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N° 2313

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 octobre 2014.

PROPOSITION DE LOI

visant à étendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer
le respect du principe de laïcité,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Michel TERROT, Julien AUBERT, Jean-Claude BOUCHET, Bernard BROCHAND, Jérôme CHARTIER, Luc CHATEL, Alain CHRÉTIEN, Philippe COCHET, Marc-Philippe DAUBRESSE, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Dominique DORD, Daniel FASQUELLE, Georges FENECH, Guy GEOFFROY, Franck GILARD, Annie GENEVARD, Arlette GROSSKOST, Jean-Claude GUIBAL, Patrick LABAUNE, Dominique LE MÈNER, Lionnel LUCA, Patrice MARTIN-LALANDE, Thierry MARIANI, Philippe MEUNIER, Dominique NACHURY, Yves NICOLIN, Bernard PERRUT, Michel PIRON, Bérengère POLETTI, Laure de LA RAUDIÈRE, Fernand SIRÉ, Lionel TARDY, Jean-Marie TÉTART, Charles de la VERPILLIÈRE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis plusieurs années, les principes de laïcité et de neutralité religieuse dans les services publics - qu’il s’agisse de l’école, de l’université, de l’hôpital ou de l’accueil de la petite enfance - sont de plus en plus contestés dans notre pays et font l’objet d’attaques incessantes de la part d’un certain nombre de groupes et courants de pensée intégristes qui n’acceptent pas nos valeurs républicaines et instrumentalisent la religion à des fins politiques pour tenter d’imposer leur idéologie intolérante et obscurantiste.

À cet égard, chacun a encore à l’esprit le long et emblématique combat juridique de la crèche associative « Baby Loup », qui s’est heureusement terminé le 25 juin 2014, par une décision historique de la Cour de cassation qui a finalement reconnu le bien-fondé du licenciement d’une ex-employée de cet établissement associatif qui avait refusé, dans l’exercice de ses fonctions d’accueil des enfants, de respecter ce principe de laïcité et de neutralité religieuse.

Cette affaire qui a eu un retentissement médiatique très important nous a rappelé que ce principe de laïcité constituait l’un des piliers fondamentaux de notre République et de notre démocratie et devait être respecté dans l’ensemble des services publics, même quand ces missions de services publics étaient exercées par des structures privées.

Ce principe de laïcité qui n’a cessé de s’affirmer depuis la Déclaration des droits de l’homme de 1789 est évidemment inséparable et consubstantiel de la liberté de pensée et de la liberté de conscience et de croyance, telle qu’elle est formulée dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses (...) ». La liberté d’expression est reconnue à chaque personne pour qu’elle puisse librement exprimer ses pensées, sans censure préalable, mais non sans sanctions si cette expression porte préjudice à quelqu’un.

En France, la laïcité obéit à un régime juridique précis, issu pour l’essentiel de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des églises et de l’État, dont les articles 1er et 2 disposent que : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. »

Le principe de laïcité en matière religieuse est également le fondement du système éducatif français depuis la fin du XIXe siècle. L’enseignement public est laïc depuis les lois du 28 mars 1882 et du 30 octobre 1886 qui instaurent l’obligation d’instruction et la laïcité de des personnels et des programmes. L’importance de la laïcité dans les valeurs scolaires républicaines a été consacrée par la loi du 9 décembre 1905 instaurant la laïcité de l’État.

Le respect des croyances des élèves et de leurs parents implique :

– l’absence d’instruction religieuse dans les programmes ;

– la laïcité du personnel ;

– l’interdiction du prosélytisme.

C’est sous l’angle de la liberté de conscience et du pluralisme religieux que sont appréhendés, au plan international, les rapports entre églises et États par des textes qui garantissent l’absence de discrimination pour raisons religieuses et le respect de la liberté religieuse, mais admettent des restrictions légitimes à la manifestation de cette liberté.

Ainsi, la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 affirme, dans son article 9, le droit de toute personne à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Le texte précise que ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, et que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction s’exerce tant individuellement que collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. Il est toutefois possible, selon ce même article, de limiter la liberté de manifester sa religion à la triple condition que cette ingérence soit prévue par la loi, qu’elle poursuive un but légitime et qu’elle soit nécessaire dans une société démocratique (sécurité publique, protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, protection des droits et libertés d’autrui).

