DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT
ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 7

Mercredi 9 février 2005
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Eric Guillon, président du Comité français pour l'environnement et le développement durable (Comité 21)

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La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Eric Guillon, président du Comité français pour l'environnement et le développement durable (Comité 21).

Le président Emile Blessig a présenté le Comité 21. Cette association est née en 1994 à l'initiative de M. Michel Barnier, alors ministre de l'environnement, du regroupement de trois associations : l'Entente européenne pour l'environnement, le Comité français pour l'environnement et la Fondation européenne pour l'environnement, fondées respectivement par Mmes Huguette Bouchardeau, Simone Veil et Bettina Laville. Sa particularité est d'être organisée en quatre collèges : entreprises, collectivités, associations, personnalités et membres de droit. Son président, M. Eric Guillon, est issu du monde de l'entreprise ; il est aussi le Président d'Eco-Emballages et membre du Conseil national des déchets.

Ces caractéristiques rendent précieuses, pour la Délégation, les analyses du Comité 21, notamment sur la stratégie nationale de développement durable et sur les démarches à engager dans le domaine du développement durable par l'Etat, les collectivités publiques et les entreprises.

M. Eric Guillon, président du Comité 21, s'est dit honoré de l'invitation faite par la Délégation au Comité 21. Celui-ci s'efforce de conduire ses analyses, souvent critiques, de façon a ussi objective que possible, en tirant parti de sa composition même, et en procédant par concertation et débat. A l'origine, les réflexions étaient menées au sein des différents collèges, mais il est bien vite apparu que croiser les approches était la meilleure façon de tirer parti de la diversité des composantes de l'association, qui compte désormais 320 adhérents. Tous les sujets sont abordés, sans tabou d'aucune sorte. L'objectif est que la décision prise le soit sur la base de consensus solides et argumentés.

Mme  Anne-Marie Sacquet, directrice générale du Comité 21, a présenté les quatre axes de travail fixés par le conseil d'administration tenu en décembre 2004.

Le premier est l'éducation et la formation au développement durable. C'est un axe essentiel, car les actions et les initiatives achoppent, on le voit bien, sur le manque de formation et d'éducation des citoyens. Cela passe notamment par la déclinaison de la démarche Agenda 21 dans les établissements scolaires, avec définition de référentiels d'évaluation.

Le deuxième axe consiste à ancrer le développement durable dans les territoires. Le Comité 21 dispose pour cela d'un réseau d'adhérents qui sont eux-mêmes des têtes de réseau : communautés urbaines, associations telles que le World Wildlife Fund ou la Confédération nationale du cadre de vie... La mobilisation de ce réseau permet de répondre aux attentes des collectivités et de bâtir des partenariats concrets, notamment pour l'établissement d'agendas 21, ou l'élaboration de nouveaux modes de décision et d'action publiques.

Le troisième axe consiste à promouvoir un développement économique responsable, qui préserve l'environnement et garantisse aux salariés des conditions de vie et de travail harmonieuses. Les quelque cent entreprises adhérentes du Comité ont participé à ses travaux en vue d'élaborer des recommandations portant sur quatre secteurs : alimentation, énergie, transports, déchets. Des panels ont été constitués afin d'identifier les blocages rencontrés et d'envisager des actions concrètes pour les lever. Des engagements ont été pris à la suite de ces travaux.

Le dernier axe est celui des échanges européens. Il s'agit non seulement de s'inspirer des bonnes pratiques observées chez nos voisins, mais aussi de leur apporter nos spécificités, notamment en matière sociale et sanitaire. Des accords ont été conclus avec le Réseau catalan des villes durables et avec la Coordination italienne des Agendas 21 locaux.

M. Eric Guillon a souligné que le concept même de développement durable ne faisait pas encore l'objet d'une véritable appropriation par le citoyen. Dans le meilleur des cas, celui-ci est sensibilisé aux questions d'environnement, mais non à la problématique dans son ensemble, qui reste le fait d'un réseau d'experts. Pourtant, les attentes sont très fortes sur le terrain, où les citoyens sont demandeurs d'une démarche qui les associe. Il importe donc de tout faire pour mettre le concept de développement durable à la disposition de chacun, là où il vit, c'est-à-dire dans sa commune, son département, sa région, son entreprise. Le Comité 21 s'efforce de promouvoir le développement d'agendas 21, qui sont les outils adéquats pour réaliser cet objectif, en apportant notamment les méthodologies nécessaires. Il constate cependant qu'on ne sent pas, au niveau national, malgré le discours tenu par le Président de la République à Johannesburg, de véritable volonté politique de décliner ce concept du haut vers le bas, de l'Etat vers la commune et le citoyen, avec une ambition, des objectifs précis, des délais, des responsables identifiés et une vision d'ensemble. Enfin, on ne sent pas non plus, dans la grande majorité des collectivités, la nécessité de la prise en compte du développement durable. Il en résulte que la France est en retard sur la plupart de ses partenaires européens, notamment méditerranéens : en Italie, il y a déjà 400 Agendas 21 locaux, adaptés aux réalités des territoires.

