Première séance du mercredi 12 novembre 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au gouvernement
- Hommage aux héros et aux victimes du Bataclan
- CHU de Caen
- Attaque à Oléron
- Soutien à l’économie des territoires d’outre-mer
- Insécurité
- Sincérité budgétaire
- Attentats du 13 novembre 2015
- Attitude des forces de l’ordre lors de la manifestation à Sainte-Soline
- Devoir de vigilance
- Attentats du 13 Novembre
- Attitude des forces de l’ordre lors de la manifestation à Sainte-Soline
- 2. Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026
- Troisième partie (suite)
- Article 45 (appelé par priorité)
- Mme Véronique Riotton
- Mme Fanny Dombre Coste
- M. Thibault Bazin, rapporteur général de la commission des affaires sociales
- M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités
- Amendement no 2693
- Mme Amélie de Montchalin, ministre de l’action et des comptes publics
- Mme Sandrine Runel, rapporteure de la commission des affaires sociales
- Amendements nos 2375 et 2376
- Suspension et reprise de la séance
- Article 45 bis (appelé par priorité)
- Rappel au règlement
- Article 45 (appelé par priorité)
- Article 45 bis (suite)
- M. Paul Christophe
- M. Stéphane Viry
- M. Stéphane Peu
- M. Philippe Bonnecarrère
- M. Jean-Pierre Farandou, ministre
- Amendements nos 653, 910 et 956
- M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
- Amendements nos 2686
- Sous-amendements nos 2696, 2697, 2715 et 2708
- Amendement no 2536
- Rappel au règlement
- Suspension et reprise de la séance
- Article 44 (appelé par priorité)
- Rappel au règlement
- Article 44 (appelé par priorité - suite)
- Rappel au règlement
- Suspension et reprise de la séance
- Article 44 (appelé par priorité - suite)
- Article 42 (appelé par priorité)
- Mme Angélique Ranc
- Mme Marie-Pierre Rixain
- Mme Sarah Legrain
- Mme Céline Thiébault-Martinez
- Mme Marie-Charlotte Garin
- Mme Justine Gruet
- M. Jérémie Patrier-Leitus
- M. Thibault Bazin, rapporteur général
- Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées
- Amendements nos 641 et 1931
- Mme Anne Bergantz, rapporteure de la commission des affaires sociales
- Présidence de M. Christophe Blanchet
- Amendements nos 2387, 2388, 2389, 2390, 2391, 2392, 2404 et 996
- Rappel au règlement
- Article 42 (appelé par priorité - suite)
- Troisième partie (suite)
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Hommage aux héros et aux victimes du Bataclan
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Falorni.
M. Olivier Falorni
Avant toute chose, – si la nouvelle est confirmée – je veux vous dire ma très grande joie d’apprendre la libération de Boualem Sansal. (Les députés se lèvent et applaudissent vivement. – Les membres du gouvernement se lèvent également.)
Monsieur le ministre de l’intérieur, il y a dix ans, la France plongeait dans l’enfer d’une nuit de sang et d’horreur. Le 13 novembre 2015, le terrorisme islamiste menait une attaque d’une ampleur inédite, et d’une violence inouïe, contre notre République et ses valeurs. Dix ans après, nous n’oublions pas. Nous n’oublierons jamais les 130 victimes, les 70 enfants orphelins, les centaines de blessés. Nous avons aussi le devoir de ne jamais oublier celles et ceux qui ont tout fait pour les sauver, souvent au péril de leur propre vie : honneur à eux tous. (Les députés se lèvent et applaudissent très longuement. – Les membres du gouvernement se lèvent aussi.)
Tout le monde a célébré, à juste raison, le courage et le professionnalisme des unités spécialisées de la BRI et du Raid, qui ont libéré les otages du Bataclan. Mais beaucoup ignorent que les premiers à être entrés dans cet enfer absolu sont les policiers de la BAC de nuit de Paris, avec leurs seules armes de poing pour affronter des kalachnikovs. C’est leur commissaire et son équipier qui ont stoppé le massacre, en abattant l’un des trois terroristes. Ce sont dix-sept policiers de la BAC 75N qui ont immédiatement sécurisé la fosse et évacué les premiers blessés. Malgré tant de vies sauvées, ils ont été les héros oubliés du Bataclan. C’est pourquoi je tenais à leur dire – je l’espère, en votre nom à tous – toute notre admiration et toute notre gratitude.
N’oublions pas, n’oublions jamais, toutes les victimes et tous les héros du 13 novembre. (Les députés se lèvent et applaudissent très longuement. – Les membres du gouvernement se lèvent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nuñez, ministre de l’intérieur
Permettez-moi aussi, au nom du gouvernement, d’avoir une pensée pour les forces de sécurité intérieures intervenues ce soir-là et pour l’excellent travail qu’elles font depuis en matière de lutte contre le terrorisme, sous l’impulsion du président de la République.
Vous avez raison de souligner que les forces spécialisées sont intervenues, notamment la BRI, appuyée par le Raid, mais que ceux qui ont interrompu la tuerie et aidé à l’évacuation des victimes sont les policiers que l’on a appelés les primo-intervenants : la BAC nuit, et bien d’autres équipages, parfois ceux de police secours.
Je vous remercie pour cet hommage. Le ministre de l’intérieur que je suis et l’ensemble du gouvernement ne les ont pas oubliés. Dans mes fonctions précédentes, j’ai vu ce que ces primo-intervenants ont accompli, comme en témoigne le livre dans lequel Yvan Assioma leur a donné la parole afin de raconter ce qu’ils ont vécu cette nuit-là. Quand j’étais préfet de police, je les avais déjà autorisés à communiquer, à témoigner des horreurs vécues alors, source d’un traumatisme pour nombre d’entre eux.
Il faut leur rendre hommage, car c’est un commissaire courageux qui a fait intervenir son équipage de la BAC nuit pour interrompre la tuerie, permettant ainsi l’intervention des forces spécialisées.
Depuis, nous avons tiré toutes les conséquences de cette tuerie, en termes de renseignement mais surtout de primo-intervention. Depuis, un schéma national d’intervention a été défini, et les primo-intervenants sont équipés, armés, capables de faire face à un événement comparable. Nous le devons à l’engagement très fort du président de la République, qui a demandé que l’on applique tous ces plans d’actions grâce auxquels nous sommes désormais mieux armés, face à une menace réduite. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, Dem et LIOT.)
CHU de Caen
Mme la présidente
La parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau
Ma question s’adresse à Mme la ministre de la santé. La semaine dernière, nous apprenions la décision de ne pas accueillir d’internes dans le service d’urgence du CHU de Caen.
Avec mes collègues, le maire de Caen et le président de la communauté urbaine de Caen la mer, nous vous avions déjà alertée. Je tiens d’ailleurs à vous remercier pour la mobilisation de la réserve sanitaire, solution qui n’est malheureusement que temporaire face à une crise aiguë qui fait suite à plusieurs mois de difficultés récurrentes.
Cette décision de retrait des internes est inédite et grave car elle remet en cause deux des missions centrales d’un CHU : former et soigner.
Je tiens à apporter tout mon soutien aux internes et personnels soignants du CHU touchés par cette situation, qui n’est pas spécifique à Caen, mais reflète une faille majeure dans l’organisation de notre système de santé et plus particulièrement dans celui des urgences.
En effet, alors que nous manquons d’urgentistes hospitaliers, les hôpitaux publics peuvent se livrer à une concurrence malsaine – comme dans le Calvados – aboutissant à une répartition des praticiens sans lien avec le nombre de patients accueillis sur chaque site.
Cette situation découle de problèmes d’ordre organisationnel à l’échelle du groupement hospitalier de territoire, mais aussi d’un manque d’attractivité de l’hôpital public, notamment pour les missions à fortes contraintes, comme les urgences.
Le gouvernement compte-t-il engager un travail de fond sur l’attractivité de l’hôpital public, notamment du métier de médecin urgentiste ? Le gouvernement compte-t-il doter les ARS ou les GHT d’outils juridiques leur permettant de mieux organiser les soins, en obligeant à une coopération entre établissements aboutissant à la création d’équipes médicales de territoire, ou à tout le moins à la définition d’une quotité obligatoire de travail dans l’établissement support pour tout praticien urgentiste dans un même territoire ?
Les élus locaux et moi-même nous tenons à votre disposition pour évoquer plus longuement la situation. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT ainsi que sur quelques bancs des groupes SOC et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées
Je vous remercie pour votre question concernant le CHU de Caen, notamment son service d’urgence, où les internes, qui devaient prendre leur stage de six mois au 1er novembre, ne sont pas arrivés du fait de l’absence d’encadrants, si bien que pendant six mois, ce service d’urgence n’aura pas d’interne.
Notre pays compte 612 services d’urgences que nous suivons de très près en essayant notamment d’anticiper, de prévenir et d’agir avant d’en arriver à ces situations difficiles.
D’ailleurs, il me semble important, alors que l’épidémie hivernale arrive, de rappeler à nos concitoyens que la vaccination contre la grippe, quand on a plus de 65 ans et qu’on est fragile, évitera l’encombrement excessif de nos services d’urgences dans les semaines qui viennent.
Pour revenir au CHU Caen, nous avons immédiatement pris des mesures. Tout d’abord, j’ai demandé à l’ARS de diligenter un rapport pour comprendre les raisons de ces difficultés. Ensuite, nous avons envoyé de la réserve sanitaire composée d’urgentistes qui vont consolider et soutenir l’équipe actuelle. Enfin, nous avons permis, avec la prime de solidarité territoriale, que les urgentistes des autres établissements puissent venir renforcer l’équipe. Nous avons donc activé les différents leviers possibles. Je remercie d’ailleurs les professionnels qui s’activent pour faire fonctionner ce service – certes régulé par le Samu, les personnes devant d’abord appeler le 15 pour s’y rendre.
Vous demandez comment nous allons avancer, notamment dans les groupements hospitaliers de territoire. C’est un enjeu très important, puisque plusieurs rapports montrent qu’ils aident les établissements les plus en difficulté là où ils fonctionnent.
Attaque à Oléron
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Plassard.
M. Christophe Plassard
Le groupe Horizons s’associe aux hommages rendus à l’ensemble des victimes du 13 novembre.
Monsieur le ministre de l’intérieur, il y a une semaine, l’île d’Oléron a connu l’impensable : trente minutes d’une chevauchée automobile qui avait pour but de tuer. Avez-vous des nouvelles des victimes, de l’enquête et de la perspective d’un procès ?
M’exprimer sur ce drame est délicat tant chaque prise de parole doit être mesurée dans de telles circonstances. Je pense que notre assemblée ne pourra que partager mes pensées pour ceux qui ont vécu ce funeste événement et, plus globalement, pour les habitants de ce territoire paisible, attaché à sa solidarité et à sa tranquillité. Je pense d’abord aux cinq victimes touchées dans leur chair, mais aussi à ceux qui ont échappé à cette catastrophe. Ensuite à tous ceux qui ont été impliqués, les habitants secourant et alertant, puis la chaîne de solidarité, d’aide et d’action composée des élus municipaux, de la police, des pompiers, de la préfecture, de la gendarmerie, du Samu, coordonnés avec efficacité par les services de l’État.
Tous ont permis d’éviter un bilan plus tragique. Chaque maillon de cette chaîne a été solide, résistant, efficace.
Je vous remercie de m’avoir aussitôt prévenu, d’avoir décidé de vous rendre sur place et de m’avoir proposé de vous accompagner grâce à la logistique de l’État. Notre collègue Pascal Markowsky, dont la collaboratrice parlementaire est parmi les victimes, s’est également joint à nous.
Votre présence a été un signe fort et apprécié de tous. Je sais combien la brutalité de cette journée a fait basculer la vie de nombreuses personnes. Après le temps des soins, vient celui de la reconstruction physique et psychologique, puis le parcours judiciaire et, nous le souhaitons, le procès.
D’ailleurs, la population s’interroge : l’auteur des faits, un marginal mis en examen pour tentatives d’assassinats, serait atteint d’un trouble altérant son discernement. Beaucoup craignent que cela n’aboutisse à une irresponsabilité pénale totale, qui susciterait incompréhension et colère.
Alors, de façon posée, sans polémique et dans le respect des victimes, pouvez-vous répondre à mes questions afin d’éclairer les Oléronais, et plus généralement les Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – M. Olivier Falorni applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nuñez, ministre de l’intérieur
Merci de m’avoir accompagné sur le terrain, avec Pascal Markowsky, dont la collaboratrice a été gravement touchée. J’ai une pensée pour les personnes blessées : une autre personne se trouve toujours en urgence absolue, et trois autres ont des blessures plus légères. À ma connaissance, ils sont toujours dans un état grave même si leur pronostic vital n’est plus engagé.
Merci d’avoir salué la promptitude de l’intervention des forces de sécurité. Je salue les gendarmes, notamment ceux de la brigade territoriale de Saint-Pierre-d’Oléron, qui se sont mobilisés et ont permis de mettre fin à ce que j’ai immédiatement qualifié de périple meurtrier. Merci également aux sapeurs-pompiers, et aux secouristes qui sont intervenus.
Y aura-t-il un jugement ou pas ? Le Parquet national antiterroriste ne s’est pas saisi, mais le procureur a communiqué de façon très claire en ne parlant pas d’abolition mais d’altération du discernement. La personne a été entendue, elle est actuellement écrouée. J’ai donc toutes les raisons de penser que le procès aura lieu et que ce criminel aura à répondre de ses actes.
Vous avez eu raison de souligner son comportement, qui nous a tous interrogés. Même si le procureur national antiterroriste a tranché, le périple meurtrier de cette personne est extrêmement grave – d’autant plus qu’elle a invoqué un certain nombre de références religieuses.
L’attaque n’a fait que renforcer la détermination des forces de sécurité intérieure et des services de renseignement à repérer ces individus.
Je vous remercie une fois de plus, ainsi que M. Pascal Markowsky, de m’avoir accompagné sur l’île d’Oléron au lendemain de ce très triste événement, il y a huit jours. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Soutien à l’économie des territoires d’outre-mer
Mme la présidente
La parole est à M. Davy Rimane.
M. Davy Rimane
Monsieur le premier ministre, vous avez annoncé que le gouvernement renonçait à raboter les exonérations créées par la loi pour le développement économique des outre-mer, ce qu’il prévoyait initialement de faire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. C’est une bonne nouvelle.
Vous reconnaissez enfin que les économies ultramarines ne peuvent être traitées comme celles de l’Hexagone. Votre recul n’est pas tombé du ciel : il est le fruit de la mobilisation de parlementaires ultramarins de tous bords, qui ont su parler d’une seule voix pour défendre leurs territoires et rappeler que l’égalité réelle ne se renégocie pas à chaque échéance budgétaire.
En réalité, vous desserrez le poing pour mieux serrer la ceinture : votre projet de loi de finances s’en prend désormais au régime d’aide fiscale à l’investissement productif, un outil vital pour nos entreprises. Le Rafip n’a pourtant rien d’un privilège, car il compense des inégalités structurelles bien connues, liées aux coûts du fret, des matériaux, de l’énergie, du logement ou encore du crédit bancaire.
Sans lui, produire localement deviendrait tout simplement impossible. En clair, c’est un instrument de cohésion et de compétitivité indispensable à nos territoires. Le gouvernement l’a pourtant fait figurer parmi les vingt-trois niches fiscales à repenser pour économiser 5 milliards d’euros.
Dans le même temps, la mission Outre-mer voit ses crédits amputés de près de 600 millions en autorisations d’engagements et de plus de 150 millions d’euros en crédits de paiements, tandis que le budget de la défense augmente de 7 milliards.
En renonçant à diminuer les exonérations liées à la Lodeom, vous avez franchi un premier pas. Mais alors que vous corrigez une erreur dans le PLFSS, les outre-mer restent traités comme de simples lignes comptables dans le PLF.
Vous êtes bien placé pour savoir que la puissance de la France ne se mesure qu’à l’aune des territoires ultramarins qui la composent encore. Pourriez-vous nous indiquer clairement si vous comptez renoncer à ces coupes, pour assumer pleinement une politique de développement des outre-mer et abandonner une gestion comptable qui n’assure que leur survie. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
Avant de répondre à votre question, vous me permettrez d’exprimer, au nom du président de la République, notre soulagement à l’annonce de la grâce de Boualem Sansal par les autorités algériennes. Nous souhaitons qu’il puisse rejoindre ses proches et être soigné au plus vite.
Je tiens à remercier du fond du cœur celles et ceux qui ont contribué à cette libération, fruit d’une méthode pleine de respect et de calme. (Les députés des groupes EPR, SOC, DR, EcoS, Dem, HOR, LIOT et GDR, quelques députés des groupes RN et LFI-NFP ainsi que MM. Philippe Bonnecarrère et Lionel Vuibert se lèvent et applaudissent.)
C’est en tant que député de Guyane et président de la délégation aux outre-mer que vous me posez votre question. Je salue la manière dont vous menez, depuis quinze jours, un travail méthodique et transpartisan sur la question, essentielle et centrale, du modèle économique et productif de chaque territoire d’outre-mer.
La réalité nous impose de dire que certains enjeux sont transverses et communs à tous ces territoires, mais que le traitement des autres exige une adaptation forte, en fonction de la situation géographique, économique voire institutionnelle locale.
Le volet social de la Lodeom a jadis été pensé par le législateur comme une protection de l’emploi ultramarin. Vous m’interpellez aussi sur les niches fiscales que le législateur avait pensées pour répondre à la nécessité d’accompagner l’investissement productif. Ces deux dispositifs ont, en partie, fonctionné.
L’application de la Lodeom a permis une baisse importante du chômage dans certains territoires, malgré ses imperfections en matière d’accompagnement des bas salaires. Dans le passé, les niches fiscales ont également porté leurs fruits, particulièrement dans les secteurs de l’agroalimentaire, du tourisme ou du BTP. Toutefois, leur objectif initial – celui de transformer toute l’économie ultramarine – n’a pas été atteint.
Le gouvernement ne profitera pas de la navette parlementaire pour revenir sur le vote du Parlement au sujet de la Lodeom.
M. Thibault Bazin
Heureusement !
Mme Estelle Youssouffa
Même à Mayotte ?
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
S’agissant des amendements issus du travail transpartisan que vous avez engagé au sujet des niches fiscales, le gouvernement s’en remettra à la sagesse des députés.
Je veux même aller plus loin et répondre à certaines de vos attentes, en réalisant enfin l’étude d’impact, territoire par territoire, que vous avez demandée à plusieurs reprises. Elle permettra d’identifier des effets positifs – il y en a – et des effets négatifs – il y en a aussi –, en fonction de la situation économique de chaque territoire, puis d’avancer vers un modèle productif et économique plus global. Elle devra également traiter des freins européens que nous aurons à lever, comme le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité ou l’encadrement de la pêche et de l’économie du bois.
Dans certains cas, il faudra adapter et non raboter ces niches fiscales. C’est ainsi que nous aurons un effet de levier efficace et suivrons enfin un modèle économique qui va de l’avant.
Les mécanismes que nous évoquons ont tous été imaginés par nos anciens, qui souhaitaient permettre l’égalité réelle et l’émancipation économique des territoires. Aujourd’hui, une forme de dépendance aux outils dont nous avons hérité s’est installée. Vous et moi pouvons constater qu’ils atteignent leurs limites : il nous appartient donc d’inventer de nouvelles mesures.
Je vous propose de consacrer les prochaines semaines à l’adaptation de ces outils, non pas pour diminuer leur portée mais pour assurer le développement de l’économie, de l’emploi et de la consommation dans les outre-mer. Le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer prolongera ce travail, puisqu’on sait très bien qu’on ne peut pas parler de modèle productif sans parler de consommation, et fournira l’occasion d’objectiver les marges et les monopoles.
M. Hervé de Lépinau
Pour en finir avec la vie chère, il faut diminuer les taxes !
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
Tel qu’adopté par le Sénat, ce projet de loi ne vous convient pas complètement, je le sais. Profitons de sa lecture à l’Assemblée nationale pour le muscler jusqu’à ce qu’il réponde aux attentes que formulent nos concitoyens d’outre-mer vis-à-vis du gouvernement, du Parlement et de la solidarité nationale tout entière. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme Estelle Youssouffa
Et la Lodeom à Mayotte alors ?
Mme la présidente
La parole est à M. Davy Rimane.
M. Davy Rimane
Nous ne voulons pas dépendre d’aides mais souhaitons que les territoires ultramarins soient capables de produire, que leur économie soit résiliente.
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
Exactement !
M. Davy Rimane
Je salue moi aussi la libération de Boualem Sansal, mais je rappelle à la représentation nationale que Steeve Rouyar, originaire de la Guadeloupe, est toujours emprisonné à Lomé. J’attends du gouvernement qu’il fasse preuve de la même célérité pour le faire sortir des geôles togolaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Insécurité
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Fayssat.
M. Olivier Fayssat
Le groupe UDR salue à son tour la libération de Boualem Sansal et remercie l’Allemagne qui a joué un rôle déterminant.
Les chiffres de l’insécurité en France en octobre 2025 viennent de tomber. Que révèlent-ils ? Une France qui sombre, une France qui saigne, une France qui devient, jour après jour, une véritable France Orange mécanique.
Regardez-les en face ! Escroqueries en hausse de 9 %. Homicides en hausse de 8 % : 73 morts de plus, 73 vies fauchées, 73 familles brisées. Violences sexuelles en hausse de 7 %. Agressions en hausse de 4 %. Vols avec violence en hausse de 3 %. Actes de vandalisme en hausse de 3 %. Même le nombre de vols sans violence, qui baissait jusqu’à présent, repart à la hausse et progresse de 4 %.
Mme Dieynaba Diop
Ce bilan est le vôtre !
M. Olivier Fayssat
J’imagine déjà que vous vous voudrez rassurant dans votre réponse, mais je vous parle au nom des Français qui ne sont ni préfets de police ni ministre de l’intérieur. Là où vous êtes, vous ne vivez plus dans le réel. Or la rue brûle ! Je viens vous parler des vraies gens, de ceux qui voient, de ceux qui vivent, de ceux qui subissent une insécurité bien plus réelle que ces chiffres abstraits. Les Français ne se sentent plus en sécurité nulle part, ni dans leur quartier, ni dans le métro, ni devant chez eux. C’est le chaos sécuritaire !
Mme Dieynaba Diop
C’est vrai qu’un préfet de police ne sait pas de quoi il parle !
M. Olivier Fayssat
C’est l’ensauvagement d’une nation autrefois fière, autrefois respectée, autrefois protégée.
Vous persistez dans votre négationnisme sécuritaire. Vous niez le lien évident, criant, entre immigration incontrôlée et explosion de l’insécurité.
Mme Florence Herouin-Léautey
Oh là là !
Mme Anna Pic
Non mais franchement !
M. Olivier Fayssat
Quelles mesures concrètes, immédiates, radicales allez-vous enfin prendre pour mettre fin à cet ensauvagement, pour rendre la rue aux Français, pour que nos enfants puissent rentrer seuls de l’école et pour que nos femmes cessent d’avoir peur le soir ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nuñez, ministre de l’intérieur
Loin de moi l’idée de vous tenir un discours rassurant : je suis un homme d’action et, à la tête des policiers et des gendarmes, je suis dans l’action tous les jours pour lutter contre la délinquance.
Je ne conteste pas les chiffres que vous citez et qui sont ceux du mois d’octobre seulement. Il est toujours préférable de s’intéresser à des séries plus longues, qui révèlent par exemple que le nombre de cambriolages a diminué de 5 % depuis le début de l’année, le nombre de vols avec violence de 5 %, le nombre de vols de véhicules de 9 % et le nombre de vols dans les véhicules de 6 %. Le nombre de trafiquants mis en cause explose.
Il y a donc d’autres chiffres, d’autres façons de présenter la délinquance.
Je peux vous dire que nous sommes sur le terrain, en action.
M. Nicolas Meizonnet
Que faites-vous concrètement ?
M. Laurent Nuñez, ministre
Je ne suis pas loin des réalités, je les connais aussi bien que vous, grâce à mon passage à la préfecture de police de Paris et à mon expérience des quartiers nord de Bourges, ville dont je suis originaire. Nous sommes présents sur le territoire et les renforts octroyés depuis l’élection du président Macron en 2017 ont amélioré notre présence dans l’espace public.
M. Pierre Cordier
Cessez de citer tout le temps le président de la République, ça ne vous vaudra aucun bon point !
M. Thibault Bazin
Il y en a au moins un qui s’en réclame encore !
M. Laurent Nuñez, ministre
Le PLF pour 2026 prévoit des effectifs supplémentaires et nous poursuivrons notre lutte contre le trafic de stupéfiants.
Le narcotrafic est à l’origine de bien des phénomènes de délinquance. Les vols avec violence, les séquestrations, les règlements de compte et les homicides. Nous poursuivrons le combat et nous continuerons à démanteler les réseaux de trafic de stupéfiants. Nous continuerons à lutter contre les vols avec violence comme nous le faisons.
Je ne nie pas la réalité, je ne dis pas que le verre est plein : il reste beaucoup à faire. Je regarde la situation avec beaucoup de lucidité, avec beaucoup de courage et beaucoup de détermination, à la tête des femmes et des hommes que je dirige.
Sincérité budgétaire
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
M. Jean-Philippe Tanguy
Permettez-moi, au nom de mon groupe, de saluer avec beaucoup d’émotion la libération de Boualem Sansal et d’adresser nos pensées à notre compatriote Christophe Gleizes, toujours injustement emprisonné en Algérie.
Monsieur le premier ministre, comme tous les macronistes, vous saviez qu’Emmanuel Macron ruinait la France. Comme tous les macronistes, vous avez laissé Emmanuel Macron ruiner la France. Et comme tous les macronistes, vous avez couvert et couvrez encore les mensonges d’État qui ont permis la ruine de la France.
Bref, comme tous les socialo-macronistes ici présents,…
Mme Dieynaba Diop
Ah ! Ça faisait longtemps !
M. Jean-Philippe Tanguy
…vous avez, directement, par complicité ou par recel, été pris en flagrant délit de faillite frauduleuse par le Rassemblement national.
Mme Laure Miller
Rendez l’argent !
Mme Dieynaba Diop
Rendez les 4 millions que vous avez volés à l’Europe !
M. Jean-Philippe Tanguy
À votre culpabilité évidente, vous ajoutez l’indécence de vos pleurnicheries, pareilles à celle d’un enfant gâté qui, pris la main dans le sac, accuserait un ami imaginaire ! Il n’y a que la caste médiatique pour gober encore les fausses confessions de Bruno Le Maire, qui s’invente une vie de lanceur d’alerte alors qu’il est le cœur battant de l’escroquerie d’État. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN et UDR.)
Dès 2023, le RN dénonçait les comptes insincères que vous présentiez au Parlement.
M. Hervé de Lépinau
Eh oui !
M. Jean-Philippe Tanguy
Dès février 2024, nous affirmions que vous mentiez volontairement aux Français sur l’état des comptes.
Mme Dieynaba Diop
Plus c’est gros, plus ça passe !
M. Jean-Philippe Tanguy
Quelques semaines plus tard, notre groupe vous sommait de présenter une loi de finances rectificative. Vous avez refusé de le faire et nous avons donc tenté de vous censurer. Aucun des groupes ici présents n’a soutenu la censure du Rassemblement national.
Mme Dieynaba Diop
Jamais !
M. Jean-Philippe Tanguy
Et pour cause, il y avait les élections européennes ! Il fallait encore mentir aux électeurs et essayer d’acheter les voix, jusqu’au bout. Quand Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale, c’était évidemment pour cacher son véritable bilan, celui d’un homme passé des banques à la banqueroute ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme Béatrice Bellay
Rendez l’argent !
M. Jean-Philippe Tanguy
Tous les députés qui ont participé au front républicain contre le RN sont complices de cette arnaque et de la ruine macroniste. Monsieur le premier ministre, qu’allez-vous faire contre tous ceux qui ont enfreint la Constitution et la loi organique relative aux lois de finances ?
Mme Laure Miller
Taisez-vous !
M. Jean-Philippe Tanguy
Qu’allez-vous faire contre les Kohler, Le Maire, Borne, Attal et tant d’autres, tous complices et tous coupables ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Mme Justine Gruet applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’action et des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l’action et des comptes publics
Nous nous attachons à respecter les compromis trouvés par les députés. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Nous étions en commission des finances ce matin, où nous avons indiqué que, pour la première fois depuis quelques années, l’objectif de déficit, de 5,4 % pour l’année prochaine serait tenu.
M. Jean-Philippe Tanguy
C’est faux !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Le Haut Conseil des finances publiques indique que notre estimation est crédible et réaliste. L’objectif sera tenu parce que nous avons fait preuve de transparence durant toute l’année 2025 : nous avons réuni les comités d’alerte, partagé les informations avec l’ensemble des parlementaires en avril dernier, puis à nouveau en juin, jusqu’à la présentation, ce matin, en commission des finances de l’Assemblée et du Sénat, d’un projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025 qui sera examiné en séance lundi prochain et qui montrera précisément que cette année – puisque vous demandiez ce que nous faisions –, nous avons fait notre devoir, savoir respecter le vote du Parlement en tenant le déficit.
M. Jean-Philippe Tanguy
Avec 25 milliards d’impôts en plus !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Le lexique que vous avez utilisé est celui du procès : selon vous, il y aurait des coupables, des arnaques, des mensonges (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe RN), des complicités et des recels. (Mêmes mouvements.) Dans notre pays, quand une action politique est mise en cause, il est toujours possible de saisir la Cour de justice de la République. Vous ne pouvez pas impunément considérer des actions politiques comme non conformes à la Constitution sans appuyer vos accusations sur des éléments tangibles. Je crois que le gouvernement a agi de manière transparente en transmettant toutes les données et tous les documents. Nous sommes sous le regard permanent du Haut Conseil des finances publiques qui n’a jamais indiqué que le budget était insincère. Si c’était le cas, jamais les textes n’auraient pu être évalués et examinés. Tâchons de nous montrer responsables, dans nos actions comme dans nos propos.
Attentats du 13 novembre 2015
Mme la présidente
La parole est à Mme Pauline Levasseur.
Mme Pauline Levasseur
S’il est un territoire qui connaît le coût de la douleur, le prix des larmes et l’horreur du terrorisme, c’est ma ville d’Arras. Au lycée Gambetta d’Arras, Dominique Bernard a été sauvagement assassiné en défendant son établissement, en défendant ses élèves, en défendant le savoir et la liberté.
Monsieur le ministre de l’intérieur, la France commémorera demain le triste anniversaire des attentats du 13 novembre. En quelques minutes, plus d’une centaine de nos compatriotes y ont perdu la vie, des centaines ont été blessés et tout un pays a été marqué à jamais par cette attaque monstrueuse de l’islamisme contre la France. Une fois de plus, je veux, avec vous toutes et tous, rendre hommage aux victimes, à leurs familles et à leurs proches. Je veux saluer l’action exceptionnelle de nos forces de l’ordre, de nos forces de secours et de nos services de renseignement. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem, HOR et LIOT ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Après cet attentat, il y a eu Nice, Saint-Étienne-du-Rouvray, le parvis de la gare Saint-Charles, le marché de Noël de Strasbourg ; il y a eu l’assassinat de Samuel Paty, comme une attaque frontale contre notre liberté, contre toutes nos valeurs ; puis il y a eu Dominique Bernard, à Arras.
Avec Gabriel Attal et les députés du groupe EPR, nous avons la conviction que nous ne devons jamais baisser la garde, ni contre le terrorisme ni contre l’islamisme – ni contre la radicalisation et l’entrisme, qui en sont les terreaux. Nous avons beaucoup agi depuis 2017. Nous avons fait des propositions et nous sommes prêts à en faire encore, prêts à vous soutenir et vous appuyer. Comment comptez-vous continuer à agir contre la menace terroriste islamiste dans le pays ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nuñez, ministre de l’intérieur
Merci d’avoir salué les forces de sécurité intérieures. Depuis 2015, nous n’avons eu de cesse d’adapter l’appareil de lutte contre la menace terroriste et contre le terrorisme. Je dis bien depuis 2015, et je veux d’ailleurs saluer l’action du président François Hollande en la matière (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes EPR, SOC et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR), comme celle de deux de mes prédécesseurs au ministère de l’intérieur, MM. Cazeneuve et Valls ainsi que celle du président de la République Emmanuel Macron qui s’est emparé du sujet en 2017 – jusqu’à la promulgation de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Bref, grâce à l’ensemble des ministres de l’intérieur et des gardes des sceaux qui se sont succédé, nous n’avons pas cessé de renforcer notre dispositif. Par ailleurs, les budgets des services de renseignement ont été doublés et les effectifs ont été augmentés de manière significative.
Désormais, nous disposons d’un arsenal juridique qui permet de mieux contraindre les personnes, d’un arsenal en matière de renseignement qui permet de mieux détecter les menaces. Des efforts budgétaires considérables ont été consentis. Si les mailles du filet se sont resserrées, le risque zéro n’existera évidemment jamais, prétendre le contraire serait mentir aux Français. Nous avons néanmoins réduit le risque de manière significative.
Les services de renseignements continuent à travailler. Vous avez cité la radicalisation violente, le terrorisme. Nous nous sommes aussi attaqués au séparatisme. Le président de la République et le premier ministre l’ont annoncé : nous poursuivrons cette action en ciblant l’entrisme – l’islamisme politique qui ne dit pas son nom, qui vise à imposer une loi religieuse et qui diffuse ses idées dans la société.
Il y a encore du pain sur la planche, évidemment, mais à la veille de la commémoration du terrible drame du 13 novembre, je veux surtout saluer les efforts qui ont été déployés. On ne peut pas laisser dire que rien n’a été fait contre la menace terroriste : nous le devons à tous les pouvoirs qui se sont succédé depuis 2015 et qui ont permis aux services de disposer des moyens efficaces pour lutter contre elle. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Attitude des forces de l’ordre lors de la manifestation à Sainte-Soline
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir.
Mme Anne Stambach-Terrenoir
« Je ne compte plus les mecs qu’on a éborgnés », « Un vrai kif », « Vous balancez en tendu ! », « Bien joué, en pleine gueule ! », « Faut qu’on les tue », « J’ai signé pour ça, mec, j’ai attendu dix ans de gendarmerie pour vivre ça », « Dans le cortège y’avait des gamins ? C’est le jeu, fallait pas les emmener ! ». Tels sont quelques-uns des propos enregistrés par les caméras embarquées des gendarmes à Saint-Soline, le 25 mars 2023.
Un député du groupe LFI-NFP
Quelle honte !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Ce jour-là, une manifestation joyeuse… (Vives exclamations sur les bancs des groupes RN, DR, HOR et sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
M. Fabrice Brun
Ultraviolente, vous voulez dire !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
…s’était élancée à travers champs ; des gens de tous âges, pique-nique dans le sac à dos ; on rit, on chante ; et puis le chaos ; 5 000 grenades tirées en quelques heures ; les cris, les larmes, le sang. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
Je revois cette jeune fille, portée par plusieurs personnes, et ces mots : « Elle n’a plus de mâchoire ! ». Je revois ce tout jeune homme, qui pleurait dans mes bras, et cet autre, la joue à moitié arrachée, prêt à se faire recoudre immédiatement, sans anesthésie. Je revois tous ces visages ensanglantés, tous ces gens qui boitaient, tous ces blessés dans des couvertures de survie, allongés dans la boue (Vives exclamations sur les bancs du groupe RN), que nous avons essayé de protéger par une chaîne humaine (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS), laquelle fut défaite par des tirs tendus de lacrymos depuis des quads lancés à toute allure – légitime défense, selon l’Inspection générale de la gendarmerie nationale !
