DÉLÉGATION

À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT

DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 7

Mercredi 4 février 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Serge Poignant, vice-président

SOMMAIRE

   

Rapport d'information sur la désindustrialisation du territoire (M. Max Roustan, Rapporteur) :

- Audition de M. Kiyoji Katakawa, président de la Chambre de commerce et d'industrie japonaise en France, président de Tomen France ; M. Yukata Goto, vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie japonaise, directeur général de Shiseido France ; M. Katsuyuki Nagatsuka, secrétaire général de la Chambre de commerce et d'industrie japonaise en France, et M. Shigefumi Goto, directeur général chargé de la communication de Toyota Europe.....................

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Après avoir présenté ses souhaits de bienvenue, M. Serge Poignant, président, a souhaité la bienvenue à la Délégation japonaise et a indiqué que la présente audition revêtait pour la Délégation une grande importance dans la mesure où elle donnait un éclairage international à ses travaux. Le Japon est la seconde puissance industrielle du monde, il est géographiquement situé en face de la Chine dont il est le premier partenaire économique. Le phénomène de délocalisation y est de plus grande ampleur qu'en France. Par ailleurs, les entreprises japonaises continuent d'investir en Europe, notamment en Grande-Bretagne et en France, et la Délégation attache un grand prix à connaître l'avis d'entrepreneurs japonais sur les atouts et les handicaps de notre économie.

M. Kiyoji Katakawa, président de la Chambre de commerce et d'industrie japonaise en France, président de Tomen France, a rappelé que l'économie japonaise sortait à peine d'une crise qui a duré onze ans. De 1991 à 2002, le Japon, en terme de compétitivité, est passé de la 1ère à la 30ème place. Pour retrouver son leadership, le Japon recherche des conditions de production dans des pays plus compétitifs. Or la Chine est son voisin immédiat et produit à moindre coût. L'émergence de l'économie chinoise date des années 80 mais s'est à l'évidence accentuée depuis les années 90. Le PIB de la Chine atteint désormais 25 % de celui du Japon. Aussi est-il logique que plus de 15 000 sociétés japonaises aient investi dans ce pays. La croissance chinoise a dépassé 9 % en 2003 et, à titre d'exemple, l'on rappellera que la construction automobile chinoise, avec 4,4 millions de véhicules produits, a dépassé celle de la France en 2003, et elle sera supérieure à celle de l'Allemagne dans le courant de l'année 2004. Les délocalisations obéissent à un mouvement logique de l'économie. Le Japon se situe dans l'environnement de l'Asie du Sud-Est où la main d'oeuvre est partout abondante et d'un coût peu élevé. Il lui est donc inutile d'investir dans des produits à faible valeur ajoutée. L'économie japonaise trouve plutôt ses sources de croissance dans les produits invisibles, à haute technologie.

Si la Chine est le premier partenaire économique du Japon, elle l'est également pour la Corée, l'Union européenne et les Etats-Unis. En d'autres termes, la Chine est un partenaire économique incontournable et sa montée en puissance est inéluctable. Son entrée au sein de l'Organisation mondiale du commerce est donc un événement positif. Politiquement, cette entrée démontre que la libéralisation de l'économie est de l'intérêt de tous les pays du monde. Qu'il s'agisse de l'Union européenne, de l'ALENA ou de l'ASEAN, la plupart des zones géographiques mondiales organisent des zones de libre échange. Le Japon essaie également de former une communauté asiatique. Ces zones économiques ont pour objectif de déterminer les lieux les plus appropriés pour produire des biens et des services.

M. Serge Poignant, président, a relevé que le Japon avait délibérément choisi de délocaliser une partie de sa production industrielle. Il s'est interrogé sur la manière dont les entreprises formaient ou reclassaient leurs salariés.

M. Kiyoji Katakawa a indiqué que le gouvernement japonais avait mis en place depuis dix ans un programme de formation professionnelle de grande ampleur. Sa caractéristique est de viser en priorité les salariés âgés, dont l'adaptabilité aux nouvelles technologies est moindre. Par ailleurs, les salariés japonais hésitent moins à s'expatrier à l'étranger, y compris en Chine ou en Inde même s'ils y touchent des salaires inférieurs. Il est vrai que la Chine met en place des conditions propres à attirer les cadres : logement, recherche de travail pour le conjoint...

