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COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

Mardi 10 octobre 2006

Séance de 16h30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Guy Teissier, président

 

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– Audition du général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2007


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Audition général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2007

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2007 (n° 3341).

Le général Jean-Louis Georgelin a estimé en préambule que, grâce au dynamisme de son président et à l’activité de ses membres, la commission de la défense de l’Assemblée nationale s’était révélée comme un acteur majeur du débat public, exemplaire du rôle que peut jouer le Parlement dans le pays.

Considérant que la ministre de la défense avait déjà largement abordé les thèmes de la loi de programmation militaire et du budget, il a souhaité axer le début de son intervention sur son appréciation de la situation de la défense et sur les opérations extérieures (OPEX).

L’institution militaire a accompli un effort considérable pour s’adapter à des réalités nouvelles, même si la mémoire de ces réformes s’affaiblit au sein de la classe politique, parmi les parlementaires et même chez les militaires. Les armées sont profondément différentes de ce qu’elles étaient il y a dix ans. Elles constituent un atout véritable pour la France, voire un pôle d’excellence.

L’effort budgétaire de la France en faveur de la défense, depuis cinq ans, a été prolongé, constant mais raisonnable. Notre pays dispose ainsi du spectre presque complet des capacités militaires, ce qui le place au sein d’un club très fermé et lui permet de préserver son autonomie de décision quant à sa participation aux opérations. Le système de dissuasion est cohérent et crédible au triple plan de la doctrine, de la technique et de l’entraînement des hommes. Les armées font aussi régulièrement preuve d’une réactivité stratégique certaine ; ce point est reconnu par les alliés de la France, comme ils reconnaissent volontiers la qualité de ses soldats, de ses marins, de ses aviateurs et leur aptitude à obtenir des résultats opérationnels probants, grâce à l’instruction qu’ils ont reçue, à leur moral, au climat des unités et à une certaine rusticité.

Le général Jean-Louis Georgelin a observé que les armées jouissent d’une excellente image au sein de la société, apportant un démenti à ceux qui prédisaient une coupure entre la nation et son armée du fait de la professionnalisation. Cette opinion favorable à l’égard de la chose militaire est d’ailleurs corroborée par un niveau de recrutement qui reste acceptable, ce qui tranche singulièrement avec la situation constatée à l’étranger. Il convient cependant de rester attentif sur ce point car la bataille du recrutement n’est jamais gagnée.

La volonté de continuer à progresser doit inciter à se montrer conscient des faiblesses ou des limites du dispositif, qui ont été mises en exergue lors de la préparation de la loi de programmation militaire et ont été plus ou moins corrigées.

Le général Jean-Louis Georgelin a ainsi précisé que les armées accusent un déficit en moyens navals et aériens de projection tactique et stratégique, qu’il s’agisse des avions de transport ou des hélicoptères. La protection des moyens de mobilité terrestre des armées reste perfectible. Les efforts en matière de renseignement d’origine électromagnétique à partir de l’espace doivent être poursuivis ; les moyens de renseignement optique tous temps restent limités. La France, par ailleurs, ne dispose pas de moyens de suppression des défenses anti-aériennes hostiles (SEAD).

Outre ces lacunes, la plupart des difficultés sont inhérentes à la formation et à l’entretien d’une armée. Il s’agit d’arbitrer en permanence entre les nécessités relatives aux opérations les plus fréquentes – la tyrannie de l’urgence – et celles qui doivent résulter de la perspective plus floue et moins mobilisatrice d’engagements plus exigeants.

Jugeant ce dilemme de plus en plus prégnant, il a fait valoir que, lors des conférences de génération de force, ce sont toujours les mêmes types de capacités – notamment les hélicoptères et les hommes – qui font défaut. Notre pays ne saurait pour autant renoncer aux équipements de haute technologie destinés aux affrontements de haute intensité. En raison de l’utilisation intensive des matériels déployés quotidiennement sur les théâtres d’opérations, des problèmes de disponibilité apparaissent en métropole, fragilisant souvent les conditions d’entraînement des unités terrestres, des pilotes et des équipages. Enfin, en raison des choix d’équipement déjà opérés et des engagements industriels déjà pris, la marge de manœuvre financière pour réorienter l’équilibre des capacités est faible.