J’entends encore cette soignante paniquée : « Mais il faut leur dire, c’est n’importe quoi, je m’en suis pris plein la gueule en allant récupérer les blessés ! » (Exclamations sur les bancs du groupe DR et plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Philippe Ballard
C’est Verdun, là !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Quant à Serge, entre la vie et la mort, il attendra trois heures avant d’être héliporté. Au bout du compte : 200 blessés, dont quatre gravissimes, et des témoignages terrifiants. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Trop occupé à attaquer les Soulèvements de la Terre et la Ligue des droits de l’homme, le ministre Gérald Darmanin, n’a pas jugé bon de demander une enquête administrative ! L’IGGN possède les images depuis deux ans mais personne n’a manifestement considéré que pouvait constituer une faute grave le fait que des gradés ordonnent des tirs tendus potentiellement mortels, ou que des gardiens de la paix se réjouissent de faire des blessés ? (Mêmes mouvements.)
M. Fabrice Brun
Nous sommes pour la présomption de légitime défense des forces de l’ordre !
Mme Anne Stambach-Terrenoir
La nation vous écoute, monsieur le ministre de l’intérieur. S’il ne s’agissait pas d’une stratégie délibérée de répression ultraviolente de vos opposants, je vous demande au nom de Serge, d’Alix, d’Olivier, de Mickaël et de tous les autres : pourquoi n’avez-vous rien fait, rien dit, pourquoi n’avez-vous sanctionné personne en deux ans et demi ? (Plusieurs députés du groupe RN désignent la sortie de l’hémicycle à l’oratrice. – Applaudissements nourris sur les bancs du groupe LFI-NFP, dont plusieurs députés se lèvent. – Plusieurs députés du groupe EcoS applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nuñez, ministre de l’intérieur
Tout d’abord, il s’agissait d’une manifestation interdite, pas d’une manifestation joyeuse. Ce jour-là, les gendarmes ont eu à faire face à une violence sans nom, inégalée, inédite. (Vives protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Anne Stambach-Terrenoir
C’est faux !
M. Laurent Nuñez, ministre
Ils ont reçu des projectiles, leurs fourgons ont été incendiés. Il est bon de rappeler le contexte… (MM. Gabriel Amard et René Pilato se lèvent.)
M. Gabriel Amard et M. René Pilato
On y était, nous ! Ce que vous dites n’est pas vrai !
M. Laurent Nuñez, ministre
L’ordre a été maintenu. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN, EPR et HOR.)
Ensuite, vous citez des propos relayés par les médias qui sont, je vous le dis sans détour, intolérables et inacceptables. (Les exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP persistent.) C’est la raison pour laquelle j’ai demandé l’ouverture d’une enquête administrative. Elle aura lieu : les gendarmes qui ont tenu ces propos ou fait usage de leur arme dans des conditions qui ne semblent pas réglementaires seront entendus ; s’il doit y avoir des sanctions, il y en aura.
Croyez bien que le ministre de l’intérieur que je suis, que le directeur général de la gendarmerie et que l’ensemble de l’institution condamnent évidemment ces propos. Une enquête administrative est en cours. (Mêmes mouvements.)
Mme Ségolène Amiot
Vous avez mis deux ans à vous en rendre compte ?
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Que s’est-il passé pendant deux ans ?
M. Laurent Nuñez, ministre
Je vais vous l’expliquer, comme je l’ai fait dans les médias : après que quatre manifestants qui ont été blessés ont déposé plainte, une enquête judiciaire a été ouverte, laquelle a permis de saisir l’ensemble des caméras, dont les caméras-piétons des gendarmes aujourd’hui mis en cause. Jusqu’à ce jour, nous n’avions pas accès à ces vidéos ! (Mêmes mouvements.) Elles viennent d’être rendues publiques, ce qui explique que nous ayons pu en prendre connaissance.
Mme Anne Stambach-Terrenoir
Vous pouviez ouvrir une enquête !
M. Laurent Nuñez, ministre
Quoi qu’il en soit, c’est le parquet de Rennes, compétent dans cette affaire, qui mène les investigations dans le cadre de l’enquête ouverte après les dépôts de plainte des quatre personnes blessées le jour de la manifestation à Sainte-Soline, en 2023. C’est lui qui dispose de ces vidéos. Le cas échéant, je ne doute pas qu’il y donnera suite. Cependant, j’ai bien noté qu’il précisait dans son communiqué de presse qu’aucune action publique n’était engagée à ce jour.
M. René Pilato
Darmanin, démission !
M. Laurent Nuñez, ministre
Mon enquête administrative, quant à elle, prospérera ! (« Excellent ! » et applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur plusieurs bancs du groupe Dem.)
Devoir de vigilance
Mme la présidente
La parole est à M. Dominique Potier.
M. Dominique Potier
Le groupe socialiste exprime sa joie après l’annonce de la libération de Boualem Sansal. Nous appelons également à celle de Christophe Gleizes, auquel nous adressons un salut fraternel. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe Dem.)
Dix ans après le Bataclan, je voudrais rappeler avec émotion la position de mon groupe : nous condamnons sans aucune ambiguïté le terrorisme islamiste ; nous exprimons notre gratitude totale envers les soignants et les forces de sécurité qui ont été les visages bleus, blancs et rouges de la France (Mêmes mouvements), et également notre fierté d’appartenir à une nation civique, rassemblée à l’époque autour du président de la République François Hollande pour s’opposer à la barbarie et rappeler les valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem et GDR.)
M. Pierre Cordier
Finalement, il n’était pas si mal !
M. Fabrice Brun
Il y a prescription !
M. Dominique Potier
Il y a dix ans se tenait également la COP15, moment historique dans la lutte contre le dérèglement climatique, qui permit de définir une trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Dix ans après, à Belém, lieu de la COP30, il faut admettre que l’humanité a échoué à limiter la hausse des températures à moins de 1,5 degré Celsius.
La force d’une nation ne réside pas uniquement dans son unité, mais dans la cohérence entre sa parole et ses actes. Or lorsque le président de la République nous engage à voter un accord avec le Mercosur qui pourrait entraîner le rejet de 100 à 500 millions de tonnes de CO2 en détruisant les prairies de nos éleveurs ainsi que les forêts d’Amazonie, nous démontrons notre incohérence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes EcoS et GDR. – MM. Erwan Balanant et Hervé Berville applaudissent également.) Nous démontrons notre incohérence lorsque nous divisons par deux l’aide publique au développement, contrairement à tous les engagements pris dans la loi de 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales !
Enfin, nous serions encore incohérents si Roland Lescure, actuellement à Bruxelles, défendait, au nom de la France, une position conduisant à la destruction du pacte vert pour l’Europe, en particulier le devoir de vigilance qui impose aux multinationales de respecter les droits de l’homme, de lutter contre le travail des enfants et contre tout ce qui détruit notre planète ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe GDR. – M. Jimmy Pahun applaudit aussi.)
Alors que le Parlement européen doit se prononcer sur la directive omnibus et à la veille du trilogue, la France s’engage-t-elle à ce que la responsabilité civile reste la règle du droit des multinationales ? Privilégiez-vous la responsabilité sur l’impunité de ceux qui disposent du pouvoir économique ? Faites-vous le choix d’une Europe du droit et de la justice dans la mondialisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, dont plusieurs députés se lèvent. – Les députés des groupes EcoS et GDR applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique.
Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique
Je vous remercie pour votre question. Je connais votre engagement en faveur du devoir de vigilance des entreprises. Je vous prie d’excuser l’absence de Roland Lescure, qui est effectivement à Bruxelles.
Le contexte commercial dans lequel nous évoluons se caractérise par une pression extrême, tandis que nos compétiteurs n’hésitent pas à mener des actions de prédation. L’Europe ne peut évidemment pas rester spectatrice et subir ces agressions commerciales. Il y va de sa souveraineté. Le rapport de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne a d’ailleurs alerté les pays de l’Union sur un risque de décrochage, en l’absence de réaction. Or on estime que 10 points de croissance sont perdus à cause des charges réglementaires européennes. Nous avons donc un devoir de simplification envers les entreprises.
La France, si cela peut vous rassurer, tient une position équilibrée. Nous marchons sur deux jambes, avec à la fois l’ambition de simplifier les règles administratives, de jouer à armes égales sur le plan industriel et économique, et, en même temps, de défendre nos valeurs avec force.
Mme Élisa Martin
Oh là là, la blague !
Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée
Nous l’avons prouvé avec l’épisode Shein : quand il s’agit de défendre les valeurs européennes, nous sommes au rendez-vous. Nous nous montrerons intraitables envers nos compétiteurs étrangers. La France continuera à défendre cette position équilibrée, entre défense d’une meilleure compétitivité et défense de nos valeurs. Nous en parlerons probablement prochainement. D’ici là, nous restons à votre disposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Attentats du 13 Novembre
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Barnier.
M. Michel Barnier
Avec mes collègues du groupe Droite républicaine, nous saluons Boualem Sansal et le remercions pour son courage, sa force physique et morale ainsi que l’exemple qu’il nous donne. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR, SOC, Dem et HOR ainsi que sur quelques bancs des groupes RN et EcoS.)
Dix ans après les tragédies du Bataclan, des terrasses de Paris et du Stade de France, plusieurs leçons sont à tirer et plusieurs devoirs s’imposent. D’abord, un devoir de mémoire à l’égard de toutes les victimes et un devoir de solidarité avec leurs familles. Ensuite, un devoir de soutien inébranlable – j’insiste sur ce mot (L’orateur désigne du doigt les bancs du groupe LFI-NFP) – aux forces de sécurité (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR, Dem et HOR. – M. Yannick Monnet applaudit aussi), aux services de renseignement, aux sapeurs-pompiers, aux médecins, aux infirmiers et aux magistrats, qui ont, avec un professionnalisme remarquable, incarné la force de l’État et la résilience de la République face à ceux qui défient notre société démocratique de la plus lâche et de la plus abjecte des façons. Je tiens à saluer à mon tour François Hollande, qui était le chef de l’État. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR, SOC et Dem. – M. Yannick Monnet applaudit également.)
Nous avons aussi, dix ans après, un devoir de vigilance et de détermination. Les terrasses et les salles de concert sont sans doute bondées, nous n’avons pas peur, nous gagnons la bataille de la vie. Néanmoins, dix ans après, avons-nous vraiment gagné la bataille contre l’islamisme ? L’État est-il encore suffisamment déterminé face à toutes les menaces quotidiennes que cette idéologie dirige contre notre sécurité, notre culture et notre mode de vie ? Avons-nous pris la bonne mesure de l’entrisme des Frères musulmans et de la façon dont il dévoie au quotidien les valeurs démocratiques et républicaines ? Monsieur le premier ministre, que fait le gouvernement pour protéger la France et les Français contre l’islamisme ? (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR, HOR et sur quelques bancs du groupe Dem. – M. François Hollande applaudit aussi.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, premier ministre
Vous parlez d’or en évoquant les leçons et les devoirs qui s’imposent à nous. Depuis les attentats perpétrés par Mohammed Merah, celui commis contre Charlie Hebdo et les vingt-quatre attentats mortels survenus depuis le 13 novembre 2015, le premier des devoirs est celui de l’unité. Nous nous souvenons de ceux qui, en leur temps, ont voulu diviser le peuple français. Or il importe d’assurer l’unité politique inébranlable aux côtés de ceux qui incarnent l’État dans ces moments d’épreuve – à l’époque, le président Hollande, son premier ministre et ses ministres –, afin de garantir aux services de l’État l’efficacité et la réactivité nécessaires pour protéger nos concitoyens. C’est cela, la continuité républicaine ; nous la devons au peuple français, quelle que soit notre sensibilité politique. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, DR et Dem ainsi que sur plusieurs bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe GDR.)
De ces événements, nous gardons la conviction profonde qu’il est toujours possible d’améliorer les choses. Vous avez mentionné les magistrats à juste titre : le procès hors norme de ceux qui ont perpétré ces actes horribles a marqué une avancée pour l’autorité judiciaire. Des leçons ont aussi été tirées pour renforcer l’efficacité des forces de l’ordre et de la direction générale de la sécurité intérieure – le ministre de l’intérieur l’a rappelé. Des décisions courageuses face au terrorisme ont également été prises, dès le mandat du président Hollande, concernant l’action des forces armées – comment, de là d’où je viens, ne pas les citer – et de la direction générale de la sécurité extérieure. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.) La menace terroriste est endogène, mais elle est aussi exogène, compte tenu de la situation au Levant et des menaces que l’État islamique au Khorassan fait peser sur l’ensemble des pays européens. Nous y reviendrons à l’occasion de l’examen du budget des armées : la lutte antiterroriste décisive passe aussi par des opérations en mer ou dans des pays amis comme l’Irak – qui vient de tenir ses élections législatives. N’oublions pas que la menace projetée sur notre sol il y a dix ans provenait de l’extérieur. Nous ne pouvons séparer durablement la lutte contre le terrorisme menée sur le territoire national de ce qu’il se passe à l’étranger.
Cependant, la fin de votre question va plus loin : elle soulève le problème de l’entrisme et du séparatisme, c’est-à-dire de ce qui n’est pas encore du terrorisme endogène mais conduit à la remise en cause du pacte social et républicain. À cet égard, un travail considérable a été remis au goût du jour tout au long de l’année 2024 : des rapports ont été remis – certains rendus publics –, des conseils de défense et de sécurité nationale se sont tenus – parfois en votre présence lorsque vous étiez premier ministre. Forts de ces travaux, complétés depuis, les ministres concernés pourront lancer une consultation des différentes formations politiques représentées à l’Assemblée nationale, afin d’identifier ce qui dans notre arsenal juridique peut être encore amélioré pour lutter contre le séparatisme et l’entrisme. Il peut s’agir en particulier d’éléments juridiques très techniques qui font encore défaut à l’autorité judiciaire ou aux préfets.
Enfin, la lutte contre l’entrisme et le séparatisme relève aussi d’un combat politique. Toutes les lois, tous les décrets, juges ou préfets n’effaceront pas la nécessité pour l’ensemble des partis politiques de lutter contre ces idéologies – à commencer par l’entrisme dans les listes des prochaines élections municipales ! Chaque formation politique, chaque commission d’investiture doit faire le ménage. Au-delà des règles et des lois que nous édictons, ce combat politique dans l’unité et pour la République demeure nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem et HOR. – M. Yannick Favennec-Bécot applaudit aussi. – Plusieurs députés du groupe RN désignent du doigt les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur quelques bancs du groupe SOC.) Je propose que nous le menions ensemble. Nous le devons au peuple français qui, au-delà des paroles, attend de nous des actes. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR. – MM. Yannick Favennec-Bécot, François Hollande et Aurélien Rousseau applaudissent aussi.)
Attitude des forces de l’ordre lors de la manifestation à Sainte-Soline
Mme la présidente
La parole est à Mme Lisa Belluco.
Mme Lisa Belluco
Ma question s’adresse au ministre de l’intérieur mais elle pourrait s’adresser aussi au garde des sceaux et ancien ministre de l’intérieur. « Des merdes comme ça, il faut les brûler ! », « Je ne compte plus les mecs qu’on a éborgnés », « Moi, j’ai envie d’aller les tabasser ». (Exclamations sur quelques bancs des groupes EPR, DR et HOR.) Ces propos ont été tenus par des gendarmes lors de la manifestation de Sainte-Soline, le 25 mars 2023. C’est ce que révèlent les images des caméras-piétons des forces de l’ordre diffusées par Libération et Mediapart la semaine dernière. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
Ces propos sont choquants. Mais ils ont été accompagnés d’actes plus choquants encore, comme des tirs tendus de grenades lacrymogènes et explosives, exécutés volontairement et parfois sur ordre des supérieurs hiérarchiques, alors qu’ils sont interdits car potentiellement mortels.
M. Kévin Pfeffer
Quarante-sept gendarmes ont été blessés !
Mme Lisa Belluco
Toutefois, le plus choquant dans cette histoire reste que l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, qui a visionné ces images, n’ait pas jugé bon d’en informer le procureur. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Ce dernier avait pourtant chargé l’IGGN de l’enquête ouverte pour déterminer les circonstances dans lesquelles quatre manifestants ont été gravement blessés. La retranscription des vidéos transmise au procureur n’évoque que très partiellement les faits et en amoindrit la gravité.
En cette veille du 13 Novembre, nous saluons l’engagement quotidien des membres des forces de l’ordre. Nous affirmons avec d’autant plus de force que ceux parmi eux qui salissent l’uniforme ne devraient pas être au-dessus de la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR.) Cela devrait être garanti par un contrôle indépendant et transparent.
Comment justifier cette retranscription ni loyale ni honnête ? Comment expliquer que le ministre de l’intérieur de l’époque, M. Darmanin, n’ait pas jugé utile d’ouvrir en parallèle une enquête administrative sur ces faits, pourtant dénoncés par de nombreux élus présents lors de la manifestation ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP. – M. Jean-Victor Castor applaudit aussi.) Enfin, comment pouvez-vous garantir l’indépendance du parquet quand le garde des sceaux, supérieur hiérarchique du procureur de la République, était le plus haut responsable du maintien de l’ordre au moment des faits ? M. Darmanin est manifestement en situation de conflit d’intérêts. Dans une démocratie, il aurait déjà démissionné ! (Mêmes mouvements.) En France, messieurs les ministres, participer à une manifestation interdite est sanctionné d’une amende, pas de deux semaines de coma ! Alors pour une fois en Macronie, soyez à la hauteur ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nuñez, ministre de l’intérieur
Vous vous étonnez du fait que je n’aie pas connaissance, en tant que ministre de l’intérieur, de ces vidéos et de ces faits très graves qui ont donné lieu à l’ouverture d’une enquête administrative. Or je vous rappelle qu’une enquête judiciaire est en cours à la suite de quatre plaintes. Les vidéos diffusées sont directement issues de cette enquête puisqu’elles ont été saisies par le parquet de Rennes et demeurent à sa disposition.
Mme Marie-Charlotte Garin
Pourquoi ces vidéos n’ont-elles pas déclenché une enquête interne avant les plaintes ?
M. Laurent Nuñez, ministre
La meilleure preuve de l’indépendance des inspections, dont je rappelle qu’elles sont désormais dirigées par des magistrats – décision prise par Gérald Darmanin lorsqu’il était ministre de l’intérieur –, c’est précisément que je n’ai pas eu connaissance de ces vidéos, qui constituent des éléments de la procédure judiciaire. D’une part, une enquête administrative est en cours s’agissant des faits révélés par ces vidéos ; d’autre part, la justice en est saisie et tranchera pour savoir si ces faits doivent donner lieu à des poursuites.
Mme Sandrine Rousseau
Vous pouvez consulter les images des caméras de surveillance de n’importe quel quartier et vous n’avez pas ces vidéos ?
M. Laurent Nuñez, ministre
Vous laissez entendre que l’IGGN n’est pas indépendante parce qu’elle n’a pas informé le ministre de l’intérieur. Or elle n’avait pas à le faire : cela s’appelle le secret de l’instruction et il faut le respecter.
M. Hervé Berville
Ils n’aiment pas l’État de droit !
M. Laurent Nuñez, ministre
Enfin, je tiens à rappeler que lors de cette manifestation, quarante-huit gendarmes ont été blessés. C’était une manifestation d’une violence inouïe et il lui a été apporté une réponse proportionnée. (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Benoît Biteau
C’est faux !
M. Laurent Nuñez, ministre
Les faits révélés par les vidéos ont donné lieu à une enquête et, s’il le faut, il y aura des sanctions. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
2. Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (nos 1907 et 1999, 2057, 2049).
Troisième partie (suite)
Mme la présidente
Dimanche, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles de la troisième partie du projet de loi, s’arrêtant à l’article 31.
Je vous rappelle qu’à la demande du gouvernement, en application de l’article 95, alinéa 4, du règlement, l’Assemblée examinera par priorité, et dans cet ordre, les articles 45, 45 bis, 44, 42 et 49.
Nous reprendrons, ensuite, le cours normal de nos travaux. Je vous informe que, sur ce texte, 382 amendements restent à examiner.
Article 45 (appelé par priorité)
Mme la présidente
La parole est à Mme Véronique Riotton, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Véronique Riotton
Aujourd’hui encore, en France, l’écart entre le montant des pensions des hommes et celui des femmes est de 38 %.
Ce n’est pas une fatalité ; c’est un choix de société. Ce choix, nous ne l’acceptons plus. En 2023 déjà, avec la réforme des retraites présentée par Élisabeth Borne, nous avons inscrit dans la loi l’objectif de ramener cet écart à zéro d’ici à 2050.
Des mesures ont déjà été prises en ce sens : protection des femmes aux carrières hachées, revalorisation du minimum contributif – perçu en majorité par des femmes – et renforcement de la prise en compte des congés parentaux dans le calcul des droits.
L’article 45 du PLFSS – le projet de loi de financement de la sécurité sociale – va plus loin encore. Aux huit trimestres par enfant, il prévoit, pour les carrières longues, une majoration de deux trimestres – trimestres non seulement validés mais aussi cotisés. La base de calcul du salaire annuel moyen est également ramenée, pour les mères, de vingt-cinq à vingt-quatre ans – voire vingt-trois –, ce qui entraînera une augmentation du montant de leur pension de base.
Ces mesures ne sont pas des promesses, mais des actes – revendiqués par notre parti, par la délégation aux droits des femmes et par un gouvernement qui assume ses responsabilités.
La vraie question n’est pas de savoir si la réforme de 2023 est parfaite, mais si elle va dans le bon sens : la réponse est oui, et nous devons continuer.
À ceux qui crient à l’injustice, je demande : où étiez-vous ? Où étiez-vous quand les femmes cumulaient temps partiel, écarts salariaux et interruptions de carrière, sans aucune compensation ? Où étiez-vous quand les retraites des femmes étaient sacrifiées sur l’autel du statu quo ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.) La réforme a posé les bases de la réduction des inégalités de pension entre les hommes et les femmes. Nous devons poursuivre la transformation de notre système de retraites pour le rendre plus juste, plus universel et plus responsable. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme Mathilde Panot
C’est vous qui l’avez rendu injuste !
Mme la présidente
La parole est à Mme Fanny Dombre Coste.
Mme Fanny Dombre Coste
L’article 45 s’inscrit dans le prolongement du conclave sur les retraites, en reprenant certaines propositions que les partenaires sociaux y avaient formulées, notamment en vue de corriger les inégalités de pension entre les femmes et les hommes.
Il introduit, à cette fin, deux mesures principales : la prise en compte, pour les mères, de deux trimestres de majoration de durée d’assurance pour ouvrir droit au dispositif carrières longues et la réduction de la période de référence du salaire annuel moyen à vingt-quatre années pour les mères d’un enfant et à vingt-trois années pour les mères de deux enfants ou plus.
Nous soutenons ces mesures tendant à améliorer le montant des retraites pour un certain nombre de femmes ainsi qu’à permettre à celles qui ont commencé tôt de choisir un départ anticipé.
Soyons cependant lucides : ces mesures ne sont que des correctifs. Elles interviennent à la fin d’un parcours professionnel déjà inégalitaire : selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), le revenu salarial des femmes, en 2023, était encore inférieur de plus de 22 % à celui des hommes. La pension des retraitées de la génération née en 1953, quant à elle, représente à peine 71 % de celle des hommes. Ces écarts sont la conséquence directe de carrières heurtées, de temps partiel subis et d’interruptions liées à la maternité.
Ces mesures, si imparfaites soient-elles, sont un premier pas – premier pas d’autant plus nécessaire qu’elles sont le fruit d’un compromis entre syndicats et patronat. Le groupe socialiste est attaché à la démocratie sociale : quand un accord est trouvé, il doit être respecté.
Nous regrettons, à cet égard, que le gouvernement ait écarté les autres volets du conclave, notamment la prévention et la réparation de la pénibilité. Nous continuerons à défendre ces propositions.
Toutefois, parce que les femmes ne peuvent plus attendre, parce que le dialogue social doit être honoré et parce que toute avancée, même partielle, est bonne à prendre, le groupe socialiste votera en faveur de cet article. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Thibault Bazin, rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Thibault Bazin, rapporteur général de la commission des affaires sociales
L’article 45, qui s’inscrit dans la continuité des réformes visant à réduire les inégalités de pension entre les femmes et les hommes, est très attendu. La retraite des femmes, en 2023, ne représentait encore que 64,8 % de celle des hommes – 77,2 % si l’on y ajoute les dispositifs de droits familiaux et conjugaux.
Cette situation est le reflet direct des inégalités de carrière, fruits de parcours professionnels souvent interrompus par la maternité. Dans un contexte de baisse de la natalité et alors qu’une augmentation du taux d’emploi est indispensable à notre pays, il est plus que jamais nécessaire de mieux valoriser et de mieux reconnaître la maternité.
Les mesures proposées par cet article – meilleure prise en compte des majorations de la durée d’assurance et adaptation du calcul du revenu annuel moyen par voie réglementaire – vont dans ce sens. Elles permettent une meilleure appréciation des carrières hachées, encouragent le retour à l’emploi des mères et rendent plus facilement compatibles la vie professionnelle et la vie familiale.
Il s’agit autant d’un levier de justice sociale que d’efficacité économique. Soutenir les femmes dans leur double rôle de salariées et de mères, c’est également investir dans l’avenir de la société.
Une autre injustice demeurait, madame la ministre chargée des comptes publics, à l’égard des femmes mères et fonctionnaires, qui ne bénéficient actuellement que de deux trimestres de majoration de durée d’assurance pour chacun des enfants nés à compter du 1er janvier 2004. L’amendement que vous présentez corrigera, au moins pour moitié, cette injustice, puisque vous proposez d’intégrer un de ces deux trimestres dans la durée de service et de bonification servant au calcul de la pension de retraite. J’y suis personnellement très attaché et je suis également très favorable à l’article dans son ensemble, article que la commission a d’ailleurs adopté à une large majorité.
Il restera beaucoup à faire, chers collègues, pour harmoniser les droits conjugaux et familiaux. Cette harmonisation par le haut ne sera possible que si nous parvenons à améliorer structurellement le taux d’emploi, seul moyen de rééquilibrer les comptes publics et de relever les défis qui nous attendent.
Mme la présidente
Je suis saisie de deux demandes de scrutin public : sur l’amendement no 2693 par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, et sur l’article 45 par le groupe Droite républicaine.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. le ministre du travail et des solidarités.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités
Mesdames et messieurs les députés, vous avez choisi, samedi dernier, de poursuivre la discussion parlementaire sur le volet dépenses du PLFSS pour 2026. Votre vote a rendu possible l’ouverture d’une séquence très importante et très attendue par les Françaises et les Français, celle consacrée aux retraites. L’article 45 concerne plus particulièrement la retraite des femmes ayant eu un ou plusieurs enfants.
L’écart important entre les pensions des femmes et des hommes a été rappelé : 38 % avant la prise en compte de la pension de réversion.
Les causes profondes sont connues. D’abord, les rémunérations : il existe un écart significatif entre les hommes et les femmes. (Brouhaha.)
Mme la présidente
Mes chers collègues, un peu de silence, s’il vous plaît.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Les femmes choisissent parfois des carrières plus hachées, marquées par des interruptions ou par le recours au temps partiel, souvent liés à la maternité et à la garde des enfants.
Pour réduire cet écart salarial entre les femmes et les hommes, des mesures ont été prises au cours des dernières années. Je salue ma prédécesseure, Mme Pénicaud, qui a introduit l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En tant qu’ancien président de la SNCF, je peux vous assurer qu’il est utilisé et analysé dans toutes les entreprises.
Je salue également la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, que vous avez défendue, madame Rixain, et que le Parlement a largement votée : elle améliore la représentation des femmes dans les postes de direction des grandes entreprises.
Je pense enfin à la directive européenne du 10 mai 2023 dite directive sur la transparence salariale, que nous devons transposer d’ici juin 2026 – nous devons y travailler très vite avec les partenaires sociaux.
Concernant les retraites et leur calcul, je rappelle que la réforme des retraites de 2023 se fixe pour objectif d’atteindre l’égalité des pensions à l’horizon 2050, avec une division par deux de l’écart dès 2037.
L’article 45 intègre des trimestres de majoration pour les carrières longues des femmes. Dans le cadre des mesures réglementaires, pour celles qui ont eu un ou plusieurs enfants, seules les vingt-trois ou vingt-quatre meilleures années seront prises en compte dans le calcul, ce qui sera plus avantageux que vingt-cinq.
Ces propositions sont issues du dialogue social entre les partenaires sociaux. Vous connaissez mon attachement à ce dialogue, et ma conviction : lorsqu’on fait appel à eux suffisamment tôt, les partenaires sociaux sont en mesure de faire progresser le droit.
Le gouvernement a par ailleurs déposé un amendement, que la ministre des comptes publics présentera dans quelques instants, en faveur des droits à la retraite des femmes fonctionnaires et militaires qui ont eu des enfants après leur recrutement.
Certes, comme l’a dit le rapporteur général, il reste encore beaucoup de travail en matière d’égalité femmes-hommes, mais cet article va dans le bon sens.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’action et des comptes publics, pour soutenir l’amendement no 2693.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l’action et des comptes publics
Il fait suite à une réunion du Conseil commun de la fonction publique (CCFP) qui s’est tenue vendredi dernier et au cours de laquelle le gouvernement a proposé de mettre fin à une inégalité entre les femmes du secteur privé et les femmes fonctionnaires.
En effet, depuis 2003, les mesures introduites pour favoriser les retraites des femmes du secteur privé n’ont jamais été transposées aux fonctionnaires.
Cela aboutit à une situation particulière : certes, les femmes fonctionnaires peuvent partir un peu plus tôt lorsqu’elles ont été mères, mais leurs pensions sont plus faibles, à moins de travailler beaucoup plus longtemps. L’amendement vise à combler cette inégalité, largement documentée et analysée.
Pour autant – certains d’entre vous l’ont dit –, on n’efface pas les inégalités salariales entre les hommes et les femmes uniquement lors de la retraite ; il faut les corriger bien en amont. C’est pour cela que la réunion de vendredi, présidée par David Amiel, a également validé un accord de méthode ouvrant une nouvelle négociation sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans la fonction publique.
L’amendement propose quant à lui de prendre en compte un trimestre au titre de la bonification dans les deux trimestres de majoration d’assurance. Même si elle ne résout pas tout, cette bonification contribuera à réduire les écarts de pension, avec un gain moyen substantiel, de l’ordre de 2 %.
L’impact financier serait progressif : il atteindrait 30 millions d’euros en 2035. Si elle est adoptée, la disposition concernera 70 à 80 % des femmes fonctionnaires nées à partir des années 1970 et partant à la retraite selon le cadre prévu.
Il s’agit d’une modification importante. Depuis les réformes concernant les retraites de 2003, ce qui a été fait pour les femmes du secteur privé a rarement donné lieu à une transposition pour les femmes fonctionnaires. Or elles représentent la moitié de la fonction publique ; il était donc nécessaire de mettre fin à cette injustice.
Vous pouvez compter sur la vigilance de David Amiel, sur la mienne et, bien sûr, sur celle de M. Farandou pour que l’application de ces dispositions soit rapide, effective et visible.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Runel, rapporteure de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse, pour donner l’avis de la commission.
Mme Sandrine Runel, rapporteure de la commission des affaires sociales
L’article 45 transpose dans la loi une des propositions faites par la délégation paritaire permanente lors du conclave sur les retraites. Il s’agit d’améliorer les conditions de départ à la retraite des femmes en intégrant une partie des trimestres de majoration de durée d’assurance liés aux enfants dans le calcul des trimestres réputés cotisés pour un départ anticipé en retraite après une carrière longue.
En effet, en fonction de l’âge de début d’activité, le dispositif relatif aux carrières longues permet de partir entre 58 et 63 ans, mais il favorise les assurés ayant des carrières ininterrompues et linéaires – ce qui est trop rarement le cas des femmes. À cet égard, l’article 45 propose une évolution positive. Le nombre de trimestres sera fixé par décret, et le gouvernement a indiqué qu’il serait de deux trimestres par femme. Nous nous en réjouissons.
Mais je tiens à rappeler devant cette assemblée que, depuis lundi à 11 heures 30, les femmes travaillent gratuitement. La véritable solution au problème des inégalités de pension reste l’égalité salariale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Quant à l’amendement, s’il corrige partiellement l’écart en intégrant l’un des deux trimestres de majoration pour accouchement dans la durée de service et de bonification servant au calcul de la pension des femmes fonctionnaires, le compte n’y est toujours pas.
À titre personnel, j’y donnerai malgré tout un avis favorable.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau
Les femmes ont des pensions de retraite inférieures à celles des hommes, alors qu’elles partent en moyenne beaucoup plus tard qu’eux – elles effectuent en moyenne dix mois de travail supplémentaires. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elles doivent compenser une partie des temps partiels ou interruptions professionnelles qu’elles ont connus au cours de leur carrière. Les différences de pension sont donc le résultat des écarts cumulés tout au long de la vie professionnelle entre les hommes et les femmes.
Mais n’oublions pas une deuxième inégalité : les inégalités de pension du régime général restent inférieures à celles des pensions versées par les complémentaires. Non seulement les hommes gagnent plus, travaillent davantage à temps plein tout en percevant des revenus supérieurs, ne prennent pas leur part du travail domestique gratuit – sur ce plan, la différence entre les hommes et les femmes est de dix heures par semaine – mais ils épargnent davantage, ce qui leur permet de bénéficier de retraites complémentaires plus élevées.
Il est vraiment temps de s’attacher à réduire l’inégalité entre les femmes et les hommes. Pour cela, il faudrait que le congé parental, que ce PLFSS tend à réformer, soit en partie obligatoire pour les hommes. Or vous avez voté contre une telle mesure. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 2693.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 386
Nombre de suffrages exprimés 386
Majorité absolue 194
Pour l’adoption 386
Contre 0
(L’amendement no 2693 est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, DR, EcoS, Dem, HOR, LIOT et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je salue ce vote. Il souligne que la cause des femmes nous unit. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Les fonctionnaires sont souvent les oubliés des avancées, parce qu’on entend trop souvent la même petite musique – ils seraient des privilégiés. Nous avons encore beaucoup de travail en ce domaine, sur l’accès à une mutuelle, à la prévoyance et à une complémentaire santé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Jérôme Guedj
Oui, à la prévoyance !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Sur ces sujets, similaires à celui sur lequel vous venez de voter, j’aimerais que nous puissions affirmer que les fonctionnaires s’engagent chaque jour pour notre pays. Nous allons bientôt rendre hommage à de nombreux hommes et femmes engagés dans des circonstances dramatiques il y a dix ans. Nous leur devons au moins l’égalité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
L’amendement no 2375 de Mme la rapporteure tend à corriger une erreur matérielle.
(L’amendement no 2375, accepté par le gouvernement, est adopté.)
Mme la présidente
L’amendement no 2376 de Mme la rapporteure est un amendement de précision.
(L’amendement no 2376, accepté par le gouvernement, est adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article 45, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 391
Nombre de suffrages exprimés 391
Majorité absolue 196
Pour l’adoption 391
Contre 0
(L’article 45, amendé, est adopté.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et SOC, ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Bentz.
M. Christophe Bentz
Madame la présidente, je demande une suspension de séance de cinq minutes.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures trente.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
Article 45 bis (appelé par priorité)
Mme la présidente
Nous abordons l’important article 45 bis, sur lequel vous êtes nombreux à vouloir vous exprimer. Après avoir échangé avec plusieurs présidents de groupe, je vous indique que les orateurs auront chacun trois minutes d’intervention, ce qui leur permettra de développer un peu plus leur argumentation. Le débat pourra ensuite se poursuivre au sujet des amendements de suppression.
La parole est à Mme Marine Le Pen.
