DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 4

Mardi 29 octobre 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle.

Madame la ministre, nous souhaitons vous entendre sur le projet de loi de sécurité intérieure, et notamment sur son volet spécifique concernant la prostitution : l'article 18-I relatif à la répression aggravée du racolage, l'article 18-III relatif à la pénalisation aggravée du client lors du recours à la prostitution de personnes particulièrement vulnérables, l'article 18-IV relatif à la création de nouvelles infractions visant le client, recours à la prostitution de plusieurs personnes, recours à la prostitution par l'utilisation d'un réseau de communication, l'article 28 concernant le retrait de cartes de séjour aux étrangers coupables de délits de proxénétisme ou de racolage, et enfin l'article 29 relatif à la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour à l'étranger qui dénonce des faits de proxénétisme.

Mme Nicole Ameline : La France a depuis toujours une position constante dans le domaine de la prostitution, celle de l'abolitionnisme. Ce mot n'est plus adapté aujourd'hui, mais il a un sens précis : celui de refuser l'exploitation de la prostitution, notamment dans sa forme nouvelle. Nous constatons, en effet, depuis plusieurs années, que la prostitution s'est développée dans toutes les villes de France, dans des conditions tout à fait inacceptables. Qui peut croire que les milliers de jeunes filles et de jeunes garçons que l'on retrouve sur les trottoirs de France, asservis à des réseaux que personne ne contrôle, ont véritablement choisi leur vie ? Et surtout, qui peut l'admettre ?

Cette situation est insupportable et, pour la première fois, nous avons la volonté de mettre fin à ce qui est intolérable. Cette action, nous la menons au nom de la dignité et de la liberté. Elle a une première traduction, qui est un signal fort à l'adresse des réseaux de proxénètes, très largement responsables de cette situation. Si nous sommes tous d'accord sur l'analyse, comment lutter efficacement contre ce trafic, que l'on peut assimiler à un véritable marché aux esclaves ? Peut-on raisonnablement envisager d'enrayer ce trafic sans en pénaliser l'exercice sur notre sol ? A cette question, le texte du projet de loi sur la sécurité intérieure répond par la proposition de limiter l'exercice même de la prostitution dans les conditions actuelles, en aggravant les peines encourues par le racolage et en mettant en place un système dissuasif qui vise, au-delà des prostituées, les proxénètes et les réseaux de la prostitution.

Le projet de loi contient un certain nombre de dispositions permettant aux jeunes femmes - et jeunes garçons étrangers - d'obtenir une autorisation de séjour, dans des conditions qui restent à préciser. Car si nous n'avons pas de critère d'octroi de cette autorisation - si celle-ci est, par exemple, systématique -, nous risquons de favoriser une autre forme d'exploitation, celle de l'immigration clandestine. Par ailleurs, un accompagnement est prévu, pour permettre à ces victimes d'obtenir une seconde chance et de retrouver une liberté de choix.

Les dispositions du projet de loi ne visent pas à régler, dans son ensemble, le problème de la prostitution. Il s'agit d'en entraver singulièrement l'exercice, dans le cadre qui est le plus sensible aujourd'hui, celui de la voie publique, où l'on voit se développer des formes extrêmes de l'esclavage moderne. Néanmoins, ce texte prévoit également un certain nombre de pistes, telles que la responsabilité partagée. Il est vrai que, s'agissant de la responsabilité du client, nous n'avons pas franchi le cap de ce qui existe dans d'autres pays, tels que la Suède, et ce, pour une raison simple, le dispositif suédois est récent - à peine trois ans - et s'inscrit dans une culture spécifique. Cela étant dit, un certain nombre de procès ont lieu, notamment pour délit d'exhibition sexuelle. La loi française prévoyait déjà une pénalisation du client en cas de flagrant délit, en présence d'une ou d'un prostitué mineur ; nous adjoignons à ce dispositif une disposition concernant les personnes vulnérables, telles que les femmes enceintes ou handicapées. Il y a donc là une démarche qui témoigne du souci du Gouvernement de responsabiliser tout le monde en matière de prostitution. Il existe, en fait, un triptyque de l'exploitation sexuelle des êtres humains : le proxénète, la prostituée et le client.