Les vulnérabilités des armées concernent donc moins le dispositif actuel que celui qui résultera des ressources prévisibles de moyen terme.

Souhaitant que les capacités et les modes d’action des armées soient mieux adaptées aux conflits susceptibles de naître, le général Jean-Louis Georgelin a indiqué que les engagements récents permettent de tirer certains enseignements. Le renforcement des capacités de renseignement et de communication – notamment grâce à l’espace – doit se poursuivre. La logistique et le soutien devront être optimisés et rationalisés.

D’autres questions méritent d’être examinées : la protection et la sauvegarde du territoire et des populations ; l’utilisation des nouvelles technologies au juste niveau de suffisance pour valoriser les capacités tactiques ; la réflexion prospective et doctrinale, qui représente un enjeu fort dans les débats avec les partenaires européens et atlantiques de la France, mais aussi avec les élus, les experts et tous les responsables en charge du bien commun.

Il a par ailleurs estimé que la réorganisation des armées pour améliorer leur fonctionnement quotidien restait à l’ordre du jour. Cette rationalisation vient d’être marquée par deux évolutions majeures : la refonte des attributions des chefs d’état-major, avec le décret de mai 2005 ; la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il est prématuré de se livrer à un bilan de ces deux réformes, de mesurer leur impact et d’évaluer la pertinence des choix effectués dans leur mise en œuvre. D’une manière générale, il faudra du temps pour que la pratique rejoigne la théorie.

Il importe de renforcer les synergies interarmées comme les mutualisations envisageables à l’échelle européenne, sans toutefois attendre des solutions européennes à toutes les difficultés. La finalité opérationnelle doit rester au cœur des réflexions.

Les armées doivent chercher à répondre aux attentes des citoyens et le lien entre les forces armées et la société doit être entretenu. Il faut rappeler que les 30 000 jeunes recrutés chaque année, qui représentent 5 à 10 % d’une classe d’âge, rejoignent pour la plupart le marché de l’emploi civil au bout de quelques années de service, apportant à la nation un témoignage de leur passage sous les drapeaux. Il s’agit sans doute là de la contribution la plus importante que les armées puissent apporter à la consolidation du lien social.

Les armées représentent un réel sujet de fierté pour la France. Pour que cette idée fasse son chemin, il faut probablement que les militaires expliquent mieux que les actions extérieures auxquelles ils participent sont un moyen de rayonnement pour notre pays et de défense de ses intérêts. Ce message doit être également mieux relayé afin que les élites politiques soient davantage sensibilisées au lien entre une armée compétente, une politique étrangère autonome, la place de la France dans le monde et l’atout que cela représente pour la sécurité et le sentiment d’appartenance à une communauté soudée.

Abordant la situation des troupes française à l’étranger, le général Jean-Louis Georgelin a observé que presque tous les clignotants des opérations extérieures étaient à l’orange. Près de 14 000 femmes et hommes sont actuellement engagés en opérations, auxquels il convient d’ajouter les forces de présence et de souveraineté hors de la métropole, soit plus de 35 000 femmes et hommes au total, sans compter les 1 300 personnels déployés sur le territoire national, essentiellement dans le cadre du plan Vigipirate. Sur la plupart des théâtres, la situation politico-militaire tend à se durcir.

