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COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE
ET DES FORCES ARMÉES

Mardi 13 février 2007

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Guy Teissier,
président

 

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– Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le bilan de la législature

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Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le bilan de la législature

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le bilan de la XXe législature.

Le président Guy Teissier a tenu à remercier Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, pour la qualité de son écoute, sa disponibilité et l’aide qu’elle a apportée aux membres de la commission, tous groupes politiques confondus, pendant ces cinq années. Il s’est dit fier du travail accompli, évoquant les votes de la loi de programmation militaire, de la loi sur les réserves, de la loi sur le statut des militaires, qui ont modifié et modernisé notre défense. Il s’est également félicité de la qualité du suivi et du contrôle des textes adoptés, qui ont garanti le strict respect des engagements pris par la loi de programmation militaire (LPM). Le terme de la législature est l’occasion de débattre du bilan comme des enjeux de la défense nationale pour les prochaines années.

Mme Michèle Alliot-Marie a convenu que le moment était bien choisi, à quelques semaines d’échéances politiques majeures, de se pencher une dernière fois sur les enjeux de la politique française de défense. Elle a remercié les membres de la commission pour leur soutien constant sur tous les bancs et a souligné la qualité d’une relation caractérisée par un souci commun des intérêts de la France. L’apport du Parlement aura été, tout au long de la mandature, essentiel pour mener une politique de défense responsable et maintenir l’effort constant et nécessaire de la Nation.

Le ministre a fait valoir que, de son côté, elle s’est attachée à justifier et expliquer les choix retenus ainsi qu’à prendre en compte, autant que possible, les observations et les amendements parlementaires. L’occasion se présente donc de voir comment la défense s’est renforcée, adaptée pour répondre aux risques du moment et relever les défis de demain. Il faut également s’interroger sur la permanence de l’ambition que manifestent les Français pour leur défense.

La politique menée depuis 2002 permet de disposer d’une défense solide et rénovée, ce qui tranche avec la situation antérieure : vétusté des matériels – au point de réduire les capacités opérationnelles et d’affecter le moral de nos troupes –, loi de programmation militaire en retrait par rapport aux ambitions affichées en 1997, industrie de l’armement paralysée par son incapacité à anticiper et report perpétuel des restructurations pourtant indispensables. En cinq ans, grâce à une détermination et un travail communs, les choses ont radicalement changé. Le respect de la loi de programmation militaire a permis de sortir des errements passés, en marquant un retour de la confiance ; en 2007, la LPM aura été respectée, pour la cinquième année consécutive – cela ne s’était pas vu depuis vingt-cinq ans –, par la loi de finances, mais également dans sa mise en œuvre. L’évolution des reports en atteste : de 2,8 milliards d’euros fin 2004, ils sont descendus à moins de 1 milliard d’euros et seront totalement résorbés d’ici à la fin de la LPM. Cela aura permis d’améliorer la disponibilité des équipements, de lancer des programmes nouveaux pour compenser l’essoufflement des matériels et de garantir les capacités nécessaires à la sécurité comme au maintien du rang international de la France.

Le ministre a observé que, grâce notamment au soutien de la commission de la défense, la part de la recherche militaire dans le budget civil de recherche et développement (BCRD) a été préservée et le financement des OPEX assuré en loi de finances ; les budgets dévolus aux équipements n’étant plus mis à contribution. La LPM a enfin permis la relance d’une politique industrielle à la mesure de l’ambition économique du pays. Le secteur public est redevenu compétitif et capable de nouer de nouvelles alliances stratégiques : grâce à l’ouverture de son capital, DCN par exemple est redevenu un acteur industriel performant. Les accords passés sur le maintien en condition opérationnelle des matériels (MCO) ont donné satisfaction à la marine et le rapprochement entre DCN et Thales n’attend plus que le feu vert des autorités de régulation de la concurrence. GIAT, devenu Nexter, a renoué avec un résultat positif pour l’exercice 2006. Dans le secteur aéronautique, la modernisation du MCO a été engagée avec la création d’un service industriel de maintenance unique.

