DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 2

Mercredi 3 décembre 2003
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

pages

Rapport d'information sur la désindustrialisation du territoire (M. Max Roustan, Rapporteur) :

- Audition de M. Stephen Pierce, directeur de la Chambre de commerce américain
en France

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M. Emile Blessig, président, a indiqué que la Délégation commençait une série d'auditions sur le thème de la désindustrialisation du territoire. Or, la Chambre de commerce américaine vient de publier une étude sur l'attractivité du territoire français aux yeux des investisseurs américains. Cette étude entre à l'évidence dans le cadre des travaux que conduit la Délégation. Il est également intéressant de connaître la perception de la Chambre de commerce américaine sur les handicaps et les atouts de l'économie française.

M. Stephen Pierce, directeur de la Chambre de commerce américaine en France, a rappelé que la Chambre de commerce américaine avait été fondée en 1894 par John Pierpont Morgan lorsque les Etats-Unis négociaient avec la France la diminution des droits de douane sur les machines servant à fabriquer les chaussures. La Chambre est une association relevant de la loi de 1901. Son rôle est de conduire des actions de lobbying afin que les entreprises américaines soient à égalité avec les entreprises françaises, notamment pour les appels d'offre publics. Elle rassemble 1250 entreprises, qui emploient elles-mêmes 480 000 salariés. Si l'on ajoute les sous-traitants, 2,5 millions de personnes dépendent des investissements américains en France. Les entreprises américaines ont une bonne image des salariés français. Ainsi, 99 % des PDG de filiales américaines sont français et la proportion de cadres français est également très forte.

La Chambre de commerce américaine conduit chaque année depuis 1995 une étude sur l'attractivité du territoire français. Cette étude a le mérite de se fonder sur les mêmes questions, ce qui permet d'apprécier l'évolution de la perception de l'économie française par les Etats-Unis. Il convient toutefois, au préalable, de préciser que les délocalisations ne sont pas le seul fait des entreprises étrangères puisque d'après les statistiques de l'INSEE, pour chaque emploi créé en France par une entreprise étrangère, les entreprises françaises en créent huit à l'étranger. Les délocalisations sont avant tout d'origine française.

Parmi les points favorables cités par les investisseurs américains figurent la localisation géographique au cœur de l'Europe, la qualité des infrastructures de transports, notamment les réseaux ferroviaires et autoroutiers, la qualité des équipements de télécommunication, l'excellence de la main-d'oeuvre et la productivité de celle-ci. Par ailleurs, les entrepreneurs américains apprécient le niveau élevé des cadres, qu'ils soient issus des grandes écoles ou du système universitaire.

Les aspects positifs ont toujours gommé les points négatifs que sont la cherté de la main-d'oeuvre, le poids des charges sociales et la fiscalité. Mais en 2003 les points négatifs sont devenus primordiaux pour les investisseurs américains ce qui constitue un retournement psychologique qu'il convient de noter. Les Américains s'inquiètent principalement de l'augmentation des charges sociales alors que le déficit des comptes sociaux s'accroît et que le problème de l'AGIRC et des mutuelles n'est pas réglé.

Les investisseurs américains ont considéré que la limitation du temps de travail à 35 heures permettait plus de flexibilité, notamment dans les grandes entreprises. Ils ont donc accueilli favorablement cette législation. Mais ils considèrent actuellement qu'elle induit des pertes de productivité et que le blocage salarial auquel elle aboutit ne motive pas les ouvriers et les employés. Seuls les cadres sont bénéficiaires de ce système. En outre, cette législation est désastreuse pour l'image de la France, les Américains considérant que ce pays ne crée pas un contexte favorable à la bonne marche des affaires. Or, les événements du 11 septembre les ont conduit à réduire leurs investissements à l'étranger. Dans ce contexte, l'image global que donne un pays revêt une grande importance dans un monde de plus en plus globalisé.

La Chambre de commerce américaine n'a pas pour habitude de prendre de position diplomatique. Elle constate simplement que la tension entre la France et les Etats-Unis n'a eu que peu d'effets sur le climat des affaires. L'amitié entre la France et les Etats-Unis est solide et les Américains présents en France n'ont pas la sensation d'un anti-américanisme virulent, mais il convient de noter que les entreprises employant plus de 10 000 salariés comme la General Motors ou IBM se posent la question de savoir si l'état des relations bilatérales aura un impact sur le climat des affaires.

L'économie américaine a intégré la stratégie de globalisation économique depuis les années 1950. Si l'on prend comme exemple le secteur du textile, on rappellera que les grands Etats cotonniers étaient le Maine, le Massachussets, le Newhampshire et la Virginie. L'ensemble de l'industrie cotonnière a ensuite été « délocalisé » dans les Etats du Sud (Géorgie, Alabama), car les ouvriers noirs, non syndiqués, constituaient une main-d'oeuvre avantageuse au plan salarial. Les industriels ont ensuite transféré une grande partie de leurs usines au Mexique. Actuellement, la main-d'oeuvre mexicaine a un coût salarial supérieur au reste de l'Amérique centrale et des Caraïbes. On assiste donc à une nouvelle vague de délocalisation vers des pays comme le Guatemala.

