néanmoins été rejeté par le Sénat. Je le regrette. Je continue de croire qu’une autre voie aurait été possible : nous aurions pu contribuer ensemble à enrichir ce texte comme nous l’avons fait en première lecture à l’Assemblée nationale où d’importants compléments et corrections avaient été adoptés afin de conforter le dispositif. Nous avons eu un débat constructif.
Je regrette encore davantage que la commission mixte paritaire, qui s’est réunie il y a deux semaines pour rapprocher les positions de nos deux chambres, n’ait pu aboutir à un compromis…
M. Sylvain Maillard
Oui !
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur
…malgré les propositions concrètes que j’avais formulées dans un esprit d’ouverture et dans le cadre d’un dialogue constant avec la rapporteure du Sénat.
Il n’est jamais trop tard ; je reste éternellement optimiste.
M. Sylvain Maillard
Très bien !
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur
Le gouvernement a choisi de poursuivre le processus parlementaire sur ce texte et je m’en réjouis. Cela constitue une chance et une opportunité pour nous de continuer à améliorer ensemble cette proposition de loi, d’abord entre nous à l’Assemblée nationale, puis avec le Sénat.
Dans le cadre de nos débats en nouvelle lecture, je reste convaincu que la rédaction de l’article 1er qui organise le mode de scrutin dans nos trois plus grandes villes est la bonne. Je m’opposerai donc à l’ensemble des tentatives de réécriture, qu’il s’agisse d’introduire un bulletin unique ou de sortir Lyon de la réforme, afin de rester fidèle à nos votes en première lecture.
En revanche, je serai favorable à une initiative bienvenue du gouvernement visant à préciser que la répartition des sièges des conseillers communautaires tient compte de la prime majoritaire de 25 %. Cela s’inscrit pleinement dans la démarche adoptée par la proposition de loi.
Nous avons déjà beaucoup discuté de ce texte ; j’ai entendu de nombreux arguments visant à le défendre comme à s’y opposer.
Permettez-moi de revenir un instant sur les deux points qui ont contribué à forger ma conviction de rapporteur.
S’agissant de la prime majoritaire, il nous est reproché d’introduire une distinction injustifiée avec le reste des communes de France. Sur ce sujet, mes convictions sont claires et tranchées : la prime majoritaire de 50 % écrase les oppositions et c’est au mépris de celles-ci que la gouvernance des communes est alors assurée. Les trois premières villes de France montreront demain un exemple différent, où l’on s’écoute, où l’on coconstruit, où les oppositions disposent de moyens pour effectuer leur travail et où la majorité n’est pas synonyme de quasi-unanimité. Peut-être qu’un jour prochain, nous parviendrons à étendre cette prime majoritaire de 25 % à l’ensemble de nos communes. C’est le souhait que je formule, bien qu’il ne s’agisse pas du sujet du moment, j’en conviens.
S’agissant du calendrier d’adoption du texte, dont j’ai également beaucoup entendu parler, permettez-moi de vous rappeler que la précédente loi PLM a été adoptée en décembre 1982, soit trois mois avant les élections municipales de 1983. Nous ferions donc mieux cette fois-ci. Surtout, je m’émeus que certains d’entre nous, qui se disent tant attachés au principe selon lequel il ne faudrait pas modifier le code électoral moins d’un an avant les élections à Paris, Lyon et Marseille, aient pourtant soutenu il y a quelques semaines une loi réformant le mode de scrutin pour l’essentiel des communes de France. En la matière, il ne devrait pas y avoir deux poids, deux mesures ; je le dis en tant qu’ancien élu d’une commune rurale.
Ce texte n’est ni partisan, ni conjoncturel, comme en témoignent nos positions et nos votes depuis le début de son examen. Il ne vise à rien d’autre qu’à permettre à chaque citoyen de Paris, Lyon et Marseille de savoir pour qui il vote et qui il contribue à faire élire. Il vise à appliquer les mêmes règles dans ces trois villes que partout ailleurs en France, tout en tenant compte des particularités de ces communes.
En ce début d’examen en nouvelle lecture, je vous invite donc à réaffirmer le soutien de l’Assemblée nationale à cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
Motion de rejet préalable
Mme la présidente
J’ai reçu de Mme Céline Hervieu et de M. Emmanuel Grégoire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Emmanuel Grégoire.
M. Emmanuel Grégoire
Le 14 janvier dernier, lors de sa déclaration de politique générale, le premier ministre disait que le « mode de scrutin doit être enraciné dans les territoires » et qu’il « faut que ne se créent pas plusieurs catégories de citoyens avec des droits différents ». Je ne pensais pas que son gouvernement apporterait un démenti aussi rapide à son propos en soutenant ce texte.
Fondée sur des faux-semblants, cette proposition de loi emporte des conséquences désastreuses pour le fonctionnement des trois collectivités concernées : Paris, Lyon et Marseille.
Au fil des improvisations qui ont émaillé la navette parlementaire, nos trois plus grandes villes sont devenues un étrange laboratoire électoral, et l’Assemblée nationale un curieux terrain d’expérimentation institutionnelle.
