DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 19

Mardi 6 mai 2003
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Anne-Marie Brocas, secrétaire générale du Conseil d'orientation des retraites

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La Délégation aux droits des femmes a entendu Mme Anne-Marie Brocas, secrétaire générale du Conseil d'orientation des retraites, sur la réforme des retraites.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous commençons notre série d'auditions sur les retraites en recevant Mme Anne-Marie Brocas, secrétaire générale du Conseil d'orientation des retraites.

Créé le 10 mai 2000, le Conseil d'orientation des retraites, placé auprès du Premier ministre, est une instance pluraliste de concertation et de réflexion sur les perspectives des différents régimes de retraite et les conditions de leur équilibre financier. Présidé par Mme Yannick Moreau, conseiller d'Etat, il réunit des élus, des représentants de syndicats représentatifs des secteurs public et privé, d'organisations d'employeurs et de travailleurs indépendants, des représentants des familles et des personnes âgées, des personnalités compétentes, le commissaire au plan et des représentants de l'Etat. Le COR a consacré l'année dernière deux réunions approfondies sur le thème des femmes dans les régimes de retraite : l'une sur les avantages familiaux et conjugaux, l'autre à l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

Madame Anne-Marie Brocas, vous êtes spécialiste des questions de protection sociale et de retraite. Vous avez exercé différentes fonctions à la direction de la sécurité sociale, au Plan, au ministère de l'économie et des finances, et vous avez publié de nombreux travaux - études, rapports, publications -, notamment sur les femmes et la sécurité sociale, l'avenir des régimes de retraite, l'égalité de traitement hommes-femmes dans le domaine dans la sécurité sociale. Nous sommes donc particulièrement heureux de bénéficier de vos compétences.

Mme Anne-Marie Brocas : Le Conseil d'orientation des retraites a entamé une réflexion sur ce sujet. Au fil de ma présentation, j'insisterai sur les points sur lesquels il a dégagé quelques orientations ; ces orientations sont peu nombreuses, car il s'agit d'un sujet pour lequel le Conseil a la conviction qu'il ne se traitera pas en une seule fois, que les adaptations à engager, tant sur les avantages familiaux et conjugaux que sur les dispositifs traitant de la situation relative des hommes et des femmes, se feront dans le long terme. Ces adaptations devront être progressives et fonction de l'évolution de la société.

Une des difficultés du sujet dont vous avez à traiter réside dans le fait que la question de l'égalité entre les hommes et les femmes se pose en des termes extrêmement différents selon, non seulement les catégories sociales, mais également les générations. De ce fait, la situation que nous constatons aujourd'hui pour des femmes qui partent à la retraite - ou qui sont déjà à la retraite - est probablement très différente de ce que sera la situation des femmes qui partiront dans dix ans et plus. On ne peut donc pas apporter à la question de l'égalité entre hommes et femmes une réponse unique ; nous sommes obligés de préciser de quelle génération de femmes nous parlons.

Je commencerai par la question des droits à pension respective des hommes et de femmes, aujourd'hui et pour l'avenir. On constate de très fortes inégalités dans les droits à pension entre les hommes et les femmes, mais qui devraient se réduire pour les générations futures - et qui commencent déjà à diminuer.

Les pensions des femmes, si l'on totalise droits propres et droits dérivés, représentent, en moyenne, 60 % des pensions des hommes. Cependant, si l'on considère la tranche d'âge des femmes de 60 à 64 ans - à savoir les plus jeunes -, la pension des femmes représente déjà 64 % de la pension moyenne des hommes. L'écart est donc en train de se réduire, et c'est la raison pour laquelle il y a aujourd'hui de très forts écarts entre les pensions perçues par les femmes les plus âgées et les plus jeunes retraitées. Les femmes qui partent aujourd'hui à la retraite ont des droits plus importants que celles qui ont pris leur retraite il y a quinze ou vingt ans.

Les écarts de pension s'expliquent de plusieurs manières. D'abord par la durée d'activité, ensuite par les écarts de salaires. Or, nous sommes entrés, depuis plusieurs années, dans un processus d'amélioration à la fois de la durée d'activité que les femmes valident, et des salaires sur la base desquels leur pension sera calculée.

Premièrement, la durée d'activité validée. Les taux d'activité féminins sont, entre 25 et 50 ans, de 80 %, contre 95 % pour les hommes - ce qui est un écart relativement faible, notamment comparé à d'autres pays. Avec quelques nuances à apporter, à savoir la part importante du travail à temps partiel des femmes - un tiers des femmes qui travaillent sont à temps partiel - et le fait que le taux de chômage des femmes est plus élevé que celui des hommes, d'environ trois points.

Les taux d'activité des femmes aujourd'hui actives - de 25 à 50 ans - se sont donc sensiblement rapprochés de ceux des hommes, et l'on estime que cette évolution devrait se poursuivre. En effet, dans les projections faites pour 2020, les hypothèses de taux d'activité des femmes pourraient être comprises entre 85 % et 90 % - avec néanmoins le maintien d'une part importante du travail à temps partiel. Dans ces projections, l'hypothèse retenue consiste à dire qu'il y aura une stabilité de la part du travail à temps partiel - mais on peut également imaginer d'autres scénarios.

Deuxièmement, les avantages familiaux, à savoir les diverses majorations de durée d'assurance accordées dans les régimes de retraite.