Mme Marine Le Pen
Voici venue l’heure de vérité, celle où le pacte de non-censure entre le gouvernement, le Parti socialiste et Les Républicains va – ou non – se matérialiser sous nos yeux.
Nous allons dévoiler un premier mystère : comment un gouvernement a-t-il pu mettre son sort entre les mains des socialistes qui ne représentaient, lors de la dernière présidentielle, que 1,5 % des voix ?
Un député du groupe RN
Eh oui !
Mme Marine Le Pen
Trente deniers sous forme de suspension de l’horrible réforme Borne – si importante aux yeux de la Macronie qu’elle avait usé scandaleusement du 49.3 face au refus d’une majorité de l’Assemblée de la voter.
Nous allons percer un second mystère, celui qui a conduit les députés LR – eux qui nous expliquaient que la réforme Borne était un enjeu vital, n’hésitant pas à traiter de crypto-communistes tous ceux qui s’opposaient au relèvement de l’âge de départ à la retraite –,…
M. Pierre Cordier
C’est Ciotti qui le disait !
Mme Marine Le Pen
…à accepter la suspension en échange de l’assurance de ne pas retourner devant les électeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Je voudrais, chers collègues socialistes et Républicains, vous dire solennellement une chose : l’opportunisme vous a conduits à livrer un concentré chimiquement pur des manœuvres, ententes et arrangements que les Français ne supportent plus.
M. Erwan Balanant
Les Français ne comprennent rien à ce qu’elle raconte !
Mme Marine Le Pen
Renaissance est contre la suspension ; ils voteront pour. LFI est pour ; ils voteront contre. Les communistes sont pour ; ils voteront contre – ou peut-être s’abstiendront. LR est contre ; ils voteront pour. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) C’est cela qui abaisse la politique, c’est cela que refuse le Rassemblement national. (Mme Nathalie Oziol s’exclame.) Nous serons les seuls à être cohérents : en attendant son abrogation, nous allons voter pour suspendre la réforme Borne – injuste socialement et inefficace économiquement.
Mme Dieynaba Diop
Vous avez dit que vous alliez voter contre !
Mme Marine Le Pen
Contrairement à vous, nous allons exprimer ce vote fièrement, la tête haute. Pour vous, il sera la marque du reniement ; pour nous, celle de la constance et de la loyauté. C’est cela l’honneur de l’engagement politique, c’est cela que nous défendons. Notre seul souverain, notre seule boussole,…
Mme Dieynaba Diop
C’est l’argent ! L’argent que vous devez rendre.
Mme Marine Le Pen
…notre seul allié, c’est le peuple français. (Les députés des groupes RN et UDR se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Gabriel Attal.
M. Gabriel Attal
Dans quelques minutes, l’Assemblée nationale suspendra la réforme des retraites de 2023. Ce vote, que le premier ministre avait annoncé dans sa déclaration de politique générale, est acquis : étant donné la position de la gauche et du Rassemblement national, quels que soient les choix des autres groupes, la réforme sera bien suspendue. (« Décalée ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Vous connaissez notre position sur cette réforme : nous l’avons promue, nous l’avons défendue de toutes nos forces ; pourtant, aujourd’hui, le groupe EPR s’abstiendra. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe RN.) Ce ne sera pas de gaîté de cœur, mais avec lucidité.
Nous sommes lucides sur les mécanismes qui nous ont amenés là. (Les exclamations s’intensifient.) Si la suspension ou l’abrogation de cette réforme a été demandée, c’est parce que certains ont affirmé qu’elle avait été adoptée dans des conditions non démocratiques. (« C’est vrai ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Mais si elle a été adoptée par 49.3, c’est parce que certains, qui la défendaient pourtant pendant la campagne présidentielle, ont ensuite fait le choix de s’y opposer, avant semble-t-il de la défendre de nouveau aujourd’hui. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Nous sommes lucides sur le fait que cette suspension ne sera pas une bonne nouvelle pour l’économie française et pour le budget de la France. Mais nous ne voulons pas nous mettre en travers du compromis trouvé par le premier ministre avec le groupe socialiste ; si la suspension n’avait pas été décidée,…
Mme Ségolène Amiot
Il n’y a pas de suspension, il y a décalage !
M. Gabriel Attal
…il n’y aurait aujourd’hui pas de gouvernement et pas d’espoir de doter notre pays d’un budget d’ici à la fin de l’année – espoir qui doit nous mobiliser.
Nous sommes surtout lucides sur le fait que le débat que nous avons aujourd’hui relève déjà du passé. Nous sommes en train de discuter de l’opportunité de retirer un morceau de scotch sur un système des retraites qui prend l’eau de toutes parts. Ce ne sont plus les paramètres qu’il faut modifier, mais le système qu’il faut changer. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. Hervé Berville
Eh oui !
M. Gabriel Attal
Avec les députés Renaissance, ceux du groupe Ensemble pour la République, nous proposons de passer à un nouveau système de retraite : un système universel (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – « Eh voilà ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP) où, quel que soit votre statut – fonctionnaire, salarié, indépendant –, vous aurez les mêmes droits. Un système libre, débarrassé de l’âge légal de départ, où seule jouera la durée de cotisation : si vous partez très tôt, vous aurez une petite pension ; si vous partez plus tard, elle sera meilleure. Un système productif, qui fait enfin sauter le tabou de la capitalisation dans notre pays (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP )…
Mme Mathilde Panot
Bravo, les socialistes !
M. Gabriel Attal
…et qui permet aux Français de capitaliser tout au long de leur vie pour améliorer leur retraite tout en soutenant notre économie, nos entreprises et l’innovation.
C’est cela qui nous guidera dans ce débat. Il faut cesser les querelles, dépasser les erreurs du passé, préparer l’avenir pour les Français : c’est la conviction de mon groupe, notre seule boussole. (Plusieurs députés du groupe EPR se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot
Voter pour le décalage de la réforme des retraites, c’est voter pour la retraite à 64 ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Les Insoumis ne valideront jamais par leur vote les deux années de vie volées au peuple de France. Après avoir fait passer cette réforme en force, contre l’ensemble des syndicats, contre des millions de grévistes et de manifestants, et même contre cette assemblée, par 49.3 (Mêmes mouvements), vous avez tout essayé, espérant que les gens allaient oublier. Vous avez refusé de reconnaître le résultat des urnes ; vous vous êtes livrés à une obstruction massive pour nous empêcher de voter sur l’abrogation de la retraite à 64 ans lors de notre niche parlementaire (Mêmes mouvements) ; vous avez inventé un conclave fumeux qui n’a rien donné. Et voici votre nouvelle arnaque : présenter comme une grande victoire non pas la suspension de la réforme Borne, mais le décalage d’un an de son calendrier d’application ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Personne n’est dupe ; nous voterons contre le décalage de la retraite à 64 ans car nous n’en acceptons pas le principe. Nous n’acceptons pas que 15 000 personnes supplémentaires meurent chaque année avant d’avoir vécu un seul jour de leur retraite. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous n’acceptons pas que les femmes soient les grandes perdantes alors qu’elles se demandent déjà comment tenir jusqu’à 67 ans avec la décote. Surtout, nous n’acceptons pas que ce décalage se fasse au prix de coupes sur le dos des retraités et des malades, dans votre budget de la sécurité sociale. (Mêmes mouvements.)
Tout cela pour ouvrir la voie à la retraite à points, pourtant déjà battue par les mobilisations populaires en 2020, et à la retraite par capitalisation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Pire encore, cette tromperie se fait au prix de la poursuite de la politique de malheur d’Emmanuel Macron, et grâce à la non-censure des socialistes que vous avez achetés avec ce décalage. (Mêmes mouvements.) Quant au Rassemblement national, il s’apprête à voter pour la retraite à 64 ans et s’allie avec ceux qui veulent la retraite à 67 ans. (M. Hervé de Lépinau mime un joueur de pipeau.) Vous êtes des hypocrites !
Nous n’avons pas été élus pour obtenir des miettes de la Macronie en déroute mais pour rompre avec la violence sociale qu’elle inflige à tous. Madame la ministre, vous ne viendrez jamais à bout de nous. L’abrogation recueille la majorité à l’Assemblée et dans le pays. Fidèles à notre promesse, nous ferons la retraite à 60 ans, la sixième semaine de congés payés et l’augmentation des salaires ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)
M. Pierre Cordier
Et la semaine de 25 heures !
Mme la présidente
La parole est à Mme Océane Godard.
Mme Océane Godard
« Ce que je ferai, je le ferai avec vous. Ce qui alimente la colère ou le rejet de nos concitoyens, c’est la certitude que le pouvoir est aux mains de dirigeants qui ne leur ressemblent plus,…
Une députée du groupe LFI-NFP
C’est vous !
Mme Océane Godard
…« ne les comprennent plus, ne s’occupent plus d’eux. Tout notre malheur vient de là. » Ces mots, ma foi fort justes, ont été écrits par Emmanuel Macron en 2016 dans son livre Révolution. Si le président de la République a beaucoup contribué à abîmer l’esprit de la démocratie…
M. Pierre Cordier
Pourtant il était dans le gouvernement de François Hollande !
Mme Océane Godard
…en étant sourd à ce que les Français, les partenaires sociaux et l’ensemble des corps intermédiaires ont exprimé au moment du débat sur la réforme des retraites de 2023, il a également imposé à nos concitoyens de travailler plus, sans tenir compte des vécus – ni de ceux qui refusent de perdre la vie à la gagner, ni de ceux qui ont du plaisir à gagner leur vie sans la sacrifier. Nous n’acceptons pas cette brutalité sociale. Les socialistes sont allés négocier avec le gouvernement actuel la possibilité de retisser la confiance entre le peuple et le pouvoir, grâce à l’écoute permanente, à l’empathie (Exclamations et rires sur les bancs du groupe RN) et à une compréhension sensible des citoyens.
Suspendre la réforme des retraites (« Décaler ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP), c’est permettre à 3,5 millions de femmes et d’hommes de partir en retraite trois mois plus tôt. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Cela compte, c’est sérieux lorsque l’on sait que trop de Françaises et de Français ont besoin de ralentir leur vie parce que les corps et les esprits sont fatigués.
Enfin, en négociant la suspension de cette réforme inique, les socialistes ont voulu poser le débat : quel projet voulons-nous pour notre population vieillissante ? Soit on accepte massivement des emplois précaires et pénibles, et on compense par l’âge de départ – ce n’est pas notre choix (M. Aurélien Le Coq s’exclame) ; soit on investit dans des emplois de qualité, la prévention, le management, la formation, la recomposition productive, et on articule le financement des retraites autour de ces décisions. C’est le grand projet de débat national qui nourrira la présidentielle de 2027. Le groupe Socialistes et apparentés votera pour suspendre la réforme des retraites…
Mme Mathilde Panot
La décaler !
Mme Océane Godard
…et donner une perspective de nouveau contrat social aux Français.
Mme Marie Mesmeur
Vous mentez !
Mme Océane Godard
Le bonheur commun viendra de là. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, dont plusieurs députés se lèvent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Wauquiez.
M. Laurent Wauquiez
Nous abordons aujourd’hui un débat qui cristallise, nous le mesurons tous, beaucoup d’inquiétudes et d’espoirs chez les Français. Les retraités sont inquiets, à juste titre, de la pérennité du financement du régime de retraite ; ils voient les attaques régulières contre le niveau des pensions – en particulier ceux qui ont eu des carrières longues, parfois pénibles, dans des secteurs comme celui du bâtiment. Mais l’inquiétude touche également la France qui travaille – trop souvent oubliée, y compris dans cet hémicycle – et qui comprend que chaque fois que des cadeaux sont faits, c’est vers elle qu’on se tourne pour augmenter les taxes et les impôts.
Bien sûr, il peut être populaire de vendre aux Français une suspension illusoire de la réforme des retraites ; il peut être facile de la vendre en faisant croire que, par magie, on peut baisser l’âge de départ à un moment où le nombre de retraités augmente et où celui des actifs diminue.
Nous pensons au contraire qu’il faut dire aux Français la vérité : dans un pays ruiné, suspendre la réforme des retraites est illusoire. La vérité, c’est que les mêmes qui vous vendent aujourd’hui la suspension de la réforme des retraites viendront ensuite vous expliquer que pour la financer, il faut soit baisser le niveau de vie des retraités – les députés de la Droite républicaine s’y opposeront –, soit augmenter les cotisations et les impôts – nous nous y opposerons également. Ils ont d’ailleurs déjà commencé : au cours des jours qui viennent de s’écouler, ils ont ainsi proposé par anticipation d’augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) sur la petite épargne des Français, l’assurance vie, les plans d’épargne logement (PEL) et les plans d’épargne en actions (PEA). (« C’est faux ! » sur les bancs des groupes LFI-NFP et SOC.) Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer les réactions sur leurs bancs !
C’est pour ces raisons que le groupe de la Droite républicaine votera contre la suspension – illusoire – de la réforme des retraites.
Contre ceux – du Rassemblement national à la gauche – qui ont voté 34 milliards d’euros de hausses d’impôt ces derniers jours (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR), les députés de la droite se sont battus inlassablement pour une ligne claire et constante : aucune hausse d’impôt ni de taxe, mais des économies sur la dépense publique et l’assistanat. C’est la seule voie qui permettra le redressement du pays.
Nous sommes surpris que certains débats demeurent tabous. Si nous voulons débattre des retraites, parlons de la suppression définitive des régimes spéciaux de retraite, qui coûtent si cher aux Français (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR) ; parlons de l’égalité entre les secteurs public et privé, un sujet que certains ne veulent pas voir aborder ici (Mêmes mouvements) ; parlons de l’introduction d’une part de capitalisation, attendue par de nombreux Français.
Ces débats, nous les aurons en 2027, et ils opposeront ceux qui défendent la France qui travaille et qui a travaillé toute sa vie à ceux qui sont prêts à augmenter les impôts pour financer leurs promesses. La Droite républicaine sera toujours du côté de la France qui travaille et qui a travaillé toute sa vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau
La réforme des retraites de 2023 a jeté des millions de personnes dans la rue pendant de nombreuses semaines – un nombre jamais vu depuis 1968.
M. Fabien Di Filippo
La dimension parallèle de Mme Rousseau !
Mme Sandrine Rousseau
Elle a créé une tension considérable dans le pays. Alors que près de deux tiers de Français y étaient opposés, le gouvernement d’Élisabeth Borne a décidé de se passer de l’avis du Parlement et de l’Assemblée nationale. Nous avions pourtant averti qu’il n’existe rien de plus injuste que la fixation d’un âge de départ.
Fixer un âge de départ à la retraite, c’est traiter les cadres supérieurs de la même manière que les ouvriers, les employés ; c’est traiter tous les métiers de la même manière, qu’ils soient pénibles ou non. Les débats qui ont eu lieu alors à l’Assemblée nationale ont constitué un moment d’une grande violence – et surtout d’une grande violence sociale.
C’est pourquoi, lorsque nous avons été appelés à nous prononcer sur le report de cette réforme – fût-il de quelques mois et au bénéfice d’une minorité de Français –, la majorité de mon groupe a décidé de voter en faveur de sa suspension et de son décalage. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS et sur de nombreux bancs du groupe SOC.)
Néanmoins, je souhaite poser une question au gouvernement : comment comptez-vous financer le coût de ce décalage de la réforme des retraites ? (« Ah ! » sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
Mme Nathalie Colin-Oesterlé
Bravo !
Mme Sandrine Rousseau
Pour ce faire, comptez-vous faire appliquer par la voie réglementaire les dispositions que nous avons rejetées dans le PLFSS, à savoir le doublement des franchises médicales, la création de franchises bucco-dentaires, la réforme des affections de longue durée (ALD), des indemnités journalières et des arrêts de travail de longue durée ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS. – Brouhaha.)
Si vous financiez le simple décalage de trois mois de la réforme des retraites par de telles mesures, vous en feriez supporter le coût aux plus vulnérables et aux plus fragiles de notre société. (Mme Clémentine Autain et M. Alexis Corbière applaudissent.) Dans le même temps, adopter ce décalage reviendrait, pour la première fois, à inscrire dans les votes de l’Assemblée le principe des quarante-trois annuités et des 64 ans.
Alors, je vous pose de nouveau cette question, madame et monsieur les ministres : comment allez-vous financer le décalage de la réforme en 2026 et en 2027 ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Marc Fesneau.
M. Marc Fesneau
Le groupe Démocrates s’abstiendra très majoritairement sur le vote de l’article 45 bis visant à suspendre la réforme des retraites. Par ce choix, nous entendons ne pas faire obstacle au compromis recherché par le gouvernement, tout en rappelant que ce compromis ne saurait se faire sans vigilance, ni au prix de nos convictions sur la question des retraites.
Nous ne pouvons faire abstraction de la réalité des chiffres. C’est pourquoi nous demeurons dubitatifs face à une suspension décidée sans présenter d’autre solution, au mépris d’un examen lucide de la situation – notamment financière – et au détriment des jeunes générations.
Notre démographie a changé : 4 actifs pour un retraité à la sortie de la guerre, moins de 1,7 aujourd’hui. Au cours de la même période, l’espérance de vie a augmenté de près de vingt ans. Seulement 39 % des 60-64 ans sont en activité en France, nettement moins que partout en Europe.
Notre conviction n’a pas changé : il est nécessaire de réformer notre système. C’était l’objet même de la réforme des retraites, mais aussi du conclave, dont on ne peut que regretter qu’il n’ait pas abouti. Il faut bien le reconnaître : nous ne sommes pas parvenus à faire accepter cet effort nécessaire par les Français.
Pourtant, nous devons regarder lucidement la réalité des comptes ; cette suspension ne permettra en rien de franchir le mur de nos difficultés. C’est cette responsabilité qui demeure, plus que jamais, celle de notre groupe, et qui sera, tôt ou tard, celle de tous ceux qui aspirent à exercer des responsabilités dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Gérault Verny, pour un rappel au règlement.
M. Gérault Verny
Au titre de l’article 100, relatif à la bonne tenue de nos débats. Madame Rousseau, pourriez-vous éviter de hurler quand vous prenez la parole ? ( Vives protestations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Vous nous cassez les oreilles ! À défaut, serait-il possible de réduire le volume… (Mme la présidente coupe le micro de l’orateur.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Dehors !
Mme Dieynaba Diop
Quelle honte !
Mme la présidente
Monsieur Verny, ce n’est pas acceptable, votre rappel au règlement est terminé et je vous rappelle à l’ordre immédiatement ! C’est insupportable, c’est honteux ! (Les députés des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR se lèvent et applaudissent vivement. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem, HOR et LIOT.)
Vous ne vous rendez pas compte ! Par ailleurs, je vous informe que deux interventions précédentes qui visaient également Mme Rousseau ont donné lieu il y a quelques minutes à deux rappels à l’ordre. Je ne tolérerai plus aucune attaque sexiste dans cet hémicycle. C’est fini, c’est fini ! (Les députés des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR se lèvent et applaudissent vivement et longuement, rejoints par plusieurs députés des groupes EPR, Dem, LIOT. – Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Article 45 bis (suite)
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe
« Pour corriger l’inévitable – on parle de la pyramide des âges –, c’est vrai qu’à partir de l’année 2005, le poids des femmes et des hommes à la retraite ayant quitté la production pèsera trop lourd sur les autres âges si on ne prend pas les mesures nécessaires. » Ces mots ne sont pas de moi, mais de François Mitterrand…
M. Emmanuel Maurel
Un grand président !
M. Paul Christophe
…qui, le 15 avril 1988, pendant la campagne présidentielle, affirmait que le prochain gouvernement devrait lui-même s’y attaquer.
Dès lors, nier la question démographique, c’est mentir aux Françaises et aux Français. Notre système par répartition s’est construit avec plus de 4 cotisants pour un retraité ; nous sommes aujourd’hui tombés à 1,7 cotisant par retraité, et ce sera bientôt 1,4. À sa création en 1945, ce système finançait en moyenne 5,5 années au bénéfice de chaque retraité, contre 22,5 aujourd’hui.
Diviser le nombre de cotisants par trois et multiplier la durée de liquidation par quatre, en affirmant que tout va bien, c’est mentir aux Françaises et aux Français, mentir aux générations futures et mentir à soi-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
J’attends d’ailleurs avec impatience les réactions des syndicats cogestionnaires de la retraite complémentaire des salariés du privé, qui, confrontés au même déficit démographique, avaient décidé en 2019, pour une durée de trois ans, d’appliquer un malus sur la retraite de celles et ceux qui la sollicitaient à l’âge de 62 ans – l’âge légal à l’époque.
Dans un pays déjà très endetté, la suspension d’une réforme jugée nécessaire mais pas suffisante – que ce soit par le COR ou par la Cour des comptes – ne crée pas une quatrième voie. Implicitement, elle ne laisse le choix qu’entre l’augmentation des prélèvements sur les actifs – et donc la baisse de leur pouvoir d’achat –, la baisse des pensions – et donc celle du pouvoir d’achat des retraités –, ou l’augmentation de la dette à la charge de nos enfants, et même de nos petits-enfants.
La question reste pendante : qui va payer ? Les députés du groupe Horizons & indépendants assument pleinement d’être de ceux qui pensent à l’avenir et cherchent les voies et moyens de réformer durablement notre système. Nous voulons un pays qui produise, travaille et forme davantage, pour financer dignement et durablement notre modèle social – non par la dette, non en trompant les générations futures, mais par l’effort et le mérite.
Pour toutes ces raisons, notre groupe proposera la suppression de l’article 45 bis. Oui, madame Le Pen, nous sommes contre la suspension de la réforme et nous assumons cette position. La question reste bien entière : qui va payer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Viry.
M. Stéphane Viry
À cet instant, il convient de reconnaître que le gouvernement a tenu l’un de ses engagements : l’article 45 bis, introduit par lettre rectificative, nous invite cet après-midi à suspendre la réforme de 2023.
Ne nous racontons pas d’histoires : la suspension de cette réforme n’est ni un idéal ni un objectif en soi ; c’est un moyen de remettre au centre du débat le financement et la justice de notre système de retraites, afin de concevoir, espérons-le, une vraie réforme, qui aille bien au-delà du simple relèvement de l’âge légal.
L’avenir du système de retraites implique de nous pencher sérieusement sur son financement – compte tenu de la démographie –, de nous poser la question de la capitalisation individuelle obligatoire, celle de la responsabilisation personnelle, ou encore celle d’un financement pesant moins sur le travail – toutes questions incontournables.
La suspension de la réforme est donc une occasion de remettre l’ouvrage sur le métier. Elle donne aussi les moyens de donner un budget à la France et de sortir de la panade – de l’impasse dans laquelle le gouvernement était enfermé à la fin du mois de septembre 2025. Il faut le dire et le reconnaître : c’est une avancée dans le compromis demandé.
Fort de ces éléments, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, dans la continuité de ses appels constants à l’organisation d’une conférence et à la remise à plat de notre système, votera majoritairement pour la suspension. À cet instant, c’est le seul chemin pour avancer et donner un budget à la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LIOT et sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
Nous nous souvenons tous de la réforme brutale et injuste de 2023, des immenses mobilisations sociales dans les rues de France et du refus majoritaire des Français – un refus quasiment unanime de la part des Français encore en activité. Nous nous rappelons aussi l’utilisation du 49.3 et ce coup de force antidémocratique, sans équivalent depuis la négation du vote des Français lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS.)
On se souvient aussi des élections législatives de 2024, au cours desquelles le rejet de la réforme des retraites avait pesé lourd dans le vote des Français. (Mêmes mouvements.) Pourtant, le président de la République, les gouvernements successifs et les médias dominants ont tout fait pour accréditer l’idée que les Français étaient passés à autre chose, qu’ils avaient tourné la page. (Mme Sandrine Rousseau applaudit.) C’était compter sans l’opiniâtreté des syndicats et des groupes d’opposition de gauche qui n’ont jamais lâché l’affaire,…
M. Pierre Cordier
Il n’y a pas qu’eux !
M. Stéphane Peu
…allant jusqu’à faire adopter dans notre niche parlementaire, le 5 juin, une résolution pour l’abrogation de la réforme des retraites. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS. – Mme Fatiha Keloua Hachi applaudit également.) Vous devriez donc le savoir : s’il est un sujet sur lequel on ne peut ni abuser ni tromper les Français, c’est bien celui de la réforme des retraites.
Pourtant, derrière notre débat se cache une véritable entourloupe. Le 10 octobre, je me trouvais dans le bureau du président de la République. Comme les autres participants, je l’ai entendu proposer un décalage de trois mois, payé par les retraités et les assurés sociaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et LFI-NFP.) J’ai vécu ce moment comme une provocation.
Le 14 octobre, dans cet hémicycle, j’ai écouté le premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, évoquer quant à lui une suspension de la réforme. Je me suis alors demandé : qui a tort, qui a raison, qui ment ou qui essaie de tromper ? Je me suis donc penché sur le texte, c’est-à-dire la lettre rectificative présentée en Conseil des ministres le 23 octobre.
Cette lettre rectificative est claire : c’est un décalage de trois mois, et rien d’autre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Édouard Bénard applaudit également.) Payé, de surcroît, par les assurés sociaux et les retraités !
C’est donc une entourloupe ! Vous avez tous rencontré des Français qui croient qu’il s’agit de suspendre la réforme Borne, de figer l’âge légal à 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation à 170 trimestres, pour toutes les générations à venir. En bon français, suspendre veut dire bloquer la réforme. En l’occurrence, ce n’est qu’un décalage payé par les Français.
Je dirai à Mme Le Pen que nous, nous sommes constants : nous avons voté l’abrogation de la réforme des retraites. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et LFI-NFP.) Nous sommes les seuls à avoir permis qu’un vote ait lieu dans cet hémicycle sur le sujet. Alors nous ne nous satisferons pas d’une entourloupe ; nous ne tromperons pas les Français ; nous ne voterons pas un décalage de trois mois qui, par ailleurs, revient à entériner la retraite à 64 ans. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP, dont plusieurs députés se lèvent. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère
Dans la vie, la responsabilité doit être partagée, collective. Nous demander de suspendre cet après-midi la réforme des retraites est un mauvais service rendu au pays. Avec un taux d’activité des seniors toujours insuffisant, une espérance de vie qui – heureusement – continue à s’allonger et une natalité en forte baisse, notre système de retraites n’est pas à l’équilibre et le sera encore moins avec la suspension de la réforme. J’observe d’ailleurs que les groupes qui demandent le plus fortement cette suspension se gardent bien de déposer des amendements présentant la réforme des retraites qu’ils proposent à nos concitoyens. (« On n’a pas le droit ! Ils seraient irrecevables ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Le groupe socialiste ne nous laisse le choix qu’entre deux solutions : renoncer à une réforme impopulaire mais nécessaire ou faire face à une troisième censure et à une nouvelle période d’instabilité, c’est-à-dire revenir aux pratiques qui ont fait mourir la IVe République. Je ne ferai jamais, mes chers collègues, la politique du pire et, à regret, j’approuverai la suspension d’une réforme que j’assume pourtant d’avoir votée.
Cependant je dis à ceux qui applaudiront tout à l’heure cette suspension qu’ils ne peuvent pas refuser de voter des économies (« Ah ! » sur quelques du groupe LFI-NFP) et de favoriser la création de richesses dans notre pays. « Économies » n’est pas un gros mot. Nos concitoyens savent bien ce qu’il signifie.
La responsabilité collective que j’appelle de mes vœux ne doit pas être limitée au PLFSS mais doit aussi concerner le projet de loi de finances (PLF). Hier, nous étions tous devant les monuments aux morts pour accomplir un devoir de mémoire. Ne pas voter le PLF voudrait dire accepter une loi spéciale avec 7 milliards d’euros en moins pour la défense, pour nos soldats. Or la France en a besoin. Les leçons dramatiques de l’histoire ne s’arrêtent pas le 11 novembre à minuit. Si vous nous demandez, mes chers collègues, de suspendre la réforme des retraites, prenez votre part de la responsabilité dans les votes à venir. Le compromis ne peut pas être à sens unique au Parlement, de la même manière qu’un consensus minimum doit exister au sein de notre pays – c’est une des leçons que nous devons garder d’une réforme des retraites qui va être suspendue. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
En vous écoutant, je me dis que vous avez bien fait de voter la partie du PLFSS concernant les recettes : cela en valait la peine, car cela permet d’avoir ce débat de qualité – je crois que les Françaises et les Français y seront attentifs. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Ils sont 3,5 millions à attendre le résultat de ce vote, qui a donc beaucoup d’importance. Depuis dix jours que je suis à ce banc et que j’apprends le métier, j’ai pu mesurer votre capacité à trouver des majorités pour approuver, refuser, modifier, proposer, voter et définir ainsi ce qui deviendra la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2026. Au fond, le pari du débat est réussi – je voulais le souligner.
Le premier ministre s’est engagé solennellement à soumettre cette suspension au débat et au vote. C’est ce que vous ferez dans un instant ; l’engagement a été tenu.
En quoi consiste cette décision ? Il faut être clair : ce n’est ni une abrogation – cela a été souligné – ni le déploiement initial de la réforme, puisque tous les paramètres seront suspendus jusqu’au 1er janvier 2028. Pourquoi suspendre cette réforme ? Je commencerai par évoquer le dialogue social, car les partenaires sociaux nous ont montré la voie. Ils sont prêts, dans le cadre de la conférence sur le travail et les retraites que j’ai lancée le 4 novembre dernier, à discuter de ces sujets, en commençant par le travail.
Mme Mathilde Panot
Arrêtez vos embrouilles : il y a déjà eu le conclave !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Le travail est certainement le grand oublié des deux réformes précédentes ; pourtant ce qui se passe pendant quarante ou quarante-deux ans de vie au travail conditionne la retraite et en particulier l’acceptation et l’entente dont le système des retraites peut faire l’objet.
Mme Mathilde Panot
On n’a jamais pu voter sur les 64 ans !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Le débat démocratique s’amorce ; certains partis ont déjà apporté leur pierre à l’édifice par des contributions. Cela mérite du temps, du débat et de la respiration démocratique. Les retraites seront certainement au cœur de la campagne présidentielle qui se dessine – cela en vaut la peine tellement le sujet est central.
Dernier argument : 61 % des Français souhaitent la stabilité, dont cette suspension est un élément nécessaire. Nous avons besoin de stabilité : il faut proposer un budget aux Français. Il faut aussi que le gouvernement travaille, puisque plusieurs d’entre vous m’ont tendu des perches au sujet des accidents du travail, des conditions de travail, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’emploi des seniors ou de l’emploi des femmes. Les sujets sont nombreux !
Le gouvernement a déposé ce matin un amendement destiné à compléter le champ la suspension annoncée par le premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. Nous prenons ainsi en considération les départs anticipés, notamment à la suite d’une carrière longue, et appliquons aux catégories actives et superactives de la fonction publique – policiers, pompiers professionnels, égoutiers – et aux infirmières l’assouplissement des conditions pour prendre sa retraite. Étendre la mesure à cette catégorie d’emplois difficiles, rigoureux, exigeants de la fonction publique me paraît une bonne idée.
Je le redis, le temps de la suspension doit être un temps utile au dialogue social et au débat démocratique.
Mme la présidente
Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 653, 910 et 956, tendant à supprimer l’article 45 bis.
La parole est à M. Sylvain Berrios, pour soutenir l’amendement no 653.
M. Sylvain Berrios
Le groupe Horizons & indépendants s’oppose à la suspension de la réforme des retraites car nous considérons que c’est une ineptie budgétaire.
Tout à l’heure, Mme Rousseau, avec beaucoup de dynamisme (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe EcoS), a posé une question : Qui va payer ? Mais tous les Français connaissent la réponse ! Ce sont eux, justement, qui devront payer, des plus jeunes aux plus vieux, des plus riches aux plus modestes, à travers la hausse du coût des mutuelles, la taxation de l’épargne, l’augmentation de la CSG sur les livrets A, les PEA, les PEL ou les plans d’épargne retraite (PER), et, demain, l’aggravation du poids des pensions de retraite.
La suspension est une ineptie budgétaire parce qu’elle constitue une injustice sociale profonde.
En réalité, tous les Français vont devoir payer votre inconséquence. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. Jérémie Patrier-Leitus
Exactement !
M. Sylvain Berrios
Nous souhaitons d’abord remettre les comptes de la nation en ordre pour redonner une belle perspective au pays, respecter sa souveraineté et aborder l’avenir dans les meilleures conditions.
La suspension de la réforme des retraites est une hérésie budgétaire et sociale. Si elle était adoptée, les Français la paieraient très cher. J’invite tous ceux qui se sont exprimés contre elle à voter cet amendement.
Mme la présidente
La parole est à Mme Justine Gruet, pour soutenir l’amendement no 910.
Mme Justine Gruet
L’article 45 bis tend à mettre en pause une réforme certes indigeste pour notre société mais nécessaire – tout en étant loin d’être suffisante – pour l’avenir du système de retraites par répartition.
Mme Le Pen nous a tenu un discours hypocrite : elle s’est attaquée à la position du PS, mais elle-même, à l’inverse de ses nouveaux amis ciottistes, votera ce deal. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Sur le principe, il peut être tentant de revenir sur cette cause de fracture datant désormais de deux ans et demi. Mais est-il responsable, raisonnable et juste de suspendre une réforme sans prévoir de solution financière susceptible de rendre notre système de retraite pérenne ? Vous proposez certes une hausse de la CSG sur tous les petits épargnants, sachant qu’ajouter des taxes supplémentaires ne vous dérange pas – je rappelle que le RN et LFI ont voté plus de 34 milliards de taxes ces dernières semaines. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
Nous assumons pour notre part de tenir un discours de vérité car les Français en ont besoin, tout comme ils ont besoin d’être rassurés. J’aurais donc plusieurs questions à vous adresser, madame et monsieur les ministres. Combien coûtera cette suspension après 2027 ? Comment pourrions-nous être plus nombreux à travailler plutôt que de demander toujours plus à ceux qui travaillent ? Enfin, comment remettre la liberté au cœur de notre système pour que chacun, en conscience, puisse définir la trajectoire de sa carrière ?
Vous l’aurez compris, faute d’une solution de rechange crédible, nous nous opposons à cette suspension. Les débats sont ouverts pour 2027. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Karl Olive, pour soutenir l’amendement no 956.
M. Karl Olive
Je veux exprimer un malaise, celui que nous éprouvons à entériner la suspension de la réforme des retraites, une décision qui coûtera 300 millions d’euros dès 2026, puis 1,9 milliard en 2027, alors que nous cherchons 40 milliards cette année pour combler le déficit.
Je comprends et je partage l’objectif du premier ministre, dont je salue le courage et l’honnêteté. Il est en effet impératif de doter la France d’un budget, mais la note est salée. La réforme de 2023 était perfectible sur les carrières longues, les retraites des femmes et les métiers pénibles. Sans elle, le déficit de notre système de retraites atteindrait 14 milliards en 2030 et 21 milliards en 2035. Rappelons-le : l’âge de départ est de 66 ans en Allemagne et de 67 ans en Italie. En le portant à 64 ans, la France reste le pays d’Europe où l’on part le plus tôt.
Trois leviers seulement existent : reculer l’âge de départ, allonger la durée de cotisation ou baisser les pensions. À ceux qui souhaitent une suspension de la réforme des retraites, disons clairement qu’ils doivent assumer de fragiliser le système par répartition et de vouloir baisser les pensions des retraités.
Pour toutes ces raisons, sans renier mes convictions ni celles des habitants de la douzième circonscription des Yvelines, mais parce que la France a besoin d’un budget, parce que les Français veulent de la stabilité politique, parce que le pays est plus important que les partis, en responsabilité, je ne prendrai pas part au vote. (Rires sur les bancs du groupe RN. – Exclamations et rires sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?
Mme Sandrine Runel, rapporteure
Nous en venons enfin à l’article relatif à la suspension de la réforme des retraites. Vous êtes nombreux ici à vouloir en débattre ; je ne comprends donc pas ces amendements de suppression.