M. Serge Poignant, président, a demandé quelle était la source de financement du programme de formation professionnelle. S'agit-il plutôt de crédits publics ou de financements privés ? En est-il de même pour la recherche et le développement ?

M. Kiyoji Katakawa, a précisé que l'Etat finançait la plupart des programmes de formation

M. Shigefumi Goto, directeur général chargé de la communication de Toyota Europe, a indiqué que les dépenses de recherche et de développement atteignaient 3,3 % du PIB japonais, à comparer à des taux de 2,6 % aux Etats-Unis et 2,2 % en France. La part de l'Etat au sein de la totalité des crédits de la recherche est de 41,3 % en France, de 27 % aux Etats-Unis et de 21 % au Japon. La recherche privée est donc plus importante dans ces deux pays. Pour sa part, Toyota consacre 4 % de son chiffre d'affaires à la recherche et au développement et près de 8 % à des investissements en nouveaux équipements.

M. Serge Poignant a souhaité des précisions sur la perception, par les entreprises japonaises, de l'attractivité du territoire français.

M. Yukata Goto, vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie japonaise, directeur général de Shiseido France, a souhaité répondre à partir de l'exemple de Shiseido. Cette société, second producteur mondial de produits cosmétiques, possède dix usines au Japon et onze dans d'autres pays, parmi lesquels trois sont situées en France. Deux usines, implantées dans le Loiret, produisent des parfums pour le marché mondial, tandis que la troisième usine assure la production des marques Décléor et Carita, rachetées par Shiseido. Le choix de la France est issu d'un processus historique de longue date. Shiseido a entretenu des liens avec notre pays dès 1872. Elle a participé à l'émergence de nombreux créateurs de mode, parmi lesquels Claude Montana et Jean-Charles de Castelbajac. Compte tenu de l'image de la France dans le domaine de la mode et de la création, Shiseido a considéré ce pays comme une plate-forme naturelle pour conquérir certains marchés. Des produits y ont été vendus depuis les années 80 et depuis cette période, Shiseido a créé neuf sociétés en France employant 1300 salariés. Certains produits ne portent pas le nom de Shiseido : il en est ainsi des parfums Issey Miyake. Paris participe également de l'image globale de Shiseido en Europe, grâce notamment aux travaux du designer Serge Lutens. La créativité et la capacité à dégager de nouveaux concepts sont incontestablement des atouts français. Les Japonais, de leur côté, ont une grande habileté à donner une forme concrète à des projets. Il y a donc complémentarité entre nos deux peuples.

M. Serge Poignant, président, a souhaité obtenir des précisions sur les secteurs économiques dans lesquels les entreprises japonaises investissaient en France et en Europe.

M. Shigefumi Goto, puis M. Katsuyuki Nagatsuka, secrétaire général de la Chambre de commerce et d'industrie japonaise en France, ont rappelé qu'environ 200 entreprises japonaises étaient implantées en France, employant 260 000 salariés. Elles réalisent 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Les investissements concernent tous les secteurs économiques. Il faut toutefois noter que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis reçoivent largement plus d'investissements que la France.

M. Serge Poignant, président, a considéré que l'image de créativité portée par notre pays constituait une perception intéressante. Il a également souhaité connaître l'avis de la délégation japonaise sur des problèmes plus classiques comme la fiscalité, le droit du travail ou la limitation de la durée hebdomadaire du travail à 35 heures.

M. Shigefumi Goto, a considéré que l'environnement fiscal avait son importance mais qu'il était loin de constituer le seul critère. Toyota s'implante là où se trouve le marché. Les investissements en Europe s'effectuent après de longues études dans lesquelles sont examinés le rendement des personnels et leur productivité. Le choix d'Onnaing, près de Valenciennes, s'est imposé en raison de la forte concentration des équipementiers en automobile, des facilités de liaison avec les autres usines du groupe situées en Grande-Bretagne et de la proximité du siège européen de Toyota à Bruxelles. Par ailleurs, Toyota a soigneusement examiné la capacité de la main d'oeuvre à s'adapter à la culture industrielle japonaise. Il faut également noter l'aide appréciable du gouvernement français, de la DATAR puis de l'AFII et des élus locaux. Le gouvernement français n'a pas hésité à nommer un sous-préfet chargé de faciliter les relations de Toyota avec l'ensemble des administrations françaises. Cette mesure a été très appréciée par Toyota, qui l'a analysée comme une volonté d'accueil. Quant à la réduction du temps de travail, aucune entreprise ne peut admettre qu'elle puisse s'appliquer sans créer de difficultés. Mais elle permet une souplesse de gestion et sa mise en place n'a pas fait obstacle à l'implantation de Toyota à Onnaing.

