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Rapport sur l'aval du cycle nucléaire
Par M. Christian Bataille et Robert Galley
Députés
Tome II : Les coûts de production de l’électricité

Chapitre I (suite de la partie IV)

IV. La maturité du parc, un atout à gérer conformément à l’intérêt national

B. Quelle durée d’exploitation pour le parc nucléaire en Allemagne ? 1

1. La situation énergétique allemande à la veille du retrait du nucléaire 1

2. L’accord de Gouvernement de la coalition SPD-Grünen 3

3. Le coût d’un éventuel abandon du nucléaire 5

4. Les autres évaluations du coût de sortie du nucléaire en Allemagne 7

B. Quelle durée d’exploitation pour le parc nucléaire en Allemagne ?

Le débat qui a lieu en Allemagne sur l’abandon du nucléaire révèle les deux dimensions politique mais aussi économique des questions énergétiques.

1. La situation énergétique allemande à la veille du retrait du nucléaire

· 19 réacteurs nucléaires assurant 32 % de la production d’électricité

Le nucléaire occupe en Allemagne une place importante dans la production d’électricité mais cette place est moindre qu’en Suisse, en Suède et bien sûr qu’en France. L’Allemagne possède actuellement 19 réacteurs, correspondant à une puissance nette cumulée de 21 GWe, dont la part dans la production d’électricité atteint 32 % du total en 1997.

Tableau : réacteurs à eau légère en fonctionnement en Allemagne

Réacteur

année de mise en service industriel

puissance

(MWe)

technologie

coefficient de production brute en 19971

Obrigheim

1969

340

REP2

93,2

Stade

1972

640

REP

88,6

Biblis A

1975

1167

REP

79,4

Neckar-1

1976

785

REP

91,4

Brunsbuttel

1977

771

REB

75,5

Biblis B

1977

1240

REP

79,4

Isar-1 (OHU)

1979

870

REB

78,9

Unterweser

1979

1285

REP

88,5

Philippsburg-1

1980

890

REB

82,6

Graffenrheinfeld

1982

1275

REP

90,7

Krummel

1984

1260

REB

83,9

Gundremmingen II-B

1984

1284

REB

82,5

Gundremmingen II-C

1985

1288

REB

80,4

Grohnde

1985

1360

REP

100

Philippsburg-2

1985

1358

REP

93,8

Brokdorf

1986

1370

REP

93,8

Mulheim Karlich

(1987)

 

REP

0

Emsland (Lingen-2)

1988

1290

REP

94,1

Isar-2 (OHU)

1988

1365

REP

91,5

Neckar-2

1989

1269

REP

90,4

Total

 

21107

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Presque trois moins important que le parc électronucléaire français, le parc allemand est également en moyenne plus ancien que le parc français. La figure suivante présente la montée en puissance des parcs allemand et français, ainsi que leur décroissance dans l’hypothèse d’une durée de vie uniforme de 40 ans.

Figure : Les parcs nucléaires à eau légère français et allemands : montée en régime et prévision de décroissance dans l’hypothèse d’une durée de vie de 40 ans

L’effort d’équipement allemand ne comporte pas de brusque montée en régime telle que celle induite par le Plan Messmer en France, à partir de 1974 pour les décisions et de 1981 pour les mises en service industriel. La figure suivante présente l’évolution du nombre de tranches mises en services en Allemagne, de 1968 à 1990, date de la dernière étape du développement de l’électronucléaire en Allemagne.

Figure : montée en puissance du parc électronucléaire allemand en fonctionnement en 1999 (réacteurs à eau légère)

Le marché allemand de l’électricité est totalement ouvert à la concurrence depuis le mois de mai 1998. On compte neuf grands producteurs et gestionnaires du réseau. Ce dernier est coordonné par un consortium. Les concessions de distribution sont provisoirement maintenues, mais les monopoles régionaux seront progressivement éliminés.

· Une situation énergétique très différente de celle de la France

La spécificité énergétique majeure de l’Allemagne est bien entendu sa production charbonnière.

Malgré les réductions déjà opérées, la production charbonnière allemande se maintient à un haut niveau : 47 millions de tonnes en 1997 contre 4,2 millions en France. En vertu du compromis sur le charbon conclu en mars 1997, l'évolution de la production charbonnière sera la suivante 3: 42 millions de Tec4 ont été extraites en Allemagne en 1998 ; 30 millions tonnes de houille le seront en 2005, sur les sites de 10 ou 11 mines.