Cette proposition de loi n’a été précédée d’aucune concertation réelle. Loin de permettre d’en corriger les défauts évidents, sa procédure d’adoption a traduit l’empressement de ses promoteurs à évacuer tout débat.
Aucun artifice ou détournement de procédure ne nous a été épargné pour l’examen de ce texte. On nous promettait pourtant, avec emphase, un système garantissant : « Un Parisien, un Lyonnais, un Marseillais égale une voix. » Chacun ici a conscience du mensonge : aucun électeur, dans aucune commune de France, ne désigne directement son maire. Votre proposition de loi ne permettra pas davantage que le principe « un électeur, une voix » et la représentation proportionnelle amènent nos concitoyens à désigner directement le maire de leur commune.
Nous voilà donc de nouveau face à cette réforme inutile, nocive et – ce n’est pas le moindre de ses défauts – sans doute inconstitutionnelle. C’est la raison pour laquelle j’appelle les membres de notre assemblée à mettre fin, dès cet après-midi, au parcours chaotique de cette proposition de loi afin de permettre, une fois les élections de 2026 passées, d’élaborer une réforme réfléchie et adaptée aux spécificités de nos territoires et aux attentes de nos concitoyens en repartant sur de bonnes bases.
La première chose qui frappe dans le parcours parlementaire de ce texte est l’écart entre la rhétorique aux accents démocratiques de ses promoteurs et les intérêts électoralistes qui les motivent réellement. Je dirais même que, sous couvert d’une modernisation du système électoral, ce texte menace en réalité l’équilibre institutionnel qui a permis à Paris, Lyon et Marseille de connaître l’alternance sans aucun problème ces quarante dernières années.
M. Sylvain Maillard
Ça continuera !
M. Emmanuel Grégoire
Il affaiblit considérablement la représentation des citoyens et ouvre la voie à un centralisme municipal préjudiciable au pluralisme politique. Le calendrier précipité de son examen, le rythme à marche forcée que le gouvernement a voulu imposer à la représentation nationale, nous a conduit à reconnaître l’évidence : les auteurs de cette proposition de loi n’espèrent pas améliorer la représentation de nos concitoyens ; ils souhaitent simplement tailler sur mesure un mode de scrutin à leur convenance.
En guise d’argumentation, on nous assène donc le principe : « un Parisien, un Lyonnais, un Marseillais égale une voix ». Mais qui peut nous expliquer en quoi le système actuel distordrait le sens du vote de nos concitoyens ? Monsieur le rapporteur, je voudrais vous rappeler quelque chose : que les arrondissements soient de gauche ou de droite, lorsqu’un électeur vote à gauche ou à droite, il a des élus,…
M. Bastien Lachaud
Pas dans toutes les circonscriptions !
M. Emmanuel Grégoire
…conseillers d’arrondissements et conseillers de Paris, selon une règle qui est exactement celle du droit commun, qui permet aux listes de se maintenir au second tour à condition d’avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés.
Mes chers collègues, je vous le demande : une majorité défaite dans les urnes a-t-elle déjà pu revendiquer la victoire à l’hôtel de ville ? À Paris, par exemple, un maire a-t-il déjà été élu alors que l’addition des suffrages des arrondissements lui aurait été défavorable ? La réponse est simple : jamais.
À l’inutilité de cette réforme s’ajoutent les conséquences délétères qu’elle entraînerait pour la démocratie locale. Là commence l’ingénierie électorale et administrative. En soutenant deux scrutins distincts le même jour – un pour les conseils d’arrondissement, l’autre pour le conseil municipal ou le conseil de Paris –, le gouvernement va à rebours des exigences de simplification et d’économie qu’il vante cependant.
L’adoption de la proposition de loi compliquerait l’organisation matérielle des élections en doublant, voire en triplant, les bureaux et le matériel de vote. Il est bien étrange de considérer que donner aux Parisiens, aux Lyonnais et aux Marseillais l’occasion de voter deux fois dans leur ville – voire trois fois dans le cas lyonnais – quand les autres Français ne voteraient qu’une fois rapprocherait le mode du scrutin dans ces villes du droit commun. Il est tout aussi étonnant de vanter un système qui double les campagnes électorales et leurs coûts associés pour l’État en cette période d’efforts budgétaires.
Plus encore, avec ce nouveau mode de scrutin à double étage, le lien démocratique de proximité serait sacrifié en dévitalisant les arrondissements. Nous n’avons jamais été saisis d’un texte d’inspiration aussi jacobine. Son unique ambition est la centralisation du pouvoir, comme un écho à l’ultrapersonnalisation de la campagne qui s’annonce.
À Paris, les arrondissements précédaient le mode de scrutin actuel. Hérités de la Révolution française, ils ont été conçus comme des circonscriptions électorales garantissant une gouvernance de proximité, dans le mouvement de la décentralisation. La loi de 1982 portée par Gaston Defferre a été pensée pour reconnaître la spécificité des grandes métropoles françaises, en particulier celle de Paris, conciliant unité de gouvernance et subsidiarité au profit des arrondissements. Cette organisation s’adapte aux particularités de chaque quartier et assure une représentation équitable de tous les territoires. La présente réforme permettrait de faire élire des conseillers municipaux de Paris qui ne siègent pas dans un conseil d’arrondissement, voire de concentrer les élus de l’hôtel de ville dans des arrondissements considérés comme favorables. Dédoubler le vote, c’est sacrifier les arrondissements et marginaliser leurs élus.