Actuellement, si l'on prend les salariés du secteur privé, une femme qui relève du régime général a droit à une majoration de sa durée d'assurance de deux ans par enfant - les femmes ont en moyenne deux enfants, ce qui fait quatre ans supplémentaires validés au régime général -, sachant que cette validation n'a pas de prolongement dans les régimes complémentaires. Ces années vont être validées au régime général, sur la base de son salaire de référence pour le calcul de sa pension, mais elle n'aura droit à rien dans les régimes complémentaires. Cette moyenne de quatre ans est importante rapportée aux quarante ans de cotisation qui permettent d'accéder au taux plein.

A cette durée résultant de la majoration des durées d'assurance, s'ajoutent des durées validées résultant de ce que l'on appelle l'assurance vieillesse des parents au foyer. Cette assurance est prise en charge par la Caisse nationale des allocations familiales, laquelle cotise pour le compte des parents qui sont, soit inactifs, soit se sont arrêtés de travailler pour élever des enfants et qui bénéficient de prestations familiales. Les prestations sont accordées au titre "d'enfant de moins de trois ans", ou au titre "de famille de plus de trois enfants", sous conditions de ressources - qui n'excluent cependant que 15 à 20 % du champ total des bénéficiaires. Cette allocation vieillesse des parents au foyer a donc un champ très large.

On estime aujourd'hui que dans l'avenir, l'assurance vieillesse des parents au foyer permettra en moyenne de valider trois ans par femme. Ce qui veut dire que si l'on additionne les effets de la majoration de durée d'assurance et l'assurance vieillesse des parents au foyer pour une salariée du privé, l'on aboutit à sept ans de durée d'assurance validée au régime général. Ces avantages familiaux ne sont donc pas négligeables en termes de durée validée, même si, pour la majoration de durée d'assurance, la validation se fait au niveau du salaire moyen dans le seul régime général, sans rien dans les régimes complémentaires ; et l'assurance vieillesse des parents au foyer donne lieu à une validation sur la base du Smic au régime général et rien dans les régimes complémentaires. Si cela ne donne pas de droits importants en termes de salaire qui sera pris en compte pour le calcul de la pension, en revanche, cela est substantiel en termes de durée.

Actuellement, est à l'œuvre un allongement des durées validées des femmes résultant à la fois de l'allongement de la durée d'activité et de la montée en charge de ces avantages familiaux : créés dans les années 70, ils n'ont pas encore produit tous leurs effets.

Quant aux salaires servant de base au calcul de la pension, nous sommes dans une situation où les écarts de salaires entre hommes et femmes, sur une longue période, ont tendance à se réduire - même si cela va lentement. On estime que pour des salariés à temps complet, l'écart entre les salaires des hommes et des femmes est d'environ 20 % ; à qualification identique, cet écart est de 13 à 15 %.

Si pour les femmes l'effet d'allongement de durée est tout à fait significatif, en revanche, en termes de salaires, à l'écart persistant de rémunération de l'activité professionnelle s'ajoutent l'effet temps partiel et le fait qu'un certain nombre de validations de durée au titre des enfants ne se font que sur des bases assez faibles. Nous avons donc un effet d'amélioration du salaire moyen servant de base de calcul à la pension, mais avec des écarts importants entre hommes et femmes qui sont appelés à subsister.

Sur cette base, l'INSEE a procédé à des projections, essayant de comparer la situation en 2000 à une situation en 2020, intégrant une prolongation des phénomènes que je viens de d'écrire. Dans ces calculs - qui ne prétendent pas être des prévisions -, on passe d'une pension moyenne des femmes égale à 60 % de la pension moyenne des hommes, à une pension moyenne des femmes en 2020 qui serait égale à 78 % de celle des hommes - une amélioration non négligeable.

Par ailleurs, il ressort de ces projections un allongement moyen des durées d'assurance qui serait de cinq ans pour les femmes. En 2000, on estime que les femmes, en moyenne, valident 121 trimestres, et que les nouvelles retraitées valident un peu plus de 130 trimestres. C'est la raison pour laquelle j'attirais l'intention sur le problème des nouvelles générations ; nous sommes obligés de faire la gymnastique entre l'examen moyen et l'examen par tranches d'âge. Alors que pour les hommes la durée validée est de 166 trimestres en moyenne.

Il y a de plus grandes disparités chez les femmes que chez les hommes, en raison de la coexistence dans les générations, déjà retraitées ou dans celles qui partent aujourd'hui à la retraite, de femmes qui ont été conduites à rester au foyer et de femmes qui ont eu une activité professionnelle pratiquement identique à celle des hommes. Les 10 % de femmes qui ont le moins cotisé ont, en moyenne, des durées d'assurance de 46 trimestres, alors que, pour les hommes du premier décile, cette moyenne est de 138 trimestres.

Dans l'exercice de projection, on estime que la durée d'assurance des femmes devrait augmenter de cinq ans en moyenne, avec une réduction considérable des disparités ; on constate effectivement, pour les jeunes générations, une homogénéisation des comportements d'activité des femmes : même les mères de famille travaillent. Autrefois, la naissance du troisième enfant déclenchait l'interruption d'activité de la femme, ce qui n'est souvent plus vrai aujourd'hui.