Ce texte a vocation, non pas de régler l'ensemble du problème de la prostitution, mais de donner un signal fort à l'adresse des réseaux. Nous avons, depuis plusieurs semaines, en lien avec divers ministères, dont celui de l'intérieur, engagé une réflexion pour mettre en place un plan d'accompagnement social : dispositif d'accueil, logements d'urgence, numéro vert, etc. En effet, nous devons disposer d'outils qui permettront aux victimes de sortir de la prostitution, avec le maximum d'humanité et de considération.

Cela commence par la prévention. Nous nous apercevons, en effet, qu'en termes d'information, de sensibilisation, nous devons mener une action plus profonde et plus forte. Nous allons donc mener une campagne de communication nationale qui permettra, à partir du thème de l'égalité, de sensibiliser les différents publics à la notion de respect et de considération. Cette campagne s'adressera à tout le monde : la population française doit prendre conscience du fait que l'on ne peut pas accepter, dans une démocratie moderne, tant d'indignité et tant d'inhumanité.

Nous allons donc essayer de mobiliser tous les réseaux, tous les relais - les centres d'information sur les droits des femmes dépendent de mon ministère -, et plus généralement, l'ensemble des associations qui accueillent dans leurs permanences les femmes en situation de vulnérabilité, afin de les sensibiliser, de les aider à ne pas tomber dans ces filières ou à en sortir très vite.

Des actions d'information et de sensibilisation seront également menées par le ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche en direction des publics scolaires. Une information très spécifique sera donnée, dans le cadre de la problématique du respect qui est enseignée dans les lycées, sur la question de la prostitution et de la traite des êtres humains.

Je n'évoquerai que très brièvement les autres mesures qui vont toutes dans ce sens : mobilisation des comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté, formation des personnels sociaux, de la santé, etc. Voilà pour ce qui est de l'aspect national, en lien direct avec les familles ou les personnes en difficulté.

Mais naturellement, cela se conjugue avec le redoublement des contrôles et de la vigilance qui sera exercée lors de l'accueil des étrangers aux frontières sur notre territoire, ainsi qu'avec le développement de relations bilatérales opérationnelles avec les pays dont un grand nombre de ressortissants se livrent à la prostitution sur notre territoire. A cet égard, un réseau d'officiers de liaison, spécialistes de la traite des êtres humains, sera mis en place, dans le but d'obtenir l'information à la source et, surtout, de procéder aux mises en garde nécessaires.

Ce dispositif sera complété par le projet de loi sur la criminalité organisée, actuellement en cours d'élaboration au Ministère de la Justice, qui concerne la transcription, dans notre droit français, des dispositions de la convention de Palerme. Il s'agit principalement de durcir les peines encourues par les proxénètes et leurs complices et d'incriminer la traite des êtres humains dans une nouvelle section du code pénal. Cela se conjuguera avec l'introduction de circonstances aggravantes, notamment l'utilisation d'Internet.

Des accords et des actions seront à envisager avec les pays concernés par ce trafic. Enfin, nous profiterons de la coopération judiciaire et policière prévue dans le troisième pilier de Maastricht.

Comme vous pouvez le constater, il s'agit de bâtir un dispositif de lutte complet avec un accompagnement social adapté.

Nous disposerons ainsi, pour la première fois, d'un arsenal juridique répressif et d'un programme d'assistance et d'accompagnement social, qui doit être un signal fort à l'adresse, non seulement des proxénètes, mais également des victimes, qui devraient trouver là le moyen de sortir des dérives et des filières auxquelles elles sont asservies. Voilà la ligne de conduite que nous nous sommes fixée, même si nous sommes bien conscients que ce problème, dans son ampleur actuelle et dans sa nature, ne sera pas réglé aussi rapidement que nous le souhaitons.