Le secteur des téléviseurs a connu une évolution similaire. Aucun téléviseur n'est produit sur le sol américain alors que les Etats-Unis constituent toujours le premier marché du monde sur ce type de produit. Les Américains sont capables de s'accomoder de la perte de pans entiers de leur industrie dans la mesure où ils ont la capacité d'innover et de créer de nouveaux produits.

M. Emile Blessig, président a jugé que la globalisation constituait un défi pour toutes les économies occidentales. Il a souhaité savoir si l'économie française avait, à l'instar de l'économie américaine, la capacité de réagir rapidement à des phénomènes de délocalisation.

M. Stephen a considéré que la France était le pays le plus conservateur du monde. La vraie différence entre la France et les Etats-Unis réside dans la structure sociale. Les Américains sont plus mobiles. Il est facile d'embaucher et de débaucher le personnel grâce à la grande fluidité du marché du travail. En outre, la densité du réseau des écoles américaines à l'étranger rend l'expatriation plus facile. Les Français sont relativement méfiants à l'égard de la globalisation économique, même s'ils s'y rallient, mais le succès d'un mouvement comme celui de José Bové est révélateur de cette mentalité.

M. Emile Blessig, président, a souhaité connaître les pays européens les plus attractifs aux yeux des Américains.

M. Stephen Pierce a cité d'emblée la Grande-Bretagne et l'Eire en raison de la flexibilité de leur marché du travail et de leur système social similaire à celui des Etats-Unis. La France et la Belgique ont des systèmes sociaux moins souples. Si la France acceptait de modifier les procédures d'embauche et de licenciement, elle serait plus attractive pour les industriels. Ce point est important dans la mesure où l'Union européenne va s'élargir aux pays d'Europe de l'Est dont le marché du travail se caractérise par une extrême fluidité.

M. Serge Poignant a remercié M. Pierce pour la franchise de ses propos et a demandé si la désindustrialisation des pays d'Europe comportait des aspects positifs. Il a également souhaité savoir de quelle manière les Américains percevaient les positions françaises au sein de l'Union européenne, sur la politique agricole commune et les orientations à donner à l'Organisation mondiale du commerce. Il s'est ensuite déclaré préoccupé par la perception américaine d'une France rétive au travail dans la mesure où les efforts du gouvernement français visent justement à donner une image différente de notre pays. Est-ce que d'autres facteurs, comme l'attitude des syndicats français, constituent un handicap supplémentaire ?

M. Stephen Pierce a estimé qu'une désindustrialisation n'était jamais positive pour un pays. Mais elle est parfois nécessaire pour préserver les marges des entreprises car il est impossible de soutenir la concurrence de pays dont la main-d'oeuvre se caractérise par des coûts très bas. La France est au défi de mobiliser toutes ses forces vives pour que son économie soit plus créatrice. Les positions de la France au sein de l'Union européenne n'ont que peu d'influence sur les entreprises américaines. Ces dernières considèrent en effet que l'Europe économique est réalisée grâce à l'euro. Ironie de l'histoire, les principaux bénéficiaires de l'euro sont les entreprises américaines qui, ayant des filiales dans différents pays européens, ont ainsi consolidé leur bilan.

M. Pierce a ensuite rappelé que le syndicalisme était extrêmement important aux Etats-Unis et que les employeurs américains avaient coutume de négocier avec des syndicats puissants et bien organisés. L'attachement des salariés américains à leurs syndicats provient à ce que ces derniers offrent à leurs membres de véritables services : assurance-maladie, paiement des salaires en cas de grève grâce à une trésorerie... En revanche, les Américains comprennent mal pourquoi Paris est paralysé par des employés de transport qui ont le statut de fonctionnaire. Ils en retirent l'impression que les Français ont une propension à la grève alors que la France connaît statistiquement moins de conflits sociaux que la Grande-Bretagne ou l'Allemagne. La Chambre de commerce américaine est plutôt partisane du développement d'un syndicalisme fort car il est actuellement difficile de négocier en France avec des syndicats qui ne représentent rien.

M. Pierce a précisé qu'il était toutefois impossible que l'Europe perde toutes ses industries. Nombreuses sont celles dont l'existence est liée à la proximité de leurs marchés. Les industries américaines ne quittent pas pour l'heure le territoire français. Mais l'accroissement de la présence américaine s'effectue actuellement dans le secteur tertiaire. Les liens économiques entre la France et les Etats-Unis sont solides. Ils sont de nature historique. Or, on ne tourne pas le dos facilement à l'histoire.


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