Cette réforme met également à l’épreuve le fonctionnement de nos institutions et les principes constitutionnels censés garantir leur équilibre. Nos alertes, ignorées jusqu’alors, peuvent être entendues aujourd’hui avec l’adoption de cette motion. À défaut, nous en appellerons au Conseil constitutionnel pour censurer ce que nous considérons comme des entorses évidentes à la loi fondamentale. J’en relèverai ici quelques-unes.
En 2003, le constituant n’avait sans doute pas envisagé que la création de collectivités à statut particulier permettrait de les doter, comme ce texte tend à le faire, de plusieurs organes délibérants pour une même collectivité – avouez que c’est baroque. Le troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution fonde la libre administration sur l’existence d’un lien clair entre l’élection au suffrage universel d’une assemblée délibérante et l’exercice par celle-ci des compétences pour le compte de la collectivité. Désormais, on voudrait nous convaincre de créer deux niveaux d’assemblées élues au suffrage direct dans une même collectivité. Nous attendons avec impatience le moment où les conseils régionaux pourront déléguer à des assemblées instituées au niveau départemental des compétences régionales alors que ces dernières seront élues sur une liste à part de l’assemblée régionale. Si ma proposition vous choque, mes chers collègues, je vous informe que c’est une telle disposition que vous nous demandez d’adopter aujourd’hui.
Pour ajouter aux griefs de constitutionnalité, le mode de scrutin retenu confine aussi au baroque, car il porte une atteinte excessive à la sincérité du scrutin garantie par l’article 3 de la Constitution et à son corollaire, l’objectif d’intelligibilité de la loi électorale. Pire, il comporte une dérogation inexpliquée au principe d’égalité devant la loi électorale – vous l’évoquiez, monsieur le rapporteur –, pourtant appréciée de manière particulièrement stricte par le Conseil constitutionnel, en introduisant une prime majoritaire pour la répartition des sièges de moitié moindre à celle en vigueur dans les autres communes. On l’aura compris : le retour au droit commun, pourtant vanté par les auteurs du texte, est à géométrie très variable.
En première lecture, dans votre rapport, vous aviez justifié l’introduction de ce particularisme, monsieur le rapporteur, par le souci « d’éviter un phénomène d’écrasement majoritaire de la liste parvenue en tête ». Vous déploriez que ce risque « existe néanmoins pour toutes les autres grandes villes de France ». L’intention est certes louable, mais la déploration demeure vaine. Ma question est simple : sur quelle circonstance particulière fondez-vous cette distinction inédite, et cela – vous me permettrez de souligner l’importance de cette question – pour les trois plus grandes villes de France ? De quels « critères objectifs et rationnels », pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel, vous prévalez-vous ? Je n’en vois aucun – du moins, aucun qui soit pleinement avouable sans éventer les coulisses de la négociation des ralliements à ce texte.
En outre, comment distinguera-t-on l’élection au titre de laquelle les dépenses sont imputables ? Voilà encore un élément particulièrement grave caractéristique de l’impréparation de ce texte et de la précipitation avec laquelle il est présenté.
Devant la commission des lois du Sénat, le 12 mai dernier, le futur président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a lui-même fait part de sa perplexité en utilisant un doux euphémisme : « Mais il est clair que le guide du mandataire relatif aux élections municipales à Paris, Lyon et Marseille promet d’être extrêmement compliqué… » Ceci à condition qu’il soit disponible, aurait-il pu ajouter. Que dire pour les futurs candidats et leurs mandataires financiers alors que commence dès septembre la période des dépenses imputables aux comptes de campagne ?
La dernière incongruité de cette réforme réside dans le fait que, s’agissant de la création d’un scrutin, elle serait la première dans notre histoire adoptée par la voie d’une proposition de loi. Ce précédent devrait tout à la permissivité du contrôle de la recevabilité financière de ce texte. Ce n’est pas un simple argument de procédure. Je ne souhaite pas que l’initiative parlementaire soit limitée, mais j’entends simplement que les facilités législatives des députés ne soient pas mises au service des projets gouvernementaux. Il y a de nombreux arguments à faire valoir au sujet de la recevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution.
À ce stade de l’examen parlementaire, chacun aura pu constater que cette réforme ne repose pas sur des arguments incontestables, mais bien sur un attelage baroque et uni, pour la circonstance, par les calculs partisans.
Si un gouvernement manque à sa promesse, il est de l’honneur et de la responsabilité du Parlement de la lui rappeler. Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette motion de rejet et à mettre un arrêt à l’examen de ce texte, qui relève non pas de l’exigence démocratique mais du cynisme électoral auquel s’adonnent quelques apprentis sorciers. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC ainsi que sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – Exclamations sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à M. Olivier Fayssat.