En Côte-d’Ivoire, la communauté internationale poursuit ses efforts, avec malheureusement peu de succès. La perspective des élections du 31 octobre n’est plus tenable et de nouvelles décisions devront être prises dans le cadre du comité de paix et de sécurité de l’Union africaine puis du conseil de sécurité des Nations unies, qui se réunira à ce sujet le 25 octobre. Un processus électoral libre, démocratique et transparent doit être organisé, à partir de listes électorales établies de manière impartiale. Le dispositif Licorne, avec 3 800 hommes en appui de l’ONUCI, poursuit sa mission avec sérieux, détermination et sang-froid, l’opération coûtant en moyenne 200 millions d’euros par an à la France, soit un total cumulé de 755 millions d’euros.

S’agissant de l’Afghanistan, la situation se dégrade tant à l’est qu’au sud, malgré quelques succès locaux. Le secteur de Kaboul, dont la France assume la responsabilité jusqu’en avril 2007, est également un secteur difficile. Les difficultés qu’éprouve l’OTAN à engager des renforts significatifs sont inquiétantes alors qu’elle vient de prendre la responsabilité de l’ensemble du pays. L’objectif reste de transférer progressivement aux Afghans les tâches de sécurité. C’est pourquoi est maintenu un effort d’instruction intense au profit de l’armée afghane : depuis trois ans, 3 810 stagiaires ont été formés dans le cadre de l’opération Épidote.

Le déploiement de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) renforcée se déroule de façon satisfaisante, sans que l’on puisse se départir d’une certaine prudence. Il faut en effet soutenir la détermination de l’ONU à se faire respecter et ne pas perdre la bataille de la communication. Il n’en reste pas moins que le retrait israélien est effectif et que l’armée libanaise, pour la première fois depuis vingt ans, a pu se déployer jusqu’à la ligne bleue de la frontière avec Israël. L’armée française doit appliquer sans état d’âme les règles d’engagement robustes qui ont été négociées et suivre les mesures de sauvegarde nécessaires contre la menace terroriste.

En République démocratique du Congo, l’EUFOR remplit son rôle, illustrant la richesse de la coopération franco-allemande. Cependant, les risques de provocation émanant des partisans de tel ou tel candidat demeurent. À ce jour, le désengagement de l’EUFOR reste planifié – notamment par les Allemands et les Espagnols – selon le calendrier initial, soit un mois après le deuxième tour, qui aura lieu en principe le 30 octobre.

Au Tchad, en dépit des victoires politiques, diplomatiques et militaires du Président Idriss Déby, la situation n’est pas stabilisée, loin s’en faut. Le dispositif Épervier mobilise de l’ordre d’un millier d’hommes. La résurgence d’éléments rebelles significatifs est toujours possible à l’est et au sud du pays.

S’agissant du Kosovo, malgré un calme persistant sur le terrain, l’adoption prochaine d’un statut final pour la région est porteuse de risques sérieux de troubles, par impatience ou par refus de la solution qui s’imposera. À titre d’exemple, le pont de Mitrovica, qui avait été rouvert le 25 septembre, a dû être refermé le soir même à la suite d’une altercation. Les déclarations récentes de Martti Ahtisaari, l’envoyé spécial de l’ONU, ne sont guère encourageantes.

Il faudra donc, dans les mois prochains, peser soigneusement le niveau d’engagement de la France en opérations. Parmi les facteurs dont il convient de tenir compte, outre les perspectives politico-militaires, leur coût est évidemment déterminant. Il dépend des caractéristiques propres à chaque opération, en fonction de la durée, des effectifs engagés et du déploiement d’unités navales ou aériennes. En 2006, les effectifs ont diminué sur trois théâtres – de 3 % en Côte d’Ivoire, de 16 % au Kosovo et de 22 % en Bosnie –, ce qui a permis de compenser l’ouverture de nouveaux théâtres et de limiter les dépenses OPEX à 557 millions d’euros, soit le même niveau qu’en 2005, Liban exclu.

Abordant le projet de loi de finances pour 2007, le général Jean-Louis Georgelin a considéré qu’il témoigne de l’effort qui continue d’être consenti par la nation envers son armée, effort raisonnable mais significatif.