M. Patrick Delnatte : Madame la ministre, vous avez parlé d'un triptyque : le proxénète, la victime et le client. Je voudrais revenir sur cette timide avancée vers la pénalisation du client, que l'on trouve à l'article 18-III du projet de loi. Je doute beaucoup de son efficacité, car cet article concerne des personnes prostituées présentant une "particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur" - on évoque la maladie, l'infirmité, la déficience physique ou psychique ou l'état de grossesse -, ce qui me paraît être une notion trop restrictive. Je crains que les juges n'en donnent une interprétation judiciaire vraiment très limitée. Parmi les déficiences physiques ou psychiques, je me demande si vous ne pourriez pas être moins restrictive et inclure la toxicomanie, qui est un problème extrêmement grave dans le milieu de la prostitution.

Mme Nicole Ameline : Je suis très sensible à vos propos, car je pense que la question de la prostitution doit être l'affaire de la société tout entière. En ce qui concerne la pénalisation du client, il faut, en effet, poursuivre l'investigation : comme tout marché, celui de la prostitution n'existerait pas si la demande n'existait pas.

Je vais me rendre en Scandinavie dans quelque temps, justement pour expertiser la démarche suédoise, intéressante, je vous l'ai dit, mais qui s'inscrit dans une culture particulière : une loi sur la paix des femmes a été votée et l'éducation sexuelle est extraordinairement bien dispensée. Par ailleurs, il n'y a eu, depuis trois ans, qu'une dizaine de procès. Je voudrais donc d'abord comprendre pourquoi il n'y a pas davantage de sanctions et si l'effet pervers de cette prohibition n'est pas la clandestinité. Nous manquons, pour l'instant, de recul, mais cela ne veut pas dire que cette piste ne soit pas la bonne.

M. Patrick Delnatte : Je voudrais tout de même insister sur l'hypocrisie de cette phrase "apparente ou connue de son auteur". Si nous voulons abolir totalement la prostitution, il convient d'aller au-delà de l'apparence et de la connaissance. Le fait doit l'emporter sur l'apparence ou la connaissance.

Mme Nicole Ameline : Actuellement, une enquête, diligentée par le Mouvement du Nid, porte sur cinq cent clients. Mais je retiens votre remarque, qui est particulièrement pertinente.

M. Pierre-Christophe Baguet : L'Assemblée nationale a voté une proposition de loi au mois de janvier 2002, à l'unanimité, concernant l'esclavage moderne. Elle est actuellement bloquée au Sénat. Qu'envisage le Gouvernement ?

Mme Nicole Ameline : Je ne puis évoquer la teneur d'un texte législatif en préparation et, qui plus est, géré par un autre ministre, mais, comme je vous l'ai dit, le Gouvernement a prévu de proposer au Parlement un texte relatif à la criminalité organisée. Il nous faut transcrire les principales dispositions de la convention de Palerme, que nous avons ratifiée en août dernier.

Par ailleurs, avec ma collègue Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, nous allons saisir l'ensemble de nos homologues européens, afin qu'ils poussent leurs Gouvernements à ratifier au plus vite la convention de Palerme. Le signal que nous envoyons aux réseaux doit avoir une dimension européenne, sinon le problème se déplacera. Au moment où l'Europe s'élargit, la dignité doit être une valeur partagée par tous.

Mme Brigitte Bareges : L'installation d'un numéro vert est une excellente initiative. Quand allez-vous le mettre en place ?

Mme Nicole Ameline : Rapidement. Je le répète, la prostitution est l'affaire de tous. Ce phénomène a gagné la France entière, nous devons donc avoir des réflexes décentralisés. Nous allons mettre en place ce plan d'action rapidement, en liaison avec les seize ministères concernés. Je consacrerai l'énergie nécessaire à faire cesser cette situation, dans toutes ses composantes, à la fois visibles et invisibles.

Mme Martine Carrillon-Couvreur : Je souhaiterais que vous reveniez sur les actions prévues par l'éducation nationale dans les collèges et les lycées. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur leur contenu, et quand vont-elles commencer ?

Mme Nicole Ameline : Les actions d'information débuteront dès septembre 2003, mais nous tenterons de publier des brochures et de mener des petites campagnes sur le sujet au cours de l'année 2002-2003.