M. Olivier Fayssat (UDR)
On peut comprendre une motion de rejet préalable dans le cas hypothétique d’un texte contraire à toutes les valeurs fondamentales d’une formation politique, et encore. Dans le cas de la réforme du mode de scrutin municipal pour Paris, Lyon et Marseille, cela fait penser à un trouble obsessionnel compulsif.
Le groupe UDR votera donc contre cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Franck Allisio.
M. Franck Allisio (RN)
Le groupe Rassemblement national votera évidemment contre cette motion de rejet préalable. Il serait en effet curieux de voter une motion de rejet préalable sur une proposition de loi adoptée par l’Assemblée, c’est-à-dire par nous-mêmes, il y a quelques semaines à plus de 75 % des suffrages exprimés.
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Maillard.
M. Sylvain Maillard (EPR)
Il y a plus de monde pour m’applaudir que pour M. Grégoire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.) Nous nous opposerons évidemment à cette motion de rejet. J’entends les propos qu’a tenus à la tribune M. Emmanuel Grégoire. Nous répondrons au cours de l’examen des amendements aux arguments qu’il a présentés. Cependant, vous rendez-vous compte que vous soutenez que 91 % des Parisiens se trompent, car ils ont tort de vouloir changer de mode de scrutin, de même que 87 % des Marseillais et une large majorité des Lyonnais ? Vous avez donné des arguments d’ordre juridique, mais fondamentalement vous ne répondez pas à la question, alors que nous voulons précisément vous entendre sur ce point : vous ne proposez aucun autre projet qui permettrait aux électeurs, dans les trois plus grandes villes de France, comme dans n’importe quelle autre commune, de choisir leur maire directement.
Nous nous opposerons donc évidemment à cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. David Amiel
Limpide !
Mme la présidente
La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP)
Le groupe LFI-NFP votera sans surprise contre cette motion de rejet préalable qui nous empêcherait d’adopter un texte attendu et surtout un texte démocratique. Quand on voit la crise démocratique que subit notre pays, il est plus que temps de donner le maximum de pouvoir au peuple. Se rapprocher d’un scrutin proportionnel et diminuer la prime majoritaire pour l’établir à 25 % constituent évidemment des avancées démocratiques. Il serait totalement aberrant de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Ray.
M. Nicolas Ray (DR)
Le groupe Droite républicaine s’opposera à cette motion de rejet préalable d’abord pour des raisons d’ordre formel : ce texte ayant été voté en première lecture, il n’y a effectivement pas lieu d’interrompre son examen en début de séance. Nous devons débattre, examiner les amendements restants et les évolutions possibles. Ensuite, sur le fond, les députés de mon groupe sont majoritairement favorables à cette réforme, car elle permettra de simplifier le mode de scrutin dans ces trois grandes villes de France. Nous y reviendrons lors des débats, il faut cependant être vigilants en ce qui concerne la communication et assurer aux électeurs le respect qui leur est dû.
Mme la présidente
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS)
Le groupe Écologiste et social votera en faveur de cette motion de rejet préalable car cette proposition de loi trahit les principes les plus élémentaires de la démocratie, tels que la loyauté, l’égalité et la transparence. Elle n’a pas été conçue pour améliorer le fonctionnement des institutions locales mais pour servir des intérêts partisans. C’est un accord de circonstance, si ce n’est dans l’ombre, pour tenter de conquérir la mairie de Paris non par les urnes mais en modifiant le code électoral à quelques mois d’un scrutin avec l’appui de l’extrême droite.
Ce n’est une réforme, c’est une manœuvre, et elle porte atteinte à l’esprit même de la République. Cette proposition de loi a été écrite avec l’approbation du Rassemblement national et j’ajouterais, après avoir écouté M. Maillard, avec les méthodes du Rassemblement national. Monsieur Maillard, à Plaisance-du-Touch comme à Paris, on ne choisit pas directement son maire, mais on élit un conseil municipal qui procède ensuite à l’élection de l’édile. Arrêtez donc de raconter n’importe quoi à ce sujet ; non seulement c’est agaçant, mais surtout c’est faux et dommageable pour la démocratie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Ce qui est nouveau depuis l’adoption de ce texte à l’Assemblée nationale en première lecture, c’est la manière dont le Sénat a été traité. Il faut rappeler ici aussi, à l’Assemblée nationale, que le Sénat représente les élus locaux, les collectivités territoriales, et que le gouvernement s’était engagé à respecter la voix du Sénat, qui a pourtant été bâillonné. Avec l’accélération inédite de l’examen de ce texte, nous constatons que vous voulez recommencer. M. Grégoire a également soulevé les risques d’inconstitutionnalité. Absolument tout dans ce texte justifie son rejet.
Nous affirmons que la démocratie ne se plie pas aux calculs de quelques-uns. Le Parlement n’est pas une chambre d’enregistrement des deals électoraux. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Mette.
Mme Sophie Mette (Dem)
La proposition de loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, que nous examinons aujourd’hui en seconde lecture, répond à une nécessité démocratique : assurer une élection plus représentative et lisible par les citoyens. Nous le savons, le mode de scrutin actuel présente plusieurs inconvénients du point de vue de la représentativité du vote. D’abord, il est complexe et nuit à la compréhension du scrutin par les électeurs. Ensuite, il contribue à alimenter une défiance envers le politique, qui grandit chaque jour.