Contrairement à ce qui a été dit, il n’y a aucune entourloupe dans cet article.
M. Jean-Paul Lecoq
Si, si ! C’est tellement une entourloupe que le gouvernement n’est pas soutenu par sa majorité !
Mme Sandrine Runel, rapporteure
Dans sa rédaction actuelle, il comporte déjà plusieurs mesures importantes. (Brouhaha.)
Mme la présidente
S’il vous plaît, un peu de silence ! C’est un débat important ; j’aimerais que nous nous écoutions.
Mme Sandrine Runel, rapporteure
L’article prévoit ainsi de geler l’âge de départ à la retraite à 62 ans et 9 mois pour la génération née en 1964. Il gèle également à son niveau actuel, c’est-à-dire 170 trimestres, la durée d’assurance requise pour un départ en retraite à taux plein. Ces dispositions, qui améliorent nettement la pension de retraite des assurés pour les générations nées en 1964 et 1965, constituent une première avancée.
Toutefois, je l’avais dit en commission, ce n’est qu’une étape, car l’article 45 bis, en l’état, ne matérialise pas entièrement l’engagement pris par le premier ministre devant l’Assemblée. En effet, il ne comporte pas de dispositions pour les carrières longues, pour les assurés de Saint-Pierre-et-Miquelon ni pour les assurés nés au premier trimestre de l’année 1965. Lors de l’examen du texte en commission, j’avais alerté le gouvernement sur ces insuffisances. Celui-ci va présenter un amendement pour enrichir et compléter l’article, qu’il n’est donc pas souhaitable de supprimer.
Cet amendement, le no 2686, tend à étendre les effets de la suspension aux assurés éligibles aux dispositifs de départ anticipé pour carrières longues et aux catégories actives et superactives de la fonction publique, c’est-à-dire aux égoutiers, aux sapeurs-pompiers, aux aides-soignantes, aux policiers, aux personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire et à tant d’autres de nos concitoyens qui ont commencé à travailler tôt ou qui exercent un métier pénible. Ce n’est pas rien.
Il concerne également les assurés nés au premier trimestre 1965. Je cite le premier ministre : « Aucun relèvement de l’âge n’interviendra à partir de maintenant jusqu’à janvier 2028 ». Respecter cet engagement impliquait de permettre aux assurés nés entre le 1er janvier et le 31 mars 1965 un départ à 62 ans et 9 mois afin qu’ils puissent partir au cours du dernier trimestre de l’année 2027. C’est désormais chose faite.
Enfin, il intègre dans le champ de la suspension nos concitoyens qui sont affiliés aux régimes de retraite de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte – il est vrai que rien ne justifiait qu’ils en soient exclus.
Mme Estelle Youssouffa
Rien !
Mme Sandrine Runel, rapporteure
Le dépôt de cet amendement est donc une juste reconnaissance pour tous les assurés que je viens de citer. Dans sa rédaction actuelle, la suspension devait entraîner des dépenses modestes de 100 millions d’euros en 2026 et de 1,4 milliard en 2027. L’amendement du gouvernement conduira à des dépenses supplémentaires d’environ 200 millions d’euros en 2026 et de 500 millions en 2027, pour un coût total de 1,9 milliard en 2027.
Je rappelle, puisque certains s’interrogent sur le financement de cette suspension, que l’amendement relevant la CSG sur les revenus du patrimoine rapportera, à lui seul, 2,8 milliards d’euros de recettes par an. Cela permettra de couvrir très largement ces coûts supplémentaires, dans l’attente d’un vrai débat sur l’avenir du système et de ses modalités de financement. (Exclamations sur les bancs des groupes DR et HOR. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Par ailleurs, je l’ai dit en commission et je le redis ici : contrairement à ce que certains veulent laisser croire, cette suspension ne vaut pas acceptation de la réforme de 2023. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. Nicolas Sansu
Bien sûr que si !
M. Aurélien Le Coq
Il faut lire les textes que vous votez !
Mme Sandrine Runel, rapporteure
Depuis deux ans, tous les groupes de gauche de cette assemblée ont tenté de remettre ce débat à l’ordre du jour, notamment à l’occasion des niches parlementaires. Jamais nous n’y sommes arrivés. Seul le groupe GDR, avec sa résolution de juin 2025, a permis d’acter la volonté d’abroger la réforme des retraites de 2023.
Mme Danièle Obono
Donc vous lâchez l’affaire !
Mme Sandrine Runel, rapporteure
Loin d’être une acceptation de la retraite à 64 ans, cette suspension est une première étape avant le débat sur l’abrogation qui aura lieu en 2027. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
Ne supprimons pas l’article 45 bis, qui a deux vertus. La première, c’est qu’il permet un débat riche et nourri. La seconde, c’est qu’il représente une avancée concrète pour des millions de nos concitoyens. C’est aussi une manière de panser les plaies de la blessure démocratique que fut l’utilisation du 49.3 pour faire passer la réforme des retraites.
Ces amendements de suppression ont été rejetés par la commission. Je vous invite bien sûr à en faire autant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Revenons aux arguments de fond qui justifient la suspension du point de vue du gouvernement. Le premier est la stabilité. Notre pays en a besoin. Ce n’est pas moi qui le dis, mais 61 % des Français qui le demandent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
Quand vous discutez avec les Françaises et les Français, vous comprenez que ce qu’ils attendent, c’est un peu de stabilité, pour que le gouvernement puisse se mettre au travail, avancer et produire un budget de la sécurité sociale et un budget pour l’État.
Mme Danièle Obono
Ah, voilà : vous voulez rester ministre ! L’enjeu, c’est de conserver votre poste !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Cela vaut la peine de trouver des compromis, des consensus et des convergences.
Le deuxième argument, c’est que nous avons besoin d’un temps de respiration. Le sujet est important, comme le montre ce débat riche et assez vif. Il n’y a pas de visions alignées, c’est le moins qu’on puisse dire, sur ce que doit être le système de retraites dans notre pays. Or nous devons trouver un consensus. Sur un tel sujet, il est compliqué de passer en force. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Mathilde Panot
C’est pourtant bien ce que vous avez fait !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Les Françaises et les Français doivent pouvoir se retrouver dans la manière dont le système de retraites est conçu.
Il nous faut donc du temps pour le débat. Les quelques mois que nous avons devant nous pourront être mis à profit pour préparer nos arguments, nos propositions, s’agissant notamment du financement du système. Tous ces sujets tiendront une place importante dans le débat pour l’élection présidentielle. Si le social pouvait être au cœur de la présidentielle, j’en serai ravi !
M. René Pilato
Vous ne devriez même pas être au gouvernement !
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Nous pourrions aussi parler du financement de la sécurité sociale, d’ailleurs, mais c’est un autre sujet.
Le troisième argument est celui du dialogue social. Les partenaires sociaux sont d’accord pour reprendre le problème en partant du travail et de l’emploi. C’est cela qu’il faut entendre. Je suis convaincu que c’est la clef du problème. Si les partenaires sociaux arrivaient à trouver une solution qui fasse consensus, ce serait la meilleure des choses. Il faut leur donner cette chance. J’ai confiance dans leur sagacité et dans leur capacité à converger. Vous comprendrez que dans ces conditions, j’émette un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
Un sujet reste un angle mort des interventions qui ont eu lieu jusqu’à présent : le déficit de nos comptes sociaux. Ce déficit en prendra un coup au terme de cette discussion !
Jugé hors de contrôle par le président de la Cour des comptes, il s’élèvera à 23 milliards d’euros à la fin de l’année, alors que le gouvernement, dans sa copie initiale, visait un déficit de 17 milliards. De plus, il s’aggrave à mesure que nous avançons dans nos débats. Actuellement, il est estimé à 20 milliards – le gouvernement pourra nous dire où nous en sommes dans le décompte des mesures votées.
Un certain nombre de dépenses nouvelles ont été votées et des recettes ont été supprimées – je pense à la contribution sur les complémentaires santé, ce milliard déjà perçu par les mutuelles sur le dos des Français et dont notre assemblée n’a pas voulu imposer le remboursement, mais il y en a d’autres.
Mme Élisa Martin
Taxez les riches !
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
Des pistes pour éviter certaines dépenses ont été abandonnées. Nous parlerons tout à l’heure de l’article 44 et de la renonciation à l’idée d’année blanche.
Mme Sophie Taillé-Polian
Il fallait accepter de baisser les exonérations de cotisations !
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
Tout cela, c’est bien gentil, mais cela fragilise nos comptes sociaux et augmente la dette sociale. Je me demande si tout le monde en a bien conscience. J’aimerais que cette dette soit un peu plus évoquée dans les débats qui ont lieu ici.
Quelques députés du groupe EPR
Très bien !
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
J’insiste donc sur l’aberration économique que représente la mesure qui est soumise au vote. Au-delà, je rejoins la position de mon groupe et celle du président Peu, qui a expliqué qu’il s’agissait d’un décalage, et pas d’une suspension. Merci d’appeler un chat, un chat.
M. Nicolas Sansu
Ah, merci !
M. Pierre Cordier
C’est bien la première fois que le groupe Horizons est d’accord avec la gauche !
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
Ce décalage de la réforme des retraites a un coût réel pour les finances publiques. Il fragilise d’une façon regrettable nos comptes sociaux. C’est un renoncement, au nom de la stabilité – et même un reniement. Je voterai donc les amendements de suppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu
Tout d’abord, je voudrais remercier le président Valletoux pour son honnêteté : ce n’est pas une suspension, c’est un décalage. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et SOC.) Si cela avait été une suspension jusqu’à l’élection présidentielle, nous aurions changé l’âge de départ à la retraite dans l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale, en remplaçant les mots « soixante-quatre ans » par « soixante-deux ans et neuf mois ». (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Si ce décalage fait gagner trois mois aux générations nées entre 1964 et 1968, ce ne sera pas le cas pour les générations nées en 1969 et après, puisque nous avaliserons le départ à la retraite à 64 ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Cela, toute la gauche, tous les syndicats et 90 % des salariés l’ont refusé ! Remplacer l’année 1968 par l’année 1969 au premier alinéa de l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale, comme le prévoit l’article 45 bis, cela veut dire que nous acceptons le départ à la retraite à 64 ans, et ça, ce n’est pas possible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)
C’est quelque chose qui est antinomique avec le Nouveau Front populaire ! Je le dis à tous mes camarades, à tous mes collègues : nous ne pouvons pas l’accepter !
Enfin, il faut quand même évoquer le financement de ces mesures. On nous dit que ce décalage est nécessaire, mais pour faire plaisir à quelques personnes nées entre 1964 et 1968, on le ferait payer à tous les autres, notamment aux retraités et à ceux qui sont nés en 1969 ? Ce n’est pas acceptable ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Comme je l’ai fait sur l’ensemble des articles, je voudrais rappeler les effets des mesures que nous votons. Monsieur le ministre, vous avez invoqué la justification politique – la stabilité –, mais il faut aussi être éclairé sur ce que nous nous apprêtons à voter : l’article 45 bis et l’amendement gouvernemental qui le complète.
Deux questions se posent. D’abord, quel est le coût de cet article ? Il est de 300 millions pour 2025, avec l’amendement gouvernemental, et de 1,9 milliard pour 2027. Et après ? Combien nous coûtera-t-il en 2029 ? En 2030 ?
Cette suspension, qui est en fait un décalage de la réforme, a un impact sur les finances de nos régimes de retraite, mais aussi sur nos finances sociales. Quand on cotise, on ne cotise pas que pour la branche retraite. On cotise aussi pour les autres branches, notamment pour la branche maladie. Cela nous sert à financer les services publics de santé dont nous avons tant besoin.
La suspension a aussi un impact sur les finances publiques au sens large. Madame la ministre, vous me direz si je me trompe, mais je pense notamment aux effets sur le revenu : souvent, quand on arrive à la retraite, on perd un peu de revenus par rapport à la vie active.
Ensuite se pose la question du financement de la suspension. Nous sommes tous d’accord pour dire que nous ne la financerons pas en augmentant les taxes sur les mutuelles ou en sous-indexant les retraites par rapport à l’inflation. Je pense aussi – et les Français ne sont pas dupes – que ce n’est pas en augmentant la fiscalité sur l’épargne populaire, celle de ceux qui ont bossé et qui bossent aujourd’hui, que l’on résoudra structurellement le problème des retraites. Cela peut être une rustine à court terme, mais celle-ci ne peut pas servir à financer plusieurs choses à la fois – le dégel des pensions et des prestations sociales, le décalage de la réforme des retraites et toutes les mesures d’économies que nous avons voulu éviter la semaine dernière.
M. Jean-Paul Lecoq
D’autres recettes peuvent être trouvées !
M. Thibault Bazin, rapporteur général
En fait, tout reste à écrire, tout reste à résoudre. Peu importe le résultat du vote : qu’on soit pour ou contre cette suspension, il faut régler le problème si on veut sauver notre système par répartition. Pour cela, il y a deux moyens : le taux de renouvellement des générations, à long terme, et le taux d’emploi.
M. Dominique Potier
Et la justice !
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Le grand chantier que nous avons devant nous, c’est le taux d’emploi, monsieur le ministre. Si on ne l’améliore pas, on ne pourra pas sauver notre système de protection sociale.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Les points soulevés par le rapporteur général méritent des explications complémentaires. Il y a quelques mois, le rapport de la Cour des comptes a remis à plat l’ensemble des éléments de chiffrage pour que tout le monde comprenne bien les enjeux. Cela a été un moment utile et important pour notre démocratie.
Je voudrais abonder dans le sens du rapporteur général : l’abrogation pure et simple de la réforme représenterait 13 milliards d’euros de moins pour les finances publiques en 2035.
M. Jean-Paul Lecoq
Ce n’est pas un problème, ça !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Cela se répercuterait non seulement sur le système des retraites, mais aussi sur l’économie en général, du fait des enjeux relatifs au taux d’emploi, au financement de la sécurité sociale et à l’impôt sur le revenu.
J’ajoute que nous ne savons pas ce que les Français concernés par cette suspension vont faire. Deux choix se présentent à eux : soit ils partiront un trimestre plus tôt avec le même niveau de pension que ce qu’ils imaginaient, soit ils travailleront un trimestre de plus, comme le prévoyait leur propre calendrier personnel, et ils auront donc une bonification de retraite.
Il est donc difficile d’évaluer les effets de la suspension et c’est pourquoi il faut interpréter les chiffres avec prudence. Je le redis : soit les personnes partiront trois mois plus tôt avec la même retraite, soit elles partiront un peu plus tard, et elles auront une pension légèrement supérieure, voire significativement supérieure, si elles passent de la décote au taux plein, voire du taux plein à la surcote.
Mme Christine Arrighi
On ne passe pas à la surcote en trois mois !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je souhaitais verser ce point au débat, parce qu’il n’avait pas été évoqué jusque-là. Il sera à prendre en compte quand, plus tard, certains voudront évaluer le coût effectif de cette réforme.
Ce qui est vrai, monsieur le rapporteur général, c’est que l’estimation faite par le gouvernement se fonde sur les effets sur le système des retraites. Il ne faut pas oublier qu’un travailleur cotise non seulement pour la retraite, mais aussi pour financer l’ensemble de la protection sociale.
Il est par ailleurs en général mieux rémunéré en activité qu’en retraite. C’est sur ce point que je voulais insister ; c’est à ce propos que la Cour des comptes a rappelé que le coût de l’abrogation s’élèverait en 2035 à 13 milliards d’euros. Il était utile que je le redise ici.
Mme la présidente
Sur ces amendements identiques nos 653, 910 et 956, je suis saisie par les groupes Rassemblement national, Socialistes et apparentés, Horizons & indépendants et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires de demandes de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Thomas Ménagé.
M. Thomas Ménagé
Le groupe Rassemblement national s’opposera naturellement à ces amendements de suppression. Comme vient de le rappeler Marine Le Pen, nous sommes cohérents : nous votons dans le sens de l’intérêt général, dans le sens des Français, non dans celui des petits calculs d’appareil. Favorables à la réforme des retraites il y a deux ans, les macronistes, pour certains, voteront en faveur de sa suspension. D’autres, à gauche, voteront pour les amendements de suppression de l’article afin d’empêcher la suspension d’une réforme qu’ils dénonçaient hier, privant ainsi les Français de trois mois de retraite en plus.
Ironie du sort, enfin, ceux qui crient aujourd’hui le plus fort contre cette réforme sont ceux qui l’ont initiée : qui a porté à quarante-trois annuités la durée de cotisation ? Les socialistes, avec la réforme Touraine opérée sous François Hollande, ici présent ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RN et UDR.) Le premier à lever la main, à l’époque, c’était vous, monsieur Faure ! Les Français voient vos contorsions, vos reniements, vos calculs – tout cela pour sauver vos sièges. Souvenez-vous que le 31 octobre 2024, à l’occasion de la niche parlementaire de notre groupe, nous aurions pu abroger purement et simplement le départ à 64 ans : vous, les sociaux-traîtres de gauche, plutôt que d’admettre que le Rassemblement national avait raison, avez préféré voter contre vos promesses de campagne !
Nous, nous ne faisons pas de la politique du pire ; lorsqu’une mesure va dans le bon sens, même si elle ne vient pas de nous, nous la soutenons. Parce que chaque trimestre rendu aux Français compte, et afin de financer une réforme juste, nous assumons de lever les vrais tabous : l’immigration, la gabegie, la fraude. C’est là, non dans les poches de ceux qui travaillent, que se trouvent les milliards qui nous manquent pour financer les retraites.
Mme Dieynaba Diop
Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !
M. Thomas Ménagé
Les Français ne sont pas dupes : ils savent qui agit pour soi-même et qui agit pour eux. Or le seul bloc sincère est celui du Rassemblement national ; nous, nous ne jouons pas avec la retraite des Français, nous la défendons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet
Nous connaissions le parti de la retraite à 64 ans : ses membres sont là. Nous découvrons le parti de la retraite à 65 ans, à 66 ans, à 68 ans. La signification de ces amendements est claire : ils sont soutenus par celles et ceux qui souhaitent qu’aucun ouvrier, aucun employé n’arrive jamais à l’âge de la retraite, qui veulent décaler celle-ci – nous le disons et nous l’assumons – dans une logique de mort ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Ce que vous avez en commun, c’est d’avoir voté, depuis une semaine, contre tous les amendements qui visaient à mettre de l’argent dans la caisse. (Mêmes mouvements.) Lorsque nous avons proposé de faire cotiser davantage les gens payés plus de 10 000 euros par mois, vous avez refusé afin de les protéger. Normal : vous déjeunez ensemble !
Ce front commun de celles et ceux qui veulent obliger les gens à partir à la retraite au moins à 64 ans suscite une question : qui est censé payer le décalage ? On ne le comprend toujours pas. Tantôt un ministre nous déclare que le décalage sera financé par le gel des pensions, donc payé par les retraités d’aujourd’hui, tantôt une ministre nous répond : « Non, pas du tout ! Il sera financé par les franchises médicales ! » – c’est-à-dire que tous les malades du pays paieraient le décalage de l’âge de la retraite. Un autre encore surgit et, ne sachant quoi faire : « Mais non, ce sont les patients atteints d’ALD, les malades chroniques, qui paieront ! ». Dans tous les cas, les gens partiront à 64 ans : c’est le résultat global. La question consiste à savoir à qui, sous ce prétexte, vous ferez les poches par-dessus le marché ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Prisca Thevenot.
Mme Prisca Thevenot
Le groupe Ensemble pour la République s’abstiendra lors du vote des amendements de suppression, comme d’ailleurs sur l’ensemble de l’article, comme l’a rappelé Gabriel Attal. En effet, il ne s’agit pas de refaire les débats qui ont eu lieu en 2023, mais plutôt de regarder en avant : les jeux sont faits, il nous faut désormais travailler à un nouveau système, un système complètement refondé – là encore, le président de notre groupe l’a dit tout à l’heure. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Concernant les discussions de 2023, je tiens à souligner que certains mots, certains discours de franchise ont fait défaut. Je le dis avec beaucoup de respect et d’indulgence envers nos collègues Les Républicains. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et HOR. – Exclamations sur quelques bancs du groupe DR.) Madame Gruet, je vous ai entendue défendre avec verve la réforme des retraites : malheureusement, si nous en sommes là aujourd’hui, c’est aussi un peu à cause des LR d’hier. (Exclamations continues sur les bancs du groupe DR.) En 2023, vos voix nous ont manqué…
M. Pierre Cordier
Il n’y a jamais eu de vote !
M. Patrick Hetzel
On réécrit l’histoire !
Mme Prisca Thevenot
…non seulement pour faire valoir cette réforme que vous aviez pourtant défendue en 2022 (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe HOR), mais pour la faire adopter, d’où la nécessité de recourir au 49.3. Pire, afin de nous punir d’avoir utilisé ce dernier pour faire passer le texte, vous avez voté la censure. J’espère que, désormais, nous pourrons enfin discuter du fond et travailler au nouveau système de retraite que notre pays attend. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. Patrick Hetzel
Quel culot !
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Pradié.
M. Aurélien Pradié
Tous ceux d’entre nous qui étaient présents à l’époque conservent un souvenir assez précis des âpres débats suscités par la réforme Borne. Que notre position ait été favorable ou hostile à celle-ci, nous sommes du moins allés au bout des convictions qui nous animaient. Madame Thevenot, je ne regrette pas qu’à l’époque ma voix vous ait manqué : vous avez reçu d’autres soutiens, notamment celui de M. Ciotti, accouru au secours de Mme Borne. Chacun défend ses convictions avec la constance qu’il entend. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes DR, EcoS et Dem.)
Pour ma part, monsieur le ministre, j’ai deux problèmes. Dans le chemin vers un nouveau débat sur la réforme des retraites, nous nous heurtons à un vice. Nous savons tous que ce qui nous a conduits à rediscuter n’est pas la question de la pérennité du système mais celle de la survie du gouvernement. Tout est là : la survie politique, les négociations, les pactes, les deals peuvent-ils effacer les grands débats que nous devons avoir, notamment au sujet de cette réforme ? Tel est, je le répète, le premier vice qui entache cette discussion.
Ma seconde source d’inquiétude est la tromperie. Nous pouvons tenir toutes les discussions que nous voulons, mais sur un sujet aussi essentiel que les retraites – un sujet qui dans la vie de nos concitoyens est absolument majeur, qui les a animés durant de longs mois, de longues années, qui fait partie de la manière dont ils organiseront leur existence à l’avenir –, nous n’avons pas droit à un millimètre de tromperie. S’il s’agit seulement d’un décalage, disons clairement qu’il s’agit seulement d’un décalage ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et GDR.) Ce n’est pas là un débat accessoire. S’il s’agit de faire payer à d’autres la suspension ou le décalage de la réforme des retraites, nous devons le dire ; il n’est pas question de tromperie ! (Mêmes mouvements.)
Mme la présidente
Merci, cher collègue.
M. Aurélien Pradié
Enfin – nous aurons l’occasion d’y revenir –, il faut être extrêmement clair au sujet des carrières longues, s’assurer que tous bénéficient du dispositif et que personne ne soit trompé. Encore une fois, nous n’avons pas le droit de tromper les Français. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Guedj.
M. Jérôme Guedj
Au moment de nous prononcer sur cette suspension (« Décalage !» sur quelques bancs du groupe LFI-NFP), une seule question doit nous animer : est-ce que nos concitoyens bénéficieront de ce que nous allons voter dans un instant ? Est-ce qu’en 2026 et en 2027 ceux qui auraient été pénalisés par la réforme Borne pourront bénéficier de sa suspension ? Honnêtement, la réponse est oui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – « C’est faux ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Qu’ils aient une carrière longue, 62 ans et 9 mois, 170 trimestres de cotisation, qu’ils soient actifs ou superactifs, des centaines de milliers, des millions de nos concitoyens en profiteront pleinement. J’entends sur certains bancs s’exprimer l’inquiétude que voter la suspension revienne à valider ad vitam æternam la réforme elle-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Exclamations continues sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Nicolas Sansu
Bien sûr !
M. Jérôme Guedj
Chers collègues, à quel point doutez-vous de votre capacité à convaincre les Français en 2027, puisque tel est le grand rendez-vous démocratique qui permettra de trancher ?
Ce débat a fracturé le pays ; ce que nous avons obtenu, c’est une suspension de l’application de la réforme afin que la discussion soit rouverte, afin que lors de la présidentielle de 2027 la question sociale, la question du travail, la question de la protection sociale, la question des retraites soient au cœur du débat démocratique. Nous devrions tous en être satisfaits ! (Mêmes mouvements.)
Des syndicats réformistes nous invitent à voter pour cette suspension car, écrit la CFDT, elle exprime l’attention que nous portons au monde du travail. Nous devrions garder chevillée au corps cette invitation à être attentifs à ce que le monde du travail attend de nous. Suspendons pour mieux réformer le système des retraites et pour le faire dans le cadre du débat démocratique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, dont quelques députés se lèvent.)
Mme la présidente
La parole est à M. François Ruffin.
M. François Ruffin
Nous voterons contre les amendements de suppression. Cette retraite à 64 ans, c’est la grande faute d’Emmanuel Macron, qui responsable, en tant que président de la République, de l’unité de la nation, l’a déchirée en imposant cette réforme seul contre tous – seul contre huit salariés sur dix, contre l’union de tous les syndicats, contre une majorité au sein de notre assemblée, laquelle n’a jamais voté sur ce sujet. C’est là une blessure sociale, mais avant tout morale.
Mesdames et messieurs du gouvernement, vous gelez, jusqu’au 1er janvier 2028, à 62 ans et 9 mois l’âge du départ à la retraite, à 170 le nombre des trimestres de cotisation nécessaires – 500 000 travailleurs vont en profiter, partir trois mois ou six mois plus tôt : nous prenons. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et SOC.) Nous prenons comme toujours, comme depuis huit ans, dans cette assemblée. Lorsqu’il s’agit d’un plein de caddie pour les auxiliaires de vie, nous prenons ! (Mêmes mouvements.)
M. Philippe Brun
Il a raison !
M. François Ruffin
Lorsqu’il s’agit d’un treizième mois pour les femmes de ménage, nous prenons. Lorsqu’il est question du sauvetage d’une usine dans la Somme, nous prenons. Cependant nous ne faisons pas passer ces miettes pour un festin ! Nous grattons ce que nous pouvons gratter pour les gens, sans attendre l’avènement d’un monde parfait, sans attendre le grand soir ou l’aube nouvelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Au printemps 2027, lors des élections, les Français trancheront : veulent-ils maintenir la réforme Borne ou, comme nous le réclamons, l’abroger ? Cela concernera aussi la durée de cotisation, le niveau des pensions, l’emploi des seniors, une inaptitude record.
Notre devoir à nous, à gauche – camarades communistes, Insoumis, écologistes et socialistes –, consiste à tracer ensemble un chemin vers la victoire. Notre devoir, c’est que les travailleurs et travailleuses de notre pays retrouvent un peu d’espoir. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC et sur quelques bancs du groupe GDR.) Il y a un manque de confiance dans le fait de dire que…
Mme la présidente
Merci, monsieur Ruffin.
M. François Ruffin
…nous ne serions pas capables, demain, d’abroger la réforme. Nous le ferons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP. – M. Emmanuel Maurel applaudit également.)
M. Alexandre Portier
La gauche, c’est vraiment une famille compliquée !
Mme la présidente
La parole est à M. Matthieu Bloch.
M. Matthieu Bloch
Le groupe UDR soutiendra les amendements identiques visant à supprimer la suspension de la réforme Borne. Soyons clairs : nous ne défendons pas cette réforme injuste, incomplète et inadaptée, mais nous refusons la solution de facilité qui consiste à la suspendre sans cap, sans courage, sans projet et surtout sans financement.
Ces amendements ne sont rien d’autre qu’un arrangement politique entre le PS et la Macronie, un marché de couloir en vue d’éviter de retourner devant les Français. La réforme de 2023 a manqué sa cible, oublié la pénibilité, les carrières longues – oublié les temps partiels et les congés parentaux, pénalisant de nombreuses femmes. Elle a creusé le fossé entre public et privé, alors que l’équité est censée constituer le socle de tout système de santé. Les Français ressentent cette injustice ; pour autant, le statu quo ne constitue pas une solution. Suspendre ne serait pas corriger, mais repousser l’injustice à plus tard. Notre système est à bout de souffle, déficitaire, démographiquement condamné ; nous devons changer de modèle et non appuyer simplement sur « pause ».
Le groupe UDR défend une autre voie : une réforme plus équitable qui prenne en compte la pénibilité réelle des métiers, une réforme plus lucide qui soutienne la natalité, une réforme plus fructueuse qui introduise enfin dans le système un véritable pilier de capitalisation,… (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Hadrien Clouet
Nous y voilà !
M. Matthieu Bloch
…comme aux Pays-Bas, où la pension d’un retraité équivaut en moyenne à 90 % de son salaire net, contre seulement 74 % en France. Voilà ce que nous devons aux générations qui travaillent aujourd’hui, à celles qui viendront demain. Suspension, non ; réforme juste, ambitieuse et audacieuse, oui ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson
La majorité des membres du groupe LIOT votera contre ces trois amendements de suppression de l’article 45 bis. Pourquoi ? D’abord, mes chers collègues, cet article donne raison à ceux qui ont combattu la réforme des retraites de 2023 et qui ont expliqué qu’une réforme des retraites juste, efficace et durable doit recueillir un minimum de consensus politique d’une part, et recevoir l’appui d’une large partie des partenaires sociaux d’autre part.
Il y a une seconde raison à notre vote. Une réforme juste, socialement et économiquement efficace, ne pourra voir le jour que si nous prenons des mesures incitatives – et non pas coercitives – pour inciter à la fois nos jeunes concitoyens à commencer à travailler plus jeunes, et nos concitoyens âgés à travailler plus longtemps pour ceux qui le souhaitent.
C’était ça, la voix de la raison. Alors, mes chers collègues, votons contre ces trois amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Turquois.
M. Nicolas Turquois
En cohérence avec les propos du président Fesneau, les députés du groupe Démocrates s’abstiendront sur ces amendements de suppression. Nous considérons que n’ont pas été réglés les enjeux de financement de la protection sociale en général et du système de retraites en particulier, que les enjeux démographiques restent à aborder, et que le sujet de la lisibilité doit être traité. En effet, nous étions très favorables à la réforme du système universel de retraite à points, qui n’a pas abouti à ce jour, qui donnait de la lisibilité au système.
Nous cautionnons la démarche de compromis du premier ministre, mais nous exprimons aussi nos réserves et soulignons les sujets qui devront être évoqués dans les prochains mois, peut-être d’ici à l’élection présidentielle, pour préserver notre système de retraite.
M. Pierre Cordier
Un bon centriste.
Mme la présidente
Je mets aux voix les amendements identiques nos 653, 910 et 956.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 494
Nombre de suffrages exprimés 336
Majorité absolue 169
Pour l’adoption 70
Contre 266
(Les amendements identiques nos 653, 910 et 956 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente
Nous en venons à l’amendement no 2686 du gouvernement à l’article 45 bis, amendement qui fait l’objet de quatre sous-amendements nos 2696, 2697, 2715 et 2708.
Je suis saisie de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 2686, par les groupes Ensemble pour la République, Socialistes et apparentés et Horizons & indépendants ; sur le sous-amendement no 2715, par le groupe Écologiste et social ; sur le sous-amendement no 2708, par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement du gouvernement.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
J’ai l’honneur de vous présenter un amendement complémentaire à la suspension. Il faut être clair et rassurer sur la bonne foi du gouvernement et du premier ministre qui a inscrit le principe de suspension dans la lettre rectificative. Vous vous souvenez de ses propos lors du discours de politique générale : il n’a pas précisé le périmètre, mais a avancé une estimation s’élevant à 400 millions d’euros. Cela correspond à un périmètre assez large et va au-delà des calculs faits dans la première expression de la lettre rectificative, puisque cela inclut bien évidemment les départs anticipés.
L’examen est certes un peu tardif, mais nous avons beaucoup travaillé, d’abord sur les recettes, puis nous avons donné du temps à la commémoration du 11 Novembre.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Les poilus ont bon dos.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
C’est donc tardivement que nous avons mis au point et rédigé l’amendement qui vous est présenté.
Dans cet amendement, on retrouve bien l’accès pour les assurés bénéficiant d’un départ anticipé lié aux carrières longues, ainsi que ce qui a déjà été dit par la rapporteure, à savoir l’inscription des catégories actives et superactives de la fonction publique. Les métiers concernés sont dignes de notre attention ; on parle des policiers, des égoutiers, des sapeurs-pompiers professionnels, c’est-à-dire des populations dont on connaît l’engagement pour nos compatriotes.
Pourquoi écarter les régimes de Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon ? Ils ont aussi toute leur place.
L’amendement propose également une lecture plus précise en matière de dates. C’est pointu, mais on peut considérer que les assurés nés au premier trimestre de l’année 1965 peuvent aussi être éligibles.
Voilà donc les correctifs apportés par cet amendement, allant dans le sens de la logique et de la cohérence avec l’expression du premier ministre.
Au total, cela correspond à quasiment 20 % de bénéficiaires supplémentaires. Ce n’est pas négligeable. Ce sont des Françaises et des Français qui seront satisfaits si vous votez cet amendement.
Mme la présidente
La parole est Mme la rapporteure, pour soutenir les sous-amendements nos 2696 et 2697, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Sandrine Runel, rapporteure
Tout d’abord, merci pour cet amendement que nous attendions et que nous n’avons pas examiné en commission. Il a évidemment son intérêt puisqu’il vient compléter l’article 45 bis.
J’en ai déjà largement évoqué les effets lors de la discussion sur les amendements de suppression, mais je voudrais quand même rappeler que cette mesure est une véritable avancée pour les Françaises et les Français, notamment les travailleurs en carrière longue ainsi que ceux qui travaillent dans la fonction publique et qui exercent des métiers pénibles mentionnés par le ministre : les égoutiers, les militaires ou les surveillants de l’administration pénitentiaire.
L’amendement permet aussi d’inclure nos compatriotes de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte. Mme la députée Youssouffa présentera un sous-amendement à ce sujet. (Mme Estelle Youssouffa s’exclame.) Ils étaient exclus initialement alors même qu’ils sont également concernés par le renouvellement de l’âge de départ et de la durée d’assurance requise pour accéder à un taux plein. Pour eux, l’âge sera maintenu au niveau actuel jusqu’au 1er janvier 2028, c’est-à-dire à 62 ans et 3 mois à Saint-Pierre-et-Miquelon et à 62 ans et 6 mois à Mayotte.
Enfin, cet amendement concrétise un véritable gel de l’âge et de la durée d’assurance jusqu’au 1er janvier 2028. Ainsi, les Françaises et les Français nés au premier trimestre 1965 pourront prétendre à un départ en fin d’année 2027, à l’âge de 62 ans et 9 mois. Très concrètement, grâce à cet amendement, un assuré né le 1er janvier 1965 qui a commencé à travailler avant l’âge de 20 ans et qui atteindrait 171 trimestres cotisés au 1er janvier 2027 pourra partir un trimestre plus tôt, le 1er octobre 2026, quand il aura atteint 170 trimestres cotisés.
Je réponds à certains qui, pendant nos débats, disaient que nous ne connaissons pas le monde du travail. Eh bien, si, justement, nous connaissons le monde du travail et nous répondons à ses acteurs. Nous répondons à la demande des syndicats et des partenaires sociaux. Nous répondons aussi aux 700 000 travailleurs concernés par la suspension dès 2026 qui attendent notre vote avec impatience. Nous répondons aussi à la dame de ménage de l’Assemblée nationale dont parlait Mme Rousseau qui, fatiguée, a dû se couper les cheveux parce qu’elle ne peut plus lever les bras ; elle pourra partir à la retraite six mois plus tôt grâce à cette suspension. Rien que pour ça, je pense qu’il est nécessaire de la voter.