Nous voulons mettre en place un plan stratégique, avec un certain nombre d'enchaînements, et surtout une campagne nationale qui s'appuiera essentiellement sur l'égalité : l'égalité des sexes, l'égalité des chances et surtout l'égalité dans le respect de l'autre. Je n'ai pas de date précise à vous donner aujourd'hui, mais tout sera mis en œuvre pour que ces messages soient diffusés le plus rapidement possible dans les collèges et les lycées.

J'ai rencontré, récemment, une très jeune fille qui arrivait de Carcassonne et qui, visiblement, "débarquait" - passez-moi l'expression. Elle avait les larmes aux yeux, ne voulait pas venir avec nous, car elle avait trop d'argent à gagner le soir même. Elle sortait probablement d'un casting qui avait mal tourné. Il est donc indispensable d'informer la jeunesse de France. Nous allons renforcer les moyens des associations concernées, afin qu'elles se sentent soutenues et encouragées dans leurs actions en faveur de cette cause.

Mme Hélène Mignon : Je suis étonnée de constater, notamment à travers les médias, qu'il y aurait en France deux sortes de prostituées : les Françaises et les autres - et là vous venez de mettre le doigt sur la difficulté que nous avons à informer notre jeunesse. Que la prostituée soit de France, d'un pays de l'Est ou d'Afrique, sa souffrance est la même. Il me paraît donc important de ne pas rentrer dans le jeu des associations, qui nous demandent de les laisser travailler tranquillement et de nous attaquer aux réseaux mafieux.

Mme Nicole Ameline : Vous avez parfaitement raison. Je connais votre engagement sur cette question. Et il est vrai que l'on ne doit pas tomber dans cette illusion, souvent entretenue et fabriquée, qui consiste à dire que la prostitution peut être un choix délibéré. Si cela est le cas pour quelques rares personnes, nous devons répondre aux attentes des plus faibles et des plus nombreuses. Il s'agit donc, pour moi, d'une cause commune. Je ne vois sur les trottoirs que des victimes. Et nos actions doivent être complémentaires : trafic international, réponse internationale, actions sociales, actions d'accompagnement pour les victimes qui exercent en France, retour à la dignité. Encore une fois, nous ne devons pas accepter l'inacceptable en France, patrie des droits de l'homme et de la femme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Lors de l'audition d'associations, telles que le Bus des femmes et le Mouvement du Nid, une intervention m'a beaucoup marquée, celle de Mme Claude Boucher, présidente de l'association du Bus des femmes. Selon elle, cette nouvelle loi va faire de la prostituée, non pas une victime, mais une délinquante. Nous nous sommes donc interrogées pour savoir comment éviter qu'une telle chose se produise, et nous nous demandons si l'accompagnement prévu ne pourrait pas faire partie intégrante du projet de loi.

Par ailleurs, seconde inquiétude qui ressort de ces auditions, nous nous demandons si le renforcement des contrôles et de la répression ne va pas encourager le développement d'une prostitution clandestine.

Mme Nicole Ameline : Ce n'est pas du tout la finalité de notre action. Nous voulons mettre fin à un trafic qui est inacceptable. Or, je n'ai pas le sentiment qu'il existe beaucoup d'autres solutions. Il n'est pas possible d'atteindre les proxénètes - même si nous allons durcir les sanctions - sans s'attaquer à l'exercice de la prostitution. Les réseaux trouveront toujours le moyen de se mettre à l'abri.

L'exploitation de la prostitution doit absolument reculer et disparaître. Si nous sommes tous d'accord pour dire que les victimes sont asservies par les réseaux - plutôt que volontaires -, il est indispensable, pour les en faire sortir, que nous mettions en place des systèmes dissuasifs, pénalisant les trois acteurs. Nous devons montrer que nous ne voulons plus de ce marché sur le territoire français. Ce ne sont pas les prostituées qui sont visées, mais le trafic lui-même. Or je ne vois pas quel autre moyen nous avons pour supprimer ce marché que de "taxer le profit".