Le ministre s’est également félicité que le secteur privé ait également retrouvé une certaine sérénité, en particulier avec l’accord entre Alcatel et Thales. Le respect de la loi de programmation militaire a amélioré la visibilité ainsi que les capacités d’investissement des entreprises. Les résultats à l’exportation le prouvent : les ventes se sont accrues de 20 % entre 2004 et 2005 et de 34 % entre 2005 et 2006. 2007 devrait être également une excellente année.

Avec la même préoccupation de voir la confiance rétablie, la réforme du statut général des militaires a pris en compte les évolutions sociales, économiques, juridiques et institutionnelles survenues depuis la suspension de la conscription. Un Haut comité d’évaluation est désormais chargé d’établir chaque année un état des lieux objectif et incontestable. Son président, le conseiller d’État Michel Franc, devrait prochainement rendre compte à la commission de ses premières recommandations en matière d’attractivité des carrières et des rémunérations. La professionnalisation a rendu indispensable la mise en place d’une politique moderne et dynamique de gestion des personnels. Fondée sur la concertation, la transparence et le pragmatisme, celle-ci a restauré, en cinq ans, la confiance chez des militaires qui, à tort ou à raison, pouvaient s’estimer moins bien traités que le reste de la fonction publique. Par ailleurs, les dispositifs PACM et PAGRE ont rétabli une certaine cohérence entre des régimes de primes parfois très disparates, voire aberrants. De son côté, la réserve, dont on n’a pas encore mesuré toute l’importance, a connu un renouveau. Ainsi, le ministère de la défense a pu rester attractif et maintenir une qualité de recrutement indispensable à son haut niveau de technicité.

Inscrite dans la durée, la politique de réforme entreprise depuis 2002 a placé le ministère de la défense à la pointe de la réforme de l’État. Cette stratégie a permis une clarification des responsabilités entre le délégué général à l’armement, le secrétaire général à l’administration et le chef d’état-major des armées. Elle a rendu possible la mutualisation et l’interarmisation des moyens, la modernisation et la diversification des modes de gestion. Une politique de défense ambitieuse, cohérente et crédible constitue un impératif pour aujourd’hui comme pour demain afin que la France dispose en permanence d’un outil de défense souple et efficace.

Abordant les enjeux internationaux, le ministre a indiqué que les menaces, devenues complexes et diffuses, vont bien au-delà des frontières, citant le terrorisme, la prolifération nucléaire, les crises régionales aggravées par des replis identitaires ou confessionnels et, demain encore davantage, par la course aux énergies, à l’eau, voire aux denrées alimentaires. Ainsi, dans un contexte de globalisation, sécurités intérieure et extérieure sont devenues indissociables et nécessitent une défense en vigilance et en capacité permanentes. La France a besoin d’une défense forte si elle veut continuer à peser dans les nouveaux équilibres mondiaux ; sa crédibilité diplomatique dépend de sa capacité à agir de façon souveraine et autonome. Elle doit encore faire respecter dans le monde les principes et les valeurs dont elle est dépositaire.

Les événements de ces dernières années ont confirmé la pertinence de l’analyse du contexte stratégique et des menaces qui ont conduit à la réforme des armées. La France s’est dotée d’objectifs capacitaires à long terme qui, bien entendu, devront être régulièrement actualisés et adaptés. La dissuasion en particulier est un impératif stratégique pour notre pays, pour son autonomie, sa sécurité et son rang international. Ses besoins en renseignement et en communication ont été pris en compte avec Hélios II et Syracuse III ; l’effort n’en devra pas moins être poursuivi et accentué dans les prochaines années. Quant aux grands programmes de plateformes – FREMM, Barracuda, Rafale –, ils restent des éléments incontournables, tout comme les moyens de projection et de mobilité tactique et stratégique : du NH 90 à l’A400M, les programmes engagés devront être menés à leur terme.