C’est un premier coup d’arrêt au départ à la retraite à 64 ans. N’en déplaise à certains, il n’y a aucun doute sémantique possible. Il s’agit d’une victoire pour des millions de travailleurs et travailleuses dans notre pays.
J’annonce par avance que j’émettrai évidemment un avis favorable sur cet amendement. Il n’avait pas été étudié en commission puisqu’il a été déposé plus tard. Les deux sous-amendements que j’ai déposés sont rédactionnels. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau, pour soutenir le sous-amendement no 2715.
Mme Sandrine Rousseau
Ce sous-amendement vise à imposer une forme de clause de revoyure sur la réforme des retraites.
Nous sommes face à un dilemme – cela a été dit plusieurs fois et par plusieurs de mes collègues. Il s’agit ici de faire voter par l’Assemblée nationale, pour la première fois, de manière historique, l’âge de 64 ans et les quarantre-trois annuités nécessaires pour le départ à la retraite. L’idée du sous-amendement est donc d’imposer une revoyure après l’élection de présidentielle. La différence entre décalage et suspension, c’est qu’une suspension oblige à revoir la réforme des retraites, à la faire revoter ou à en proposer une autre, alors que le décalage n’y oblige pas.
Il s’agit d’un sous-amendement qui respecte l’article 40 de la Constitution ; il est donc modeste, mais il consiste tout de même à demander la remise d’un rapport à l’Assemblée nationale sur l’état des pensions juste après l’élection présidentielle de 2027. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Estelle Youssouffa, pour soutenir le sous-amendement no 2708.
Mme Estelle Youssouffa
J’ai beaucoup entendu parler de Mayotte, d’entourloupe, et dire qu’on faisait de gros efforts. Je voudrais juste rappeler que pour la réforme Dussopt, Mayotte n’était pas concernée. Pour celle-ci, vous faites un effort pour X, Y ou Z, mais Mayotte n’est toujours pas concernée. Les sous-amendements pour une revalorisation des retraites à Mayotte sont irrecevables. J’en défends donc un qui demande un rapport, grandiose, simplement pour vous interpeller.
À Mayotte, il y a 3 759 retraités en tout et pour tout. Notre île est tellement jeune qu’elle ne compte que 3 759 retraités. Ils perçoivent en moyenne 347 euros de retraite par mois à taux plein. Ces montants, évidemment, sont les plus faibles du pays, alors que le coût de la vie est supérieur de 71 % à celui de l’Hexagone.
Les études d’impact évaluent à 19 millions d’euros par an le coût du rattrapage pour les retraités mahorais ; rattrapage que le gouvernement refuse.
Mais ce qui ajoute le magnifique au sublime, c’est que le régime de retraite de Mayotte est excédentaire ! Les cotisations sociales couvrent non seulement largement les pensions versées à Mayotte, mais on constate un excédent de 62 %. Cela veut dire que Mayotte, le territoire le plus pauvre de France, avec les plus petites retraites de France, envoie 61 millions d’euros d’excédent à Paris chaque année : 61 millions d’euros d’excédent envoyés de Mayotte à Paris pour les retraites, et vous refusez d’augmenter les retraites des pensionnés mahorais !
Vous pouvez voter pour ce rapport, ça vous fera plaisir, mais je me bats, nous nous battons depuis des années, pour sortir nos anciens de l’indignité dans laquelle vous nous plongez. Et les gouvernements successifs, avec une constance remarquable, refusent de sortir Mayotte de la pauvreté. Je vous le dis, vous pouvez voter pour la remise d’un rapport, mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est que 61 millions d’euros sont envoyés chaque année du territoire le plus pauvre de France, qui compte les retraités les plus pauvres de France. Et vous, vous ne voulez rien faire. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement sur les sous-amendements ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Je donnerai l’avis du gouvernement avec la ministre des comptes publics.
En ce qui concerne les sous-amendements présentés par Mme Runel, c’est un avis favorable.
Madame Rousseau, il nous semble que ce que vous proposez est largement satisfait par un rapport du Comité de suivi des retraites qui porte sur les effets de la réforme des retraites, prévu à l’article 10 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. Ce rapport analysera l’évolution des différents paramètres de l’équilibre financier de l’ensemble des régimes obligatoires de base à l’horizon 2040. Il doit être remis en octobre 2027. Il y aura donc un débat à l’Assemblée et au Sénat à ce moment-là. Pour ces raisons, je me vois au regret d’émettre un avis défavorable à votre sous-amendement.
Mme la présidente
Madame la ministre, vous souhaitez compléter ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je donnerai en effet la position du gouvernement sur le sous-amendement de Mme Youssouffa. Je répondrai en deux temps.
D’abord, il est absolument essentiel que Mayotte ne soit pas mise de côté. L’amendement du gouvernement précise qu’il y aura bien un décret définissant les nouvelles trajectoires d’âge, de durée de cotisation et, de facto, de niveau de pension pour Mayotte. Nous avons tous entendu, madame la députée, votre conviction légitime et votre volonté de faire en sorte que les retraités de Mayotte bénéficient d’une convergence effective, comme cela a été voté dans la loi du 11 août 2025 de programmation pour la refondation de Mayotte. L’amendement prévoit bien un décret spécifique à Mayotte pour que ces nouvelles trajectoires reflètent ce qui est fait pour le reste du pays. Vous serez évidemment associée à sa rédaction.
Votre deuxième intervention porte plutôt sur la réalité du montant actuel des pensions. Vous mentionnez les sous-amendements, malheureusement irrecevables, que vous avez présentés…
Mme Estelle Youssouffa
Vous pouvez les reprendre !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…pour augmenter les pensions de 300, 200 ou 150 euros, selon les versions.
Depuis la loi d’août 2025, un chantier est en cours. Des ordonnances sont en cours de rédaction – vous serez évidemment associée – pour aboutir à une convergence sur les salaires, sur les droits sociaux, sur le financement, et donc sur la réalité économique à Mayotte, afin que les plus de 3 000 retraités que vous défendez puissent effectivement voir leur niveau de vie augmenter.
L’engagement du gouvernement est total. Vous serez associée aux ordonnances relatives à la convergence et à la rédaction du décret relatif à la suspension de la réforme des retraites sur laquelle l’Assemblée est appelée à se prononcer aujourd’hui.
Au fond, ce qui est en jeu, c’est non seulement la convergence sociale, mais aussi le modèle économique de l’île : Mayotte doit disposer d’un financement et d’une activité solides – des salaires plus élevés assureront des droits sociaux plus élevés. Mais la solidarité nationale doit pleinement s’exercer au profit de Mayotte.
Mme Estelle Youssouffa
Pour Mayotte, c’est zéro, la tête à Toto ! Il n’y a rien !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Avis favorable à votre sous-amendement. La transparence doit être faite et la représentation nationale doit être pleinement informée.
Mme la présidente
Madame la rapporteure, vous aviez donné l’avis de la commission sur l’amendement et vos sous-amendements mais pas sur les deux autres sous-amendements ?
Mme Sandrine Runel, rapporteure
S’agissant du sous-amendement no 2715 de Mme Rousseau, une clause de revoyure est déjà prévue : il s’agit des élections présidentielles de 2027. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Sandrine Rousseau
Non !
Mme Sandrine Runel, rapporteure
La suspension de la réforme des retraites qui sera soumise au vote aujourd’hui permet de décaler le rythme du calendrier de report de l’âge de départ à la retraite jusqu’au 1er janvier 2028. Aussi émettrai-je un avis de sagesse sur ce sous-amendement, qui n’a pas été examiné en commission. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Pour ce qui concerne le sous-amendement no 2708 de Mme Youssouffa, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon avaient été oubliées dans la rédaction de l’article 45 bis lors de son dépôt. En tant que rapporteure, j’ai veillé à ce que les futurs pensionnés de ces deux territoires puissent bénéficier des effets de la suspension de la réforme des retraites, comme le prévoit l’amendement du gouvernement. J’émettrai bien sûr un avis favorable à votre sous-amendement qui a pour objet une demande de rapport.
Mme Estelle Youssouffa
Merci, madame la rapporteure !
Mme la présidente
La parole est à M. Manuel Bompard.
M. Manuel Bompard
Le problème d’un débat dans lequel les amendements arrivent au dernier moment, c’est que le diable se niche dans les détails. Madame la ministre, monsieur le ministre, je voudrais que vous répondiez précisément à plusieurs questions relatives à l’amendement qui vient d’être déposé par le gouvernement.
Tout d’abord, dans la version initiale, vous évoquiez un coût pour les finances publiques de 100 millions d’euros l’année prochaine, alors que le décalage allait selon vous concerner 80 % d’une génération. Aujourd’hui, vous dites que vous allez compléter ce dispositif en incluant les personnes ayant effectué une carrière longue, qui représentent 20 % d’une génération, et que cette mesure représentera une dépense de 200 millions d’euros supplémentaires l’année prochaine. J’ai du mal à comprendre comment une mesure qui coûterait 100 millions alors qu’elle concerne 80 % de la population, en coûterait 200 millions pour les 20 % restants. Pourriez-vous nous apporter des précisions ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Ensuite, dans l’exposé sommaire de votre amendement, il est indiqué que pour des raisons techniques, l’intégration des carrières longues se ferait à partir du 1er septembre 2026. Quel est le pourcentage des personnes qui devaient bénéficier d’un départ anticipé, au titre du dispositif pour longues carrières, en 2026, qui seraient dès lors exclues du dispositif que vous proposez pour étendre le décalage ? (Mêmes mouvements.)
Enfin, le nombre de personnes qui pourraient profiter de ce décalage – 500 000 ou 600 000 – fait l’objet de débats.
Mme Sandrine Runel, rapporteure
600 000 !
M. Manuel Bompard
Je l’affirme devant l’Assemblée nationale : pas une seule personne ne profiterait de ce décalage s’il devait entrer en vigueur, pour une raison simple : si vous prévoyez 300 à 400 millions d’euros de dépenses supplémentaires en décalant l’âge de départ à la retraite, mais que dans le même temps, vous faites 2 milliards d’économies en sous-indexant les pensions de retraite pendant quatre ans, ou 2,3 milliards d’euros d’économies en doublant les franchises médicales, personne n’y gagnera – y compris ceux qui pourraient partir trois mois plus tôt à la retraite ! (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe LFI-NFP.) En vérité, ils paieront davantage parce qu’ils verront leurs pensions de retraite sous-indexées et leurs franchises médicales doublées.
Madame la ministre, monsieur le ministre, si vous voulez me contredire sur ce sujet, ne vous défilez pas ; faites une chose simple : prenez l’engagement devant l’Assemblée nationale, de ne pas doubler les franchises médicales, de ne pas sous-indexer les pensions de retraite et de ne pas faire payer les malades chroniques. Allez-y, faites-le ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent pour applaudir. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Justine Gruet.
Mme Justine Gruet
Si l’amendement du gouvernement n’avait concerné que les carrières longues, nous l’aurions voté – nous avons conscience de l’importance de la prise en compte des durées de cotisation plus que de l’âge légal pivot, qui cristallise parfois les tensions. Cependant cet amendement ne concerne pas que les carrières longues : il ouvre à un public plus large la suspension de la réforme des retraites. Nous voterons donc contre l’amendement et contre tous les sous-amendements, sauf le sous-amendement no 2708 de Mme Youssouffa, car il nous apparaît essentiel de soutenir le combat qu’elle mène.
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
M. Bompard a posé les bonnes questions. (« Ah » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ces questions, nous les avons posées à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) lors des auditions préparatoires. En effet, nous nous demandions pourquoi le coût pour les finances publiques était estimé à 100 millions alors que, dans son discours de politique générale, le premier ministre avait annoncé un coût de 400 millions.
En réalité, ce qui coûte le plus cher dans le décalage de la réforme des retraites, ce sont les départs anticipés. C’est un élément très important : leur intégration représenterait un coût supplémentaire de 200 millions. Ensuite, la Cnav retient certaines hypothèses comportementales :…
M. Fabien Di Filippo
Le départ anticipé d’Emmanuel Macron !
M. Thibault Bazin, rapporteur général
…ce n’est pas parce qu’on gèle la durée d’assurance requise et l’âge légal que tous les assurés partiront à la retraite lorsque les conditions seront réunies. Par exemple, la part des hommes et des femmes qui ont recours au dispositif de départ anticipé n’est pas la même. Lorsque la Cnav nous avait transmis les hypothèses qu’elle avait retenues pour arriver à un chiffrage de 300 millions, j’avais moi-même été surpris que le coût soit si élevé. Ce qui coûte cher, ce sont les départs anticipés et les parcours de vie. Le chiffrage communiqué par le gouvernement est cohérent – je n’ai pas soutenu le gouvernement sur l’ensemble des articles. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
L’article 45 bis et l’amendement du gouvernement relatifs au décalage de la réforme des retraites sont quand même une reconnaissance – un aveu politique – de la faute commise par Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs en imposant la réforme des retraites. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes SOC et GDR.)
Ce décalage ne répare pas tout. Il atténue un peu les effets de la réforme : les personnes nées entre 1964 et 1968 pourront partir un peu plus tôt à la retraite. Si ce décalage intervient, c’est parce que pendant des mois, la gauche et les écologistes n’ont pas lâché et ont continué à poser la question de l’abrogation de la réforme des retraites. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et SOC.) Il aura fallu que nous nous battions, y compris pour obtenir cet amendement relatif aux carrières longues. C’est pour cela que nous voterons pour : il n’y a pas de raison de décaler l’application de la réforme sans intégrer les carrières longues dans ce décalage.
Monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les membres du gouvernement, vous n’avez pas répondu aux questions posées. Nous voulons supprimer l’article 44, qui arrive après l’article 45 bis relatif aux retraites. Nous supprimerons le gel des prestations sociales et la désindexation des pensions de retraite, c’est-à-dire la perte de pouvoir d’achat des retraités. Il est absolument hors de question qu’un décalage de trois mois soit financé par les retraités et par les plus fragiles d’entre nous. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
Répondez : vous engagez-vous à ne pas financer la suspension de la réforme des retraites par la hausse des franchises médicales ? Nous avons besoin de réponses. Nous voterons pour l’amendement du gouvernement et pour l’article 45 bis qui prévoit un décalage de l’application de la réforme, mais nous le disons très clairement : cela ne réparera pas la faute et, finalement, la réforme des retraites sera abrogée. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Guedj.
M. Jérôme Guedj
L’amendement du gouvernement permet d’embarquer tous ceux qui doivent être concernés par la suspension pleine et entière de la réforme des retraites, quelle que soit leur situation – je pense aux carrières longues – ou l’endroit où ils vivent – y compris à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, comme le prévoit l’amendement du gouvernement. C’est la raison pour laquelle – je vous le dis avec beaucoup de franchise –, je suis abasourdi devant les circonvolutions de certains à gauche, qui cherchent toutes les bonnes raisons pour ne pas voter ce qui constituera une avancée pour des centaines de milliers de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Jamais je n’aurais pensé voir quelqu’un à gauche invoquer des arguments sur le financement ou sur tel détail technique pour justifier un vote contre une avancée sociale que des syndicats eux-mêmes vous invitent à défendre en respectant le monde du travail ! (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes SOC, EPR et Dem. – Les exclamations prolongées sur les bancs du groupe LFI-NFP couvrent les propos de l’orateur jusqu’à la fin de son intervention.)
Vous en êtes réduits à demander au gouvernement de prendre l’engagement de ne pas doubler les franchises médicales et de ne pas désindexer les pensions ! Mes chers collègues, ce n’est pas au gouvernement de s’engager ! C’est à ce Parlement de légiférer. C’est la raison pour laquelle il nous fallait voter la partie sur les dépenses. Dans quelques minutes, nous allons légiférer pour refuser le gel des pensions et l’année blanche ! Ce n’est pas un engagement du gouvernement ; ce sera le vote souverain de cette assemblée ! (Les exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP se poursuivent.)
Plus tard dans la soirée, nous nous opposerons au doublement des franchises médicales ! Plutôt que d’invoquer des motifs fallacieux, reconnaissez qu’il s’agit d’une avancée pour des centaines de milliers de nos concitoyens. S’agissant du financement, oui, nous préserverons les plus faibles et le système d’assurance maladie, et nous refuserons le doublement des franchises médicales. Nous pouvons le faire parce que nous en débattons à l’instant présent, alors même qu’il y a quarante-huit heures, vous refusiez ce débat ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EPR et Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Monsieur Bompard, on vous sent très gêné aux entournures face à un amendement au sujet duquel il se pourrait peut-être que les Insoumis se disent qu’il faudrait peut-être voter pour. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) S’agissant des carrières longues et des catégories actives, on vous a toujours entendu dire, comme beaucoup, qu’il fallait revenir sur les mesures.
M. Pierre Cordier
Elle a raison !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
L’amendement du gouvernement propose de revenir sur certaines mesures. (Mêmes mouvements.) Il est assez savoureux de vous avoir entendu dire que vous étiez contre, alors que vous avez peut-être des remords de l’être. (Mêmes mouvements.) Il est aussi assez savoureux de vous voir très engagé dans un débat que samedi, à 17 heures, vous ne vouliez pas avoir. Samedi à 17 heures, il ne fallait pas débattre. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et HOR.) Il fallait rejeter la partie sur les recettes pour ne jamais parler des dépenses. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Enfin, il est tout aussi savoureux de vous entendre poser des questions sur des débats qui arriveront plus tard, nous demander à nous, les membres du gouvernement, de nous engager, alors que, je le répète, vous avez le pouvoir. Les amendements relatifs au gel des pensions viendront ensuite. C’est d’ailleurs pour cela que le gouvernement les a appelés par priorité. Les amendements relatifs aux méthodes de financement ont déjà été examinés ou ils le seront plus tard.
M. Aurélien Le Coq
Nous voulons des réponses aux questions !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Ensuite, s’agissant du financement, vous avez entendu les réponses qui vous ont été faites. Ce ne sont pas 80 % des Français qui bénéficieront de la suspension du report de l’âge de la retraite, puisque beaucoup d’entre eux n’ont pas prévu de partir à la retraite à 62 ans et 9 mois ou à 63 ans. L’article 45 bis ne bénéficiera qu’à ceux qui décideront d’y avoir recours, or ces derniers sont loin de représenter 100 % d’une génération. En revanche, les personnes ayant eu une carrière longue ou relevant des catégories dites actives et super actives, en bénéficieront dans leur immense majorité, pour ne pas dire à 100 %. (Mêmes mouvements.)
Il est savoureux en tout cas de voir les Insoumis s’évertuer à crier très fort dans un débat qu’ils ne voulaient pas avoir il y a encore quarante-huit heures. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Je remercie M. le rapporteur général pour la précision et la qualité des travaux de la commission des affaires sociales. Celle-ci a évalué de manière très précise les chiffres présentés dans l’amendement du gouvernement. Ce travail technique est important pour disposer de faits et de chiffres établis et vérifiés par la commission.
Permettez-moi, en tant que novice, d’être un peu surpris de voir certains groupes politiques rejoindre le discours du patron du Medef – je voulais partager avec vous mon rapport d’étonnement au début de mon travail de ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales
Je ne voudrais pas que nous avancions dans ce débat sans que des réponses très précises n’aient été apportées à certaines questions, en particulier celle relative aux modes de financement – je me tourne vers le gouvernement. (« Ah » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Je ne voudrais pas que cette journée se transforme en journée des dupes (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe HOR) et que sous couvert d’avancées sociales, on fragilise notre modèle social.
La question du financement appelle des réponses précises. Le texte initial prévoyait dans la partie relative aux recettes une cotisation sur les mutuelles, qui a été supprimée. Il prévoyait par ailleurs une sous-indexation des retraites, dont les supporters de la mesure que nous nous apprêtons à adopter nous disent qu’ils ne veulent pas.
Quel financement avez-vous donc prévu pour cette mesure ? S’il n’y en a pas, alors c’est le déficit. Permettez-moi de remettre ce mot dans le débat, parce qu’il est important : des comptes sociaux en déficit conduiront à fragiliser notre modèle social. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Je veux bien qu’on se gave de mots, qu’on parle d’avancée sociale, mais à quel prix, à quel coût ? Les avancées sociales à crédit sur les générations futures pour financer un modèle social asphyxié, c’est facile, ça ne coûte pas cher, mais ça coûtera cher aux générations qui suivront. (Mêmes mouvements.)
Soyons précis sur le financement, car il doit y en avoir un. Ne nous laissons pas aller à cette douce impression de facilité et faisons en sorte que cette journée ne soit pas une journée de dupes. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Runel, rapporteure.
Mme Sandrine Runel, rapporteure
Effectivement, c’est important de revenir sur la question du financement de la suspension de la réforme pour 2026 et 2027 mais, évidemment, monsieur le président, je vais m’inscrire en faux contre vos propos.
À ce moment du débat, le gouvernement n’a pas fléché de financement très précis. Dans le premier projet de loi de financement de la sécurité sociale, il était prévu de faire payer la suspension de la réforme par les retraités eux-mêmes, en gelant les pensions puis en taxant les mutuelles. La commission des affaires sociales a réussi à faire sauter ces deux mesures injustes et austéritaires, comme l’était le projet initial de budget de la sécurité sociale dans son ensemble.
Nous avons les moyens de financer cette suspension grâce à l’augmentation de la CSG – contribution sociale généralisée – sur les revenus du patrimoine. Cette mesure rapportera 2,7 milliards d’euros. La suspension de la réforme ne creusera donc pas le déficit et il n’y a pas de volonté de notre part de la faire payer par les retraités. C’est important de le dire au moment où nous allons voter cet amendement que j’espère voir adopté. Il n’y a pas de faux débat et il n’y a pas de dupes. Le gouvernement a modifié sa lettre rectificative pour élargir le champ des bénéficiaires de la suspension. La Cnav nous l’a dit : plus de 700 000 personnes en profiteront, ce qui représente un coût de 300 millions pour l’année 2026, que nous pourrons financer avec la CSG sur le patrimoine. (Applaudissement sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre. Je vous prie d’être bref, car j’ai dû refuser la parole à de nombreux parlementaires.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Je suis désolé, madame la présidente, mais je voulais répondre au président Valletoux qui a interpellé le gouvernement, pour lui dire que le travail n’est pas terminé. La navette parlementaire fera son œuvre et c’est vous qui déciderez, pas le gouvernement. Ce sont bien les parlementaires qui auront le dernier mot sur le budget de la sécurité sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Cela étant, je partage vos préoccupations. Les chiffres sont connus : le déficit dépasse les 20 milliards d’euros et la partie recettes a été votée sans que nous ayons pu le ramener à 17,5 milliards. Nous n’en prenons pas le chemin, du reste. Il nous faudra donc être très attentifs pour que, d’ici la fin de l’examen de la partie dépenses, nous ayons retrouvé une forme d’équilibre. Le gouvernement y veillera. (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.)
(Les sous-amendements nos 2696 et 2697 sont successivement adoptés.)
Mme la présidente
Je mets aux voix le sous-amendement no 2715.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 466
Nombre de suffrages exprimés 209
Majorité absolue 105
Pour l’adoption 102
Contre 107
(Le sous-amendement no 2715 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix le sous-amendement no 2708.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 470
Nombre de suffrages exprimés 425
Majorité absolue 213
Pour l’adoption 414
Contre 11
(Le sous-amendement no 2708 est adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 2686, tel qu’il a été sous-amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 469
Nombre de suffrages exprimés 358
Majorité absolue 180
Pour l’adoption 250
Contre 108
(L’amendement no 2686, tel qu’il a été sous-amendé, est adopté ; en conséquence, les amendements nos 1240, 2687, 2692, 2691, 2690 de M. Aurélien Pradié et 2377 de Mme Sandrine Runel tombent.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Ray, pour soutenir l’amendement no 2536.
M. Nicolas Ray
Il est simple : nous proposons de ne pas suspendre l’allongement de la durée de cotisation, une mesure de bon sens prévue par la réforme Borne, mais aussi par la réforme Touraine.
Autant le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans a été largement contesté, notamment en raison de ses conséquences pour ceux qui, ayant commencé tôt, ont des carrières longues, pour ceux qui exercent un métier pénible ou encore pour les mères de famille dont la carrière a été interrompue, autant l’allongement de la durée de cotisation à quarante-trois annuités a fait consensus auprès de ceux qui font preuve d’un esprit de responsabilité et ont à cœur de sauver notre régime de retraite. Cette mesure a été soutenue par les syndicats réformistes qui ont bien compris que la dégradation du ratio entre les actifs et les retraités mais aussi l’allongement du temps passé à la retraite nécessitent de prendre certaines dispositions.
Plutôt que de suspendre toute la réforme et ainsi jeter le bébé avec l’eau du bain, l’amendement tend à ce que l’allongement de la durée de cotisation à quarante-trois annuités ne soit pas suspendu car c’est une mesure indispensable à la survie de notre régime par répartition. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sandrine Runel, rapporteure
Votre amendement est une fausse bonne idée car, en supprimant les alinéas 13 à 15 de l’article, vous revenez sur l’abaissement de la durée requise pour une retraite à taux plein et instaurez ainsi deux régimes assez différents, avec un âge légal pour les assurés du régime général qui différerait de celui prévu pour les fonctionnaires. Ce serait manquer de cohérence.
Sur le fond, vous indiquez que la baisse de la durée d’assurance requise pour le taux plein accroît la pression financière sur le système de retraite, mais nous l’avons déjà largement allégée en augmentant la CSG sur le patrimoine. Plutôt que de ne faire contribuer que les travailleurs, nous avons fait un choix de justice fiscale en mettant davantage à contribution les revenus du patrimoine, qu’il s’agisse des revenus fonciers ou des dividendes et des contrats de capitalisation.
J’émets un avis défavorable à cet amendement, que la commission n’a pas pu étudier.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Le débat de fond que vous soulevez est majeur. L’âge de départ à la retraite et la durée de cotisation sont au cœur de la réflexion pour la survie de notre régime par répartition.
Toutefois, en raison du contexte actuel et des objectifs de stabilité que nous nous sommes fixé, mais aussi parce que nous voulons donner le temps au dialogue social et au débat politique de se déployer pour l’avenir des retraites, je tiens à ce que nous conservions dans son intégralité l’amendement du gouvernement.
Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
La question posée par notre collègue Ray – faut-il privilégier l’âge ou la durée ? – est récurrente dans les débats sur la retraite. Certains proposent d’aller vers un système de liberté, mais, ce qui compte, c’est de savoir combien on touchera au moment de la retraite.
C’est la réforme Touraine, décidée sous le quinquennat François Hollande, qui a allongé la durée de cotisation à quarante-trois annuités, et non la réforme Borne de 2023. Il ne faut pas faire croire que la réforme de 2023 est revenue dessus.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Thibault Bazin, rapporteur général
La durée de cotisation est une question de justice sociale pour tous ceux qui travaillent et de solidarité intergénérationnelle pour les générations futures à qui il ne faut pas mentir. Si nous voulons en effet qu’elles croient à nouveau dans notre système de répartition, les règles doivent être les mêmes pour toutes les générations.
La piste que vous proposez n’est pas inintéressante. C’est d’ailleurs celle qui serait la plus efficace budgétairement à court terme. Je crois que Mme la ministre ne nous contredira pas sur ce point.
Mme la présidente
Sur cet amendement, je vous préviens que je ne donnerai pas la parole à un orateur par groupe.
La parole est à M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet
Nous voterons évidemment contre l’amendement car il ne répond pas à la question que nous venons de poser mais qui se pose en réalité depuis des semaines, si ce n’est des années : comment le projet de décaler l’âge de départ à la retraite à 64 ans sera-t-il financé ?
La question est pourtant simple. Nous l’avons réitérée à de nombreuses reprises et nous continuerons tant que nous n’aurons pas reçu de réponse fiable car, pour le moment, nous en sommes déjà à quatre hypothèses : faire payer les retraités d’aujourd’hui en gelant leurs pensions, faire payer les malades par le jeu des franchises médicales, faire payer les malades chroniques en divisant par trois l’indemnisation des affections de longue durée (ALD), faire payer les assurés en relevant les cotisations des mutuelles.
À qui allez-vous donc décider de faire les poches ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Avec cet amendement, nous sommes au cœur du débat. Il pose en effet une question principielle, qui sera ouverte à la discussion entre les partenaires sociaux dans le cadre de la conférence sur le travail et les retraites, organisée par mon collègue Jean-Pierre Farandou.
Faut-il conserver un âge d’ouverture des droits ou ne retenir que des paramètres de durée de cotisation ? La proposition du président Gabriel Attal apporte un nouvel équilibre. Je rappelle qu’en retenant un âge d’ouverture des droits, on peut éviter aux personnes qui souhaitent arrêter de travailler plus tôt de s’exposer délibérément à une importante décote et donc à une chute du montant des pensions.
C’est un sujet fondamental et c’est aussi pour cette raison que la réforme est suspendue. Le gouvernement compte bien utiliser le temps de la suspension pour favoriser la négociation et mener des réflexions structurelles.
J’en profite pour répondre également aux députés Insoumis, qui font mine de s’inquiéter du financement pour justifier leur vote contre, ce qui les place d’ailleurs dans une position politique très particulière. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Quand on se penche sur leurs votes, on a du mal à comprendre où ils veulent en venir.
Le gouvernement a renoncé au 49.3. Vous êtes donc parlementaires souverains et le texte suivra son cours dans le cadre de la navette : passage au Sénat, commission mixte paritaire, conclusive ou non, nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, nouvelle lecture au Sénat et lecture définitive à l’Assemblée. Ce sont les règles du jeu de la démocratie, que tout le monde connaît.
M. Aurélien Le Coq
Et les ordonnances ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Le gouvernement a proposé une solution de financement en 2026.
Mme Danièle Obono
Bla bla bla ! Vous êtes bien gênée !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je ne suis pas gênée du tout. Je vous explique simplement ce qu’il se trouve dans le projet du gouvernement : taxe sur les complémentaires en 2026, sous-indexation renforcée en 2027. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Aurélien Le Coq
Là, c’est clair !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Si la majorité des députés ne souhaitent pas que la suspension soit financée ainsi, ils peuvent voter les amendements déposés à l’article suivant – d’ailleurs, le sujet figure déjà à l’ordre du jour de la navette puiqu’il a été voté une augmentation de la CSG sur le capital. Vous avez fait des choix souverains, nous avons renoncé au 49.3 et je ne suis donc pas celle qu’il faut interroger sur le financement de la suspension de la réforme.
M. Hadrien Clouet
Vous n’apportez pas de réponses !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Monsieur le député, mentir ne fait pas avancer le débat. Il n’a jamais été question de diviser par trois les indemnités des personnes atteintes d’une affection de longue durée. Ce que vous prétendez là ne figure nulle part dans le budget. Nous pouvons bien sûr ne pas être d’accord les uns avec les autres mais le moins que l’on puisse faire est de nous opposer sur la base d’éléments avérés, pas en menaçant les Français de dangers qui n’existent pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
Je donne la parole à M. Aurélien Pradié, dont tous les amendements sont tombés.
M. Aurélien Pradié
Madame la ministre, monsieur le ministre, vous ne devriez pas, quelles que soient les positions politiques des uns et des autres, balayer d’un revers de main les questions techniques qui vous sont posées. Lors du dernier débat de la réforme des retraites, nous avons passé de très longues journées à examiner la moindre virgule, parce que cette réforme a des conséquences sur la vie de nos concitoyens. Il faut donc que vous éclaircissiez deux points qui faisaient l’objet des amendements qui viennent de tomber.
Notre devoir est de faire preuve d’une extrême lucidité, en méprisant tout autant les circonvolutions de ceux qui voudraient justifier un vote contre, que celles des défenseurs à tout prix d’un vote pour.
Pouvez-vous affirmer, devant cette assemblée, que toutes les générations éligibles à une retraite anticipée pour carrière longue bénéficieront de trois mois de moins de cotisations, quels que soient leur trimestre et leur année de naissance ? Vous avez dit qu’une majorité d’entre eux bénéficieraient de ces trois mois. C’est beaucoup, trois mois, dans une carrière longue. Pouvez-vous nous assurer que personne ne passera à la trappe ? La rédaction de votre amendement n’est pas claire, comme le soulignent aussi les organisations syndicales.
Enfin, la mesure de suspension a été réintroduite par une lettre rectificative au projet de loi initiale du gouvernement. Or dans l’hypothèse d’une adoption par ordonnances – qui n’est pas à exclure –, les amendements votés n’auront pas la force de votre lettre rectificative. Dans ce cas, pouvez-vous nous dire ce qu’il advient des carrières longues, et pourquoi le gouvernement, dans sa lettre rectificative, ne les a pas incluses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Bastien Lachaud
Ce sont des questions pertinentes !
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Hadrien Clouet, pour un rappel au règlement.
M. Hadrien Clouet
Sur le fondement de l’article 70 concernant la mise en cause personnelle. Je suis désolé de devoir rappeler à Mme la ministre que l’article 29 du PLFSS réduit de 1 095 à 360 le nombre de jours d’indemnités journalières pour les ALD dites non exonérantes. Les personnes qui souffrent d’arthrose, d’un glaucome, de diabète ou d’épilepsie seront concernées.
M. Philippe Gosselin
Ce n’est pas un rappel au règlement !
M. Hadrien Clouet
Votre PLFSS comporte bel et bien une division par trois de l’indemnisation maximum. Apprenez le projet et travaillez-le avant d’en parler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
(L’amendement no 2536 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article 45 bis.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 505
Nombre de suffrages exprimés 401
Majorité absolue 201
Pour l’adoption 255
Contre 146
(L’article 45 bis est adopté.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
Article 44 (appelé par priorité)
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti
Avec l’article 44, le gouvernement ainsi que sa majorité macroniste et socialiste appellent les Français – et plus particulièrement nos retraités – à passer à la caisse.
Mme Anne-Laure Blin
Et avec le RN aussi !
M. Éric Ciotti
L’article 44 prévoit la désindexation des pensions de retraite, ce qui est inédit dans notre pays,…
M. Philippe Brun
C’est pourtant ce que vous avez voté sous Nicolas Sarkozy !
M. Éric Ciotti
…ainsi que la désindexation de nombreuses prestations sociales, notamment des prestations d’invalidité, des prestations d’autonomie pour nos anciens ou encore du capital décès.
M. Brun approuve chaleureusement ces désindexations : on voit l’intérêt qu’il porte à nos aînés !
M. Philippe Brun
Je rappelais seulement ce que vous aviez voté sous Nicolas Sarkozy.
M. Éric Ciotti
Ces dispositions sont iniques : elles pourraient provoquer la baisse du pouvoir d’achat de millions de retraités, qui pourraient d’ailleurs être taxés plus lourdement encore si ce budget scélérat, qui prévoit la suppression de l’abattement de 10 % de l’impôt sur le revenu (IR), était voté. Vous prenez pour cible nos retraités ; vous rompez le contrat social qui unit à notre nation ceux qui ont travaillé toute une vie, durement, fortement, qui ont payé des cotisations. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Aujourd’hui, vous venez les taxer, les imposer toujours plus, sous la dictée du Parti socialiste !
M. Philippe Brun
C’est n’importe quoi !
M. Éric Ciotti
Nous nous opposerons avec force à l’article 44. Nous nous opposerons à la baisse du pouvoir d’achat de nos retraités et des plus fragiles, et nous voterons les amendements tendant à supprimer cet article. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Bentz.
M. Christophe Bentz
Pour la bonne compréhension des Français qui nous regardent, je voudrais rappeler précisément ce qu’il s’est passé. Il y a une douzaine de jours, le premier ministre est venu ici, dans l’hémicycle, pour annoncer qu’il revenait sur l’article 44.
