DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 12

Mercredi 26 mai 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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Rapport d'information sur la désindustrialisation du territoire (M. Max Roustan, rapporteur)

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M. Max Roustan, rapporteur, a indiqué que le thème de la désindustrialisation était au coeur de l'actualité, avec différents rapports publiés par la DATAR, le ministère de l'Industrie et certaines fédérations d'entreprises. Bien qu'il existe de nombreuses statistiques, les conclusions concordent rarement. L'implication du Président de la République, du Gouvernement, et plus récemment de la Commission européenne a fait de cette question un thème central du débat politique.

Ce problème national concerne au premier chef les territoires et leurs élus. Ces derniers sont en effet en première ligne en cas de fermeture d'usine. Or l'INSEE, tout en confirmant la baisse de l'emploi industriel, indique que l'industrie forme toujours 20 % de la richesse nationale et 40 % si l'on inclut les services qui y sont liés. Il existe donc un décalage entre des statistiques rassurantes et la perception par le corps politique et social d'une situation plus brutale.

Si la désindustrialisation du territoire n'est pas une certitude absolue, l'accélération des mutations économiques est indéniable, au point de déborder les capacités d'adaptation de la société française. En raison de la concentration géographique qui prévaut pour nombre d'industries, ces mutations jouent surtout sur certains territoires. Il y a bien désindustrialisation de territoires, mais celle-ci ne produit pas socialement les mêmes effets dans une région de mono industrie ou disposant d'un tissu économique diversifié. La réponse des pouvoirs publics ne peut être homogène en conséquence, et se trouve contrainte d'évoluer. Et force est de constater que si l'Etat et les collectivités locales accomplissent de notables efforts, le dispositif public n'a pas encore pris la pleine mesure d'une économie en constante mutation. Mais l'on pourrait sans doute adresser le même reproche à certaines fédérations d'entreprises, et plus largement, à l'ensemble de la société française.

L'année 2003 a été marquée par une augmentation considérable des fermetures d'entreprises industrielles. La principale question, à laquelle le rapport ne pourra malheureusement répondre avec certitude, est de savoir s'il s'agit d'un effet du ralentissement de la conjoncture ou si la montée en puissance de la Chine, l'élargissement de l'Union européenne à l'Europe de l'Est, le montant de la dette publique, l'affaiblissement du potentiel de recherche, la financiarisation de l'économie et les rigidités du droit du travail se conjuguent pour enrayer l'activité industrielle sur notre territoire. En ce cas, la désindustrialisation serait un phénomène structurel, affectant dans un premier temps le tissu économique et social de notre pays, avant d'amoindrir sa puissance. Le débat dépasse alors largement la seule sphère économique pour s'étendre à la capacité de la société française à s'adapter à un monde nouveau. Cette question n'est d'ailleurs pas l'apanage de notre pays. Elle est également posée aux Etats-Unis et en Allemagne, en des termes certes différents car la compétitivité industrielle de ces deux nations s'est maintenue ces dernières années. La réponse apportée par chaque pays est le plus souvent d'ordre national, et l'on ne peut que regretter, sur le continent européen, qu'un problème lié à la fois à notre compétitivité et à l'élargissement des limites de l'Union ne puisse être résolu dans le cadre communautaire.