Le ministre a affirmé que, dans ces circonstances, le deuxième porte-avions constitue une nécessité opérationnelle et politique. La France ne peut prétendre participer à la stabilité du monde avec un groupe aéronaval fonctionnant par éclipse. L’espace également doit être une priorité dans la prochaine LPM. Enjeu majeur pour l’avenir, il a vocation à devenir la « nouvelle frontière » dans les domaines stratégiques de demain. Les travaux du groupe d’orientation sur la politique spatiale de défense montrent qu’un doublement de l’effort financier français et européen est nécessaire pour atteindre l’ensemble du spectre des besoins du domaine spatial. En ayant recours autant que possible à la coopération européenne et à la dualité, un budget annuel, somme toute raisonnable, de 650 millions d’euros, accompagné d’une ambition du même ordre à l’échelon européen, permettrait déjà de franchir une étape clé dans la construction d’une politique spatiale européenne volontaire.

Soulignant que la France dispose d’une des armées les plus reconnues au monde, elle a souhaité que cet atout soit conservé avec pertinence. En tout état de cause, son budget ne saurait descendre en deçà du plancher de 2 % du PIB, au sens de l’OTAN, sans compromettre sa capacité à relever ces défis.

La poursuite de l’effort exige également de mener à bien les changements qui s’imposent. L’avenir de la défense s’inscrit dans une politique globale qui exige l’adaptation permanente à un environnement stratégique fluctuant. Aussi, dans un souci permanent d’économies et de rationalisation, il faut savoir renoncer à certains programmes pour en développer d’autres. 600 millions d’euros ont ainsi pu être économisés pour être réaffectés ailleurs. De ce point de vue, la version actualisée du référentiel (VAR) constitue un instrument précieux qui permet de pratiquer de façon continue les adaptations nécessaires. La défense soit s’inscrire dans cette vision du « progrès continu » ; le défi à venir sera celui de l’efficacité globale et de la maîtrise des coûts de fonctionnement.

Evoquant le MCO, sujet de préoccupation majeur, elle a indiqué que, si la vétusté des matériels se répercute sur les coûts, les nouveaux programmes présentent également des besoins de MCO sans cesse croissants. Sans doute faudra-t-il aussi intégrer les coûts de déconstruction des matériels périmés : autant de contraintes budgétaires nouvelles qu’il faudra prendre en compte afin de maintenir les capacités françaises à leur rang.

Enfin, le maintien d’un haut niveau de recherche et de technologie est le corollaire indispensable d’une culture d’investisseur qu’il faut s’attacher à développer. Cela pour garantir une protection suffisante face à des adversaires technologiquement avancés mais également pour préserver les emplois tout en accroissant les capacités d’exportation de l’industrie. Aussi le Gouvernement a-t-il misé sur le redressement de l’effort de R & T qui a doublé sur la durée de la LPM. La défense se place ainsi au cœur de l’effort de compétitivité et de croissance de la France.

L’Etat se voit rétabli dans son rôle de soutien de l’industrie, en s’inscrivant dans la durée et en encourageant sa modernisation. Il doit assumer ses responsabilités sans pour autant prétendre à tous les droits, et lorsque c’est nécessaire, intervenir dans les sorties de crise. C’est à travers une politique de R & T ambitieuse et persévérante qu’il pourra réellement peser sur l’avenir et la compétitivité des entreprises. Cet effort de recherche doit être continu et porter sur un spectre large allant de la recherche fondamentale jusqu’à la réalisation de démonstrateurs structurants.

Souhaitant que la R & T soit l’occasion pour la France de faire progresser l’Europe, elle a fait valoir qu’au lieu d’aboutir à un dépouillement des uns au profit des autres, elle pourrait devenir un jeu gagnant-gagnant, comme dans le projet Neuron. Notre pays aura fait avancer, si ce n’est naître, l’Europe de la défense. Inexistante il y a encore cinq ans, celle-ci est devenue une réalité dans tous les domaines, grâce à la volonté de la France, systématiquement présente dans tous les programmes, tantôt avec la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne. Si elle a su rester crédible auprès de ses partenaires, c’est parce qu’elle a montré sa volonté de développer sa défense en y consacrant les moyens nécessaires. Rétablissement de la confiance, cohérence de l’action, volonté de réforme, tels sont les axes de la politique de défense dont la France a besoin pour maintenir son rang sur la scène internationale.

