DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 8

Mardi 30 janvier 2007
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

Audition de Mmes Françoise Laurant, présidente, et Maïté Albagly, secrétaire générale, du Mouvement français pour le planning familial

Après avoir souhaité la bienvenue à Mmes Françoise Laurant, présidente, et Maïté Albagly, secrétaire générale, du Mouvement français pour le Planning familial, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, leur a demandé leur opinion sur l'ensemble des textes votés au cours de la présente législature. Elle a, en particulier, souhaité savoir si elles estimaient qu'ils avaient permis de faire évoluer la situation sur le terrain. Elle leur a également demandé quelles étaient, selon elles, les questions qui pourraient se poser à la prochaine majorité.

Mme Françoise Laurant a tout d'abord rappelé que l'image du Planning familial dépassait aujourd'hui les seules questions d'IVG ou de contraception, pour s'étendre plus largement aux violences faites aux femmes ainsi qu'aux problèmes posés par la pandémie de sida. Sur tous ces points, le Planning familial a été davantage entendu que par le passé, que ce soit par la Délégation aux droits des femmes ou par le ministère. En la matière, l'écoute est d'autant plus importante que l'ignorance de cette violence sourde dans la société peut faire commettre des erreurs colossales au détriment des femmes.

Malheureusement, le travail de la délégation aux droits des femmes s'est beaucoup focalisé sur les questions de parité et d'égalité professionnelle, au détriment des droits fondamentaux des femmes qui sont l'objet des préoccupations du Planning. Les lois, en elles-mêmes, ne suffisent pas. Sauf à voter des lois-cadres, l'ensemble des politiques doivent être mobilisé pour lutter contre le stéréotype de la domination masculine.

La présidente du MFPF a attiré l'attention sur l'existence de régression des droits des femmes dans certains domaines. Elle a évoqué le cas récent du procès odieux d'un père incestueux qui, condamné une première fois à seize ans de réclusion pour inceste, a obtenu de la Cour européenne des droits de l'homme qu'elle casse le verdict de la cour d'assises. Au cours de ce procès les nouvelles stratégies de la défense d'auteurs de viols par inceste sont apparues clairement. Après des décennies de « procès » des victimes de viols et d'incestes, aujourd'hui, la parole des femmes et des petites filles est niée, même dans ce cas où la police avait fortement insisté sur la gravité des faits. Les médias considéraient déjà qu'il s'agissait d'une nouvelle erreur judiciaire. Le procès s'est heureusement bien terminé : le père incestueux a vu sa peine augmentée. Cependant, au cours des trois jours du procès, le président n'a pu s'opposer à ce que la défense exige de la victime qu'elle subisse un examen gynécologique prouvant qu'elle n'était plus vierge !

On n'imagine mal, aujourd'hui, à quelle violence les femmes sont soumises. Il faut en finir avec la politique des petits pansements qui, certes nécessaires, restent largement insuffisants. La France a besoin d'une loi-cadre et globale pour lutter contre le sexisme et la domination masculine.

S'agissant du droit à l'IVG et des multiples attaques dont il est la cible, Mme Françoise Laurant a rappelé que le regroupement de tous les mouvements européens anti-avortement s'était fait à l'initiative de groupes français, notamment en contact avec des organisations portugaises ou polonaises, qui véhiculent un discours véhément contre la France, en particulier en Pologne, où la France incarne dans certains milieux l'athéisme criminel. Il faut que la France, qui présidera l'Union européenne en 2008, inscrive à l'ordre du jour la question de l'IVG en Europe.

Il convient à cet égard de féliciter la Délégation pour les positions qu'elle a eu le courage de prendre en la matière. Il est possible, ainsi que l'a confirmé Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, de progresser sur ces questions au niveau du Conseil de l'Europe, sans doute davantage qu'à celui du Parlement européen.

Mme Claude Greff a salué à son tour le travail remarquable, tant en ce qui concerne la lutte contre le sida que la défense des enfants ou le droit des femmes, du Conseil de l'Europe, où elle a été désignée référente pour la France.