Le rapport analyse en premier lieu la notion de mutation. Les changements industriels que notre pays traverse ne sont plus uniquement dictés par des raisons de survie, comme l'étaient les restructurations des années 1970, mais sont également initiés par des entreprises en bonne santé financière et touchent des usines souvent rentables, en raison d'exigences de compétitivité. Là réside à l'évidence un problème social, qui suscite à la fois l'indignation et l'incompréhension des salariés. Les mutations sont permanentes, elles concernent tous les secteurs et tous les territoires. Elles induisent dans le jeu social un principe d'instabilité auquel la France est d'autant moins préparée qu'elle ne dispose pas des outils d'anticipation et d'adaptation qui rendraient acceptable cette nouvelle donne. Cette instabilité apparaît comme la rançon d'un progrès économique sans perspective de progrès social. A côté des mutations apparaît l'émergence d'un système économique de réseau où l'allocation des facteurs de production s'effectue à l'échelle mondiale. Nos territoires sont donc en concurrence avec l'ensemble du monde. La mise en concurrence des facteurs de production est évidemment la cause principale des délocalisations comme des non-localisations, lorsque les écarts de salaires ou de charges sociales sont trop importants. S'y ajoutent certains facteurs comme le taux d'imposition ou de moindres contraintes réglementaires (temps de travail, normes environnementales). Ainsi s'expliquent en partie la délocalisation des secteurs du textile, du cuir et de l'électroménager, qui ont touché le Nord, le bassin des Vosges, la Lorraine et la Basse-Normandie, même lorsqu'il s'agissait d'établissements rentables. Mais dans un marché ouvert, rentable ne signifie pas toujours concurrentiel.

L'industrie elle-même a connu de profonds changements dans ses modes de production. Le fait central réside dans la tertiarisation croissante des activités industrielles, conséquence de la sophistication croissante des produits. L'industrie consomme des services. Contrairement à une idée reçue, les activités de services ne se substituent pas à l'industrie. Elles accompagnent son essor ou son déclin. Une industrie diversifiée, dynamique, innovatrice génère une multitude d'activités autour d'elle, formant un réseau d'entreprises.

Les mutations n'ont pas le même sens selon les régions. Lorsque le tissu industriel est abondant et diversifié, les mutations passent quasiment inaperçues. C'est ainsi que l'Ile de France ou la Haute-Normandie ont subi sans crise majeure la fermeture de milliers d'établissements en 2003. La situation est évidemment différente dans des bassins d'emplois de monoindustrie, ou dans des régions aux activités peu diversifiées. Tributaire de la plasturgie, de l'optique et de l'automobile, la Franche-Comté figure au premier rang des régions quant aux faillites d'entreprises en 2003.

Si la Chine et l'Inde montent en puissance, ces deux pays ne sont pas, à eux seuls, à l'origine des problèmes de notre industrie. Il existe certes des délocalisations vers ces pays en raison de différences de coûts mais nos entreprises s'y implantent essentiellement pour conquérir de nouveaux marchés. L'on relèvera que nos entreprises investissent largement plus aux Etats-Unis et dans l'Union européenne qu'en Inde ou qu'en Chine.

La seconde partie du rapport vise à savoir si notre pays traverse ou non une phase de désindustrialisation. La réponse est clairement négative, avec néanmoins une interrogation à partir de l'année 2003. Sur une longue période, il est évident que tous les secteurs industriels, à l'exception de l'agro-alimentaire, ont perdu des emplois, mais la part de l'industrie dans la formation de la richesse nationale s'est maintenue. Le rapport contient plusieurs tableaux qui retracent les évolutions par secteurs et par régions. Les analyses statistiques révèlent le paradoxe de l'industrie française. La productivité horaire du travail est l'une des plus élevée du monde. Or elle est concomitante d'une relative atonie des investissements en capital. Les gains de productivité ont donc essentiellement pesé sur les efforts des salariés. Sans doute faut-il apprécier à leur juste valeur ces gains de productivité, sauf si on les rapporte au taux de chômage et au sous-emploi chronique - donc structurel - qui frappe notre pays. Compte tenu des rigidités du marché du travail, qui dissuade les entreprises d'embaucher par crainte de ne pouvoir licencier, les gains de productivité peuvent être interprétés comme le seul moyen pour les employeurs de soutenir la concurrence internationale. Cette stratégie a permis aux entreprises de maintenir leurs marges dans la plupart des secteurs sauf dans ceux où le coût de la main d'oeuvre prédomine dans le calcul du prix en sortie d'usine (textile, cuir, habillement). En ce cas, les gains de productivité ont été insuffisants pour combler les écarts salariaux avec la Chine, la Tunisie ou le Pakistan, ce qui explique que l'effondrement des effectifs n'ait pas suffit à augmenter la production en volume et en valeur.

