DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 14

Mardi 18 mars 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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- Présentation du rapport d'information sur les conséquences des politiques européennes sur l'aménagement du territoire (MM. Joël Beaugendre et Philippe Folliot, Rapporteurs)

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M. Emile Blessig, président, a indiqué que la présente réunion permettrait d'évaluer l'exécution de la programmation actuelle des fonds structurels et d'envisager leur avenir en France au regard de l'élargissement de l'Union européenne.

M. Joël Beaugendre, rapporteur, a souligné que les crédits structurels avaient été consommés à près de 90 % dans les départements d'outre-mer pendant la période 1994-1999, ce qui ne différait pas du taux d'exécution en métropole, contrairement aux idées reçues. Il est vrai que le taux d'exécution pour la période 2000-2006 est très faible (9,3 % actuellement) mais la récente réforme lancée par le gouvernement devrait permettre une nette amélioration de ce taux. Quant à la Corse, aucun élément objectif ne fonde son maintien dans l'objectif 1 au-delà de 2006 mais la Délégation soutient le gouvernement et les élus de l'île pour que la Corse soit bénéficiaire, après 2006, d'une aide spécifique au nom de son insularité.

M. Emile Blessig, président, constatant la diminution du PIB par habitant en Guyane et en Guadeloupe, a demandé des explications sur cette tendance.

M. Joël Beaugendre, rapporteur, a souligné que la Guadeloupe constituait un archipel éclaté et que l'immigration clandestine était particulièrement importante dans la partie française de l'île de Saint-Martin. Il en est de même en Guyane qui souffre de l'immigration en provenance du Surinam et du Brésil.

M. Jean-Claude Lemoine a insisté sur les contraintes liées au fonctionnement de l'administration en France, qui s'ajoutent aux contraintes communautaires.

M. Joël Beaugendre, rapporteur, a rappelé que les préfectures en outre-mer ne disposaient pas de personnels en nombre suffisant pour gérer les fonds structurels.

M. Emile Blessig, président, s'est inquiété de la sous-consommation des crédits structurels en outre-mer et a fait part de ses craintes d'un dégagement d'office pour 2003.

M. Joël Beaugendre, rapporteur, s'est félicité d'un récent changement de cap qui a permis la sensibilisation des exécutifs locaux à une bonne consommation des fonds et qui a simplifié considérablement les procédures.

M. Philippe Folliot, rapporteur, a ensuite présenté le volet du rapport concernant les fonds structurels en métropole et l'avenir de la politique régionale européenne. La France a reçu de l'Union européenne des sommes appréciables au titre des fonds structurels. De 1994 à 2006 notre pays aura en effet perçu 28,5 milliards d'euros (186,67 milliards de francs). A titre d'exemple, 31 % de la population française était éligible à des projet relevant de l'objectif 2, à comparer à 18 % pour la moyenne dans l'Union européenne.

La Délégation, comme le gouvernement dès le mois de juillet 2002, a constaté de nombreuses lourdeurs de procédure. Ces lourdeurs ont induit des retards et ont empêché une consommation à 100 % des crédits. Le taux de consommation s'est en moyenne établi entre 90 et 95  % selon les départements, ce qui est un taux appréciable. Mais l'on peut estimer que 11 milliards de francs n'ont vraisemblablement pas été dépensés, ce qui constitue en valeur absolue une somme non négligeable. La période actuelle de programmation a commencé en 2000 et s'achèvera en 2006. Les taux de programmation étaient alarmants il y a six mois, mais grâce à l'action du gouvernement et à une réforme conduite avec célérité par la direction de la comptabilité publique, on constate un net redressement.

A partir de 2007, le contexte politique et économique qui justifie la politique structurelle va radicalement changer. L'élargissement de l'Europe à vingt-cinq Etats membres représente un défi sans précédent pour la compétitivité et la cohésion interne de l'Union européenne. Plusieurs éléments doivent être pris en compte, notamment :

- un accroissement des disparités économiques au sein de l'Union : en termes de PIB par habitants, l'écart entre les 10 % de la population vivant dans les régions les plus prospères et les 10 % de la population vivant dans les régions les moins prospères aura plus que doublé par rapport à la situation actuelle ;

- un changement géographique dans la répartition des disparités : dans une Europe à vingt-cinq Etats membres, 116 millions d'habitants - soit environ 25 % de la population totale - vivront dans des régions où le PIB par habitant sera inférieur à 75 % de la moyenne communautaire (contre 68 millions d'habitants, soit 18 % du total, dans l'Union actuelle). Parmi ceux-ci, quatre citoyens sur dix résideront dans les régions des Etats membres actuels, alors que les six autres seront des ressortissants des pays candidats.