Mme Françoise Laurant a souligné que le cadre du Conseil de l'Europe était propice aux contacts avec les parlementaires d'autres pays, même les Polonais.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a fait part de son souhait de faire partie, sous la prochaine législature, de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, car la seule manière de faire avancer la cause des femmes est de la porter au niveau européen, ainsi qu'en témoignent les progrès accomplis en matière d'égalité professionnelle.

Mme Maïté Albagly a déploré que certaines lois, pourtant nécessaires comme celle fixant l'âge du mariage pour les jeunes filles à 18 ans, aient été présentées comme une solution miracle au problème des mariages forcés. Ceci a eu pour conséquence de donner l'impression qu'il n'y aurait plus de jeunes filles ne situation de mariages forcés. Or, nous savons qu'il n'en est rien. De surcroît, ces mesures n'ont pas été accompagnées d'un effort global d'explication sur les violences faites aux femmes. Les dispositions éparses prises au cours des cinq dernières années pour lutter contre ces violences sont louables, mais il n'est malheureusement pas possible d'en contrôler l'efficacité. Aucune instance n'a été prévue pour suivre l'application des lois. Pis, des contradictions surgissent parfois entre les dispositions civiles et les dispositions pénales.

Il faut d'autant plus regretter l'absence d'une loi-cadre qu'elle aurait permis d'aborder d'autres thèmes comme l'excision ou la pandémie du sida et plus généralement la précarité qui touche de plus en plus de femmes. Les violences conjugales ont tellement focalisé l'attention qu'elles ont fait oublier toutes les autres violences faites aux femmes.

Il est indispensable de créer un ministère à part entière, influent et doté de moyens suffisants pour fonctionner, suivre et évaluer l'application des lois. Il est aujourd'hui aberrant qu'un homme auteur de violences contre une femme à Lens ne subisse pas le même traitement que celui qui a sévi à Carpentras !

Il est par ailleurs regrettable que le montant des subventions accordées à la suite de la loi de 2001 pour assurer les séances d'éducation à la sexualité n'ait pas évolué depuis dix ans, et ait même reculé puisque tout ce qui concerne la médiation est financé par la même ligne budgétaire. Rien, enfin, n'est fait dans les écoles pour prévenir de futures violences faites aux femmes.

Mme Françoise Laurant a cité le cas d'un conseil général qui a élaboré avec le Planning familial une exposition, à destination des collégiens, sur « dis non aux violences envers les filles », par le biais de onze panneaux dont les thèmes allaient du sexisme ordinaire au viol ou à l'inceste. Or, le représentant du rectorat a fait retirer certains panneaux, refusant de s'attaquer au sexisme ordinaire et de dénoncer des stéréotypes trop souvent considérés comme normaux dans notre société. Alors que l'école publique a été créée jadis afin de déconditionner les futurs citoyens, elle manque aujourd'hui de courage. La meilleure solution serait de faire intervenir des personnalités extérieures à l'école, mais la loi de 2001 et la circulaire de 2003 ne sont pas appliquées. Aucun financement n'est prévu, et le peu d'argent dévolu à la formation des enseignants est prélevé sur les crédits de prévention régionaux, qui auparavant revenait aux associations - tout cela pour former des enseignants qui, finalement, n'oseront traiter en cours que des risques liés à la sexualité. Il est devenu indispensable de voter une loi-cadre et d'en définir clairement les objectifs.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a reconnu qu'elle aurait été favorable à une loi-cadre, sur le modèle de celle qu'a fait voter, en Espagne, M. José Luís Rodríguez Zapatero. Elle a estimé par ailleurs regrettable que les lois votées ne soient pas suffisamment évaluées. Le projet de codification des lois concernant les femmes, souhaité par Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, ne sera pas suffisant, car il y manquera une pédagogie d'ensemble. Il est également regrettable qu'au moment de l'élaboration de la loi d'orientation sur l'école, il n'y ait pas eu une volonté suffisante d'y intégrer la question des femmes.