Les proxénètes auront bien vite compris que les conditions d'exercice de leur marché ne seront plus aisées. Nous espérons donc que ce signal sera suffisant pour qu'ils renoncent à exercer leurs activités sur notre territoire.

S'agissant des prostituées, quelle est l'aide la plus significative que nous pouvons leur apporter ? C'est de retrouver la liberté : une liberté de décision, de vie. Le fait de les laisser sur le trottoir ne saurait me satisfaire. A partir du moment où l'on sait que la prostitution est subie dans des conditions tragiques, nous avons le devoir de les aider à en sortir. Ce dispositif peut paraître un peu heurtant, mais il devrait être efficace pour leur permettre de retrouver une dignité et un choix de vie. Nous ne devons pas confondre les moyens et l'objectif, et je suis persuadée que, s'agissant de l'objectif, nous ne pouvons qu'être d'accord.

J'ai également rencontré les responsables du Bus des femmes et nous sommes bien d'accord sur l'objectif. Elles-mêmes n'ont d'ailleurs pas d'autres solutions à nous proposer pour inverser cette évolution incontrôlée de la prostitution.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : S'agissant de la réinsertion de ces femmes, de quels moyens disposez-vous ? Celle-ci dépendra de quel ministère : du vôtre ou de celui de l'emploi et de la solidarité ?

Mme Nicole Ameline : Sachez qu'un dispositif existe déjà, théoriquement depuis 1960, pour lutter contre les violences faites aux femmes. Il concerne la question de la prostitution - mais celle-ci n'avait jusqu'alors pas une réalité suffisante pour être vraiment prise en compte. Nous avons donc la volonté de réactiver ce dispositif, dans le cadre notamment de la commission des violences, à laquelle il faut adjoindre la question de la prostitution.

Une quarantaine de départements se sont déjà engagés dans une réflexion et une action sur la prostitution, et certains centres d'hébergement d'urgence sont d'ores et déjà réservés à l'accueil de personnes prostituées. Par ailleurs, dans le cadre du ministère, nous travaillons à offrir des hébergements sécurisés. Il convient également de favoriser le changement de patronyme, de manière à encourager et à accompagner les femmes qui désirent saisir leur chance.

De nombreux moyens existent donc déjà, qu'il convient de réactiver et de mieux soutenir. Nous devons, par ailleurs, créer des partenariats extrêmement forts entre le réseau associatif, l'Etat et les collectivités, afin que des actions soient menées à tous les niveaux et que tous les dispositifs mis en place soient mobilisés de manière systématique et opérationnelle.

Il s'agit d'une opération qui s'inscrira dans la durée, mais rien ne serait pire que de permettre à ces jeunes femmes de sortir de la prostitution et de ne pas leur offrir immédiatement un certain nombre de solutions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Un article du projet de loi stipule que lorsqu'une prostituée étrangère dénoncera son proxénète, elle aura la possibilité d'être réinsérée plus rapidement. Comment sera organisée sa protection ?

Mme Nicole Ameline : Nous avons discuté avec des dirigeants d'associations qui s'occupent de jeunes femmes qui ont accepté de témoigner. Nombreux sont ceux qui nous disent qu'il existe un temps de latence entre la décision de sortir de ces filières et la volonté de dénoncer leur proxénète. Il faut toute une mise en confiance, un temps de décompression, avant qu'elles trouvent le courage de dénoncer, parfois leur voisin, souvent leurs compatriotes. Car, pour certaines de ces victimes, la filière est connue, parfaitement identifiable.

J'ai la plus grande admiration pour ce que font les associations. Le lien social qu'elles tissent est exceptionnel et irremplaçable. Mais nous devons assumer une logistique et le système ne doit absolument pas être défaillant, car cela risquerait de se retourner contre ces jeunes femmes - ou jeunes gens - et contre notre volonté de les aider.

Par ailleurs, nous devons recréer, avec les pays concernés, et notamment avec les organisations non gouvernementales, des liens étroits pour que le retour des victimes de la prostitution se fasse dans la sécurité et la dignité. Nous serons très attentifs pour qu'il y ait une sensibilisation dans cet esprit.