Avec un montant de crédits de paiements de 47,7 milliards d’euros pensions incluses et de 35,3 milliards hors pensions, le budget progresse de 0,8 % en volume et de 2,5 % en valeur. Il est conforme à l’annuité théorique actualisée de la loi de programmation militaire 2003-2008, laquelle aura par conséquent été intégralement respectée, contrairement aux précédentes, grâce notamment à l’action continue du ministre de défense. En norme OTAN, il représente 1,67 % du PIB, taux très supérieur à ceux de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie mais inférieur à celui de la Grande-Bretagne.

La masse salariale, de 15,43 milliards d’euros, permet de maintenir les effectifs financés sur le périmètre ministériel : 430 737 en 2006 ; 429 990 en 2007. Cette stabilisation se traduit en fait par une augmentation de ceux de la gendarmerie, avec la création de 950 postes, compensée par la suppression de postes au titre de diverses mesures de réorganisation.

Tous les plans visant à améliorer la condition militaire sont respectés : plan d’amélioration de la condition militaire (PACM), avec 24 millions d’euros ; fonds de consolidation de la professionnalisation (FCP), avec 24 millions d’euros ; plan d’adaptation des grades aux responsabilités (PAGRE) et diverses mesures concernant la gendarmerie, avec 18 millions d’euros. Les mesures de reconnaissance professionnelle du personnel civil s’élèvent à 15 millions d’euros.

S’agissant du fonctionnement, les crédits de maintien en condition opérationnelle – 3,3 milliards – permettent de conserver une disponibilité technique opérationnelle certes supérieure à 90 % en OPEX mais juste suffisante en métropole. Il faudra envisager des surcoûts au titre des OPEX – de l’ordre de 285 millions d’euros, à ajouter aux 375 millions provisionnés dans le projet de loi de finances pour 2007 – et probablement du carburant. Les OPEX sont aujourd’hui financées par des ajouts de crédits, ce qui constitue une révolution : auparavant, elles étaient rendues possibles par des gels puis des annulations d’investissements. Plus généralement, la gestion de la consommation des reports de crédits, des mises en réserve et des gels est tout à fait favorable.

Le général Jean-Louis Georgelin a précisé que le budget préserve l’essentiel dans le domaine des investissements. Les crédits de paiement correspondent à la loi de programmation militaire ; en revanche, le niveau des autorisations d’engagement a d’ores et déjà contraint le ministère à prendre quelques mesures de report, notamment à étaler les commandes du NH 90 et l’opération « future torpille lourde ».

Enfin, l’annuité 2007 sera fortement tributaire de la confirmation d’une loi de finances rectificative couvrant, en 2006, les besoins de paiement des frégates européennes multimissions (FREMM), à hauteur de 240 millions d’euros, le reliquat des surcoûts OPEX, à hauteur de 268 millions d’euros, ainsi que les besoins opérationnels en carburant, à hauteur de 130 millions d’euros, pour assurer les activités de la fin de l’année.

Le président Guy Teissier ayant déduit de l’analyse présentée que les OPEX avaient de beaux jours devant elles, le général Jean-Louis Georgelin a expliqué qu’elles étaient parties pour durer mais qu’elles exigeaient plus que jamais vigilance, sérieux, discipline, clarté des missions et des règles d’engagement.

Le président Guy Teissier a jugé pertinente, au vu de sa récente visite au Liban, la position de l’état-major concernant le deuxième bataillon du dispositif français, en cours de constitution : il ne sera mis sur pied et projeté que lorsque toutes les conditions, sur place, seront réunies.

Jugeant essentiel le maintien de la capacité aéromobile de la France, il s’est demandé s’il n’aurait pas été souhaitable de passer des commandes de NH 90 plus tôt, au lieu de rénover les vieux Puma, déjà en bout de course. Il est décevant que, sur la commande globale de trente-quatre NH 90, seulement douze aient finalement été retenus dans les autorisations d’engagement. En effet, au-delà de 2008, de fortes incertitudes planent.