Il est indispensable de créer un ministère de plein exercice, avec à sa tête un ministre doté de compétences interministérielles sur la problématique des femmes.

Elle-même, par exemple, s'est parfois trouvée en difficulté sur le terrain, pour répondre à des femmes victimes de violence, parce que les lois font l'impasse sur la question du paiement du loyer une fois le mari violent évincé du foyer conjugal. Que peuvent faire ces femmes sans emploi, ou à temps partiel ? L'accompagnement qu'on leur propose n'est pas suffisant.

Mme Claude Greff a cité un exemple inverse : dans sa circonscription, le procureur et les associations œuvrent ensemble à la recherche de solutions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a objecté que la situation de femmes est si précaire dans certaines régions que les associations ne peuvent plus faire face.

Mme Françoise Laurant a dénoncé le manque de détermination des pouvoirs publics à faire reculer cette situation. Une femme qui n'a pas de revenus aura du mal à obtenir en priorité un logement social.

Mme Claude Greff l'a contesté, s'appuyant à nouveau sur l'exemple de sa circonscription, où il suffit d'appeler l'OPAC local ou départemental pour obtenir un logement à une femme démunie.

Mmes Françoise Laurant et Maïté Albagly ont fait état de leur scepticisme, ajoutant que l'on ne pouvait généraliser ce cas particulier à l'ensemble du territoire.

Mme Claude Greff en a convenu, mais a souligné que la loi n'est en vigueur que depuis peu, et qu'il reste à renforcer la mobilisation de l'ensemble des acteurs sur cette question.

Mme Françoise Laurant a indiqué qu'à Grenoble, 5 000 demandes de logement restent en attente. La situation est certes difficile pour tout le monde, mais surtout pour ces femmes sans ressources. Il est indispensable de mener une politique d'ensemble, de bien faire comprendre à tous qu'il s'agit d'un problème universel, qui se pose sur l'ensemble du territoire. Il convient de multiplier les structures, sans pour autant victimiser les femmes.

Il faudrait par ailleurs mettre en place une sorte de protocole afin de généraliser ce qui ne relève pour l'instant que de l'action individuelle, comme en témoigne l'exemple cité par Mme Claude Greff. Il n'existe ainsi que six services hospitaliers spécialisés dans le viol ! Les associations doivent aujourd'hui passer de vrais partenariats avec les services et les pouvoirs publics.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a estimé qu'il faudrait professionnaliser davantage le secteur : Mme Claude Greff parvient sans doute, en effet, à résoudre certains cas difficiles, mais quelle part représentent-ils de l'ensemble des problèmes existant dans son département ? Rien, de surcroît, n'est fait en amont, alors même que l'éducation est un élément essentiel. La situation est dramatique et risque d'exploser d'ici dix ou quinze ans.

Mme Maïté Albagly a indiqué que, selon les conseillères d'éducation sexuelle, la violence ne cesserait d'augmenter dans les établissements. Il n'est ainsi plus possible, dans nombre de collèges d'Orléans, de parler une heure dans le calme. On comprend mieux, dans ces conditions, que Mme Ségolène Royal ait déclaré à la presse que rien n'avait été fait ces cinq dernières années, et que les lois votées n'étaient quasiment pas appliquées.

Mme Claude Greff s'est insurgée contre cette assertion : même si elles restent insuffisantes, des mesures ont été prises, et, surtout, les mentalités ont évolué. Il n'y a pas si longtemps, on estimait qu'une femme battue ne devait s'en prendre qu'à elle-même !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a considéré que des mesures avaient certes été prises au cours des cinq dernières années, mais que le travail pédagogique n'avait pas été suffisant.

Mme Maïté Albagly a estimé que la classe politique n'a pas suffisamment dénoncé la situation, et souhaité que soit créé un ministère à part entière, chargé de l'égalité entre les hommes et les femmes. Elle a par ailleurs insisté sur la nécessité que femmes et hommes travaillent ensemble à ce chantier.