Cet allongement de la durée d'assurance estimée à cinq ans en moyenne, d'ici à 2020, aboutirait à une quasi-stabilité des âges de départ à la retraite des femmes, malgré le passage à quarante ans et le fait que les sorties d'études se font plus tard. Ce qui veut dire que l'accroissement de leur activité professionnelle compenserait pratiquement intégralement les effets des réformes visant à allonger la durée d'activité en cours - à la différence de ce qui se passe pour les hommes.

Dans les dossiers qui vous ont été transmis, cette étude de l'INSEE est intéressante, car elle montre que pour les femmes sont à l'œuvre des mouvements relativement complexes, conjuguant des durcissements de règles avec des évolutions sociologiques qui vont améliorer la situation des futures générations, de nos filles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il convient donc de s'occuper des femmes de notre génération.

Mme Anne-Marie Brocas : Pour les femmes qui sont déjà à la retraite, il y a des questions, du type pensions de réversion, qui se posent, alors que pour les femmes qui partiront à la retraite en 2020, les questions centrales seront celles du temps partiel, des avantages familiaux, qui seront beaucoup plus déterminantes que la question de la pension de réversion - même si elle continuera de se poser.

Si l'on étudie les écarts de pension par âge des femmes à la retraite, voici ce que cela donne : en prenant la photographie 2001, on constate qu'en moyenne les  euros bruts de pension par mois, les femmes de 60 à 65 ans un total de 994 euros par mois, la pension de réversion représentant 6 % de leurs ressources. En ce qui concerne les femmes de plus 85 ans, elles perçoivent une pension moyenne de 835 euros mensuels, mais la pension de réversion représente plus du tiers de leurs ressources.

Pour les femmes les plus âgées, il existe un effet de compensation très fort qui est aujourd'hui assuré par la pension de réversion - elle compense des droits personnels faibles -, alors que pour les plus jeunes femmes les droits personnels sont plus importants - et quand elles sont en couple, s'ajoutent les revenus du conjoint. On constate donc une très grande inégalité en termes de niveau selon l'âge, et en termes de structure des pensions, selon l'âge aussi.

Selon les études de l'INSEE, cette évolution va se poursuivre pour les générations à venir : la part de la pension de réversion tend à se restreindre au profit de droits personnels, qui augmentent, sans toutefois rejoindre ceux des hommes.

Vous m'avez également posé la question de l'inégalité entre femmes dans les différents régimes. La comparaison, qu'il s'agisse des femmes ou des hommes, est assez difficile, car si l'on regarde les pensions moyennes servies par le régime général ou par le régime des exploitants agricoles, on compare non seulement l'effet des différentes réglementations à l'intérieur des régimes, mais également l'effet des différences de type de carrières des femmes selon les régimes, ainsi que l'effet dû à la composition sociologique des régimes qui est différente - c'est vrai aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Dans les régimes de fonctionnaires de l'Etat, on trouve beaucoup plus de cadres femmes que dans le régime général, ce qui justifie un certain écart de pensions moyennes. Nous allons trouver, par exemple, énormément d'enseignantes, et si on les compare à la salariée moyenne du privé, la comparaison n'est pas pertinente.

Vous trouverez dans le dossier toutes les données, les indications de tous les montants moyens par régime, que je ne pense pas utile de reprendre ici. Il s'agit de données qui ne sont pas directement interprétables facilement, j'ai donc retenu simplement quelques questions qui me paraissent importantes en ce qui concerne les écarts entre régimes.

Les écarts hommes/femmes, si l'on compare les secteurs public et privé, sont plus faibles dans le public que dans le privé ; cela reflète le fait que les carrières sont plus proches, tant en termes de durée de carrière qu'en termes de niveau de rémunération.

Pour les régimes de non salariés, une question est très importante : celle du statut des femmes non salariées. On trouve chez les retraitées les plus âgées les traces de la très mauvaise prise en compte de tout ce qui relevait de l'aide familiale ou de la participation à l'activité du mari.

Un autre sujet de réflexion est intéressant quand on se place dans cette optique de comparaison des régimes de retraite : la question des différences de réglementations et de leurs justifications par rapport à un objectif d'égalité de traitement. Ce sont des questions qu'il n'est pas possible de traiter d'un seul coup et qui devront être examinées sur le long terme - et dont on a commencé à parler au Conseil d'orientation des retraites. Cependant, il est utile de se poser des questions sur les différences existantes, par exemple, dans les calculs de majoration des durées d'assurance. Pour les salariées du privé, la majoration est de deux ans par enfant, avec rien dans les régimes complémentaires, et dans le régime de la fonction publique, la majoration est de un an par enfant, mais sur une pension qui fait base et complément.

Un enfant d'une salariée du privé va lui rapporter deux fois une annuité du régime général - 2 fois 1,33 %, soit 2,66 % du salaire du régime général, plafonné - et un enfant d'une fonctionnaire va lui rapporter 2 % de son salaire - la mise en œuvre de la réforme conduirait à 1,875 % -, mais portant sur la totalité du salaire pris en compte dans la fonction publique. Je vous donne ces chiffres un peu complexes, pour vous montrer que les écarts sont moindres que ce que donnerait la comparaison plus brutale de deux ans contre un an.

De la même manière, nous pouvons nous poser la question des différences de condition de validation du temps partiel - j'y reviendrai tout à l'heure - qui sera une des questions traitées dans le cadre la prochaine réforme. Par ailleurs, nous pouvons également nous poser des questions sur les différences de règles de calcul des pensions de réversion et d'octroi de ces pensions selon les régimes. Mais ce sont des questions de long terme, car les évolutions sur ces sujets sont compliquées à mettre en œuvre et ne pourront probablement pas l'être d'un seul coup.