Après avoir salué la réussite de la réforme du statut des personnels, le président Guy Teissier a interrogé le ministre sur l’état d’avancement de la publication des décrets d’application, notamment pour ce qui concerne certains statuts particuliers ainsi que la progression indiciaire en cours de carrière. Des inquiétudes se font jour, particulièrement dans le corps des sous-officiers qui craignent d’être désavantagés. Par ailleurs, s’agissant du deuxième porte-avions, par-delà la volonté politique régulièrement réaffirmée par le gouvernement, des incertitudes demeurent sur la détermination des industriels français et britanniques et leur volonté de coopérer. Sans doute la logique aurait-elle dû conduire à mettre simultanément en chantier deux porte-avions, ou à tout le moins l’un après l’autre, au lieu d’attendre que le besoin s’en fasse sentir en 2014.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que, pour le statut général, sur 34 décrets prévus par la loi, 25 avaient paru, 6 sont en examen par le Conseil d’Etat, un en discussion interministérielle ; les deux derniers seront présentés lors des prochaines sessions du conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM). La question des statuts particuliers est toujours en discussion. Sur 33 décrets prévus, 2 ont paru, 22 sont en cours de discussion interministérielle, 8 seront présentés au CSFM en mars prochain et 1 est en cours d’élaboration.

En ce qui concerne la grille indiciaire, la première présentation a, semble-t-il, déçu les sous-officiers, bien qu’ils aient été les principaux bénéficiaires des mesures prises au cours des dernières années. Le rapport du Haut comité, dont plusieurs recommandations pourront d’ailleurs êtres suivies, a pourtant montré que les retards concernaient plus les officiers. Le problème majeur concerne le pouvoir d’achat car, par comparaison avec les autres fonctionnaires, les femmes d’officiers ou de sous-officiers apportant un deuxième salaire sont moins nombreuses. Les mutations, voire la culture, peuvent expliquer cet état de fait. Le rapport du Haut comité sera l’occasion de faire un point clair de la situation d’ensemble et nombre de décrets devraient être publiés avant l’été.

Evoquant le deuxième porte-avions, elle a indiqué qu’un nouveau point de convergence, en mars prochain, devrait permettre de venir à bout d’une certaine mauvaise volonté des industriels français et surtout britanniques, ces derniers ayant commencé leurs travaux sur la base d’un projet beaucoup plus important et coûteux. Les études conjointement menées ont amené la marine britannique à revenir à des normes financièrement plus raisonnables. Les propositions des industriels sont encore trop élevées mais restent dans les marges de discussion habituelles.

M. Jean-Claude Viollet a demandé si la préparation de la future loi de programmation militaire avait donné lieu à des premiers documents de travail permettant d’appréhender les appels en crédits de paiement sur les années 2008-2009, ne serait-ce qu’au titre des programmes engagés. Au sujet de la société Nexter, il a demandé des précisions sur la consolidation du secteur munitionnaire français et les coopérations envisageables avec de grands industriels et systémiers allemands. Du fait de leurs missions et établissements communs, les sociétés Thales et Nexter ne pourraient-elles pas se rapprocher avant de se tourner vers d’autres partenaires européens ? Par ailleurs, la base de Cognac attend toujours le déploiement du système intérimaire de drones MALE, initialement prévu pour l’été 2004. Enfin, si l’externalisation de l’entretien des avions apparaît comme une réussite, il est regrettable que cette législature n’ait pas vu le déploiement de l’escadron Adour, qui aurait ouvert une nouvelle page dans l’évolution de la défense française.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que les documents de préparation des perspectives 2008 – 2009 étaient en cours d’élaboration. Le travail porte même sur l’échéance 2020 – d’où, parfois, certaines erreurs d’interprétation dans la presse. Comme chaque année, une réactualisation des besoins sera disponible avant la fin du mois de mars dont il sera possible de communiquer certains éléments.