Les parts du gaz et du pétrole sont également plus importantes qu’en France. Au total la composition des ressources primaires de l’Allemagne et de la France sont très différentes.

Tableau : Comparaison de ressources en énergie primaire de la France et de l’Allemagne5

1995

en % du total

Charbon

Pétrole

Gaz

Nucléaire

Energies renouvelables

Allemagne

27

41

19

12

1

France

6

35

12

40

7

2. L’accord de Gouvernement de la coalition SPD-Grünen

L’accord de gouvernement signé par la coalition SPD-Verts en octobre 1998 comprend un chapitre concernant l'énergie, intitulé « Une politique moderne de l’énergie »6.

Selon ce texte, « le gouvernement garantira une alimentation en énergie d'avenir, non polluante, à un coût équitable. Les énergies renouvelables et les économies d'énergie seront une priorité. C'est la raison pour laquelle le nouveau gouvernement entreprendra tout ce qui est en son pouvoir pour abandonner l'énergie nucléaire aussi vite que possible. Au cours de cette année même; le gouvernement organisera des discussions pour aboutir à un nouveau consensus sur l'énergie. En partenariat avec le secteur énergétique, des voies doivent être ouvertes pour trouver une nouvelle forme d'énergie mixte, une énergie d'avenir sans le nucléaire. Au cours de cette législature, l'abandon de l'énergie nucléaire sera réglé par la loi de manière globale et irréversible ».

En ce qui concerne l'élimination des déchets, les partis de la coalition sont tombés d'accord sur les points suivants . « La conception prévalant jusqu'ici pour l'élimination des déchets radioactifs a échoué. On élaborera un plan national pour l'élimination des déchets radioactifs existants. En principe, chaque exploitant d'une centrale nucléaire doit créer les capacités nécessaires à l'entrepôt sur le site même de la centrale ou à proximité. Les combustibles nucléaires irradiés ne peuvent être transportés que si la centrale ne possède pas de capacités de décharge autorisées. Les entrepôts ne seront pas utilisés pour une décharge définitive. »

· L’épineuse question des contrats de retraitement avec la France

Le retraitement des combustibles irradiés provenant des 19 centrales allemandes représente 20 % du chiffre d'affaires annuel de La Hague (13 milliards de francs en 1997). 40 % de la capacité de l'usine UP3 sont réservés aux électriciens allemands. Le flux de combustibles allemands retraités à La Hague atteint donc de 200 à 250 tonnes par an. Le total cumulé atteint 3 552 tonnes. La réexpédition des déchets de retraitement est lente. 84 fûts seulement ont été renvoyés en Allemagne entre 1995 et 1998 par Cogema, du fait de lenteurs administratives tant du côté allemand que du côté français.

Les contrats initiaux sont en voie d'achèvement. D'autres ont été signés en 1990. Les contrats initiaux, signés à la fin des années 70 ont été exécutés à 80 % et devraient s'achever à la mi-2000. D'autres contrats ont été signés en 1990 pour la période 2000-2010 prévoyant non seulement le retraitement de combustibles irradiés mais aussi la fourniture de Mox. Par ailleurs, les contrats ont été « sécurisés ». Par des accords bilatéraux, les gouvernements se sont engagés à « ne pas faire obstacle à l'accès des électriciens allemands aux capacités de retraitement de La Hague, ni au transport ni au retour des combustibles usés ».

· Les conséquences énergétiques d’un retrait rapide du nucléaire en Allemagne

L'abandon du nucléaire sous de brefs délais en Allemagne est un objectif interne qui interfère avec la diminution d'un quart des émissions de CO2 entre 1990 et 2005 à laquelle l’Allemagne s’est engagée à Kyoto.

L’Allemagne tire du nucléaire 12% de son approvisionnement en énergie primaire. Mais l’Allemagne est aussi le cinquième émetteur de CO2 de la planète avec 0,9 milliard de tonnes en 1995, soit 10,96 tonnes par habitant7. Il s’agit donc à la fois de remplacer le nucléaire et d’atteindre les objectifs de Kyoto.