Vous m'avez également demandé combien de femmes étaient au minimum vieillesse. Des études de la DREES - service d'études du ministère des affaires sociales - sont intéressantes, car elles traitent du sujet des petites pensions, et plus particulièrement des pensions portées au minimum vieillesse. Elles montrent qu'un facteur de pauvreté est d'être une femme, seule et âgée. Or, de nombreuses femmes sont dans cette situation. En 1998, on estimait à 760 000 le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse, dont 70 % étaient des femmes - soit environ 540 000. Une centaine de mille vivaient en couple, et 400 000 étaient seules - probablement des veuves relativement âgées.

Mme Hélène Mignon : Il serait intéressant de connaître le taux des femmes provenant du milieu agricole ou de l'artisanat.

Mme Anne-Marie Brocas : Vous trouverez dans l'étude à laquelle je fais référence, dans le dossier que je vous ai laissé, la part des populations agricoles et des non salariés. Je n'ai pas l'identification hommes/femmes. Les bénéficiaires du minimum vieillesse, hommes et femmes, qui étaient salariés du privé, représentaient 49 % du total, les exploitants agricoles 30 %.

Je passerai maintenant à la question des avantages familiaux et à celle des pensions de réversion.

Mme Hélène Mignon : S'agissant des avantages familiaux, dans le régime général, les femmes bénéficient donc des avantages à partir de 60 ans, mais elles n'ont droit à rien dans les régimes complémentaires.

Mme Anne-Marie Brocas : Actuellement, les avantages familiaux représentent environ 15 milliards d'euros, à comparer à une masse totale de pension de 165 milliards d'euros. Je passerai rapidement en revue ces avantages familiaux.

Premièrement, les majorations de durée d'assurance : deux ans par enfant pour le régime général et un an dans la fonction publique. Ces majorations sont financées par les régimes eux-mêmes. Elles sont accordées aux femmes au titre des enfants qu'elles ont eus, qu'elles aient ou non interrompu leur activité professionnelle. Ces majorations, qui ont été créées par les lois Boulin dans les années 70, visaient à l'origine à augmenter le montant des pensions des femmes - par le biais de la durée d'assurance.

Petit à petit, la logique de compensation des interruptions d'activité a pris un relief important, notamment quand, en 1982, on a introduit un critère de durée d'assurance pour l'accès à la retraite à taux plein, mais je rappelle que ce n'était pas le cas dans les années 70. A l'origine, cette majoration visait à augmenter les pensions des femmes et maintenant elle joue le double rôle d'augmenter le montant des pensions des femmes et de leur permettre d'atteindre plus facilement les quarante ans qui donnent accès au taux plein. Mais cette seconde finalité de la majoration est apparue a posteriori, une fois qu'elle avait été créée.

Ces majorations n'existent donc que dans les régimes de base - rien d'équivalent à l'ARRCO et à l'AGIRC - et ces années validées sont valorisées par le salaire moyen qui sert de calcul à la pension. Le coût annuel de ces majorations est estimé à 3,4 - 4 milliards d'euros, et pratiquement toutes les femmes qui ont eu un enfant peuvent en bénéficier. Les femmes affiliées au régime général bénéficient en moyenne de quatre ans validés - deux ans par enfant. Or, nous avons pu constater, au cours de différents débats, que cette mesure était peu connue et que de nombreuses femmes ne l'intégraient pas dans le calcul de leurs trimestres.

J'en viens à l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) qui a été créée en 1978 pour les femmes, puis étendue aux hommes en 1985 - dans la logique de l'égalité homme/femme. Cette assurance est payée par la CNAF au régime général pour toutes les femmes et tous les hommes inactifs, et qui s'arrêtent de travailler pour s'occuper de leurs enfants. Le coût annuel est d'environ 3,5 milliards d'euros. A terme, elle devrait conduire à valider en moyenne trois ans par femme, s'ajoutant aux majorations de durée d'assurance que j'indiquais précédemment.

Nous trouvons, pour cette assurance de très grandes disparités : des femmes s'arrêteront dix ou quinze ans - en raison de naissances très espacées - et resteront bénéficiaires de l'AVPF, alors que certaines femmes ne bénéficieront que d'un an d'AVPF. Dans tous les cas, la durée sera validée sur la base du Smic, quel que soit leur passé professionnel ; il s'agit d'une validation minimale d'années pour les femmes qui s'arrêtent de travailler ou qui ne travaillent pas et qui élèvent leurs enfants. Il s'agit d'une moyenne : une femme va gagner le nombre d'années d'arrêt de travail si par ailleurs elle remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de l'AVPF. Les conditions sont les suivantes : bénéficier de certaines prestations familiales sous conditions de ressources, telles que l'APJE, accordée aux parents d'enfants de moins de trois ans, l'allocation parentale d'éducation ou les prestations accordées aux parents de trois enfants ou plus. Ces conditions de ressources n'excluent que 15 à 20 % des ménages.