Or pendant ce temps, j’étais en commission des affaires sociales où cet article scandaleux a été supprimé. C’est donc la représentation nationale, en grande partie grâce au Rassemblement national, qui a tordu le bras du gouvernement !
Pour être tout à fait transparent, je veux aussi rappeler aux Français ce que vous avez voulu faire : désindexer et geler les pensions de retraite au détriment de la France qui a travaillé ; geler les allocations familiales au détriment de la France des familles ; geler les prestations sociales des personnes handicapées au détriment de la France des fragilités. Et tout cela, dans un contexte marqué par la crise aiguë du pouvoir d’achat et la baisse des moyens de vivre, dont vous êtes en grande partie responsables.
C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article scandaleux et inique, dans un texte qui contient déjà beaucoup trop de mesures socialement injustes et économiquement contraignantes. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Annie Vidal.
Mme Annie Vidal
L’article 44, qui tend à geler le niveau des pensions de retraite et d’autres prestations sociales, fait l’objet d’amendements de suppression. S’ils étaient adoptés, un débat, pourtant nécessaire, serait empêché.
Le premier ministre a clairement indiqué que le projet pouvait évoluer. Faisons-le donc évoluer, plutôt que de tout rejeter en bloc ! Nous avons la responsabilité de préserver les plus modestes, tout en maîtrisant les finances publiques. C’est pourquoi nous proposons d’exclure les petites retraites et les allocations du gel prévu dans cet article, afin que celles et ceux qui ont travaillé toute leur vie pour de faibles revenus ne soient pas pénalisés.
À mes collègues de gauche, je dirai que vouloir tout dégeler, y compris les plus hautes pensions, ce n’est pas être fidèle à l’idéal de justice sociale dont vous vous réclamez. Être de gauche, c’est défendre la redistribution, pas l’uniformité. Être responsable – ce que nous revendiquons –, c’est vouloir concilier solidarité et soutenabilité. L’article 44 ouvre un espace de discussion. Le supprimer reviendrait à fermer la porte à tout compromis, à toute amélioration du texte.
Nous venons de voter la suspension des retraites, une mesure qui coûtera 300 millions d’euros en 2026 et 1,9 milliard d’euros en 2027. Ces sommes doivent être comparées aux recettes que procurerait un gel de toutes les pensions, de l’ordre de 3,6 milliards d’euros.
Parlons du dégel, mais sans dogmatisme. Le dégel ? Oui, mais pas pour tous ! La protection des plus modestes ? Oui, et pour tous ! Conservons cet article, construisons une solution équilibrée et soutenable. Équilibrée pour les retraités, soutenable pour notre système de retraites. (Mme Anne Genetet applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Anaïs Belouassa-Cherifi.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Cet article constitue la pire des horreurs du projet de loi de financement de la sécurité sociale. En le supprimant, nous pourrions soulager les 13 millions de foyers qui subiraient autrement les conséquences d’une année blanche. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Après huit ans de politique antisociale, votre bilan se résume à la montée de la pauvreté extrême dans notre pays. Cette année blanche empirera la situation, d’autant que ses effets se cumuleront avec la hausse du prix des produits de première nécessité, des loyers, de l’énergie, de l’alimentation. Si cet article est maintenu, les mesures qu’il contient affecteront les personnes en situation de handicap, dont le niveau de vie baissera en raison du gel de l’allocation adulte handicapé (AAH), les familles monoparentales du fait du gel de l’allocation de rentrée, les retraités dont les pensions baisseront en 2026 et les années suivantes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
En somme, l’année blanche est une mesure de violence sociale. Alors que la moitié des étudiants de notre pays vivent avec moins de 100 euros par mois après avoir payé leur loyer, vous préférez geler les APL.
Mme Marie Mesmeur
La honte !
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Je le dis avec force et détermination : non, les prestations sociales ne s’apparentent pas à de l’assistanat, mais traduisent la grandeur de notre nation, qui épargne aux plus démunis une précarité extrême ! (Mêmes mouvements.)
Cette grandeur, le gouvernement souhaite la jeter à terre, alors que les personnes sont toujours plus précaires. En vous opposant à cet article, vous avez l’occasion de ne pas aggraver encore davantage la situation sociale et de soulager les 13 millions de foyers qui seraient touchés par l’année blanche. Supprimons cet article ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Arnaud Simion.
M. Arnaud Simion
Je m’adresserai d’abord à M. Ciotti, qui dit vraiment n’importe quoi ! Il sait très bien que nous n’avons aucune responsabilité dans l’écriture de ce texte, de ce budget et de cet article, que nous souhaitons supprimer. Il faut arrêter de dire n’importe quoi ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. Boris Vallaud
Eh oui, monsieur Ciotti !
M. Arnaud Simion
L’année 2026 est présentée comme une simple année blanche pour les prestations sociales. En réalité, elle pourrait être une année noire pour nos concitoyennes et concitoyens : derrière son apparente neutralité se cache une mesure injuste, socialement brutale et économiquement inefficace. Le premier ministre lui-même l’a récusée !
On nous dit que le gel des prestations serait juste, parce qu’il s’appliquerait à toutes et à tous, mais l’uniformité n’est pas la justice ! Appliquer le même traitement à des situations profondément inégales, c’est de l’aveuglement social.
En réalité, la mesure est antiredistributive et frappera d’abord celles et ceux qui ont le moins et pour qui chaque euro compte. Selon l’Institut des politiques publiques (IPP), les ménages les plus modestes verront leur niveau de vie baisser, tandis que les plus aisés ne s’apercevront de rien. Concrètement, un retraité percevant 1 500 euros par mois perdra 257 euros de pouvoir d’achat en un an. Une personne seule, au RSA, qui vit avec 646 euros mensuels perdra 81 euros sur l’année. Voilà la réalité !
Nous le disons avec force : ce n’est pas une fatalité, d’autres solutions existent, qui ne pénalisent pas les plus fragiles : réduire les exonérations de cotisations inefficaces ou instaurer une contribution équitable des ultrariches et des très hauts patrimoines, par exemple.
Les députés socialistes et apparentés refusent de cautionner une politique du sacrifice, imposée aux plus précaires d’entre nous. Nous refusons que les retraités, les allocataires du RSA, les familles modestes, les citoyennes et les citoyens en situation de handicap ou les locataires deviennent les variables d’ajustement de notre pacte social. Au nom de la justice sociale et de la solidarité républicaine, nous demandons la suppression de l’article 44 et nous nous opposerons fermement au gel des prestations sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Jérôme Guedj
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à Mme Justine Gruet.
Mme Justine Gruet
L’article 44 prévoit le gel des pensions de retraite et des prestations sociales. Il traduit une recherche d’économies que le gouvernement projette, une fois de plus, sans doute par manque de courage, au mauvais endroit.
Nos débats révéleront les conséquences de la suspension de la réforme des retraites que vous venez de voter. Le gouvernement voulait initialement désindexer les pensions de retraite pour diminuer les dépenses, mais nous sommes opposés au gel des pensions, car nous défendons le pouvoir d’achat des personnes qui ont travaillé toute leur vie.
M. Ciotti nous donne son avis et sa vision, alors que sur des affiches électorales de 2024, son visage était à côté de celui de Mme Le Pen, laquelle disait alors l’inverse. Dont acte.
Nous pensons que la recherche d’économies doit passer par la lutte contre l’assistanat et la fraude, pour mieux valoriser le travail. Quant aux dépenses, il faut réduire celles que génère un excès de bureaucratie ainsi que l’immigration mais elle ne doit pas conduire à faire les poches des retraités. En l’état, nous serons donc opposés à l’article 44.
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
Le groupe Écologiste et social s’opposera à cet article, qui tend à geler les prestations sociales et à désindexer les pensions de retraite, en gros à réduire le pouvoir d’achat.
Les prestations auxquelles on veut toucher sont au cœur du modèle français de redistribution sociale. L’indexation des retraites a permis de protéger tant de retraités de la pauvreté qu’il nous semble indispensable de supprimer l’article.
D’autre part, nous sommes inquiets, car nos propositions de recettes ont toutes été refusées, notamment celles qui tendaient à limiter les exonérations sociales. Nous avons seulement obtenu la hausse du taux de la CSG sur le patrimoine, dont le produit escompté – 2,8 milliards d’euros – a déjà été virtuellement dépensé du fait de la réduction d’autres recettes. Il ne permettra donc pas de financer d’autres propositions.
Notre inquiétude restera tenace tant que nous ne saurons pas comment financer l’hôpital et le système de santé. Présenterez-vous devant le Sénat des propositions de financement plus justes ? Vous engagerez-vous à ne pas légiférer par décret dans quelques mois ?
Notre inquiétude est tenace parce que le budget qui pourrait être adopté à l’issue de nos travaux est un mauvais budget. Vous pourriez être tenté de faire passer par décret les mesures que vous voulez prendre en matière de franchises médicales.
Ce qui relève de la loi nous engage, bien sûr, mais vous avez la possibilité, en tant que ministre, de prendre des décisions par décret. Vous engagez-vous à ne pas procéder ainsi – le Parlement s’était déjà opposé à des décrets portant sur le déremboursement de médicaments – et à étudier à nouveau des possibilités de financement par des recettes plus justes ?
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier
Nous venons, il y a quelques minutes, de suspendre la réforme des retraites. Chacun a bien compris que c’était là le chemin du compromis.
L’article 44 tend à geler les retraites et les minima sociaux. Le premier ministre s’est dit ouvert au débat, en indiquant qu’il était prêt à un dégel, mais quel sera le montant de cette mesure ?
Nous nous plaçons dans une posture de compromis, là encore. M. Ciotti, rappelons-le, a soutenu un gouvernement qui, en son temps, avait décalé la revalorisation des pensions du 1er janvier au 1er octobre. Je ne l’ai pas oublié, j’étais déjà député !
M. François Hollande
Moi aussi !
M. Philippe Vigier
De leur côté, nos collègues socialistes et le président Hollande savent bien que la réforme Touraine avait conduit à décaler de six mois la revalorisation des retraites.
Chacun doit donc faire preuve d’humilité : un peu d’archéologie politique permettra de retrouver de quoi mettre à mal les déclarations des uns et des autres.
Nous essayons, une fois de plus, de trouver un chemin qui nous permette d’accompagner les retraités en revalorisant leurs pensions en fonction d’un taux inférieur à celui de l’inflation, actuellement prévu par la loi, et d’avancer au sujet des minima sociaux.
J’apporterai un dernier chiffre à votre connaissance, chers collègues. Vous vous montrez tous intéressés par le pouvoir d’achat des salariés. Sachez alors qu’entre 2021 et 2024, il a évolué moins favorablement que celui des retraités. Cette donnée, plutôt que de rester bloqués sur telle ou telle position, devrait nous convaincre de rechercher une issue, celle du compromis.
Mme la présidente
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet
Nous y sommes à cette fameuse année blanche qui est le visage de ce PLFSS. Je suis un peu surpris de la passion suscitée par l’examen de l’article 45 bis : je rappelle que si l’on veut qu’il s’applique, il faudra voter l’ensemble du PLFSS. Or, pour ma part, en l’état, je ne vote pas un texte comme celui-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Je n’ai jamais renoncé au débat, mais vous avez refusé tous nos amendements visant à augmenter les recettes, notamment en mettant à contribution ceux qui en ont les moyens. Conséquence : maintenant, vous faites payer ceux qui ne les ont pas. C’est un peu comme dans la phrase attribuée à Coluche : « Il faut faire payer les pauvres, ils sont plus nombreux ! » Vous refusez de taxer ceux qui ont – à moins que vous ne vouiez une adoration illimitée aux ultrariches – et préférez taxer les retraités, les personnes invalides, les familles et les jeunes parents, les personnes en fin de vie ou les stagiaires de la formation professionnelle. C’est inacceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
On votera pour la suppression de l’article 44, mais cela ne suffira pas, car vous préparez encore des mauvais coups ! J’espère que nous aurons l’occasion de parler de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). En l’état, ce PLFSS ne sauvera ni l’hôpital ni les Ehpad et, surtout, il ne permettra pas un meilleur accès aux soins. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur général, rapporteur pour la branche maladie.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
L’article 44 a été rejeté en commission. En tant que rapporteur général, je m’en tiendrai à évoquer ses enjeux budgétaires. Vous avez beaucoup parlé de l’année blanche, mais l’article contient en fait deux mesures : une année blanche en 2026, d’une part, et la sous-indexation pluriannuelle des pensions de vieillesse de 2027 à 2030, d’autre part.
L’année blanche couvre l’ensemble des prestations sociales, pour des économies attendues de l’ordre de 3,6 milliards d’euros sur l’ensemble des finances publiques en 2026, dont 2,7 milliards sur les retraites ; au total, cela représente 2,5 milliards pour les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (Robss).
La sous-indexation pluriannuelle des pensions de retraite de 2027 à 2030 était initialement fixée à 0,4 point par rapport à l’inflation. Du fait de la concession du gouvernement sur la réforme des retraites, qui sera décalée dans le temps pour un coût estimé à 1,9 milliard d’euros en 2027, la sous-indexation est désormais fixée à 0,9 point – étant précisé que cela ne suffira pas à compenser le coût de l’amendement gouvernemental à l’article 45 bis visant à intégrer les départs anticipés dans le périmètre des catégories concernées par la suspension de la réforme.
Selon les prévisions du gouvernement, qu’il faut considérer avec prudence, la trajectoire prévue par l’article 44 induirait en l’état des économies de 6 milliards en 2029 par rapport au tendanciel, ce qui ne serait pas sans conséquence sur le pouvoir d’achat des retraités.
Si l’on est soucieux comme moi de ne pas trop dégrader les finances sociales, le constat est limpide : au vu du montant du déficit et des dépenses sociales, la seule solution – à défaut d’en avoir de meilleures et en l’absence de réforme structurelle – est l’année blanche. On ne peut que le regretter.
Cependant, entre le gel total et le dégel total, nous pourrions trouver une position intermédiaire pour 2026, inspirée de l’accord trouvé par les partenaires sociaux, qui nous prémunirait des effets indésirables liés à l’instauration d’un gel différencié en fonction de certains seuils : nous pourrions peut-être trouver un compromis consistant en une légère sous-indexation par rapport à l’inflation, uniquement pour l’année 2026 – soit un effort partagé, mais dans une moindre mesure et pour une seule année afin de rester dans le cadre temporel de « l’année blanche ».
Madame Chatelain, vous avez évoqué la question du financement, mais personne n’a rappelé que nous avons adopté l’amendement no 1314 rectifié, portant article additionnel après l’article 12, consacré aux exonérations sociales non compensées par l’État. Or il est fondamental et on ne le mentionne pas assez : le gouvernement s’est en effet engagé à ce que toutes les exonérations ciblées soient compensées – notamment celles sur les heures supplémentaires ou sur les contrats de sécurisation professionnelle – à hauteur de 2,5 milliards d’euros au total. Si l’on raisonne en termes de finances publiques en général, cela représente une dépense supplémentaire mais, pour la sécurité sociale, ces crédits ne seraient pas négligeables.
Enfin, M. Monnet a raison,…
M. Jean-Paul Lecoq
Merci de le dire.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
…ce PLFSS ne se résume pas à l’article 45 bis ou à l’article 44 : il contient cinquante-cinq articles, sans compter les articles additionnels. Résumer ce budget au décalage de la réforme des retraites revient donc à mentir aux Français. Toutes les branches de la sécurité sociale méritent notre considération et nous devons en débattre.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre
Une fois n’est pas coutume, j’insisterai tout d’abord sur un chiffre : 3,6 milliards d’euros, soit le montant des économies attendues grâce à cet article ; ce n’est pas rien. Nous n’avons peut-être jamais évoqué un montant aussi important dans cette discussion.
Au lieu de cela, certains évoquent des hausses d’impôts : il m’avait pourtant semblé que l’Assemblée avait tranché ce sujet. D’autres se demandent s’il ne faudrait pas accroître le déficit : ce ne serait pas une bonne idée – cette pauvre sécurité sociale pourrait bien finir par ne plus tenir le coup. Le problème de la dette de l’Acoss – ex-Agence centrale des organismes de sécurité sociale – est connu.
Dans la situation budgétaire qui la nôtre, il semble qu’il n’y ait pas d’autre solution que d’envisager de mettre à contribution tout le monde, les actifs comme les retraités, et de se doter d’une trajectoire pluriannuelle qui permettrait, à nouveau, de maîtriser cette dette. Ici, on parle moins de réduire les prestations sociales que de les stabiliser, alors que l’inflation n’est que de 1 %.
Quant aux pensions de retraite, elles ne sont pas homogènes. Certaines sont basses, d’autres sont plus confortables. D’ailleurs, si l’on élargit au-delà des pensions, il me semble que les retraités ont en moyenne des revenus supérieurs à ceux des actifs : ne pourrait-on pas en débattre en faisant preuve de nuance ?
J’ai bien conscience que la sous-indexation des pensions jusqu’en 2030 n’est pas une mesure populaire. Nous ne la proposons pas de gaieté de cœur. Il s’agit simplement de faire jouer la solidarité entre les actifs et les retraités, avec la nuance que je viens de rappeler, à la suite de certains d’entre vous. Le premier ministre nous a lui-même invités à examiner avec attention les amendements à l’article. Je suis prêt à m’en remettre à la sagesse de l’Assemblée, mais cela suppose que nous puissions examiner l’article. Le débat, la discussion et l’écoute font partie de notre méthode. Libre à vous de rejeter l’ensemble au bout du compte, et l’affaire sera réglée ! D’ici là, donnons-nous l’occasion d’écouter les propositions des députés ; il y a là des pistes intéressantes. La nuance est parfois bonne conseillère. (M. Jimmy Pahun applaudit.)
Mme la présidente
Nous en venons aux amendements. Je suis d’abord saisie de plusieurs amendements identiques, nos 706, 944, 1216, 1498, 2050 et 2233, tendant à supprimer l’article 44.
Ces amendements font l’objet d’une demande de scrutin public par les groupes Rassemblement national, La France insoumise-Nouveau Front populaire et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sandrine Runel, pour soutenir l’amendement no 706.
Mme Sandrine Runel
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale déposé par le gouvernement ressemblait à un musée des horreurs : il augmentait le reste à charge des patients, il faisait reposer le financement de la sécurité sociale sur le dos des travailleurs et des apprentis et, surtout, il maintenait l’année blanche, prévue par le précédent gouvernement, sur les prestations sociales. Cette année blanche est l’une mesure les plus austéritaires qui soit : elle pèse uniquement sur les plus modestes et les retraités, pour qui chaque euro compte. Fort heureusement, nous l’avons rejetée en commission ; nous avons ainsi rendu aux Français le pouvoir d’achat dont cette année noire allait les priver. (M. Jean-René Cazeneuve s’exclame.)
Dans le même temps, le premier ministre a annoncé ici même renoncer au gel des prestations sociales. À tous les Mozart de la finance, je veux redire qu’on ne joue pas avec le quotidien des Françaises et des Français. La préservation de leur pouvoir d’achat et le dégel des prestations impliquent de supprimer l’article 44, ce que nous proposons de faire par cet amendement. Quand on est macroniste, on protège les plus riches ; quand on est socialiste, on protège le pouvoir d’achat des classes populaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Vous ne disiez pas la même chose quand il s’agissait de voter l’article 45 !
Mme la présidente
La parole est à M. Thomas Ménagé, pour soutenir l’amendement no 944.
M. Thomas Ménagé
Il y a une dizaine de jours, le premier ministre a annoncé dans cet hémicycle renoncer à l’année blanche. Je suppose donc que le gouvernement donnera un avis favorable sur ces amendements de suppression.
La pension de retraite de base servie par la sécurité sociale est plafonnée à environ 1 900 euros brut par mois. En faisant le choix de désindexer les pensions, vous ciblez les plus petites pensions, les petits revenus, les femmes, les carrières hachées, soit à la France qui souffre déjà considérablement.
Le collègue Vigier l’a parfaitement rappelé à l’instant : avant vous, Michel Barnier a été censuré – grâce au Rassemblement national – après avoir proposé cette même désindexation et promis d’organiser une purge contre les retraités. Il a également rappelé que les socialistes, avec qui vous dealez actuellement,…
M. Jérôme Guedj
Si seulement !
M. Thomas Ménagé
…avaient eux aussi, en leur temps, sous la présidence de François Hollande et dans le cadre de la réforme Touraine, désindexé les pensions. Bref, vous vous retrouvez tous au sein du parti unique pour faire la poche des retraités. En définitive, seul le Rassemblement national tient ; grâce à notre mobilisation, nous avons empêché cela. Lors des prochaines échéances électorales, les Français s’en souviendront. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau, pour soutenir l’amendement no 1216.
Mme Sandrine Rousseau
D’après les prévisions, l’inflation devrait atteindre 1,3 %. Elle pourrait augmenter, si le conflit en Ukraine prenait un nouveau tour ou si la question énergétique se reposait. Pour que les choses soient claires : vous proposez le gel de l’ensemble des prestations sociales, soit une année blanche complète !
M. Sylvain Berrios
Qui va payer ?
Mme Sandrine Rousseau
Vous prévoyez en somme de faire des économies aux dépens de ceux qui comptent chaque centime pour tenter de survivre et de tenir, par exemple sur le RSA, je dis bien le RSA !
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est scandaleux !
Mme Sandrine Rousseau
Pour ne pas taxer les plus riches et les grandes entreprises, vous voulez rogner sur le RSA ! Quand on pense que ça ne peut pas être pire que ce que l’on avait imaginé, c’est encore pire – voilà ce qu’il y a de pervers dans le macronisme. (M. Sylvain Berrios s’exclame.) Cette année blanche est ce que vous pouviez imaginer de pire pour réduire le déficit de la sécurité sociale ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
M. Sylvain Berrios
C’est votre dilemme, pas le nôtre !
Mme la présidente
La parole est à M. Damien Maudet, pour soutenir l’amendement no 1498.
M. Damien Maudet
À l’Assemblée, nous devons faire des choix : qui doit faire des efforts, qui doit être aidé ? Depuis trois ans que nous siégeons sur ces bancs, les choix se suivent et se ressemblent : à chaque fois, les macronistes et la droite, souvent appuyés par l’extrême droite, font le choix de prendre à ceux qui ont peu pour protéger celles et ceux qui ont beaucoup. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Pierre Cordier
Les discours de ce type ne passent plus du tout !
M. Damien Maudet
Partout en France, de Paris à Limoges, vous faites toujours le choix de faire payer les travailleurs, les retraités, les personnes en situation de handicap, les malades ; le tout pour protéger celles et ceux à qui vous avez demandé deux fois moins que l’année dernière. En ce sens, l’article 44 est scandaleux. En le supprimant, nous cherchons aussi à faire échec à la politique que vous menez depuis des années. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Paul-André Colombani, pour soutenir l’amendement no 2050.
M. Paul-André Colombani
Il vise à supprimer l’article 44, qui prévoit de geler ou de réduire la revalorisation de plusieurs prestations sociales et des pensions de retraite sur la période 2026-2030.
Pour l’année 2026, l’article propose de ne pas revaloriser un ensemble de prestations essentielles : pensions de retraite et d’invalidité, capital décès, prestations familiales, prestations d’autonomie, prestations de solidarité – RSA, AAH –, aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, rentes AT-MP, allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie (Ajap), rémunération des stagiaires de la formation professionnelle (RSFP), allocation forfaitaire des jeunes en contrat d’engagement jeune. Il prévoit également le gel des plafonds de ressources pour certaines prestations familiales, comme les allocations familiales, la prime de naissance ou d’adoption, le complément de libre choix du mode de garde (CMG), l’allocation de rentrée scolaire (ARS) ou l’allocation forfaitaire en cas de décès d’un enfant.
L’article 44 réduit le coefficient de revalorisation annuelle des pensions de retraite de base pour les années 2027 à 2030, dégageant des économies supplémentaires de plusieurs milliards d’euros par an. Cependant, cette mesure se traduit par une perte durable de pouvoir d’achat pour l’ensemble des retraités et des foyers les plus modestes.
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement no 2223.
M. Stéphane Peu
Souvenez-vous : en 2017, le président Macron tout juste élu, il bénéficiait d’une majorité absolue et on nous expliquait avec un grand cynisme qu’on pouvait dans un même mouvement supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et baisser les aides personnelles au logement (APL). Certains allaient jusqu’à ajouter, avec le même cynisme, que 5 euros d’APL en moins par mois, ce n’était pas grand-chose.
Nous sommes exactement dans la même situation : après avoir refusé toutes nos propositions destinées à faire contribuer les plus aisés de façon plus équitable, vous proposez à présent de geler les retraites, le minimum vieillesse et les prestations sociales telles que le RSA et les APL.
Je viens d’entendre le ministre expliquer que ce sera assez indolore, puisque l’inflation devrait être contenue à 1,3 %. Monsieur le ministre, pour une famille populaire, comme il y en a beaucoup dans ma circonscription en Seine-Saint-Denis, l’inflation n’est pas à 1,3 % ! Le chiffre que vous affichez est obtenu en prenant en compte l’ensemble des biens et des services ; si vous calculez l’inflation des produits de base, dont on ne peut se passer – aliments au supermarché, énergie pour se chauffer –, et celle des prix des loyers et des charges, on est très au-dessus de 1,3 % ! Si bien que, pour les plus modestes, le taux d’inflation ne se situe pas aux alentours de 1 %, mais à 2, 3, 4 ou 5 %. Avec votre mesure de gel, le pouvoir d’achat baissera d’autant pour les plus pauvres de notre pays.
M. Aurélien Rousseau
Très bien !
M. Stéphane Peu
C’est d’une injustice totale, dans la lignée de ce qui se fait depuis 2017. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, sur plusieurs bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Je suis déjà revenu longuement sur le sujet après les orateurs inscrits sur l’article : j’ai appelé l’Assemblée à chercher un compromis, en s’inspirant de celui trouvé par les partenaires sociaux. La commission a adopté ces amendements. À titre personnel, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
La semaine dernière, le premier ministre a déclaré que le gouvernement serait attentif et ouvert aux amendements qui traiteraient du gel et de l’année blanche. Je suis personnellement défavorable à ce premier groupe d’amendements, qui tend à supprimer d’un seul geste l’ensemble de la mesure. (Mme Olivia Grégoire et M. Guillaume Kasbarian applaudissent.)
Premièrement, depuis 2020, les prestations sociales ont été davantage revalorisées que les salaires. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
M. Fabien Di Filippo
C’est vrai !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je parle des salaires et non du smic qui, lui, a suivi strictement l’inflation.
Les retraites ont également été revalorisées davantage que l’inflation : 1,8 point de plus depuis 2022. Cela signifie que même avec une année blanche, les retraités ne perdront pas de pouvoir d’achat par rapport à 2022.
Deuxièmement, ces amendements ont trait à une masse de prestations sociales qui représente 400 milliards d’euros. Sont considérés indistinctement l’ensemble des minima sociaux, des retraites, des prestations familiales – de leur versement ainsi que de leurs plafonds. Je vous propose de débattre plutôt de chaque sujet séparément. Vous avez d’ailleurs déposé des amendements très divers : certains traitent des retraites, d’autres des prestations familiales.
Madame Rousseau, je suis mère de trois enfants et, avec mon mari, nous bénéficions des allocations familiales. Or il me semble qu’un gel des allocations familiales serait tout à fait envisageable pour certains d’entre nous dans l’hémicycle vu les revenus dont nous disposons, et que cela vaut pour les ménages les plus aisés. (Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Plutôt que supprimer la mesure dans son intégralité, il serait plus intéressant et plus juste fiscalement et socialement de pouvoir différencier les prestations selon les revenus et selon les seuils. (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.) Ces 400 milliards d’euros de prestations méritent, je le crois, des débats circonstanciés et différenciés.
Troisièmement, ce que propose le gouvernement n’est pas inédit : en 2012, 2014, 2015, 2019 et 2020, il y a eu des sous-indexations voire des années blanches, la plupart du temps de façon ciblée, selon certains critères. (M. Jean-René Cazeneuve et Mme Olivia Grégoire applaudissent.) Il convient de mener, sur cette politique sociale qui représente à la fois une fierté et un coût pour notre pays, un débat beaucoup plus fin qui dépasse la question de savoir si le gel proposé pour l’ensemble des prestations doit être maintenu. Je vous enjoins, mesdames et messieurs les députés, de permettre que ce débat se tienne.
Il me semble que le gel des prestations familiales et des retraites pour les ménages aisés ne soulève pas les mêmes difficultés que celui des minima sociaux. Alors que les pensions de retraite ont augmenté de 25 milliards d’euros et les prestations sociales de 40 milliards d’euros en 2024, peut-être pourrions-nous prendre le temps de revoir les choses en détail.
Je donne donc un avis défavorable pour que nous puissions débattre. Comme l’a dit le ministre Farandou, vous aurez tout loisir de rejeter l’article au terme de son examen, suivant les amendements qui l’auront modifié. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Kasbarian.
M. Guillaume Kasbarian
Si ces amendements de suppression sont adoptés, alors l’ensemble des prestations sociales et des retraites augmenteront l’année prochaine.
M. Alexis Corbière
Bonne nouvelle !
M. Guillaume Kasbarian
Le coût d’une telle hausse pour les finances publiques serait de 3,6 milliards d’euros. C’est scandaleux ! Il est honteux de revaloriser l’intégralité des prestations sociales et des pensions de retraite alors que le déficit s’élève à 170 milliards d’euros, que la dépense publique atteint 1 670 milliards d’euros et que 56 % des prélèvements obligatoires sont affectés à la protection sociale ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et HOR. – Mme Josiane Corneloup applaudit également.) Qui paiera vos promesses ? Qui paiera votre vote ?
Ce sont les actifs, ce sont les travailleurs qui financeront votre folie dépensière ! (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Plutôt que d’examiner les choses dans le détail, vous souhaitez tout revaloriser – c’est scandaleux ! Le groupe EPR s’opposera fermement à ces amendements de suppression. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et HOR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. François Gernigon.
M. François Gernigon
La journée des dupes continue. Après la suspension de la réforme des retraites, la suppression de l’article 44 entraînerait 3,6 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Qui va payer ?
Le groupe Horizons & indépendants s’oppose à la suppression de l’article. Nous avons déposé l’amendement no 1310 qui tend à réévaluer les petites retraites, ce qui revient à demander le gel de la revalorisation des revenus plus élevés. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
M. Kasbarian avait moins de pudeur quand il s’est agi de dégeler l’ensemble du barème de l’impôt sur le revenu, y compris pour les tranches supérieures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) En réalité, vous auriez sans doute trouvé dans ces hautes rémunérations de quoi financer l’universalité de la protection sociale, à laquelle nous, socialistes, sommes particulièrement attachés : des droits pour tous plutôt que des allocations pour certains, une redistribution organisée par notre modèle de prélèvement fiscal et social.
Mme Olivia Grégoire
Et les économies, on s’en fout !
M. Boris Vallaud
Vous avez rappelé que les Français ont déjà consenti des efforts les années passées. C’est vrai, beaucoup, et ils ont le sentiment d’être un peu les seuls à le faire. Telle est l’idée que nous défendons depuis le début du débat budgétaire : c’est aux plus riches, aux hauts revenus, aux hauts patrimoines, aux très grandes entreprises de payer les impôts et de participer plus et mieux à la solidarité nationale. Nous ne voulons pas d’impôt sur la vie, ni sur les malades, ni sur le chômage. Nous ne voulons pas de tous ces impôts qui ne disent pas leur nom mais qui viennent entamer la vie des gens.
Vous avez dit : 3,6 milliards d’euros, c’est beaucoup. Oui, c’est beaucoup. Mais pour une retraitée célibataire avec une pension de 1 500 euros net par mois, 275 euros de perte de pouvoir d’achat en 2026, c’est beaucoup ; pour un couple de retraités avec deux pensions au niveau du smic, perdre 479 euros de pouvoir d’achat en 2026, c’est beaucoup ; quand vous êtes allocataire du RSA avec deux enfants, perdre 146 euros l’année prochaine, c’est beaucoup ; quand vous êtes titulaire de l’allocation adulte handicapé, sans enfant, perdre 130 euros l’année prochaine, c’est beaucoup.
Mme Olivia Grégoire
Les élections arrivent, ça se sent !
M. Boris Vallaud
La justice, c’est de faire participer plus et mieux ceux qui le peuvent à la solidarité nationale et ne pas tondre celles et ceux qui n’en peuvent déjà plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
Chers collègues macronistes, ce qui me choque, ce sont les 60 milliards d’euros que vous dépensez chaque année en cadeaux fiscaux et qui ont creusé le déficit public. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe SOC.) Ce qui me fait honte, c’est que vous avez refusé, avec le Rassemblement national, de mettre à contribution les 1 800 familles les plus aisées de ce pays. (Mêmes mouvements.) Vous avez rejeté la taxe Zucman, refusé de prélever les milliardaires et vous défendez à présent la mise à contribution de tous les Français pour réduire les déficits ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et SOC.) Votre règle est simple : les pauvres sont peut-être pauvres mais ils ne sont pas très nombreux, nous pouvons donc les mettre à contribution. Nous nous opposerons toujours à cette vision de la société.
Madame la ministre, nous avons un désaccord. Pour nous, le principe sur lequel reposent la société française et son système social, c’est de contribuer selon ses moyens – raison pour laquelle nous nous sommes battus pour mettre à contribution les plus riches – et de recevoir selon ses besoins. On reçoit de manière universelle de quoi se soigner sans dépenser, parce qu’on est plus fragile quand on est malade ; on reçoit une pension de retraite quand on a travaillé toute sa vie ; on reçoit une allocation familiale quand on a des enfants.
En commençant par instaurer une différence, vous remettez en cause l’universalité des prestations sociales ce qui, à long terme, ne pourra manquer de les fragiliser. À la fin, vous aurez réduit le consentement à l’impôt et nourri un argument que vos collègues répéteront, à l’image de M. Kasbarian : regardez, il y a des assistés !
M. Guillaume Kasbarian
Ce n’est pas ce que j’ai dit !
Mme Cyrielle Chatelain
Ce ne sont pas des assistés : ce sont des Français qui bénéficient de la solidarité nationale ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et SOC) Celle-ci repose sur un principe simple : la répartition des richesses se fait par l’impôt et la protection sociale ; les droits qu’offre cette dernière se traduisent par des prestations sociales. Nous refusons catégoriquement le gel de l’ensemble des prestations sociales, qui sont au fondement de la solidarité entre les Français et de notre vision d’une société qui s’entraide et qui partage. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo.
M. Fabien Di Filippo
Voilà une bonne leçon à retenir : le fait de mélanger des éléments aussi hétérogènes dans un même article nous oblige à nous prononcer, en un même vote, à la fois sur le dégel des pensions de retraite et sur celui des prestations sociales.
Monsieur Vallaud, ce qu’a dit M. Kasbarian – que vous avez un peu caricaturé – est qu’il ne faut pas mettre sur le même plan les prestations sociales que touchent des gens qui ne travaillent pas et celles perçues par des gens qui ont travaillé toute leur vie. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR et sur quelques bancs du groupe EPR.) Ayez bien en tête, comme l’a dit la ministre – je souscris pour une fois à ses propos –, que les revalorisations des aides sociales ont été supérieures à celle des salaires. Je me souviens de la dernière en date, au printemps 2024 : + 4,6 % pour le RSA, pour un coût de 700 millions d’euros à la charge des départements, sans compensation aucune.
Avec les aides sociales, vous resserrez petit à petit l’écart entre les revenus de l’activité et ceux de l’inactivité, ce qui décourage de plus en plus nos concitoyens de travailler. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.) Je vais vous donner un bon conseil : l’électorat ouvrier et salarié s’est complètement détourné la gauche parce que vous ne défendez plus le travail. (Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme Anna Pic
N’importe quoi !