M. Patrick Delnatte : S'agissant de la pénalisation du racolage, comment l'échelle des peines a-t-elle été choisie ?

Mme Nicole Ameline : Je ne puis vous répondre, car ce texte, dont je partage la philosophie, a été élaboré par le ministère de l'intérieur et je n'ai pas participé à la fixation du montant des peines.

M. Patrick Delnatte : Si l'on veut réellement combattre le racolage, il faudrait peut-être prévoir des peines moins lourdes. La gravité des peines me fait davantage penser à un effet d'affichage plutôt qu'à une réelle volonté de les appliquer.

Mme Nicole Ameline : Non, il ne s'agit certainement pas d'un simple effet d'affichage. Je fais confiance à la volonté du ministre de l'intérieur. Il s'agit d'un signal fort, donné, par le caractère dissuasif du montant, aux proxénètes.

M. Patrick Delnatte : Mais ce sont les prostituées qui sont visées.

Mme Nicole Ameline : Non, c'est tout le système qui se trouve derrière - le marché -, qui est visé. Je n'imagine pas que des prostituées - sauf à être encouragées par leurs proxénètes - puissent revendiquer leur situation actuelle. Je pense que nous leur offrons, par ce dispositif, la possibilité de dire "on ne peut plus continuer comme ça". Les proxénètes verront ainsi que le marché devient de plus en plus difficile.

Mme Bérangère Poletti : Je relève deux problèmes. D'une part, un problème de sécurité publique, pour lequel nous n'avons pas de réponse idéale, humaine. Vous avez choisi de survictimiser les prostituées en les condamnant, avec pour but d'atteindre et de gêner les réseaux. Si le montant de l'amende était moins élevé, elle serait cependant plus facilement mise en œuvre.

D'autre part, un problème moral. Les réseaux que vous visez, s'organisent, deviennent de plus en plus nombreux. Mais d'autres phénomènes se développent. Par exemple, dans ma circonscription - qui est une circonscription rurale et n'a donc rien de comparable avec Paris, Strasbourg ou Lyon -, dans un lycée, des jeunes gens prostituaient leur petite copine pour se payer de la drogue. Il convient donc d'éduquer les jeunes, leur apprendre qu'il est intolérable de faire commerce de son corps ; et ce message ne passera, selon moi, qu'en condamnant le client, à savoir celui qui utilise le corps de la femme.

Je rejoins là la remarque de M. Patrick Delnatte sur la vulnérabilité, "apparente ou connue de son auteur" ; nous ne devons pas être aussi restrictifs. Une jeune fille qui se drogue est dans un état de fragilité, qui n'est pas nécessairement apparent ou connu de son auteur, mais le client, quoi qu'il en soit, ne peut pas ignorer que cette jeune fille ne se prostitue pas par plaisir.

Nous avons donc le devoir de faire passer un message fort, notamment dans les collèges et les lycées.

Mme Nicole Ameline : Je suis très sensible à vos propos. Si nous laissions les choses en l'état, voire se développer, nous aurions une banalisation de la prostitution. Ce que nous déplorons deviendrait ordinaire, et la jeunesse aurait alors un très mauvais exemple.

Le problème des "tournantes" est un vrai sujet de préoccupation pour le Gouvernement. Lorsqu'on voit la violence ordinaire s'exprimer de cette façon, dans l'irrespect total de l'autre, on doit s'interroger sur ce que donnerait une banalisation totale de la prostitution. L'exemplarité de l'action que nous allons mener est donc aussi à ce niveau des valeurs que vous évoquez.

Mme Bérangère Poletti : Enfin, il me paraît surprenant de demander aux prostituées de dénoncer leur proxénète. L'Etat fait payer des impôts ou une T.V.A. à ce proxénète, mais n'a aucun moyen de le condamner. Cela est tout à fait intolérable.

Mme Nicole Ameline : Le ministre de l'intérieur va défendre son projet de loi, vous pourrez donc en débattre avec lui, mais il ne faut pas oublier que cette lutte commence seulement, et qu'elle va s'amplifier. Nous avons la volonté d'éradiquer ce trafic, sous toutes ses formes, et d'aller au-delà, en réveillant la conscience collective.