Ce constat n'a cependant rien de décourageant. On peut même le tenir, au contraire, pour stimulant, car il y a sur le terrain un immense potentiel de prise en charge du développement durable, un gisement inexploité ; on peut le constater lors de toutes les réunions publiques, tant les citoyens sont nombreux à y participer. Pour le dynamiser, il faut d'abord que l'Etat, les ministères, les responsables territoriaux envoient des signaux forts, qui montrent que le développement durable ne se réduit pas aux questions d'environnement, qu'il est créateur de richesses, et qu'il comporte un système de gouvernance dans lequel le citoyen est appelé à devenir acteur. Le développement durable, c'est aussi une démarche d'établissement des choix, et des objectifs partagés à la suite de concertations approfondies, et pas seulement entre des gens qui étaient déjà d'accord au départ... Enfin, il est essentiel de définir des indicateurs pertinents, sans lesquels il n'est pas possible d'avancer : non pas 500 indicateurs, ni même 80, mais une poignée, que le citoyen puisse suivre et comprendre, et sur lesquels il puisse se mobiliser, et de façon à ce que l'action des citoyens puisse s'inscrire au sein d'un système de référence nationale.

Mme  Anne-Marie Sacquet a observé qu'il était impossible au citoyen d'assimiler une stratégie développée en 300 pages et 600 mesures. Même les grandes entreprises ont besoin non pas d'une accumulation de normes, mais d'une synthèse claire, qui les guide dans leurs décisions d'investissement, en matière de transport par exemple. L'Etat aujourd'hui n'offre pas cette synthèse. Par ailleurs, la politique nationale du développement durable manque beaucoup de transversalité : ainsi, la définition des normes HQE (Haute Qualité Environnement) n'a pas été accompagnée du développement des formations à ces techniques ; lorsqu'une société ou un particulier veut rénover un immeuble pour le mettre aux normes HQE, une partie du savoir-faire doit être importée, faute d'être disponible en France.

M. Serge Poignant s'est interrogé sur l'ampleur du domaine du développement durable, sous lequel on range tout aussi bien la pollution, les économies d'énergie, les normes de sécurité, que la démocratie de proximité. Si tout est développement durable, comment le mesurer d'une façon perceptible par le citoyen ? Ne faut-il pas s'en tenir à ce qui est mesurable ?

M. Max Roustan a souligné, en faisant part de son expérience de président de la communauté d'agglomération du Grand Alès, qui emploie deux ingénieurs spécialisés dans l'environnement et le développement durable, les grandes difficultés des élus face aux démarches du développement durable. Les médias ne récompensent guère les efforts faits : localement, un reportage récent portait sur des centres d'enfouissement dégradés, alors qu'on est en train de construire un centre de tri et de compostage très moderne. Le tri sélectif astreint les administrés à un effort supplémentaire, à des redevances plus élevées, mais le produit n'a pas toujours de débouché : combien d'administrations, de collectivités, utilisent du papier recyclé ? les aciers recyclés sont impropres à de nombreux usages industriels. Faute d'une démarche d'ensemble qui soit visible, l'administré se sent pris dans un maillage d'incohérences alors qu'on exige de lui des efforts ; il est difficile de faire appel au seul civisme de chacun.

Le président Emile Blessig a demandé quel regard le Comité 21 portait sur le dispositif institutionnel mis en place par l'Etat pour élaborer et appliquer la stratégie nationale de développement durable.

M. Eric Guillon a répondu que l'Etat s'est doté d'un certain nombre de think tanks pour alimenter sa propre réflexion, mais qu'il ne diffuse guère leurs contributions aux collectivités locales et dans le reste de la société. Or, il y a une demande très forte d'une telle diffusion de la part des élus, des acteurs économiques et des simples citoyens. Faute d'un éclairage adéquat et clairs, les politiques menées au niveau local, par exemple en matière de transports, poursuivent trop souvent un simple objectif de protection de l'environnement, au lieu d'intégrer aussi les dimensions sociale et économique.

La démarche de développement durable inclut en effet une démarche culturelle, de gouvernance. Le citoyen doit avoir part à l'élaboration de la décision et à l'évaluation de l'action. Dire au citoyen « Trie tes déchets et tais-toi » n'est pas une démarche de développement durable. La politique menée doit avoir elle-même une cohérence : comment faire admettre aux gens qu'ils doivent payer plus à cause du tri sélectif, s'ils voient ensuite que les déchets triés sont versés en vrac à la décharge ? La bonne volonté se construit avec patience et longueur de temps, mais se détruit en un instant.

Revenant sur la question des indicateurs, le président Emile Blessig a demandé si ceux élaborés par la Commission des comptes et de l'économie de l'environnement étaient pertinents au niveau national et pouvaient être déclinés au niveau régional et local.