Le principe de laïcité a acquis une valeur constitutionnelle avec la Constitution de 1946, réaffirmée dans l’article 1er de la Constitution de 1958. Depuis la loi constitutionnelle du 4 août 1995, la laïcité ne relève plus de l’article 2 de la Constitution de 1958, mais de l’article premier, qui dispose « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

En application du principe de laïcité, la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadre le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. La République a ainsi réaffirmé son attachement à la liberté de conscience et au principe de laïcité. 

S’agissant de l’accueil des enfants de moins de six ans, il existe des écoles maternelles, des garderies et des services d’assistant(e)s maternel(le)s municipaux, obéissant aux règles du service public. Les agents de ces services publics sont soumis à l’obligation d’assurer leurs fonctions, avec neutralité, c’est-à-dire sans considération des opinions politiques, religieuses ou philosophiques. Ce principe de neutralité traduit dans le service public le principe constitutionnel de respect de la laïcité.

Toutefois, aucun texte législatif ou réglementaire n’impose une obligation de neutralité aux professionnels de la jeunesse qui ne travaillent pas pour le service public, bien qu’ils soient placés sous la protection d’autorités publiques délivrant les autorisations nécessaires à leur activité. Par ailleurs, il s’avère que la France connaît, depuis de nombreuses années, une pénurie de places d’accueil pour la garde des enfants de moins de six ans. Dans ce contexte, certains parents peinent à trouver du personnel agréé qui accueille leur enfant à son domicile tout en respectant leur volonté légitime de neutralité.

Or, un certain nombre de traités internationaux, outre la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, peuvent être invoqués par les citoyens des États signataires pour faire reconnaître le droit fondamental des parents à choisir l’éducation de leurs enfants en fonction de leurs convictions :

– Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) ;

– Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) ;

– La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) ;

– La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales - et en particulier l’article 2 du protocole n° 1, sur le droit à l’instruction, dont la cour de Strasbourg a jugé bon de préciser la portée (arrêt Folgero et autres c/Norvège du 29 Juin 2007) en indiquant qu’elle ne fait pas de distinction entre l’enseignement public et l’enseignement privé.

Par ailleurs, dans sa délibération n° 2011-67 du 28 mars 2011, le collège de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a recommandé au Gouvernement d’« examiner l’opportunité d’étendre aux structures privées des secteurs social, médicosocial et de la petite enfance chargées de missions de service public ou d’intérêt général, les obligations notamment de neutralité qui s’imposent aux structures publiques de ces secteurs ».

Le Haut Conseil à l’intégration (HCI) a considéré pour sa part, dans un avis du 5 juillet 2011, que les personnels des établissements privés associatifs ou d’entreprises qui prennent en charge des enfants, sur un mode collectif, se doivent d’appliquer « les règles de neutralité et d’impartialité ».

Pour le HCI, l’enfant a droit à la neutralité et à l’impartialité, notamment sur le fondement de la Convention internationale des droits de l’enfant et de l’article 371-1 du code civil qui définit l’autorité parentale.

Dans l’affaire de la crèche « Baby Loup », rappelons que le parquet général a demandé la confirmation du jugement du conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie en évoquant « le respect du principe de laïcité mais aussi la vulnérabilité des enfants. ». La décision de la Cour de cassation, le 25 juin 2014, a confirmé le licenciement pour faute grave de l’ex-salariée de la crèche Baby Loup, qui avait refusé d’ôter son voile. En rejetant le pourvoi de cette employée, la Cour de cassation a donc suivi la préconisation du procureur général, et approuvé l’arrêt de la cour d’appel, rendu le 27 novembre 2013 qui avait considéré que la crèche pouvait être qualifiée « d’entreprise de conviction en mesure d’exiger la neutralité de ses employés ».

Si une entreprise privée ne peut « instaurer de restrictions générales et imprécises à une liberté fondamentale » dans son règlement intérieur, précise la Cour de cassation, ces restrictions peuvent être justifiées « par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». La Cour de cassation a donc considéré que l’interdiction de signes religieux dans les services publics pouvait également s’appliquer dans des entreprises et associations privées qui géraient un service public.