Il est donc de notre devoir de législateur de proposer une réforme plus juste et plus démocratique du mode de scrutin à Paris, à Lyon et à Marseille. Les oppositions pourront s’exprimer largement lors du débat, mais celui-ci est nécessaire – il est irresponsable de le refuser. Le groupe Les Démocrates votera contre la motion de rejet. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Sylvain Maillard
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Moulliere.
M. Jean Moulliere (HOR)
Le groupe Horizons & indépendants votera contre la motion de rejet préalable déposée par nos collègues du groupe Socialistes et apparentés. Quelles que soient les positions respectives de chaque groupe, le débat doit se tenir et les voix de chacun doivent être entendues. Il reviendra ensuite à la représentation nationale de trancher en adoptant ou en rejetant le texte.
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Mme la présidente
Monsieur le ministre, mes chers collègues, une terrible nouvelle qui concerne l’un de nos collègues vient de me parvenir. Par décence et par respect, et dans l’attente d’une confirmation, je vais suspendre la séance pour quelques minutes.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures quinze.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Décès d’un député
Mme la présidente
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’immense tristesse de vous confirmer que notre collègue Olivier Marleix nous a quittés. C’est une onde de choc. Mme la présidente lui rendra hommage dans les formes les plus solennelles demain à 15 heures. Dans cette attente, et en sa mémoire, je vous invite à observer une minute de silence. (Mmes et MM. les députés et les membres du gouvernement se lèvent et observent une minute de silence.)
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Mignola, ministre délégué
À l’annonce de cette nouvelle d’une immense tristesse et d’une grande brutalité, il me revient, au nom du gouvernement, de dire immédiatement quelques mots, avant que la présidente de l’Assemblée nationale et le premier ministre ne rendent hommage demain à Olivier Marleix.
Olivier Marleix fut quatre fois d’affilée élu député de la deuxième circonscription d’Eure-et-Loir. Il fut le président du groupe Les Républicains dans cet hémicycle, où il était unanimement reconnu comme un rhéteur redoutable, mais toujours loyal. Il appartenait à la grande famille des Républicains et à une grande famille de républicains. Toutes nos pensées vont à ses proches, au territoire auquel il était tant attaché et à ses collègues. Au nom du gouvernement, je tiens à formuler de la gratitude pour la force de ses convictions et de ses engagements.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
4. Mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille (suite)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Nicolas Ray.
M. Nicolas Ray
C’est avec tristesse et émotion que je prends la parole car nous venons d’apprendre, il y a quelques minutes, la disparition tragique de notre collègue Olivier Marleix.
Quand j’ai été élu député de l’Allier, il y a trois ans, Olivier a été mon premier président de groupe. Il m’a donc accompagné avec bienveillance dans mes premiers pas de parlementaire. Doté d’une hauteur de vue et d’une grande capacité d’analyse, Olivier était un collègue courageux et engagé, fier de ses racines cantaliennes. Ironie du sort, il était très engagé sur cette proposition de loi, et très opposé à cette réforme. Lors de nos débats en première lecture, même si je n’étais pas en accord avec lui sur le fond, je veillais toujours à respecter ses positions et ses arguments.
Avec mes collègues du groupe, nous avons une pensée très peinée pour ses proches, pour Alain et Évelyne, ses parents, pour ses filles et pour son entourage. L’Assemblée nationale et le groupe des Républicains n’oublieront pas Olivier Marleix.
La réforme du mode d’élection des conseils municipaux à Paris, à Lyon et à Marseille, que nous examinons en deuxième lecture, renvoie à une question aussi ancienne que centrale : celle de l’efficacité du mode de scrutin et de la légitimité démocratique de nos élus.
Depuis plus de quarante ans, la loi PLM a façonné une architecture électorale spécifique à ces trois villes, qui réunissent près de 4 millions de Français. Cette architecture a certes été pensée pour répondre à des spécificités locales, mais, avec le temps, elle a montré ses limites et, parfois, ses contradictions.
Le groupe Droite républicaine ne conteste pas les spécificités historiques de ces trois grandes villes. À ce titre, l’équilibre entre la mairie centrale et les mairies d’arrondissement doit être préservé. Toutefois, nous le disons avec force : la démocratie ne doit pas s’accommoder d’exceptions durables, car celles-ci peuvent altérer la volonté populaire.
Dans certains cas, notamment à Marseille, le mode de scrutin actuel a permis par le passé de faire élire une majorité municipale qui n’avait pas recueilli la majorité des suffrages. Lorsqu’un système électoral aboutit à un tel résultat, il y a lieu de réfléchir, car il ne s’agit plus d’un simple aménagement institutionnel, mais d’une rupture avec le principe démocratique.
La réforme du mode de scrutin n’est donc pas une question d’opportunité politique : c’est une exigence démocratique. La garantie que chaque électeur, quel que soit son arrondissement ou son secteur, pèse le même poids dans le scrutin municipal, est un enjeu d’égalité, de cohérence et de légitimité.