M. Fabien Di Filippo
Si vous voulez que cela perdure, continuez à réclamer toujours plus d’aides sociales. Mais ce n’est pas cela, la justice sociale. Demandez-vous plutôt pourquoi le travail ne paye pas assez. Tout ce que vous donnerez aux gens qui ne travaillent pas, vous le prendrez dans la poche de ceux qui travaillent et qui produisent la richesse de ce pays ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Bentz.
M. Christophe Bentz
Les Français ne veulent pas de cet article scandaleux et profondément injuste. Le premier ministre, il y a douze jours, s’était engagé à revenir dessus ; on peut maintenant juger de la fermeté de cet engagement.
Les députés ont supprimé l’article en commission des affaires sociales et j’espère que nous en ferons de même dans quelques minutes.
Madame la ministre, vous vous dites défavorable aux amendements de suppression et vous nous invitez à vous faire confiance mais, avec tout le respect que je vous dois, nous n’avons jamais eu confiance en aucun des gouvernements d’Emmanuel Macron depuis huit ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Mme Sophie Ricourt Vaginay applaudit également.)
Nous demandons donc la suppression totale de cet article porteur d’une injustice sociale que les Français refusent. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Thomas Ménagé, pour un rappel au règlement.
M. Thomas Ménagé
Sur le fondement de l’article 100, relatif à la bonne tenue de nos débats.
Voici, selon le compte rendu de la séance, les propos tenus par le premier ministre, le 31 octobre, devant la représentation nationale : « le gouvernement examinera favorablement les amendements qui visent à dégeler les pensions de retraite de nos concitoyens et de nos concitoyennes. » Il n’est pas question de critères supplémentaires. Peu après, le premier ministre poursuit : « […] j’indique que le gouvernement sera favorable aux amendements qui dégèleront l’ensemble des minima sociaux dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. »
Dès lors, madame la ministre, pourquoi refuser ces amendements supprimant tout à fait l’année blanche ? Pourquoi cette position qui contredit l’engagement pris par le premier ministre ici même à l’Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe UDR.) Quelle est donc la ligne du gouvernement ? Celle de Mme de Montchalin… (Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés du groupe RN applaudissent ce dernier.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je vais vous répondre !
Mme la présidente
Vous pourrez vous exprimer, madame la ministre, quand chaque groupe aura eu la parole sur les amendements.
Article 44 (appelé par priorité - suite)
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti
Vous prétendez que cette mesure pourrait faire économiser 3,6 milliards d’euros au budget de l’État et de la sécurité sociale.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Et des collectivités !
M. Éric Ciotti
Gardez-vous pourtant de chercher à faire ces économies au détriment de ceux qui ont travaillé toute leur vie. Les retraités d’aujourd’hui sont les travailleurs d’hier ; ils ont fait la force de notre nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR.)
Les économies sont là où vous refusez de les chercher – notamment dans l’immigration et le coût qu’elle engendre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. Nicolas Sansu
Ça faisait longtemps !
M. Éric Ciotti
Vous pouvez vous gratter la tête, monsieur Vallaud, mais voici la réalité que vous refusez de voir : ce sont toujours les mêmes qui payent. (Mme Dieynaba Diop s’exclame.) On pourrait économiser 7 milliards d’euros par an si les prestations sociales non contributives – les allocations familiales ou l’APL – n’étaient versées que sous condition de résidence de cinq ans sur le territoire national, comme c’est déjà le cas pour le RSA, plutôt qu’aux étrangers qui ne travaillent pas ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Il y aurait là le double de ce que vous voulez prélever dans les poches des Français qui travaillent et qui ont travaillé toute leur vie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.)
M. Antoine Léaument
Menteur !
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier
Il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre (« Si ! » sur plusieurs les bancs des groupes RN et SOC), ceux qui veulent faire les poches et ceux qui veulent se montrer généreux sans regarder à la dépense.
Je me souviens de réformes de l’âge légal de départ à la retraite, qu’on annonçait à 60 ou 62 ans, jusqu’à ce qu’on finisse par regarder en face le problème de l’équilibre financier. Tous ceux qui seront un jour aux responsabilités le verront bien ; en trente ans, jamais un gouvernement n’est revenu sur une réforme des retraites – jusqu’à aujourd’hui.
M. Hadrien Clouet
Si, en 1981 !
M. Philippe Vigier
Quand on regarde l’évolution des salaires entre 2021 et 2023 – je l’ai dit tout à l’heure sans que personne ne le relève –, on constate que les salariés ont été moins revalorisés que les retraités. Voilà pourquoi nous proposons tout simplement de revaloriser les petites retraites, celles des gens ordinaires que nous rencontrons dans nos circonscriptions. Quand, en revanche, on touche une pension de plusieurs milliers d’euros par mois, quand on dispose de plus ressources, on peut payer plus – je suis, sur ce point, en désaccord avec Mme Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
Dans ce cas, on paye plus d’impôt !
M. Philippe Vigier
Je croyais que vous portiez la justice sociale en étendard, mais je vous prends en flagrant délit de la pourfendre ; c’est un peu surprenant ! (Mme Cyrielle Chatelain s’exclame.)
Sont en jeu 3,6 milliards d’économies pour l’année à venir et 6,7 milliards pour la suivante. Vous savez, madame la ministre – même si personne n’en parle plus non plus – que la Caisse d’amortissement de la dette sociale, à moins que nous ne prenions des mesures, ne pourra plus continuer à rembourser la dette dans les années à venir. (M. François Jolivet applaudit)
Que chacun fasse donc un effort – que nos retraités les plus riches fassent un petit effort.
M. Nicolas Meizonnet
Et dire qu’ils ont voté pour vous ! Ils vont être contents !
M. Philippe Vigier
Pour ceux dont les retraites sont plus petites, nous proposerons des mesures de revalorisation. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
M. Christophe Bentz a déclaré ne pas nous faire confiance. Ce n’est pourtant pas le sujet ! (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Je ne fais que vous inviter à rendre le débat possible. Certains des amendements à l’article proposent de geler les minima sociaux, d’autres de les dégeler, d’autres de protéger les petites retraites, d’autres, encore, de fixer un seuil à 1 200, 1 400 ou bien à 1 700 euros. Le premier ministre, que M. le député Ménagé a cité, évoquait bien « les » amendements qui traitent des retraites. Dans la somme de 400 milliards d’euros de prestations sociales, on ne trouve pas que les minima sociaux, que vous avez évoqués : on y trouve toutes les prestations – les prestations familiales par exemple –, on y trouve l’ensemble des plafonds et des seuils. Or tout cela n’est pas égal : ce n’est pas la même chose de geler un plafond que de geler une prestation.
La question n’est pas celle de la confiance ; la question est de savoir si nous pouvons consacrer une heure ou deux, dans cet hémicycle, à revenir en détail sur ces sujets. Il vous appartiendra pleinement, ensuite, d’accepter ou de refuser telle ou telle disposition. Il serait dommage que nous considérions comme un tout indivisible ces 400 milliards. Les arguments de M. Ciotti ne sont pas les miens, mais si vous supprimez l’article, on ne pourra pas en débattre.
Madame la présidente Chatelain, vous avez voulu poser la question du modèle social qui est le nôtre. De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins : je tiens, comme vous, à ce principe républicain. Quand le barème de l’impôt sur le revenu, cependant, a été dégelé pour toutes les tranches,…
M. Nicolas Sansu
Et alors ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…nous n’avons pas été fidèles à ce principe.
M. Nicolas Sansu
Si !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Nous avons en effet statué que les ménages disposant de 200 000 euros de revenu ne payeront pas, l’année prochaine, 230 euros de plus d’impôt sur le revenu. Je ne demande pas mieux, madame Chatelain, que de suivre vos orientations – encore faudrait-il alors différencier, dans le barème, l’effort fiscal des premières tranches de celui des plus aisés. (M. Frédéric Petit applaudit.) Faute de l’avoir fait, il me semble légitime que nous débattions de ces seuils et de ces plafonds.
La sous-indexation, pour le dire simplement, peut s’approcher de deux manières. On peut, première approche, revaloriser de toute l’inflation ou d’une partie de celle-ci seulement – on indexe un peu, beaucoup, à moitié ou complètement. Ce débat a été celui des années 2014, 2015, 2019 et 2020 – il a finalement été décidé de sous-indexer. Il existe cependant une seconde approche : revaloriser en dessous d’un certain seuil – seuil de revenu ou de retraite –, et geler au-dessus.
On retrouve ces deux approches dans les amendements déposés à l’article 44 et il me semble qu’il n’y aurait rien d’absurde à ce que nous prenions un peu de temps pour en discuter.
Je n’ai nullement l’intention de déclencher une guerre des générations. Comprenez bien, toutefois, que les prestations sociales ont été revalorisées de 40 milliards d’euros en 2024. Sur ces 40 milliards, les pensions de retraite comptaient pour 25 milliards. Or de ces 25 milliards, 75 % ont été épargnés – dans les assurances vie, dans les livrets d’épargne ou sur les comptes en banque. Cela soulève une question. Nous sommes d’accord, avec le ministre Farandou, pour protéger les petites retraites ; mais le coût de ces 75 %, pour la puissance publique, est considérable.
M. Pierre Cordier
75 % qui restent sur des comptes !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Quand on considère les difficultés que rencontre le système de santé, quand on considère la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’aider les jeunes et de soutenir la production, il ne me semble pas absurde de vous demander de décider, de manière souveraine, s’il n’existe pas un seuil en dessous duquel les retraites pourraient être revalorisées et au-dessus duquel elles pourraient être gelées. Voilà un débat démocratique qu’il nous serait utile d’avoir et pour lequel, vous le constatez, je mets tous les arguments dans la balance. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Damien Maudet.
M. Damien Maudet
M. Kasbarian a raison : tout donner aux plus riches, pendant huit ans, sans qu’ils ne réinvestissent, c’est une politique qui crée du déficit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Cette politique doit cesser. Si vous aviez voté la taxe Zucman, nous ne serions peut-être pas là à vous entendre justifier que l’on aille taper sur la tête des travailleurs, sur celle des personnes en situation de handicap et des retraités ! (Mêmes mouvements.) Si vous aviez accepté, l’année dernière, de fiscaliser davantage les dividendes – les 100 milliards d’euros du CAC40 – nous n’en serions peut-être pas à nous poser de telles questions.
Vous avez dit tout à l’heure, madame la ministre, que l’article 44 avait vocation à financer la suspension – le décalage – de trois mois de la réforme des retraites.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Non !
M. Damien Maudet
Si cet article est toutefois supprimé, comme cela risque d’arriver, quels seront les prochains à devoir payer pour ce décalage de trois mois ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Les petits épargnants, ceux qui ont des PEP !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
J’aime qu’on s’en tienne aux faits et je vais m’exprimer d’un point de vue budgétaire. Le rendement de l’article 44 sera de 3,6 milliards d’euros en 2026, quand le coût de la suspension de la réforme des retraites, qui vient d’être votée, est compris entre 100 millions et 300 millions d’euros au maximum : vous voyez bien que cet article fait bien plus que financer cette seule suspension – à moins que nos pinceaux ne soient doublement emmêlés.
L’enjeu de l’article, de nouveau, n’est pas seulement celui du gel et de la sous-indexation des retraites. Il y va du gel de l’ensemble des plafonds, des barèmes, des seuils, des minima sociaux, des prestations – prestations familiales, prestations sociales – et des retraites.
M. Aurélien Le Coq
C’est d’autant plus honteux !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Cet article couvre 400 milliards d’euros de prestations : il n’est donc clairement pas destiné, monsieur le député, à compenser la suspension de la réforme des retraites que vous avez votée, qui ne coûte pas 3,6 milliards ! Ça ne marche pas !
M. Pierre Cordier
Il fallait suivre !
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à Mme Justine Gruet, pour un rappel au règlement.
Mme Justine Gruet
Sur le fondement de l’article 100 de notre règlement, relatif à la bonne tenue de nos débats.
Vous nous accorderez que cet article est plutôt mal fait :…
Mme Anne-Laure Blin
Très mal fait !
Mme Justine Gruet
…on y traite de deux sujets complètement différents, les pensions de retraite et les minima sociaux.
Si ces amendements de suppression passent, nous n’aurons pas l’occasion de discuter du gel des minima sociaux ; or la droite défend l’allocation sociale unique.
Je vous demande donc, madame la présidente, une suspension de séance. (Protestations.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures cinquante.)
Article 44 (appelé par priorité - suite)
Mme la présidente
La séance est reprise. Nous poursuivons l’examen des amendements de suppression de l’article 44. J’ai donné la parole aux représentants de groupe qui le demandait après quoi Mme la ministre a pu s’exprimer et je crois que M. le rapporteur général souhaite s’exprimer.
M. Nicolas Sansu
Nous aussi !
Mme la présidente
Monsieur le rapporteur général, avant que M. Sansu ne s’exprime, vous avez la parole.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Ce qu’ont dit M. Maudet et Mme la ministre est à la fois juste et faux : y a-t-il un lien entre l’article 44 que nous examinons et l’article 45 bis que nous avons adopté ? En 2026, il n’y en a pas – Mme la ministre, vous avez raison.
Mais, en 2027, il y aura bien un lien puisque la lettre rectificative a augmenté la sous-indexation des retraites (La ministre acquiesce), faute de solution plus acceptable.
M. Damien Maudet
Ah ! Merci, monsieur le rapporteur général !
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Initialement de 0,4 point, cette sous-indexation est désormais de 0,9 point en 2027. Très concrètement, si l’inflation est alors de 1 %, les retraites n’augmenteront que de 0,1 %.
Si nous supprimons cet article – et je pense qu’il va être supprimé –, nous devrons donc trouver une autre solution. Et la hausse de la fiscalité sur les plans d’épargne logement ou les plans d’épargne populaire n’est pas une solution durable pour financer nos régimes de retraite.
Il reste du pain sur la planche, et il faudra trouver des solutions pérennes. La solution structurelle pour notre système de retraite, c’est l’amélioration du taux d’emploi.
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu car il n’y avait pas encore eu d’expression du groupe GDR sur les amendements de suppression.
M. Nicolas Sansu
Je suis très heureux que M. le rapporteur général nous ait éclairés – il y a donc bien un sujet.
Par ailleurs, Mme la ministre nous a indiqué que l’article 45 bis coûterait entre 100 et 300 millions d’euros. J’ai fait un calcul simple : la retraite médiane est de 20 000 euros par an, ce qui signifie que 5 000 à 15 000 personnes seraient concernées par le décalage en 2026. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – La ministre fait un signe de dénégation.)
Cela fait deux fois que le premier ministre est désavoué. D’abord, parce que ce n’est pas une suspension, mais bien un décalage. Ensuite, parce qu’il s’était engagé le 31 octobre dernier à ce qu’il n’y ait pas d’année blanche (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) et que vous expliquez aujourd’hui qu’il faut préserver une année blanche pour financer un décalage qui, je le rappelle, n’est qu’un décalage.
La question est simple : quels moyens affectés pour répondre aux besoins de nos concitoyens ? Certains collègues disent qu’au-delà de 1 700 euros, il ne faudrait pas revaloriser les retraites – il y a des amendements en ce sens, mais cela revient à opposer les retraités entre eux, et ce n’est pas raisonnable quand on accepte 80 milliards d’exonérations de cotisations sociales et que l’on refuse d’y toucher – y compris celles de la grande distribution ou le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), par exemple, qui n’ont aucune utilité pour l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. M. Jérôme Guedj applaudit également.)
J’y insiste, il y a bien un sujet – et il est plus vaste. Il faut débattre de la répartition de l’effort, et tout au long de l’examen du projet de loi de finances, vous n’avez pas voulu entendre parler d’une véritable contribution sur les très hauts patrimoines. Nous en payons le prix dans ce PLFSS, et nous allons surtout le faire payer aux plus pauvres et aux plus modestes ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et LFI-NFP.)
Mme la présidente
Avant le vote, la parole est de nouveau à Mme la ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Il me semble utile de répondre aux députés qui me posent des questions.
On ne peut pas parler de désaveu : comme tous mes collègues, je travaille sous l’autorité du premier ministre et, nous suivons strictement ce qu’il a déclaré le 31 octobre. Le rendement du gel des petites retraites – celles jusqu’à 1 700 euros – représente 1 milliard d’euros, et non 3,6. Le gel des minima sociaux représente 300 millions d’euros. Le dégel de ces deux ensembles correspond donc à 1,3 milliard d’euros de moindres économies alors que l’article 44 prévoie des économies de l’ordre de 3,6 milliards. Vous le constatez, le débat ne concerne pas que les minima sociaux et les petites retraites.
Vous avez parlé des exonérations. Nous avons déjà eu ce débat : en 2025, nous avons réduit les allégements généraux de 1,6 milliard. En 2026, nous proposons une nouvelle réduction de 1,5 milliard. (M. Nicolas Sansu s’exclame.) Cela représente donc 3,1 milliards d’allégements en moins, sur une assiette qui s’élève à environ 74 milliards d’euros.
Nous pouvons de nouveau en débattre, mais je le répète, le périmètre de l’article 44 est beaucoup plus large que ce que couvraient les propos du premier ministre. Avec mes collègues, Stéphanie Rist et Jean-Pierre Farandou, nous pensons qu’il est possible d’avoir un débat plus factuel, plus précis, sur tous les seuils, tous les plafonds, toutes les prestations, débat qui dépasse largement celui sur les petites retraites et les minima sociaux.
Mme la présidente
Je mets aux voix les amendements identiques nos 706, 944, 1216, 1498, 2050 et 2223.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 414
Nombre de suffrages exprimés 407
Majorité absolue 204
Pour l’adoption 308
Contre 99
(Les amendements identiques nos 706, 944, 1216, 1498, 2050 et 2223 sont adoptés ; en conséquence, l’article est supprimé et les autres amendements à l’article 44 tombent.)
Article 42 (appelé par priorité)
Mme la présidente
La parole est à Mme Angélique Ranc.
Mme Angélique Ranc
La relance de la natalité est fondamentale pour l’avenir de notre pays que l’on ait à cœur de permettre aux couples de se rapprocher de leur désir d’enfant, ou de sauver la France de la dénatalité qui la condamne à long terme. C’est la raison pour laquelle le Rassemblement national soutient le nouveau congé de naissance prévu à l’article 42.
Cependant, nous souhaitons soulever plusieurs points de vigilance. Tout d’abord, nous regrettons l’idéologie de l’exposé des motifs de cet article, le texte conservant une approche que l’on pourrait qualifier de dirigiste puisque l’État entend régir jusqu’à la répartition des tâches parentales.
La politique familiale ne doit pas devenir un instrument d’ingénierie sociale. Son rôle premier est d’offrir aux familles les moyens matériels de leurs choix, et non de leur dicter leur organisation.
Ensuite, au-delà de ces considérations de principe, c’est surtout le flou budgétaire qui nous inquiète. Le PLFSS ne précise pas les montants de l’indemnité pour le premier et le second mois, et l’article dispose qu’ils seront fixés par décret. Nous le savons désormais, cette indemnité correspondra à 70 % du salaire net le premier mois et 60 % le second ; nous regrettons que ces éléments ne figurent pas dans le texte lui-même, empêchant ainsi les parlementaires d’en débattre.
Nous regrettons également l’absence de plancher pour les salaires les plus faibles, ce qui risque de conduire à une inégalité de traitement pour les citoyens les plus précaires.
En outre, il convient d’assouplir les conditions de ce congé supplémentaire de naissance, en permettant de le prendre dans un délai de six mois après la fin du congé de maternité, de paternité, d’accueil de l’enfant ou d’adoption.
Enfin, d’autres mesures de bon sens seraient indispensables : il faudrait réserver ce congé aux personnes qui appartiennent à la communauté nationale ou qui y contribuent directement par leur travail.
Nous pourrons ainsi créer un nouveau congé de naissance juste et soutenable, et permettre aux familles de s’organiser librement pour accueillir l’enfant dans de bonnes conditions.
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Pierre Rixain.
Mme Marie-Pierre Rixain
L’égalité professionnelle ne dépend pas seulement des évolutions législatives, mais aussi du partage du temps parental. Tant que les hommes ne partageront pas avec les femmes la responsabilité d’élever la prochaine génération, l’égalité réelle ne pourra pas advenir. L’impact de la parentalité est en réalité asymétrique : les femmes subissent une pénalité de maternité alors que les hommes bénéficient d’une prime de paternité. En France, une étude de 2022 de l’Institut national d’études démographiques (Ined) montre que les pères de deux enfants perçoivent un salaire horaire supérieur de 7 % à celui des hommes sans enfants, alors que les mères subissent une baisse de 20 à 25 % à long terme. En raison des inégalités cumulatives, cette asymétrie parentale produit une fracture durable : à 40 ans, les écarts de revenu entre les mères et les pères dépassent souvent 30 %, à même formation et à poste équivalent.
Il s’agit là du produit d’un modèle social, fiscal et culturel dépassé. Le corriger suppose de repenser les conditions d’une coresponsabilité parentale effective. La réforme du congé parental proposée dans le texte, outre les bénéfices certains qu’elle apporte aux enfants, peut incarner un tournant décisif pour l’égalité professionnelle et économique entre les femmes et les hommes, contre des carrières interrompues, des occasions de promotion perdues et des retraites affaiblies. Permettre à chaque parent de prendre un congé de naissance supplémentaire d’une durée équivalente, indemnisé par la sécurité sociale et non transférable entre parents, c’est s’engager contre cette mécanique. Bien sûr, il faudra s’assurer que la durée du congé est suffisante pour continuer à développer des schémas parentaux égalitaires, et que les pères ne seront pas dissuadés, par les injonctions sociales ou professionnelles, de profiter de cette disposition.
Dans les pays qui ont créé un congé réservé et indemnisé, les écarts de salaire ont diminué de près de 20 %. L’OCDE estime en outre qu’une hausse de 1 point de la participation des femmes au marché du travail génère jusqu’à 0,6 point de PIB supplémentaire. C’est pourquoi le groupe EPR soutient cette réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sarah Legrain.
Mme Sarah Legrain
Nous voilà appelés à nous prononcer sur ce fameux congé de naissance, tant attendu et annoncé par le gouvernement – souvent de manière très floue. Si vous avez sélectionné cet article parmi ceux qu’on allait avoir le droit de discuter avant que vous transmettiez le texte au Sénat, c’est que vous considérez qu’il contient une avancée dont vous pourrez vous féliciter. Mon rôle est de décrypter ce qui, dans la rédaction proposée, doit nous inquiéter ou, du moins, nous inviter à de la circonspection.
La première arnaque, c’est que la disposition doit entrer en vigueur en juillet 2027. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) En effet, qui peut dire où on sera à cette date ! Cela ne vous empêche pas d’annoncer que le congé sera financé grâce au décalage de la revalorisation des allocations familiales pour le deuxième enfant de 14 ans à 18 ans ; ce décalage, les familles le paieront dès l’année prochaine puisque le décret sera pris en 2026 – deuxième arnaque ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Nous sommes également méfiants car le gouvernement a annoncé que l’indemnisation s’élèvera à 70 % du salaire pour le premier mois du congé et 60 % pour le deuxième. Là non plus, rien n’est écrit dans le texte, tout sera précisé par décret – qui, si vous avez suivi, sera pris en juillet 2027, voire plus tard.
Venons-en au fond. Vous brandissez l’argument de l’égalité, auquel je suis naturellement sensible, et citez la mission d’information sur les politiques d’accompagnement à la parentalité – une mission parlementaire transpartisane de la délégation aux droits des femmes, que j’ai menée avec ma collègue Delphine Lingemann. Dans le cadre de cette mission pour une parentalité égalitaire, nous pointions le fait que le père gardait toujours le rôle de parent auxiliaire et nous disions l’importance d’allonger le congé paternité, notamment sa part obligatoire, afin que les employeurs ne puissent pas faire pression sur les pères (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP), et que ceux-ci puissent enfin prendre pleinement leur part à l’accueil de l’enfant. Or vous ne touchez pas à ce congé paternité. De fait, vous prenez le risque d’accroître l’écart entre les pères et les mères puisqu’avec la mesure que vous proposez, les pères pourront s’arrêter sept jours pendant que des mères s’arrêteront six mois, avec deux mois indemnisés à un niveau moindre que leur salaire. C’est un véritable problème auquel vous ne vous attelez pas, madame la ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez.
Mme Céline Thiébault-Martinez
Avant de se satisfaire partiellement de la proposition qui nous est faite dans le cadre de cet article 42, il faut revenir sur la méthode du gouvernement. La proposition d’un congé parental supplémentaire est intervenue la veille, voire la nuit qui a précédé la présentation d’un rapport sur les congés parentaux que Thibault Bazin et moi-même avions préparé. Nous regrettons – en tout cas, à titre personnel, je regrette fortement – que le gouvernement n’ait pas pris la peine, d’une part, de nous solliciter, mais aussi, d’autre part, de nous rencontrer. En effet, dans le cadre de ce rapport, nous n’avons pas pu avoir d’auditions avec les ministres chargés de ces sujets.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
C’est vrai, elle a raison !
Mme Céline Thiébault-Martinez
Sur le fond, la création d’un congé destiné aux deux parents est, en soi, intéressante mais le fait qu’il ne soit pas obligatoire est problématique. Toutes les études le montrent : dès lors qu’un congé n’est pas obligatoire, en particulier quand les deux parents peuvent y accéder – une mère d’un côté, un père de l’autre –, on observe toujours une répercussion inégale sur les salaires. On aurait aimé que, pour ce congé supplémentaire, vous rendiez enfin obligatoire le fait de le prendre de façon identique, sur la même durée, pour les deux parents, afin que la décision d’avoir un enfant ne se solde plus, pour les membres du couple, par une inégalité salariale.
Mme Marie-Charlotte Garin
Tout à fait !
Mme Céline Thiébault-Martinez
En matière de rémunération, il y a un progrès puisque l’indemnisation se fait sur la base du salaire – c’est un point positif. On peut toutefois regretter qu’on soit bien en dessous des standards européens.
Enfin – c’est le sens d’un des amendements que nous avons déposés –, il nous paraît utile que ce congé, en plus d’être obligatoire, soit fractionnable pour permettre aux parents une certaine souplesse. C’est notamment nécessaire quand on doit faire le lien entre la fin d’un congé maternité ou de paternité et la reprise du travail, puisque, comme vous le savez, il manque toujours 200 000 places en crèche dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.
Mme Marie-Charlotte Garin
Aujourd’hui, 96 % des congés parentaux sont pris par des femmes, avec une indemnisation plafonnée à 429 euros, ce qui pousse près de quatre femmes sur dix à sortir de l’emploi. Je ne parle même pas des modes de garde, toujours très difficiles d’accès pour les jeunes parents. Le congé supplémentaire de naissance proposé dans le texte ne répond ni à l’urgence sociale ni à l’exigence d’égalité que réclame une vraie réforme du congé parental.
Nous, les écologistes, défendons une réforme ambitieuse et cohérente : un congé pour le deuxième parent qui soit obligatoire, aligné sur la durée du congé maternité, puis un congé de parentalité de six mois par parent, évidemment non cessible pour assurer un véritable partage des responsabilités. Tout cela doit bien sûr s’accompagner d’une indemnisation digne de ce nom, qui maintienne le niveau de la rémunération en emploi au lieu de baisser au fil des mois.
Certaines collectivités s’engagent en ce sens : à Lyon, par exemple, nous, les écologistes, avons déjà mis en place le congé paternité pour les agents municipaux, porté à dix semaines dès 2021 – et on en constate les bénéfices. Pour nous, l’enjeu n’est pas de créer un petit congé de naissance symbolique, en complément des dispositifs existants, mais de reconstruire un modèle parental qui soit juste, universel et égalitaire, avec notamment un plan massif pour la petite enfance, une revalorisation des métiers du soin, très féminisés, des conditions d’accueil dignes et un accompagnement renforcé des familles. Nous regrettons que votre ambition – créer de nouveaux droits pour les parents – ne donne pas lieu à un projet de loi dédié, d’autant qu’on peut s’appuyer sur des travaux parlementaires de qualité qui ont été menés par différents groupes ces derniers mois. Le sujet aurait mérité une vraie réflexion collective.
On nous dira que cela coûte cher ; mais c’est toujours ce qu’on nous dit lorsqu’il s’agit de créer de nouveaux droits pour les mères et d’aller vers une parentalité égalitaire. En réalité, ce qui coûte cher, c’est l’inaction qui creuse les inégalités. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Justine Gruet.
Mme Justine Gruet
Au sein de mon groupe et de ma famille politique, on croit à l’importance de la politique familiale qui doit être un vrai soutien à la parentalité. Pour nous, la natalité est essentielle à la vitalité de notre pays et on pense qu’avoir des enfants est la plus belle chose qui puisse arriver. Le rôle de la puissance publique est donc de soutenir les parents.
Nous sommes favorables à la liberté d’organisation entre les pères et les mères : chaque famille doit pouvoir s’organiser, à la fois dans la répartition et dans la temporalité du congé. Quant aux allocations familiales, elles doivent être non pas une aide sociale mais un soutien aux parents pour faciliter la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Nous étudierons donc avec attention le dispositif proposé : il ne doit pas mettre en difficulté nos finances publiques et il doit demeurer juste.
En matière d’accès à la parentalité, il reste bien d’autres sujets à traiter, que nous avons évoqués en commission des affaires sociales, notamment la mortalité infantile et l’infertilité. Nous devons nous saisir de tous ces enjeux au sein de notre commission et au sein de cet hémicycle pour répondre aux attentes des parents et des futurs parents. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Patrier-Leitus.
M. Jérémie Patrier-Leitus
Chers collègues, vous venez de suspendre la réforme des retraites parce que vous refusez de regarder la réalité en face – une réalité nette et implacable qui s’impose à nous : la baisse sans précédent de la natalité. Le nombre des naissances est au plus bas depuis la seconde guerre mondiale ; depuis mai dernier, le nombre de morts est supérieur au nombre de naissances.
Au sein du groupe Horizons, nous pensons que la baisse de la natalité, ce vertige démographique, est le défi le plus important auquel notre pays fait face. J’entends déjà les critiques ; il ne s’agit pas de dire aux parents ou aux femmes de faire les enfants qu’ils ne souhaitent pas. Mais il existe, dans notre pays, un désir d’enfant important, de l’ordre de deux enfants par femme, qui tranche avec la réalité d’un indice de fécondité à 1,6. Quels que soient notre bord politique et notre position dans cette assemblée, nous nous devons collectivement de répondre à ce désir d’enfant dont font preuve les couples. Le groupe Horizons votera donc toutes les mesures qui permettront de faciliter la parentalité et d’accompagner la natalité dans notre pays.
Je le redis solennellement : quelle que soit notre position, nous ne pouvons pas accepter cette baisse de natalité sans précédent. Un pays sans enfants est un pays sans avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – Murmures sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
L’article 42 créant un congé supplémentaire de naissance est une avancée très attendue que je salue bien volontiers. Il allonge les congés de maternité et de paternité d’un ou deux mois alors que la France est aujourd’hui sous la moyenne des pays de l’OCDE. Il prévoit une meilleure indemnisation que le congé parental actuel sans supprimer un dispositif privilégié par plus de 200 000 familles.
Mais pour réussir, cette réforme doit reposer sur la souplesse et la liberté de choix des familles. Or le dispositif reste encore trop rigide. Je regrette que mon amendement qui permettait de prendre ce congé à temps partiel ait été déclaré irrecevable alors qu’il avait été largement adopté par la commission des affaires sociales. J’en défendrai un autre avec des collègues pour permettre le fractionnement du congé. En effet, beaucoup de pères pourraient voir l’interruption totale de leur activité comme un obstacle. L’étude d’impact rappelle d’ailleurs, concernant le congé paternité, que la possibilité de le fractionner en a largement favorisé l’utilisation. Selon le fameux rapport sur les 1 000 premiers jours de l’enfant, plus de 60 % des mères auraient souhaité reprendre plus progressivement leur activité professionnelle. Je suis convaincu que ce nouveau congé de naissance remplirait bien mieux son objectif s’il était davantage modulable, et j’appelle le gouvernement à l’adapter en ce sens.
Au-delà de l’article 42, il y a tant à faire pour améliorer notre politique familiale : rétablir son universalité, mieux soutenir les crèches et les collectivités investies pour faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, offrir des solutions à ceux qui recherchent des modes de garde.
J’en profite, madame la ministre, pour vous inviter à revaloriser la prestation de service unique (PSU) et à la réformer de manière que les solutions de garde soient davantage pérennes dans notre pays. Ces deux dernières années, nous avons constaté des destructions nettes de places alors qu’il faudrait en créer. Derrière cette question, il y a l’amélioration du taux d’emploi des parents de jeunes enfants. Mesdames les ministres, j’espère que vous saurez entendre cet appel !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées
Je commencerai par la question du rapporteur général qui nous interpelle sur l’augmentation de la PSU pour les crèches. C’est une priorité du gouvernement : avec Amélie de Montchalin, nous avons pris la décision d’augmenter de 2 % pour 2025 le tarif de nos crèches, afin de confirmer l’engagement du gouvernement en matière de garde d’enfants.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Très bien, merci !
Mme Stéphanie Rist, ministre
Pour revenir sur cet article 42, je suis ravie de succéder aux ministres Aurore Bergé et Catherine Vautrin, qui ont ardemment promu ce congé supplémentaire de naissance. En effet, 90 % des parents estiment que la garde parentale constitue le meilleur mode de garde dans les six premiers mois de l’enfant.
Ce congé supplémentaire offre un choix supplémentaire, qui n’annule pas les congés existants. C’est en outre un enjeu d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, tant nous connaissons la difficulté de concilier la vie professionnelle et la vie personnelle.
Cette mesure s’inscrit dans la dynamique des 1 000 premiers jours, dont on sait l’importance pour le bon développement des enfants – quel que soit le mode de garde retenu –, et à laquelle je suis très attachée. C’est pourquoi je préconise de ne pas supprimer cette proposition. Je m’exprimerai dans un instant sur les amendements de suppression.
Mme la présidente
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 641 et 1931, visant à supprimer l’article.
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin, pour soutenir l’amendement no 641.
Mme Marie-Charlotte Garin
On est en droit de se demander pourquoi une députée féministe s’oppose à la création d’un congé de naissance. Dans la presse, en effet, chacun fait la louange de ce nouveau droit, mieux indemnisé qu’auparavant. C’est vrai, même s’il est insuffisant, et qu’on peut être en désaccord avec certaines de ses modalités.
C’est surtout son financement qui me pose problème : ce congé de naissance serait financé en décalant la majoration des allocations familiales pour les enfants à partir de 18 ans, au lieu de 14 ans aujourd’hui. En tant que féministe, je m’oppose au fait qu’on diminue les allocations pour les parents de grands enfants, afin de financer un droit destiné aux parents de jeunes enfants.
M. Thibault Bazin, rapporteur général
Il n’y a pas de lien entre les deux mesures !
Mme Marie-Charlotte Garin
Je vais même aller plus loin : l’application du nouveau dispositif est prévue en juillet 2027, alors que la baisse de la majoration des allocations familiales commencera dès 2026. Dès lors, j’ai le sentiment – partagé par les associations de parents qui suivent avec attention nos débats – que vous essayez de faire des économies sur le dos des allocations familiales, sous couvert d’un progrès pour de nouveaux parents. Or l’esprit de notre République n’est pas d’enlever des droits à certains parents pour en donner à d’autres. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Didier Berger, pour soutenir l’amendement no 1931.