Ce qui veut dire que pour les femmes bénéficiaires de ces prestations familiales et qui auront interrompu leur activité, la CNAF cotisera sur la base du Smic. Cela aboutit à des situations très diverses, puisque des femmes, bénéficiaires de ces prestations familiales peuvent rester inactives pendant un grand nombre d'années - cas possibles de validation de dix ans d'AVPF -, alors que d'autres ne vont s'arrêter que deux ans. Cependant, la moyenne - qui recouvre des cas très divers - devrait, à terme, représenter trois ans par femme, s'ajoutant aux quatre ans que j'indiquais précédemment.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette assurance va progressivement diminuer, les femmes s'interrompant moins souvent qu'avant. Ne pourrait-on pas, à terme, jouer sur une régulation, à savoir faire reporter ce droit ?

Mme Anne-Marie Brocas : Comme disent les Anglais, le législateur peut tout faire. Vous trouverez dans le dossier des éléments à ce sujet, et l'on peut éventuellement demander des études complémentaires sur la montée en charge des différents avantages.

Le Conseil d'orientation des retraites n'a pas pris position sur ce qu'il conviendrait de changer à terme, mais n'a pas contesté l'approche présentée dans la note de problématique qui lui a été soumise pour discussion, disant qu'il conviendrait à terme de se reposer la question globale de l'ensemble de ces avantages. On peut par exemple imaginer qu'à partir de cet ensemble d'avantages, on essaie de rebâtir un système qui ait une cohérence plus grande avec les situations futures. Il est clair qu'aujourd'hui nous avons une sédimentation de dispositifs qui ont été mis en place au fil du temps et dont la cohérence n'est plus parfaite.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : En effet, les mesures et les situations ne sont pas éternelles.

Mme Anne-Marie Brocas : Ces deux dispositifs, majoration de durée d'assurance et AVPF, visent des finalités très proches et l'on pourrait imaginer de les reprendre dans une approche d'ensemble.

Mme Claude Greff : Le coût annuel de ces assurances est de 3,5 milliards d'euros chacune ; combien cela représente-t-il par femme ?

Mme Anne-Marie Brocas : Si l'on prend une moyenne de sept ans pour une femme qui va valider trente ans de cotisation, il convient de faire le calcul, mais la part est tout à fait substantielle.

Mme Claude Greff : Et pour les femmes qui n'ont jamais travaillé ?

Mme Anne-Marie Brocas : Je n'ai pas les chiffres.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Progressivement, l'AVPF va disparaître. Il conviendrait donc de basculer son financement sur la majoration de durée d'assurance.

Mme Anne-Marie Brocas : Autres avantages familiaux : les bonifications du montant de la pension qui bénéficient aussi bien aux hommes qu'aux femmes qui ont été parents de trois enfants ou plus - et, qui existent dans pratiquement tous les régimes depuis leur création. Sa justification est le défaut d'épargne : c'est en quelque sorte une compensation des difficultés qu'ont rencontrées les parents de familles nombreuses à épargner pour leur retraite.

Le quantum de la bonification est variable selon les régimes : il représente 10 % dans le régime général et les régimes alignés, et, dans un certain nombre d'autres, 10 % plus 5 % par enfant au-delà du troisième. Le coût annuel est de 6 milliards d'euros, auquel s'ajoute un coût indirect en termes d'exonération fiscale de 0,35 milliard d'euros, cette bonification ayant pour particularité d'être exonérée d'impôts.

Tel est l'ensemble des avantages familiaux. Il serait bon, à terme, de se poser la question de la cohérence de tout ce qui tourne autour de la validation de durée d'assurance, au titre des enfants - soit qu'il y ait une interruption d'activité, soit un handicap de carrière du fait des enfants à charge. Il convient alors de se poser des questions du type : quelle durée peut-on valider, à quel niveau, pour les hommes et pour les femmes, avec des conditions d'interruption d'activité ou pas, etc.

Je voudrais mentionner deux archétypes de système étrangers qui peuvent aider à la réflexion. Premièrement, l'archétype scandinave, qui se situe dans un contexte de très forte égalité homme/femme avec des politiques très fortes d'égalité en termes de rémunération, de situation sur le marché du travail, de partage des tâches domestiques. Il conduit à une conception des congés parentaux et des avantages retraites qui y sont associés, dans laquelle on cherche à favoriser des interruptions de carrière pas trop longues, mais avec une rémunération élevée qui, de ce fait, bénéficie aussi bien à la femme qui a un faible revenu qu'à la femme cadre ou aux hommes. Ces congés sont modulables, quel que soit l'âge des enfants : en Suède, par exemple, les parents peuvent bénéficier d'un congé parental jusqu'aux huit ans de l'enfant.

Deuxièmement, l'archétype latin : des validations de congés longs sur des bases faibles. Cet avantage est donc plutôt ciblé sur les femmes à faible revenu, pour lesquelles on estime qu'il y a un arbitrage famille/travail logique, et sur les femmes avec des enfants en bas âge, jusqu'à trois ans.

Je caricature un peu, mais il existe donc deux archétypes assez différents dans leur philosophie, à partir desquels il y a matière à discuter sur les choix qui peuvent être faits. La France, quant à elle, n'a pas réellement choisi entre ces différentes logiques. Nous sommes dans une situation bâtarde entre ces deux systèmes : l'AVPF est validée sur la base du Smic, mais les majorations de durée d'assurance le sont sur la base du salaire de carrière ; l'arrêt de travail peut être très long pour l'AVPF, alors qu'il n'est que de un ou deux ans pour la majoration de durée d'assurance.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette assurance vieillesse pour parents au foyer existe-t-elle dans les pays nordiques ?