Le retour à un mode de scrutin proche du droit commun apparaît nécessaire à nos yeux, afin de permettre aux électeurs de choisir directement leur équipe municipale, donc leur maire. C’est ce que plébiscitent la majorité des électeurs de ces communes – 91 % des Parisiens, 88 % des Marseillais et 81 % des Lyonnais.
Cependant, toute réforme électorale exige prudence, méthode et responsabilité. La modification des règles du jeu, à quelques mois d’une échéance électorale, soulève légitimement des questions et des crispations. Nous entendons ceux qui disent que cette modification arrive trop tardivement. Nous regrettons également que ce texte n’ait pas été présenté plus tôt, alors que la majorité préparait cette réforme depuis trois ans. Néanmoins, ce n’est pas la première fois qu’une telle modification intervient l’année précédant une élection : la loi PLM a été votée en novembre 1982, soit quatre mois avant les élections municipales.
La réussite de cette réforme repose sur deux grandes garanties, auxquelles nous serons attentifs. La première est celle de l’équilibre institutionnel : cette réforme doit éviter une recentralisation du pouvoir au détriment des mairies d’arrondissement. La seconde est celle de la pédagogie : le changement du mode de scrutin devra s’accompagner d’une communication claire et efficace auprès des électeurs concernés.
Notre groupe aborde cette réforme avec un esprit de responsabilité et de cohérence. En effet, dès 2007, c’est un député de nos bancs, le regretté Bernard Debré, qui avait fait cette proposition. Nous n’y voyons donc pas un enjeu partisan, mais l’occasion de corriger une anomalie démocratique.
Cette modernisation, nous l’appelons de nos vœux, à condition qu’elle se fasse avec méthode, dans le respect des équilibres politiques. C’est pourquoi le groupe Droite républicaine votera majoritairement pour ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Franck Allisio.
M. Franck Allisio
Tout d’abord, au nom du groupe Rassemblement national, je m’associe naturellement à l’hommage à notre collègue Olivier Marleix.
Nous nous retrouvons une nouvelle fois pour examiner la proposition de loi visant à réformer le mode d’élection des membres des conseils municipaux de Marseille et de Lyon ainsi que du conseil de Paris.
Notre législature, sous laquelle le premier groupe parlementaire est celui des élus du Rassemblement national, verra peut-être aboutir une réforme attendue depuis quarante ans par les Marseillais, les Lyonnais et les Parisiens et que, pourtant, aucune majorité n’avait eu, jusqu’à présent, le courage ni la détermination de mener à bien. Paradoxalement, il aura fallu une absence de majorité dans l’hémicycle pour, peut-être, trouver une majorité désireuse de démocratiser le mode d’élection dans les trois plus grandes villes de France.
Évidemment, le texte n’est pas parfait. Nous aurions notamment préféré parvenir à l’instauration d’un bulletin unique mais aucune solution technique ne s’est dégagée. Nous aurions également souhaité que les compétences entre, d’un côté, la mairie centrale et, de l’autre, les mairies de secteur à Marseille ou les mairies d’arrondissements à Lyon et Paris, mais aussi parfois entre ces dernières et leur métropole respective, soient mieux définies. Ce travail de simplification et surtout de clarification des couches de notre millefeuille administratif et bureaucratique reste à accomplir.
Nous pourrions continuer à énumérer ce qui manque ou est mal rédigé dans ce texte mais il n’en reste pas moins que les avancées l’emportent sur les imperfections.
Comme n’a jamais cessé de le défendre notre présidente Marine Le Pen, les élus du Rassemblement national voteront toujours, au sein de cet hémicycle comme ailleurs, pour toute disposition, pour tout texte de loi qui va dans le sens de l’intérêt des Français. En l’occurrence, l’intérêt des Français, c’est que leur vote et leur choix politique soient entendus et respectés. À cet égard, une élection plus directe des maires de Marseille, Lyon et Paris constitue un progrès démocratique, de même que le rétablissement du scrutin proportionnel lors des élections législatives ou encore la création d’une banque de la démocratie représenteront des avancées pour nos concitoyens.
Alors, faisons en sorte que le destin de Marseille, Lyon et Paris, c’est-à-dire de près de 4 millions de Français, ne se décide plus dans des salles aux volets clos et des arrière-boutiques, entre les deux tours, dans le dos – et sur le dos – des Marseillais, des Lyonnais et des Parisiens.
Faisons en sorte que la notion de responsabilité politique soit remise à l’honneur, que les Marseillais, les Lyonnais et les Parisiens sachent clairement pour qui et surtout pour quoi ils votent et qu’ils aient face à eux un responsable – je pense aux questions de sécurité, notamment au commandement de leur police municipale armée et à la vidéosurveillance, mais aussi à l’urbanisme, au dynamisme économique de leur ville, aux finances locales, aux impôts et aux dettes qui explosent, aux écoles de leurs enfants et petits-enfants ou encore à leurs transports publics.
Faisons en sorte, enfin, que la volonté nationale et populaire soit entendue. Je rappelle que près d’un tiers des sénateurs – peut-être davantage demain –, mais aussi plus de trois quarts des députés lors de l’examen en première lecture – et peut-être davantage à l’issue de cette nouvelle discussion – et surtout 80 à 90 % des Marseillais, des Lyonnais et des Parisiens ont formulé un souhait. Aller contre cette aspiration constituerait un déni de démocratie.