Vous avez raison, la lutte contre la prostitution passe par ce type d'action. Mais nous disposons tout de même d'un arsenal juridique qui permet d'apporter une cohérence et une détermination à l'action du Gouvernement, et je pense sincèrement que les trafiquants et les réseaux y seront sensibles. La volonté du Gouvernement réside à la fois dans l'affichage des intentions et dans l'application.

La convention de Palerme, que nous venons de ratifier, permet la confiscation du produit du crime. Nous pourrons donc, lorsque les dispositions seront transcrites dans notre droit, avoir une sorte de droit de suite - les proxénètes étant, le plus souvent, de l'autre côté des frontières.

Mme Nathalie Gautier : Vous avez parlé d'une forte évolution de la prostitution ces dernières années. Disposons-nous d'estimations chiffrées ?

Mme Nicole Ameline : Nous estimons de 15 000 à 18 000 le nombre de prostitués en France. Le trafic d'êtres humains semble très "rentable", au regard du trafic de drogues et du trafic d'armes. Ce phénomène connaît une grande ampleur depuis 1996. Il s'agit d'une véritable entreprise internationale, avec un turn over rapide, les jeunes gens et les jeunes filles ne restant que très peu de temps au même endroit.

Si nous ne faisons rien, ce phénomène s'accentuera, et les élus seront obligés de prendre des mesures diverses et souvent quelque peu anarchiques pour assurer la sécurité sur les voies publiques.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Madame la ministre, je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que les femmes sont toujours des victimes. Mais je suis également en total accord avec M. Patrice  Delnatte quant à l'interprétation de l'article 18-III. Il suffirait de supprimer la fin de l'article qui précise les cas de vulnérabilité de la personne prostituée, pour mieux pénaliser le client.

Nous avons parlé de l'aide qui sera apportée aux femmes étrangères qui dénonceront leur proxénète. Que deviendront celles qui ne connaissent pas leur proxénète ?

Mme Nicole Ameline : Elles repartiront. Mais je dois vous avouer que je ne puis vous apporter une réponse claire sur tout ce qui touche à la dénonciation, car cela relève de procédures qui seront mises en place par les services de police. En revanche, nous pourrons être vigilants, afin que toutes les chances leur soient données. J'ai rencontré quelques prostituées sur les trottoirs de Strasbourg-Saint-Denis, et je suis persuadée que nombreuses sont celles qui connaissent leur proxénète. Simplement, comme je le disais tout à l'heure, il leur faudra un certain temps pour franchir le cap et le dénoncer. Elles devront se sentir suffisamment en sécurité.

M. Daniel Prevost : Madame la ministre, ce débat sur la prostitution vous honore. Si la fiscalité permet des tractations avec les souteneurs, elle permet aussi de banaliser ce marché. Il faut se poser la question de savoir si cela ne va pas inciter ces dames à en faire plus - au profit à la fois de leur souteneur et de l'Etat -, pour payer leurs impôts.

Par ailleurs, s'agissant des prostitués mineurs, je serais en faveur d'une taxation plus forte du client. Il ne faut pas hésiter à faire payer le client ; or, récemment, un client et une prostituée, qui avaient été pris en flagrant délit dans une voiture, et jugés, ont été relaxés.

Mme Nicole Ameline : Certes, mais maintenant des poursuites sont engagées. La problématique du client commence donc à se poser. Quant à poursuivre systématiquement le client, je vous le répète, nous voulons d'abord avoir du recul par rapport à cette pratique.

En ce qui concerne les mineurs, vous avez parfaitement raison. Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, s'occupe admirablement des enfants des rues - nombreux en France - et a mis en place un système d'accueil spécialisé, qui est tout à son honneur. Il s'agit d'un problème que nous devons regarder en face et affronter. Nous ne pouvons accepter, dans une démocratie comme la nôtre, que des enfants vivent dans la rue.