Mme Anne-Marie Brocas : Il y a l'analogue : des systèmes de congés parentaux avec des droits à retraite associés.

Il est vrai que nous sommes dans un système un peu bâtard, mais il n'est pas si mauvais. Si l'on se compare à de nombreux pays étrangers - notamment l'Allemagne ou les pays latins -, les avantages donnés aux femmes sont assez substantiels. Nous nous rapprochons davantage des pays scandinaves, même si nous n'avons pas fait des choix très clairs.

Vous m'avez également posé la question de savoir s'il ne valait pas mieux verser les avantages au moment où les parents ont leurs enfants à charge plutôt qu'au moment de la retraite ? Ma réponse sera tout à fait personnelle. Le Conseil d'orientation des retraites travaillera peut-être sur ce sujet dans l'avenir, en essayant de se rapprocher des personnes qui travaillent sur les prestations familiales, car il convient de trouver une cohérence dans les logiques des dispositifs. Je pense qu'il convient de se défier d'une globalisation qui serait excessive et peut-être artificielle, car les prestations familiales et les avantages familiaux en matière de retraite ne poursuivent pas les mêmes finalités : pour cela, elles ne sont pas totalement substituables. Tant qu'il existera des différences de salaires entre hommes et femmes, des différences dans la répartition des tâches domestiques et de la prise en charge des enfants, se posera la question de la retraite et des éventuelles compensations à opérer. On ne doit donc certainement pas se dire que tout peut être globalisable, que l'on pourrait transférer l'argent des avantages familiaux à la politique familiale ; sauf à penser - mais c'est un avis là aussi personnel - que l'on pourrait avoir un horizon crédible d'uniformisation absolue des rôles des uns et des autres !

Mme Claude Greff : Ces prestations familiales assujetties au revenu correspondent à un couple. Si le couple se sépare, sont-elles rétroactives ?

Mme Anne-Marie Brocas : Si le couple se sépare, chacun est considéré séparément. Nous sommes là dans la logique française qui veut que lorsqu'on est en couple on suppose une solidarité au sein du couple.

Mme Claude Greff : Une fois séparée, la femme n'a plus de reconnaissance sociale.

Mme Anne-Marie Brocas : Elle sera considérée comme personne isolée - la rétroactivité n'existe pas - et traitée au vu de ses ressources. Et pour le passé, les solutions, qui ne sont pas satisfaisantes, sont les prestations compensatoires - issues du droit du divorce - dans lequel, me semble-t-il, tout cela peut être pris en compte.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il est vrai de dire que notre droit a été bâti en fonction du couple. Or aujourd'hui, les données ont changé.

Mme Anne-Marie Brocas : Nous sortons là de notre sujet, mais je pense que les femmes sont peu conscientes du fait que le droit du mariage est là pour les protéger. Les constructions autour des droits du mariage et du divorce, notamment le droit social, constituent un ensemble qui a une certaine cohérence : tant que le couple existe, il y a une solidarité - obligation d'assistance, solidarité par rapport aux dettes, etc. -, mais quand le couple se sépare, la femme acquiert un certain nombre de droits qu'elle tire de son mariage.

Il est vrai que le développement du concubinage pose des problèmes importants, notamment en ce qui concerne les retraites.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et ces problèmes sont-ils traités ?

Mme Anne-Marie Brocas : Actuellement, la pension de réversion n'est ouverte qu'en cas de mariage ; une femme ayant toujours vécu en concubinage n'y a pas droit. Il serait donc utile d'avoir une réflexion globale.

Le temps partiel est une question à laquelle les membres du Conseil d'orientation des retraites ont attaché une importance extrême, en demandant, par exemple, de poursuivre des études sur ce sujet et d'examiner ses conséquences sur la retraite. Aujourd'hui, dans le régime général, pratiquement un tiers de temps au Smic permet de valider quatre trimestres par an - sachant que pour valider un trimestre de retraite au régime général, il faut avoir travaillé 200 heures au Smic. Une femme qui va travailler 40 à 50 heures par mois, au Smic, va valider ses quatre trimestres. Le temps partiel est traité, en termes de validation de durée d'assurance, relativement bien au régime général. Après se pose la question des temps très, très partiels, mais faut-il aller jusqu'à revendiquer la validation de quatre trimestres pour une personne qui ne travaille presque pas ? Cela me paraît difficile à défendre.

En revanche, cette femme qui va valider ses quatre trimestres, va le faire sur la base du salaire qu'elle a effectivement gagné ; si elle est à mi-temps, le calcul se fera sur un demi-salaire. Cette question prend aujourd'hui une grande importance par rapport aux évolutions en cours dans le régime général, car avec le passage de 37,5 ans à 40 ans de cotisation, on s'aperçoit que les femmes travaillant à temps partiel ne sont pas trop pénalisées. En revanche, se pose une question - sur laquelle nous avons débattue au Conseil d'orientation des retraites -, qui est la suivante : lorsqu'on calculait la pension du régime général sur les dix meilleures années, une femme qui avait travaillé dix ans à temps plein et le reste à temps partiel, validait des droits calculés sur ses dix ans à temps plein ; aujourd'hui, du fait que nous sommes en train de passer aux vingt-cinq meilleures années, des années à temps partiel vont compter dans le calcul de la pension - de même que des années AVPF, validées au Smic.