L’Etat doit jouer un rôle d’incitateur dans le secteur industriel. L’objectif en premier lieu est de conforter le domaine français, puis de regarder plus loin, en incitant les entreprises à acquérir une taille au minimum européenne afin d’être capables de résister à leurs concurrentes américaines, chinoises ou russes. Il est permis de penser que la restructuration de GIAT-Nexter, si elle avait eu lieu plus tôt, se serait traduite par un coût humain bien moins élevé. Néanmoins, il a été possible de sauver une industrie de l’armement terrestre dans le domaine munitionnaire, ainsi que dans celui des systèmes. Si d’autres rapprochements sont envisageables à l’échelon national, il faut les encourager ; mais seul le niveau européen garantira la préservation du savoir-faire, des emplois et du dynamisme. L’alliance DCN-Thales représente un pôle de construction navale solide ; on ne peut que souhaiter un rapprochement avec les Espagnols, les Portugais, les Grecs, les Italiens et les Allemands pour constituer un grand pôle européen. Ces derniers ont tenté de faire cavalier seul mais l’histoire ne leur a pas donné raison. C’est là une raison supplémentaire de nouer des alliances afin d’éviter de créer un contexte de concurrence entre partenaires européens. Par ailleurs, des synergies, doivent être créées, notamment dans le domaine des capacités de recherche. Quant à l’implantation des drones MALE, elle a été retardée par des difficultés techniques ; le premier vol a eu lieu à Istres en septembre et la mise en service opérationnel est prévue d’ici à la fin 2007.

M. Yves Fromion a rappelé l’importance des exportations pour l’autonomie stratégique de la France. Il y va du maintien de son influence dans le monde ainsi que de la préservation des emplois comme de l’équilibre de son commerce extérieur. Si les chiffres ne sont pas mauvais, ils demeurent loin de ce qu’il est possible de faire. Des propositions ont été faites au Premier ministre afin que le soutien gouvernemental devienne plus actif dans un contexte où les marchés sont toujours plus difficiles à remporter. Le retour des Russes en Arabie Saoudite est un signe qu’il ne faut pas négliger. Par ailleurs, certaines règles demandent à être revues, telles celles de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEMMG) qui interdisent, par exemple, à Astrium de vendre un satellite fabriqué en France alors qu’elle peut le faire en le produisant en Allemagne. Enfin, quel est l’état d’avancement de la création du comité interministériel destiné à mettre en cohérence de l’action du gouvernement et des pouvoirs publics ?

Mme Michèle Alliot-Marie a considéré que, si l’exportation constitue un facteur vital pour les entreprises, les industriels ne peuvent pas pour autant tout attendre de l’État. Ainsi, les propositions russes en Arabie Saoudite devraient leur faire question : si la technologie française est supérieure, le coût d’un char russe est la moitié de celui d’un char français. Dans de telles conditions, les arbitrages ne sont plus fonction de seules considérations politiques, mais de facteurs budgétaires ainsi que de l’offre de transfert de technologie, toujours créatrice d’emplois pour le pays acheteur. C’est parfois l’offre la plus généreuse dans ce domaine qui emporte le marché, particulièrement dans les pays en phase de croissance économique. Le rapport de M. Fromion sur les exportations d’armements contient, à cet égard, des propositions très intéressantes visant à améliorer la coordination et à alléger certaines contraintes tout en préservant les contrôles nécessaires.

Pour y faire suite, le ministère de la défense a proposé au Premier ministre, à la mi-décembre 2006, la création, d’une part, d’une commission interministérielle pour les exportations de défense et de sécurité chargée de coordonner l’action des administrations et services concernés, d’autre part, d’un plan national stratégique de soutien aux exportations.