Comme l’a rappelé le Procureur général lors de l’audience en plénière de la Cour de cassation, il convient dans ce domaine de distinguer entre « croyance et manifestation de cette croyance », c’est-à-dire entre « for interne » et « for externe ». Le « for interne », exprime la conviction intime, la foi profonde et cette liberté est absolue et inviolable. En revanche, le « for externe », correspond à des critères objectifs externes et se traduit par la manifestation extérieure de croyances ou de convictions qui peuvent heurter d’autres croyances, générer des conflits et troubler l’ordre public. C’est la raison pour laquelle la liberté de manifester sa conviction ne saurait être absolue.

Il faut enfin évoquer la récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a validé le 1er juillet 2014 la loi française du 11 octobre 2010 qui interdit de « dissimuler son visage » dans l’espace public pour des raisons religieuses. La Cour a souligné que « la préservation des conditions du « vivre ensemble » était un « objectif légitime » des autorités françaises, qui disposent à cet égard d’une « ample marge d’appréciation », et que par conséquent cette loi n’était pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

On voit donc que notre principe républicain de laïcité ne peut plus se réduire à une stricte séparation dans l’État des activités civiles et religieuses mais doit également clairement intégrer une obligation de stricte neutralité religieuse et de non prosélytisme de la part de toutes les personnes amenées à remplir une mission de service public, même si cette mission s’effectue dans le cadre d’une structure juridique privée.

Considérant ce principe fondamental de laïcité, indissociable du type de société que notre Nation a démocratiquement choisi, considérant ses fondements historiques, philosophiques et politiques et considérant enfin l’évolution de ce principe républicain, tant sur le plan constitutionnel que dans notre droit positif, la présente proposition de loi vise donc à préciser et à renforcer les conditions de neutralité exigées de l’ensemble des agents chargés de l’accueil des enfants de moins de six ans, quelle que soit le statut juridique de ces structures d’accueil.

L’ensemble de ces éléments impose de clarifier les règles qui définissent les conditions d’accueil de la petite enfance en dehors du domicile parental, dans les différentes structures collectives (crèches, haltes garderies, jardins d’enfants) et à domicile (crèche familiale, assistantes maternelles). C’est pourquoi, les auteurs de cette proposition de loi souhaitent introduire une obligation de neutralité dans le cadre législatif relatifs à la qualification professionnelle (article L. 2324-1 du CSP, quatrième alinéa) et à l’agrément des personnes habilitées à accueillir de jeunes enfants (article L. 421-3 du CASF) s’agissant des assistantes maternelles et des assistants familiaux).

L’article 1er de la proposition de loi (modifiant l’article L. 2324-1 du code de la santé publique) ajoute, dans le code de la santé publique, la condition de neutralité dans les critères de qualification professionnelle requis des personnes chargées de l’accueil des enfants de moins de six ans soit dans les crèches, haltes-garderies ou en qualité d’assistantes maternelles, dans les secteurs privé ou public relevant de l’autorisation ou de l’avis du président du conseil général, soit dans les centres de vacances ou de loisirs relevant du préfet.

L’article 2 (modifiant l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles) complète les règles relatives à l’agrément accordé par le président du conseil général aux assistantes maternelles et aux assistants familiaux. Le texte actuel prévoit que l’agrément est accordé si les conditions d’accueil garantissent la sécurité, la santé et l’épanouissement des mineurs et jeunes majeurs accueillis en tenant compte des aptitudes éducatives du candidat. Le texte proposé dispose que l’agrément sera délivré si les conditions d’accueil et la neutralité du candidat garantissent le respect de la laïcité, ainsi que la sécurité, la santé et l’épanouissement des intéressés.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Au quatrième alinéa de l’article L. 2324-1 du code de la santé publique, après les mots : « de moralité », sont insérés les mots : «, de neutralité ».

Article 2

À la première phrase du cinquième alinéa de l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « accueil » sont insérés les mots : « et la neutralité du candidat » et après le mot : « ans » sont insérés les mots : « ainsi que le respect de la laïcité ».

« L’agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d’accueil et la neutralité du candidat garantissent la sécurité, la santé, l’épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt-et-un ans, ainsi que le respect de la laïcité. »


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