On peut noter que s’agissant de la réduction de ses émissions de CO2, l'Allemagne tira un bénéfice important du remplacement ou de la modernisation des usines des Länder de l'Est .

L’Institut allemand pour le climat, l'environnement et l'énergie a imaginé un ensemble de mesures contraignantes8, pour atteindre l’objectif d’un retrait rapide du nucléaire. En voici la liste.

La production d'électricité devrait être diminuée de 15 % grâce à des économies massives. Il faudrait également construire des centrales à cycle combiné au gaz à hauteur d’une capacité installée de 10 000 MWe. Les éoliennes devraient progresser de 2 600 MWe à 8 330 MWe. Les centrales thermiques classiques utiliseraient une combinaison de charbon et de biomasse. Les autres énergies renouvelables devraient également être renforcées.

3. Le coût d’un éventuel abandon du nucléaire

· La rente électronucléaire des compagnies d’électricité allemande

Parmi les obstacles à un abandon rapide du nucléaire en Allemagne, figurent bien évidemment les 40 000 emplois du secteur. A titre d’exemple, Siemens KWU emploie 4 500 personnes et a un chiffre d’affaires annuel de 2 milliards de marks, dont le nucléaire représente 20 %.

Selon les compagnies d’électricité, les installations les plus récentes datent de 1988 et 1989. Avec une durée de vie de 40 à 45 années, elles pourraient prétendre à vivre jusqu'en 2028.

La figure suivante représente au cours du temps d’une part l’évolution de la puissance nucléaire installée en fonction d’une hypothèse de durée de vie de 40 ans et d’autre part l’évolution de la puissance nucléaire installée amortie, en prenant comme hypothèse une durée d’amortissement de 20 ans.

On voit bien que le parc électronucléaire allemand entre, en cette fin des années 1990, dans sa période de rentabilité maximale. L’abandon précipité du nucléaire priverait les compagnies d’électricité allemandes, au demeurant privées, d’une source de revenus considérables. Plus la date de sortie est proche et plus le manque à gagner pour ces sociétés est important.

Figure : Evolution de la puissance électronucléaire en service industriel en Allemagne (durée de vie : 40 ans) et des capacités amorties sur 20 ans

· Une rente électronucléaire de plusieurs centaines de milliards de francs selon les hypothèses

La question de la rapidité de sortie du nucléaire est une question stratégique sur le plan financier pour les compagnies d’électricité allemande.

Selon certaines sources, les compagnies d’électricité auraient proposé que d’ici à l’an 2020, le dernier réacteur allemand soit arrêté. L’industrie affirme pourtant maintenir sa position selon laquelle les centrales nucléaires pourront être exploitées pendant 40 ans, les temps de révision étant décomptés, ce qui veut dire que la date de la dernière mise hors service intervienne après 20309.

Dans les années à venir seuls les vieux réacteurs d’Obrigheim mis en service en 1969, de Stade, mis en service industriel en 1972 et de Biblis A mis en service en 1975 pourraient être arrêtés.

Connaissant les dates de mise en service des différentes tranches, il est possible de faire une estimation de la rentabilité du parc allemand considéré dans son ensemble. Le tableau ci-après montre le « cash flow » que ce parc peut dégager, pour plusieurs marges sur le kWh et plusieurs taux d’actualisation.

Tableau : cash flow en milliards de francs sur l’exploitation des 19 réacteurs allemands, dans l’hypothèse d’une durée de vie de 40 ans et d’un amortissement en 20 ans10

taux d’actualisation

0 %

5 %

8 %

12 %

marge  : 10 cF / kWh

297

179

141

108

marge : 15 cF / kWh

446

268

211

163

Les compagnies d'électricité ont par ailleurs estimé à 100-200 milliards de marks le coût d'un renoncement précipité au nucléaire. On voit que cette estimation est parfaitement justifiée et ne procède pas d’une simple posture de négociation.

C’est tout le fruit de l’investissement réalisé sur vingt années, de 1969 à 1989, qui pourrait être annulé par une sortie rapide du nucléaire.

· 5 ans pour les Verts, plus de 30 ans pour les industriels : 20 ans pour le Chancelier Schröder ?