Il a par ailleurs rappelé que lors des débats sur la loi relative aux réserves, les parlementaires avaient préconisé la création de préparations militaires, volontaires et rémunérées, de trois semaines à un mois, qui permettraient de mieux partager toutes les vertus des armées : l’éveil à la défense nationale, l’information sur les filières professionnelles proposées par les armées mais aussi sur la possibilité de servir dans les réserves.

Le général Jean-Louis Georgelin a confirmé qu’un premier bilan serait dressé dans les six mois sur l’engagement au Liban et que le deuxième bataillon serait envoyé lorsque les conditions de son déploiement, en termes de règles d’engagement, d’emploi et d’hébergement, seraient satisfaites. Dans la région comprise entre le Litani et la ligne bleue, qui correspond à un demi-département français et compte quelque 100 000 habitants, on prétend déployer 15 000 soldats libanais et 15 000 éléments de la FINUL, ce qui n’est guère envisageable.

Au-delà du cas des NH 90, les décisions en matière d’équipements militaires procèdent de compromis entre diverses exigences. L’aéromobilité a été difficile à défendre à cause du maintien de programmes de haute intensité très coûteux, de considérations géopolitiques, industrielles, sociales et peut-être par manque d’audace et de clarté des militaires. Ces derniers doivent en permanence se poser la question de l’utilité des dépenses d’équipements afin d’éclairer la représentation nationale. Si le modèle d’armée 2015 avait été bâti en 2006, les choix auraient sans doute été différents. En 1995, dans les maquettes d’armées, l’aviation légère de l’armée de terre a pâti d’arbitrages en faveur des chars Leclerc, des Rafale et des frégates L’hélicoptère est maintenant considéré comme l’équipement roi sur tous les théâtres d’opérations. Il offre, en effet, la mobilité tactique, même s’il souffre de limitations d’emploi, sauf dans ses versions les plus sophistiquées, mises notamment à la disposition des forces spéciales. D’une manière générale, il s’agit encore une fois de trouver un compromis entre la tyrannie de l’urgence et la préservation de l’avenir. Au début des années quatre-vingt, le Tigre, adapté au combat contre les forces du Pacte de Varsovie, était l’appareil le plus intéressant ; en 2006, la priorité va aux hélicoptères de manœuvre et de transport.

Tout en admettant que toutes les idées de lien armée-nation, de préparation militaire, de défense deuxième chance et de service civil étaient généreuses et revêtaient un intérêt militaire évident, le général Jean-Louis Georgelin a fait valoir qu’elles avaient toutes un coût en argent et en hommes. En 1996, le budget de la défense, en norme OTAN, atteignait 2,05 % ; malgré le redressement spectaculaire des investissements en 2002, le niveau actuel, au regard des ambitions de la France, reste très modéré. Il faut veiller à clarifier les objectifs et à ne pas alourdir le budget par des charges nobles et généreuses mais ne concourant pas directement à la constitution d’un potentiel militaire.

M. Jean-Michel Boucheron s’est enquis de l’état des réflexions, d’une part, au niveau européen, sur les capacités à construire et sur leur répartition entre États, et, d’autre part, au niveau national, sur la préparation d’une nouvelle loi de programmation militaire, le modèle d’armée 2015 étant obsolète. La situation géopolitique influe-t-elle sur les choix qui seront proposés ? Il s’est dit d’emblée défavorable à l’établissement d’un nouveau Livre blanc, qui constitue un gel de la pensée alors que le monde bouge à très grande vitesse.

Abordant la question de la dissuasion nucléaire, il s’est étonné des déclarations récentes du président de la formation politique principale de la majorité souhaitant une remise à plat de sa doctrine d’emploi et plus généralement une refonte du domaine réservé du Président de la République. Le contrôle de la force nucléaire peut-il relever d’un pouvoir partagé ?