Pour toutes ces raisons, les élus du groupe Rassemblement national voteront de nouveau en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Maillard.
M. Sylvain Maillard
Je veux tout d’abord avoir une pensée pour notre collègue Olivier Marleix. J’ai eu le privilège de présider un groupe au moment où lui-même présidait celui des Républicains. Nous nous sommes opposés mais j’ai toujours eu plaisir à travailler avec lui. Je pense très fort à ses proches, à sa famille et à ses collègues. C’est évidemment une journée difficile pour nous tous.
Nous nous retrouvons une nouvelle fois pour examiner la proposition de loi que j’ai déposée avec plusieurs collègues pour réformer le mode de scrutin de Paris, Lyon et Marseille. Après avoir remercié le rapporteur pour son travail, je veux saluer la volonté du gouvernement qui a permis que ce texte poursuive son parcours dans le cadre de la navette parlementaire, conformément à notre Constitution.
Pourtant, que n’a-t-on entendu de la part des opposants à cette réforme ! Pendant deux mois, ceux-ci ont déversé leurs critiques, plus ou moins de mauvaise foi, pour s’opposer à une évolution pourtant souhaitée par 90 % des Parisiens, des Lyonnais et des Marseillais.
Certains, y compris sur ces bancs, ont même osé parler de « tripatouillage électoral ». Or le tripatouillage, c’est plutôt de défendre un mode d’élection qui permet à un maire d’être élu sans majorité des voix, comme c’est le cas actuellement. Le tripatouillage, c’est de laisser prospérer un système dans lequel la voix des habitants compte plus ou moins selon l’arrondissement où ils habitent. Le tripatouillage, c’est de clamer la main sur le cœur – comme certains dans cet hémicycle – qu’une réforme de ce mode de scrutin inique est souhaitable tout en s’opposant systématiquement à toute tentative de réforme.
Depuis quarante ans, les habitants de Paris, Lyon et Marseille réclament cette évolution. Depuis quarante ans, ils souhaitent voter directement pour la liste municipale et élire leur maire comme dans n’importe quelle autre ville de France.
Grâce à la réforme que nous proposons, les habitants pourront voter à la fois pour le maire qu’ils souhaitent pour leur ville et pour celui qu’ils veulent pour leur arrondissement. C’est une avancée démocratique indéniable.
Par ailleurs, on nous a accusés de réduire la place des maires d’arrondissement. Or, avec ce vote direct, nous donnons au contraire à ces élus de proximité une nouvelle légitimité et reconnaissons leur importance. Nous souhaitons d’ailleurs que cette évolution se poursuive grâce à un vrai travail de réflexion sur les compétences des arrondissements à Paris, Lyon et Marseille, afin de pouvoir leur octroyer, au moyen d’un prochain texte, de nouveaux moyens et des responsabilités harmonisées.
De même, avec ce nouveau mode de scrutin, nous souhaitons que les oppositions soient mieux représentées mais que, dans le même temps, une majorité municipale puisse gouverner lorsqu’elle arrive en tête. C’est ce que permet l’abaissement de la prime majoritaire à 25 % prévue par notre proposition de loi. Dans ces trois grandes villes, toutes les sensibilités doivent pouvoir s’exprimer : ce n’est pas seulement souhaitable, c’est une exigence démocratique.
Malgré ces mesures de progrès, l’adhésion massive des habitants à cette réforme et notre volonté de dialogue afin d’aboutir à davantage de consensus, nos opposants, pour la plupart guidés par des intérêts locaux particuliers, ont choisi de s’enfermer dans une campagne de dénigrement stérile sans proposer de réforme alternative. Ce n’est pas à la hauteur du débat que nous devons à nos concitoyens sur une question qui concerne 10 % du corps électoral.
J’espère qu’au cours de cette nouvelle lecture, les intérêts partisans seront mis de côté et que l’esprit de responsabilité sera davantage mobilisé pour que chacune des voix des Parisiens, des Lyonnais et des Marseillais compte.
Mme la présidente
La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien Lachaud
Je veux commencer par rendre hommage à notre collègue Olivier Marleix dont nous venons d’apprendre la disparition. Nos pensées se tournent vers sa famille, ses proches, ses collaboratrices et collaborateurs. Il n’a échappé à personne que nous siégions sur des bancs opposés dans l’hémicycle et que nous étions bien sûr en désaccord profond sur de nombreuses questions. Toutefois, certains sujets nous ont rassemblés. J’ai notamment en mémoire son sens de l’intérêt général et sa défense de la souveraineté industrielle de notre pays à l’occasion du travail qu’il avait mené en tant que président de la commission d’enquête – dont j’étais membre – sur le pillage des fleurons industriels, notamment Alstom. En lui, je salue un gaulliste conséquent, fidèle aux principes républicains et attaché au rôle de l’État et à l’indépendance de la France face aux puissances étrangères.