M. Daniel Prevost : Certaines personnes sont favorables à la reconnaissance de la prostitution et se réfèrent au système allemand. Je pense, pour ma part, qu'il s'agit là d'un asservissement total de la femme.

Mme Nicole Ameline : Absolument. La position de la France est claire : elle n'est pas favorable à une régression de ce type.

Ouvrir les maisons closes - qui est en soit une formule étonnante - reviendrait à légitimer l'exploitation de la prostitution. Nous nous y refusons. Il s'agit d'un vaste débat. L'Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse n'ont pas la même vision des choses que nous. Cependant, les reportages que l'on peut voir sur ces lieux de prostitution ne sont pas véritablement exemplaires.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons une véritable campagne à mener. Certains se posent en effet la question, sous prétexte d'améliorer la santé des prostituées et la sécurité, d'ouvrir ce type d'établissements. Nous ne devons pas entrer dans cette logique. Il faut tout faire pour que ces personnes retrouvent le chemin de la liberté et de la dignité.

Mme Claude Greff : Il ne faut pas oublier que ce métier existe depuis la nuit des temps. Quand ces femmes n'auront plus le droit de travailler sur le trottoir, où vont-elles pratiquer ? Je ne porte aucun jugement, et je suis totalement d'accord avec vous sur le fait que l'on ne doit pas laisser perdurer cette situation, mais il y aura toujours des prostituées. Or, dans quels lieux vont-elles pratiquer ?

Mme Nicole Ameline : L'évolution est telle que l'on ne peut plus parler de la prostitution comme à une certaine époque. Aujourd'hui, la prostitution est un véritable marché d'esclaves. C'est la raison pour laquelle nous devons prendre des mesures fortes et dissuasives. Nous avons pour objectif de faire sortir le plus de personnes possibles de la prostitution.

Toutes les femmes qui ont pu s'exprimer disent que la prostitution est un accident de parcours, un enchaînement de circonstances. Ensuite, elles pensent que personne ne pourrait leur faire confiance et embaucher une ancienne prostituée. Elles s'enferment donc et, lorsqu'elles revendiquent une pseudo-liberté, c'est avec l'énergie du désespoir.

Nous savons bien que la prostitution ne sera pas totalement éradiquée, mais nous avons le devoir de faire en sorte que l'immense majorité des personnes concernées puissent prendre un autre chemin. Par l'éducation, la formation, la sensibilisation, la prostitution ne doit pas se banaliser, mais rester une activité marginale. Or, nous sommes exactement dans la situation inverse.

Mme Chantal Brunel : Madame la ministre, ce qui me gêne, dans ce projet de loi, c'est, qu'il repose essentiellement, d'une part, sur la dénonciation, par les prostituées, de leur proxénète, ce qui n'est pas un sentiment très noble. Et d'autre part, sur la possibilité qu'aura le ministre de l'intérieur d'assurer la sécurité, à très long terme, des premières prostituées qui vont dénoncer leur souteneur ; autrement, la loi n'aura aucune efficacité.

Mme Nicole Ameline : C'est tout à fait juste. Cependant, s'agissant de la dénonciation, elles sont déjà suffisamment victimes de souffrances pour se permettre d'y recourir. Je ne porte là aucun jugement moral.

Mme Chantal Brunel : Vendredi dernier, je réunissais un certain nombre de personnes dans ma circonscription, et je n'ai pas osé leur parler des nouvelles dispositions du projet de loi concernant la prostitution, parce qu'elles reposent essentiellement sur la dénonciation. Nous allons accéder aux réseaux par le biais des victimes. Je comprends bien qu'il n'y a peut-être pas d'autres moyens, mais j'espère que les services de police vont sécuriser ces jeunes femmes...

Mme Nicole Ameline : J'irai dans les commissariats s'il le faut, mais je veillerai à ce que ces jeunes femmes soient protégées.

La cellule interministérielle que nous avons créée réunit les services de police, de justice et les affaires sociales. Elle a pour but de veiller à une bonne application des dispositifs que nous mettons en place et qui vont - j'en suis certaine - porter leurs fruits.

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