M. René Galy-Dejean a estimé que les changements en passe d’intervenir au plus haut niveau de l’État constituaient un facteur d’incertitude. L’institution militaire est-elle conceptuellement en mesure de résister efficacement à des agressions ou du moins des manœuvres déstabilisatrices diverses ? Un Livre blanc, à cet égard, ne serait-il pas utile, même sans couvrir une période très longue, pour fixer des orientations ? L’état-major envisage-t-il d’en proposer un aux futures autorités de l’État ?

Le général Jean-Louis Georgelin a répété qu’il se souciait de l’adaptation permanente du dispositif militaire. Il a insisté sur les notions de capacités et de contrats opérationnels passés entre le politique et le militaire, qui figurent dans le préambule de la loi de programmation militaire. Il appartient au chef d’état-major des armées de se doter des outils de réflexion nécessaires pour être prêt à tout moment à répondre aux questions des autorités politiques. La prochaine loi de programmation militaire, plutôt que d’imaginer un modèle 2025, devrait retenir simplement un objectif de planification exprimé par des capacités et des contrats opérationnels. L’état-major doit être en mesure de s’adresser aux autorités politiques avec courage, ce qu’il fera plus aisément s’il s’appuie sur une réflexion profonde et nourrie, sans chercher à se faire le défenseur corporatiste de situations périmées.

Deux livres blancs ont été rédigés, en 1972 et 1994. Plusieurs actes majeurs ont largement amendé et dépassé le dernier : les loi de programmation militaire, notamment leurs préambules, documents fondateurs de la doctrine de défense et les conseils de défense annuels. Il serait d’ailleurs intéressant de réfléchir à la manière dont ils pourraient faire l’objet d’une certaine forme de communication publique. Quoi qu’il en soit, le processus français est assez efficace : sous l’égide du secrétaire général de la défense nationale, tous les responsables de la machine étatique ayant à connaître des questions de défense – relevant du ministère des affaires étrangères, de l’intérieur et de la défense – préparent un dossier en commun..

Le débat stratégique le plus important concerne la manière dont la France se situe par rapport à l’OTAN et à l’Union européenne. Notre pays se tourne vers cette dernière alors que tous ses partenaires, Allemagne en tête, voient davantage les choses au travers de l’OTAN. Par ailleurs, les chiffres parlent : tous les discours sur la nécessité de la construction européenne se heurteront à la réalité des budgets d’investissement, qui n’atteignent un niveau convenable qu’en France et en Grande-Bretagne.

Le général Thierry Cambournac a cité, parmi les avancées récentes en matière de défense européenne, l’Agence européenne de défense et, surtout, le commandement du transport aérien, bourse d’échange de capacités de transports qui, sur la base de propositions franco-allemandes, pourrait évoluer vers un commandement du transport aérien puis un commandement de l’acheminement multimodal – aérien, naval et terrestre.

Le général Jean-Louis Georgelin a préconisé la constitution d’un véritable commandement du transport aérien européen, progrès qui serait comparable à ce que fut le Corps européen. Il incombe aux militaires de proposer aux autorités politiques des avancées concrètes fortes, marquant une volonté. Mais il reste à vaincre bien des résistances, comme le démontrent les difficultés que rencontre la formation commune des pilotes de chasse français, espagnols, allemands et belges.

Le discours du Président de la République sur la doctrine nucléaire, prononcé à l’Île Longue, a été, en définitive, bien reçu ; les critiques ont été assez mesurées. Le nucléaire reste l’arme de protection des intérêts vitaux mais doit être adapté parce que la technologie le permet et parce qu’il importe de rester crédible. Cependant, dans une démocratie vivante, il est naturel et normal de pouvoir débattre d’une question aussi importante pour la nation que celle de la dissuasion nucléaire.

M. René Galy-Dejean a fait observer que le Président de la République était l’élu du peuple dans son entier, ce qui justifie sa prédominance dans le domaine de la défense.