Mme  Anne-Marie Sacquet a souligné qu'il s'agissait d'un chantier complexe, pour lequel la France n'est pas forcément en retard, cette fois, sur ses partenaires européens. Avant de se donner des indicateurs, il convient de savoir quels objectifs politiques on veut atteindre. Ce sont eux qui doivent dicter les choix, sans quoi l'on est soumis à la dictature de la statistique. Un dispositif opérationnel d'indicateurs doit comporter, construits à partir de nombreux indicateurs d'observation, des indicateurs synthétiques de situation et des indicateurs d'action. Un gros travail est en train d'être accompli au sein de l'administration pour identifier les enjeux, mais il reste d'inspiration trop étatique. Il faudrait élargir la perspective.

Le président Emile Blessig s'est étonné qu'il soit si difficile, une fois définis les indicateurs manquants, de les établir. Même si la France n'est pas en retard sur le plan des indicateurs, y aurait-il des exemples étrangers dont elle pourrait s'inspirer ?

M. Eric Guillon a indiqué qu'en Italie la coordination des Agendas 21 était parvenue à se mettre d'accord sur une trentaine d'indicateurs à partir d'une liste initiale de plusieurs centaines.

Mme  Anne-Marie Sacquet a insisté sur l'intérêt qu'il y aurait à s'inspirer de certaines réalisations régionales que l'on peut observer d'assez longue date en Italie ou en Suisse. La définition d'indicateurs suppose la concertation ; or l'on peut craindre au contraire qu'elle ne débouche, en France, sur une tentative de normalisation, de standardisation des démarches Agenda 21, sous la houlette de l'Etat et plus particulièrement du ministère de l'écologie et du développement durable. Il est essentiel que les élus conservent leur capacité d'analyse et d'initiative.

Le président Emile Blessig a demandé si l'établissement de comparaisons européennes entre les actions de développement durable, et notamment entre les Agendas 21, n'impliquait pas une coordination, voire une unification des indicateurs.

M. Eric Guillon a répondu qu'une partie des indicateurs devrait être commune à tous les pays, afin de permettre des comparaisons ; en revanche une autre partie devra être définie aux niveaux régional et local, à partir des démarches engagées à ces niveaux. Ce serait une erreur profonde que de tout normaliser dès le départ en partant du sommet. Une certaine normalisation n'est pas désastreuse en soi, mais encore faut-il qu'elle ait lieu au terme d'une vraie concertation et d'une réelle expérimentation locale, et après avoir tiré les leçons des initiatives prises à la base de la pyramide, en France et ailleurs en Europe. Aujourd'hui, une telle normalisation viendrait trop tôt.

Mme Anne-Marie Sacquet a souligné que le réseau des collectivités territoriales du Comité 21 avait pu constater que tel des 45 indicateurs aurait pu être mieux construit s'il avait été lui-même informé de son élaboration, son information lui étant apparu a posteriori plus complète que celle du rapport.

M. Serge Poignant a signalé que le terme même d'« Agenda 21 » apparaissait souvent obscur aux citoyens comme aux élus, et qu'il était parfois difficile de s'en réclamer.

Le président Emile Blessig s'est interrogé sur l'éventuelle labellisation des Agendas 21. Beaucoup d'initiatives sont annoncées ; s'il faut les classer, qui est le mieux à même d'en décider ?

M.  Eric Guillon a reconnu que le terme d'Agenda 21, héritage de la Conférence de Rio, n'était pas le plus facile à manier ; il fait évidemment référence au XXIe siècle, mais si l'on en trouve un meilleur, pourquoi pas ? L'important est de souligner la transversalité de la démarche. S'agissant de la labellisation, il n'appartient évidemment pas au Comité 21 de s'ériger en jury ; celui-ci serait heureux, si l'Etat devait prendre l'initiative de décerner un label, qu'il ne le fasse pas de façon trop technocratique.

Le président Emile Blessig s'est enquis des conditions d'évaluation de l'action des entreprises, et sur le rôle qui pourrait être celui du Parlement dans la stratégie nationale de développement durable.

M. Eric Guillon a répondu que, si l'occasion était peu donnée au Parlement de traiter du développement durable, il avait pourtant sa place dans ce débat. Il y a les mesures qui sont du domaine législatif. Le vote de la loi par le Parlement a aussi pour fonction d'ancrer les novations dans les esprits. Le Parlement est le canal institutionnel légitime pour l'élaboration du message du développement durable et sa déclinaison jusqu'au citoyen.

Quant aux entreprises, elles ont des obligations. Celles du CAC 40 doivent même remettre un rapport régulier sur leur action au regard du développement durable. Beaucoup ont fait preuve d'une grande efficacité pour se doter d'indicateurs et pour les mettre à la disposition de leurs actionnaires. En revanche, la situation actuelle ne permet pas à ces derniers de comparer les résultats entre les entreprises. L'effort devra être fait pour le permettre, à l'exemple des normes comptables ou financières.


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