De son côté, le Premier ministre a mandaté le SGDN pour étudier les possibilités d’allégement des procédures administratives. Il appartiendra au Premier ministre de se prononcer sur cet ensemble de mesures.

M. Jean-Michel Boucheron a salué le courage dont a toujours fait preuve Mme le ministre dans la défense de son budget ainsi que la qualité des rapports qu’elle a su nouer avec le Parlement et, singulièrement, l’opposition. Cette situation est certes exceptionnelle, mais elle l’est aussi parce qu’aucune des questions fondamentales n’a été résolue. La catastrophe irakienne conduit inexorablement à la partition du pays et, sans doute, à une quasi-guerre de civilisation entre deux islams. L’OTAN perd du terrain en Afghanistan où les talibans reprennent des villes et des villages et recommencent à assassiner des femmes ou à leur interdire de fréquenter les écoles. De son côté, le Liban est au bord du gouffre. Pour sa part, la France ne sait plus ce qu’elle fait en Afrique, qu’il s’agisse de la Côte-d’Ivoire ou du Darfour où une page de l’histoire se tourne avec l’apparition de nouveaux acteurs, jusqu’alors bien lointains. Au même moment, le Japon crée un ministère de la défense, la Chine lance des missiles antisatellites et l’Iran se prépare à disposer de l’arme nucléaire. Incontestablement, une vaste réflexion stratégique s’impose. Nul ne sait si le prochain ministre de la défense obtiendra les 2 % du PIB souhaitables. Dans tous les cas, des choix seront à faire entre plusieurs priorités ; la France devra savoir ce qu’elle veut et avec qui, sans sous-estimer les nécessités européennes ni surestimer la volonté des uns et des autres de construire une défense européenne. Il y a en ce domaine un rythme qu’il faut respecter. A ce moment de la campagne électorale, le débat porte surtout sur les Français ; il faut espérer que, de part et d’autre, il vienne à porter sur la France, car il ne saurait y avoir d’issue pour son peuple sans une ambition nationale collective, à laquelle participe le rayonnement de ses forces armées. Une France incapable d’être partie au règlement d’un accord de paix dans le monde ne serait plus la France. Lorsque le moment sera venu, cette idée fondamentale suscitera peut-être une certaine unité des responsables politiques.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a confirmé que cette ambition était bel et bien partagée depuis cinq ans, ce qui explique la qualité des échanges au sein de la commission. Au-delà des divergences ponctuelles, la volonté commune était bien d’œuvrer pour une défense forte et une France respectée. Pour autant, il faudra bien arrêter des priorités : à supposer que tous les pays de l’OTAN et de l’Union européenne soient impliqués dans la stabilisation du monde, ils ne seront pas assez et leurs moyens seront insuffisants pour répondre à toutes les situations de crise.

Au demeurant, qu’il s’agisse du terrorisme, de la situation en Afrique ou des perspectives nucléaires iraniennes, les réponses militaires ne peuvent se concevoir que ponctuellement : les solutions attendues sont d’abord de nature politique et économique. Les militaires ne sont là que pour stabiliser une situation dans cette attente. Ainsi, en Afghanistan, le premier soulagement des populations, faute de progrès significatifs sur le plan économique et de volonté gouvernementale d’éradiquer le pavot, a rapidement laissé place à une certaine complaisance à l’égard des talibans. Une action efficace suppose de se pénétrer de la psychologie des populations locales. Tant que la communauté internationale ne donnera pas au monde rural la certitude de disposer de ressources équivalentes à celles qu’il tire aujourd’hui de la drogue, ni la question économique ni la question de la sécurité ne seront réglées. La communauté internationale, en l’occurrence la Banque mondiale, devrait imiter le trafiquant de pavot qui donne de l’argent au moment de la plantation et se rembourse sur la récolte. Cela suppose une réelle coordination entre deux types d’action qui ne peut être assurée par les seuls militaires.