M. Yves Fromion a estimé que le fait qu’il soit chef des armées n’induit pas que les questions de défense ne puissent être débattues. Il a souligné toute l’ambiguïté des termes de la Constitution et déploré la dérive des institutions de la Ve République en la matière.

M. Michel Voisin s’est interrogé sur le rôle des correspondants défense dans les conseils municipaux. Même si la part du budget consacrée à la réserve a crû, il a déploré que les réservistes soient essentiellement affectés à des opérations de soutien et trop rarement employés sur les théâtres d’opérations.

Les engagés, porteurs du lien armée-nation, rencontrent-ils toujours des problèmes lorsqu’ils sont rendus à la vie civile ?

Prenant en compte la diminution du budget de la dissuasion nucléaire, du fait d’avancées technologiques, il s’est demandé si la prolifération, qu’illustrent l’essai nord-coréen et le cas de l’Iran, ne justifiait pas au contraire que la France accroisse ses efforts dans ce domaine.

M. Joël Hart a suggéré que le futur Président de la République, quel qu’il soit, dresse une feuille de route précisant les intentions de la France en matière de défense, eu égard à ses capacités statiques, stratégiques et tactiques.

M. Jean-Yves Hugon est revenu sur les missions extérieures, qui sont de plus en plus longues, dangereuses et se déroulent sur des théâtres marqués par des situations politiques complexes. La France est-elle arrivée au bout de ses capacités financières et humaines ou bien dispose-t-elle encore de marges de manœuvre ?

Le général Jean-Louis Georgelin a indiqué que le nucléaire représentait toujours 18 % des investissements et 10 % du budget total, et a rappelé que le pic de 1969, avec 50 % du titre V, avait été atteint au détriment du corps de bataille. La France est arrivée à un point d’équilibre. Elle a toujours souhaité respecter, pour l’armement nucléaire comme pour l’armement classique, le principe de stricte suffisance. Les historiens seront extrêmement sévères vis-à-vis des arsenaux nucléaires soviétiques et américains du temps de la Guerre froide, alors que la France s’est dotée modestement, en fonction de ses besoins et dispose aujourd’hui d’un système crédible avec les outils de simulation nécessaires.

Le rythme de missions extérieures est soutenu et éprouvant et entraîne des surcoûts liés à l’intensité de l’utilisation des matériels, mais les armées n’en sont pas à une situation de saturation. Du temps de l’armée d’appelés, la France a été en mesure d’envoyer une division de 11 000 hommes sur l’opération Daguet ; l’armée professionnelle doit être capable de faire sensiblement plus. Cela dit, l’opération Baliste a monopolisé 100 % des capacités de transport amphibie, compte tenu de la permanence par ailleurs d’un navire amphibie dans le golfe de Guinée (mission Corymbe). Financièrement, les 500 millions d’euros annuels ne sont plus absorbés par le budget de la défense mais par celui de l’État. Lorsque la France envoie ses armées en OPEX, elle défend ses intérêts et sa vision du monde. Est-elle prête à en assumer le prix et à l’expliquer ?

Il n’existera jamais de système parfait pour décrire la menace mais l’insécurité du monde est une réalité taraudante, avec la prolifération, le terrorisme, ainsi que les tensions liées aux approvisionnements énergétiques, à la mondialisation et aux flux migratoires. Le monde étant plus incertain et dangereux, il est nécessaire de se doter de capacités de défense polyvalentes et durables.

Le général Thierry Cambournac a précisé que l’enveloppe des rémunérations et charges sociales (RCS) augmentera de 15 millions d’euros en 2007, ce qui permettra d’accroître de 5 800 le nombre de réservistes et de faire passer de vingt-deux à vingt-cinq le nombre moyen de jours d’activité des réservistes opérationnels, gendarmerie incluse.

Le général Jean-Louis Georgelin a ajouté qu’il fallait noter le nombre important de réservistes employés à l’état-major des armées, notamment au Centre de préparation et de conduite des opérations (CPCO).