Notre pays est confronté à une crise démocratique. Les institutions sont de plus en plus rejetées, les électeurs désertent les urnes. Même pour les élections qui suscitent plus d’intérêt – la présidentielle et les municipales –, la participation connaît une baisse continue. Cette crise s’amplifie à mesure que grandit la certitude qu’il ne sert à rien de se rendre aux urnes. On vote mais, dans le fond, rien ne change.
Il faut dire qu’aucun des précédents scrutins ne donne tort à ceux qui pensent ainsi : François Hollande avait juré que son ennemi était la finance ;…
Mme Sophia Chikirou
Menteur !
M. Bastien Lachaud
Emmanuel Macron avait promis un nouveau monde, et même une révolution…
Mme Sophia Chikirou
Mytho !
M. Bastien Lachaud
…alors qu’il n’a fait que prolonger de façon sinistre le pire de ses prédécesseurs, aggravant la crise de régime et précipitant la montée de l’extrême droite.
Le comble fut atteint l’an dernier avec la dissolution de notre Assemblée : le résultat des élections qui se sont ensuivies a été refusé, nié, bafoué par celui-là même qui les avait convoquées. Ni le sursaut exceptionnel de participation, ni le résultat effectif du scrutin n’ont eu de conséquence sur la formation du nouveau gouvernement. C’est une personnalité issue d’un parti arrivé en cinquième position qui a été appelée à former le gouvernement et, une fois celui-ci censuré, son remplaçant a été choisi au sein d’un parti arrivé septième.
Dans ces conditions, nos concitoyennes et concitoyens ne se font guère d’illusions sur l’importance qui sera accordée à leur vote lors du prochain scrutin. Il s’agira d’élections municipales, réputées susciter davantage de participation au vu de la proximité entre les élus et les électeurs.
Ce texte vise à instaurer une élection directe et à favoriser une représentation plus proportionnelle du conseil des trois villes. Le groupe La France insoumise y est favorable car ce nouveau dispositif permettra une plus grande compréhension des enjeux du vote et une meilleure représentativité politique.
Grâce à ce texte, les citoyens pourront élire, lors du scrutin, le conseil municipal et plus seulement les conseils d’arrondissement ou de secteur. Avec l’abaissement à 25 % de la prime majoritaire, la représentation sera plus proportionnelle.
Au-delà des cas de Paris, Lyon et Marseille, nous avons voté en avril dernier pour l’instauration du scrutin proportionnel aux élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants ainsi que l’application des règles de parité.
Nous le voyons : petit à petit, la représentation proportionnelle fait son chemin dans les modes de scrutin. Pourtant, la prime majoritaire restera fixée à 50 % pour toutes les autres communes de France puisque, à l’heure actuelle, il n’est pas question de revenir sur ce système injuste. Pour notre part, nous sommes favorables à une généralisation de cette avancée démocratique à l’ensemble des communes. (M. Gabriel Amard applaudit.)
Nous devons redonner aux communes la place qui leur revient : celle de cellules de base de la démocratie. Car ce sont elles, et non les métropoles hors-sol ou les intercommunalités imposées, qui rendent possible la proximité démocratique – et qui l’incarnent. La loi Notre, la loi Maptam, la loi « 3DS » et la réforme territoriale ont concentré les pouvoirs, éloigné les décisions et affaibli les communes.
Les citoyennes et citoyens ne s’y retrouvent plus. Dans le doute, ils sollicitent leur maire, bien contraint de leur répondre que leur préoccupation ne fait plus partie de ses compétences mais relève d’une lointaine institution non élue. La défiance monte, l’opacité règne. Il est plus que temps d’abroger ces lois et de mettre fin à l’organisation de l’éloignement antidémocratique des décisions locales.
Enfin, aucune démocratie locale ne peut fonctionner sans moyens. Or l’État et ce gouvernement n’ont cessé de réduire les dotations aux collectivités tout en leur transférant toujours plus de responsabilités. En 2025, leur budget a été amputé de 7,4 milliards. Nous exigeons le rétablissement des dotations à un niveau compatible avec les missions confiées.
Ces modestes avancées ne sont évidemment pas à la hauteur de la crise institutionnelle. C’est pourquoi nous appelons à la convocation d’une Assemblée constituante pour bâtir une VIe République : une République démocratique, écologiste et sociale qui organise le retour du peuple au pouvoir – c’est-à-dire de la souveraineté populaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Delautrette.
M. Stéphane Delautrette
Les députés du groupe Socialistes et apparentés sont, eux aussi, sous le choc de la terrible disparition de notre collègue Olivier Marleix et adressent toutes leurs pensées à sa famille, à ses proches et à ses collaborateurs.
D’ici à la fin de cette semaine, le Parlement devrait adopter – sauf surprise – cette proposition de loi qui modifie profondément le mode de scrutin pour les municipales à Paris, Lyon et Marseille.
Rarement une telle réforme aura été menée dans de si mauvaises conditions. Je ne parlerai pas du calendrier car cet argument ne nous semble pas valable. Nous avons mené des réformes électorales à des échéances bien plus rapprochées des scrutins mais le motif d’intérêt général poursuivi était alors bien plus évident.
------------------Cette partie de la séance est en cours de finalisation---------------------------------------------