Il faut également éviter de s’engager dans des opérations de longue durée qui ne permettent pas aux populations de s’exprimer. La réaction à la mondialisation se traduit par un repli identitaire axé sur la fierté nationale, voire sur des considérations ethniques ; dès lors, il n’est plus possible aux militaires d’intervenir. Il est essentiel de prévoir la durée de chaque opération et de réfléchir à ce que l’on souhaite apporter une fois celle-ci terminée. Le problème des Américains en Irak est précisément de ne l’avoir jamais envisagé ; cela montre qu’il importe plus de gagner la paix que la guerre. Les Européens peuvent jouer un rôle moteur en conduisant des interventions tout en s’attachant à ne jamais apparaître comme des forces d’occupation. En termes d’équipement, cela se traduit par des besoins de forces de projection et d’intervention rapides, voire très rapides, plutôt que de matériels lourds : on peut trouver là un critère de différenciation entre les forces européennes et l’OTAN.

Au demeurant, les choix retenus entre les différentes opérations seront également fonction du risque lié, en termes de terrorisme ou en termes d’extension géographique du conflit. Aujourd’hui, la France est très peu présente dans la corne de l’Afrique et pratiquement pas dans le Sud Pacifique où une part grandissante de l’économie mondiale devient tributaire des attaques terroristes ou des actes de piraterie. Les priorités devront être établies au niveau de la politique internationale plutôt qu’à celui des ministères de la défense qui n’en sont que les bras armés. Il faut que les responsables en prennent conscience et que l’ONU joue son rôle. Or celle-ci n’est pas suffisamment efficace, sur le plan diplomatique, où se pose le problème de la représentativité et donc de la légitimité du conseil de sécurité, comme sur celui de ses opérations – ainsi au Liban où la France a dû livrer bataille pour obtenir un mandat robuste. Trop souvent, les soldats de l’ONU ne disposent pas des mandats suffisants pour remplir complètement leurs missions.

M. Charles Cova a regretté que la direction de la fonction militaire et du personnel (DFP) ait, au mépris du droit d’usage, décidé de ne plus faire mention des grades dans les correspondances. Nombre d’officiers supérieurs le regrettent vivement.

Mme Michèle Alliot-Marie lui a assuré qu’elle rajoutait toujours le grade, à la main, dans les courriers soumis à sa signature.

M. Michel Voisin a tenu à rendre hommage aux hommes et aux femmes qui composent un outil de défense dont on a tout lieu d’être fier. Si les progrès réalisés par la défense dans tous les domaines doivent être appréciés à leur juste valeur, le temps n’est-il pas venu de réviser le livre blanc sur la défense, voire d’en écrire un nouveau afin de tirer les conséquences des évolutions intervenues depuis 1994, qu’il s’agisse des événements de 2001 ou du nouveau contexte lié à la mondialisation ?

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné à quel point le livre blanc a représenté une chance pour la France en lui permettant d’anticiper beaucoup sur les situations. Cela étant, la réponse apportée aux diverses crises nécessite d’être régulièrement revue. Il convient de réserver une capacité permanente d’adaptation et de souplesse. À l’instar de la pratique de la version actualisée du référentiel dans le domaine du matériel, c’est pratiquement chaque année qu’il faudrait remettre à jour l’analyse stratégique. Dans un contexte aussi changeant, on peut difficilement envisager de consacrer deux ans à élaborer un livre blanc pour fixer l’état du monde pour les quinze ans qui viennent. Ce qu’il faut adapter, ce sont les capacités de réponse en fonction des variations, sachant que les grandes menaces – terrorisme, prolifération nucléaire, crises régionales – n’ont pas fondamentalement changé. Seule l’analyse des origines des crises permet d’anticiper ce que seront les prochaines et de préparer une réponse globale en impliquant plusieurs ministères dans la réflexion.

En conclusion, Mme Michèle Alliot-Marie s’est associée à l’hommage rendu par les membres de la commission aux hommes et aux femmes qui, en concourant à la défense de la France, permettent au pays de tenir son rang.