Greenpeace Allemagne estime que l’abandon du nucléaire pourrait être réalisé en 5 à 6 ans, sans manque d’électricité, grâce à la construction dans l’intervalle d’autres centrales non-nucléaires. Les Verts quant à eux estiment possible d’en avoir fini avec l’atome d’ici à 2004.

Les industriels seraient prêts au compromis à condition qu’on les laisse exploiter leurs centrales encore rentables pendant une quarantaine d'années, faute de quoi ils demanderaient une indemnisation.

Le chancelier Schröder pourrait quant à lui consentir un délai supérieur à 20 ans, à condition que les industriels fassent une croix sur toute demande de dédommagement 11.

Les enjeux économiques sont énormes. C’est en réalité l’avantage de parvenir à un parc amorti qui est en cause.

4. Les autres évaluations du coût de sortie du nucléaire en Allemagne

Selon une étude publiée en décembre 1998 et réalisée pour le compte de l'industrie12, un abandon précipité du nucléaire, c'est-à-dire dans les 5 années à venir, coûterait 88 milliards de marks aux exploitants13 et 150 000 emplois, sans parler de l'envolée des émissions de CO2, ni du coût des énergies de substitution.

Le surcoût de 88 milliards de marks s'étalerait jusqu'en 2030. 150 000 emplois disparaîtraient entre 2017 et 2026 à cause du renchérissement du prix de l'énergie mais de nouveaux emplois se créeraient par la suite.

Ce surcoût est calculé par rapport à un scénario de référence dans lequel le parc nucléaire serait non seulement entretenu mais aussi, selon les besoins, renouvelé. En fait ce surcoût est nettement plus important jusqu'en 2023 : 122 milliards de marks (409 milliards de francs). Entre 2024 et 2030, le scénario de référence coûterait plus cher (441 milliards de marks soit 1477 milliards de marks) que l'abandon du nucléaire (407 milliards de marks soit 1360 milliards de francs). Après cette date, quelque 34 milliards de marks pourraient toutefois être récupérés sur 7 ans, à la suite notamment de l'abandon de nouvelles tranches nucléaires.

Les émissions de CO2 passeraient à 1,85 milliard de tonnes de CO2 par an, soit le double des niveaux actuels d’ici à 2004. Les émissions de CO2 augmenteraient ensuite de 35 % entre 2005 et 2010.

En tout état de cause, un court délai de 5 ans imposerait de recourir aux énergies fossiles, en construisant des installations dont la durée de vie sera de 30 à 40 ans. La situation serait dès lors gelée, gênant le développement des énergies alternatives

Un chiffrage complet du coût de l’abandon du nucléaire en Allemagne semble rester à faire. Il s’agit non seulement d’intégrer l’indemnisation éventuelle des compagnies d’électricité mais aussi de tenir compte du coût des investissements de remplacement, des coûts sociaux et des éventuels coûts additionnels sur l’environnement.

Cliquer ici pour accéder à la suite de la partie IV du chapitre I:
C. La rente nucléaire française et l'avenir d'EDF.

Cliquer ici pour retourner au sommaire général:

1 coefficient de production brute = (production électrique brute de la période considérée)*100 / (puissance électrique brute) * (durée de la période considérée)

2 REP : réacteur à eau pressurisée (PWR : Pressurised Water Reactor) ; REB : réacteur à eau bouillante (BWR : Boiling Water Reactor)

3 Enerpresse n° 7201, 17/11/98

4 Tec : tonne équivalent charbon, unité permettant d’assimiler la production de lignite des Länder de l’Est à celle de charbon moyennant un coefficient de réduction.

5 AIE-OCDE, IEA Energy Technology R&D Statistics, 1974-1995, Paris, 1997.

6 Le Monde 29/10/98.

7 Par comparaison, les chiffres de la France sont les suivants : 0,4 milliard de tonnes de CO2, soit 6,34 tonnes par habitant

8 Süddeutsche Zeitung 27/10/98

9 Süddeutsche Zeitung 22/12/98

10 Hypothèses : durée annuelle de fonctionnement : 6 000 heures ; durée de vie : 40 ans ; durée d’amortissement : 20 ans

11 * selon la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 21/12, G

12 Etude réalisée par un économiste de Brême, W. Pfaffenberger, et citée par AFP 16/12/98, Les Echos et La Tribune 17/12/98.

13 Soit 295 milliards de francs au cours de 1DM = 3,35 F



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