- une situation de l'emploi moins favorable : trois millions d'emplois devront être créés pour aligner le niveau moyen d'emploi dans les nouveaux Etats membres sur celui de l'Union européenne, en raison de la tendance au déclin du taux d'emploi et d'un taux de chômage de longue durée et des jeunes plus élevé. Dans l'Union élargie, des écarts considérables persisteront en matière d'emploi, notamment en fonction de l'âge, du sexe et du niveau de qualification.

A l'évidence, la majorité des fonds structurels sera concentrée sur l'Europe centrale et orientale. Le gouvernement français a souscrit à cette optique dès le Conseil européen de Berlin et il a confirmé sa position dans un récent mémorandum adressé à la Commission européenne.

Notre pays admet donc de recevoir moins d'aides structurelles pour la métropole, sachant qu'il est certain que les aides d'objectif 1 seront pérennisées dans les départements d'outre-mer, et qu'elle seront vraisemblablement reconduites sous une forme nouvelle en Corse. La négociation se déroule actuellement. Pour notre pays, les enjeux sont clairs :

- si la plupart des régions françaises sont riches au regard des statistiques communautaires, ces dernières dissimulent des disparités à l'intérieur des régions, et de nombreux cantons, voire des départements entiers, demeurent à l'écart des progrès économiques et sociaux dont bénéficie le continent européen ;

- dans la mesure où la négociation sur les fonds structurels se déroule dans le cadre des perspectives budgétaires pluriannuelles de 2007 à 2013, il faudrait éviter d'enfermer la France dans un dilemme consistant à maintenir la politique agricole commune en contrepartie d'une suppression des aides structurelles en métropole.

La France ne pourra cependant prétendre au niveau actuel de fonds structurels. En conséquence, il faudra déterminer l'utilisation de la prochaine génération de fonds selon des critères précis. Notre pays ne pourra conduire à la fois des politiques de formation professionnelle, de développement rural et d'aménagement urbain sans recourir à un saupoudrage de crédits qui conférera une portée strictement symbolique aux fonds structurels.

L'utilisation des fonds devra répondre à des critères plus sélectifs qu'actuellement. Ces critères détermineront en réalité la nature même de l'aménagement du territoire. L'ensemble des auditions conduites par la Délégation montre que le débat porte sur deux thèmes.

- La question du zonage : La suppression du zonage ou son maintien est liée à l'ensemble de la politique structurelle. La suppression du zonage signifie que les aides seront concentrées sur des thèmes et non des territoires. Son maintien induit le statu quo du principe d'allocation des aides selon le critère de territorialité, même si la diminution des fonds obligera l'Etat à une sélectivité accrue.

- La répartition des aides entre espaces rural et urbain est une question intrinsèquement liée au zonage, mais elle pose également celle de la priorité desdites aides. L'octroi d'aides financières à des quartiers en difficulté se justifie sans nul doute, mais une telle politique accentue à terme la concentration urbaine, alors que l'aménagement du territoire vise à éviter les déséquilibres entre les villes et les campagnes. En outre, communes urbaines et agglomérations disposent le plus souvent d'une base fiscale suffisante pour assurer une péréquation au niveau desdites agglomérations, cette péréquation étant la base de la solidarité interurbaine.

L'espace rural ne bénéficie guère de dispositifs spécifiques. La faiblesse démographique induit l'étroitesse des bases fiscales. Certains facteurs comme l'insularité ou le caractère montagneux du relief accentuent la fragilité de cet espace. La concentration urbaine a pour corollaire la désertification de territoires. Alors que les pouvoirs publics évoquent les réseaux de villes européennes, les investissements en internet à haut débit, des cantons, voire des départements ne disposent pas de réseau routier digne de ce nom, d'accès ferroviaire, d'aérodrome. Or le dernier recensement a clairement démontré le lien entre croissance de la population et voies de communication.

Pour redynamiser l'espace rural, l'Etat doit dégager des critères objectifs et facilement identifiables : la densité de population, le déclin démographique, la faiblesse des bases fiscales, le rapport entre actifs et inactifs, le caractère montagneux ou insulaire du territoire. Ces critères induisent donc la répartition des aides selon le principe de territorialité, en partant de l'hypothèse que lesdites aides auront un effet de levier en zone rurale.