La productivité élevée de nos salariés ne signifie pas forcément que leur compétitivité se compare favorablement à celle des pays étrangers. La raison provient de ce qu'elle est calculée sur une durée plus courte du travail. La loi sur les 35 heures n'a pas supprimé d'emplois dans l'industrie, mais elle n'en a pas non plus créé. Elle a induit en outre trois effets pervers : l'obligation d'accroître la productivité par tête au détriment de l'embauche, une image de la France défavorable au travail, ce qui est sans doute un facteur de non localisation, enfin la prise en charge par le budget de l'Etat à hauteur de 8 milliards d'euros des allégements de charges sociales liés à la RTT alors que le budget de l'Etat est en déficit et que cette somme trouverait sans doute un meilleur usage dans des dépenses comme les infrastructures de transports, l'équipement du territoire en nouvelles technologies ou la formation professionnelle. Ce dernier point est crucial car l'économie française est trop positionnée sur des secteurs traditionnels, où elle subit de plein fouet la concurrence de pays émergents, alors qu'il lui faut monter en gamme dans les nouvelles technologies.

Le débat que nous connaissons a fait prendre conscience de divers handicaps de notre société : sous-investissements, sous-qualification de la main d'oeuvre, dépendance à l'égard du capital d'origine étrangère, insuffisance des efforts de recherche publique et privée. Par ailleurs, si notre territoire conserve une attractivité certaine, celle-ci est faussée par la lecture des statistiques. Les acquisitions d'entreprises françaises par des sociétés étrangères constituent bien des investissements mais ces derniers ne sont pas créateurs d'emplois. Ce serait plutôt le contraire. Or 78 % des investissements relèvent de la catégorie des fusions et acquisitions. La France n'est donc pas un pays spécialement attractif. Les investissements étrangers montrent simplement que notre pays est une économie ouverte.

La dernière partie du rapport est consacrée au rôle des pouvoirs publics : Etat, Union européenne, collectivités locales. L'intervention de l'Etat n'est en elle-même pas un sujet de débat. A l'exception de certaines tendances ultra libérales, personne n'en conteste le bien fondé. L'Etat ne peut fonctionner que par les impôts qu'il perçoit sur l'activité économique générale (entreprises et salariés) et il assure en retour une série de fonctions qui garantissent un environnement favorable aux entreprises, notamment lorsque ces fonctions ne sont pas rentables au sens comptable du terme : administration, formation, infrastructures de transports, éducation, aide aux régions enclavées, culture etc... Il convient de rappeler que l'Etat joue le rôle de gardien ultime du système financier (banques, assurances, marchés financiers) en tant que prêteur en dernier ressort et qu'en cas de faillite ou de départ d'entreprise, l'Etat et les collectivités locales se retrouvent en première ligne pour assumer la reconversion des salariés et des territoires.

Il apparaît nécessaire de reconstruire un Etat qui soit stratège de l'économie. Apparaît ainsi une nouvelle fonction politique, qui réside dans l'anticipation de mutations qui sont devenues permanentes. En effet, si les mutations exigent des entreprises et des salariés qu'ils fassent preuve de mobilité et d'adaptabilité pendant toute leur vie professionnelle, les acteurs économiques et politiques ont le devoir de mettre en place le dispositif assurant cette mobilité.

La problématique est en outre européenne mais l'on relèvera le fort décalage entre les intentions affichées à Lisbonne et Göteborg et la faiblesse des moyens que le budget communautaire consacre aux principaux objectifs. La prise de conscience récente de la Commission européenne, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, des risques de désindustrialisation est néanmoins un premier signe.

Le rôle des collectivités locales est à l'évidence appelé à s'accroître. Les élus locaux n'ont pas attendu la décentralisation pour être les animateurs de leur territoire : apports en fonds propres aux nouvelles entreprises en Alsace, animations culturelles à Lille ou Saint-Nazaire, fonds de garantie financière en Champagne-Ardennes, création de technopôles à Alès, etc... Ces politiques ne peuvent toutefois fonctionner que si les territoires sont désenclavés. Les paysages industriels ne sont dynamiques que s'ils sont à proximité d'infrastructures de transport.