M. Serge Poignant, président, a souhaité connaître l'avis de la Délégation japonaise sur l'avenir de l'économie française.

M. Kiyoji Katakawa a ajouté que l'image de la France ne se résumait plus à la culture, à la mode, à la philosophie ou à la gastronomie mais qu'elle s'était complétée, au Japon, par la perception d'un pays industrialisé. Plusieurs facteurs ont concouru à la modification de cette image : l'alliance entre Renault et Nissan, l'implantation de Toyota en France, la filiale commune de Toyota et de Peugeot en République tchèque et les succès du TGV. Il faut également citer l'image très positive que le Président Jacques Chirac a au Japon, pays où il s'est rendu 44 fois. Il y est considéré comme un fin connaisseur de la culture japonaise. Plus récemment, le redressement de Nissan a permis à son Président, M. Carlos Ghosn, de devenir une star et a donné de la France l'image d'un pays sérieux. Malgré une récente maladresse sur le Sumo, qui a beaucoup choqué les Japonais, les relations entre nos deux pays sont excellentes. Si la Grande-Bretagne reste la première zone d'investissements japonais en Europe, elle le doit plus à des liens historiques anciens avec le Japon et à la prééminence de l'anglais. Mais elle n'a pas adhéré à l'euro et elle ne dispose pas des mêmes atouts économiques que l'Europe continentale. Il est certain que les implantations japonaises s'accroîtraient en France si les Français avaient une meilleure maîtrise de la langue anglaise.

La fiscalité n'est rien d'autre qu'un mode de vision sociale. Les impôts, comme les charges sociales, sont moins élevés en Grande-Bretagne qu'en France mais le système anglais de santé publique y est moins performant. La qualité de la protection sociale est aussi un facteur d'implantation. Tous les investisseurs savent que l'on déroule le tapis rouge pour les attirer. Mais le principal défi est ensuite de s'adapter aux évolutions de la conjoncture. Là réside sans doute le handicap principal de la France dont le marché du travail est peu flexible. La réactivité aux évolutions économiques y est plus lente qu'ailleurs et elle induit sans doute un risque de non localisation.

M. Yukata Goto a rappelé que les entreprises membres de la Chambre de commerce et d'industrie japonaise en France avaient toutes investi dans d'autres pays de l'Union européenne et que la France n'était pas leur premier centre d'implantation. La plupart des Japonais considèrent que Londres est le cœur de l'Europe. Il est donc nécessaire que les pouvoirs publics français fassent des campagnes de communication pour mieux vendre la France, et que les Français fassent l'effort de maîtriser les langues étrangères. Les problèmes d'image ne sont jamais irréversibles. Dans un récent passé, l'image de la France n'était guère positive au Japon en raison du blocage d'importations de magnétoscopes à Poitiers et de la position française sur les quotas automobiles. Le travail du Président Jacques Chirac a été considérable pour redresser l'image de la France au Japon.

M. Serge Poignant, président, a relevé que la question d'image et de culture semblait primordiale pour les Japonais.

M. Kiyoji Katakawa a ajouté que les investissements d'entreprises françaises (Schneider électrique, Saint-Gobain...) participaient également d'une meilleure compréhension entre les deux pays.

M. Yukata Goto a souligné que la qualité de l'accueil constituait un critère bien plus important que le niveau de fiscalité.

M. Serge Poignant, président, a déclaré partager cet avis qui renforçait à la fois la qualité des relations humaines et les intérêts économiques mutuels. Il a ensuite remercié les membres de la Délégation japonaise pour la clarté de leurs propos.


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