A ce jour, le gouvernement n'a pas pris de position nette en ce domaine. Son mémorandum indique que les actions structurelles ne doivent pas être entravées par les effets pervers d'un zonage a priori, mais le document fait également allusion au développement dans les zones de faible densité et à la complémentarité entre développement rural et politique de cohésion.

Le Rapporteur a souligné qu'au moment où la décentralisation allait être relancée, aménager le territoire signifiait un développement équilibré de l'ensemble des régions françaises et non la concentration des moyens sur quelques métropoles. Les instruments financiers d'aménagement des villes existent déjà. Ils permettent à la solidarité de proximité de s'exprimer grâce à la péréquation entre villes d'une même agglomération. Les financements nationaux et européens existent également pour les infrastructures de transport, qui ont de fortes conséquences sur la localisation des populations et des activités. Certaines zones rurales dépendent en revanche d'investissements seuls à même de relancer leur économie. Il en est de même pour les petites villes qui dépendent d'une seule industrie, ou de ports de pêche concernés par la réduction des quotas de prise. C'est donc vers ces zones que l'Etat devra en priorité concentrer la prochaine génération de fonds structurels.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a déclaré souscrire aux conclusions du rapporteur mais a jugé que l'élargissement de l'Union européenne allait accroître les échanges commerciaux entre Etats membres. Il est crucial que l'Union européenne investisse à la fois en infrastructures et en actions protectrices de l'environnement, surtout en Europe orientale. Par ailleurs, il serait inquiétant que les fonds structurels servent de variable d'ajustement au maintien de la politique agricole commune.

M. André Chassaigne a marqué son accord avec les conclusions du rapport, notamment sur la problématique de l'avenir du monde rural. Toutefois, il a jugé que des critères trop précis risquaient d'exclure certains territoires. Or il ne faut jamais considérer que des territoires sont perdus et il faut plutôt prendre en compte leur renouveau. Les enjeux d'une réforme de la politique agricole commune sont également considérables et il faut se garder d'opposer le développement du monde rural et les modes de productions agricoles. L'aménagement du territoire va de pair avec le maintien de l'activité agricole productive.

M. Jacques Le Nay a déclaré partager avec le rapporteur les conclusions sur la solidarité interurbaine. Il a jugé que la plupart des agglomérations permettaient que villes riches et villes pauvres se côtoient alors que le monde rural consistait souvent en une addition de zones pauvres. Il a regretté que le gouvernement ne s'engage pas plus avant dans la création de zones franches rurales.

M. Jean-Claude Lemoine a estimé que le monde rural vivrait tant que des productions y seraient maintenues. Mais il faut vivifier le territoire et les zones franches rurales pourraient à cet égard constituer un instrument.

M. Jean Launay a approuvé les conclusions générales du rapport et a jugé que les perspectives en étaient également intéressantes. La diminution des crédits structurels obligera l'Etat à affiner ses choix, dégageant ainsi une ligne claire sur les politiques et territoires sur lesquels il faudra porter les efforts des collectivités publiques.

M. Emile Blessig, président, a souligné qu'une Europe à 25 membres constituait un changement radical. La diminution de l'enveloppe structurelle dont bénéficie la France obligera le gouvernement et les élus à se battre pour le maintien d'une partie des fonds. Mais il faut souligner que les régions pourraient fort bien décliner une solidarité infrarégionale, comme celle que l'on constate entre communes d'une même agglomération, à condition d'opérer les péréquations nécessaires, dont on parle beaucoup mais qui ne sont jamais mises en application. Par ailleurs, la diminution drastique des enveloppes consacrées aux objectifs 2 et 3 contraindra l'Etat à redéfinir sa stratégie sur le territoire français. Si l'on conserve le zonage tel qu'il est appliqué actuellement, les territoires ruraux risquent en fait de manquer de stratégie de développement. Enfin, il sera nécessaire à l'Union européenne de développer sa politique de réseaux d'échange, qu'il s'agisse des infrastructures de transport ou des technologies de l'information.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a rappelé que le dernier recensement démographique avait clairement montré le rôle des infrastructures pour l'attractivité des territoires et leur essor démographique.

M. Philippe Folliot, rapporteur, a marqué son accord avec Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont mais il a également souligné l'importance d'un maillage infrarégional. Il a considéré que la plupart des richesses se concentraient vers les villes et leurs premières couronnes et que les zones à faible densité de population devraient recevoir en priorité les aides structurelles.

La Délégation a ensuite autorisé la publication du rapport relatif aux conséquences des politiques européennes sur l'aménagement du territoire.


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