Mme Claude Greff a approuvé ce dernier propos.

Mme Maïté Albagly a souligné que, chaque mois, quatre femmes meurent suite à des violences, et qu'une femme sur dix en est victime.

Mme Claude Greff a regretté que la Délégation et le ministère aient souvent une appréciation divergente de la gravité des différents problèmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé avoir protesté contre un projet de loi réprimant plus sévèrement les propos homophobes que les propos sexistes. Si elle s'est réjouie d'une prochaine codification, elle a regretté l'absence de collaboration entre le ministère et la Délégation, qui traduit le fait que la problématique des femmes n'est pas pleinement intégrée dans le discours politique. Il faut absolument qu'il en aille différemment sous la prochaine législature.

Mme Françoise Laurant a exposé que les violences faites aux femmes constituaient un véritable problème de société, qu'il convenait de traiter en commençant par reconnaître aux femmes concernées le statut de victimes afin qu'elles ne se sentent plus coupables, ce qui, selon de nombreux témoignages, reste trop souvent le cas.

La loi doit prendre en charge les victimes, dans la totalité des problèmes qui se posent à elles, et qui sont liées à la domination qu'elles subissent. Les pouvoirs publics doivent s'en saisir comme ils se sont saisis de la question du racisme. C'est pourquoi une loi d'orientation s'avère indispensable. Il serait également instructif d'étudier les exemples européens afin d'en tirer des leçons.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est interrogée sur une possible régression de l'image de la femme dans la société.

Mme Maïté Albagly a répondu que l'on peut en effet avoir ce sentiment, mais que l'égalité entre les hommes et les femmes constitue bien un mouvement historique inexorable, ce dont témoigne justement la reviviscence d'un certain discours passéiste tendant à ramener les femmes à leur foyer et à les confiner dans leur rôle de reproductrices. N'a-t-on pas entendu reprocher aux mères de famille, lors des émeutes dans les banlieues, de laisser leurs enfants seuls et d'être responsable de leurs violences ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a regretté, à cet égard, que les politiques n'aient pas assez travaillé avec les femmes des banlieues car, dans la plupart des problèmes de société, la réponse doit être cherchée du côté des femmes. Il faut également faire preuve de davantage de pédagogie pour que les citoyens comprennent les lois votées.

Mme Françoise Laurant a appelé l'attention de la Délégation sur le rapport établi en 2005 par la Conférence de la famille : le taux de natalité s'élevait alors à 1,9, ce qui plaçait la France en tête des pays européens, mais les femmes françaises se sont vu reprocher d'avoir leur premier enfant trop tard et de trop penser à leur carrière, alors qu'il aurait au contraire fallu se réjouir de ce que les mesures prises en France, même si elles demeurent insuffisantes, permettent de concilier plus facilement qu'ailleurs vie professionnelle et vie familiale, tout en constatant que les droits à la contraception et à l'IVG n'empêche pas le taux de natalité d'être l'un des plus élevés d'Europe. Surtout, il est à noter que les femmes françaises osent plus fréquemment que leurs voisines nordiques faire un troisième enfant dans une famille recomposée.

Tout cela démontre la nécessité de mener une politique globale envers les femmes, aussi bien sur le plan européen qu'international, en partenariat avec d'autres institutions. Sans doute l'Assemblée parlementaire de la francophonie est-elle également un lieu propice au traitement de ces questions, car nombreuses sont les femmes parlementaires africaines qui souhaitent en parler.

En conclusion, Mme Françoise Laurant a salué le partenariat établi avec la Délégation aux droits des femmes au cours de cette législature et souhaité une augmentation des pouvoirs propres de la Délégation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité que la prochaine Délégation aux droits des femmes dispose de plus de pouvoirs, puis a remercié Mmes Françoise Laurant et Maïté Albagly.

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