En conclusion, il existe de forts risques sur l'industrie française. Les bassins d'industrie traditionnelle ou de mono-industrie sont menacés. Nous ne pouvons affirmer que la crise de 2003 est conjoncturelle ou est annonciatrice de difficultés générales de compétitivité de notre industrie. Quelles qu'en soient les raisons, l'ensemble du pays, comme les régions qui le composent, ont le devoir de mettre en place les conditions économiques et sociales permettant la modernisation de nos industries.

M. Emile Blessig, président, a souligné la qualité du travail du rapporteur et a estimé que la question des mutations économiques posait le problème des niveaux de décision de la puissance publique. L'on constate une nouvelle fois que l'Etat est obligé d'intervenir alors que son action s'inscrit dans un contexte plus large que celui de la Nation.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a rappelé que l'ensemble des élus locaux était confronté à des problèmes de fermeture d'usines. Le présent rapport a le mérite d'éviter les idées reçues et de rappeler que les mutations économiques constituent un problème général en Europe. La question centrale est de savoir si l'Etat a encore la capacité de peser sur les décisions des grandes groupes. Par ailleurs, la montée en gamme de l'industrie française exige de privilégier les investissements immatériels.

M. Max Roustan, rapporteur, a souligné le changement de nature des délocalisations, qui visent avant tout à soutenir la compétition internationale. Cela pose des problèmes économiques et sociaux à l'échelon local. Il est nécessaire d'établir une stratégie industrielle à l'échelle européenne.

M. Philippe Folliot a déclaré partager les analyses du rapporteur sur le fait que les mutations ne constituent pas un phénomène nouveau mais que ce phénomène s'accélère. Il a cité en exemple l'évolution des pertes d'établissements industriels dans le Tarn. Jusqu'à présent l'Etat n'a fait qu'accompagner les licenciements quand ces derniers avaient un retentissement public alors qu'il faudrait sans doute mettre en place une politique d'anticipation.

M. Serge Poignant a considéré qu'il était indispensable d'anticiper les mutations et d'établir les pôles de compétitivité, mais compte tenu de l'élargissement de l'Europe et de l'émergence de la Chine et de l'Inde, l'industrie française doit déterminer sur quels secteurs il lui faut se positionner.

M. Jean Launay a rappelé que la désindustrialisation de certains territoires relevait d'une tendance sur le long terme, mais que les mutations s'accéléraient ces dernières années, parfois pour des raisons d'opportunité financière. Il a jugé que le rapport était quelque peu excessif à l'égard de la loi sur les 35 heures et s'est interrogé sur la capacité de l'Etat à influer sur les décisions des grands groupes.

M. Max Roustan, rapporteur, a par ailleurs insisté sur l'opacité du droit du travail et l'attitude des tribunaux de commerce qui ont tendance à se transformer en tribunaux de grande instance mettant en cause la responsabilité des chefs d'entreprises, plutôt que de sauver les entreprises. En outre, l'attitude des tribunaux de prud'hommes en cas de licenciements est variable selon les points de notre territoire. Ces incertitudes quant à l'application du droit du travail constituent un élément dissuasif pour les investisseurs étrangers.

M. Emile Blessig, président, a considéré que les cycles économiques se contractaient de plus en plus. Face à l'accélération des mutations, il est nécessaire que les élus sachent construirent les territoires dont ils ont la charge.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, a déclaré s'inquiéter d'un discours favorable à la tertiarisation de l'économie. Il apparaît difficile de créer la richesse sans disposer d'industries nombreuses et diversifiées.

M. Max Roustan, rapporteur, et M. Serge Poignant ont marqué leur accord avec les propos de Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont.

La délégation a ensuite autorisé la publication du rapport d'information.

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