Il s'agit d'un sujet sur lequel nous venons de commencer à réfléchir. Du côté de la durée, le choix est fait de dire que l'on traite le temps partiel comme du temps plein ; en revanche, le temps partiel va avoir des conséquences en termes de prise en compte dans le salaire.

En ce qui concerne les femmes travaillant dans la fonction publique, le calcul de la durée se fait de façon calendaire, ce qui veut dire que les femmes travaillant à mi-temps valident non pas un an, mais six mois. En revanche, au moment de la liquidation de la pension, on va leur reconstituer un salaire équivalent au temps plein. Avec la règle des quarante ans qui va être appliquée, j'ai cru comprendre qu'un traitement particulier serait fait des situations de temps partiel dans la fonction publique - sinon, les femmes à mi-temps dans la fonction publique ne pourraient pas avoir leurs quarante ans avant 65 ans. Il devrait y avoir une neutralisation totale ou partielle à l'instar de ce qui se fait dans le régime général, mais attendons de connaître le projet.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Très peu d'hommes sont à temps partiel, mais cela pourrait leur poser plus de problèmes qu'aux femmes qui bénéficient des majorations pour enfants.

Mme Hélène Mignon : Comment est traité le mi-temps thérapeutique - il y a là autant d'hommes que de femmes ?

Mme Anne-Marie Brocas : Je ne sais pas. Vous me posez une colle !

Vous m'avez également posé la question, dans la fonction publique, des droits au départ des mères de trois enfants après quinze ans de service. Je ne peux que vous renvoyer au dernier rapport de la Cour des comptes : dans la fonction publique d'Etat, ces départs représentent un sixième des départs en retraite des femmes. L'âge moyen est de 51 ans et 8 mois, à comparer à l'âge moyen de départ de 57 ans pour les femmes dans la fonction publique d'Etat. Les femmes qui partent dans le cadre de ce dispositif ont un taux de liquidation de 60 %, contre 67 % pour les femmes qui partent à l'âge normal, avec un montant de pension de 18 600 euros par mois, contre 20 200 euros et un surcoût annuel pour la fonction publique d'Etat de 300 millions d'euros par an.

Le Conseil d'orientation des retraites n'a pas pris position sur cette question d'alignement du droit des hommes et de femmes. Il a simplement été sensible à la question de savoir si cet alignement pourrait aboutir à détériorer de manière excessive la situation des femmes.

La pension proportionnelle après quinze ans d'activité est un avantage qui répond à une logique assez ancienne, puisqu'il date du milieu des années 20. Selon cette logique, il fallait permettre à une femme qui avait trois enfants de rester chez elle pour s'en occuper. Aujourd'hui, ce dispositif permet à ces femmes de bénéficier d'une retraite anticipée. Et il convient d'être attentifs au fait - cela est moins vrai pour la fonction publique d'Etat que pour les fonctions publiques hospitalières et territoriales - que ce dispositif est aujourd'hui intégré par un certain nombre de personnels dans des plans de carrière.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Certes, c'est un acquis, et les femmes l'intègrent dans leur plan de carrière. Mais les temps ont changé, et il conviendrait peut-être, aujourd'hui, de prendre davantage en compte la pénibilité du travail.

Mme Anne-Marie Brocas : Le Conseil d'orientation des retraites n'a pas pris position sur cet avantage.

En ce qui concerne la jurisprudence Griesmar, je vous renvoie à la note de problématique qui a été discutée au Conseil. Il nous a semblé que cette jurisprudence était très embarrassante par rapport à notre droit français, car elle procède d'une vision très individualiste et très égalitariste des droits - les droits des individus qui doivent être égaux.

En France, nous avons une manière de traiter l'égalité entre hommes et femmes à la fois par les avantages sociaux et par le droit familial. La mise en œuvre de cette jurisprudence percute notre construction juridique, il est donc logique que nous ayons beaucoup de mal à l'intégrer.

Nous avons débattu, au Conseil, de la manière de faire l'égalité - aligner tout le monde sur la norme la plus basse, ou la plus haute, ou trouver un moyen terme -, les organisations syndicales ont été très sensibles à tout ce qui pouvait dégrader la situation des femmes ; ce type de jurisprudence peut potentiellement remettre en cause des avantages attribués aux femmes, en compensation des désavantages rencontrés dans leur vie professionnelle.

En ce qui concerne l'impact d'une solution consistant à attribuer la majoration de durée d'assurance aux hommes comme aux femmes, sous réserve d'une interruption de deux mois de l'activité, de fait, cela ne change pas grand-chose pour le passé, les femmes, du fait du congé maternité remplissant cette condition. Pour le futur, compte tenu des nouvelles règles envisagées, la question est ouverte de savoir si les hommes interrompront leur activité pour s'occuper des enfants. En Suède, alors que les politiques sont très incitatives - voire coercitives - seuls 15 % des hommes prennent des congés parentaux.

Pour terminer sur la pension de réversion, vous retrouverez dans le dossier le constat de l'extraordinaire diversité des règles selon les régimes, le régime le plus restrictif étant le régime général avec cependant un effet compensateur qui est rempli par les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC, qui ont des conditions beaucoup plus souples.

Cela aboutit à une situation où - je ne parle pas de tous les cas possibles qui peuvent être aberrants compte tenu de la complexité des règles -, dans pratiquement l'ensemble des régimes, l'on a, en moyenne, un maintien du niveau de vie du survivant ; si l'on estime que ce niveau de vie correspond à un revenu égal à 55, 60 % du revenu du couple - calcul standard, tenant compte des charges fixes.

Il est souvent dit que les pensions du secteur public - et en particulier de la fonction publique - sont, pour les femmes, plus avantageuses que celles du privé ; or, lors de nos travaux, nous avons auditionné Bertrand Fragonard qui nous a fait remarquer qu'en réalité il existait trois groupes de situations. Premièrement, la situation la plus défavorable, celle des salariés des petites entreprises ou d'un certain nombre de non salariés, qui perçoivent de faibles pensions de réversion et très peu de prévoyance associée. Deuxièmement, à l'autre bout, la situation des cadres du privé appartenant à des branches ayant de bonnes conventions collectives et des dispositifs de prévoyance importants. Troisièmement, la fonction publique, qui se trouve dans une situation intermédiaire. La grille opposant le public et le privé n'est certainement pas la bonne, car il convient d'intégrer la dimension prévoyance. Il est sans doute juste, en matière de réversion, d'intégrer dans la réflexion la dimension prévoyance, celle-ci reflétant les besoins tels qu'ils sont ressentis par des personnes qui ont la capacité de s'assurer - besoins qui ne sont pas couverts par la protection sociale.

Au regard de la multiplicité des règles et de leur grande diversité, comme pour les avantages familiaux, on ne peut pas dire qu'un choix global et unique ait été fait en termes de logique de réversion.

Or, diverses logiques sont possibles, comme on peut l'observer à travers les exemples étrangers. Certains pays ont fait le choix d'attribuer la réversion uniquement sous conditions de ressources - voire pas du tout -, alors que d'autres considèrent la réversion comme un droit pour tout ménage indépendamment de ses revenus : le survivant perçoit au décès du conjoint 60 % du niveau de vie qu'il avait précédemment acquis. De la même manière, dans certains pays, la réversion est réservée aux femmes, puisque ce sont elles qui s'occupent des enfants et subissent des désavantages professionnels. Dans d'autres, elle est considérée comme un risque survivant homme/femme. Dans ce dernier cas, la question de l'âge se pose. Soit ce risque survivant est assuré à partir d'un certain âge, soit on choisit de l'assurer dès le début du mariage, au motif que les veuvages précoces sont rares, mais plus durs.

Enfin, dernière question, celle des situations familiales : la réversion est accordée en cas de mariage, mais pas en cas de concubinage ou de Pacs. La question a été soulevée au moment du débat sur le Pacs, et je pense qu'elle le sera de nouveau à terme.

Sur la question générale de la logique à privilégier en matière de réversion, le Conseil a pris quelques orientations qui sont très loin de trancher toutes les questions que j'ai posées.

Premièrement, nous avions posé la question de la suppression ou du maintien de la pension de réversion - la Suède a fait le choix, elle, de la supprimer. Le Conseil a pris position, considérant qu'il était impensable, compte tenu des situations actuelles et futures, de supprimer la pension de réversion - il s'est donc prononcé à la fois pour le présent et pour l'avenir.

Le Conseil souhaite étudier les possibilités d'harmoniser, à terme, les dispositifs de réversion selon les régimes, les membres du Conseil estimant qu'il n'y a pas de justification à la diversité observée aujourd'hui. Il nous demande donc de poursuivre une réflexion sur ce que pourrait être un dispositif cible, vers lequel on s'efforcerait de faire converger l'ensemble des régimes - à un horizon à définir. Cela suppose à la fois que l'on définisse l'horizon et que l'on se mette d'accord sur la cible ; pour cela, nous devrons reprendre la série de questions que j'évoquais tout à l'heure : conditions d'âge, de ressources, de cumul, situation familiale, taux de la réversion.

Mme Claude Greff : Avez-vous réfléchi au nombre d'années de mariage nécessaires pour bénéficier de la pension de réversion et à l'âge ? Imaginons une jeune femme de 20 ans qui se marie avec un homme de 80 ans. A partir de quand peut-elle bénéficier de la pension de réversion ?

Mme Anne-Marie Brocas : Après deux ans de mariage, sauf s'il y a eu des enfants. Bien entendu, si elle est en concurrence avec d'autres femmes, la pension sera versée au prorata du nombre d'années de mariage.

Dans les années 70, où l'on a beaucoup légiféré sur le divorce, on a cherché à régler une situation type : un homme de 50 ans qui divorce, laissant une femme avec qui il a vécu 30 ans pour se remarier. En instituant la règle du prorata, le législateur voulait protéger la première femme.

Aujourd'hui, les données ont changé : les couples divorcent, en moyenne, après cinq ans de mariage, et souvent ils ne se remarient pas - ce qui nous renvoie au débat sur le concubinage. Je n'ai pas de réponse, mais nous ne sommes plus dans le schéma de référence arrêté dans les années 70. Cela étant dit, je ne suis pas certaine que l'on puisse en trouver un meilleur, car il a une certaine logique.

Aujourd'hui la règle est donc la suivante : la première femme touchera la totalité de la pension de réversion si son ex-conjoint ne se remarie pas, sinon elle bénéficiera d'une réversion au prorata de la durée de mariage (en l'occurrence, cinq ans en moyenne aujourd'hui). Nous n'avons pas travaillé sur ce sujet, mais je pense qu'il y a également, pour le moyen terme, matière à réflexion.

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