M. Jean-Didier Berger
Quand j’ai découvert ce projet, j’ai cru moi aussi à une bonne nouvelle, surtout quand on sait à quel point la politique familiale a été sacrifiée et affaiblie depuis 2012, et à quel point l’universalité des prestations a été mise à mal. Néanmoins, deux questions se posent : est-ce le bon moment pour le faire ? Le levier utilisé est-il le bon ?
Au regard de la situation de surendettement dans laquelle se trouve notre pays, rajouter de nouvelles dépenses est problématique. Par ailleurs, des dispositifs existent déjà, souvent mal financés ou nécessitant d’être renforcés. Prenons l’exemple de la petite enfance : alors qu’on a demandé aux communes d’en faire davantage, où sont les moyens pour que la situation réponde réellement aux attentes des parents ?
Pour ma part, je n’ai jamais rencontré une famille qui m’ait dit vouloir un enfant supplémentaire, mais y renoncer faute d’un congé de naissance suffisant. Qui peut, ici, prétendre le contraire ? Si nous devons mobiliser ces crédits, il me semble préférable de les consacrer au renforcement des dispositifs existants, plutôt que d’ajouter une nouvelle couche. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Bergantz, rapporteure de la commission des affaires sociales, pour donner l’avis de la commission.
Mme Anne Bergantz, rapporteure de la commission des affaires sociales
Vos deux amendements tendent à supprimer l’article 42, pour des raisons différentes. J’y suis évidemment défavorable.
Le congé de naissance offre un ou deux mois de congés par parent. Il s’agit d’un droit individuel, soumis aux mêmes conditions d’éligibilité et d’accès que les indemnités journalières. Il garantit une rémunération à hauteur de 70 % du salaire, un niveau jamais proposé pour un congé parental classique. Il est ainsi bien plus élevé que le congé parental d’éducation – la prestation partagée d’éducation de l’enfant (Prepare) –, qui ne s’élève qu’à 459 euros par mois.
Ces conditions de rémunération devraient inciter davantage les pères et les mères à profiter pleinement de ce congé parental. La Prepare, en revanche, n’était utilisée que par 209 000 familles, un chiffre très faible qui avait diminué de moitié depuis la réforme de 2015. Cette nouvelle prestation devrait donc contribuer à réduire la tension sur l’offre d’accueil du jeune enfant, aujourd’hui très forte.
Madame Garin, vous jugez que ce congé de naissance n’est pas assez ambitieux ; à ce titre, je trouve votre exposé des motifs plutôt sévère.
Mme Marie-Charlotte Garin
C’est vrai !
Mme Anne Bergantz, rapporteure
Si nos débats peuvent permettre d’améliorer le dispositif, qualifier celui-ci de symbolique me semble un jugement sévère. Il serait regrettable de le rejeter en bloc, comme vous le proposez.
Au risque de vous étonner, je partage néanmoins l’un de vos arguments : ce dispositif ajoute un congé aux congés existants, au risque de nuire à la lisibilité de l’offre. Il est vrai que nous allons proposer désormais cinq congés différents : le congé maternité, le congé de naissance de trois jours pour le père, le congé paternité de vingt-cinq jours, le congé supplémentaire de naissance et le congé Prepare.
Chacun de ces congés prévoit des indemnisations et des durées différentes, qui peuvent en outre varier selon le rang de l’enfant. Cela crée un système assez complexe, et soulève un enjeu d’information pour les parents. C’est pourquoi je plaide, à terme, pour une refonte des congés parentaux, afin de leur offrir une plus grande lisibilité. Néanmoins, à court terme, et dans le cadre des contraintes imposées par l’article 40 de la Constitution, ce congé de naissance est une très bonne nouvelle, aussi suis-je très défavorable à sa suppression.
Monsieur Berger, vous avez avancé d’autres arguments, notamment relatifs au financement de la mesure et à ses effets sur l’insertion professionnelle des femmes. Je vous rappelle que la branche famille est excédentaire de 800 millions d’euros cette année, et de 700 millions l’an prochain. Elle peut donc supporter le financement de ce congé de naissance.
S’agissant du décalage de la majoration des allocations familiales de 14 ans à 18 ans, évoqué par Mme Garin, je vous invite à consulter les avis de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui s’interroge sur la pertinence de cette majoration à 14 ans. Faut-il maintenir des prestations dont l’efficacité semble dépassée ?
Par ailleurs, je ne partage pas les arguments selon lesquels ce congé risquerait d’éloigner les femmes de l’emploi. Il s’agit d’un congé d’un ou de deux mois,…
M. Jean-Didier Berger
Un ou deux mois de plus !
Mme Anne Bergantz, rapporteure
…à prendre par les mères ou par les pères – l’indemnisation devrait d’ailleurs engager fortement ces derniers à en bénéficier –, qui ne devrait pas fragiliser l’ancrage professionnel, contrairement à la Prepare, destinée à des personnes dont la stabilité professionnelle est parfois déjà fragile.
Enfin, vous soulignez l’absence de garantie du partage de ce congé entre les parents. Nous avons fait le choix de l’incitation plutôt que de la contrainte et, en tant que rapporteure, j’assume pleinement ce choix. Il reviendra aux pères et aux mères, dans les foyers, de choisir l’organisation de ce congé de naissance. Les femmes sont de plus en plus diplômées, elles sont de moins en moins disposées à sacrifier leur carrière pour leur maternité. Laissons donc cette discussion se dérouler au sein des familles. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Stéphanie Rist, ministre
Le gouvernement va s’exprimer à plusieurs voix. En réponse à Mme Garin, en ce qui concerne le financement, après les congés habituels maternité et paternité, les familles qui le souhaitent pourront bénéficier de deux mois de congés supplémentaires, couvrant ainsi, au total, les six premiers mois de l’enfant. Le premier de ces deux mois est rémunéré à 70 % du salaire net, le second à 60 % du salaire net.
Comme je l’ai indiqué à de nombreuses reprises, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale se distingue par son sérieux budgétaire et l’effort demandé à chacun. Il n’était donc pas question, pour le gouvernement, de proposer une mesure coûteuse sans l’avoir financée. Parmi les économies possibles dans la branche famille, le décalage de la majoration des allocations familiales est une piste pertinente.
En effet, une étude de la Drees publiée de 2023 – dont je peux vous communiquer les références – montre que le coût d’un enfant de 14 ans n’est pas très supérieur à celui d’un enfant de 13 ans, alors que la majoration liée à l’atteinte de la majorité est, en revanche, substantielle. Le décalage de la majoration de 14 à 18 ans semble donc pertinent, et permet de financer la création de ce nouveau congé, dont le coût, en fin de montée en charge, est estimé à 600 millions d’euros.
(À dix-neuf heures vingt, M. Christophe Blanchet remplace Mme Yaël Braun-Pivet au fauteuil de la présidence.)
Présidence de M. Christophe Blanchet
vice-président
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Je souhaite compléter la réponse de la ministre Stéphanie Rist, en particulier à Jean-Didier Berger. L’investissement dans la politique familiale est un investissement d’avenir, dont notre pays a grand besoin. La natalité a baissé de 20 % ces quinze dernières années, pour de multiples raisons : des facteurs de santé, notamment de santé environnementale, l’infertilité, l’accès au logement, la question de la garde d’enfants. Mais il faut aussi évoquer notre capacité à offrir davantage de liberté, de droits et de choix aux deux parents.
La mesure que nous proposons soutient donc la natalité, mais aussi – c’est la raison de ma présence – l’égalité entre les femmes et les hommes. En effet, le fait d’avoir des enfants reste un facteur majeur de discrimination dans le déroulement des carrières : le décrochage des carrières féminines est significatif dès le premier enfant, et s’aggrave au deuxième, puis encore davantage au troisième, entraînant une chute brutale de leur évolution professionnelle et leur niveau de rémunération par rapport à celui des hommes.
Impliquer les deux parents dès le plus jeune âge des enfants, c’est bon pour les enfants et pour les parents, mais aussi pour l’égalité et la répartition des tâches, ainsi que pour notre vision de la société.
Nous faisons le choix non pas d’imposer, mais de laisser aux couples la liberté de s’organiser. C’est un véritable débat : certains souhaitent rendre le congé paternité obligatoire, mais nous avons préféré en renforcer les possibilités, tout en préservant la liberté de choix. Le résultat est là : plus de 70 % des pères recourent désormais au congé paternité.
Ce dispositif constitue donc à la fois un nouveau droit, une nouvelle liberté et une mesure d’égalité entre les femmes et les hommes. Il est financé – comme l’a rappelé la ministre – et il répond à un enjeu d’avenir majeur : la natalité, que vous avez largement évoquée au cours de vos débats.
M. le président
La parole est à Mme la ministre de l’action et des comptes publics.
M. Pierre Cordier
Où est la parité sur les bancs des ministres ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Nous sommes trois femmes ministres pour parler du congé de naissance, mais je vous rassure : nos collègues masculins du gouvernement nous soutiennent pleinement sur ce sujet.
Je souhaite simplement revenir sur la revalorisation de 2 % la PSU, annoncée par ma collègue Rist. La PSU constitue une aide au fonctionnement des crèches, versée par les caisses d’allocations familiales (CAF), qui y consacrent près de 5 milliards d’euros chaque année. Ce financement des CAF complète celui des communes, qui assument également une part importante du coût de fonctionnement de ces structures.
La PSU permet de conserver un caractère social à la tarification des crèches. Plus un ménage est modeste, plus la CAF prend en charge une part importante du coût horaire ; à l’inverse, plus le ménage est aisé, plus le reste à charge pour la famille est élevé.
Jusqu’à présent, les crèches attendaient une revalorisation du tarif horaire de 0,04 %, mais nous proposons de la porter à 2 %. Elle sera versée rétroactivement en mars 2026, car c’est au mois de mars que la CAF établit les comptes. Elle reversera alors pour toutes les heures de l’année 2025 un montant correspondant à 2 % du tarif par heure effectuée. Il s’agit donc d’une revalorisation pérenne. Concrètement, le gouvernement proposera au conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales un amendement pour que cette revalorisation ait lieu. Elle sera financée par la branche famille. Ce financement tient au fait que le Fonds national d’action sociale (Fnas) a reçu un peu de moins de demandes en 2025.
Notre choix est de donner la priorité à la petite enfance pour être cohérent avec une orientation que les uns et les autres ont défendue : soutenir en priorité les familles avec de plus jeunes enfants, ce qui peut favoriser la natalité et les modes de garde. Je rappelle que la CAF, dans le cadre de sa convention d’objectifs et de gestion 2023-2027, peut financer jusqu’à 20 000 euros le berceau. Autrement dit, quand dans une commune, vous entendez les familles dire qu’il faut plus de places en crèche, les maires peuvent recevoir un soutien à l’investissement de 20 000 euros par berceau créé. Vous voyez qu’il s’agit d’une politique d’ensemble remarquable par son ampleur, car elle comprend une aide massive à l’investissement et une aide au fonctionnement revalorisée de 2 % rétroactivement pour 2025. Il y a là des preuves de l’engagement de ce gouvernement pour soutenir toutes les familles de manière juste, équitable et lisible pour nos concitoyens.
M. le président
La parole est à Mme Camille Galliard-Minier.
Mme Camille Galliard-Minier
Avec l’article 42, nous faisons un pas attendu et nécessaire en créant un nouveau congé de naissance pour permettre à chaque parent de passer plus de temps auprès de son enfant. C’est une mesure de justice pour les familles qui peinent souvent à concilier la vie personnelle et la vie professionnelle, surtout durant les premières semaines, et une mesure d’égalité entre les deux parents car l’arrivée d’un enfant est l’affaire des deux. C’est aussi une mesure utile pour notre pays dans un contexte de baisse de la natalité, de tension sur les modes de garde et d’épuisement parental. Offrir un vrai temps pour accueillir un enfant, c’est investir dans l’avenir. Le groupe Ensemble pour la République soutient donc pleinement l’esprit de cet article qui va dans le bon sens, celui d’une société qui fait enfin le choix de la famille, de l’égalité et du temps donné à la vie. Nous voterons donc contre ces deux amendements de suppression. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à Mme Sarah Legrain.
Mme Sarah Legrain
Le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire ne votera pas pour ces amendements de suppression car nous ne voulons pas donner le plaisir de les voter à notre collègue de droite qui vient d’expliquer qu’il ne voyait vraiment pas, dans un contexte budgétaire serré, pourquoi nous ferions des efforts pour permettre aux mères et aux pères de s’arrêter plus longtemps pour accueillir leurs enfants. Voilà un argument pour ne pas supprimer l’article 42, qui offre un droit, alors que nous en avons ras-le-bol d’entendre dire que pour faire des économies, il faudrait toujours réduire les droits. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Les amendements de suppression me permettent cependant de réagir sur la question du financement. D’abord, il n’est pas acceptable que nous soyons dans une logique contrainte telle que, pour ouvrir ce droit tant attendu par les parents et qui correspond à une obligation européenne – je tiens à le rappeler –, nous pénalisions des familles qui verront la revalorisation de l’allocation familiale décalée des 14 aux 18 ans de l’enfant. Vous soutenez qu’un enfant coûte plus cher à partir de 18 ans ; certes, mais pour ces familles, ce décalage, c’est de l’argent en moins entre les 14 et les 18 ans de leur enfant ; cette décision entraîne donc une perte sèche pour elles dès l’an prochain alors que la réforme que vous évoquez n’interviendra qu’en 2027.
J’ajoute qu’il est insupportable d’entendre l’argument selon lequel cette disposition contribue à lever la tension sur les modes de garde – en fait, je ne veux plus l’entendre. Vous parlez d’un congé de deux mois pour chacun des parents et vous expliquez que c’est une mesure d’égalité. Je soutiens au contraire que, étant donné que la rémunération correspond à 70 % du salaire, que le salaire le plus bas dans le couple est la plupart du temps celui de la femme et que les employeurs ne sont pas obligés de l’accorder, ce sont les mères qui prendront ces congés. (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe GDR.) Actuellement, un enfant sur cinq est gardé par ses parents parce qu’ils n’ont pas de mode de garde. Par conséquent, l’argument que vous employez me pose un énorme problème car, si nous devons effectivement permettre aux parents qui le souhaitent de s’arrêter un peu plus longtemps pour s’occuper de leurs enfants, en revanche nous ne devrions en aucun cas dire que c’est une façon de compenser le fait que nous avons des services publics complètement défaillants en matière d’accueil de la petite enfance. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez.
Mme Céline Thiébault-Martinez
Je comprends l’amendement no 641 de la collègue Garin qui tend à supprimer l’article 42 car, si le gouvernement dresse des constats, il en tire des conclusions qui ne sont pas du tout à la hauteur de l’enjeu. Mme la ministre Bergé a parlé de liberté. En effet, en France on met en avant la liberté du mode de garde, alors qu’en vérité il manque 200 000 places en crèche, les femmes ont d’énormes difficultés à trouver un mode de garde pour leur enfant et une grande partie des femmes qui prennent un congé Prepare déclarent qu’elles le font parce qu’elles n’ont pas d’autre possibilité, sachant que leur rémunération est alors d’un peu plus de 450 euros par mois au lieu de celle qu’elles percevraient dans l’emploi qu’elles occuperaient probablement.
Vous parlez d’égalité, mais celle-ci n’existe pas tant qu’il n’y a pas de contraintes. Actuellement, le congé paternité est de 28 jours, tandis que le congé maternité est de huit semaines après la naissance. Dans les faits, en moyenne le père prend 23 jours de congé. Les mères ont-elles véritablement le choix ? Non, et elles prennent en moyenne 128 jours. En fait, l’égalité n’existe pas : c’est toujours l’un des deux parents qui a le choix, et ce n’est pas celui qui porte l’enfant. Enfin, puisque nous avons parlé de liberté et d’égalité, je parlerai non de fraternité mais de sororité car le choix que vous faites d’aller chercher de l’argent sur les allocations familiales pour financer les congés entretient une situation dans laquelle, encore une fois, des femmes mettront à contribution d’autres femmes pour accéder à un nouveau droit.
Nous ne soutiendrons pas l’amendement no 641 de Marie-Charlotte Garin qui tend à supprimer l’article, néanmoins je pense que ce projet n’est pas suffisamment abouti et qu’il mériterait véritablement d’être modifié.
M. le président
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.
Mme Marie-Charlotte Garin
Madame la ministre Rist, dans le rapport de la Drees en 2023, je lis : « Il est difficile de déceler un seuil d’âge à partir duquel un enfant entraînerait plus de dépenses ou diminuerait davantage le sentiment d’aisance financière des familles. » Cela ne constitue absolument pas une justification pour décaler de 14 à 18 ans l’âge de majoration des allocations familiales.
Je souhaite surtout répondre à M. Berger. Je suis assez fascinée par le discours de la droite : vous nous parlez de natalité à longueur de journée, mais quand il s’agit de mettre des moyens sur la table pour accompagner les familles, vous êtes aux abonnés absents. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et SOC ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Elsa Faucillon applaudit également.) Dans votre défense de l’amendement, une phrase m’a particulièrement choquée – mais nous vivons peut-être dans des mondes parallèles où nous ne rencontrons pas les mêmes parents – : vous avez soutenu que pas une famille n’attendait cette mesure. Où donc vivez-vous ? Il est possible de critiquer ce congé de naissance et de dire qu’il est incomplet, mais dans les faits, depuis son annonce, nous recevons des centaines de messages de personnes qui le perçoivent positivement et qui nous demandent quand il sera effectif exactement, pour savoir si elles pourront en profiter. En tout cas, pour ce qui me concerne, j’en ai reçu.
Je ne sais pas non plus dans quel monde vous vivez pour ne pas recevoir, vous aussi, les appels de parents qui ne trouvent pas de place en crèche, qui perdent du pouvoir d’achat, de deuxièmes parents qui aimeraient s’investir mais qui ne peuvent pas le faire parce que la rémunération du congé parental en France est honteusement insuffisante.
M. Jean-Didier Berger
Ça règle le problème, ça ?
Mme Marie-Charlotte Garin
C’est la honte au niveau européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Franchement, j’ai honte de dire que nous bossons sur une telle mesure alors que la France est censée être un pays féministe. Finalement, le congé de naissance que vous proposez est une espèce de dispositif intermédiaire en demi-teinte : peut-être y a-t-il des ministres engagés, mais le gouvernement n’est pas prêt à mettre les moyens sur la table. Ce n’est pas satisfaisant ; nous voulons une réforme complète.
En attendant, votre exposé, monsieur Berger, m’a brillamment convaincue de retirer l’amendement no 641. En effet, nous soutiendrons ce dispositif même si nous voudrions une réforme des congés parentaux beaucoup plus ambitieuse que celle-ci. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
(L’amendement no 641 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Delphine Lingemann.
Mme Delphine Lingemann
Pour le groupe Démocrates, la création de ce congé de naissance est une avancée majeure en matière de politique d’accompagnement à la parentalité. Au cours de la mission de six mois que nous avons menée avec ma collègue Sarah Legrain dans le cadre de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, toutes les associations familiales, quelles que soient leurs tendances, ont demandé la création d’un congé supplémentaire de naissance pour soutenir la parentalité. Cette mesure n’est donc pas sortie du chapeau, mais répond à une véritable attente. De fait, le congé de naissance répondra à plusieurs enjeux, Mme la ministre l’a rappelé, notamment en termes d’égalité entre les hommes et les femmes. Actuellement, 90 % des inégalités de revenu au sein du couple sont liées à ce qu’on appelle la pénalité parentale : les femmes voient leurs revenus baisser de 38 % au cours des dix premières années suivant la naissance de l’enfant. En outre, alors qu’un parent sur cinq n’a pas de mode de garde, ce congé de naissance permettra une entrée plus tardive des enfants dans les modes de garde.
Enfin, si l’on considère la natalité, ce congé de naissance permettra une parentalité mieux soutenue, plus égalitaire au sein des couples, ce qui répond à une véritable attente des nouvelles générations. Nous nous opposerons donc bien évidemment à l’amendement no 1931 de M. Jean-Didier Berger tendant à supprimer l’article 42 et nous proposerons des amendements pour accroître la flexibilité dans les entreprises et pour améliorer l’égalité dans la parentalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
M. le président
La parole est à M. Aurélien Pradié.
M. Aurélien Pradié
Pendant plusieurs décennies, notre pays vit la mortalité infantile diminuer d’année en année – ce fut même une des grandes fiertés nationales. Nous avons appliqué cet indicateur à de nombreux autres pays du monde, considérant que des pays dans lesquels la mortalité infantile diminuait étaient des pays qui progressaient et que ceux dans lesquels elle augmentait étaient des pays qui régressaient. Depuis 2011, dans notre propre pays, la mortalité infantile augmente à nouveau : un enfant sur 250 meurt avant d’avoir un an. Notre grand pays est classé vingt-troisième sur vingt-sept pays d’Europe si on considère la mortalité infantile.
Ce sujet ne pourra pas être contourné par des mesures qui peuvent être par ailleurs positives, notamment les congés que vous évoquiez à l’instant. J’insiste sur ce point car il y a un fil rouge au fond parmi toutes les mesures que nous examinons depuis le début du PLFSS : nous mettons beaucoup de pansements sur des jambes de bois. L’essentiel sera de faire en sorte que les bébés de moins d’un an ne meurent pas dans notre pays, comme c’est le cas maintenant. Ce seul sujet devrait mobiliser le gouvernement matin, midi et soir. Or depuis plusieurs années que, sur tous les bancs, nous alertons, la mobilisation semble bien faible au regard de l’ampleur du défi.
M. le président
La parole est à Mme Constance de Pélichy.
Mme Constance de Pélichy
Qu’ont en commun la Corée du Sud, l’Italie, l’Espagne ? Ce sont des pays où la natalité est désespérément basse et où la culture patriarcale est excessivement présente. Désormais, dans le monde, lorsqu’il n’y a pas de réelle égalité entre les femmes et les hommes, la natalité chute désespérément et, pire encore, malgré le volontarisme affiché de leurs gouvernements, elle ne remonte pas.
La mesure que vous proposez en créant le congé supplémentaire de naissance n’est certes pas parfaite. On peut s’interroger pour savoir si la flexibilité qui y est permise permettra réellement de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes sur le marché du travail. Néanmoins, elle constitue une avancée parce qu’elle est l’occasion de prendre date. Surtout, elle pourrait permettre à tant de mères de ne plus ressentir cette souffrance terrible de devoir laisser leur enfant alors qu’il a à peine douze semaines. Permettez-moi de vous rappeler que le suicide, lors de la dépression post-partum, est la première cause de mortalité des mères qui viennent d’accoucher. Offrir à certaines femmes la possibilité de prendre deux mois supplémentaires, offrir à ces mères la possibilité que le conjoint vienne les soutenir est une formidable avancée dans le cadre de la lutte contre la dépression post-partum.
J’évoquerai un dernier élément qui suscite mon interrogation : quand on compare la rémunération du complément de mode de garde pour les deux premières tranches sur les trois, en moyenne entre 700 et 900 euros par mois peuvent être versés aux parents. En face, la rémunération du congé parental est de 450 euros par mois. Qu’est-ce que cela dit de notre politique familiale ? (M. Aurélien Pradié applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Laure Lavalette.
Mme Laure Lavalette
« Il n’est de richesse que d’hommes » soutenait Jean Bodin. La situation de la France est plus que préoccupante : pour la première fois, nous enregistrons plus de décès que de naissances. Je rejoins mon collègue Patrier-Leitus sur un constat que nous devons tous faire, de manière transpartisane : nous ne pouvons pas nous satisfaire dans cet hémicycle du décalage entre le nombre d’enfants accueillis et le nombre d’enfants voulus. C’est à nous, parlementaires, collectivement, de mettre les familles en situation d’accueillir sereinement leurs enfants.
Ce nouveau congé va évidemment dans le bon sens. C’est la raison pour laquelle nous y sommes favorables. Nous irons plus loin, dès 2027, si les Français nous font confiance, pour mener une politique familiale forte. Vous connaissez ces mesures que nous avons déjà évoquées ici. Nous souhaitons notamment instaurer une part fiscale pleine dès le deuxième enfant. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Nous devons mettre les moyens sur la table. Avoir un grand nombre d’enfants est le signe de la vitalité d’un pays. Si certains d’entre vous veulent remplacer par l’immigration les enfants que nous ne faisons pas, ma famille politique n’a pas baissé les bras. Nous soutiendrons tout ce qui va dans le sens d’une politique familiale forte. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Dieynaba Diop
On est tous l’étranger de quelqu’un !
M. le président
La parole est à M. Sylvain Berrios.
M. Sylvain Berrios
Tout à l’heure, notre collègue à l’extrême gauche de l’hémicycle expliquait que le service public de la petite enfance était déficient. Rappelons quand même que ce service public emploie 400 000 personnes. Je ne pense donc pas qu’on puisse le qualifier de déficient ! Il faut rendre hommage à tous ces professionnels de la petite enfance qui accomplissent un travail remarquable – je pense notamment aux 220 000 assistantes maternelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Ensuite, il faut mentionner le rôle des collectivités locales. C’est sur elles que repose une grande partie du travail, en particulier l’ouverture de crèches. On ne peut pas travailler sur un allongement de la durée de congé maternité ou paternité, sans en même temps réfléchir à étendre les possibilités de garde d’enfant.
Enfin, nous ne sommes pas favorables à la suppression de l’article, parce que nous souhaitons qu’un débat ait lieu. Mme de Pélichy vient d’apporter des arguments très intéressants. Nous méritons d’avoir un débat sur la démographie, les modes de garde et le travail des parents, que ce soient les mamans ou les papas. Par conséquent, il vaut mieux amender l’article plutôt que de le supprimer. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. le président
La parole est à Mme Élisabeth de Maistre.
Mme Élisabeth de Maistre
Je voudrais souligner l’intérêt de cette mesure pour aider les familles qui ont de grandes difficultés à faire garder leurs enfants. Madame la ministre, vous avez rappelé que vous aviez sanctuarisé 76 millions d’euros pour créer de nouvelles places en crèches. Or ces 76 millions ne seront pas distribués puisque, à l’heure actuelle, le premier problème de la petite enfance, c’est le recrutement des personnels des établissements de jeunes enfants. (Mme Justine Gruet applaudit.)
Toutes les collectivités ont d’énormes difficultés à recruter. Cela fait déjà plusieurs années qu’un comité de filière se réunit pour trouver des solutions d’ouverture, de formation et de création de postes. Vous avez promis aux Français 200 000 places de crèche, mais on assiste quotidiennement à des fermetures de places, faute de personnel.
Le deuxième point que je voudrais soulever, c’est le reste à charge pour les familles. Pour la troisième fois en cinq ans, vous avez augmenté le montant du quotient familial qui détermine le coût d’une place en crèche. Dans ma circonscription de Boulogne-Billancourt, un couple qui gagne 8 000 euros par mois, c’est-à-dire 4 000 euros chacun, paye plus de 1 000 euros la place de crèche. Autant vous dire qu’à l’heure où la natalité est en chute libre dans notre pays, je ne crois pas que cette mesure soit de nature à favoriser la natalité. De même, le reste à charge chez les assistantes maternelles est très élevé pour les familles dans ma circonscription. Je vous demande donc d’examiner ce sujet. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne Bergantz, rapporteure
Je remercie Mme la députée Garin d’avoir retiré son amendement de suppression. Monsieur le député Berger, vous avez dit que vous ne connaissiez pas de parents qui réclament un allongement du congé parental. Je vous conseille de lire deux rapports parlementaires de 2025 : celui sur les congés parentaux, de nos collègues Thiébault-Martinez et Bazin, et celui sur la parentalité, de nos collègues Legrain et Lingemann. Ces rapports montrent qu’en réalité, les familles bricolent, parce que les congés sont insuffisants : elles prennent des congés payés et des arrêts maladies, et font parfois appel aux grands-parents en renfort. Vous le voyez, les familles demandent réellement ce congé de naissance.
(L’amendement no 1931 n’est pas adopté.)
M. le président
Les amendements nos 2387, 2388, 2389, 2390, 2391, 2392 et 2404 de M. le rapporteur général sont rédactionnels.
(Les amendements no 2387, 2388, 2389, 2390, 2391, 2392 et 2404, acceptés par le gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
M. le président
Sur les amendements nos 996 et 997, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Angélique Ranc, pour soutenir l’amendement no 996.
Mme Angélique Ranc
Il a pour but de réserver le congé supplémentaire de naissance aux couples dont au moins l’un des deux membres est de nationalité française. (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe EPR.) Il ne priverait personne d’un droit existant, puisqu’il s’additionnerait aux congés auxquels ont droit les personnes qui n’ont pas la nationalité française. Il n’exclurait pas les gens en fonction de leur origine, puisqu’il bénéficierait évidemment à toutes celles et à tous ceux qui ont fait le choix d’acquérir cette nationalité.
En revanche, il redonnerait du sens à la communauté nationale, en orientant prioritairement cette mesure vers les personnes qui ont un lien stable, durable et reconnu avec elle. Je vous appelle donc à voter cette mesure symbolique. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Dieynaba Diop
Nous sommes toutes et tous les enfants de la République !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne Bergantz, rapporteure
J’émets un avis défavorable, que j’argumenterai en deux temps. D’une part, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et la Cour de justice de l’Union européenne considèrent que, dès lors qu’une personne étrangère réside en France de manière stable et régulière, elle a droit aux prestations sociales, en application du principe d’égalité et de non-discrimination, même si on peut prévoir que le bénéfice de ces prestations soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité. C’est d’ailleurs le cas de certaines prestations. Si ces conditions ne sont pas disproportionnées, vous ne pouvez pas exclure une personne sur le seul motif qu’elle n’est pas française. C’est inconstitutionnel.
D’autre part, je vous rappelle que le congé supplémentaire de naissance est une prestation contributive, qui s’adresse aux personnes qui travaillent et qui cotisent, comme c’est le cas pour l’obtention des indemnités journalières pour le congé maternité ou les arrêts maladie. Cette réponse vaut pour les autres amendements qui évoqueront la nationalité française comme critère d’éligibilité.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Il n’aura pas fallu attendre très longtemps pour que le Rassemblement national présente un amendement qui confonde la question du congé de naissance avec celle de la nationalité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Le congé de naissance est un droit et une liberté que nous voulons créer pour les parents – tous les parents – qui travaillent et qui cotisent dans notre pays. Au-delà du fondement inconstitutionnel de l’amendement, cela démontre une légère obsession de votre part sur ce sujet ! (Même jeu.)
Vous considérez que les libertés et les droits nouveaux devraient être systématiquement réservés aux personnes de nationalité française.
M. Emeric Salmon
C’est ce que disent les Français, en fait !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Vous oubliez que dans les métiers en tension – les métiers du soin, du lien et de la petite enfance –, il y a des hommes, et souvent des femmes, qui n’ont pas forcément la nationalité française. Heureusement qu’ils sont là, au quotidien, pour permettre à nos enfants d’être en sécurité et d’être bien gardés ! Avis défavorable, évidemment. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et Dem.)
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex.
M. Christophe Bex
Cet amendement tend à prévoir une sélection entre les familles, en conditionnant le congé supplémentaire de naissance à la nationalité française de l’un des parents. Autrement dit, un droit social ne serait plus fondé sur le travail ou la cotisation, mais sur la naissance. C’est une rupture totale avec les principes fondateurs de la sécurité sociale, qui repose sur une idée simple : chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, indépendamment de la nationalité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
En conditionnant un droit à la nationalité, vous trahissez l’esprit de 1945. La sécurité sociale, c’est la solidarité entre travailleurs, pas entre nationaux. (Mêmes mouvements.) Comme souvent avec le Rassemblement national, c’est un retour vers le passé, vers le régime de Vichy. (Vives exclamations sur les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Hervé de Lépinau
Et le communisme ? 100 millions de morts !
M. Christophe Bex
En parlant de lien durable avec la communauté nationale, vous insinuez que certaines vies vaudraient plus que d’autres et que les parents étrangers seraient moins légitimes à avoir des enfants. Cet amendement raciste et xénophobe doit être rejeté par l’ensemble de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Gaëtan Dussausaye.
M. Gaëtan Dussausaye
Nous voici enfin au moment du débat où l’on cherche des pistes d’économies justes à faire pour trouver les milliards d’euros qui manquent au financement de notre protection sociale. Nous savons bien que la gauche, l’extrême gauche et la macronie ne seront pas d’accord avec nous, mais nous vous proposons des pistes d’économies qui sont soutenues non seulement par le Rassemblement national, mais aussi par une très large majorité de Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Ayda Hadizadeh
C’est honteux !
Mme Sabrina Sebaihi
Racistes !
M. Gaëtan Dussausaye
Les Français soutiennent ces mesures de bon sens, qui consistent à réserver notre système de protection sociale et notre solidarité nationale aux nationaux.
Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel on ne peut pas discriminer l’accès à un certain nombre de droits sur la base de la nationalité, madame la ministre, que faisons-nous dans la fonction publique pour encadrer l’accès aux responsabilités dans le champ régalien ? Il y a évidemment une discrimination qui se fait sur la base de la nationalité. Si nous n’arrivons pas à faire adopter ce principe à l’occasion de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, armez-vous de patience : en 2027, nous serons là pour appliquer le programme désiré par le peuple français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument, pour un rappel au règlement.
M. Antoine Léaument
Sur le fondement de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et du préambule de la Constitution de 1946, qui font partie de notre bloc de constitutionnalité. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
L’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Il y en a ras le bol d’entendre des propos qui différencient les Français et les étrangers qui vivent sur le territoire de la République ! (Très vives exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
Monsieur Léaument, nous vous avons entendu ! Rasseyez-vous, s’il vous plaît !
M. Antoine Léaument
Apprenez donc ce que veut dire notre drapeau !
Article 42 (appelé par priorité - suite)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je tiens à apporter un éclairage sur l’amendement qui nous est proposé.
Le soutien public à la petite enfance représente 18 milliards par an, dont 60 % provenant de la branche famille, 17 % des collectivités, 12 % de l’État par les niches fiscales – en particulier le crédit d’impôt services à la personne, qui permet aux familles de financer des gardes à domicile –, 8 % des entreprises. J’ai donc une question, peut-être un peu impertinente, à poser à l’oratrice : voulez-vous aussi, pour les résidents fiscaux dans notre pays qui ne sont pas français, différencier le taux du crédit d’impôt que je viens de mentionner ? Voulez-vous différencier le tarif des crèches, l’ensemble des prestations familiales, en fonction de la résidence ? (« Oui, c’est ça ! » sur quelques bancs des groupe SOC et EcoS.)
Là où je dois dire que je rejoins M. Léaument, c’est que, schématiquement, quiconque réside en France plus de six mois par an y devient résident fiscal et a droit aux mêmes niches, aux mêmes impôts, aux mêmes prestations que les Français.
M. Philippe Ballard
Le droit, ça se change ! Il y a des députés qui sont là pour ça !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
J’entends que vous souhaitez appliquer cette logique au seul congé supplémentaire de naissance, mais le droit fiscal est très clair : vous ne pouvez appliquer votre mesure, puisque les conventions fiscales internationales stipulent que la fiscalité est égale pour tous sur le seul critère de la résidence. Votre mesure créerait une très forte inégalité entre le social d’une part, le fiscal d’autre part, alors que 13 % de la dépense pour les familles, pour la petite enfance, relève du droit fiscal.
Il y aurait donc incohérence : les ménages aisés, qui utilisent plutôt le levier fiscal, auraient droit aux niches sociales et fiscales, tandis que les ménages modestes n’obtiendraient rien. Votre politique serait non seulement inconstitutionnelle, mais économiquement injuste ; je tenais à le rappeler, sans quoi nous aurions une lecture biaisée de votre proposition. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, LFI-NFP et Dem.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 996.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 218
Nombre de suffrages exprimés 215
Majorité absolue 108
Pour l’adoption 68
Contre 147
(L’amendement no 996 n’est pas adopté.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
3. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra