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Troisième séance du mardi 3 février 2004

149e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

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APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (n°s 1378, 1381).

Dans la discussion générale, la parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, mes chers collègues, la question soulevée par le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est essentielle. La laïcité est une valeur, un principe du « vivre ensemble » républicain, directement issue du progrès des idées et de la raison. Elle est une valeur universelle qui fonde la liberté de conscience.

Néanmoins, le projet ne fait pas de l'école le sanctuaire respectueux des consciences qu'elle devrait être, à l'abri des intérêts particuliers. Vous pointez tout particulièrement une religion, mais vous acceptez d'accueillir cette année encore dans l'enseignement public « Les Masters de l'économie », le jeu-concours d'une grande banque, le CIC pour ne pas la nommer.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur pour avis. Quel est le rapport ?

M. François Asensi. Attendez, vous verrez...

Vous prétendez, monsieur le ministre, renforcer la neutralité de l'institution scolaire au moment même où vous consentez à y faire entrer l'idéologie de la spéculation boursière.

Vous réaffirmez le principe de laïcité pour « assurer l'égalité des chances » mais vous la condamnez sur le terrain social. Je fais référence ici à l'inacceptable ségrégation sociale et spatiale qui, sur fond d'exclusion, constitue le terreau sur lequel prospèrent toutes les formes d'intolérance.

Notre pays a profité de son statut de puissance coloniale pour faire venir, à la fin du xixème et tout au long du xxème, de la main-d'œuvre étrangère. Cette source d'enrichissement culturel a également été bénéfique pour l'économie du pays. Nous lui devons d'avoir mené à bien tous nos grands chantiers : les ports, le rail, les routes, le bâtiment, l'industrie automobile, la mine... Cette classe ouvrière, riche de sa diversité et redoutée par les classes dirigeantes, des élus ont refusé de l'accueillir, la repoussant même parfois à la périphérie des agglomérations. Plus grave, des villes comme Paris, Puteaux, Boulogne-Billancourt ont même chassé les populations ouvrières qui les habitaient.

Ce débat n'est pas nouveau et, en 1985, à la tribune de l'Assemblée nationale, j'expliquais que « par tradition de solidarité ancienne, ce sont les communes populaires, le plus souvent dirigées par les communistes, qui ont accueilli les immigrés en France » - et nous en sommes fiers - et je dénonçais « les véritables ghettos où s'accumulent la misère, les tensions et les difficultés de toutes sortes. [...] Ces communes n'acceptent plus de supporter seules le poids de la solidarité nationale ». En 1990, comme rapporteur de la loi contre le racisme, l'antisémitisme et le négationnisme, j'avais de nouveau tiré le signal d'alarme : « Ces poches de misère sont des bombes à retardement. A trop attendre pour les faire disparaître, il risque d'être trop tard pour éviter l'instauration d'un mur d'incompréhension et d'intolérance ».

C'est à partir de ce sentiment d'exclusion que des groupes organisés jouent d'une rhétorique habile sur la liberté et la tolérance à l'école, là où ils n'ont pas encore le pouvoir, et utilisent la menace assortie de pressions diverses là où ils le détiennent déjà.

La République française n'a pas pris la mesure des moyens considérables - financiers, sociaux et culturels - qu'il aurait fallu mobiliser pour venir à bout de la fracture sociale. Alors qu'il aurait fallu accueillir pleinement ces populations, revaloriser le travail manuel, leur garantir des droits, notamment le droit de vote, ces travailleurs, après des années de séjour et de travail en France, sont abandonnés à leurs difficultés, assignés à résidence dans les cités, frappés les premiers par la crise, stigmatisés par leur origine, et en proie à un légitime sentiment d'injustice.

En 1989, encore une fois, lors d'un débat sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ici même, je décrivais une situation qui n'a pas changé depuis : « L'immigration en France porte la marque du capitalisme, et, dans ses spécificités françaises, celle d'un néo-colonialisme persistant qui marque profondément - ne nous voilons pas la face - les mentalités et les comportements de ceux qui ont le sentiment absurde et irrationnel, mais toujours raciste, d'appartenir à une race supérieure ».

Aux yeux des jeunes issus de l'immigration, l'exclusion et l'humiliation de leurs parents plusieurs décennies après leur arrivée en France est explosive et dramatique. Et pour tous les habitants des quartiers en difficulté qui vivent la relégation, la précarité et l'insécurité, leur expérience est le contraire des idéaux proclamés. Comment s'étonner que la devise de la République « Liberté, égalité, fraternité » ne puisse avoir de sens pour eux ?

Pour autant, la laïcité est un acquis fondamental qu'il ne faut cesser de défendre et d'enrichir. Une République comme la nôtre ne peut en effet tolérer aucune discrimination, qu'elle soit religieuse, raciste ou sexiste. La lutte pour l'égalité est de ces combats qui traversent les âges et ne s'arrêtent jamais.

Parmi eux, j'attache une importance particulière à celui pour la reconnaissance de l'égalité homme-femme, souvent remise en cause par tous les clergés. Faut-il rappeler le rôle de l'Inquisition catholique en Europe dans la diabolisation des femmes capables et coupables de tous les maux, dans l'assimilation des femmes à des sorcières, dans l'apparition des bûchers et de la torture ? Plus tard, Marx, dans L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, n'hésitera pas à décrire la condition des femmes comme celle d'un sous-prolétariat. Il écrit : « dans la famille, l'homme est le bourgeois, la femme joue le rôle du prolétariat ».

Rappelons-nous qu'en 1804, le code Napoléon consacrait l'incapacité juridique des femmes. Elles ne disposaient pas de leur salaire avant 1907 et devaient jusque-là le reverser à leur mari ! Souvenons-nous aussi qu'en 1942, sous Vichy, l'avortement était passible de la peine de mort. Personne n'aura oublié l'avènement du vote féminin qui ne survint qu'à la Libération, en 1944. II faudra encore attendre 1965 et la réforme du régime matrimonial de 1804 pour qu'elles puissent enfin signer des chèques ! Plus récemment, que de résistances contre la loi sur la parité en politique ! Et que de combats aura-t-il fallu encore mener pour qu'elles puissent enfin disposer pleinement d'elles-mêmes !

Contrairement à d'autres amis qui sont ici, je pense que les victimes, et en particulier les femmes, ont besoin du renfort de la loi. « Entre le fort et le faible, disait Henri Lacordaire, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui libère ». Est-il acceptable que, dans des banlieues, des jeunes filles soient méprisées, insultées, voire victimes d'agressions physiques, voire criminelles, parce qu'elles refusent une norme, qu'elle soit vestimentaire ou autre ? Je n'ignore pas pour autant que, dans l'esprit de certaines jeunes filles et de certaines femmes, c'est un choix personnel, et je le respecte. Je ne confonds pas le port du voile et les manifestations d'intégrisme politique. Mais je ne peux non plus refuser de donner aux autres, dans ce sanctuaire qu'est l'école publique, un point d'appui législatif sur le long chemin de leur émancipation.

Je pense aux femmes qui, en Afghanistan, en Iran, en Arabie Saoudite, et partout dans le monde, luttent contre les humiliations, la violence, parfois même contre la lapidation comme au Nigeria. Elles peuvent recevoir cet acte symbolique fort de notre République comme un véritable signe d'encouragement.

Je doute de la sincérité de la majorité sur la laïcité et le statut de la femme quand j'observe que le droit à l'avortement est insidieusement remis en cause par des députés de l'UMP, comme en atteste l'amendement Garraud qui, heureusement, a été supprimé.

Je respecte le choix de mes amis politiques mais je veux leur dire que ne rien céder sur le terrain social ne nous empêche pas de réaffirmer les principes essentiels de notre capacité à vivre ensemble. Occuper le terrain social n'implique pas de déserter celui des principes et des valeurs universelles. N'opposons pas la question sociale à celle des libertés. Les temps où le respect et l'aspiration de l'individu étaient systématiquement écrasés par le primat du projet collectif ont abouti au stalinisme et au totalitarisme.

A l'heure de la mondialisation capitaliste, je veux rappeler les menaces que font courir aux valeurs de progrès toutes les formes de fondamentalisme religieux : chrétien au plus haut sommet de la plus grande puissance mondiale, islamique dans d'autres lieux. Je crois qu'il faut porter aujourd'hui tout à la fois le drapeau de la liberté individuelle et celui de la transformation sociale. C'est le sens de mon engagement politique.

Ma conviction intime est que les instruments d'oppression et de discrimination doivent épargner les enfants de France dans leur magnifique diversité d'origines, de couleurs et de cultures. J'ai donc demandé à mon groupe la liberté de conscience et, sur ce sujet, je prends position au nom de l'émancipation du genre humain et du statut de la femme. C'est pourquoi je voterai votre projet de loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yves Bur.

M. Yves Bur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a souligné d'emblée la commission Stasi, la laïcité est constitutive de notre histoire collective. Elle s'est construite au fil du temps en s'adaptant aux évolutions de notre société. A chaque étape, son affirmation a permis de sauvegarder la neutralité de l'Etat, mais aussi de garantir le respect de la liberté de conscience, tout en assurant le libre exercice des cultes. La mise en œuvre du principe de laïcité au sein de la République a suscité des débats vifs, voire des tensions avec les différentes religions. Cependant, elle a permis aux valeurs de la République de protéger l'espace de liberté, de respect et de neutralité indispensable à la vie en société.

Aujourd'hui, cet équilibre est confronté à l'implantation de l'Islam dans notre pays, ce qui n'est pas en soi un problème, mais qui s'accompagne de la volonté de certains groupes intégristes et fondamentalistes d'utiliser cet espace de liberté pour remettre en cause les acquis de la laïcité et tester la résistance de la République en vue d'installer leur autorité.

En engageant ce débat, le Président de la République n'a voulu stigmatiser ni une communauté, ni même une religion, mais réaffirmer haut et fort la nécessité pour tous les Français, et pour chaque citoyen, de faire sien le socle des valeurs de la République, au service d'une vie en commun mise à mal par l'évolution de notre histoire sociale.

Oui, mes chers collègues, il est temps d'être clairvoyant, comme nous y invite la commission Stasi, et d'assumer notre responsabilité de législateur en inscrivant dans la loi notre volonté de faire respecter par tous ce principe du vivre ensemble qu'est la laïcité.

M. Jérôme Rivière. Très bien !

M. Yves Bur. La République n'a pas à plier sous les coups de boutoir de quelque fondamentalisme que ce soit. Il en va de la liberté de chacun et de l'idée même de République. Comme l'affirme le Président Jacques Chirac, il ne s'agit pas de refonder la laïcité, ni même d'en modifier les frontières, mais bien de rester fidèle aux valeurs et aux équilibres que nous avons su inventer à travers notre histoire.


Cette affirmation solennelle n'entend stigmatiser aucune communauté. Elle traduit simplement notre volonté de résister fermement aux provocations des intégrismes et des obscurantismes de toute nature, et de leur signifier qu'en France, « la religion ne sera jamais un projet politique », pour reprendre les propos du Premier ministre.

En votant ce texte, nous allons réaffirmer que l'espace public, et en premier lieu l'école, mais aussi l'ensemble du service public, doit rester un espace de neutralité, qui participe à la préservation de notre cohésion sociale.

Cette loi, qui ne sera pas une loi pour rien, renforcera l'autorité des chefs d'établissements face aux attitudes contraires, une autorité qui a été minée par l'empirisme juridique et l'absence de courage politique. Cette loi est attendue, en particulier par les chefs d'établissement, comme un signal fort, et je la voterai avec conviction au nom des valeurs que nous incarnons ici.

Je me réjouis notamment que cette clarification s'étende à l'ensemble du territoire national, y compris aux départements d'Alsace et de Moselle, qui, au motif de spécificités locales héritées de l'histoire, ne pouvaient rester à l'écart sans risquer de devenir pour les fondamentalistes des territoires de provocation.

Dans nos trois départements, le droit local est, malgré sa spécificité, conforme au principe constitutionnel de laïcité, même s'il le met en œuvre autrement que le droit général. La neutralité de 1'Etat y est strictement respectée. Des règles identiques de laïcité sont appliquées et respectées dans les écoles, même si l'enseignement religieux y est permis. Le droit local autorise en effet l'enseignement religieux mais celui-ci reste facultatif pour tous les élèves.

Les habitants de ces trois départements sont très largement attachés à cette particularité, même si la pratique religieuse n'y est guère plus active qu'ailleurs dans notre pays. Ils souhaitent que les relations apaisées entre l'Etat et les différentes confessions soient préservées, même si ce régime local doit pouvoir évoluer et prendre en compte des besoins nouveaux.

Avant de conclure, je voudrais que nous fassions savoir à tous les fondamentalistes que nous refuserons sans concession toute atteinte au droit des femmes.

L'apparition du voile n'est pas concomitante à l'immigration, mais à la radicalisation de certains groupes islamistes. Il suffit de parcourir le contenu de certains sites de prosélytisme islamiste pour comprendre qu'après le voile, c'est la mixité qui sera battue en brèche, puis le droit de la femme à travailler.

Monsieur le ministre, je tiens à votre disposition les textes trouvés sur certains sites : ils sont éloquents. Nous devons donc rester vigilants. Le combat pour l'égalité des sexes et pour le droit des femmes ne saurait supporter d'exceptions, fût-ce au nom de règles religieuses dont l'interprétation reste incertaine.

M. Jérôme Rivière. Très juste !

M. Yves Bur. De ce point de vue, l'école constitue le lieu d'apprentissage de l'égal respect auquel chacun à droit quel que soit son sexe.

Ne pas réagir face à ces dérives, qui tentent de nous imposer les règles d'un communautarisme que notre tradition républicaine a toujours rejeté, n'est plus acceptable, ni même responsable.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Yves Bur. Ce refus sans concession doit impérativement s'accompagner d'un effort plus marqué pour combattre toutes les discriminations et pour mieux intégrer tous les jeunes, qui ne demandent qu'à faire leurs preuves et à mettre leur énergie au service du bien commun. En tant que maire, j'ai le sentiment que nous progressons et que l'espoir sera plus fort que les peurs. En réaffirmant notre fidélité au principe de laïcité et aux valeurs de notre République, nous confortons cet espoir et nous marquons notre confiance dans une France unie dans sa diversité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Vaillant.

M. Daniel Vaillant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat aurait pu, et aurait dû, être une occasion pour la République de réaffirmer avec force et clarté son attachement à un de ses principes fondamentaux, au principal facteur d'unité morale ou spirituelle de notre nation : la laïcité.

Aujourd'hui, malheureusement, après les moulinets grandiloquents des uns et les déclarations confuses des autres, après les beaux discours souvent contredits par les actes, le moins que l'on puisse dire, c'est que la confusion règne dans certains esprits. Qu'il me soit donc permis de revenir au cœur du sujet dont nous débattons ce soir, le principe de laïcité et son application au sein de l'enseignement primaire et secondaire public.

La laïcité ne se résume pas à la loi de 1905, bien que celle-ci en soit un élément primordial. Ce n'est pas seulement l'application du principe de liberté de conscience et de séparation des églises et de l'Etat. La laïcité, c'est une conception globale de l'Etat et de la République. C'est l'égalité des chances, c'est la lutte contre toutes les discriminations, c'est l'égalité des territoires, c'est le respect dû à l'Etat. La laïcité, c'est notre contrat social, c'est ce qui permet à chacun de trouver sa place dans la République. C'est la liberté de penser, la garantie du libre arbitre contre les pressions familiales, celles du marché, de la propagande, de la tradition ou de la religion. La laïcité libère l'individu et intègre le citoyen. Elle est le centre du creuset républicain forgé à l'école.

La laïcité n'est donc en rien une simple garantie passive. Bien au contraire, c'est un principe actif de libération et d'intégration. C'est le cœur du pacte républicain. Car la République, ce n'est pas la simple juxtaposition des intérêts individuels, ce n'est pas l'addition des communautarismes et des corporatismes. Etre républicain, c'est mener un combat quotidien pour l'intérêt général de la collectivité, pour la défense de l'intérêt de tous contre celui de chacun. La République, c'est la volonté et l'acceptation du « vivre - ensemble ».

Aussi exige-t-elle de chacun un effort personnel. La laïcité donne à chacun la protection de sa liberté de conscience. En contrepartie, l'individu doit respecter l'espace public et ne pas afficher un prosélytisme agressif.

On est donc bien loin du libéralisme intégral, et encore plus loin du communautarisme libéral. En effet, le recul de l'Etat et de ses fonctions de solidarité, le délaissement de certains territoires, l'abandon des politiques actives de lutte contre le chômage ou la précarité, le laisser-faire ou le laisser-aller minent notre contrat social.

Décidément, non, je le dis avec force, je ne suis pas libéral si le libéralisme c'est le laxisme, la liberté du renard dans le poulailler, la loi du plus fort et du rapport de forces, le « chacun pour soi » contre le « tous ensemble », le désengagement de l'Etat, le recul de la solidarité républicaine, la concurrence sans limite. Bref, je ne suis pas libéral si le libéralisme consiste à mettre en place la société de marché.

Il est donc contradictoire de discourir sur la laïcité, de discuter de l'application de ce principe à l'école quand, dans le même temps, l'Etat se désengage et quand certaines autorités publiques s'en remettent aux leaders religieux pour régler certains problèmes.

Je pense par exemple aux récents événements de Strasbourg. Mais je pense aussi à l'action de certains ministres qui flattent les communautarismes. Je pense à l'instrumentalisation électoraliste de ce débat. Je pense à la volonté de le circonscrire à l'école. Je pense à la tentative de limiter le débat public à cette question, afin peut-être - ce n'est pas la première fois que l'actuelle majorité agirait de la sorte (Protestation sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) - de faire oublier à nos concitoyens les autres sujets importants : la hausse du chômage, de l'exclusion, de la précarité, de la pauvreté, le recul de la solidarité et celui de l'Etat.

Lorsque j'étais moi-même ministre des cultes et ayant contribué, après d'autres, à la création du CFCM, j'avais veillé à l'époque à ne pas me substituer aux responsables de la composante musulmane en France et je m'étais refusé à instrumentaliser tel ou tel groupe pour parvenir à un « succès rapide ». Je n'étais pas non plus allé semer la confusion dans un congrès au cours duquel les femmes sont voilées et séparées des hommes. Mais, moi, je ne suis pas un tenant de la société libérale-communautariste.

C'est bien la laïcité telle que je l'ai définie qu'il nous faut promouvoir. Il ne s'agit pas seulement de la question des signes religieux à l'école. Il s'agit de remettre la laïcité, le « vivre- ensemble » au cœur de notre projet de société.

Aussi suis-je surpris que la majorité, qui a repoussé sans débat la proposition du groupe socialiste tendant à créer un service civique et citoyen qui aurait concrètement permis de faire vivre aux jeunes la laïcité, se déclare profondément attachée à la promotion de celle-ci.

De même, monsieur le ministre, vous réduisez le nombre des surveillants dans les écoles, vous mettez à mal la médecine scolaire. Bref, vous ne faites pas de l'éducation la priorité qu'elle devrait être. Et pourtant, l'école est bien le lieu principal d'affirmation des institutions républicaines en France.

Ce qu'il faut à la France aujourd'hui, ce qui confortera la laïcité au cœur de notre pacte social, c'est une réelle politique de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances. C'est elle qui permettra l'égalité des conditions de vie en évitant l'égalitarisme qui n'aboutit qu'à l'échec.

Une loi réaffirmant la laïcité à l'école, bien qu'insuffisante, est néanmoins utile. Une majorité d'entre nous, mes chers collègues, semble s'être ralliée au principe de la laïcité à l'école. N'étant pas, pour ma part, un nouveau converti, je m'en réjouis. Mais combien d'entre vous, mesdames et messieurs de la majorité, se sont opposés à la création d'un « grand service public unifié et laïc de l'éducation nationale » tel qu'il a été proposé en 1984 ? Je me rappelle aussi, en 1994, la tentative de M.Bayrou visant à aggraver la loi Falloux en faveur de l'école confessionnelle . Je n'ai pas varié, quant à moi. Si un service public laïc de l'éducation nationale avait existé, notre débat d'aujourd'hui n'aurait peut-être pas été nécessaire.

L'école de la République doit nécessairement être laïque. L'enseignement doit l'être. L'école a vocation, non pas à apporter une doctrine morale différente de celle des religions, mais à enseigner la doctrine commune à tous parce qu'elle est essentiellement humaine. Cette doctrine se fonde sur les valeurs de notre République. C'est pour cela qu'aucun signe religieux ne doit être visible à l'école. Léon Bourgeois écrivait que « l'école doit être ainsi, à côté de la mairie qui est la maison commune des intérêts et des droits, la maison des devoirs. C'est là qu'on doit en prendre connaissance, conscience et habitude. » C'est pour cela qu'il ne me semble en rien attentatoire aux libertés, bien au contraire, d'imposer à ceux qui sont croyants de ne pas arborer leurs signes à l'école.

Mais si notre assemblée décide de voter une loi, il faut absolument qu'elle soit claire et applicable. Il faut faire sortir les fonctionnaires de leur rôle d'arbitre et donc définir une fois pour toutes ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Rien ne serait plus dangereux que de voter une loi qui ne réglerait rien.

C'est pourquoi il faut que la loi prévoie une période de dialogue obligatoire avec ceux qui refuseront de s'y soumettre. Il faut surtout que la loi interdise tous les signes religieux visibles à l'école afin de placer les religions à égalité. Les discussions interminables sur ce qui est ostensible sans être ostentatoire, ou visible sans être ostensible doivent prendre fin. Il s'agit ici de réaffirmer un principe, pas de discuter les nuances du dictionnaire des synonymes ! Le principe, c'est que l'école est un lieu de neutralité religieuse. Je ne vois donc pas en quoi un signe « discret » mais non « ostensible » - comment en jugera-t-on ? - serait acceptable une fois posé ce principe.

Mes chers collègues, ne nous y trompons pas. Cette loi, si elle est claire, sera utile mais ne réglera pas tout. Le problème qui est posé, et dont le port de signes religieux à l'école n'est qu'un symptôme, est bien celui de notre capacité à réaffirmer notre modèle social. « La République, quand elle est sociale, est émancipatrice » déclarait à juste raison Jean Jaurès. C'est cette émancipation qui permettra de réduire les comportements communautaristes. Mais pour ce faire, il faut que notre République soit effectivement sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est des passions bien françaises. Parmi celles-ci, figure le goût du débat, de l'échange, de ces discussions de fond sur des sujets importants qui mettent en jeu l'avenir de notre contrat social et de la République.

Le thème qui nous occupe ce soir a une longue histoire. Celle-ci a commencé en 1598, avec la signature de l'Edit de Nantes, et s'est poursuivie en 1685, avec la révocation de celui-ci.


En effet, pour la première fois dans l'histoire - si ce n'est de l'humanité, tout au moins de la Chrétienté -, le lien entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, qui étaient intimement liés, a été quelque peu distendu par cet édit qui, en laissant à chacun l'opportunité et la possibilité de croire différemment en Dieu, a ouvert la porte à ce qui aujourd'hui nous rassemble et nous réunit : la laïcité.

En cette période particulièrement difficile et troublée de notre histoire - j'allais dire en cette période de folie, qui ne fut pas la seule de l'histoire longue et tumultueuse de notre pays -, nombreux furent celles et ceux qui, suite à la révocation de l'édit de Nantes, n'ont eu d'autre choix que celui d'abjurer, de partir ou de résister. Dans les terres au sud du Tarn, nous savons ce qu'il en fut de cette capacité de résistance.

Après cette période douloureuse et difficile de notre histoire, le débat s'est poursuivi plus de deux cents ans pour déboucher finalement sur la loi du 9 décembre 1905, qui, bien que ne comportant pas de référence explicite à la laïcité, a posé les piliers des institutions laïques, au premier rang desquelles on trouve l'école publique et républicaine.

Je ne peux aborder cette question sans évoquer deux tarnais qui, il y a un siècle, dans cet hémicycle, ont défendu la laïcité avec conviction. Je pense à Jean Jaurès, député de Castres puis de Carmaux, et à celui que l'on a appelé « le petit père Combes », qui était né à Roquecourbe, près de Castres.

La laïcité est indéfectiblement liée à la République. Sont inscrits en lettres d'or sur le fronton de cette assemblée les mots « liberté, égalité, fraternité ». Mais la liberté, l'égalité et la fraternité, sur un plan républicain, ne peuvent être ce qu'elles sont sans la laïcité.

Quelle est la portée de notre débat ? Y a-t-il un problème religieux, un risque théocratique dans notre pays ? Assurément non ! Je crois que toutes les religions, en France, connaissent quelques difficultés pour rassembler les fidèles, que ce soit dans les églises, dans les temples, dans les synagogues ou les mosquées. Y a-t-il un risque que soient contestées les croyances et la liberté de conscience, reconnues par l'article 1er de la loi de 1901 mais aussi par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? Non ! Qui est contre la laïcité ? J'ai eu beau chercher, je n'ai trouvé personne !

Le problème est clair. Ne nous voilons pas la face (Sourires), ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Les problèmes qui se posent sont, d'une part, la montée des extrémismes et, d'autre part, les difficultés liées à l'intégration. En résumé, ce sont les peurs individuelles et collectives de l'avenir.

La montée des extrémismes est réelle, car certaines minorités utilisent la religion contre la République. Le danger vient également de la transposition au niveau national de certains conflits, particulièrement ceux du Moyen-Orient, qui ne sont pas sans conséquences dans notre pays. Mais ce qu'a révélé ce débat sur la laïcité, c'est surtout le refus de l'égalité entre les hommes et les femmes qu'expriment les partisans du voile. En fait, la question du voile recouvre une dimension symbolique.

Bien sûr, il y aurait un danger à stigmatiser une partie de la communauté nationale. La République ne peut se permettre de choisir parmi ses enfants et d'accepter que certains d'entre eux soient montrés du doigt.

Les difficultés d'intégration sont liées tout d'abord à des problèmes et à des difficultés d'ordre social. En effet, un certain nombre de nos concitoyens, en cumulant les difficultés liées à leurs origines, sont, plus que d'autres, touchés par le chômage, la précarité et les difficultés de logement. Ne négligeons pas ce racisme rampant et multiforme qui existe dans notre société.

Reste le problème de fond de notre société : l'ascenseur social est en panne. Et si des gens sont prêts à accepter un certain nombre de difficultés pour eux-mêmes, ils veulent pour leurs enfants des perspectives d'avenir autres que celles qu'ils ont connues. Devenir star du football ou participer à la Star Academy doit-elle être la seule perspective, la seule illusion pour de nombreux jeunes ?

S'agissant du texte qui nous est proposé, au-delà des querelles sémantiques sur le caractère ostensible, ostentatoire ou visible, thème sur lequel certains se sont exprimés et d'autres s'exprimeront encore, je voudrais indiquer qu'il me paraît essentiel de prévoir une phase de concertation et de pédagogie avant toute décision.

J'aimerais que nous nous interrogions sur la portée réelle du texte au regard de la neutralité à l'école. Le fait notamment de ne pas aborder la problématique des signes politiques nous interroge. Imaginons qu'un élève arrive dans sa classe avec un vêtement sur lequel est inscrit : « J'aime Franco », ou encore « J'aime Mussolini », « J'aime Mao », voire « J'aime Ben Laden ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.),...

Mme Muguette Jacquaint. Et de Gaulle !

M. Philippe Folliot. ...est-ce compatible avec l'idée que nous avons de l'école républicaine et laïque ?

M. Jean-Pierre Brard. Ne vous contentez pas de poser la question. Dites-nous quelle est votre réponse ? C'est cela qui nous intéresse !

M. Philippe Folliot. Il en est de même pour les signes commerciaux et le fait de porter des vêtements de marque. Nous savons que, dans certaines écoles, les élèves qui ne portent pas de vêtements de marque font l'objet de marques de défiance.

On peut également se poser la question d'appliquer le texte dans les autres lieux publics : hôpitaux, bases de loisirs, administrations, pour les personnels comme pour les usagers.

M. le président. Mon cher collègue, les orateurs inscrits sont très nombreux. Vous avez épuisé votre temps de parole et je vous demande de conclure.

M. Philippe Folliot. Je vais conclure, monsieur le président. Sur ces bancs, quelles que soient ses opinions et ses convictions, chacun se déterminera en fonction des idées et des principes qui lui sont chers, et avec la volonté de défendre ce qui nous rassemble, c'est-à-dire la République.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand je prends la parole dans cet hémicycle, c'est souvent pour vous parler des difficultés de la Réunion, du chômage, de notre jeunesse inquiète, de tous ces retards que nous avons tant de mal à combler. Je vous épargnerai aujourd'hui ce triste catalogue. Je vous demanderai seulement de ne pas nous créer, par une loi en tous points inutile, un embarras supplémentaire.

Dans la construction de la société réunionnaise, la laïcité joue un rôle décisif. Oui, elle est faite de diversité, de respect, de tolérance. Mais plutôt que de faire appel à des mots solennels, laissez-moi vous montrer quelques images.

Chez nous, les mosquées, les temples hindous ou chinois voisinent avec les églises catholiques.

Chez nous, la nature est piquetée de petits édifices religieux que les fidèles d'un culte, ou de plusieurs cultes, entretiennent et fleurissent avec dévotion.

Chez nous, à l'occasion des fêtes qu'elles célèbrent, les communautés religieuses échangent leurs vœux par des communiqués publiés dans la presse.

Chez nous, plusieurs fois par jour, l'appel du muezzin et les cloches des églises se répondent pacifiquement.

Chez nous, personne ne s'étonne de voir l'évêque s'exprimer lors du Dipavali, la fête de la lumière des Hindous.

Chez nous, lorsqu'on inaugure un pont, les représentants de tous les cultes viennent y associer leurs prières.

Chez nous, les cantines scolaires s'accommodent depuis toujours des interdits alimentaires : pas de porc pour celui-ci, pas de bœuf pour celui-là.

Chez nous, il existe des cimetières, ou des carrés dans les cimetières, réservés à tel ou tel culte.

Chez nous, où la grande majorité de la population est catholique, une école coranique sous contrat - la seule de France - accueille des enfants.

Cet équilibre est précieux, fragile aussi. Il a fallu beaucoup de temps et d'efforts pour qu'il s'établisse dans une île où un article du Code noir interdisait l'exercice de toute autre religion que la catholique, et où, pendant longtemps, les cultes non chrétiens devaient se cacher, sinon disparaître.

C'est pourquoi, au moins autant que d'autres, les Réunionnais sont fortement attachés à la laïcité. Ils savent ce que signifie l'égalité entre des options spirituelles différentes et ils savent qu'elle est le garant de liberté de conscience. Ils savent aussi que la laïcité construite sur la neutralité du pouvoir politique constitue la meilleure défense possible contre les périls du communautarisme.

Le défi - dont parle M. Stasi - de « forger l'unité tout en respectant la diversité de la société », il a été relevé, et victorieusement, dans notre île.

Les signes ostensibles ? Dans un tel contexte, les proscrire nous semble maladroit, inopportun et dangereux. Quand l'école, au mépris de toute réalité, interdisait la langue créole dans son enceinte, imagine-t-on quelle douloureuse et vaine gymnastique mentale elle imposait aux enfants ? En serait-il autrement si leurs habitudes élémentaires, héritées de très anciennes civilisations, se retrouvaient soudain rejetées et suspectées par on ne sait quels théoriciens du convenable ?

L'école, l'école laïque, est-ce l'élargissement ou la mutilation ? Le dépassement ou la réduction ? La confiance ou la méfiance ? Qu'on ne s'y méprenne pas d'ailleurs, sur les photos de classe de la Réunion, il suffit le plus souvent des doigts d'une seule main pour compter les foulards.

Quant à ce tika, ce poutou, ce point rouge que les jeunes filles, selon la tradition hindoue, portent sur le front, et qui n'est pas non plus très répandu, faudrait-il qu'elles l'effacent avant d'entrer en classe ? Le plus sage serait de continuer à faire confiance aux enseignants de la Réunion, qui, bien adossés aux valeurs fondatrices de la laïcité, ont toujours su que celle-ci était d'abord synonyme de tolérance et de liberté.


On est en train de nous placer dans une situation absurde. Tous les responsables politiques et religieux de 1a Réunion ont souligné l'inutilité de cette loi. La ministre de l'outre-mer préconise de l'appliquer « avec souplesse et intelligence » ; le recteur de la Réunion promet de fermer les yeux. Nous leur en donnons acte. Mais qui nous garantit que demain quelque directeur d'établissement n'ira pas, par zèle intempestif ou par ignorance de la situation, mettre le feu dans les consciences en ruinant ces efforts de modération ? Mieux vaudrait sans aucun doute une application souple et intelligente de la loi qu'une application rigide et mécanique ! Mais mieux vaudrait encore qu'il n'y ait pas de loi du tout !

Mme Christine Boutin. Absolument !

Mme Huguette Bello. De l'école, de nos enfants, il y a tant de choses à dire, de leur présent et de leur avenir, de ce qu'ils sont et de ce qu'ils seront, que le débat dans lequel nous sommes engagés m'apparaît presque irréel. Nous ne ferons pas disparaître, en l'enveloppant dans l'étoffe du voile, le trouble des petits Réunionnais, pas plus que celui des petits Français. Je n'arrive pas à repousser la crainte que la vieille et noble patrie des cathédrales et de la Révolution, de celui qui croyait au ciel et de celui qui n'y croyait pas, n'agisse dans cette affaire, non pas comme elle-même, mais comme un clone fantomatique d'elle-même. Il lui en faut vraiment si peu pour trembler ?

Ce voile, je ne le défends pas plus que ceux qui veulent légiférer à son propos. Il est vrai qu'il peut fournir l'occasion à certains groupes d'exercer sur des adolescentes d'insupportables pressions. Mais il est trop commode de distinguer les difficultés de certaines de nos jeunes compatriotes de celles de l'ensemble de la jeunesse. Ne voyons-nous pas qu'une grande partie de ces jeunes, même s'ils sont résolument hostiles au voile, se sentiraient contraints par un profond sentiment de justice de prendre fait et cause pour celles de leurs camarades qui refuseraient de l'abandonner ? Car, ils le devinent, il n'y aurait pas d'affaire du voile si les problèmes de quelques adolescentes n'étaient pas la traduction particulière, dans un groupe particulier, d'un désarroi qui touche tous les jeunes, quels que soient leurs origines, leur milieu social ou leurs convictions. Chaque jour, la télévision nous montre des enfants qui se débattent contre l'angoisse où les jettent des bouleversements qui les déconcertent ! Les plus pauvres s'enferment dans le ressentiment, les plus riches dans l'égoïsme. Ce que dévoile la question du voile va bien au-delà de ce que nous imaginons. Elle s'impose à nous tous comme un révélateur du désarroi de notre jeunesse tout entière. Elle nous dit, à sa manière, que le type de société qui se développe en Occident n'a plus la moindre force d'entraînement, ni sur les individus, ni sur les groupes.

Pour la jeunesse, cette loi aurait un arrière-goût de capitulation. Elle signifierait que le pouvoir politique a définitivement renoncé à traiter le fond des problèmes et qu'il s'est exilé dans le formel et l'apparent.

Les conséquences de cette loi, détestables pour tout le monde, le seront plus encore pour les jeunes filles qu'elle vise. Elle ouvrira un boulevard à la mauvaise foi, aux entêtements sans issue, aux fausses rationalisations, au manichéisme sommaire, prodromes des révoltes sans espoir.

Et puis tissu pour tissu, l'imposture est trop grosse ! Pour dangereux qu'il soit, ce voile est devenu pour celles qui le portent, et même pour ceux qui le refusent, une affaire de conscience. Quelle conscience y a-t-il, je vous le demande, dans la course à l'exhibition que nous laissons la publicité organiser dès la maternelle, que dis-je ? dès la naissance, quand ce n'est pas avant la naissance ! Les signes visibles de richesse, les signes ostentatoires de vanité, et donc les signes ostensibles d'arrogance et de mépris, qui s'y oppose ? J'entends souvent parler de valeurs. Je ne mets pas en doute la sincérité de ceux qui tiennent ce langage. Mais pendant que dans cette assemblée on célèbre les valeurs, partout ailleurs les jeunes sont invités à vivre sur le mode de l'individualisme, de la compétition, de l'illusion, de l'envie et de la jalousie. Où est le progrès quand une petite Marie, plutôt que du voile de Farida, rêve des Nike de Claire ou de François. Qu'on le veuille ou non, et même si on le refuse, l'être est quand même davantage présent dans le voile que dans les Nike ! (Exclamations sur divers bancs.)

Combattre ce qu'un membre de la commission Stasi a superbement appelé les « cléricatures de l'argent », voilà la première urgence éducative ! Je ne pense pas seulement à la nécessaire réduction des inégalités, ni à l'urgente obligation d'éradiquer de monstrueuses injustices, car le mal a creusé des galeries plus profondes encore. Je pense d'abord à un examen hardi et généreux des raisons de vivre que nous proposons à la jeunesse. Si une telle tâche était, je ne dis pas même achevée ni menée à bien, mais simplement loyalement commencée, la question du voile, comme bien d'autres, s'apaiserait.

Pour celles qui le portent, comme pour l'immense majorité qui le refuse, l'accès au monde réel, aujourd'hui obstrué par l'illusion systématiquement organisée, serait enfin ouvert. Les esprits et les cœurs sortiraient des réserves où l'argent les tient enfermés. Ce voile, que nous redoutons tellement, tomberait alors de lui-même. Et nous comprendrions qu'il ne cachait pas seulement le visage de quelques adolescentes mais, d'une autre manière, le nôtre.

Evidemment, pour toutes ces raisons, je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. André Gerin.

M. André Gerin. La tournure prise par le débat sur le projet de loi interdisant les signes religieux dans les écoles est caricaturale. Au-delà du voile, c'est le principe de laïcité qui est devenu une exigence. Il appelle une démarche solennelle sur la nécessité du respect de la loi commune. À entendre les propos tenus ce week-end, force est de constater que la Ve République est bien malade. Commençons par respecter la justice républicaine.

Aujourd'hui, en France comme en Europe, le défi majeur pour l'avenir de la laïcité, c'est l'intégration de l'islam. Ce défi est double. D'une part, l'islam doit accepter d'exister dans une société démocratique et pluraliste. La réussite d'un islam tolérant et populaire aura des conséquences bénéfiques sur le devenir de cette grande religion universaliste. D'autre part, la France est mise en demeure d'expliciter la laïcité. La querelle autour du foulard islamique est davantage un révélateur de l'écroulement des principes républicains, illustré encore par le triste spectacle politicien.

Ce double défi interpelle tous les républicains, qu'ils soient de gauche ou de droite. Nous sommes au pied du mur. Telle qu'elle se pose aujourd'hui, la question des rapports de l'islam avec la République met les représentants de l'Etat dans l'obligation d'y répondre. Le séisme du 21 avril 2002 n'est pas né du hasard. Engageons une thérapie de choc, opérons un sursaut républicain, luttons contre les politiques sclérosées si l'on veut se prémunir contre de nouveaux séismes. En tant que communiste et républicain, républicain et communiste, je m'engage résolument dans cette bataille pour la laïcité, tout en étant opposé à la politique expéditive et liberticide du gouvernement Raffarin, et conscient des manquements des différents gouvernements depuis de longues années.

La laïcité est un idéal positif. À partir de ce projet, nous pouvons « repolitiser » le pays ; nous pouvons mettre à genoux le Front national, faire reculer l'abstention et participer au réveil civique. La République nous appelle à une prise de conscience : entre intégrisme et République, il y a incompatibilité. La laïcité est une valeur « sacrée » - j'emploie le mot à dessein - de notre République. Elle assure la liberté de conscience et la liberté religieuse de chaque citoyen. Mon engagement vise à dénoncer et combattre un ensemble d'attitudes, de laisser faire, d'égoïsmes, qui ont substitué l'individualisme à l'esprit de solidarité et encouragé l'affairisme financier, les lobbies, la technocratie, la confiscation des rouages de l'Etat. Refusons tout ce qui « marchandise » la vie sociale et qui mine les fondements de la République. Stop à l'affaissement des principes républicains ! L'intégrisme religieux se nourrit de la dérégulation libérale, comme tous ceux qui se croient au-dessus des lois.

Malgré mon insatisfaction face aux limites du texte, je dis qu'il était temps. Pour moi, il rouvre un immense chantier laissé en jachère depuis plusieurs années. Toutes les forces politiques républicaines peuvent aujourd'hui y contribuer et porter encore plus loin les vingt-six propositions du rapport Stasi.

Je fais mienne la proclamation solennelle du Président de la République, selon laquelle « la République s'opposera à tout ce qui sépare, à tout ce qui retranche, à tout ce qui exclut ». Mais on ne peut se satisfaire d'une simple déclaration d'intention. Au vu des coupes claires opérées dans les budgets sociaux, on peut s'interroger sur la volonté du Gouvernement de remédier aux carences de la culture scolaire en matière d'éducation à la morale et au civisme, de formation du citoyen, d'ouverture aux enjeux du sens.

Nous nous trouvons aujourd'hui devant l'obligation de faire sauter les verrous qui empêchent l'intégration, de combattre la fracture sociale, la fracture ethnique, d'éradiquer la misère endémique qui frappe notre jeunesse dans les domaines de la santé, du logement, de l'éducation, du travail et de la culture.

Le Haut Conseil à l'intégration fait de ce point de vue un bilan sévère de toutes les politiques passées. Le tableau qu'il dresse est funèbre : l'intégration est en panne. La population immigrée est confrontée plus que les autres à la précarité sociale, professionnelle et civique. Des pans entiers de la société et de la jeunesse sont abandonnés. Dans les collèges et les lycées, des professeurs d'histoire sont mis en difficulté, des cours de biologie sont contestés. Je partage le choix de légiférer, comme une première manifestation marquant tout à la fois une volonté de fermeté et d'ouverture. L'immigration n'est pas la cause de ces dérives, à l'inverse de ce que ne cesse de répéter le Front national. Elles sont le résultat d'une poussée d'intégrisme, de l'émergence de pensées régressives et agressives qu'engendre notre société du « tout business ».

Il est vital et urgent de redonner corps à une éducation où laïcité se conjugue avec République, pour former des citoyens, des républicains capables de résistance face à la paupérisation économique, sociale, morale et culturelle. Car c'est bien de résistance dont il s'agit, face au système capitaliste dominé par l'argent. Quand on en vient à criminaliser la misère et l'immigration, où va-t-on ? Quand de pseudo religieux pourrissent la vie des quartiers et des jeunes, en profitant - comme le fait l'extrême droite - du malheur des gens, que fait-on ?

Dans les cités, j'observe un recul des mariages mixtes, une pression infernale sur les adolescentes, à propos des tenues vestimentaires, des relations amoureuses et de la sexualité. Cette réalité longtemps ignorée de tensions quotidiennes qui taraudent la vie civile offre sur un plateau un jackpot au Front national.

Avec cette loi, nous devons tendre la main aux musulmans, pour travailler avec eux à une reconquête républicaine, pour les appeler à s'engager, à s'exprimer, à se mobiliser en faveur d'un islam tolérant et populaire, un islam qui s'adapte aux idéaux de la République, à tout ce qui portent les valeurs universelles. Appelons la majorité des musulmans, des Français, à combattre l'islam radical et politique, cet obscurantisme faussement religieux, cette extrême droite larvée qui veut mettre en cause le code civil pour assujettir la personne à de faux prophètes et reléguer la femme dans un statut d'infériorité.

L'heure est au courage et à la lucidité pour traiter de l'islam et de la République. Sans vouloir diaboliser, il faut dire que l'affaire est sérieuse. Il s'agit, quant au fond, de combattre un projet politique qui menace la République, de lutter contre la recrudescence de l'antisémitisme et du racisme anti-arabe. A ce propos, nous n'avons toujours pas réglé le contentieux du colonialisme depuis 1962. Il s'agit aussi de s'opposer au développement dans les quartiers d'un racisme anti-français, d'un esprit « anti-service public », d'une hostilité envers les représentants de la République, pompiers, police, élus. On se souvient de la Marseillaise sifflée. Ce racisme anti-français est orienté, manipulé, cultivé par ces « pseudo-religieux », qui utilisent la délinquance et les trafics.

Cette loi doit aider l'éducation nationale à sortir de son autisme. Il est urgent de soulever le couvercle sur les questions et les soucis des milieux enseignants laissés souvent seuls face à leurs préoccupations, et qui ressentent un lancinant sentiment d'impuissance, singulièrement depuis la première guerre du Golfe.

Il est urgent de briser l'omerta, d'aider les jeunes filles à refuser de voir leur vie brimée, leur statut de femmes bridé, d'être les victimes de représailles de la part de caïds et d'islamistes.

La loi doit nous permettre de mettre fin à ces sujets tabous pour protéger les adolescentes et relever le défi de la parité, de la mixité, de la sexualité. Sortons les lieux de prière des caves et des bas d'immeubles, aidons à la construction de minarets dignes du xxie siècle.

Nous devons sans crainte sanctuariser l'école, admettre qu'il y a quelque chose de « sacré » dans la République, où se mêlent la patrie, la raison et l'humanité.


N'oublions pas Jean Moulin, les idéaux de la Résistance, le chemin commun des gaullistes et des communistes, le programme du Conseil national de la Résistance, la reconstruction de la France. Comme, hier, Maurice Thorez tendait la main aux chrétiens,...

M. Dominique Tian. A Moscou, oui !

M. André Gerin. ...tendons aujourd'hui la main à la majorité des musulmans.

Avec fermeté, humanité, nous devons combattre les idées et conceptions de ces extrémistes, clones de Le Pen.

Je dis « oui » à la République, « oui » à la nation, sans complexe. En notre qualité de responsables publics, nous nous devons d'être exemplaires.

J'emprunte le mot de la fin à Ernest Renan : « Ne vous brouillez jamais avec la France. » (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Leonetti. Avec quelques phrases en moins, c'était presque bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, dont nous débattons aujourd'hui, suscite passions et interrogations légitimes. Pour ma part, je formulerai trois questions. Cette loi est-elle utile ?

Mme Christine Boutin. Non !

M. Jean Leonetti. Cette loi est-elle dirigée contre les religions et contre l'islam ? Cette loi est-elle suffisante ?

Cette loi est-elle utile ? On s'est interrogé sur le bien-fondé du recours à la loi pour renforcer la laïcité dans l'école publique, et certains doutent encore...

Mme Christine Boutin. Absolument !

M. Jean Leonetti. ...arguant qu'il existe déjà une circulaire et que la jurisprudence est en train de se constituer. Cependant, plusieurs éléments justifient, à nos yeux, qu'on recoure à la loi.

D'une part, les chefs d'établissement nous font part des difficultés qu'ils rencontrent, la jurisprudence étant souvent contradictoire et la circulaire contestée, ce qui fragilise leur autorité.

D'autre part, il nous faut veiller au respect de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, car nous ne pouvons ignorer la symbolique liée au port du voile, qui, de toute évidence, trahit une vision inégalitaire des sexes, la femme devant se cacher du regard des hommes pour ne pas exciter leur désir.

Enfin, la laïcité doit être réaffirmée à l'école de la République, où il faut que les jeunes Français apprennent cette volonté de vivre ensemble, cette neutralité bienveillante vis-à-vis de la liberté d'autrui, et le respect de l'autre.

Cette loi utile est vite devenue nécessaire lorsque, de manière répétée, volontairement médiatisée et manifestement politisée, le port du voile est apparu non pas comme le respect d'une règle religieuse individuelle, mais bien comme une revendication identitaire, politique et provocatrice à l'égard du reste de la population. Un défi était donc lancé à la République.

Cette loi nécessaire est enfin devenue indispensable lorsque, à la suite des déclarations du Président de la République, qui, après avoir pris connaissance des conclusions de la commission Stasi et de la mission parlementaire, a réaffirmé que la laïcité n'était pas négociable, des manifestations ont été organisées en France et dans le monde, dirigées par les fractions les plus intégristes, les plus radicales des mouvements religieux. Ceux qui en doutaient savaient désormais qui se cachait derrière les voiles.

M. Yves Bur. Eh oui !

M. Jean Leonetti. Une deuxième question se pose : cette loi est-elle dirigée contre les religions ou contre l'islam ? La France entretient depuis longtemps des rapports d'amitié et de confiance avec l'ensemble du monde arabo-musulman. Mais, dans notre pays, les cicatrices de la guerre d'Algérie, le terrorisme international, la stigmatisation des jeunes délinquants issus de l'immigration alimentent rejet et exclusion, favorisés par les extrêmes de tous bords qui s'accusent respectivement d'être coupables et responsables des tensions qui existent dans notre pays. L'excès engendre l'excès. Le fanatisme engendre la haine et l'intolérance. Le socle de nos valeurs républicaines est donc aujourd'hui fragilisé.

Dans ce contexte de repli identitaire, de communautarisme et de droit à la différence, certains en viennent même à ignorer que l'immense majorité des musulmans vivent leur foi en respectant les lois et les institutions républicaines. L'islam modéré n'a rien à craindre de la laïcité, mais a tout à redouter de l'intégrisme religieux qui déforme son image, favorise la xénophobie et le racisme.

Mme Christine Boutin. Comme tout intégrisme !

M. Jean Leonetti. On oublierait presque que l'on peut être issu de l'immigration et athée.

M. Jean-Pierre Brard. Et c'est fréquent, pourtant !

M. Jean Leonetti. La troisième question est de savoir si cette loi est suffisante pour réaffirmer la laïcité, rétablir la cohésion nationale et revitaliser les valeurs de la République. Elle ne l'est certainement pas, car aucune loi, si ambitieuse soit-elle, ne peut répondre à cet objectif irréaliste. Elle constitue cependant à nos yeux un repère et un signal. Le repère concerne tous les Français, quelle que soit leur origine ou leur religion, qui veulent vivre les valeurs de la République et une communauté de destin. Elle leur montre la voie de la laïcité et le but de la République. Le signal s'adresse aux extrémistes. Il affirme clairement que la République ne négociera pas ses valeurs, que nous saurons mener ensemble, avec exigence et intransigeance, le combat pour l'humanisme et la tolérance.

Mais, surtout, cette loi n'est pas suffisante parce qu'on ne peut réaffirmer les valeurs de la République sans rétablir l'égalité des chances. Le Président de la République ne s'y est pas trompé lorsqu'il a demandé que soient réaffirmées l'égalité des chances et la lutte contre les discriminations. Trop nombreux sont les hommes et les femmes issus de l'immigration qui se sentent profondément français mais ne sont toujours pas considérés comme tels. Ils sont souvent victimes de discriminations à l'embauche ou au logement. De cette exclusion et de cette frustration naissent la révolte et le repli identitaire. Elles jettent notre jeunesse dans les bras de l'islamisme radical. Nous avons désormais à faire un choix simple entre l'intégration et l'intégrisme. Tous les enfants de France doivent retrouver l'égalité des chances pour vivre une fraternité nouvelle. Il faut tourner la page de la politique de l'excuse et de celle du laxisme, qui ne sont que les pendants de l'exclusion et de l'humiliation.

M. Jacques Desallangre. Il faut rompre avec le libéralisme !

M. Jean Leonetti. Il faut sortir de l'assistanat compassionnel et humiliant pour considérer que tous les Français ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Et il ne faut pas se contenter de le dire et de l'afficher, il faut le faire concrètement, quotidiennement, dans nos villes. C'est l'immense et longue tâche qui nous attend.

Mais l'intégration ne passe pas seulement par l'égalité des chances. Parler d'intégration, c'est dire à quoi l'on intègre et c'est dire qui l'on intègre. L'intégration s'adresse à tous les Français, car elle concerne des valeurs. Nous ne réussirons pas la cohésion nationale et le bien vivre ensemble sans redéfinir un projet pour notre pays. Quelle France voulons-nous bâtir ensemble demain ?

Mme Christine Boutin. C'est bien la question !

M. Jean Leonetti. Voulons-nous favoriser les égoïsmes et les replis en satisfaisant des revendications catégorielles ou voulons-nous redéfinir un avenir collectif ? Notre monde, nous le savons, est communautaire. Il est en profonde mutation et suscite donc des craintes légitimes. La France peut générer un espoir pour elle-même, pour ses enfants et pour le monde.

Le 7 octobre 2001, les Français ont entendu avec tristesse et colère siffler la « Marseillaise » au Stade de France.

M. Jérôme Rivière. C'est vrai !

M. Jean Leonetti. A l'époque, j'avais, ici même, demandé au gouvernement s'il n'avait pas le sentiment que 1'intégration était en panne. Il est encore temps de sortir de l'aveuglement et du renoncement pour entrer dans la voie du courage. Cette loi est un point de départ pour réaffirmer les valeurs républicaines, la tolérance et l'humanisme que porte la France. Elle met un coup d'arrêt aux fanatismes et aux communautarismes de tous bords. La République peut être de retour, si nous la voulons ensemble. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat relatif à la mise en œuvre du principe de laïcité accapare l'agora philosophique et médiatique depuis plusieurs semaines, si ce n'est plusieurs mois. Le fait qu'il pénètre aujourd'hui officiellement dans l'enceinte du Parlement constitue par conséquent, quelle que soit l'issue de nos débats, une bonne nouvelle pour la démocratie et pour notre République.

Les prises de position des uns et des autres, les dépôts, par différents groupes parlementaires, de propositions de loi convergentes et la multiplication des groupes de réflexion œcuméniques sur le sujet ont été autant de signaux montrant que le monde politique souhaitait se ressaisir d'une question trop longtemps abandonnée aux commentateurs et laissée à la merci du qu'en-dira-t-on qui, nous le savons tous, fait le lit des extrêmes.

On aurait tort, cependant, de négliger que, si ce débat est amplement d'actualité, il est curieusement récurrent dans notre histoire. Il traverse l'ensemble de la société civile, transcende jusqu'aux opinions politiques et religieuses, mais il est surtout l'héritier de plus de deux siècles de progrès et de réflexions qui ont toujours construit, en pratique, la laïcité comme une succession de compromis − même si l'on peut parler de compromis majeurs − entre différentes écoles de pensée.

Sans doute faut-il ici un bref éclairage historique. Le terme de « laïcité » n'est entré dans le dictionnaire qu'en 1872, à l'orée de la IIIe République et de sa succession sans précédent d'incarnations réglementaires, mais l'idée de laïcité est bien antérieure. Effleurée dès le Moyen Age, approchée par le mouvement de la Réforme, renforcée par l'action même de la Contre-Réforme, puis guidée par les philosophes des Lumières, l'idée laïque, fondée à l'origine sur une défiance grandissante à l'égard des ordres et du clergé, a fait progressivement son chemin jusqu'à la Révolution française.

Forte de la chute définitive de la monarchie de droit divin et de la sécularisation réaffirmée du pouvoir politique, la prééminence de la loi sur la religion est alors solennellement établie, au profit d'une nouvelle hiérarchie des normes, consacrée par la Constitution de 1791 : en premier, la nation ; en deuxième, la loi ; en troisième, le roi. C'est d'ailleurs la loi − qui n'est pas autre chose que l'expression de la nation à travers ses représentants − qui crée dès 1792 « l'état civil », à savoir la reconnaissance supérieure d'une citoyenneté rendue vivante par la naissance ou le décès, indépendamment d'un temps religieux rythmé par les sacrements du baptême ou de l'extrême-onction.

Le plus étonnant est que cette préhistoire de la laïcité, vieille de plus de deux siècles, porte déjà en germe les débats animés qui nous occupent aujourd'hui − et peut-être aussi leur résolution.

Première constatation : la loi a toujours vocation à être le vecteur prioritaire de l'affirmation de la laïcité. Elle n'a d'ailleurs pas à être considérée comme une simple défense : la loi, parce qu'elle est performative, est pleinement apte à fonder une identité républicaine qui transcende les croyances de chacun. La présente initiative législative mérite par conséquent notre plus éminent intérêt et justifie l'examen très attentif auquel nous nous apprêtons.

Seconde constatation : l'idéal de liberté, que brandissent aujourd'hui certains protagonistes de bonne foi, constituait déjà en 1789 une pierre d'achoppement entre défenseurs mêmes de la laïcité. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui institue une véritable liberté de pensée, proclame, au nom de cette liberté, que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses », tout en précisant aussitôt après : « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Ce célèbre article 10 trahit − tout en le résolvant − le conflit nodal qui a opposé les partisans de « la liberté au nom de la laïcité » et ceux de « la laïcité au nom de la liberté ».


Cent ans plus tard, à l'entrée du nouveau siècle, le débat est encore vif chez les républicains, entre, d'un côté, les plus radicaux, désireux, par athéisme ou anticléricalisme, d'en découdre avec le religieux, et, de l'autre, les plus libéraux, soucieux d'asseoir la laïcité sur l'égalité de traitement et la tolérance. De cet affrontement naîtra cette fois un compromis historique entre républicains de gauche et républicains de droite : la loi de 1905 "concernant la séparation des Eglises et de l'Etat".

L'enseignement que nous pouvons tirer de cette longue histoire est qu'une assemblée de représentants du peuple est pleinement capable de légiférer en conscience sur un sujet de cette importance et que la République a toujours su opter pour une voie médiane, respectueuse des croyances de chacun.

Dans la seconde partie du XXe siècle, on a, à vrai dire, trop longtemps négligé de faire vivre cette laïcité, considérée à tort comme un acquis et un état de fait. Aujourd'hui, nous payons peut-être le fruit de cette faute collective. Ironie du sort, c'est au renouveau du religieux et surtout du parareligieux que l'on doit le réveil du concept de laïcité : l'essor du phénomène sectaire à la fin du siècle passé, sur lequel notre assemblée n'a pas craint de se pencher à plusieurs reprises, sous l'impulsion en particulier de nos collègues Jean-Pierre Brard ou Jacques Guyard, a sans doute constitué, pour une laïcité bien comprise, la mise en danger la plus insidieuse que nous ayons connue.

Notre vision du fait laïque consiste en une approche équilibrée, aussi éloignée que possible du laisser-faire que du jusqu'au-boutisme. Cette approche suppose de notre part des questionnements préalables qui ne sont pas éloignés de ceux brillamment soulevés par Jean Jaurès au détour des années 1900 : un principe de neutralité de l'Etat a-t-il suffisamment de force pour s'adresser aux croyants et imposer l'égalité entre tous ? Un principe de séparation entre société civile et société religieuse peut-il être unificateur de la société tout entière et garantir ainsi la fraternité nécessaire entre tous les citoyens ?

Les réponses à ces interrogations sont certes dictées par l'histoire, mais elles doivent aussi prendre place dans une société qui, en près de cent ans, a profondément changé. La laïcité ne saurait plus s'inscrire en effet dans un arbitrage franco-français. L'ouverture du monde moderne, la logique de flux qui y préside - flux monétaires et financiers, flux de populations -, la prééminence d'un idéal désormais seulement matérialiste n'ont d'égal que la détresse économique et idéologique dans laquelle nombre de nos concitoyens sont plongés. La vision prométhéenne du communisme a vécu et l'utopie du progrès qui a guidé l'immigration des années 50 n'est plus : les Français des années 2000, confrontés au chômage de masse alors que le travail est plus que jamais la condition de l'intégration sociale, n'ont d'autre choix que le repli communautaire, pour ne pas dire communautariste, pour affirmer leur identité à côté d'une nationalité française qui apparaît parfois davantage comme une simple "domiciliation". A travers cette réalité, c'est aussi l'immense enjeu des rapports Nord-Sud qui s'exprime.

La question qui nous est posée est donc celle du type de société que nous souhaitons construire, du mode de "vivre ensemble" que nous souhaitons léguer aux générations à venir. C'est pourquoi nous devons soutenir fermement et publiquement que la logique anglo-saxonne de la juxtaposition des communautés n'a jamais été et ne sera jamais un modèle pour la société française, dans laquelle la séparation étanche entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel n'a jamais été privatrice de libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

En définitive, nous avons besoin d'une loi, car elle seule départit l'égalité, mais nous avons aussi besoin d'une charte, qui seule peut élever la laïcité - elle qui n'a jamais été clairement définie jusqu'à présent - au rang d'une valeur positive, vertueuse, respectueuse et consensuelle. Avec une loi qui départage et une charte qui rassemble, la laïcité sera alors à même de mettre à bas les communautarismes, de ne plus opposer les citoyens, mais bien de s'imposer comme le quatrième pilier de notre République.

M. le président. Monsieur Balligand, pouvez-vous conclure ?

M. Jean-Pierre Balligand. J'ai fini, monsieur le président.

La commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, présidée par Bernard Stasi, a eu sur ce plan l'insigne mérite, en proposant notamment "l'adoption solennelle d'une charte de la laïcité", de jeter les prémices de cette approche constructive, et pas uniquement défensive, de la laïcité, qui ne doit pas se résumer à crier haro sur le voile islamique à l'école.

M. le président. Merci, monsieur Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. A nous de faire que, dans ces mêmes termes - ce sera l'objet des amendements déposés par le groupe socialiste -, la laïcité du XXIe siècle s'impose comme un ciment et non comme un carcan. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean-Pierre Brard. Maintenant, nous allons entendre des vocalises !

M. le président. Monsieur Brard, abstenez-vous de faire des remarques.

Monsieur Lassalle, vous avez la parole.

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'aborde ce sujet avec une très grande humilité. Pour dire la vérité, je me suis même longtemps demandé si j'allais prendre la parole tant je me sentais démuni. Et jusqu'au dernier moment, j'ai hésité sur la façon dont j'attaquerais mon intervention.

En définitive, je commencerai par me féliciter que ce débat soit enfin ouvert et que la représentation nationale puisse se l'approprier, l'appréhender sans aucun tabou. On peut toujours considérer qu'il vient trop tôt, ou trop tard, en tout état de cause, je crois que le pire aurait été de laisser les choses en l'état au prétexte que le sujet est difficile.

L'un des premiers sentiments qui m'habitent en m'exprimant devant vous, c'est le souvenir de la formidable fête qui a réuni le peuple de France, un certain soir de juillet 1998. Ce soir-là, il n'y avait ni voile ni couleur. Et pendant les huit jours qui ont suivi, nous avons connu certainement l'un des plus grands moments de bonheur collectif qu'il nous ait été donné de partager. Nous étions heureux de nous sentir si proches les uns des autres, de pouvoir exprimer tant de choses.

Je me demande si notre principal problème ne réside pas précisément dans la difficulté que nous avons à communiquer tout simplement. Nous sommes, dans les pays occidentaux, tellement équipés, je dirai même appareillés, avec l'Internet, le portable, le fax, le téléphone, la télévision, que dire "bonjour" est presque devenu un supplice. (Sourires.) Croiser l'autre nous laisse indifférent, nous n'avons rien à lui dire.

Notre pays traverse, comme tous les pays occidentaux, une crise très profonde. Pour la première fois peut-être depuis très longtemps, il remet en cause ses fondamentaux, notamment celui de la laïcité. Nichée au fond de nos cœurs, après des siècles d'interrogations, de luttes, d'espérances, de combats, gagnés et perdus, la laïcité a su faire cohabiter harmonieusement dans notre communauté francophone tous les groupes de pensées et toutes les religions. A tel point que nous sommes observés par le monde entier et que notre modèle a progressivement été érigé en modèle universel.

C'est pour cela que c'est difficile. Nous sommes les premiers à aborder ce problème complexe qui se pose partout dans le monde. Tous les yeux sont braqués sur nous et nous nous sentons bien petits, mais en même temps très grands car de la réponse que nous apporterons dépendront certainement celles que donneront d'autres pays.

L'embarras qui est le nôtre pour aborder ce sujet est d'ailleurs révélateur de l'état de crise dont je parlais à l'instant. Il suffit de voir le nombre de citations que nous sommes obligés d'aller puiser dans les livres, le nombre de grands penseurs que nous sommes obligés d'appeler au secours, le nombre de mots compliqués que nous sommes obligés d'employer, et qui ne seront peut-être pas compris par tous nos compatriotes, pour sentir que nous sommes habités par un trouble bien profond, peut-être dû au fait que l'homme n'est plus en cohérence avec un territoire. L'équilibre atteint depuis longtemps entre la ville et la campagne, non seulement chez nous mais partout dans le monde, est rompu. Depuis quelques dizaines d'années, peut-être un peu plus, est apparue une troisième manière de vivre, une troisième voie, parfaitement inhumaine et inadaptée à notre temps, celle des concentrations dites suburbaines, où s'entassent, pêle-mêle, au gré des hasards et des circonstances, sans que cela réponde ni aux desseins personnels de ceux qui s'y retrouvent ni à une vision commune, des hommes et des femmes venus de toute part.

M. Jean-Pierre Brard. Des hommes et des femmes pêle-mêle ? (Sourires.)

M. Jean Lassalle. Je me demande s'il ne faudrait pas s'attaquer d'abord à ce problème. Nous avons commencé la semaine dernière avec le projet de loi sur les territoires ruraux, mais tant que nous ne serons pas capables, alors que notre pays est vivable sous toutes ses latitudes et qu'il possède un réel potentiel, de mieux répartir les populations, de mieux les intégrer, nous rencontrerons les plus grandes difficultés. On ne peut pas du jour au lendemain, sur des zones aussi sinistrées que le sont la plupart de nos grandes banlieues, trouver des solutions miracles.

En tout état de cause, je crois que ce dossier traduit bien le mal-être, le manque de perspectives, le manque de repères d'une société qui se cherche. Toutefois, nous avons le mérite d'essayer d'entamer le débat. Celui-ci traverse tous nos groupes, comme il traverse probablement chacun d'entre nous, hésitant entre le oui et le non, balançant au gré des arguments qui nous sont opposés ou des amis rencontrés sur la route.

Puisque débat est lancé, je dirai simplement : parlons ! Prenons garde toutefois à ne pas tuer la loi par la loi. Nos concitoyens, et ceux qui, progressivement, nous rejoignent, ont besoin d'un point de repère. Le point de repère, c'est la loi que le peuple de France, à travers ses députés, ses sénateurs, ses élus, met en œuvre. Mais une loi adoptée trop rapidement ne risque-t-elle pas de tuer le débat ? La loi ne deviendra-t-elle pas alors, finalement, un fardeau plus lourd à porter que le mal qu'il nous faut traiter ? Je crois qu'il serait bon, comme nous l'avons fait en d'autres occasions, de se laisser un temps de réflexion.

M. Pierre Forgues. Il faut conclure !

M. le président. Laissez M. Lassalle s'exprimer.

M. Jean Lassalle. D'autant que je suis dans les temps, monsieur Forgues.

A partir de tout ce que nous avons acquis, et sur la base de nos valeurs fondamentales, nous pourrions ainsi élaborer ensemble, dans le souci du bien général, une loi que nous pourrions dès lors tous adopter.

Pour ma part, je voterai contre ce texte (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste),


non parce que j'y suis opposé, mais parce que le moment ne me semble pas venu et parce que les risques de blocage sont réels. Je souhaite donc que le débat se prolonge.

M. Philippe Folliot. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Après le butinage philosophique, à la conclusion imprévue, de notre collègue Lassalle, je crains que mon propos soit plus austère.

Pierre angulaire des valeurs républicaines, la laïcité est un élément central de notre patrimoine politique symbolique national, indissociable de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, consacrée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Dans l'ordre républicain, la société politique est en effet une société d'hommes libres, constituée par eux sous le guide de la raison et dans laquelle les croyances religieuses ne peuvent qu'être des affaires privées. C'est pourquoi la laïcité n'est pas une option spirituelle parmi d'autres. Elle est, comme l'écrit justement Régis Debray - votre homonyme, monsieur le président (Sourires) -, « ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait ».

Discuter aujourd'hui de sa pertinence et de son actualité, c'est d'abord réfléchir sur la manière de faire vivre la loi de 1905 pour tous, y compris pour ceux qui sont arrivés récemment dans notre pays.

Cette loi de 1905, que dit-elle ? Que la République assure la liberté de conscience, qu'elle garantit le libre exercice des cultes, mais qu'elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun d'entre eux. Cela signifie donc qu'elle ne reconnaît à aucun culte la faculté d'exercer une influence sur la loi commune.

Le rôle de l'Etat laïque n'est pas de se mêler du contenu des cultes ou de la manifestation publique des croyances. Il en serait d'ailleurs bien incapable. Il se borne simplement à veiller à ce que leur forme extérieure ne trouble pas l'ordre public, respecte l'intégrité physique des personnes, l'égalité des sexes et la paix civile.

Doit-on cependant en rester à l'énoncé d'un principe qui affirme qu'on ne parle pas de religion à l'école, parce que la religion divise et que l'école doit unir tout le monde ; ou bien doit-on, au contraire, promouvoir cette « laïcité d'intelligence » chère à Régis Debray, qui donne aux élèves l'éclairage de leur propre histoire et de celle des autres, notamment dans le domaine religieux ? Je ne saurais trop vous recommander, mes chers collègues, la lecture de cet opuscule de Régis Debray intitulé : Ce que nous voile le voile.

M. Dominique Tian. Chez quel éditeur ?

M. Jean-Pierre Brard. Gallimard !

Car il n'est jamais inutile de le rappeler : la laïcité est le fruit d'une lutte âpre et courageuse menée par des républicains contre des forces hostiles très puissantes, que Jules Ferry dénonçait en 1882 en affirmant : « Nous sommes institués pour défendre les droits de l'Etat contre un certain catholicisme que j'appellerai le catholicisme politique. Quant au catholicisme religieux, il a droit à notre respect et à notre protection dans la limite du contrat qui lie les cultes avec l'Etat ».

Vingt-trois ans plus tard, en 1905, Aristide Briand présentait ainsi la loi de séparation de l'église et de l'Etat : « Voulez-vous une loi de large neutralité, susceptible d'assurer la pacification des esprits et de donner à la République, en même temps que la liberté de ses mouvements, une force plus grande ? Si oui, faites que cette loi soit franche, loyale et honnête. [...] Nous voulons qu'à ceux qui parcourent les paroisses en essayant de susciter la guerre religieuse, aux prêtres qui, entraînés par la passion politique, tenteront d'ameuter les paysans contre la République en leur disant qu'elle a violé la liberté de conscience, vous puissiez répondre tout simplement : voici notre loi, lisez-la, et vous verrez qu'elle est faite de liberté, de franchise et de loyauté ».

Ce sont ces mêmes principes qui animaient Jean Jaurès en 1910 (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...

M. Jean Leonetti. Vous n'êtes pas les héritiers de Jaurès, mais ceux de Staline !

M. le président. Laissez M. Brard citer ses Evangiles ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. En 1910, disais-je, Jean Jaurès déclarait : « Lorsqu'une nation moderne fonde des écoles populaires, elle n'y peut enseigner que les principes mêmes selon lesquels les grandes sociétés modernes sont constituées. Or, sur quels principes, depuis la Révolution surtout, repose particulièrement la France, dont ce fut le péril, mais dont c'est la grandeur, d'avoir par son esprit logique et intrépide, poussé jusqu'aux conséquences extrêmes, l'idée même de révolution ? L'idée, le principe de vie qui est dans les sociétés modernes, qui se manifeste dans leurs institutions, c'est l'acte de foi dans l'efficacité morale et sociale de la raison, dans la valeur de la personne humaine raisonnable et éducable. C'est ce principe qui se confond avec la laïcité elle-même, c'est ce principe qui se manifeste, qui se traduit dans toutes les institutions du monde moderne ».

Car la laïcité, la laïcisation de l'école, la séparation de l'Eglise et de l'Etat sont bien un trait spécifique de la République française. Ces batailles ont marqué le début d'un cycle historique pour le mouvement progressiste en France avec la constitution du parti socialiste, qui se divisa en 1920 en parti socialiste et parti communiste, porteur de valeurs fortes et d'une grande espérance, dans la lignée des idéaux de la révolution de 1 789.

En 1946 encore, lors de la discussion du texte de la Constitution de la IVe République, c'est Etienne Fajon, député communiste de la Seine, qui défend l'introduction de la laïcité dans le texte constitutionnel. Personnellement, je revendique l'héritage d'Etienne Fajon, qui ici, le 11 janvier 1940, demanda à la chambre de rejeter comme arbitraire et illégal le projet de loi prononçant la déchéance de certains élus et prit part, le 16 janvier 1940, à la discussion de ce projet, demandant la libération de ses collègues et amis communistes, ce qui lui valut, avec vingt-huit autres députés communistes, d'être poursuivi et déporté en Algérie.

Je suis fidèle à cette tradition, mais force est aujourd'hui de constater que le renoncement l'emporte, y compris chez certains de mes amis dont je ne saurais pourtant remettre en cause la sincérité personnelle. C'est un fait symbolique de la fermeture du cycle historique auquel j'ai participé et qui fut ouvert par Jean Jaurès et Jules Guesde. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Dans un contexte marqué par de fortes manifestations d'intégrisme religieux, ne reculons pas, ne démissionnons pas, ne renonçons pas, ne capitulons pas !

M. Yves Bur. Très juste !

M. Jean-Pierre Brard. Réaffirmons clairement le principe de laïcité ! Oui, les dérives intégristes existent et sont un danger pour notre Etat républicain et laïque. On a trop parlé du voile ici. On a trop parlé de l'islam d'une façon unilatérale et souvent injuste. Il faut aussi penser aux mouvements fondamentalistes protestants qui sévissent aux Etats-Unis et commencent à essaimer en France, à des groupes charismatiques d'obédience catholique et aux intégristes de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Je pense également à certains groupes musulmans, notamment de la mouvance salafiste, aux mouvements ultra-orthodoxes juifs tel le Kach du rabbin Kahane, pour ne dresser qu'un panorama très sommaire, car aucune croyance n'a le monopole de l'intégrisme.

M. Michel Bouvard. Très juste !

M. Jean-Pierre Brard. Certes, dans leur grande majorité les pratiquants des diverses religions de notre pays ont un comportement respectueux de la laïcité. Ils aspirent au dialogue. J'en ai fait concrètement l'expérience dans ma bonne ville de Montreuil : ils participent avec beaucoup d'intérêt à des rencontres inter-religieuses et s'associent volontiers aux initiatives prises pour mieux vivre ensemble. Mais il existe des minorités pour remettre en cause les principes républicains au nom du dogme religieux et confiner leurs coreligionnaires dans le carcan du communautarisme.

La place de la femme, les fortes réticences, voire le refus, de l'égalité des sexes en sont les exemples les plus caractéristiques. C'est dans ce contexte que s'est posée la question du port du voile dans les établissements scolaires, dont l'ampleur a été largement sous estimée par les administrations centrales des ministères très éloignées de la réalité, comme nous avons pu le constater lors des auditions de la mission d'information excellemment présidée par le président de notre assemblée.

Quelles sont les motivations et la signification du port du voile ? Est-il vraiment un acte volontaire d'émancipation que revendiquent certaines femmes ? Nous savons d'expérience que ce n'est malheureusement pas le cas. Celles auxquelles nous devons penser particulièrement, ce sont les jeunes filles silencieuses, réduites au mutisme, soumises en permanence à une autorité et à un contrôle social masculin, dans la famille, dans l'immeuble, dans le quartier.

Le voile est bien le symbole de l'infériorité et de la sujétion des femmes. Comment expliquer l'égalité des sexes à des enfants ou à des jeunes si, dans la classe, ils se trouvent confrontés à une situation démontrant exactement le contraire ?

M. Michel Bouvard et M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. Le principe de laïcité autorise le port de tous les signes religieux d'une manière générale, mais l'exclut clairement dans les lieux où l'on forme la conscience des citoyens de demain. Face à ces situations, les chefs d'établissement sont aujourd'hui pratiquement désarmés du fait d'une jurisprudence complexe et confuse, et ils nous ont expliqué leur désarroi dans ces affaires très délicates.

Le recours à la loi apportera beaucoup plus de clarté dans le droit et permettra de rétablir une homogénéité des pratiques dans l'ensemble du pays. C'est avec ce souci de clarté que la mission de notre assemblée a préconisé, à l'unanimité moins deux voix, l'interdiction des signes visibles, sur proposition de notre président, évitant ainsi les interprétations discutables et les contentieux aléatoires. Si nous ne voulons pas de nouveau renoncer au pouvoir du législateur et le redonner au Conseil d'Etat, nous devons légiférer clairement.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. L'adoption de la loi recueille un large consensus dans l'opinion.

M. Pierre Forgues. Très juste !

M. Jean-Pierre Brard. Comme j'ai pu le constater auprès des habitants de Montreuil, elle rassemble des républicains de diverses sensibilités, depuis les communistes et les socialistes jusqu'aux républicains de l'autre rive - et il y en a beaucoup sur cette rive aussi !

M. Michel Bouvard. Merci !

M. Jean-Pierre Brard. Plus que jamais, nous devons développer les mesures permettant l'intégration, l'accès effectif aux droits pour tous - au travail, au logement, aux lieux de loisirs, à la liberté de culte -, quelle que soit la couleur de la peau ou la consonance du nom. En effet, l'intégrisme se nourrit des déceptions,...

M. Pierre Forgues. Oui !

M. Jean-Pierre Brard. ...des frustrations et des colères générées par le refus des droits, qui ravive les blessures profondes de l'époque coloniale.

Cet objectif d'intégration nécessite des moyens budgétaires importants, qui n'existent pas dans le budget 2004. Toutefois, le moment ou la forme selon laquelle nous légiférons ne doit pas nous faire perdre de vue le fond qui nous rassemble aujourd'hui dans cette discussion.


Enfin, cette loi s'impose aussi pour des raisons juridiques. Elle seule peut, selon la convention européenne des droits de l'homme, limiter la possibilité, pour la religion, d'occuper les espaces publics, où une neutralité scrupuleuse doit être assurée. Quant au caractère proportionné de l'interdiction par rapport à l'objectif poursuivi, rien ne permet aujourd'hui de dire que l'interdiction des signes visibles serait censurée. Ces arguties ne sont que galéjades destinées à complaire à l'auteur de cette dispute sémantique ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

En votant cette loi, nous nous placerons dans la lignée des positions courageuses de nos lointains prédécesseurs, qui ont mis en pratique, sans pusillanimité, leurs convictions républicaines. Nous perpétuerons une tradition qui a pris forme depuis la Révolution. Nous nous montrerons fidèles aux illustres prédécesseurs que j'ai cités. Nous ferons vivre un principe républicain essentiel, la laïcité. Et nous ferons rayonner la France dans le monde parmi ceux qui ont soif de lumière et qui, chaque jour, courageusement, combattent l'obscurantisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures quinze, est reprise à vingt-trois heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Guy Teissier.

M. Guy Teissier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, le débat sur le principe de laïcité a suscité et suscite un grand intérêt dans notre pays. Quoi de plus normal, puisque, au-delà de ce principe, c'est bien notre conception de la République qui est finalement en jeu ?

Le principe de laïcité est un des piliers de notre pacte républicain. Il est inscrit non seulement dans notre Constitution, mais aussi dans nos traditions et dans notre identité républicaine. Nous devons le faire vivre, en restant fidèles aux équilibres auxquels nous avons su parvenir au fil de notre histoire.

L'adhésion à la communauté nationale repose sur l'adhésion à une communauté que nous désignons, en France, sous le nom de République, terme qui recouvre, dans sa magnifique ambiguïté, la double notion de patrie et d'Etat.

M. Dominique Tian. Bravo !

M. Guy Teissier. Le rôle de l'Etat est d'incarner les valeurs communes à l'ensemble des citoyens, celles qui, depuis deux siècles, figurent au fronton de nos monuments publics : la liberté, l'égalité et la fraternité. Ces valeurs, auxquelles nous sommes tous profondément attachés, sont au cœur de l'identité française. Elles ont besoin, pour être respectées et défendues, de l'engagement, de la vigilance et du respect de chacun d'entre nous.

M. Dominique Tian et M. Roland Chassain. Très bien !


M. Guy Teissier
. La France n'a pas à craindre d'affirmer haut et fort les principes essentiels qui la fondent. Elle ne saurait être prise en otage par des comportements ou des convictions, fussent-ils respectables, qui sont en opposition avec les lois de la République.

Sachons être fiers de nos valeurs, les incarner et les promouvoir, car, en définitive, ce ne sont pas les intérêts, mais les idéaux partagés qui font la force des peuples et qui les rassemblent.

M. Dominique Tian. Bravo !

M. Guy Teissier. Depuis plus d'un siècle, la République et l'école se sont construites l'une avec l'autre. L'école a été le rêve de la République et elle reste sans aucun doute la plus belle de ses réussites. Permettre à chaque esprit de conquérir sa liberté, faire vivre l'égalité des chances, donner corps à la fraternité en faisant de tous les élèves les enfants de la République : tels sont les objectifs nobles que la France s'est fixés lorsqu'elle a instauré l'enseignement gratuit, laïque et obligatoire.

Pourtant, chacun le sent bien, depuis quelques années, la laïcité à la française est contestée, tantôt par des comportements provocateurs, tantôt de façon détournée ou sournoise. Malgré la force de l'acquis républicain, l'application du principe de laïcité est aujourd'hui remise en cause et cette situation nécessitait un débat dans notre société.

Au fil des crises, l'école et ses acteurs - au premier rang desquels les chefs d'établissement, les enseignants et les élèves - ont exprimé une forme de désarroi. L'école est ainsi devenue la caisse de résonance de ces difficultés. Elle n'est pas, en France, un service public comme les autres. Elle est surtout une institution porteuse de valeurs, investie par la nation d'une mission fondamentale, celle d'instruire et de transmettre le savoir mais aussi d'édifier, génération après génération, le peuple français autour des principes fondamentaux de la République.

Comment ne pas regretter qu'il ait fallu attendre quinze ans pour que la puissance publique se saisisse de ce problème et agisse ? (« C'est vrai ! Il était temps ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Pour avoir laissé au juge administratif, puis - pas très courageusement, d'ailleurs - aux chefs d'établissement, la responsabilité de traiter un problème éminemment politique, les gouvernements sont les premiers coupables de l'affaiblissement actuel du pacte social. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Dominique Tian. Surtout les gouvernements socialistes !

M. Guy Teissier. Aujourd'hui, je me réjouis que ce gouvernement et cette majorité à laquelle j'appartiens aient décidé d'agir et de réagir, car le moment est venu de se rassembler et de renouveler les liens qui unissent la nation française au principe de laïcité. (« Excellent ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

A ceux qui s'étonnent, innocemment ou pas, de la nécessité d'un débat, à ceux qui font preuve d'une frilosité que l'on ne leur connaissait pas, à ceux qui craignent que le remède soit pire que le mal, je rappellerai que le devoir de l'Etat est de penser l'avenir. La vraie prudence ne consiste pas à occulter le débat, mais à l'ouvrir. En effet, ce n'est pas dans la nostalgie que l'école construira son avenir. C'est en regardant devant elle, avec confiance, qu'elle restera fidèle à son héritage.

C'est à l'école que se forge l'adhésion aux valeurs que nous avons en partage et que s'acquièrent les règles de comportement qui les expriment. L'esprit de responsabilité, le respect d'autrui et de ses différences, la tolérance, la solidarité sont autant de valeurs constitutives du principe de laïcité à la Française.

Demain comme hier, l'école de la France doit être et sera l'école de la République.

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Guy Teissier. La France ne saurait y laisser perdurer le ferment d'inégalité et de différence, source d'incompréhension et de malaise, que représente l'affichage volontairement visible de tenues et de signes d'appartenance religieuse.

Le débat que nous avons est ainsi l'occasion de nous unir sur l'essentiel et d'agir. Agir pour rendre notre école plus sûre de ses valeurs, plus efficace et plus juste. Agir pour répondre aux grandes questions que pose aujourd'hui l'application du principe de laïcité.

Dans notre tradition laïque, l'Etat protège le libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression comme de sa non-expression. L'objectif du projet de loi est d'affirmer que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, les signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse des élèves sont interdits ».

De longs commentaires ont été faits, ici ou là, sur le choix de l'adjectif « ostensible ». Pour ma part, je suis sensible au terme retenu, car il est, à mon sens, d'une portée plus restrictive et plus coercitive. Signifiant « qui est donné pour être vu », il vise non seulement une démonstration agressive, mais aussi des comportements plus passifs qui n'en demeurent pas moins souvent souhaités.

M. Jean-Pierre Brard. Alors, pourquoi pas « visibles » ?

M. Guy Teissier. En effet - vous avez perdu une belle occasion de vous taire, mon cher collègue -, ce qui est ostensible est forcément visible, alors que ce qui est visible n'est pas forcément porté de façon ostensible. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Or, ce que nous devons chercher à combattre, ce n'est pas l'adhésion à une religion, mais bien, sous prétexte de religion, le message politique, éloigné de notre culture et de notre histoire originelle, que d'aucuns veulent diffuser à dessein dans notre sphère publique ; un message qui est souvent étranger aux droits de l'homme et à la liberté individuelle de la femme.

Attaché à promouvoir une laïcité de tolérance, je défends de fait la formulation retenue, qui me paraît de nature à rappeler les règles permettant à tous de vivre ensemble dans le respect des convictions de chacun. Cette formulation tend à garantir à chacun la possibilité d'exprimer et de pratiquer sa foi paisiblement, librement, sans la menace de se voir imposer d'autres croyances ou d'autres convictions.

En effet, c'est précisément le respect de la neutralité de l'espace public qui permet la coexistence harmonieuse des différentes religions. Dès lors, défendre cette neutralité, c'est aussi et surtout défendre la liberté religieuse de chacun.

II est essentiel de faire partager par chaque enfant, notamment ceux qui entrent dans la communauté nationale, les valeurs, l'originalité et la force du message français. Comment une société pourrait-elle douter d'elle-même au point de ne plus être capable, au pire d'affirmer, au mieux de faire respecter ses valeurs pour protéger ses enfants ? Comment l'école, dont le principe même est de rassembler les enfants les plus divers, pourrait-elle être une communauté sans repères ? Il en existe suffisamment par ailleurs ! L'école doit être, et redevenir quand ce n'est plus le cas, le lieu de l'acquisition et de la transmission des valeurs que nous avons en partage.

Mais nous devons également rappeler avec force dans cet hémicycle que la laïcité ne se réduit pas à des interdits. L'autre pilier fondamental de la laïcité à la française est le principe de l'égalité des options spirituelles et philosophiques.

Parce que je suis convaincu que le respect et l'esprit de dialogue s'enracinent aussi dans la connaissance et la compréhension de l'autre, il m'apparaît essentiel de mieux prendre en compte, dans chaque établissement scolaire, la diversité culturelle de tous les enfants, en développant l'enseignement non seulement de l'histoire du fait religieux, mais aussi de l'immigration et de l'œuvre collective accomplie par la France en outre-mer. C'est aussi par la culture, vecteur de compréhension et de tolérance, que les messages de la France, ses principes républicains, seront compris, partagés et donc respectés.

Ce que je sais, mes chers collègues, c'est que notre société est de plus en plus orpheline des valeurs qui ont forgé notre identité républicaine.

Mme Claude Greff. Absolument !

M. Guy Teissier. Ce que je crois, c'est qu'à force de fermer les yeux, de ne pas agir, nous affaiblissons la force de notre message républicain. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce que je sais, c'est que nos compatriotes sont déboussolés et inquiets par ce qu'ils voient et entendent.

Ce que je crois, c'est qu'il est de notre mission, à nous, élus de la République, de redonner un sens et des repères à notre pays et à son école.

Ce que je sais, c'est qu'il ne faut pas se tromper de débat ni stigmatiser une religion particulière.

Pour autant, ce que je crois, c'est que nous devons combattre tous les fondamentalismes, tous les extrémismes, de quelque nature qu'ils soient, et ce pour l'intégrité de notre pays.

En confirmant notre attachement à une laïcité ouverte et généreuse et en nous rassemblant autour de valeurs communes, nous pouvons faire de cette loi la clé de l'harmonie républicaine à laquelle nous aspirons tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est un principe profondément enraciné dans notre histoire si particulière. Au fil du XIXe et du XXe siècle, elle est devenue un pilier de la République.

Dès l'Empire romain, la religion unique, sous les empereurs Constantin et Théodose, a été un instrument d'oppression : le pouvoir absolu civil s'est confondu avec le pouvoir absolu spirituel.

Lorsque a éclaté la Révolution française, le despotisme royal, associé au cléricalisme, avait fait de l'Ancien régime une société bloquée. Après la Révolution, pendant plus d'un siècle, tous les efforts de la République, parfois contrariés, conduiront à rompre progressivement, par paliers, avec le rôle particulier que la religion jouait dans la vie quotidienne des citoyens.

Au cœur de ce débat, l'école. D'abord considérée comme une affaire privée relevant des familles et de l'église catholique, elle est devenue une affaire publique relevant du Gouvernement et, plus généralement, des autorités publiques. En 1905, la loi de séparation des églises et de l'Etat a été l'aboutissement de ce siècle de progrès moral et citoyen : sphère publique et sphère privée seront désormais séparées, et les choix religieux relèveront de la conscience individuelle.

Cette loi de 1905, bientôt centenaire, est très importante. Loi de tolérance et de liberté, plusieurs fois améliorée, elle est désormais profondément enracinée dans notre histoire et donne à la France une physionomie civile particulière, très différente de la conception anglo-saxonne qui juxtapose ou oppose les religions et les ethnies au lieu de les rassembler. Aux États-Unis, on doit ensuite établir des « discriminations positives » pour corriger les effets négatifs de cette conception. Permettez-moi d'ailleurs, mes chers collègues, d'observer, à ce stade de mon propos, que la réticence à défendre les valeurs de la laïcité s'accompagne d'une promotion de la « discrimination positive », si chère à certains.

Contrairement à des commentaires malveillants, les lois laïques de la France n'en font donc pas un pays liberticide. Au contraire, la laïcité doit être défendue comme un droit de l'Homme, en parfaite harmonie avec nos principes républicains fondateurs.

C'est bien sûr dans l'enseignement que les principes laïques trouvent leur plein épanouissement. Ainsi, en 1910, à l'occasion d'un débat sur l'enseignement, Jean Jaurès déclarait : « Laïcité de l'enseignement et progrès social sont deux formules indissociables, nous n'oublierons ni l'une ni l'autre et, en républicains socialistes, nous lutterons pour tous les deux ». (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Sans devenir forcément socialistes comme Jaurès, contentons-nous, dans ce débat, d'être simplement républicains et de relever que la laïcité de l'enseignement a été une source de progrès qui a formé des générations de Français, en préservant leur esprit critique et en contribuant à l'affranchissement des esprits. Il ne s'agissait plus, comme sous le concordat napoléonien, de déléguer aux églises l'enseignement, mais au contraire d'affirmer le rôle et la neutralité de l'Etat.

Les principes de la laïcité représentent un code défini il y a un siècle pour les maîtres, dans une société où les élèves n'étaient pas considérés comme des personnes autonomes. Il est donc important de les actualiser et de préciser aujourd'hui, un siècle après, que les obligations qui valent pour les maîtres et pour les fonctionnaires s'appliquent aussi aux élèves.

Par ailleurs, il est regrettable que le projet qui nous est soumis soit restreint au seul domaine de l'enseignement primaire et secondaire et n'évoque pas le respect de la laïcité dans d'autres domaines, en particulier à l'hôpital et dans les autres services publics. Il faudra enfin, dans l'avenir, que les fonctionnaires d'autorité, en particulier les préfets et sous-préfets, ne mélangent pas sphères publique et privée et considèrent mieux des instructions de l'Etat qui, à ma connaissance, n'ont pas été abrogées.

La laïcité nourrit d'autres débats, en particulier celui, hélas ! suspendu, sur le projet de future Constitution européenne, dans laquelle certains Etats, sous la pression du Vatican, voudraient voir figurer la référence à la religion ou dans le préambule de laquelle ils voudraient voir citer Dieu.

En consacrant un moment important de notre travail parlementaire à la laïcité, nous sommes dans le droit-fil de l'histoire de notre assemblée. La majorité, qui a pris une initiative positive - je le souligne - en organisant ce débat,...

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Christian Bataille. ...doit aujourd'hui aller plus loin si elle veut que ce texte soit un texte de rassemblement républicain. Pour cela, elle doit faire l'effort d'accepter les amendements parfaitement recevables présentés par le groupe socialiste.

M. Gérard Léonard. Pas tous, tout de même !

M. Christian Bataille. Par ce débat, nous renouons avec ceux qui attendent beaucoup de la République, notamment avec les jeunes femmes issues de l'immigration, qui nous invitent à une conception exigeante de la République.


Chahdortt Djavann, jeune française d'origine iranienne, auteur de Bas les voiles, nous dit, avec sa tonalité engagée, que notre époque ressemble beaucoup à 1905 : « Les religieux défendent la religion, ce qui est logique, mais ceux qui, au nom d'une philosophie compassionnelle, au nom de la « liberté de s'aliéner », défendent la religion, auraient été en 1905 du côté des ennemis de la République ».

Fadela Amara, présidente du mouvement Ni putes ni soumises, dit les choses différemment : « Il n'y a que la laïcité qui permette à chacun, quelles que soient ses convictions, de vivre dans cet espace commun qu'on partage tous. Le voile correspond à la volonté de tous ceux qui veulent renvoyer les femmes dans leurs foyers dans un rôle extrêmement traditionnel et surtout dans une situation d'oppression ».

Chaque fois qu'on a cédé aux religieux, c'est toute la République qui a perdu.

Mes chers collègues, je vous redis ma conviction que notre assemblée saura prendre ses responsabilités en proscrivant les signes religieux visibles - voile, kippa, croix - dans l'enseignement public.

M. Gérard Léonard. Vous voulez dire les signes ostensibles ?

M. Christian Bataille. Le groupe socialiste espère que vous répondrez à sa volonté constructive en prenant ses propositions en considération. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Leroy.

M. Jean-Pierre Brard. Il a été à bonne école ! (Sourires.)

M. Maurice Leroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, il faut légiférer pour réaffirmer avec clarté la neutralité des établissements scolaires publics.

M. Gérard Léonard. Ah bon !

M. Maurice Leroy. Oui, ne rien faire serait irresponsable.

M. Gérard Léonard. Oh là là !

M. Maurice Leroy. Voilà pourquoi, lors de la précédente législature, j'avais déposé avec deux de mes collègues, Georges Sarre et Jacques Desallangre - nous n'étions alors que trois -,...

M. Jean-Pierre Brard. La Sainte Trinité !

M. Maurice Leroy. ...une proposition de loi visant à garantir le respect du principe de laïcité dans le cadre scolaire, proposition de loi que j'ai à nouveau déposée en décembre 2002, sous le numéro 500.

Il faut une loi, car comme l'affirmait justement Jules Ferry dans sa Lettre aux instituteurs, « L'instruction religieuse appartient aux familles et à l'Église, l'instruction morale à l'école. » Il ajoutait que le législateur a voulu distinguer deux domaines : « celui des croyances qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances qui sont communes et indispensables à tous. » Lorsqu'il apparaît que des manifestations d'appartenance religieuse peuvent, dans le cadre étroit de l'école, troubler l'ordre de celle-ci, la loi est fondée, moyennant des précautions de sagesse, à les interdire. Même si chacun doit avoir conscience que cela sera insuffisant à régler le problème, le Parlement est dans son rôle en énonçant une règle claire. Encore faut-il que cette règle soit claire, monsieur le ministre,...

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Maurice Leroy. ...et pour ma part je soutiens fortement la proposition qui émanait de la commission parlementaire présidée par Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale ...

M. Jean-Pierre Brard. Excellemment présidée !

M. Maurice Leroy. ...excellemment présidée, en effet. Je pense que pour éviter les ennuis, il aurait mieux valu opter pour l'expression « clairement visibles » dans le texte du projet de loi. J'ai donc déposé un amendement en ce sens.

La question qui se pose à notre société, avec le développement de signes religieux ou politiques distinctifs, voire discriminants, à l'école, touche aux fondements de notre modèle républicain.

Elle dépasse en cela les clivages politiques traditionnels.

Disant cela, je m'exprime en conscience, et en républicain soucieux de préserver la spécificité de notre modèle d'intégration et de citoyenneté.

En aucun cas la République ne peut se négocier ni se dissoudre, tant ses fondements et ses origines héritées des Lumières sont d'essence universelle.

Je vois dans ce débat, qui trouve une actualité parfaitement justifiée, à la fois un aboutissement et un commencement.

L'aboutissement d'un véritable combat pour la République, celui d'enseignants, de chefs d'établissements, d'intellectuels et de citoyens pour faire face à la montée d'intégrismes et de communautarismes qui, chaque jour un peu plus, s'éloignent et remettent en cause le pacte qui fonde notre « vivre ensemble » : celui du respect des croyances de chacun, celui de la liberté de croire ou de ne pas croire, celui de droits égaux pour les hommes et les femmes, qui peuvent ainsi vivre pleinement leur citoyenneté.

La laïcité, principe constitutionnel et fondement de notre République, est un principe de tolérance, de respect et de neutralité, qui garantit l'intégration de chacun de nos concitoyens sans distinction de race, d'origine et de croyance.

L'école est précisément le cadre et le symbole de ce creuset, où sont enseignés et inculqués les règles de la vie en commun, les droits et les devoirs qui sont communs à tous, le respect des principes républicains.

Laisser tomber la laïcité à l'école en donnant le sentiment de transiger, reviendrait à laisser tomber la République.

Député de Vendôme, où s'est déroulée l'une des premières affaires du foulard à avoir défrayé la chronique, je me souviens de l'isolement des enseignants et du chef d'établissement qui avaient choisi - à l'époque bien seuls - de dire non. Je souhaite rendre hommage à leur courage et à leur persévérance. Aujourd'hui, ils peuvent être satisfaits de n'avoir pas fait cela en vain.

Je me souviens également que ces affaires n'avaient et n'ont toujours rien de spontané, mais qu'elles sont bel et bien téléguidées par des groupes intégristes dont l'objectif est précisément de « tester » la perméabilité de la République, dont ils n'acceptent pas les règles.

Le voile est un aspect parmi d'autres d'une véritable stratégie politique, qui n'a que peu à voir avec les croyances religieuses.

En témoigne l'absentéisme forcé de jeunes filles dans les cours de sports ou de sciences naturelles, ou encore la remise en cause de programmes d'enseignement de l'histoire. (Murmures sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il s'agit là de véritables dérives communautaristes, et je renvoie notre excellent collègue Jean-Claude Lefort aux témoignages de nombreux enseignants, rapportés à cette tribune par plusieurs de nos collègues. Ces témoignages établissent que, çà et là, on remet en cause l'enseignement de l'histoire : on a, par exemple, contesté les cours de certains enseignants qui ne faisaient qu'appliquer le programme en abordant la question du génocide arménien. Cette question a pourtant été consacrée par une loi de la République votée à l'unanimité dans cet hémicycle, dans un climat d'émotion que nous n'avons pas oublié.

L'islam, deuxième religion dans notre pays, est dans la République. Elle doit y demeurer et y être acceptée comme telle, dans le respect des lois.

La laïcité est la meilleure garantie de cette intégration de l'islam. Cette loi est donc une loi de protection, d'intégration. En aucun cas, elle n'est une loi d'exclusion.

C'est d'ailleurs la réussite de la commission présidée par Bernard Stasi, ainsi que de la mission parlementaire présidée par Jean-Louis Debré, que d'avoir démontré qu'une loi garantissant la laïcité, d'une part, n'exclut pas, mais est au contraire de nature à permettre une vraie intégration, et, d'autre part, ne s'adresse pas à une religion en particulier, mais à toutes, mises sur un plan d'égalité.

M. Jean-Claude Lefort. N'importe quoi !

M. Maurice Leroy. Et ceux qui seraient tentés, sincèrement ou par calcul, de la présenter comme une loi particulariste, prendraient le risque de laisser l'islam de France s'enfoncer dans le fondamentalisme et l'intégrisme.

Aboutissement, cette loi est aussi un commencement, celui d'une conscience républicaine retrouvée, qui veut remettre en marche notre modèle d'intégration à la française.

Cette question de l'intégration est le défi majeur posé à notre société pour les prochaines décennies.

Comment garantir une vraie égalité des chances dans l'accès au savoir, dans la formation, dans l'emploi entre les hommes et les femmes, et singulièrement pour celles et ceux issus de l'immigration ? Ne pas répondre à ces attentes reviendrait à accepter les cassures qui menacent, et finalement à admettre la désintégration de notre modèle républicain.

Cette loi, aujourd'hui en débat, aura de ce point de vue valeur de symbole et de principe pour nos concitoyens, attachés à notre modèle républicain, à cette République qui leur ressemble et qui nous rassemble, ouverte et confiante en son avenir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Jean-Pierre Brard. Très bien ! Venez adhérer à l'intergroupe laïc ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'application du principe de la laïcité dans les écoles publiques est un sujet difficile, complexe, controversé, parce qu'il est au cœur des interrogations sur l'avenir de nos sociétés et de la recherche de sens qui marque notre époque.

La profondeur du débat dans le pays, les lignes de clivages dépassant les divisions idéologiques droite-gauche, la fracture au sein du monde de l'école qu'elle entraîne, en attestent.

Je tiens donc à faire part à l'Assemblée, mais surtout à mes mandants, de la position que m'inspirent mes convictions communistes, progressistes, qui m'ont amené à être de toutes les luttes pour l'école laïque, l'école de la République.

La laïcité est un des fondements de la nation. C'est un des piliers de notre démocratie, une composante essentielle de la citoyenneté. Au terme d'une histoire mouvementée, parfois violente, entre les « deux France », le principe de laïcité a fini par obtenir l'adhésion de la quasi-totalité de la population en France. La Constitution de 1946 et celle de 1958 le consacrent sans équivoque.

La laïcité dans l'enseignement repose sur deux principes : la neutralité des programmes et des enseignants d'une part ; la liberté de conscience des élèves d'autre part. Mais elle est aussi apprentissage civique du respect mutuel, reconnaissance de l'autre, exercice de l'esprit critique qui fait le citoyen actif dans une société démocratique. Cette laïcité, un grand acquis français, me semble aujourd'hui menacée.

Qui pourrait nier le danger communautariste ? Qui pourrait nier les risques de la reconnaissance institutionnalisée ou insidieuse de cette logique communautariste ? Parmi ses multiples causes figurent notamment l'échec de l'intégration des hommes et des femmes issus de l'immigration la plus récente, leur exclusion dans ce que j'appelle souvent un nouvel apartheid social et spatial, voire leur rejet hors de la communauté nationale, qui engendrent un repli identitaire et le communautarisme, et sapent les fondements du pacte social. Aux effets de la politique ségrégationniste à l'intérieur, s'ajoutent ceux de la logique des minorités, développée tant dans le cadre de l'Union européenne que dans celui du Conseil de l'Europe.

C'est dire que le combat pour la laïcité est indissociable du combat pour l'intégration. Comme l'affirme le rapport Stasi, « la laïcité n'a de sens et de légitimité que si l'égalité des chances est assurée en tout point de notre territoire. » Nous risquons, si l'intégration ne suit pas, un renforcement du sentiment communautariste, qui exacerbera les peurs de la société française dans son ensemble, ainsi que les phénomènes de rejet. Or, la politique du Gouvernement ne fait qu'accroître les inégalités et la misère dans notre pays,...

M. Gérard Léonard. Il faut faire confiance !

M. Jacques Brunhes. ...éloignant encore plus l'horizon de l'intégration.

M. Gérard Léonard. Non ! Au contraire, on répare les dégâts !

M. le président. Allons, monsieur Léonard !

M. Jacques Brunhes. C'est cette politique-là qui constitue la plus grande menace contre la laïcité, en préparant le terreau où fleurissent la haine de l'autre et toutes sortes d'intégrisme.

Les valeurs de la laïcité permettent de forger l'unité de la nation tout en respectant la diversité de la société. Or, le droit légitime à la différence culturelle ne peut impliquer la différence des droits, sous peine du morcellement du corps social.

M. Gérard Léonard. Mais c'est gaulliste, ça !

M. Jacques Brunhes. Faut-il un nouveau dispositif pour mieux faire appliquer la laïcité dans le contexte actuel ? Ma réponse est oui. La solution souple et pragmatique, qui pouvait être envisageable voici quatorze ans quand la question du « foulard islamique » s'est posée pour la première fois publiquement, ne peut plus l'être aujourd'hui. Le corpus actuel et la jurisprudence contradictoire placent les chefs d'établissement et les conseils d'administration devant une responsabilité « discrétionnaire » trop lourde, puisqu'on leur confie l'appréciation de la norme sous prétexte d'adaptation à la singularité des cas.


Ils les soumettent à la pression exercée par les rapports de force locaux et introduisent des disparités inacceptables dans l'application de la loi, rompant l'unité et l'indivisibilité de la République.

Or les tensions autour des questions religieuses sont devenues trop fréquentes dans les écoles et dans la société. Par ailleurs, l'environnement familial et social impose parfois aux jeunes filles des choix qui ne sont pas les leurs s'agissant du port du voile, ôtant ainsi à l'espace scolaire son caractère de liberté et d'émancipation. Nous avons tous lu ou entendu des témoignages bouleversants de jeunes filles ou de femmes affirmer : « Le voile est le symbole de notre oppression. » L'une écrit : « Le voile est brandi comme un étendard par les organisations islamistes pour mettre en place leur projet sociétal où le droit religieux prime sur les principes républicains ». Telle autre explique comment, devant l'évolution rapide de l'islamisme organisé, elle a changé d'avis et croit aujourd'hui utile de légiférer sur le voile. Légiférer, ce n'est pas stigmatiser une communauté puisque la loi devra prohiber le port visible - monsieur le ministre, j'emploie à dessein l'adjectif « visible » - de tous les signes religieux.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Jacques Brunhes. Il ne s'agira pas non plus de mesures d'exclusion automatiques renvoyant les élèves concernés vers les écoles confessionnelles, car la sanction ne devra être envisagée que comme dernier recours.

M. Gérard Léonard. C'est un progrès !

M. Gérard Bapt. C'est clair !

M. Jacques Brunhes. C'est d'ailleurs le sens de l'amendement de la commission des lois qui prévoit une procédure de dialogue, de médiation et, je le souhaite également, monsieur le président de la commission des lois, d'efforts d'accompagnement des familles, avant la sanction. L'adoption par l'Assemblée de cet amendement est déterminante.

J'exprime aussi le regret que la loi n'aille pas au bout de sa logique et ne s'applique pas aux écoles sous contrat bénéficiant d'un financement public, souhait également exprimé par de nombreux collègues de la commission Debré.

Si je mesure bien les arrière-pensées et les manœuvres politiciennes de certains qui réclament une loi et si je les déplore, je ne peux en tirer la justification d'un vote négatif. Car le principe de laïcité, pour toutes les raisons qui ont été données et alors que l'on s'interroge sur la place des religions dans la future constitution européenne, doit être réaffirmé avec force.

La loi future, qui sera l'aboutissement de nos travaux, doit être sans équivoque, c'est-à-dire ne pas offrir la possibilité d'interprétations multiples. Elle doit être claire et simple d'application. Gardons-nous aussi de toute tentative de dévoyer le texte en y englobant par exemple les signes politiques, comme certains l'ont suggéré. L'article 10 de la loi d'orientation de juillet 1989 a été marqué par l'ouverture de l'école sur le monde extérieur, notamment au travers de l'admission de parents d'élèves et d'élèves dans le système scolaire et de l'autorisation de l'information politique. Une conception étroite de la laïcité, liée à un affaiblissement de notre démocratie, a souvent estompé cette information politique aussi nécessaire que l'information religieuse pour la formation du futur citoyen.

Si l'amendement de la commission des lois est pris en considération et si aucun dérapage ne vient altérer le texte, je le voterai en raison de mes convictions.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Jacques Brunhes. Légiférer sur un tel sujet implique de lutter pour l'égalité et la plénitude des droits de toutes les composantes de la population, car laïcité et justice sociale vont de pair, selon une conjonction forte de l'émancipation républicaine et de la démocratie sociale, que soulignait déjà Jean Jaurès. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le difficile débat que nous abordons aujourd'hui est important dans la mesure où il touche au fondement même de la République et de nos valeurs Il est surtout nécessaire, et le Parlement ne pouvait s'en affranchir. Notre société est en crise, menacée par des dérives communautaristes auxquelles il convient de résister et de mettre fin.

Certains avancent qu'il ne serait pas nécessaire d'en passer par la loi. Certes, leurs arguments méritent le respect. Mais, comme le président de la commission des lois, Pascal Clément, l'a excellemment mis en exergue,...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je vous remercie.

M. Bernard Accoyer. ...les motifs qui rendent le recours à la loi indispensable sont clairs et je n'y reviendrai pas. La démonstration n'a laissé place à aucune ambiguïté.

Dépassant les considérations juridiques, je souhaite placer mon propos sur le plan politique. N'oublions pas, mes chers collègues que, lorsque l'essentiel est en jeu, nous sommes collectivement dépositaires de la souveraineté nationale - or, aujourd'hui nous débattons bien de l'essentiel. Il est de notre devoir à tous, lorsqu'il s'agit de réaffirmer les principes qui fondent notre société, de nous saisir de la question et d'y apporter une réponse.

Notre honneur d'élus est de prendre nos responsabilités. Laissons à d'autres les hésitations, les renoncements et le manque de courage. Nous avons, hélas, vécu cette situation durant les dernières années face à tous les problèmes de notre société, qu'il s'agisse de l'avenir des retraites ou celui de l'assurance-maladie. La sanction a été majeure. N'oublions jamais le message que nous ont exprimé nos concitoyens le 21 avril 2002. I1 convient d'en tirer les leçons.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. Mais lesquelles ?

M. Bernard Accoyer. Il est des circonstances dans la vie d'une démocratie où seules la force, l'autorité et la solennité de la loi sont légitimes. Notre pays a besoin de ce message fort et qui d'autre que le Parlement pourrait le lancer ? C'est la raison pour laquelle nous devons saluer le choix et la détermination du Président de la République et du Gouvernement. Ils ont refusé la facilité et ont demandé au Parlement de légiférer. Le recours à la loi était indispensable. Notre débat le confirme.

Mes chers collègues, ne perdons pas de vue l'essentiel. La laïcité constitue pour chaque citoyen une protection fondamentale, voire la première des protections : la liberté.

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Très bien !

M. Jean Glavany. Ce serait trop simple si c'était vrai !

M. Bernard Accoyer. C'est bien ce qu'a rappelé avec force le Président de la République, le 17 décembre dernier : « La laïcité est une double garantie : la garantie non seulement que nos propres convictions seront respectées, mais aussi la garantie que les convictions des autres ne nous seront jamais imposées. »

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Bernard Accoyer. Or, pour que cette liberté soit réelle, partout en France, le principe de laïcité doit s'appliquer en premier lieu au sein de l'école publique. Il nous revient aujourd'hui de réaffirmer les conditions dans lesquelles les élèves, les collégiens et les lycéens de toutes confessions peuvent se retrouver dans la même salle de classe pour bénéficier de l'enseignement de la République

En France, l'école est un lieu à part, un lieu privilégié. C'est à l'école que nous formons les jeunes, les citoyens de demain. C'est à l'école de la République que nos enfants apprennent à vivre ensemble, dans la tolérance, et à se respecter au-delà de leurs origines, de leurs différences et de leurs croyances.

Si l'école a pu remplir sa mission républicaine d'intégration et de brassage social, religieux et philosophique, c'est qu'elle enseigne non pas ce qui sépare et différencie les citoyens français, mais ce qui les rassemble et les unit. Hormis la transmission du savoir, l'école a pour mission d'inculquer à nos enfants ce socle de valeurs communes indispensable à la cohésion de la nation et de notre république.

Comment un tel message républicain de tolérance, de liberté et de respect pourrait-il être compris ou même entendu par nos enfants dans des salles de classe où le communautarisme aurait sa place ?

Certains responsables politiques ou associatifs, prenant prétexte de la liberté de culte, souhaiteraient organiser notre société en communautés identifiées, coexistant les unes à côté des autres. Cela n'est pas conforme aux fondements de notre société et à nos principes de liberté et d'égalité.

L'histoire de la France explique elle-même ce qu'est l'intégration à la française. Elle est unique au monde et nous y sommes évidemment tous très attachés. Elle repose sur la neutralité de l'Etat quant aux croyances et convictions religieuses, philosophiques et politiques de chacun. La République ne connaît que des citoyens égaux entre eux, détenteurs des mêmes droits et redevables des mêmes devoirs. La République n'a pas à connaître des appartenances religieuses, des convictions politiques ou des origines de chacun d'entre nous. Le pacte républicain, ciment de la nation, est fondé sur cette exigence et nous n'avons pas le droit de transiger. D'autres orateurs l'ont dit avant moi, vous l'avez répété, monsieur le ministre : la laïcité fait partie du pacte républicain.

Pour autant, il ne faudrait pas, dans un mouvement de balancier, opposer aux excès du communautarisme un autre excès, laïque celui-là, qui nierait le fait religieux et briderait la liberté de croire et la liberté de culte, celle de tous les cultes. Le projet de loi du Gouvernement dont nous débattons écarte une telle dérive. Il est marqué par l'équilibre, la nuance et le respect...

M. Gérard Léonard. C'est vrai !

M. Bernard Accoyer. ...dans les termes choisis comme dans son champ d'application.

Le dispositif retenu par le Gouvernement est le fruit d'une longue réflexion et d'un travail approfondi, voulu et encouragé par le Président de la République. Les conclusions de la commission Stasi et celles de la mission d'information de notre assemblée conduite par notre président Jean-Louis Debré,...

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Très bien !

M. Bernard Accoyer. ...sans oublier le rapport de notre collègue François Baroin et le large débat qui s'est déroulé dans le pays, ont permis la prise de conscience de la dérive qui menace notre société et l'émergence de solutions adaptées.

Le texte qui est soumis au Parlement ne refonde pas la laïcité. Il ne s'agit pas d'inventer de nouvelles règles ni de déplacer les frontières. Il s'agit simplement, pour nous, de réaffirmer ce principe et d'en garantir la stricte, mais tolérante application à l'école publique.

Nous n'avons rien réinventé, notre démarche est modeste. Elle n'a rien de commun avec les déchirements qui ont précédé et suivi l'adoption de la loi fondatrice de séparation des églises et de l'État en 1905.

Décennie après décennie, l'application du principe de laïcité a permis de rassembler tous les Français autour de valeurs communes. Nous pérenniserons cet acquis en adoptant le projet de loi. C'est dans un climat apaisé que nous légiférons aujourd'hui.

C'est dans un tel cadre que le terme du projet de loi a été choisi : le terme « ostensible », c'est-à-dire « qui manifeste la volonté d'être vu », apparaît en effet comme le plus sage et le mieux approprié.

Le terme « visible » aurait certainement l'inconvénient d'entraîner une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme, car il serait restrictif des libertés.

Le terme « ostentatoire », qui induit une volonté de provocation, est, quant à lui, trop imprécis et pourrait être la source de difficultés d'interprétation. En effet, où commence réellement la volonté de provoquer ?

« Ostensible », « ostentatoire », « visible » : tels étaient les termes possibles du débat. Le Gouvernement propose un texte soigneusement mesuré, sur lequel se retrouve une très large majorité d'entre nous. Quant au champ d'application de la loi, celui des seuls signes religieux, il couvre le domaine précis où il nous appartient de légiférer.

Le fait religieux revêt une dimension particulière dans la mesure où il peut avoir vocation, par son caractère universel, à se substituer aux règles de droit commun. La propagande politique est évidemment interdite à l'école, et c'est heureux. L'affichage de convictions politiques et philosophiques n'a pas à franchir la porte des établissements scolaires. D'ailleurs les moyens juridiques de lutter contre une telle propagande existent. Aujourd'hui, il convient de préserver l'école publique de la propagande religieuse et surtout du prosélytisme à dimension politique.


C'est la raison pour laquelle le texte qui nous est présenté est particulièrement adapté.

Mais notre démarche n'aura de sens qu'accompagnée de la relance d'une politique d'intégration forte et généreuse garantissant à tous l'égalité des chances.

M. Gérard Léonard. Il est grand temps !

M. Bernard Accoyer. Pour ces raisons, le groupe UMP a souhaité consacrer sa prochaine niche parlementaire à un débat sur l'intégration et l'égalité des chances.

Nous devons offrir à tous l'égalité des chances et des droits, dans le respect des différences. C'est cette égalité qui interdit les quotas ou les discriminations, fussent-elles positives, puisque la conception française de la citoyenneté est l'égalité, sans qu'il puisse être fait référence à l'origine, à la religion ou à tout autre critère.

Pour notre nation, il ne peut y avoir que des citoyens égaux en droits et en devoirs.

C'est en veillant au respect de cette exigence, c'est par notre capacité à faire vivre l'égalité des chances que nous redonnerons toute leur vitalité à la cohésion nationale et au vivre ensemble.

En adoptant ce projet de loi, faisons vivre notre devise, « liberté égalité, fraternité », afin qu'elle ne se transforme jamais en une simple suite de mots un peu désuets inscrits aux frontons des bâtiments publics, mais devienne au contraire une réalité quotidienne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Perez.

M. Jean-Claude Perez. « Tout ça pour ça ! »

C'est la formule qui vient d'emblée à l'esprit lorsque l'on examine le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui. Tout ça pour ça : une formidable chance vient d'être gâchée - une de plus me direz-vous...

Certes, mais quel dommage, au moment même où notre pays traverse une crise politique et morale profonde, où notre modèle républicain s'essouffle peu à peu, attaqué sans cesse par la montée des communautarismes, des intégrismes, du racisme, de l'incivisme et de l'individualisme.

Vous aviez l'opportunité, monsieur le ministre, de faire souffler un vent d'espoir salutaire pour la citoyenneté et pour la République. Mais vous avez choisi de ne pas choisir, de légiférer à blanc en vous contentant de paraphraser l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989, qui était pourtant la source de la discorde.

La rédaction proposée, dans sa forme actuelle, semble démontrer que vous avez choisi une voie médiane, la pire, en voulant sans le dire frustrer ou fâcher le moins de monde possible à quelques semaines des prochaines échéances électorales.

M. Lionnel Luca. Vous nous faites rires !

M. Jean-Claude Perez. Hélas, tout ceci ne débouchera que sur une impasse. L'effet sera inverse de celui recherché et alimentera les frustrations.

Vous disposiez pourtant d'un bel exemple de ce qu'il fallait faire avec la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat. Elle aurait dû vous éclairer, vous inspirer. En effet, elle s'est avérée suffisamment claire, affirmée et précise pour définir, jusqu'à aujourd'hui, les rapports entre la République et les Eglises. Je remarque au passage que ceux qui ont essayé de la remettre en cause en ont été pour leurs frais.

Pourtant, le conflit d'alors était au moins aussi difficile à dénouer qu'il est malaisé de relever le défi actuel : l'Eglise de France était toute-puissante et disposait de très nombreux relais dans le monde politique. Les parlementaires qui ont voté cette loi n'ont-ils pas été excommuniés par le pape, d'ailleurs ? Au vu de votre texte, monsieur le ministre, pareille mésaventure ne risque pas de vous arriver ! (Sourires.)

M. Maurice Leroy. Il nous sera beaucoup pardonné !

M. Jean-Claude Perez. Disons le tout net : ce projet de loi, préparé à la suite du discours prononcé par le Président de la République, n'est pas acceptable dans sa rédaction actuelle.

Tant qu'à proposer un texte, que n'y avez-vous retenu les conclusions de la commission du président Debré, qui proposait une rédaction simple, forte et d'une grande limpidité ?

M. Gérard Léonard. Mais inconstitutionnelle !

M. Jean-Claude Perez. La formulation du texte gouvernemental est bien trop floue, et il y a fort à parier que les contentieux ne manqueront pas.

Chacun sait ici que, pour être égale partout, sur tout le territoire, la loi doit être claire. Ce n'est pas le cas ici, loin s'en faut.

La mission d'information constituée à l'initiative du président Debré, après avoir entendu plus de 120 personnes, avait conclu qu'il convenait d'interdire expressément le port visible de tout signe religieux. Or, faisant fi du travail mené par l'Assemblée - ce qui révèle une attitude pour le moins légère -, le Gouvernement nous propose un texte qui va à l'encontre de cette position.

S'il était adopté en l'état, on serait en droit de se demander quelles garanties juridiques supplémentaires vont être offertes aux chefs d'établissement. Pourtant, lassés d'être placés en première ligne, les enseignants attendaient que les élus du peuple prennent leurs responsabilités. Ils vont être déçus, puisque ce texte, laissant une trop grande liberté d'interprétation, ne répond pas à leurs attentes.

Je le répète, ce texte tel qu'il est rédigé ne règle rien. Certains membres éminents de la majorité ne se privent pas de le clamer haut et fort, d'ailleurs.

Mais pouvait-il en être autrement quand les deux ministres concernés au premier chef, le ministre de l'intérieur, ministre des cultes, et le ministre de l'éducation nationale, après s'être résolument prononcés contre la loi, se retrouvent aujourd'hui contraints et forcés de défendre un texte dont ils ne voulaient pas ?

Nul n'est dupe. Nous savons tous ici que ce changement tient plus à la volonté du Président de la République, qui joue sa partition, qu'à une conversion soudaine.

M. Jean-Pierre Brard. Mais non : c'est la grâce qui est descendue ! (Sourires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Perez. Peut-être faut-il en tirer un enseignement et rappeler quelques principes simples, mes chers collègues. On ne fait bien que ce que l'on aime, que ce que l'on ressent profondément. La majorité s'est emparée d'un sujet qu'elle maîtrise mal, tout simplement.

M. Gérard Léonard. Et vous, l'aviez-vous maîtrisé auparavant ?

M. Jean-Claude Perez. Elle n'est pas prête à lutter, à se battre, à jeter toutes ses forces dans une bataille qu'il faut mener avec une grande énergie.

La loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, réaffirmée par les Constitutions de 1946 et de 1958, a été élaborée sur le rapport de Jean Jaurès, figure emblématique, ô combien ! du socialisme français.

M. Lionnel Luca. Et récente !

M. Jean-Claude Perez. Présentée le 21 mars 1905, elle est adoptée le 3 juillet de la même année et mise en œuvre par Aristide Briand, qui en avait été le rapporteur dans cet hémicycle.

La laïcité est une valeur de confrontation, une valeur de combat contre le fondamentalisme et l'obscurantisme. Toutes les avancées, tous les symboles, toutes les valeurs qu'elle porte en elle et qu'elle draine ont été arrachés de haute lutte.

II faut en effet de la volonté pour claquer la porte aux extrémistes religieux, coupables de s'attaquer à nos valeurs de liberté individuelle et notamment à la liberté de la femme.

La laïcité, c'est le respect des autres, libres de leurs croyances et de leurs opinions.

La laïcité des institutions est garante de liberté pour les individus et permet la coexistence de l'ensemble des citoyens, sans tenir compte ni de leurs origines, ni de leurs traditions, sans jamais s'imposer ou s'opposer à la liberté des autres.

Rien ne saurait empêcher les religions de s'organiser librement dans leurs temples, églises, mosquées ou synagogues. Aucune autorité de l'Etat n'interdit l'entrée libre et publique dans ces locaux ou le déroulement de manifestations publiques. Il n'a d'ailleurs jamais été question de les brimer dans l'exercice de ces libertés : c'est le fondement même de la laïcité que de le permettre.

L'affirmation par chaque individu de sa confession religieuse ne choque pas le laïque que je suis. Mais toute liberté a ses limites, et si cette affirmation, cet « affichage » visible devient interpellation, provocation ou moyen d'exercer une pression sur les autres, nous ne saurions l'approuver ou même le tolérer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous y voilà ! Au bout de six mois, le vaste débat sur la laïcité se conclut en queue de poisson...

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Mais non !

M. Nicolas Perruchot. ...par la présentation d'une loi peu convaincante qui ne fait que reprendre, à une simple substitution près, l'interdiction déjà posée en 1994 par la circulaire Bayrou des signes religieux ostentatoires à l'école, désormais qualifiés d'« ostensibles ».

M. Jean-Pierre Gorges. Très juste !

M. Gérard Léonard. On a vu les résultats de cette circulaire !

M. Nicolas Perruchot. Réécrire la loi de 1905 sur la laïcité, pierre angulaire de notre pacte républicain depuis près de cent ans, aurait nécessité plus de circonspection et de prudence. Plus que jamais, l'avertissement de Montesquieu devrait résonner dans nos mémoires : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. » Or, ce texte qu'on nous présente comme nécessaire, qu'a-t-il apporté et qu'apportera-t-il ?

Une méfiance accrue de la population française envers l'islam (« Mais non ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.), une radicalisation de l'islam, une tribune offerte gratuitement à l'intégrisme, un réservoir électoral pour l'extrême droite,...

M. Dominique Tian. C'est une caricature !

M. Gérard Léonard. De tels propos sont inadmissibles !

M. Nicolas Perruchot. ...et enfin, une loi inutile, qui ne fait que répéter l'existant et qui, une fois adoptée, ne permettra pas aux enseignants et aux chefs d'établissement de mieux résoudre les problèmes qui se posent à eux.

M. Guy Geoffroy. Ce sera pourtant le cas !

M. Nicolas Perruchot. Si nous adoptons cette loi telle qu'elle est rédigée, nous aurons sans nul doute raté l'objectif principal, qui est de lutter au quotidien contre toutes les formes de différenciation et de discrimination que cherchent à nous imposer les tenants d'un islam réactionnaire et fondamentaliste, intrinsèquement contraire à nos idéaux républicains. Croyant lancer une vigoureuse riposte symbolique contre l'intégrisme, nous réaliserons demain que nous n'avons fait que le raviver et fourbir les armes de l'extrême droite, sans pour autant clarifier les règles d'application du principe de laïcité sur le terrain.

Ce projet de loi, qu'on nous présente aujourd'hui comme la seule réponse républicaine possible au problème du voile, est le produit d'un débat politique et médiatique perverti.

Avril 2003 : en condamnant au nom du principe républicain, lors du congrès de l'UOIF, le port du voile sur les photos d'identité, Nicolas Sarkozy relance le débat sur le voile islamique. Juin 2003 : l'Assemblée nationale crée une mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école, tandis que le Président de la République charge la commission de sages présidée par Bernard Stasi de proposer une réforme de l'application du principe de laïcité. En novembre, alors que les travaux de réflexion ne sont pas achevés et que la nécessité d'une loi ne fait l'unanimité ni au sein du corps enseignant, ni au sein des camps politiques, le choix de la loi est annoncé par certains élus de l'UMP. Il est confirmé en décembre par le président de la République.

Depuis lors, nul ne peut s'opposer à la loi sans être aussitôt taxé d'opportunisme électoral, voire d'islamisme.

M. Bernard Accoyer. C'est un discours tout en nuances !

M. Nicolas Perruchot. Pourtant, l'ambition était bonne. Il s'agissait d'ouvrir enfin le débat sur l'échec de la politique d'intégration de la France, que nous avions esquissé l'année dernière à l'Assemblée Nationale en discutant du projet de loi relatif à l'immigration. Comment s'étonner de la montée des communautarismes si nous ne proposons pas aux étrangers arrivant sur notre territoire d'apprendre la langue française et les principes républicains régissant notre vie en commun ? L'ambition, je le répète, était bonne. L'objectif était que l'islam de France soit gouverné de Paris et non de l'étranger, et que l'identité religieuse et culturelle des étrangers soit respectée, à condition qu'elle respecte les valeurs républicaines. Le problème n'était pas de voter une loi concernant simplement le port du voile à l'école.

Parce qu'il signifie la soumission de la femme devant l'homme, le voile islamique revêt un caractère symbolique et ne saurait être accepté à l'école, lieu d'apprentissage des valeurs républicaines. Néanmoins, les statistiques ne justifient peut-être pas une telle ruée médiatique : sur 9 millions d'élèves, on ne compte que 150 cas par an, soit une nette diminution depuis 1994, date de la circulaire Bayrou interdisant les signes ostentatoires, qui avait fait passer cette année-là de 9 000 à 300 le nombre de cas litigieux.

M. Guy Geoffroy. C'est vrai !

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Lionnel Luca. Ce n'est pas une question de statistiques !

M. Nicolas Perruchot. Est-ce en légiférant sur un problème concernant en moyenne deux cas par département que nous combattrons l'intégrisme ?

Avant de voter ce texte, nous devrions nous poser deux questions : la loi sera-t-elle plus efficace ? Constituera-t-elle un symbole républicain fort ?

Dans sa rédaction actuelle, elle ne ferait que conforter la circulaire actuelle sur l'application du principe de laïcité et la jurisprudence du Conseil d'Etat qui y est associée : demain comme aujourd'hui, le port de signes religieux manifestant une volonté de prosélytisme serait prohibé. En effet, qu'énonce exactement la circulaire Bayrou de 1994 ? « Il n'est pas possible d'accepter à l'école la présence et la multiplication de signes si ostentatoires que leur signification est précisément de séparer certains élèves des règles de vie commune à l'école. Ces signes sont, en eux-mêmes, des éléments de prosélytisme, à plus forte raison lorsqu'ils s'accompagnent de remise en cause de certains cours ou de certaines disciplines, qu'ils mettent en jeu la sécurité des élèves ou qu'ils entraînent des perturbations dans la vie en commun de l'établissement. » La loi n'apporte donc aucun changement à l'état du droit.

Certes, elle peut constituer un signal politique ponctuel : les enseignants et les chefs d'établissements attendent une clarification durable des règles existantes et ne souhaitent pas assumer seuls la responsabilité de la décision douloureuse que représente l'exclusion d'un élève du système scolaire.

La loi ne répondra pas à ces problèmes d'application concrète. Il faudra attendre son décret d'application pour aborder le vrai débat, ce que nous aurions tout aussi bien pu faire directement. Qu'entend-on par signe ostentatoire ? Va-t-on interdire le voile, les fichus, les bandanas, les barbes, les turbans ou tout autre signe de reconnaissance ? En votant une loi, nous reportons à demain les vraies questions.


D'aucuns affirment que son caractère solennel et public ferait de la loi un symbole fort envers les adversaires de la laïcité. Mais ce que retiennent surtout les musulmans de France, c'est que la République française, en parlant de « signes religieux », ne vise que le voile et que l'islam, parce qu'il n'y a, effectivement, que le voile qui pose problème. Si les propos de Luc Ferry ont été perçus comme maladroits, c'est qu'il a soulevé des questions qui ne s'étaient jamais posées telles que la menace intégriste que constitueraient les Sikhs ou les Assyro-chaldéens pour la République française.

En visant certaines formes de l'islam, ce texte de loi réveille tous les réflexes identitaires. Il place les nombreux musulmans modérés en porte-à-faux, comme s'ils avaient à se justifier de leur foi. Pire, il ouvre un boulevard à l'extrémisme islamique, en poussant une partie des modérés dans les bras des fanatiques.

M. Jean-Claude Lefort. Très bien !

M. Nicolas Perruchot. Qui aurait jamais entendu parler du groupuscule du Parti des Musulmans de France sans ce projet de loi ? Mohamed Latrèche aurait-il fait la une des journaux ?

Dans ma commune de Blois, se trouve une des plus grandes ZUP de France. La question du port du voile s'y pose de façon inquiétante, pas seulement à l'école, mais dans la rue, pas seulement pour les jeunes filles, mais pour les femmes, et de manière accrue depuis le mois de septembre. Voilà ce qui m'inquiète. En mettant en œuvre un arsenal répressif, nous prenons le risque de renoncer au dialogue avec ces jeunes filles,...

M. Lionnel Luca. On l'a déjà dit !

M. Nicolas Perruchot. ...de renforcer l'intégrisme et de promouvoir l'essor d'écoles confessionnelles développant des principes communautaristes directement opposés à notre idéal républicain.

Arrêtons de nous voiler la face (Sourires) : ce n'est pas en légiférant pour l'école que nous ferons disparaître le voile dans les quartiers. La question de la laïcité se pose aussi dans les services hospitaliers, dans les stades, dans les piscines, où la mixité est aujourd'hui remise en cause.

M. Jean Lassalle. C'est vrai !

M. Nicolas Perruchot. Comment imaginer que la loi, à elle seule, puisse venir à bout de cet intégrisme provocateur qui cherche, par esprit de système, à pousser la République dans ses retranchements ?

Ce qui m'inquiète, c'est que l'on donne au voile une dimension religieuse quand il est une question d'intégration. L'on feint de ne pas comprendre que lorsqu'une société n'arrive plus à accueillir, à reconnaître, à être porteuse de valeurs communes, il ne reste plus que le repli identitaire. En confondant croyance religieuse et intégrisme, nous risquons de remettre en question ce pilier fragile de la laïcité française qu'est la tolérance de toutes les expressions religieuses, y compris dans la sphère publique.

Le problème n'est pas l'expression religieuse, mais l'absence de réponse politique à la crise de l'intégration. Qui croit un instant que cette loi et les manifestations méfiantes qui ont précédé sa discussion sont de nature à rassembler la France autour de valeurs communes ? En 1905, le problème était de séparer l'Etat de la tutelle historique de l'Eglise. Aujourd'hui, nous devons unir et associer autour d'un pacte républicain renforcé, plus ouvert et qui intègre mieux. A défaut, nous deviendrons une vieille nation, repliée sur elle-même, agitant des gris-gris pour protéger des restes.

En fait d'efficacité, la loi ne fait que révéler l'échec de la politique d'intégration depuis vingt ans et exacerber l'intégrisme ; elle n'apporte pas de solution. Occupons-nous d'abord des ghettos, luttons contre le financement des mouvements extrémistes, proposons enfin un vrai contrat d'intégration aux étrangers installés en France. Les voiles s'enlèveront d'eux-mêmes. A défaut d'avoir réussi à intégrer par la loi, évitons d'adopter une loi désintégratrice. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est partie intégrante de notre patrimoine national commun. Elle est inséparable de l'établissement de notre République et de notre histoire collective. Elle est présente dans l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme de 1789 sur la liberté d'opinion et de religion, comme dans la décision de septembre 1792 de l'Assemblée législative qui laïcise l'état civil et le mariage. Elle est présente, au cours du XIXè siècle, dans les efforts des républicains pour soustraire la société à la tutelle de l'Eglise et à son emprise sur les consciences. Elle guide l'adoption des grandes lois scolaires, avec l'aboutissement que constitue la loi du 9 décembre 1905, consacrant la séparation des églises et de l'Etat.

La laïcité, c'est le respect. Elle vise à garantir la liberté de conscience, à développer la démocratie, à permettre le plein exercice de la citoyenneté. Dans une République qui se construit autour d'idéaux de progrès social et de bonheur des citoyens, elle est, dès le départ, un des outils du « vivre ensemble » et d'une promotion sociale possible pour tous. Elle complète fort justement les principes de liberté, d'égalité et de fraternité.

La quasi-totalité des composantes de notre société se sont progressivement reconnues, au fil du XXè siècle, dans ce qu'il est convenu d'appeler « le pacte laïque ». Au sortir de la Seconde guerre mondiale, c'est le député communiste Etienne Fajon qui proposa d'intégrer la laïcité dans la constitution de 1946. Celle de 1958, actuellement en vigueur, a repris cette notion. Aujourd'hui, nul ne peut nier les problèmes et les défis auxquels elle est aujourd'hui confrontée, dans une société qui s'est considérablement transformée au fil des années.

Notre société va mal. Sur le plan international, la mondialisation libérale a disloqué des sociétés fragilisées par les séquelles du colonialisme, entraînant des injustices profondes. Face à d'insolentes richesses, frustrations et pauvreté immense provoquent des migrations durables vers d'autres sociétés. Une paupérisation sociale, économique, morale et culturelle est à l'œuvre dans les pays développés même. En France, une part importante de la population est exclue du logement, du travail, des droits fondamentaux. Dans une société dont les valeurs traditionnelles de citoyenneté et de solidarité sont mises en cause, la voie est ouverte aux réflexes individualistes ou communautaristes. Le racisme, la peur de l'autre se développent sur ce terreau d'injustices sociales avec, comme corollaires, la violence et l'intolérance envers ceux qui sont différents, faibles, entraînant repli sur soi et atteinte à la dignité.

Les valeurs de citoyenneté ont perdu leur sens pour une partie de la population, d'autant que ne sont toujours pas reconnus à ces personnes, pourtant présentes sur notre sol depuis des décennies, ni le droit de vote...

M. Lionnel Luca. Rien ne leur interdit d'être français !

M. Daniel Paul. ...ni la possibilité de pratiquer leur culte, la deuxième religion de France, dans la dignité d'un lieu approprié.

L'ascenseur social est en panne, comme l'intégration. Dès lors, la force de la souffrance sociale et du sentiment d'injustice rend perméable aux discours extrémistes. Combien de jeunes, en particulier de jeunes filles, sont ainsi victimes, dans un environnement difficile, de pressions insupportables, dans un mode de relation fondé sur la loi du plus fort et sur son corollaire, la loi du silence ? La plus grande vigilance et la plus grande fermeté s'imposent devant des formes d'intégrisme, de quelque croyance qu'il se réclame, qui portent atteinte aux libertés individuelles et collectives, à l'égalité entre les hommes et les femmes, principe inscrit dans notre Constitution, comme la laïcité, et qui aboutissent à faire du voile un étendard identitaire.

Mais pourquoi, alors que l'ensemble de notre société est concerné, nous proposer un texte de loi sur l'école ? Pourquoi, alors que les responsables de l'islam ne s'accordent pas tous sur sa signification, décréter que le voile est un symbole religieux ? Quel service rendu aux intégristes ! Pourquoi, dans l'urgence, prendre le risque de stigmatiser ainsi une partie de nos concitoyens en alimentant les extrémismes les plus dangereux ? Pourquoi faire croire que le problème se limite à l'enceinte scolaire, qui plus est à l'enceinte scolaire publique ? Considérez-vous que le problème serait réglé si les jeunes filles voilées quittaient l'école de la République pour des écoles confessionnelles, existantes ou à créer, ou à l'issue de la scolarité obligatoire ? L'objectif prioritaire ne doit-il pas être de permettre à toutes et à tous d'acquérir, dans cette école qui doit retrouver toute sa place et les moyens nécessaires à ses missions, culture, formation et qualification professionnelles, et d'accéder aux éléments de la connaissance et du jugement ? Fallait-il détourner l'attention des mauvais coups que vous portez à la cohésion sociale, en particulier aux plus faibles de notre société, parmi lesquels se trouvent majoritairement ceux qui se heurtent aux difficultés d'intégration ? Pourquoi faire croire aux chefs d'établissement que votre texte est la réponse aux difficultés qu'ils rencontrent, alors que, vous le savez bien, il ne changera rien ?

Pour une part importante de notre population en difficulté ou originaire de pays divers, la laïcité a sans doute aujourd'hui perdu de son sens. Pourtant, elle demeure le ciment de la cohésion sociale, un fil d'Ariane pour un projet de société. Or ce n'est pas votre projet de loi qui suscitera une adhésion populaire à la laïcité, alors que c'est précisément ce que nous devrions rechercher.

En décembre 2005, la République fêtera le centième anniversaire de la loi de 1905. Pourquoi ne pas, à cette occasion, lancer un grand débat public et populaire, comme on l'a fait sur d'autres sujets, en se donnant comme objectif, non pas d'exclure, mais de rassembler ceux qui composent aujourd'hui notre société autour d'un même souci de formation, de promotion, quelles que soient leurs origines ? Celles-ci sont sans doute plus diverses qu'en 1905. Pour autant, l'immense majorité de nos concitoyens aspire à la justice sociale, à vivre ensemble, à fonder un nouveau « pacte laïque du XXIè siècle », respectueux de tous et prenant en compte les évolutions de notre société. Il faut bâtir, sur les fondements et les acquis de la laïcité du XXè siècle, une laïcité d'aujourd'hui porteuse de valeurs qui rassemblent et d'exigence collective face à l'individualisme exacerbé favorisé par les marchés. Pourquoi n'y aurait-il pas, chaque année, « une semaine de la laïcité », avec des initiatives dans les entreprises, dans les réseaux d'éducation populaire, dans les écoles bien sûr, mais aussi là où se joue sans doute l'essentiel, dans les cités, à travers les maisons de quartier, les centres sociaux, pour transmettre et toujours réaffirmer les valeurs républicaines ? Comme nous avons célébré le bicentenaire de la Révolution française, organisons en 2005 une fête populaire autour de la laïcité. Sur un tel sujet, et parce qu'il serait dramatique que l'exclusion soit la conséquence de l'application du principe de laïcité, il faut faire œuvre pédagogique en même temps que politique, parce que c'est l'avenir même de notre pays qui est en jeu.

Il faut expliquer encore et toujours ce qu'est la laïcité, ne pas croire que le principe en est acquis une fois pour toutes, ne pas laisser vacant le terrain de la justice sociale et de la citoyenneté et, dans la fidélité aux principes qui ont guidé notre peuple, enrichir ce qui constitue notre bien commun.

Parce qu'il aboutit à diviser et à exclure, y compris celles et ceux qui veulent vivre leur foi dans la laïcité, parce qu'il ignore les effets de la politique libérale qui, tant au niveau mondial que national, nourrit le terreau sur lequel se développent les injustices sociales et que vous accentuez, dans notre pays, ses aspects les plus négatifs, parce qu'il ouvre un boulevard aux extrémismes qui mettent à mal les cohésions et les solidarités dont notre peuple a pourtant le plus besoin, votre projet de loi ne répond pas aux défis auxquels notre société est confrontée. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Madelin.


M. Alain Madelin
. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est clair, à cette heure, que le texte que nous examinons, quel que soit le nom qu'on lui donne, est un texte contre le voile islamique.

M. Jean Dionis du Séjour. Exactement !

M. Alain Madelin. L'interdiction à l'école des autres signes religieux, tels que la kippa ou la grande croix, ne sont là que pour assurer une fausse symétrie.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas vrai ! Allez donc au lycée Turgot !

M. Alain Madelin. Je n'ai pas remarqué dans le rapport Stasi que l'on fît mention des menaces pour la République que créerait la prolifération des grandes croix dans nos écoles. Et si la kippa y est citée, ce n'est pas comme une menace pour la République, mais pour les élèves qui la portent ! On y lit que, dans certains lycées, «aucun élève juif ne pourrait porter la kippa sans être immédiatement lynché» au point que certains élèves juifs ont dû être « exfiltrés » de l'école publique. Autrement dit, faute de pouvoir assurer le respect de nos lois, une nouvelle loi s'impose pour faire reculer l'antisémitisme en supprimant le juif ostensiblement visible ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La menace donc, c'est le voile. Elle me paraît pourtant limitée : « 1260 cas de voile à la rentrée, 20 cas difficiles, 4 cas d'exclusion » selon le ministre de l'intérieur. Dix cas de contentieux par an, selon vous, monsieur le ministre de l'Education nationale, à l'époque où vous pensiez qu'il était absurde de faire une loi pour cela.

M. Jean-Pierre Brard. Il n'avait pas les bons chiffres !

M. Alain Madelin. La menace régresse.

M. Guy Geoffroy. Non !

M. Alain Madelin. Selon la médiatrice de l'Education nationale , on est passé de 300 cas à 150 en dix ans !

En tout cas, ce qui est sûr, c'est que l'immense majorité des jeunes musulmanes vivent en France avec leur temps, à l'heure de la société française.

M. Jean-Claude Lefort. Absolument !

M. Alain Madelin. Cela ne veut pas dire pour autant que le voile ne pose pas de problèmes.

Il est parfaitement légitime de demander à une jeune fille, pour qui le port du voile est l'expression d'un choix personnel et intime, fondé sur une authentique conviction religieuse, de respecter les usages vestimentaires de l'école de la République.

M. Jean-Marc Ayrault. Il ne s'agit pas que du respect des usages vestimentaires, mais de celui des principes laïcs de neutralité.  Ce n'est pas la même chose ! Vous vous trompez de débat, monsieur Madelin !

M. Alain Madelin. Aux autorités religieuses musulmanes, il est légitime de demander d'adapter cette « prescription » - ou ce qu'elles croient être une presciption - de l'Islam à notre époque, à notre pays, à notre laïcité pour en permettre l'expression discrète.

Il est tout aussi légitime de bannir le voile islamique de l'école lorsque celui-ci sert d'étendard politique à ceux qui cherchent à dessiner un espace où les lois de l'Islam remplaceraient celles de la République. Il est légitime encore de ne pas accepter dans l'enceinte de l'école, où se forgent les consciences, le voile de la contrainte, celui qu'il faut porter pour être respectée dans son quartier, celui qui enferme et qui renvoie à une conception de la femme qui n'est pas conforme à nos valeurs.

Je ne pense pas pour autant qu'il faille une nouvelle loi. Les enseignants disposent déjà de tous les moyens nécessaires pour faire face à ces situations, comme on l'a vu avec la trop spectaculaire exclusion d'Alma et de Lila de leur lycée d'Aubervilliers.

Certes, leur tâche n'est pas facile. Cela tient d'abord à la complexité et à la diversité des situations. Cela tient ensuite au fait que nous sommes, là, au carrefour de plusieurs libertés : la liberté d'expression, la liberté de conscience, la liberté religieuse, la liberté pour les parents de choisir l'école de leurs enfants et le genre d'éducation qu'ils veulent pour eux, la laïcité de l'école publique et la non-discrimination entre les sexes. L'exigence de conciliation de toutes ces libertés a été rappelée par l'arrêt du Conseil d'Etat de 1989 qui, s'appuyant sur les principes fondamentaux de notre droit et de nos engagements internationaux, met l'accent sur les limites de nos limitations : les restrictions à porter à l'exercice de cette liberté ne peuvent être liées qu'au trouble de l'ordre public. C'est la raison pour laquelle je ne souhaite pas que l'on modifie les limites de cette liberté et je souscris à l'amendement qu'a déposé Edouard Balladur.

Une prohibition pure et simple à l'école de tout voile, de tout foulard, et même de tout signe religieux serait assurément une solution de facilité.

M. Jean-Pierre Brard. Non, une solution laïque, républicaine, conforme à l'esprit de Jaurès. Mais je sais que Jaurès n'est pas votre tasse de thé !

M. Alain Madelin. Vous appelez la laïcité à la rescousse mais - faut-il le rappeler ? - la laïcité jusqu'à présent est la laïcité des enseignants et de l'enseignement, non la laïcité des élèves. C'est un devoir de neutralité pour les enseignants. C'est aussi une mission, selon l'inspiration de Jules Ferry, celle de parler hardiment pour faire partager les valeurs universelles, les valeurs de la République.

Le devoir des enseignants laïques d'hier, à une époque où l'Eglise contestait et les droits de l'homme et la liberté de pensée, était d'ouvrir l'esprit de leurs élèves à ces valeurs universelles. Il ne serait venu alors à l'esprit d'aucun d'exclure les petits catholiques de l'école laïque.

C'est assurément détourner le principe de laïcité que d'en faire un principe d'exclusion.

En prohibant tout signe religieux - à l'exception des signes discrets - vous pensez que la nouvelle loi va faciliter le travail des enseignants. Je ne le crois pas. Entre le cadre juridique actuel qui interdit les signes «ostentatoires » et la tentation de prohiber tout signe «visible », la nouvelle loi arbitre pour une position intermédiaire mi-chèvre, mi-chou - mi-ostentatoire mi-visible - c'est-à-dire la prohibition de tout signe «ostensible ». Mais qu'est-ce que cela va régler ? Cette synthèse audacieuse force assurément l'admiration, mais il appartiendra toujours aux enseignants d'apprécier ce qui est signe religieux et ce qui est ostensible. Il leur reviendra de débusquer l'intention religieuse qui peut se cacher derrière tel foulard ou tel bandeau.

La tâche est suffisamment compliquée pour vous avoir déjà égaré, monsieur le ministre, puisque vous avez cru devoir déceler des signes prohibés sous un bandana ou même sous certaines pilosités !

M. Jean Glavany. C'était ridicule, maladroit et grotesque !

M. Alain Madelin. Le travail des enseignants ne sera pas facilité. Si, demain, un professeur se trouve, non plus face à une jeune-fille voilée, mais à un gamin avec un tee-shirt imprimé d'un verset coranique, pensez-vous que sa tâche sera plus facile ?

J'espère, si cette loi devait être votée, que la prohibition du voile islamique à l'école sera dissuasive et que de nombreuses jeunes filles trouveront dans l'application de cette loi le moyen d'échapper à une pression sociale qui les voile plus ou moins contre leur gré.

Mais que faire des jeunes réfractaires ? Certaines recevront paradoxalement asile dans les écoles catholiques comme c'est déjà le cas aujourd'hui. D'autres trouveront place dans de nouvelles écoles musulmanes. Faut-il s'en réjouir ? D'autres, enfin, se replieront sur des cours par correspondance organisées à l'ombre des mosquées.

Pour toutes ces raisons, je pense qu'il aurait mieux valu éviter une nouvelle loi. Toute la sagesse de nos institutions, celle du Conseil d'Etat, celle de la circulaire Bayrou de 1994, consistait à laisser aux enseignants et aux chefs d'établissements le soin de régler les problèmes posés par le voile au cas par cas. C'était une lourde responsabilité, mais c'était leur responsabilité. Car si le voile peut opprimer, l'école laïque libère et l'exclusion, qui prolonge l'oppression, doit être la dernière des solutions.

Il eût été plus habile d'éviter ce psychodrame national en continuant à pratiquer ce que notre tradition laïque a appelé des « accommodements raisonnables », ceux qui permettent d'inscrire le poisson le vendredi au menu de la cantine, de prévoir un plat de substitution lorsqu'il y a du porc, d'éviter de fixer des examens importants le jour de certaines fêtes religieuses, sans qu'il soit besoin d'inscrire Kippour ou l'Aïd-el-Kébir au calendrier de nos écoles.

Ce que je regrette le plus, c'est que cette loi nous fasse passer à côté de la vraie question : à savoir la place de l'islam en France, sa compatibilité avec la modernité, la laïcité et les droits de l'homme. Ce n'est pas une commission sur la laïcité qu'il fallait instituer, c'est une commission sur les rapports de l'islam et de la République. Tout comme il a fallu une épreuve de force entre la République et les Juifs pour parvenir au Sanhédrin de 1807, tout comme il a fallu un long combat pour la laïcité avec l'église catholique lorsque celle-ci ne reconnaissait ni la liberté de pensée ni les droits de l'homme, nous ne pouvons éviter aujourd'hui ce rendez-vous avec l'islam de France. Celui-ci doit se mettre en conformité avec nos mœurs, avec nos valeurs, avec les droits de l'homme. La République doit l'y inviter clairement et fermement.

C'est la raison pour laquelle je pense que cette nouvelle loi est inutile. La prohibition stricte va bloquer l'évolution de l'islam ...

M. Jean-Pierre Brard. Pas du tout !

M. Alain Madelin. ...et encourager les intégristes. Mais, pour éviter le scénario que je redoute, à savoir la guerre du voile,...

M. Jean-Pierre Brard. Pas du tout !

M. Alain Madelin. ...il reste une solution : que la loi soit appliquée, comme l'a dit notamment le président de la commission des lois, avec pragmatisme et, comme l'a dit le Président de la République, avec discernement. C'est-à-dire que, pour finir, le voile islamique prohibé deviendra foulard ou bandana autorisé. C'aura été au bout du compte beaucoup de bruit pour pas grand-chose, mais avec le risque d'avoir creusé un fossé d'incompréhension ...

M. Jean-Pierre Brard. Surtout si la loi n'est pas expliquée !

M. Alain Madelin. ...avec celles et ceux qui garderont le goût amer d'avoir vu la religion qu'ils pratiquent - ou qu'ils ne pratiquent pas mais dont ils se sentent aujourd'hui solidaires - instrumentalisée et stigmatisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'école n'est républicaine qu'avec des êtres libres, accessibles aux cheminements de la raison. Voilà le fondement de la laïcité à l'école, institution qui non seulement permet l'accès de tous les enfants à la connaissance et au maniement des outils qui permettent cet accès, mais aussi prépare ceux-ci à devenir des citoyens libres et responsables.

Mais l'idée de laïcité a été bien galvaudée et a donné lieu à bien des interprétations qui ont mené parfois à des conceptions contradictoires de cette valeur républicaine fondamentale. Combien d'hommes religieux - évêques, rabbins, muftis ou imam - n'a-t-on pas entendu ces derniers mois ramener la laïcité à la simple notion de tolérance et de coexistence !

Pour des républicains conséquents, la laïcité ne se réduit pas à la tolérance, puisque tolérer c'est accepter une agression que l'on juge supportable. La tolérance, ce peut être aussi la coexistence de groupes armés qui sont convenus de ne pas utiliser leurs armes.

La laïcité, en revanche, est un espace de paix. Ce n'est pas simplement un compromis qui permet l'existence de l'autre. C'est la rencontre de l'autre sans a priori.

C'est donc à tort que des religieux invoquent la tolérance à propos du port de signes religieux à l'école. C'est confondre la rue, espace commun, et l'école, l'hôpital ou la fonction publique. L'école toutefois est porteuse, pour un Républicain, d'une singularité unique. L'école républicaine de la grande époque avait d'ailleurs poussé la logique de l'égalité par l'abstention jusqu'à imposer le port de la blouse, effaçant par là-même les manifestations des distinctions sociale dans l'habillement.

Tout à l'heure notre collègue UDF du Tarn évoquait la pensée de Jean Jaurès et Emile Combes à propos des fondements de l'école républicaine. Mais, dans l'esprit de ces pères fondateurs, l'école laïque n'était qu'une des dimensions d'une conception de la République, avec la société sans classe dont rêvait Jean Jaurès. Nous dirions aujourd'hui une société où serait assurée l'égalité des chances, combattues toutes les discriminations et assurées l'égalité des sexes et la mixité sociale.

D'où notre insatisfaction à ne traiter de la laïcité que dans le cadre de l'école, si fondamentale soit-elle. Notre amendement portant sur le titre du projet de loi, qui , je le regrette, n'a pas permis de discussion au fond en commission, nous paraît de ce point de vue important. Sa prise en compte permettrait d'éviter un écueil bien réel auquel est confrontée la procédure législative : qu'une seule communauté se sente concernée par ce texte, celle se rattachant à l'islam dans ses différentes composantes.

Un siècle après la séparation de l'église et de l'Etat, la question de la visibilité des signes religieux chrétiens à l'école ne se pose certes plus avec la même acuité. La religion juive n'a jamais posé de problèmes notables à cet égard.

Pour les musulmans, d'origine étrangère pour la plupart, la question se pose en termes plus aigus. L'immense majorité des immigrés d'origine musulmane en France est laïque. Mais tous ne se sont pas déclarés ouvertement pour une loi interdisant le voile. Outre la crainte de représailles de la part des islamistes, cette réticence a d'autres motifs : une grande partie de ces immigrés a été longtemps délaissée par le République. Et, aujourd'hui, on leur demande de lui faire confiance. Ils se trouvent dans une situation complexe. Beaucoup ont souffert du dogmatisme qui domine depuis des siècles les sociétés musulmanes et souhaitent que les lois de la République les protègent contre l'intégrisme religieux. Ils ont donc toutes les raisons de se dire favorables aux droits de l'homme, à l'égalité des sexes. Ils l'auraient fait mille fois et sans hésitation s'ils avaient eu l'occasion dans leur pays d'origine. Mais, en France, dans ce pays d'accueil où ils ont été marginalisés, souvent à cause de leur origine orientale ou musulmane, dans ce pays où ils n'ont pas eu droit à l'égalité des chances ni pour eux-mêmes, ni pour leurs enfants pourtant souvent nés en France, dans ce pays d'accueil où ils n'ont pas eu le sentiment d'être considérés comme des citoyens de plein droit, ils peinent à trancher entre le souvenir des blessures et l'envie de croire aux engagements pour l'avenir. C'est pourquoi, chez certains, une réticence à l'égard d'une loi sur la laïcité existe : ils craignent que cette loi leur jette encore une fois à la figure leur origine musulmane.

Il est vrai que les problèmes rencontrés par les immigrés sont innombrables. Ils sont d'ailleurs exploités par les intégristes. Il est vrai que la République n'a pas fait assez pour leur intégration, pour casser les ghettos. Il est indéniable que la France manque d'institutions, d'infrastructures républicaines d'accueil, que les immigrés orientaux non fortunés sont l'objet de discriminations, d'injustices sociales et économiques.


Pour vivre dignement en France quand on est immigré oriental, le prix à payer est souvent très élevé.

La République à leur égard doit être plus ouverte et plus généreuse.

Il faut évidemment tenir les promesses faites, consacrer tous les moyens nécessaires à une réelle politique de la ville, de l'emploi et de l'éducation, ne pas laisser en déshérence une partie du territoire et la part la plus jeune et la plus demandeuse de notre population. Il faut tenir les promesses et ne pas appeler à l'aide les pompiers pyromanes, les prosélytes de l'islamisme toujours prêts à offrir leurs bons services pour assurer l'ordre dans les banlieues.

Mais nous savons que cet ordre serait régression en termes de citoyenneté et en ce qui concerne la condition de la femme, puisque pour l'intégriste islamique voile est synonyme de soumission des femmes aux hommes, les inscrivant dans le registre du non-droit autorisant toutes sortes de violences à leur encontre.

Or l'école laïque veut des êtres libres. Elle sème la liberté qui sera laissée à l'adulte de choisir sa philosophie, sa religion et lui permettra aussi d'en changer s'il le souhaite.

Nous devons faire en sorte que la laïcité soit une réelle chance pour les Musulmans, comme pour toutes les autres religions et pour ceux qui n'en ont pas, de vivre tranquillement leur philosophie, leur religion, sans être stigmatisés en aucune sorte.

Voilà, monsieur le ministre, ce que je souhaitais dire à propos de la laïcité. Mais je souhaite aussi insister sur le message que nous devons porter à l'étranger sur notre modèle républicain, notamment dans le monde arabo-musulman, concernant notre modèle de « vivre ensemble ».

Aussi ce que l'on présente parfois comme le modèle libanais auquel nous sommes très attachés, modèle libanais de coexistence communautaire - et qui a ses mérites dans la phase historique et géopolitique que traverse le Moyen-Orient - n'est-il pas le nôtre ?

Parmi les réactions auxquelles l'annonce d'une loi sur la laïcité a donné lieu dans le monde, l'une mérite de retenir l'attention ; elle émane d'un dignitaire religieux chiite libanais, Cheikh Mohamed Hussein Fadlallah. Après avoir participé à la montée en puissance politique de la communauté chiite libanaise, celle des déshérités, la plus marginalisée, Cheikh Fadlallah s'est progressivement affirmé, distinctement du Hezbollah, comme un leader proche des réformateurs iraniens, des chiites modérés irakiens, prônant la tolérance au nom d'un humanisme religieux universel. C'est le même ami de la France, pourtant, qui vient de déclarer que le projet de loi sur la laïcité à l'école serait « Une atteinte aux droits de l'homme musulman ».

Cette prise de position mériterait d'être analysée plus longuement, mais M. le président me demande de m'acheminer vers ma conclusion.

Mais s'il est admissible que la part de la sphère publique et collective, par rapport à la sphère privée et religieuse puisse être envisagée de manière plus nuancée en fonction des cultures et des histoires régionales, par exemple libanaise, il est des valeurs qui sont universelles et qui devraient s'imposer à tous les Etats : liberté de pensée, de conscience, d'opinion, du choix de sa religion, respect de l'intégrité de l'individu.

A cet égard je n'ai pas vu à Beyrouth d'appel à manifester au nom de la même liberté dont se réclamaient les jeunes manifestantes voilées devant l'ambassade de France, à manifester contre la lapidation à mort des femmes accusées d'adultère ou pour la liberté de ces femmes invisibles, enfermées sous des tenues qui en font des fantômes ou celle de ces étudiantes saoudiennes qui ne peuvent assister qu'à la télévision à un cours donné par un professeur masculin.

Le dialogue euro-méditerranéen, le dialogue des cultures si souvent invoqué doit poser ces questions de portée universelle qui touchent au fondement des conceptions de l'essence de l'être humain porté par les différentes religions et cultures, qu'il s'agisse des droits de l'homme, ou des droits de la femme.

Et il doit faire référence aux patrimoines culturels qui sont communs à ces métissages culturels islamo-chrétien au Liban ou en Espagne, mais aussi judéo-islamique au Maghreb.

Il ne suffit pas de se réclamer de la tolérance. Le dialogue implique ouverture et compréhension, mais aussi liberté de conscience et respect des droits fondamentaux de l'homme.

C'est la conception de la vie dans une République laïque et sociale, agissant pour un monde multipolaire plus juste et équilibré que les socialistes veulent porter dans cette phase historique (Exclamations sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) qui s'est ouverte depuis l'effondrement de l'URSS et le retour des nationalismes et des intégrismes, y compris chrétiens aux Etats-Unis. C'est la conception d'une laïcité ouverte et généreuse, que nous voulons porter dans ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Ce soir, osons dire les choses, et notre collègue Alain Madelin, a bien posé la question

Faut-il autoriser la présence de filles voilées dans les écoles de la République ? Voilà la question à laquelle nous avons à répondre ce soir au-delà de l'habillage équilibré du projet de loi ?

Je tiens à m'exprimer à ce sujet à titre personnel, puisque, valable pour chacun des votes, le principe du vote en conscience est a fortiori la règle ce soir au groupe UDF.

Ecoutons d'abord à ce sujet Chahdortt Djavann, l'auteur Iranienne de Bas les Voiles. Elle nous prévient en introduction : " J'ai porté dix ans le voile. C'était le voile ou la mort" Je sais de quoi je parle"

Écoutons-la poursuivre : " Que des jeunes femmes adultes portent le voile, cela les regarde. Mais imposer le voile à une mineure, c'est au sens strict, abuser d'elle, disposer de son corps, le définir comme objet sexuel destiné aux hommes. La loi française, qui n'interdit rien aux majeures consentantes, protège les mineures contre tout abus de ce genre.

Pécher contre l'Esprit et pécher contre la société assurément. Ne commettons pas la même erreur, la même faute à propos du voile islamique. Ce n'est pas au nom de la laïcité qu'il faut d'abord interdire le port du voile aux mineures, à 1'école ou ailleurs, c'est au nom des droits de l'homme et au nom de la protection des mineures." Comment ne pas entendre un tel plaidoyer ?

Le port du voile signifie un conditionnement social des jeunes femmes mineures et leur enfermement dans un statut d'infériorité par rapport aux hommes. Rares, en effet, sont les jeunes filles qui portent le voile spontanément, en dehors de toute pression de leur famille ou du milieu dans lequel elles vivent. Certains prédicateurs utilisent d'ailleurs les prétextes de la religion et de la pudeur pour imposer aux jeunes filles le voile, qui est en fait l'instrument de leur propre aliénation.

Dès lors, accepter le port du voile par des mineures à l' école ferait de nous les complices d'une lecture intégriste du Coran contre laquelle de nombreuses femmes musulmanes se battent. C'est pourquoi le voile ne doit pas être accepté dans l'enceinte de l'école, dans le lieu où sont enseignés les droits et les valeurs de la République.

En interdisant le port du voile à l'école, nous donnerons un signe fort de refus du communautarisme et de l'intégrisme islamiste. Nous soutiendrons l'émancipation des femmes musulmanes dans notre pays. Nous étions opposés à la pratique de l'excision et de la polygamie ; nous les avons interdites. De même nous faut-il interdire le port du voile par des mineures à l'école, au nom de ce même principe d'émancipation et de liberté.

La laïcité est un des fondements de notre pacte républicain - cela a été dit et répété - un principe fondateur de notre République.

La laïcité n'est pas, pour nous, un instrument idéologique de combat, elle est une philosophie de tolérance, de neutralité, de respect. Non seulement la laïcité n'est pas le contraire de la religion, mais c'est elle qui rend possible la coexistence des religions.

Or les brèches dans les valeurs de la laïcité à l'école apparaissent sous des formes beaucoup moins spectaculaires que le port des foulards islamiques : on assiste à un effritement de la laïcité. Par exemple, une grande tolérance s'est installée concernant les pratiques liées aux fêtes religieuses juives et au ramadan. L'absentéisme des élèves le jour des fêtes religieuses, le refus d'aller à la piscine, la demande de locaux de cantine séparés pour les musulmans, ou, plus grave encore le refus des élèves de passer devant un examinateur du sexe opposé. Ce sont des faits qui se multiplient subrepticement, et qu'un Etat laïc ne peut tolérer.

Or, en toile de fond, il y a le fondamentalisme religieux. Et, à mon avis - et c'est le cœur de ma prise de position personnelle - il est temps d'y mettre un coup d'arrêt.

La plupart des spécialistes de l'Islam sont d'accord sur ce point : le voile, en Arabie Saoudite, en Iran ou dans les pays d'Europe, n'est pas le signe d'une appartenance religieuse musulmane ; il est la référence exclusive aux courants fondamentalistes. On a constaté d'ailleurs que l'extension du port du voile est parallèle aux grandes crises internationales qui touchent l'Islam.

Ainsi peut-on parler d'un « voile idéologique » Le voile est devenu un signe idéologique et de propagande politique ; il est la conséquence du travail de prosélytisme que mènent les islamistes dans nos quartiers, dans un contexte social très défavorisé. Mme Hanina Chérifï, la médiatrice de l'éducation nationale pour les problèmes liés au port du voile, l'affirmait elle-même devant la mission d'information parlementaire sur les signes religieux.

Il faut donc, à mon avis, une loi pour répondre au bon niveau juridique et symbolique au vide créé par la dévalorisation de la circulaire écrite par François Bayrou, que je salue comme le premier législateur français en la matière. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Avant de conclure, ayons l'humilité d'entendre les questions de ceux qui doutent ou contestent l'opportunité de la loi.

La loi ne serait pas applicable ? Ils ont raison s'ils entendent par là qu'elle ne remplacera pas le discernement du principal et du proviseur. Mais ce n'est pas pour rien que ceux qui sont en première ligne, les principaux de collège et les directeurs, disent à la fois qu'ils savent que la loi ne les aidera pas à apprécier chaque cas personnel, mais qu'ils en ont besoin, comme point d'appui juridique et symbolique.

La loi est mal ressentie à l'étranger ? A notre diplomatie de faire les efforts de pédagogie, mais cet argument ne peut être poussé trop loin sans avoir de forts relents munichois.

La France ne peut arrêter sa position sur un sujet aussi important que celui-là par rapport à d'éventuels dégâts collatéraux diplomatiques, voire pire des intimidations à peine "voilées".

La loi, enfin, aurait des effets pervers, générant un réflexe de solidarité des musulmans modérés vers les musulmans intégristes. Peut-être à court terme. Mais, sur le long terme, la loi de ce soir n'est qu'une pierre d'un chantier beaucoup plus vaste - et j'ai écouté avec intérêt ce qu'a dit Alain Madelin à ce sujet - qui est, celui de l'adaptation de l' Islam à la République française.

Ne nous trompons pas : nous commençons aujourd'hui un vaste chantier, un très vaste chantier. Quelle en sera la durée ? Vingt ans ? Cinquante ans ? L'histoire nous le dira.

Mes amis, aujourd'hui, en votant cette loi, nous n'avons pas le droit de nous mentir. La loi de ce soir n'est que le point de départ d'un long chemin.

Oui, aujourd'hui, il y a tension et difficulté entre l'Islam et la République française. Le nier, c'est nier la rue et la réalité française.

Mais, qu'il soit permis de dire à un catholique pratiquant ayant en mémoire la longue histoire difficile, mais aujourd'hui apaisée, de l'Eglise catholique avec la République française, que je suis profondément optimiste sur le terme de cette évolution.

Oui, la communauté musulmane s'adaptera à la République française.

A la République Française, de construire une laïcité moderne, dépassant le modèle anti-religieux de son apparition face à une église catholique toute-puissante, une laïcité qui serait enfin ouverte au fait religieux, élément constitutif fondamental de l'humanité.

Au moment où l'on parle de laïcité, il n'est pas tout à fait inutile que la voix de Malraux résonne ici aujourd'hui : « Le xxie siècle sera religieux ou ne sera pas". (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lefort. « Spirituel » !

M. Jean Dionis du Séjour. Mes chers collègues, la solution n'est pas dans un repli frileux vers une laïcité nostalgique du xixe siècle. A nous d'avoir comme projet de société, celui de construire une laïcité ouverte, tolérante , mais aussi forte et ferme.

A la communauté musulmane de faire son aggiornamento théologique, politique. A la lumière de notre histoire catholique, je dis aux musulmans de France que je leur fais pleinement confiance pour cela.

Oui, la communauté musulmane, proche de 10 millions de personnes, vivra un jour, sereine et tolérante, en France.

M. Gérard Léonard. Cinq millions !

M. Jean Dionis du Séjour. En comptant les gens proches d'elle, cela fait environ 10 millions.

Encore faut-il le vouloir !

Ce soir, commence une longue marche. A nous d'avoir du souffle, à nous d'avoir la force et le rayonnement pour attirer tous les Français vers notre modèle républicain, refondé, ressourcé pour répondre aux enjeux du siècle à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Bourg-Broc.


M. Bruno Bourg-Broc
. Membre de la mission présidée par le président de l'Assemblée nationale, sur la question des signes religieux à l'école, je n'ai jamais caché mon opposition à une nouvelle loi interdisant le port de signes religieux, qu'ils soient visibles, ostensibles, ostentatoires ou apparents.

M. Philippe Briand. Très bien !

M. Bruno Bourg-Broc. Je n'ai pas davantage occulté ma détermination à défendre, tout en respectant, en tant que citoyen et en tant qu'élu, le principe de la laïcité de l'Etat, la libre pratique d'un culte dans le respect des convictions des autres.

II me paraît donc nécessaire de rappeler au préalable que je suis, moi aussi, attaché à nos valeurs républicaines qui concilient, j'en suis persuadé, le mieux possible le principe de laïcité avec la liberté de conscience et la tolérance.

Le projet de loi qui nous est présenté ce jour, et grâce auquel le thème de la laïcité a été largement débattu, comporte à mes yeux non seulement des erreurs, mais également des dangers.

Les conclusions de la mission nommée par le président de la République, dite commission Stasi, dont le champ de réflexion était plus large, et celles de la mission de l'Assemblée nationale, dite mission Debré, ont un point commun : légiférer apparaît nécessaire. Est-ce si sûr ?

Chacun de nous a bien à l'esprit les différentes dispositions législatives, réglementaires ou juridiques qui nous permettent, depuis près d'un siècle, de vivre dans un Etat laïque. Or, après quelques affaires, surmédiatisées, dites « de voile à l'école », un climat passionnel s'est développé en France autour de cette question. Mais ne nous sommes-nous pas trompés de débat ? Qu'est-ce que cette « laïcité à la Française » qui fait notre fierté ? Qui peut réellement définir ce principe et ses conséquences dans notre vie quotidienne ? Quelle laïcité voulons-nous transmettre à nos enfants ?

La France est un pays laïque. Chez nous, le Président ne prête pas serment sur la Bible. Chez nous, chacun se soumet aux lois de la République et non à celles de Dieu. Nous avons banni, il y a longtemps déjà, le mélange des genres. Chez nous, les Français comme les étrangers pratiquent la religion de leur choix, se recueillent dans leur lieu de culte, quel qu'il soit, mais tous appartiennent à la communauté nationale. Chez nous, jusque-là, chrétiens, juifs et musulmans semblaient tendus vers un objectif commun : vivre ensemble et non côte à côte.

Certes, l'équilibre est fragile. Mais il existe. Certains diront que ce n'est qu'un mythe. Je crois, pour ma part, qu'il s'agit, tout au contraire, d'une particularité bien française. Une de celles qui font notre pays et offrent à ses ressortissants quelques motifs supplémentaires de fierté.

Cet équilibre est-il rompu ? Ce savant dosage, si français, de liberté individuelle et de destin collectif est-il à ce point en péril qu'il faille aujourd'hui poser de nouveau cette fameuse question religieuse qui nous a tant de fois divisés ?

En fait, de quoi s'agit-il ?

Quelques collégiennes ont souhaité assister voilées à leurs cours. L'estimation de leur nombre est variable. Quelques enseignants s'en sont offusqués. Quelques chefs d'établissement ont eu des difficultés à gérer les conflits. Quelques journalistes s'en sont emparés. Le « Café du Commerce » a alors fait son office, largement amplifié par des éditorialistes ou des échotiers.

M. Nicolas Perruchot. Tout à fait !

M. Bruno Bourg-Broc. Certes, je n'ignore pas 1es difficultés réelles qu'ont connues ou que connaissent certains enseignants. Mais la loi peut-elle les aider ?

M. Guy Geoffroy, M. Philippe Briand et M. Lionnel Luca. Oui !

M. Bruno Bourg-Broc. Et voilà que le monde politique, à tous niveaux, s'est cru forcé de réagir. Voilà que les Français à nouveau se déchirent, chacun arguant, pour mieux s'opposer à son voisin, de son histoire personnelle, de ses origines ou de ses croyances, chacun y allant de ses arguments pour répondre à une question qui ne se posait peut-être pas.

Car la laïcité n'a rien à voir à l'affaire, et la religion pas davantage.

Notre République ne prêche, pas plus aujourd'hui qu'hier, 1a Bible, 1a Torah ou 1e Coran, mais la tolérance et la liberté. L'école républicaine s'efforce de diffuser la connaissance de l'ensemble des religions, quand bien même elle n'en enseigne aucune. Et elle devra demain le faire davantage encore qu'hier.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Bruno Bourg-Broc. Où se trouve-t-il donc, ce danger si imminent pour la laïcité ? J'ai peur que nous ne fassions fausse route. J'ai peur que nous ne nous trompions de débat.

La question n'était pas 1à. Elle n'était pas de savoir comment agir face à des élèves qui se présentent en classe avec leur croix, leur kippa ou leur voile.

M. Philippe Briand. Eh oui !

M. Bruno Bourg-Broc. Il n'y a là rien de nouveau, rien qui puisse constituer un motif de cette discorde nationale à laquelle nous assistons depuis des semaines.

Le problème se posait en revanche, dans deux cas bien précis qui, s'ils avaient concentré les débats, nous auraient évité l'erreur que nous nous apprêtons, je le crains, à commettre, et toutes les conséquences qui s'y attachent.

La question se posait en effet, d'abord dans le cas où des élèves refusaient catégoriquement, pour des motifs religieux, de suivre certains enseignements ou, pour les mêmes motifs, exigeaient des aménagements de programme ou d'horaire. La question se posait encore lorsque le port du voile apparaissait clairement comme une forme d'embrigadement ou de soumission des intéressées.

Je crois profondément que, dans le premier cas, il n'y avait pas besoin de loi et que, dans le second, il n'en fallait surtout pas.

Dans le premier cas, en effet, la réponse de la République a été claire, quand bien même certains l'ont trouvée insuffisante. Elle ne peut être que négative. Car, en France, la règle est générale et impersonnelle. Elle s'applique donc à tous avec la même rigueur. En décider autrement, pour des raisons religieuses notamment, aurait été, pour le coup, contraire à notre histoire, à notre tradition et, partant, au principe de laïcité. N'eût-il pas suffi de rappeler, avec vigueur certes, quelques principes fondamentaux dans un « livret républicain », comme vous-même, monsieur le ministre, nous l'avez suggéré en commission ?

Dans le second cas, la solution relève de l'éducation, de la transmission des principes et des valeurs que l'école a justement pour mission de diffuser ; mais ce n'est ni par décret ni par la loi que l'on modifie les mentalités. Il faut en revanche saluer le travail en profondeur réalisé par la médiatrice en poste depuis 1994, Mme Cherifi. Il faut également saluer les efforts qu'ont déployés certains chefs d'établissement et leurs équipes, dont il conviendrait d'améliorer la formation dans un domaine auquel ils ne sont pas forcément préparés.

Or qu'avons nous fait ?

Ces dernières semaines, nous avons réveillé les vieilles passions que d'aucuns pensaient éteintes,...

M. Bernard Accoyer. Mais non !

M. Bruno Bourg-Broc. ...trouvé un nouveau motif de discorde, alors que nous avons tant besoin de nous rassembler ; nous avons suscité l'animosité de musulmans qui, ici ou là dans le monde, manifestent leur hostilité à la France alors que, voilà seulement quelques semaines, ils louaient sa capacité de résistance face à l'hégémonie américaine...

M. Alain Madelin. Bien à tort !

M. Gérard Léonard. Allons ! Pas d'amalgame !

M. Bruno Bourg-Broc. Nous avons stigmatisé et divisé une communauté alors que nous venions tout juste de l'installer en qualité de partenaire du dialogue républicain, froissé et pénalisé des chrétiens et des juifs qui jusque-là pratiquaient et exprimaient leur foi sans que cela ne soulève la moindre difficulté ni la moindre réprobation : car le projet religieux, on l'a rappelé cet après-midi, n'est pas, ne doit pas être politique. Ainsi, il y a nécessairement une manière chrétienne de faire la politique, mais il n'y a pas de politique chrétienne.

Nous risquons de conduire à l'exclusion et à la radicalisation de jeunes filles et leurs familles qui auraient pourtant dû être les premières bénéficiaires des vertus d'intégration de l'école républicaine ; il a été écrit un nouveau texte qui, à l'instar de tant de ses prédécesseurs conçus sous la pression de la rue ou de l'idéologie,...

M. Gérard Bapt. Non, de l'Elysée !

M. Bruno Bourg-Broc. ...non seulement risque d'être inapplicable, mais constituera, à n'en pas douter, une source inépuisable de litiges.

Comment, concrètement, appliquera-t-on la loi ? L'application n'est-elle pas susceptible d'être interprétée par le juge national et international ? Le risque n'est-il pas d'envoyer les jeunes dans un autre système - école privée sous contrat ou non - que celui défendu par les plus fervents partisans de cette loi.

Le problème le plus important reste - le Premier Ministre l'a souligné cet après-midi - celui de l'intégration. Au-delà de la défense de la laïcité, qui n'est pas un but en soi, au-delà de toute revendication religieuse, il faut avancer vite et fort dans cette direction. Le véritable enjeu du débat national est la réussite de l'intégration.

Une solution a d'emblée été écartée - trop vite à mon gré : l'essayiste Jean-Claude Guillebaud a évoqué le « débat examoté » -, qui aurait pu régler le problème et contribuer à l'égalité sociale et, partant, faciliter l'intégration : le port d'une tenue. On le fait bien à Chicago, à Tokyo ou à Djarkarta. Pourquoi ne pourrait-il en être de même à Paris ?

Pourquoi donner aux extrémistes, quels qu'ils soient, une occasion de s'opposer à la République, au nom précisément de la liberté ? Sans compter que, l'extrémisme engendrant généralement un extrémisme contraire, l'opinion risque de se radicaliser à mesure que se multiplieront les transgressions. Non seulement cette loi ne m'apparaît donc ne rien résoudre, mais elle me semble contre-productive. Aussi ne puis-je m'y associer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une bonne cause, même avec un mauvais avocat, reste une bonne cause. Les députés députés socialistes ont envie de voter un texte qui confirmerait la modernité et la générosité de la laïcité.

M. Philippe Briand. Ah !

M. David Habib. Ils sont même prêts à admettre que, de façon partielle, parce que prioritaire, notre réflexion puisse porter sur ces seuls signes religieux à l'école, à condition que notre réponse législative constitue, pour les élèves, pour les enseignants et pour la société, une avancée significative.

M. Bernard Accoyer. C'est le cas !

M. David Habib. Mais pour cela, il vous faudra accepter, monsieur le ministre, de confondre la démarche gouvernementale avec nos amendements. Ainsi, nous vous demandons de rendre plus aisée l'application de l'article 1er en substituant « visible » à « ostensible ». Il vous faudra également confirmer votre attachement à l'idée que la médiation doit impérativement précéder la sanction.

M. Gérard Léonard. C'est fait ! Suivez un peu les travaux en commission !

M. David Habib. Il vous faudra surtout annoncer votre volonté de lutter contre les discriminations qui sont à l'origine de comportements que nous voulons bannir de nos écoles.

M. Philippe Briand. S'il fallait vraiment tout cela, il aurait fallu le faire avant ! Vous aviez le temps !

M. David Habib. Il vous faudra, enfin, monsieur le ministre, être plus clair durant cette discussion parlementaire.

Mauvais avocat, disais-je : moi qui suis Aquitain, je constate que même votre ministre délégué est plus habile que vous... Lui, au moins, n'a pas successivement exprimé ses réserves quant à l'utilité de la loi avant de se l'approprier !

M. Lionnel Luca. Un peu nul, comme remarque !

M. David Habib. Lui, au moins, ne s'est pas livré à des gesticulations excessives à l'origine de déclarations incroyables dénoncées par mes collègues à l'instant, et qui évoquaient la notion de « pilosité abondante » avant de jeter l'anathème sur ces malheureux « bandanas »...

Je veux, toutefois, pour être équitable et au nom des Béarnais dont je suis l'élu, vous remercier de ne pas avoir accolé à cette énumération le béret dont nous revendiquons l'origine !

Reste qu'en tenant de tels propos, vous donnez des arguments à ceux qui redoutent cette démarche législative, sans pour autant apporter un soutien sérieux et argumenté à ceux qui attendent l'interdiction des signes religieux, et particulièrement aux jeunes filles confrontées dans nos communes à cette problématique du voile.

Je souhaite toutefois voter cette loi parce que j'ai acquis le sentiment que l'Etat se devait de préserver les services publics, et notamment l'école, du religieux.

M. Gérard Léonard. Bref, il faut laisser faire !

M. David Habib. En affirmant ainsi sa neutralité, l'école confirmerait son universalité et sa capacité à prévenir les pires comportements misogynes et sectaires.

Je tenterai ensuite de vous convaincre que la laïcité progressera, à l'école comme ailleurs, si et seulement si notre modèle républicain se réapproprie la lutte contre les inégalités et contre les discriminations sociales qui minent la cohésion nationale.

L'école est un espace de neutralité : c'est le sens de la loi de 1905. Mais c'est aussi l'aspiration majoritaire des Français qui vivent la laïcité et son application au milieu scolaire comme un atout pour notre pays et une chance pour leurs enfants.

Certes, on a beaucoup insisté sur la nécessité de respecter la liberté de conscience. La mission Debré et la commission Stasi ont, avec raison, insisté sur l'apport que représentent le religieux ou la connaissance du fait religieux à notre éveil citoyen, à notre culture générale.

Elles ont montré que l'institution devait accepter certains faits personnels qui relèvent de cette liberté-là - les interdits alimentaires, par exemple. Mais elles ont surtout démontré que l'Etat se devait de protéger cet espace au service du peuple, accessible à tous et sans discrimination, que constituent l'école et, au-delà, osons le dire, les services publics.

L'article 1er de la loi se justifie par les fondements mêmes de notre organisation constitutionnelle. La République et l'école publique sont respectueuses de tous ; partant de là, elles exigent des maîtres comme des élèves une vraie neutralité.

Par ailleurs, l'école a une vocation émancipatrice. Elle se doit de protéger chacun d'entre nous contre la pression de son groupe pour le laisser libre de ses choix et de ses appartenances.


Or quelle est la liberté d'une jeune fille de treize ans qui se voile ? Quelle est sa capacité à s'ouvrir à d'autres cultures, à d'autres religions ?

L'école doit par ailleurs assurer la neutralité entre les religions. C'est l'une des raisons qui nous poussent à préférer « visible » à « ostensible ».

Neutre, l'école doit également être protectrice.

Qui peut contester que le voile est certes un signe religieux, mais aussi un signe de ségrégation envers les femmes pour reprendre les mots de Mme Sugier ?

Des études récentes mettent en exergue l'aspect aliénant du voile, et le statut de soumission auquel il contraint la femme.

En légiférant, nous assumons nos responsabilités à l'égard de ces jeunes filles. Maire d'une ville qui compte une forte communauté d'origine marocaine, je veux ici confirmer, leur attente en la matière.

M. Lionnel Luca. En effet !

M. David Habib. Quel serait le message entendu par les fondamentalistes et par ceux qui rejettent l'égalité entre les femmes et les hommes si nous renoncions, maintenant, à légiférer ?

M. Lionnel Luca. Très bien !

M. David Habib. Croyez-vous que les démarches prosélytes ne s'en trouveraient pas renforcées ?

Croyez-vous que nous protégerions le corps enseignant en renonçant à indiquer ce qui est autorisé et ce qui est interdit, en le laissant seul trancher, face à ces comportements communautaristes et sexistes ?

Et que l'on ne vienne pas nous parler de « respect des différences », car la République n'a cessé de respecter les différences. Mais, aujourd'hui, l'intérêt général, comme l'intérêt de notre jeunesse, est de réaffirmer les valeurs qui nous unissent.

Certains membres de la commission Stasi viennent d'exprimer leur « états d'âme ». Ils disent avoir « eu la conscience absolue, dès le départ » qu'ils devaient « déborder sur ce qu'est la laïcité, ce qu'est la société française ».

C'est ce qui les gêne et ce qui nous trouble. Vous auriez pu être à l'origine d'un grand texte qui aurait illustré votre attachement à cet idéal laïque, mais aussi, à ce modèle d'intégration à la française qui est aujourd'hui en panne.

Monsieur le ministre, vous et votre majorité, portez une responsabilité considérable, dans le sentiment de discrimination qui pousse certains à se singulariser.

Pour parler clairement, la droite française n'a que très tardivement admis l'idée que les immigrés de la première génération et leurs enfants resteraient en France.

M. Lionnel Luca. Qu'avez-vous fait pendant quinze ans, à ce sujet ?

M. David Habib. Faut-il vous rappeler que sous Valéry Giscard d'Estaing, à la fin des années 1970, l'objectif était de favoriser le retour de cette immigration. Ensuite, s'est ouvert, sous la pression du Front national, pendant les années 1980 et au début des années 1990, un débat sur les droits des enfants d'immigrés opposant droit du sol et droit du sang.

M. Lionnel Luca. C'est Alain Decaux !

M. David Habib. Je dispose de déclarations terribles de parlementaires ou d'anciens parlementaires qui ont fragilisé la notion d'intégration et ont nié qu'elle était la seule issue pour les immigrés. Permettez-moi, à cet égard, de citer une expression de Patrick Weil : « Quand on craint de devoir faire ses bagages, on ne cherche pas à s'intégrer ». Telle est, mesdames et messieurs de la majorité, votre faute politique.

M. Lionnel Luca. Et la vôtre ?

M. David Habib. Quel est le constat que nous pouvons faire de ce modèle ? Tous les jeunes sont confrontés à des problèmes, notamment de logement et d'emploi. Mais les jeunes issus de l'immigration vivent ces réalités d'une manière plus aiguë.

J'ai ici la liste des demandeurs d'emplois de ma commune. Pour le mois de décembre 2003, Mourenx, ma ville, comptait 560 demandeurs d'emplois pour 8 000 habitants. Si je n'étais pas tenu par un devoir de confidentialité, je vous citerais leurs noms et nous mesurerions alors le caractère insupportablement discriminatoire du chômage.

Or, votre politique qui a supprimé les emplois jeunes,...

M. Guy Geoffroy. Non ! C'est de votre faute !

M. David Habib. ...qui a freiné la consommation et la relance économique, place cette génération dans une fragilité sociale, mais aussi culturelle plus accentuée que jamais. Quand l'école n'intègre plus, c'est la religion avec la revendication communautariste qui prend le relais.

Je pourrais aussi vous lire la délibération de mon conseil municipal datée du 22 juin 1998, où l'opposition a préféré être absente plutôt que de voter la vente d'un local et d'un terrain à une association mourenxoise, en vue de construire un lieu de prière.

Je sais bien que parmi vous, il y a des maires dont le comportement est aux antipodes de celui-ci.

M. Guy Geoffroy. Ah, tout de même !

M. David Habib. Mais vous avez suffisamment utilisé l'immigration pour qu'on vous rappelle ici ces réalités.

Monsieur le ministre, les socialistes vous suggèrent d'engager très rapidement la responsabilité du Gouvernement sur un grand texte consacré au modèle républicain, et qui comprendrait deux volets.

Le premier tendrait à réduire les inégalités sociales dans notre pays ; le second viserait à ouvrir notre société aux nouvelles populations qui ont immigré en France depuis cinquante ans.

Sur ce dernier point, nous verrions qu'en matière de vie quotidienne, bien des choses méritent d'être engagées pour que la France soit plus laïque, plus respectueuse des uns comme des autres et plus soucieuse d'afficher à l'étranger son respect pour les cultures multiples qui traversent notre société.

Jean-Marc Ayrault a rappelé cet après-midi que la France se devait d'intégrer l'islam. Il a formulé des propositions concrètes tendant à une indispensable mixité sociale et urbaine, fondement de notre modèle républicain, et seule à même de concilier les valeurs de la République et les valeurs de toutes les spiritualités, dont l'islam.

Le Premier ministre, dans sa réponse au président de notre groupe, a montré qu'il était prêt à écouter ces arguments. Je m'en félicite. Permettez-moi d'espérer que ce débat continuera de prospérer dans le pays en évitant le juridisme, qui a marqué l'intervention d'un autre député béarnais, François Bayrou, assez habile pour dissimuler ses vraies convictions derrière des arguties de droit, mais dont la seule proposition a été de renvoyer aux recteurs le soin de dire la loi.

Notre responsabilité collective, désormais, est de faire prospérer ce débat dans l'opinion publique. A l'issue du vote de ce projet de loi, il appartiendra à chacun de faire vivre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. J'appartiens à l'UMP mais, ce soir, j'ai le sentiment d'exprimer une opinion divergente, sinon minoritaire. J'en remercie d'autant plus la famille politique à laquelle j'appartiens, et Jacques Barrot en particulier, d'autoriser non seulement le débat interne mais l'expression publique de cette opinion singulière.

Ce projet m'inquiète. Pourquoi ? Je crains que les autres religions, et notamment les confessions chrétiennes n'en subissent les effets collatéraux. Je m'en explique.

En parlant de « signes religieux » ce projet globalise une question initialement singulière, celle du voile et, demain, ceux qui seront chargés de mettre en œuvre ce texte, pour ne pas se faire accuser d'islamophobie seront amenés, presque automatiquement, à sanctionner tantôt de jeunes musulmanes portant le foulard, tantôt de jeunes juifs portant la kippa, tantôt de jeunes chrétiens portant la croix.

S'ils limitaient leurs sanctions aux seules jeunes musulmanes ils se verraient immédiatement accusés de délit de faciès. Déjà, des difficultés apparaissent dans des communautés mineures : on entend les récriminations des sikhs, des assyro-chaldéens, autant de communautés qui ne posaient aucun problème jusqu'à présent.

Cette inquiétude diffuse parmi les croyants de toutes confessions est renforcée par le fait que les promoteurs de ce projet et, demain, tous ceux qui appliqueront ce texte n'ont pas la même conception de la laïcité

Le mot est, il est vrai, très ambigu. II existe une conception de la « laïcité neutralité », qui insiste sur la tolérance à l'égard de toutes les formes de religions. Mais il existe aussi, et notre histoire en témoigne, une laïcité de combat qui récuse toute conviction religieuse et qui associe toutes formes de culte et de croyance à je ne sais quel archaïsme.

M. Gérard Léonard. Ce n'est pas la conception du Gouvernement !

M. Marc Le Fur. Certains partisans de ce projet s'inscrivent explicitement dans une conception intégriste de la laïcité qui voudrait confiner toute conviction religieuse à un espace strictement privé.

Nier l'apport social des grandes religions, et notamment des religions du Livre, serait commettre une agression à leur égard et reviendrait à nier leur capacité à susciter la générosité, la fraternité, l'altruisme, autant de vertus civiques utiles à l'ensemble de la collectivité nationale.

J'ai la conviction que nous aurions pu traiter autrement la question du voile en évitant de stigmatiser les convictions religieuses. Il aurait fallu pour cela prohiber l'ensemble des signes agressifs qu'ils soient de nature politique, philosophique ou religieuse.

Cela aurait permis non seulement de résoudre le problème du voile, que je considère surtout comme un signe d'appartenance politique - la religion dans cette affaire n'étant qu'un prétexte - mais aussi d'autres questions. Je prends un seul exemple : demain, le port du voile sera interdit, mais celui du keffieh sera autorisé puisqu'il est porté par tous les palestiniens quelle que soit leur confession. Il n'est donc pas un signe d'appartenance religieuse. Pourtant le keffieh peut apparaître à juste raison, en particulier pour de jeunes juifs, comme un signe d'agression.

Je m'inquiète pour la liberté, disais-je. Je m'inquiète aussi pour l'intégration. Si la grande affaire c'est l'intégration, est-il bien raisonnable de commencer par stigmatiser et par exclure ? Autant il faut combattre toutes les formes de communautarisme avec la plus grande énergie, autant ce serait une erreur de voir dans tout sentiment d'appartenance, dans toute expression d'une identité, l'affirmation d'un quelconque communautarisme.

Il n'y a communautarisme que lorsqu'une communauté agresse les autres composantes de la nation. Dans un univers mondialisé les communautés, lorsqu'elles sont ouvertes, créent du lien social.

Beaucoup d'individus ballottés par la vie y trouvent chaleur, échange et solidarité. Ces communautés humaines peuvent être une première étape de l'intégration. Elles sont dès aujourd'hui présentes dans l'espace public, dans les médias, sur la bande FM, dans les grandes agglomérations.

Entre la nation et l'individu il existe, qu'on le veuille ou non, des familles des groupes, des corps intermédiaires.

M. Alain Madelin. Heureusement !

M. Marc Le Fur. Ne pas en tenir reviendrait à nier la réalité et à tomber dans un jacobinisme d'un autre âge qui ne reconnaîtrait que la nation et l'individu isolé.

Se sentir bien dans sa famille, ressentir sa famille comme admise dans la nation, n'est-ce pas le préalable à l'intégration ?

Notre histoire en est la preuve : l'intégration des catholiques dans la République n'est pas due aux mesures adoptées en 1905 qui exacerbèrent les passions, mais bien plus à l'apaisement des années 1920 ou aux lois Debré du début de la Ve République, qui, tout à la fois, reconnaissaient l'apport des catholiques à l'enseignement et pacifiaient les relations entre la République et eux.

Le grand défi républicain réside désormais dans la sécularisation de l'islam Dans cet esprit, je suis prêt à prendre le pari que l'histoire retiendra la création du Conseil du culte musulman comme un élément positif de l'intégration...

M. Gérard Léonard. Il ne faut pas exagérer, il n'y a pas que cela !

M. Marc Le Fur. ...car cette instance doit permettre l'instauration d'un dialogue organisé entre la République et les français de confession musulmane.

De même, il me semble autrement plus important de promouvoir des élites issues des communautés d'origine étrangère que de montrer du doigt des jeunes filles dans l'erreur.

Je m'inquiète pour la liberté. La famille politique à laquelle j'appartiens a toujours privilégié la liberté à la laïcité. Qu'on le veuille ou non, la hiérarchisation de ces deux valeurs a tracé la ligne de partage entre la droite et la gauche.

La liberté de conscience, la liberté d'expression sont pour moi des valeurs premières auxquelles on ne peut déroger que pour des raisons d'ordre public. Ces jeunes filles voilées peuvent nous surprendre, nous agacer, nous choquer, mais elles ne constituent pas, par elles-mêmes, des menaces à l'ordre public.

C'est pour cela que je souscris sans réserve à l'amendement de M. Edouard Balladur : il ne peut y avoir de limitation à la liberté que pour des motifs d'ordre public, et les menaces qui pèseraient sur l'ordre public doivent être appréciées en tenant compte des circonstances, de temps et de lieu.

En tant que législateur, je m'inquiète pour la majesté de la loi, qui doit être respectée. Le sera-t-elle plus que les circulaires ? Vous-même, monsieur le ministre, vous posiez la question publiquement, il y a quelques semaines.

Si le phénomène du voile devient massif, exclurons-nous des établissements publics des centaines de jeunes filles ? Si nous ne le faisions pas, cette loi serait un coup d'épée dans l'eau. Si nous le faisons, où iront-elles ? Le respect de l'obligation scolaire n'exigera -t-il pas alors la création d'écoles confessionnelles musulmanes ? L'intégration y aura-t-elle gagné ?

Ce projet de loi doit, nous explique-t-on, aider les chefs d'établissement confrontés aux difficultés que l'on sait.

M. Guy Geoffroy. Oui !

M. Marc Le Fur. Or le débat sur le port de la barbe qui s'est tenu en commission dépasse l'anecdote et révèle, ô combien ! les difficultés d'application que suscitera le texte. La barbe, parce qu'elle est pour certains jeunes musulmans l'occasion d'exprimer leur appartenance, est à l'évidence le pendant masculin du voile. Faut-il pour autant l'interdire ?

Ne pas le faire aboutirait à limiter la sanction aux jeunes filles voilées, ce qui serait pour le moins paradoxal. Le faire obligerait à se poser la question des autres jeunes hommes qui portent la barbe sans pour autant affirmer une quelconque conviction politique. Mais nous refusons de traiter ces questions. Nous les renvoyons, telle la patate chaude, aux chefs d'établissement. C'est dire que poser le principe ne suffira pas. Il est à craindre, au contraire, que ce texte ne crée plus de problèmes qu'il n'en résoudra.

M. Gérard Léonard. Que fait-on alors ?

M. Marc Le Fur. Je m'inquiète enfin pour notre pays, qui à l'occasion de ce texte se singularise : nos débats surprennent, en effet, de nombreux pays voisins. Il suffit de feuilleter la presse étrangère pour s'en rendre compte. Alors que de nombreux pays se posent le problème de l'intégration, nous sommes parmi les seuls à le poser en ces termes. On peut avoir raison tout seul, mais reconnaissons que c'est assez rare. Sachons avec humilité regarder ailleurs, vers des pays qui, ont réussi à intégrer des communautés et dont nous pourrions nous inspirer.

M. Gérard Léonard. Lesquels ?

M. Marc Le Fur. J'espère me tromper, mais j'ai la conviction, et j'ai tenu à l'exprimer, que ce texte non seulement ne résoudra pas la question du voile, mais posera des problèmes d'une autre nature. Bref, je crains que ce texte ne cause davantage de dommages qu'il n'apporte de solutions en exacerbant les tensions latentes qui existent dans notre société. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Tout le monde le sait : plus que des signes religieux, nous discutons ici plus spécifiquement du port du voile islamique en milieu scolaire.

Remettre en scène, sous cette forme, de l'idée de laïcité permet avant tout de se dédouaner de l'absence de véritable politique publique face aux maux de notre société, - discriminations, inégalités sociales et territoriales, inégalité entre les femmes et les hommes - ainsi que de l'absence de véritable réflexion de fond sur la place des religions et des non-croyants dans la société.

Les premiers foulards à l'école sont apparus à la fin des années 1980. A l'époque, la médiation, la discussion avec les jeunes filles et leur famille ont réussi à les convaincre d'abandonner ce signe qui, pour certaines, est revendiqué comme signe religieux et, pour d'autres, relève d'une coutume venant du pays de leurs parents et dont la non-observance leur paraîtrait une trahison envers leur culture.


La force de conviction des équipes enseignantes a démontré à ces jeunes filles qu'elles pouvaient prendre toute leur place en France comme les autres filles de leur âge, sans que le non-port du foulard soit une trahison de leur origine.

La France ne vit pas à l'écart des mouvements profonds à l'œuvre sur l'ensemble de notre planète. La déstabilisation croissante de nombre de pays, l'aggravation des inégalités entre Nord et Sud et au sein de chaque pays, la malnutrition persistante malgré toutes les bonnes intentions des organismes internationaux, le développement du sida et d'autres d'épidémies qui déciment des classes d'âge, tout cela amène de plus en plus de citoyens de cette planète à rêver d'un âge d'or religieux où tout irait mieux.

Sur ce terreau se développent pour chaque religion des intégrismes destructeurs et haineux dont les femmes sont régulièrement les premières victimes. Les trois religions du Livre offrent bien des citations ou des interprétations qui justifient l'infériorité de la femme et sa soumission à l'homme. Tout religieux qui revendique la mise en pratique intégrale de la Bible, du Talmud ou du Coran organise d'une façon ou d'une autre l'oppression des femmes. Ce n'est qu'en tenant compte, dans nos sociétés d'aujourd'hui, de l'affirmation de l'égalité entre femmes et hommes qu'il est possible de pratiquer une religion ouverte et tolérante.

L'école publique doit rester laïque, à l'écart des enjeux religieux, si nous ne voulons pas glisser peu à peu dans des conflits interreligieux au sein de notre société. Les enfants et les jeunes de toute origine, de toute religion ou sans religion doivent vivre ensemble pour apprendre à se connaître, à s'estimer et à se respecter.

Cela suppose, non seulement que les conflits religieux n'entrent pas à l'école, mais aussi que certaines de nos écoles ne se transforment pas en ghettos : ghettos de riches comme de pauvres, ghettos de blancs comme de couleur. Notre société est différenciée et colorée. Il faut que nos écoles respectent cette diversité. Mais cela devient difficile quand se développe, dans nos grandes agglomérations, une ségrégation spatiale par le prix du logement. Car si certaines de nos écoles deviennent des écoles ghettos, c'est bien parce que certains de nos quartiers voient leur mixité sociale et culturelle réduite comme peau de chagrin.

Le développement de cette ségrégation spatiale, d'abord dans le logement puis, par ricochet, à l'école, devient source d'injustices sociales et de discriminations, et génère beaucoup de ressentiments. Mais l'embrigadement par des intégrismes religieux conduit à des impasses dangereuses et ne résoudra aucune des injustices sociales que l'on prétend combattre.

L'intégration devient un discours récurrent. On somme à tout moment les jeunes dits « issus de l'immigration » de s'intégrer. Mais de quelle immigration s'agit-il ? De la portugaise, de l'espagnole, de la polonaise ? Non, Cette expression « politiquement correcte » fait, en réalité, référence aux jeunes de couleur, tout comme « musulman » fait de plus en plus référence à « arabe ». Or il y a aussi des arabes chrétiens, comme des arabes sans religion.

Que veut dire « immigrés » pour des jeunes nés en France de parents nés en France, de grands-parents venus travailler dans notre pays ? Devront-ils, génération après génération, parce que non-blancs et à cause de la consonance de leur nom, rendre compte de leur « francité » ?

Que veut dire « intégration » pour ces jeunes, souvent bardés de diplômes, qui « galèrent » de boulots précaires en boulots précaires et peinent à accéder à un logement ?

Que veut dire « intégration » quand ces jeunes, aussi français que vous et moi, reçoivent des formulaires de la caisse d'assurance maladie où la case « titre de séjour » est cochée uniquement en raison de la consonance de leur nom ?

Qui doit s'intégrer ? Ce jeune Français qui travaille normalement, a une famille, des enfants, paie ses impôts mais dont le prénom est Mehdi ? Ou ne serait-ce pas plutôt nos institutions qui rejettent ces jeunes en leur faisant sentir constamment qu'ils ne sont pas des Français comme les autres ? Ne s'agit-il pas souvent de discriminations plutôt que de difficultés d'intégration ?

Devant la difficulté à être acceptés, certains vont malheureusement se réfugier dans des solutions identitaires. Certains glissements sémantiques actuels enferment un peu plus dans ce repli identitaire. Comment peut-on parler de « jeunes d'origine musulmane » pour nommer des jeunes dont les familles sont originaires du Maghreb ? Parle-t-on de « jeunes d'origine catholique » pour ceux issus de l'immigration italienne, espagnole, polonaise ou portugaise ? Quand on en est à vouloir nommer un « préfet musulman », comment s'étonner ensuite que des jeunes se laissent convaincre d'utiliser une religion comme moyen d'être reconnus dans notre société ? Les assignations identitaires ethnico-religieuses étaient jusqu'à maintenant surtout le fait de l'extrême droite. Pourquoi seraient-elles devenues « positives » ?

Vouloir confondre à nouveau le politique et le religieux, alors qu'il nous a fallu un siècle de luttes sociales et politiques pour réussir à séparer le religieux du politique provoquerait une effroyable régression pour toute la société. La laïcité n'est pas seulement la tolérance, même si elle a permis une totale tolérance en matière religieuse. La laïcité, c'est d'abord et avant tout la séparation entre la sphère religieuse relevant du domaine privé et la sphère politique où les religions ne peuvent et ne doivent imposer leur façon de penser. Accepter qu'aujourd'hui les nombreuses croyances religieuses présentes dans notre pays envahissent la sphère publique ne peut qu'entraîner la multiplication des conflits, une montée des antagonismes et des violences et son corollaire, le repli de chacun dans son monde fermé.

Aussi, est-il effectivement nécessaire de réaffirmer la nécessité et la force de la laïcité. Malheureusement, votre projet de loi ne retient qu'un aspect : le refus du port de signes religieux à l'école. C'est une vision étriquée, qui fera apparaître ce projet de loi comme une loi anti-voile. L'occasion de passer un nouveau contrat républicain avec l'ensemble de nos concitoyens est ainsi ratée.

Quel que soit le sens, donné à titre personnel, par une minorité de jeunes filles musulmanes au port du voile, celui-ci n'est en rien un symbole d'émancipation. Il stigmatise le corps des femmes et assimile le désir sexuel et la sexualité dans sa globalité à quelque chose de honteux. Le voile entérine des schémas sexistes où les femmes seraient tentatrices et dangereuses. Il est une contrainte vestimentaire, parfois imposée par l'entourage familial ou social. Il est, en tout cas, un élément de soumission ou un élément d'aliénation, même s'il n'est pas toujours vécu comme tel par celles qui le portent.

La lutte contre les humiliations, contre les replis identitaires et pour la dignité des femmes passe par le combat pour l'égalité. Or vous proposez d'interdire le voile à l'école, mais vous continuez à accepter l'application pour les femmes originaires des trois pays du Maghreb, lorsqu'elles sont résidentes en France ou en possession des deux nationalités, du code de la famille en vigueur dans leur pays d'origine, qui les maintient dans une situation d'infériorité, notamment quant au divorce, à la garde des enfants et au droit d'héritage.

Comme le montre la complexité des débats qu'il a suscités, il est difficile de dire de quoi traite le présent projet de loi. Force est de constater que les déclarations du ministre, lors de son audition du mardi 20 janvier, ont semé encore plus de doutes. Comment ne pas voir dans ces insinuations la stigmatisation de la religion musulmane et d'autres religions plus minoritaires caractérisant des populations récemment immigrées ou moins acceptées dans la société française ?

Pourquoi, si le débat porte sur la laïcité, ne pas réviser le statut scolaire de l'Alsace-Moselle, dans le sens, somme toute modéré, préconisé par la commission Stasi : rendre les enseignements religieux facultatifs, a priori ?

M. Guy Geoffroy. C'est le cas !

Mme Martine Billard. Pourquoi ne pas accepter non plus d'introduire l'Aïd et le Kippour dans les dates de jours fériés scolaires, dès lors que le calendrier scolaire est parsemé de jours de congés fondés sur les fêtes chrétiennes ?

Il est donc de la responsabilité de l'ensemble des forces démocratiques de répondre sur le fond, par des propositions politiques concrètes de lutte contre les inégalités sociales, les discrimination, les exclusions, le chômage, le racisme, la peur de l'autre. Faute de cela, nous aurons, d'un côté, ceux qui utiliseront la religion dans ses aspects les plus aliénants, comme projet politique, et, de l'autre, le Front national. Mais pour ce qui est de la lutte contre les discriminations, le Président de la République se contente, dans l'immédiat, de déclarations, la majorité, d'un débat sans vote, la semaine prochaine, et le Gouvernement, de réduire les crédits du FASILD et des diverses associations qui sont pourtant indispensables dans les quartiers, afin précisément de lutter contre l'oppression subie notamment par les jeunes filles.

Aujourd'hui, il s'agit d'une occasion ratée. Cette loi ne répondra pas aux questions fondamentales posées à notre société par la montée des intégrismes religieux. Le message est brouillé par rapport aux dispositions préconisées par la commission Stasi. Le Gouvernement n'agit pas contre les discriminations.

Pour autant, je ne souhaite donner aucun satisfecit aux organisations religieuses aliénant les femmes par des tenues vestimentaires imposées au nom d'une prétendue loi divine. A titre personnel, je m'abstiendrai lors du vote.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le nombre des intervenants, la richesse des propos tenus témoignent de la nécessité de la présentation de ce projet de loi qui concerne une question qui est loin d'être mineure.

Dans un débat sur l'application du principe de laïcité à l'école, nous devons faire preuve de beaucoup de clarté, mais aussi de beaucoup d'humilité. J'éviterai d'ajouter aux définitions déjà données ce soir de la laïcité et je m'efforcerai d'éclairer mon propos par ma connaissance récente du terrain acquise en tant que chef d'établissement du secondaire chargé, il y a encore deux ans pratiquement jour pour jour, de traiter une affaire de voile dans un lycée de la région parisienne. Je le ferai également à l'aune de la gestion, non révolutionnaire mais qui a le mérite de la clarté, de la commune dont je suis maire, qui peut s'honorer d'avoir depuis longtemps mis des locaux à la disposition de la communauté musulmane pour tenir ses activités culturelles et cultuelles et qui s'apprête à faire de même, dans les semaines qui viennent, pour la communauté israélite. Bref, je suis le maire d'une commune où l'on est animé du souci d'accorder à chacun la liberté d'exercer son culte et où l'intégration n'est pas un vain mot mais une réalité quotidienne, vécue par chaque concitoyen sur son territoire.

Ce projet de loi vise à apporter des réponses à des situations dont il serait, à mon sens, un peu léger de sous-estimer la gravité. Méfions-nous des statistiques communiquées par les uns et par les autres, souvent appréciées en fonction des conceptions de chacun.

La dernière édition d'un grand journal du soir, comme on dit, annonçait que dans un grand lycée d'une importante commune de la région parisienne, le chef d'établissement recensait treize voiles et deux tenues un peu plus complètes, soit quinze comportements de ce type, sans que cela paraisse lui poser problème, et qui peuvent donc être tolérés.

Nous sommes là au cœur du débat. Ce que nous estimons, d'une manière courageuse ou moins courageuse, pouvoir être toléré pose en soi un énorme problème. Dans le dernier établissement scolaire que j'ai dirigé, j'ai vécu en une dizaine d'années la montée insidieuse, régulière, de plus en plus dure, de comportements qui, même s'ils n'étaient pas très nombreux, témoignaient de la volonté profonde d'utiliser les signes religieux pour miner les fondements de notre République.

Nous ne devons pas l'accepter. D'autant moins que nous ne pouvons plus, comme il y a quelques années, dialoguer pour convaincre. Là où nous disons « dialogue », nos partenaires, eux, parlent maintenant de « négociation ». Ceci est révélateur d'une évolution à laquelle il convient de donner un coup d'arrêt.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Nous ne pouvons pas accepter que les lois de notre République, et au cœur de celle-ci le principe de laïcité, fassent l'objet d'une quelconque négociation.

Le chef d'établissement que j'ai été, et beaucoup de mes collègues, se sont trouvés bien démunis face à ces questions. Ils n'ont pas trouvé dans l'avis du Conseil d'État de 1989 ni dans les circulaires qui ont suivi les réponses qui leur auraient garanti la sécurité juridique. Ils ont fait au mieux. Ils ont appliqué ce que leur disaient leurs supérieurs hiérarchique : « Nous avons confiance en vous, faites pour le mieux », ce qui voulait dire, dans le meilleur des cas : « Surtout, pas de vagues ! »

Il nous faut, avec lucidité et courage, changer de cap et faire en sorte que, demain, les responsables d'établissement et ceux qui travaillent à leurs côtés, tous les membres des équipes pédagogiques, soient tout simplement moins démunis pour faire face à ces situations et pour ouvrir le dialogue. Alors, oui, il faut une loi, une loi qui donne une base, non à la négociation mais au dialogue, afin que celui-ci produise tous les effets d'intégration et d'apaisement qui en sont attendus.


Contrairement à ce que certains de nos collègues ont dit, le raccourci ne doit pas être fait entre cette loi qui interdit, certes, certains comportements, et le sentiment d'exclusion que l'on pourrait en éprouver.

Je disais tout à l'heure, en débattant avec René Dosière sur la chaîne parlementaire, que je n'avais pas le sentiment que poser un interdit pour éduquer soit obligatoirement une marque d'exclusion.

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy. En posant des interdits dans l'éducation de nos enfants, avons-nous le sentiment que nous les excluons de l'avenir que nous leur préparons ?

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Au contraire !

M. Guy Geoffroy. Au contraire, les interdits que nous posons dans le chemin qui les prépare à leur vie d'adulte sont des repères qui leur permettent, en toute transparence, en toute clarté, en toute responsabilité, de se préparer tranquillement à leur autonomie, à leur parcours vers le libre-arbitre, vers l'âge adulte et donc vers la vie responsable.

Quand nous décidons, dans ce texte, d'interdire certains comportements, nous ne fermons pas la porte, nous n'excluons pas. Au contraire, nous ouvrons, avec les bases qui le permettent, la porte de l'ensemble des éléments d'un vrai dialogue tel qu'il relève depuis toujours de la responsabilité des chefs d'établissement et de leurs collaborateurs, mais tel qu'il est encore aujourd'hui difficile de le tenir si l'on veut respecter, de manière sérieuse, sereine et non agressive les principes qui fondent notre laïcité.

Demain matin, j'en suis persuadé, la commission des lois adoptera une position consensuelle sur l'amendement qui insiste sur la valeur du dialogue qui doit être mené et qui, tout naturellement, est la priorité des priorités pour l'application de cette loi. Ce débat portera les bons fruits que nous en attendons et permettra de rapprocher des points de vue qui ne sont pas éloignés, mais qui doivent aller vers l'approfondissement mutuel qui permet l'appréciation identique de phénomènes complexes. Et c'est à partir de là que nous pourrons donner à cette loi toute sa valeur, qui est simple, qui n'est pas révolutionnaire, mais qui permet de franchir un cap et d'ouvrir l'horizon d'un nouveau dialogue.

Monsieur le ministre, il sera possible de franchir un cap si vous mettez en place l'ensemble des éléments qui permettront, partout en France, dans toutes nos écoles, nos collèges et nos lycées, à travers une circulaire ministérielle qui précisera, de manière fine, le contenu des futurs règlements intérieurs sur cette question. Nous vous faisons confiance pour mettre à la disposition de tous les établissements les moyens d'appliquer cette loi aujourd'hui nécessaire.

M. le président. Mon cher collègue !

M. Guy Geoffroy. Je termine, monsieur le président.

Je me permettrai d'évoquer le souvenir d'une conversation que j'ai eue avec une jeune musulmane en novembre 1995. Elle était venue me prévenir que certains élèves de sa cité, à quelques kilomètres de notre lycée, étaient en passe d'être écartés de leur établissement et qu'ils allaient demander à être inscrits dans le nôtre. Elle m'a prié de refuser pour qu'ils ne puissent pas continuer, dans l'établissement que je dirigeais, à tenter de contraindre les jeunes filles intégrées qui voulaient vivre libres au sein de la communauté française, à porter le voile. Je n'ai pas oublié ce message, attendu par toutes les jeunes filles - les plus nombreuses - qui entendent vivre comme elles le souhaitent.

Faisons en sorte que, grâce à cette loi, l'apaisement soit possible, le dialogue facilité et la laïcité confortée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gérard Léonard. Excellent discours !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Quel témoignage !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le dis d'emblée, ce projet de loi n'est qu'un leurre. Je pense très sincèrement que la République française n'est pas à la hauteur de l'enjeu sociétal qui se présente à elle.

J'ai rencontré, comme vous, des personnes de tous horizons, de toutes confessions, des personnalités du monde religieux, des démocrates ; j'ai pris le temps d'écouter, de discuter ; j'ai lu avec une grande attention le rapport de la commission Stasi et de la mission d'information parlementaire ; j'ai entendu vos surenchères, monsieur le ministre, sur la barbe et les bandanas.

Je vous l'avoue humblement, je m'interroge : quelles peuvent être l'utilité et l'efficacité de cette loi ? En clair, quel peut être son objectif ? La lutte contre les communautarismes et les intégrismes religieux ? La lutte contre l'obscurantisme ? L'action pour la dignité des femmes et l'émancipation du genre humain ? Impossible de le penser car les solutions proposées aux maux que rencontre la société n'en sont pas. Au contraire, elles retournent le couteau dans la plaie et stigmatisent une confession en particulier, ce qui, au demeurant, est contraire à l'esprit de la laïcité.

J'aimerais prendre l'exemple de la cité phocéenne, dont je suis député, pour expliciter mon propos.

Marseille, deuxième ville de France, abrite des milliers de personnes de confession musulmane, mais est toujours privée d'une mosquée digne de ce nom car les représentants déclarés de cette communauté n'arrivent toujours pas à s'entendre, au grand dam des musulmans et - c'est utile de le dire ici - de la grande majorité des Marseillais.

Marseille est une ville cosmopolite, fière d'être née de la rencontre entre Protis et Gyptis, l'immigré et l'autochtone. Vingt-six siècles après, au gré de son industrialisation, elle a accueilli des hommes et des femmes de toutes cultures, de toutes confessions, qui ont appris à vivre ensemble, à s'enrichir de leur présence, très souvent dans la fraternité et la solidarité. Le respect de l'autre est d'ailleurs l'une des valeurs de la République que Marseille s'est toujours enorgueilli de défendre.

Face à la montée des extrémismes politiques et religieux, aux excès et aux tentatives de tester la réaction et la réactivité de la République, faut-il convenir tout naturellement que cette loi enrayera à elle seule cette dérive, qu'elle guérira la France d'un mal profond ? Franchement, qui peut le croire ? Au contraire, le projet de loi risque malhabilement de rompre l'équilibre de la société française.

A mon sens, une société laïque comme la nôtre se doit, à l'abri des contingences temporelles, d'accueillir son essence plurielle, le pluriel philosophique, le pluriel religieux, le pluriel culturel, d'apprécier l'expression des différences, la foi dans le dialogue et la tolérance. C'est cette conception qui fonde l'unité de la nation française, celle d'aujourd'hui comme celle de demain, du moins je l'espère.

Les dangers qui menacent la République ne sont pas la religion, la philosophie ou la politique. Aujourd'hui, la société française est rattrapée par ses manquements et ses insuffisances avérées, sur lesquels s'assoient des gens pas toujours très bien intentionnés, comme les arapèdes se posent sur les rochers le long des côtes méditerranéennes.

Il est clair que, dans les quartiers nord de Marseille, dont je suis l'élu, où toutes les religions sont représentées, où les musulmans sont originaires du Maghreb, de l'Afrique noire et d'Europe, dans toutes les grandes villes de France et leurs banlieues, la laïcité est parfois malmenée, tout bonnement parce que la République n'est plus réellement le ciment qui unit les hommes, principalement là où elle cumule tous les maux, toutes les tares de la société.

Le chômage, le mal-vivre, cet horizon de tours HLM enterrent fréquemment les derniers espoirs, les dernières croyances en une société plus humaine.

La République a mal à ses valeurs : la liberté, l'égalité, la fraternité, la laïcité. Est-ce une raison pour ne plus croire en elles ?

Pourquoi ne pas miser plutôt sur une nouvelle ambition sociale destinée à combattre les injustices, à redonner une chance aux enfants de la République aujourd'hui abandonnés à leur triste sort, livrés à eux-mêmes voire confiés à quelques fondamentalistes ?

Pourquoi subitement donner la priorité à la sanction dans les établissements scolaires, l'exclusion de jeunes filles déjà victimes, parfois sans s'en rendre compte, de leur asservissement ? N'est-ce pas, à s'y méprendre, une nouvelle double peine ?

Me reviennent à l'esprit ces phrases de Jean Jaurès, déjà citées, écrites dans le premier numéro de L'Humanité le 18 avril 1904 : « A mesure que se développent chez les peuples et les individus la démocratie et la raison, l'histoire est dispensée de recourir à la violence. Qu'une vigoureuse éducation laïque ouvre les esprits aux idées nouvelles et développe l'habitude de la réflexion ».

Un siècle après, j'estime que la laïcité impliquera toujours, aujourd'hui comme demain, que la conviction de l'autre, différent, participe à l'épanouissement de l'humanité. Aussi convient-il d'évoluer vers une laïcité revisitée, ferment de l'émancipation de la citoyenneté et de la démocratie, une laïcité du xxie siècle.

C'est au nom de ces principes et de cette visée humanistes que je combats, avec d'autres, les communautarismes et les intégrismes qui pourraient contraindre de plus en plus de jeunes filles à porter le foulard, voire le voile, dans l'école de la République, et prétendent les cantonner dans un rôle subalterne dans la famille et la société. Ces communautarismes et ces intégrismes sont dangereux pour la démocratie, pour l'Islam et les musulmans.

La laïcité, c'est la rencontre de l'autre, la liberté de conscience, la liberté de pensée ; c'est le refus de la pensée unique. C'est exactement le contraire de ce que recherchent les intégristes qui ne représentent pas les immigrés maghrébins - pour ne citer que cette population - ni leurs enfants ou petits-enfants.

Ils ne sont qu'une minorité que le projet de loi et l'ambiance délétère qui accompagne son examen renforcent malheureusement. Leur objectif est de braver la République, d'interdire, avec la complicité de l'Assemblée nationale puis du Sénat, l'accès à l'enseignement public laïque à des milliers de jeunes filles et de créer ainsi de nouvelles zones de non-droit sur le territoire national.

Comme l'a dit, il y a quelques jours, Malek Chebel, anthropologue et psychanalyste spécialiste reconnu du monde arable et de l'islam : « L'ignorance est l'alliée des fondamentalistes. Le semblable est plus souvent violent que le dissemblable ». J'invite la représentation nationale à entendre cette voix de la sagesse.

Au lieu de privilégier coûte que coûte la formation de personnalités libres et critiques dans l'école laïque, ce projet de loi confine dans la ghettoïsation, certes indirectement, une partie des élèves, à travers la série d'expulsions annoncées...

M. Guy Geoffroy. Mais non !

M. Frédéric Dutoit. ...la « déscolarisation » envisagée, la construction programmée ou recherchée de nouvelles écoles confessionnelles. J'ai d'ailleurs déjà un projet de ce type sur mon bureau de maire d'arrondissement.

Légiférer sur le port du foulard ou du voile à l'école ne réglera pas le problème auquel sont déjà confrontées celles qui l'utilisent à des fins diverses. Cela ne réglera pas non plus le problème des enseignants qui, même sous couvert de la loi, seront confrontés à des comportements complexes et à des appréciations subjectives pour décider. L'interdiction systématique résonnera en écho au fondamentalisme qu'elle cherche à combattre. Comme chacun le sait ici, elle suscitera de nouvelles provocations en série.

Ce projet de loi traduit un consensus de la facilité et de la paresse intellectuelle, pour reprendre les paroles du professeur au Collège de France, Pierre Rosanvalon. A vouloir éluder les vraies questions qui se posent, de manière cruciale, sur la place de nos concitoyens de culture musulmane en France, le Gouvernement s'est contenté d'un artifice législatif qui pose plus de questions juridiques et politiques qu'il n'en résout.

En définitive, légiférer vise davantage à dédouaner les responsables de la société, à déresponsabiliser la nation française elle-même qu'à conduire une réflexion citoyenne d'avenir. C'est, de mon point de vue, le signe ostensible d'une France qui marche sur la tête. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Victoria.


M. René-Paul Victoria
. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est un principe juridique inscrit dans notre Constitution, mais surtout une éthique, c'est-à-dire une manière de vivre et de penser qui assure à tous le droit de pratiquer ou non sa religion dans le respect des lois françaises. Peut-elle s'accommoder du port de signes religieux distinctifs à l'école ?

J'aurais aimé que jamais la représentation nationale n'ait à légiférer sur pareille question. J'aurais souhaité également, en tant que parlementaire représentant un département d'outre-mer, ne pas avoir à m'interroger sur l'opportunité d'appliquer une telle loi à la Réunion, terre profondément attachée à la République, fière et forte de sa diversité culturelle, issue de l'Europe, bien sûr, mais aussi de l'Afrique, de l'Inde et de l'Asie.

Certes, il aura fallu des décennies pour créer une telle convergence, pour surmonter les douleurs et réduire les fractures d'un passé mouvementé. Le 20 décembre 1848 est symbolique à un double titre. D'une part, il consacre un principe fondamental de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen voulu par les Conventionnels de 1789 : « Tout homme naît libre... ». D'autre part, il a fait entrer La Réunion dans une dynamique interculturelle qui n'a pas cessé depuis. C'est à partir de cet acte fondateur qu'a pu naître la société réunionnaise telle que nous la connaissons et telle que nous la vivons au quotidien. L'abolition de l'esclavage portait en elle une avancée majeure sur notre chemin de la liberté, de l'égalité et de la fraternité : la loi de départementalisation de 1946, attendue par tous les Réunionnais, quelle que fût leur origine sociale, culturelle ou confessionnelle.

Cet héritage commun n'est rien d'autre que notre culture. Le génie de tous les Réunionnais, c'est d'avoir permis l'émergence d'une culture plurielle qui appartient à tous, sans que soit reniée l'identité de personne.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. René-Paul Victoria. Dans les départements d'outre-mer, et en particulier à la Réunion, où elle est présente depuis près de quatre siècles, la France a réussi à marier sur un même sol des enfants aux visages indous, musulmans, européens, africains ou asiatiques. Ici, le minaret voisine avec le clocher de l'église, et le koïlou tamoul ne dépare pas à proximité d'une synagogue ou d'un temple bouddhiste. C'est là la marque de notre véritable parcours initiatique de la tolérance, visité depuis toujours et chaque jour par des milliers de nos compatriotes et des touristes venus du monde entier.

Dans la rue, chez nous, on peut croiser une procession chrétienne fervente et recueillie, en même temps qu'un cavadee indien coloré et chatoyant qui marche vers le rivage de l'océan où auront lieu les ablutions sacrées. Dans les églises comme dans les temples, les visages se ressemblent. Blanc, jaune, noir, chacun pratique sa religion en toute liberté. Quelquefois même, on va à la fois à l'église et au temple tamoul ou chinois. Dans les écoles, les regards des enfants reflètent la Chine, l'Afrique, l'Inde ou encore l'Europe et jamais ne s'est posée la question du voile. Certaines jeunes filles le portent - personne n'en est choqué - mais la grande majorité ne le porte pas. Au fil des années, l'école publique et laïque a même pris l'habitude de tolérer les absences pour cause de fête religieuse - Ramadan, Eid-Ul-Fitr, Jour de l'An tamoul ou chinois, vendredi saint... A la Réunion, l'existence d'un groupe inter-religieux est le témoignage d'une cohabitation réussie, fondée sur la réflexion, le dialogue, la tolérance, dans le respect mutuel.

Or, malgré sa diversité culturelle, la Réunion ne doit pas oublier l'impérieuse nécessité d'échanges avec d'autres cultures. L'éclairage nouveau qu'ils apportent devient une urgence dans le monde agité de ce siècle naissant où se conjuguent les effets désastreux de l'intolérance et d'une course toujours plus effrénée au profit. Contre ce mal du nouveau siècle, la Réunion peut et doit faire entendre sa voix originale afin de valoriser son exemple d'un métissage culturel et cultuel réussi.

Notre culture plurielle nous aide à vivre en citoyens français et c'est parce que nous sommes français que nous avons la chance de donner une vraie dimension à notre culture originale. En un mot, nous sommes fiers d'être Français et heureux de vivre créoles. J'affirme avec fierté que la Réunion est le modèle le plus achevé au monde d'intégration d'hommes de couleurs, de cultures et de croyances différentes dans la République.

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. C'est vrai !

M. René-Paul Victoria. Je propose à la France de demain ce modèle. En tant que référence, il contribue à enrichir la réflexion nationale puisque ce qui a été possible chez nous peut l'être également en métropole.

Je comprends qu'il importe d'affirmer notre principe de la laïcité, surtout dans un pays qui a connu les guerres de religion. La laïcité doit être défendue pour préserver la liberté religieuse et la paix entre les communautés.

Député de la nation, représentant du département de la Réunion, je suis surpris par la vigueur du débat ouvert en métropole sur les problèmes du voile islamique et de l'intégration. La question de fond, souvent posée sur un ton passionné, voire polémique, est de savoir si la culture française possède la capacité d'intégrer d'autres cultures qui ne soient pas marquées de l'empreinte judéo-chrétienne.

Pourquoi ces questions « communautaristes » tiennent-elles une si grande place dans la France métropolitaine aujourd'hui ? A mes yeux de « domien », ce questionnement se révèle d'autant plus incongru que la France se veut la dépositaire de valeurs universelles, humanistes, et le porte-parole privilégié des pays en voie de développement dans les instances communautaires ou internationales.

La France du xxie siècle se sent-elle encore coupable soit d'avoir colonisé des peuples d'Afrique et d'Asie, soit de les avoir abandonnés un à un, tels des dominos ? Comment peut-elle se réconcilier avec un chapitre si sombre et brutal de son histoire ? Sans doute en acceptant enfin ce que son génie a produit de meilleur, à partir de la pire des injustices que furent la colonisation et l'esclavage. Le meilleur, à la Réunion, terre française, c'est l'acceptation de la laïcité de l'Etat par l'ensemble des confessions.

Avec cet exemple, valable d'ailleurs pour d'autres départements d'outre-mer, la France peut, si elle s'en donne la peine, forger un ciment laïque qui transcende les forces d'éclatement communautaires. En tant que parlementaire, je rêve que chaque petit métropolitain ou Européen puisse vivre, au moins quelques jours, l'expérience d'une plongée dans un monde français interculturel et intercultuel qui porte au plus haut les valeurs des droits de l'homme dans des espaces géographiques aussi variés que le bassin de la Caraïbe, le Pacifique ou l'océan Indien.

La France métropolitaine doit inventer, elle aussi, son parcours initiatique de la tolérance. Elle en a la force, à condition que la volonté politique soit à la hauteur de l'enjeu. La France peut intégrer dans la sérénité d'autres cultures, sans y perdre son âme. Non, il ne s'agit pas là d'une vue de l'esprit, d'un raisonnement théorique et naïf.

L'Etat est le garant de la liberté d'expression, qu'elle soit religieuse ou non. Dès lors, les soubresauts confessionnels qui agitent diverses parties du monde - musulmans et juifs au Moyen-Orient, musulmans et chrétiens en Europe, tamouls et musulmans en Asie du Sud-Est... - n'ont pas de prise sur la communauté réunionnaise qui est pourtant riche de toutes ces cultures. Si tel n'était pas le cas, depuis longtemps notre île serait à feu et à sang.

Bien évidemment, la loi de la République est valable outre-mer comme en métropole. Nous avons combattu trop longtemps pour l'égalité législative pour qu'il soit question d'y renoncer. Et la loi ne fera que protéger ce modèle que nous souhaitons partager avec la France métropolitaine. Car cette coexistence peut être menacée demain. Aussi devons-nous prendre une assurance tous risques pour les générations à venir.

Néanmoins, plus que la loi elle-même, c'est l'état d'esprit prévalant à son application qui doit retenir toute notre attention : dialogue, compréhension, souplesse et intelligence. Il importe de ne pas opposer la foi et la loi car j'espère très sincèrement qu'en aucune circonstance il ne faudra, sur notre île comme en métropole, recourir aux dispositions coercitives de la nouvelle législation.

Vœu irréaliste sans doute. Mais les rêves ne nous aident-ils pas bien souvent à faire progresser la société pour la rendre plus humaine, à l'enrichir de nos différences pour faire vivre un idéal commun, en portant haut, très haut, les couleurs de la France ? Je pense, monsieur le ministre, que c'est notre objectif commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gérard Léonard. Très belle intervention !

M. le président. La parole est à Mme Conchita Lacuey.

Mme Conchita Lacuey. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la laïcité est un acquis républicain que le projet de loi que nous examinons entend préserver en interdisant dans son article 1er les signes religieux ostensibles dans les écoles publiques. Tous les débats, toutes les commissions, tous les rapports et les réflexions qui l'ont précédé trouvent leur origine dans le port du voile par des jeunes filles qui revendiquent leur religion dans l'enceinte de l'école.

La question centrale que soulève le voile concerne l'égalité entre les sexes et les valeurs républicaines. La présence dans l'espace public de jeunes filles voilées porte atteinte au respect de soi et constitue une entorse au principe d'égalité entre les sexes. Nous devons garder à l'esprit notre histoire et la signification du port du voile dans les pays extrémistes et ne pas oublier les combats que mènent les femmes et les hommes en Tunisie, en Algérie ou au Maroc, contre la charia et le code de la famille.

Ne voir dans le voile qu'une question religieuse serait une erreur. C'est d'abord un instrument d'oppression, d'aliénation, de discrimination, un instrument de pouvoir des hommes sur les femmes. D'ailleurs, beaucoup de musulmanes pratiquantes ne portent pas le voile.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

Mme Conchita Lacuey. Mais d'isolé, un tel comportement peut devenir majoritaire dans certains établissements et, dès lors, exercer une pression forte sur les élèves. Nous touchons là aux limites de la liberté individuelle et de l'exercice de la liberté religieuse. Le débat qui agite l'opinion depuis plusieurs mois entretient la confusion faute de savoir hiérarchiser les valeurs en jeu et mesurer les conséquences de décisions prises au cas par cas.

On a tendance à noyer la question du voile dans celles, plus complexes, de la laïcité, de la religion et du processus d'intégration. Il y a détournement du langage : le voile islamique n'est pas un foulard, ni un bandana ; il ne se compare pas à la pilosité ou à la kippa.

La vraie question est de savoir si les signes religieux à l'école sont compatibles avec nos principes constitutionnels.

Et d'abord, quels sont ces principes ?

La laïcité de l'Etat constitue à la fois un principe politique et un mode d'emploi juridique. Dans l'enseignement public, la liberté de conscience, d'opinion et d'expression, est à la base de la construction de l'enfant qui deviendra l'adulte de demain. Quand bien même les très jeunes filles choisiraient librement de porter le voile, en dehors de toute pression, l'école doit rester un lieu neutre, protégé de toute manifestation religieuse ou politique.

Ensuite, l'égalité des sexes mentionnée dans le Préambule de la Constitution de 1946 et de 1958 est un autre principe de même valeur qu'il convient de défendre avec force. Le port du voile porte atteinte au principe d'égalité entre hommes et femmes et il est, à ce titre, anticonstitutionnel.

Affirmer des valeurs républicaines n'est pas un acte d'exclusion, ni une manifestation de rejet. La pratique de la religion est un acte privé, intime, qui ne doit s'afficher que sur les lieux de culte.

M. Guy Geoffroy. Très bien !


Mme Conchita Lacuey
. Ce qui n'est pas discutable, c'est que la France soit une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Si la séparation de l'église et de l'Etat ne s'est pas faite sans douleur, la laïcité est devenue, depuis 1905, une valeur qui rassemble l'ensemble des citoyens.

D'autres pays ont suivi cette évolution, comme l'Espagne qui, au début des années 80, a renégocié son concordat avec Rome et dissocié les lois de la société civile des normes religieuses.

Au niveau de l'Union européenne, et aux termes de l'article 51 du projet de Constitution, les relations église-Etat relèvent de la responsabilité de chaque Etat. La France doit donc affirmer sa spécificité.

Le statut de la femme, son libre choix, le principe d'égalité entre les sexes est le modèle républicain organisateur de notre société. C'est la meilleure protection des minorités puisque ce principe garantit à tous, en théorie, les mêmes droits et les mêmes devoirs. Laïcité, égalité et dignité des femmes sont les fondements majeurs de la cohésion sociale.

On ne peut tolérer que les luttes et combats menés par notre pays à la fin du XIXe siècle pour séparer l'église et l'Etat, et plus récemment, les luttes et les combats féministes des années 70, pour donner à la femme sa liberté et sa dignité, soient remis en cause au sein de notre république.

Le voile, pour une femme musulmane, ce n'est pas seulement afficher une croyance religieuse. C'est beaucoup plus. Dissimuler sa chevelure, c'est renoncer définitivement à une part de sa féminité, de son identité. Le poète arabe Adonis, qui s'est récemment exprimé sur ce sujet, nous alerte : « Voiler les femmes, c'est voiler la vie ».

Notre république s'inscrit dans une tradition de lutte pour l'égalité, pour la justice et contre le racisme. Je sais que les enseignants donneront la priorité au dialogue avant toute décision d'exclusion.

Toutes les questions qui sortent du champ du statut du droit des femmes sont de natures différentes et ne servent qu'à alimenter la confusion. Aucune loi, dans notre pays, n'interdit à une femme de circuler dans la rue voilée ou peu vêtue. C'est sa liberté absolue d'apparaître comme elle le souhaite. Mais quand cette apparence devient un symbole politique et idéologique, quand elle est assimilée à une identité de repli impliquant la soumission de la femme, c'est la liberté de la République qui est menacée. Et cela est inadmissible.

Le principe d'égalité est le principe fondateur et organisateur de tous les autres principes, liberté religieuse, liberté de conscience. La France est un Etat de droit. La loi protège le plus faible contre les excès du plus fort : c'est le fondement de notre République. S'il faut une loi spécifique, ce texte, même s'il ne suffit pas ou s'il est imparfait, est nécessaire.

Si nous devons tout faire pour la rendre applicable et pour revenir à une totale neutralité à l'école et dans les services publics, la présente loi est loin cependant de répondre à l'ambition soulevée par les préconisations de la commission Stasi.

Si je considère que l'interdiction du voile est un préalable au processus d'intégration, cette interdiction ne pose pas la question de l'intégration sociale et professionnelle de tous les citoyens qui doit faire l'objet, dans un second temps, d'une réflexion approfondie et sereine.

Pour engager ce vaste débat sur la laïcité, il fallait donner un coup d'arrêt à l'islam intégriste. L'équilibre de notre pays en dépend. II faut que notre pays, qui a une longue tradition de lutte pour l'égalité, pour la justice et contre le racisme, loin de renoncer à ses valeurs, mette tout en œuvre, pour assurer l'adhésion de l'ensemble de la société autour des principes de la démocratie républicaine.

Faisons mieux vivre l'égalité des chances, l'égalité des droits, l'esprit de tolérance et de solidarité. Bref, il nous appartient de promouvoir le « mieux vivre ensemble ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca. Monsieur le ministre, le texte que vous nous proposez doit permettre aux professeurs et aux chefs d'établissement de notre pays, en première ligne sur ces questions, d'exercer sereinement leur mission avec un texte clair, ce qui n'est pas le cas actuellement. Ce sont eux qui, très majoritairement, ont demandé qu'un texte de loi leur permette de réaffirmer les principes de la laïcité.

Jusqu'alors, en effet, il n'avait jamais fait de doute que les élèves ne devaient pas venir à l'école, au collège ou au lycée en habit qui témoigne de leur appartenance religieuse. Mais ces derniers temps, même si les cas sont restés marginaux, la résonance médiatique qui leur a été donnée a fait que cela a pris une dimension telle qu'un véritable débat national s'est instauré.

On peut légitimement se demander si cette provocation délibérée de la part de groupuscules intégristes n'a pas atteint son but en focalisant le débat sur une appartenance religieuse et en leur faisant une publicité qui vaut reconnaissance.

Inversement, on se réjouira d'avoir ainsi débusqué ceux qui, à couvert depuis des années, attisaient la braise. Désormais, nul ne peut ignorer ou feindre d'ignorer la réalité d'un mal dont le voile n'est que la partie émergée de l'iceberg. Car, au-delà de l'habit religieux, dont les éléments les plus intégristes auditionnés dans le cadre de la mission d'information sur les signes religieux que dirigeait notre président ont confirmé que le Coran ne faisait aucune obligation sur le plan religieux, c'est bien la question de la place de la femme dans notre société qui posée.

En effet, au-delà de la tenue vestimentaire, c'est l'égalité entre filles et garçons devant le savoir qui est remis en cause de manière insidieuse : refus d'assister à des cours d'éducation physique ou de sciences naturelles, refus de la mixité. C'est bien une vision archaïque, rétrograde et presque médiévale qui, insidieusement, s'infiltre pour remettre en cause les acquis si difficilement obtenus de l'égalité et de la parité.

Or, où mieux qu'à l'école peut-on acquérir le respect mutuel et le principe de l'égalité des sexes ? Le Président de la République dans son grand discours du 17 décembre dernier a réaffirmé que « l'école est un sanctuaire républicain que nous devons défendre ». C'est ce que nous faisons aujourd'hui.

Peu enclin au départ à accepter qu'une loi se substitue à ce qu'une simple circulaire et un règlement intérieur auraient très bien pu rappeler, j'ai été amené à considérer, eu égard à l'ampleur du débat, qu'une loi simple et claire devait rappeler les exigences de la République. Elle doit être aussi un signal pour tous ceux qui seraient tentés de bafouer nos valeurs et la nation française. Elle montre que la représentation nationale ne transige pas sur ces valeurs.

Bien évidemment, cette loi ne concerne nullement la sphère privée et nul ne songe à empêcher quiconque de vivre selon sa foi ou de porter un habit religieux au quotidien. Les manipulations des groupuscules intégristes à ce sujet, en France ou à l'étranger, ne doivent berner personne.

Il faut souhaiter que cette loi permette de clarifier une situation devenue bien confuse où s'opposent deux définitions de la laïcité, les uns prétendant qu'elle suppose l'acceptation de la différence au nom de la tolérance, les autres la refusant au nom de l'égalité républicaine.

Cette loi doit apaiser et rassurer les chefs d'établissements et les enseignants qui l'ont attendue de la gauche en vain, tous les croyants car la laïcité renforcée là où elle était déjà une obligation laisse à chacun la liberté de la pratique de sa foi, et, enfin, tous les Français sur la volonté de leurs représentants de faire respecter les lois de la République et sa devise - liberté, égalité, fraternité.

Quant à ceux qui se sentiraient exclus parce que minoritaires et incapables d'imposer leur vue à la majorité dans une démocratie comme la nôtre, terre de liberté, où chacun est le bienvenu, rien ne les empêche d'aller faire du prosélytisme dans les territoires où ils sont majoritaires et où nous, nous respectons, lorsque nous y résidons, leurs traditions et leurs coutumes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. «  La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». C'est ce qu'affirme l'article 1er de notre Constitution et personne, ici, ne songerait à contester un seul de ces principes.

Inspiré de l'article 1er de la Constitution précédente, celle du 27 octobre 1946, cet article n'incluait pas à l'origine le mot « laïque » et c'est par voie d'amendement qu'il est venu s'y insérer. C'est non sans fierté que je tiens à rappeler aujourd'hui qu'il s'agissait d'un amendement communiste. Fidèle à l'héritage transmis par son défenseur, Etienne Fajon, je tenais à affirmer, plus d'un demi-siècle plus tard, notre attachement indéfectible au principe de laïcité.

M. Gérard Léonard. Alors, il faut assumer !

M. Michel Vaxès. Ce préalable est d'autant plus indispensable que ce projet de loi se veut relatif à « l'application du principe de laïcité » et que ma conviction intime est qu'il n'est pas d'inspiration laïque.

Qu'est-ce que la laïcité ? Je me reconnais bien dans une définition d'Emile Poulat qui la présente comme une refondation de la société par la reconnaissance à tous du droit à la liberté publique de la conscience.

Comme la République, l'École laïque affirmera donc toujours mieux ce droit en affirmant toujours mieux sa capacité à accueillir la diversité et à cultiver la tolérance. Des valeurs qui, pour se déployer pleinement, ont besoin de réciprocité.

Elles exigent que nul ne puisse refuser à l'autre le droit d'être différent et la nécessité pour tous de se conformer aux règles et aux lois que la République et ses institutions se sont démocratiquement données. Mais elles exigent aussi de la République qu'elle accueille, à égalité de droits et de devoirs, chacune et chacun de ses concitoyens.

C'est d'ailleurs pourquoi la laïcité ne peut s'accommoder de prosélytisme. Mais il lui revient en revanche d'encourager le débat démocratique et d'installer un vrai dialogue en son sein.

C'est la reconnaissance de ce principe par notre République et son école qui permet à la diversité des opinions de cheminer ensemble en quête d'une meilleure compréhension du monde, de la société des hommes, et des rapports qu'il faut transformer pour garantir à chacun l'épanouissement dans la liberté, la fraternité dans la justice sociale.

L'accueil de l'autre, le respect mutuel, le partage, deviennent alors les conditions essentielles d'une laïcité épanouie. Mais il faut impérativement pour cela que chacun ait le sentiment de compter pour chacun des autres et que personne ne soit mis au ban de la société.

C'est bien pourquoi l'exclusion, les inégalités, les discriminations, l'injustice sociale, l'intolérance et toutes les formes de domination sont les vrais ennemis de la laïcité.

Comment nous proposez-vous de les combattre ? En interdisant « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifesteraient ostensiblement une appartenance religieuse ». Au regard des exigences d'une laïcité épanouie, cette réponse ne me paraît pas seulement inadaptée : je la crois contre-productive.

Pire, au moment où le monde médiatique relayant le monde politique agite foulard, croix et kippa comme autant de signes que l'école ne saurait voir, les inégalités s'accroissent à un rythme particulièrement inquiétant dans nos écoles, dans nos quartiers, dans notre société, multipliant ainsi partout les obstacles à l'application par la République et son école du principe de laïcité.

Au fond, tout se passe comme si le Gouvernement ouvrait un front de diversion pour couvrir d'une épaisse fumée une offensive antisociale sans précédent dans l'histoire de ces soixante dernières années. Comme s'il voulait détourner le regard du peuple de France des questions essentielles pour l'empêcher de mener son combat contre une entreprise de démolition des acquis les plus significatifs de ses luttes passées.


M. Gérard Léonard
. Vous savez bien que ce n'est pas vrai !

M. Michel Vaxès. Aucun esprit doué de raison ne saurait nier que pour combattre le mal, il faut en éradiquer la cause, ce qui ne nous dispense pas, évidemment, d'en apaiser les effets.

C'est pourtant, de mon point de vue, très exactement le contraire que ce projet de loi nous propose. Et c'est très exactement pourquoi je redoute ses conséquences.

Pour les mêmes raisons, je redoute les conséquences de toute politique qui, à l'inverse des vertus de la laïcité, alimenterait les radicalisations idéologiques.

Oui, il faut combattre l'intégrisme, tous les intégrismes, religieux, politiques, mais il faut combattre tout autant et plus encore l'intégrisme économique et ses conséquences sociales, parce que cet intégrisme-là est la source de toutes les formes de domination et d'exploitation, y compris celle des femmes.

Oui, il faut combattre l'intégrisme et le prosélytisme qui l'accompagne de quelque côté qu'ils se nichent, et ce n'est pas exclusivement du côté vers lequel on nous invite à regarder. Pour que ce combat soit efficace, il faudrait ne jamais perdre de vue que l'un et l'autre se nourrissent des injustices, des discriminations, des exclusions, des inégalités. Voilà le mal qu'il faut éradiquer. Voilà les vrais ennemis de la laïcité. En quoi cette loi nous permet-elle de les combattre ?

Certains diront que ce n'est pas là son objet, mais c'est précisément pourquoi cette réponse me paraît dérisoire au regard des enjeux de la laïcité.

Oui, il faut combattre le prosélytisme, mais est-ce vraiment les signes d'appartenance, portés pour être vus, qui ne sont que l'expression symbolique, au demeurant réductrice, de positions idéologiques et philosophique ou d'une croyance religieuse, qui sont menaçants ? La question ne mérite même pas d'être posée.

S'il s'agissait seulement d'interdire le prosélytisme à l'école, il y avait bien d'autres moyens d'y parvenir. Pour l'essentiel, ils existent déjà. Sans doute faut-il rappeler les devoirs de l'écolier, du collégien, du lycéen. Rappeler par exemple qu'au titre du contrat que l'école passe avec l'élève et sa famille, sauf dérogation exceptionnelle, nul n'est autorisé à se dispenser de l'enseignement d'une des matières obligatoires inscrites au programme, nul n'est autorisé à se dispenser d'assister aux cours tous les jours de la semaine. Rappeler que chacun doit respecter les règles et les obligations adaptées à l'enseignement qu'il reçoit, et que tout manquement à ces obligations pourrait être sanctionné avec la fermeté nécessaire. Pourquoi ? Parce que toute attitude d'ostracisme, qui au motif de conviction personnelle organise la pression pour tenter d'imposer à l'autre sa propre conception du monde et refuse de se conformer au règlement élaboré pour tous, est inacceptable, au nom même du principe de laïcité.

II est évident que ce règlement, ce contrat, cette loi commune de l'école de la République aura d'autant plus de force qu'elle aura été collectivement élaborée.

Dans ce domaine aussi, la démocratie participative prolonge en l'enrichissant la démocratie représentative. Dans ce domaine aussi, l'école et les enseignants de la République savent faire.

Parce que j'ai la faiblesse de faire encore confiance à notre école et aux valeurs qu'elle porte, je la crois capable, avec une aide d'une tout autre nature que celle que vous lui proposez, de transmettre une culture commune permettant à chacun d'adopter le libre examen comme méthode de pensée et d'action et d'obtenir de chacun le respect de règles communes collectivement élaborées et adoptées.

Au lieu de cela, je le crains, l'interdit et l'exclusion risquent de précipiter dans les bras de quelques fondamentalistes des jeunes qui, pour l'immense majorité d'entre eux, ne recherchent rien d'autre qu'une identité et une reconnaissance que leur République leur a jusqu'ici refusées.

Croit-on sérieusement que l'exclusion de jeunes filles portant le foulard, leur maintien au domicile familial, l'errance dans leur cité dégradée ou leur scolarisation dans une école coranique aideront à leur émancipation ?

Croit-on qu'une mesure d'autorité leur permettra de résister aux pressions de leur entourage ?

Croit-on qu'en matière de convictions on puisse se libérer autrement que par la force de sa propre conscience ?

La République s'honorerait, en encourageant le débat, de favoriser cette prise de conscience. Je crains qu'elle ne se déshonore à penser et à décider à la place de ses concitoyens.

Fortes du soutien de la nation, ces jeunes filles pourraient alors d'elles-mêmes retirer leur voile, enfin perçu pour ce qu'il est, le symbole de la soumission.

Monsieur le ministre, plus l'objectif est juste et moins il doit y avoir de honte à reconnaître que l'on s'est trompé de route en voulant l'atteindre. Mais le pouvez-vous encore quand c'est toute votre politique qui se trompe de sens ?

Je voterai pour ma part contre ce texte, parce que j'ai la conviction que sans rien renier de leur culture ou de leurs convictions, les citoyennes et les citoyens de ce pays ont la capacité d'élever leur conscience pour adhérer à une idée de la nation qui sait résister à toutes les pressions, qui n'exclut pas la diversité, mais l'accueille dans une unité supérieure : la laïcité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Henri Nayrou.

M. Henri Nayrou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous, députés élus démocratiquement, savons que la Constitution est la loi fondamentale de la nation, dans le sens où elle énonce les règles juridiques régissant les rapports entre gouvernants et gouvernés.

Est-il normal d'avoir à rappeler ici que son article 1er reprend un axiome intangible : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » ?

Arrêtons-nous un court instant sur le mot « laïcité ». Le Larousse le définit comme étant le système qui exclut les églises, quelles qu'elles soient, de l'exercice du pouvoir politique ou administratif : les principes de la loi du 28 mars 1882 ont été implicitement repris par le préambule de la Constitution de 1946, que reprend celle de 1958. En fait, l'enseignement public est neutre en matière de religion, de philosophie et de politique, mais les libertés de conscience et de croyance sont garanties.

En conséquence, l'intitulé de votre projet de loi, « Application du principe de laïcité » n'est-il pas maladroit, voire erroné ? Poser la question équivaut à y répondre. Ne s'agirait-il pas plutôt du rappel de la neutralité nécessaire au bon fonctionnement de notre société ? Les principes constitutionnels assurent ainsi l'égalité devant la loi et le respect de toutes les croyances, ce qui revient à dire que l'obéissance aux lois garantit la liberté même du citoyen.

Etre libre, c'est donc être soustrait à toute contrainte arbitraire et tyrannique de la part de l'Etat, mais aussi de groupes de pression plus ou moins identifiables.

Ces signes extérieurs auxquels se réfère ce projet de loi et qui feraient référence à une religion masquent en fait deux problèmes majeurs : le premier concerne des personnes soucieuses de leur originalité, au sens étroit du terme, qui refusent certaines formes d'intégration sociale, alors même que notre société exige de ses membres l'acceptation de règles qui sont le socle de la République.

Le second problème est celui du principe d'égalité des hommes et des femmes, et là il est impératif de protéger les mineures qui souhaitent, en vertu de droits imprescriptibles de notre société, s'émanciper de tous les interdits religieux.

Voilà pourquoi il est fondamental de rappeler à tous les principes constitutionnels et d'assurer, par le biais de la loi, la neutralité des services publics en général et du service de l'enseignement en particulier, et ce en interdisant tous les signes visibles de l'appartenance à tel ou tel groupe, afin que soit assurée une stricte égalité.

Il est paradoxal à cet égard que notre débat actuel fasse l'objet de critiques émanant de personnalités du monde occidental, comme certains hauts fonctionnaires du Royaume-Uni, qui pourtant n'a pas su résoudre la violence opposant les communautés religieuses d'Irlande du Nord, ou encore des Etats-Unis, où de nombreuses décisions de l'administration Bush sont prises an nom de Dieu et où certains élus en charge de l'éducation recommandent, pour les programmes scolaires, la suppression de la théorie de Darwin parce qu'elle réfute la vérité de la Genèse, ce qui est en fait une forme d'intégrisme.

Ces pratiques dignes d'une théocratie et ces jugements à l'emporte-pièce ne doivent en aucun cas nous empêcher d'adopter une mesure juste parce que respectueuse de nos droits fondamentaux. Les circulaires gouvernementales, les efforts de la communauté éducative en matière de signes religieux n'ayant pu résoudre tous les problèmes, la loi était-elle nécessaire ? Le temps apportera la réponse, dont les contours sont aujourd'hui incertains, sur tous les bancs de cet hémicycle.

Cependant, il est primordial de réaffirmer que la laïcité ne se réduit pas à une interdiction ; elle est l'affirmation de la plus grande des libertés, celle qui garantit la liberté de conscience, même si, comme toute règle, elle souffre de nombreuses limites.

Puisque le Parlement ne doit pas légiférer sur la laïcité, gravée dans le marbre de la loi de 1905, il s'agit plutôt de se prononcer sur une loi de sécurisation juridique en matière de signes religieux.

Il est donc nécessaire d'inscrire dans la loi, de manière symbolique, la nécessité de la pédagogie et du dialogue pour expliquer aux élèves ce qu'est la laïcité.

Or, monsieur le ministre, le projet de loi n'inclut pas cette nécessaire pédagogie et réduit la laïcité à une simple interdiction. C'est pourquoi l'un des amendements du groupe socialiste dispose que la sanction ne peut intervenir qu'une fois achevé le temps du dialogue, de l'explication, de la pédagogie et de la conviction.

Je note avec satisfaction que notre amendement a été adopté en commission des lois, et avec surprise que celle des affaires culturelles, familiales et sociales, saisie pour avis, l'a repoussé.

La loi doit être claire, donc parler de neutralité des services publics ; précise, donc exclure la visibilité des signes religieux. A cet égard, la moindre marge d'interprétation sera un prétexte à des dérives procédurières dangereuses pour la paix sociale.

Je souhaiterais, mes chers collègues, terminer mon propos en citant un poème envoyé par le maire d'un petit village des Pyrénées ariégeoises : « Place dans ton cœur ta croix, ton voile, ta kippa. Marche vers ton école et dans ton encrier trempe ta belle plume. Sur le grand livre, fais-la tourner, fais-la danser, fais-la chanter. Regarde, elle a déjà écrit : laïcité ».

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SEANCES

M. le président. Aujourd'hui, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement (*);

Suite de la discussion du projet de loi, n° 1378, relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics :

M. Pascal Clément, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1381),

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (n° 1382).

A vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de la deuxième séance.

(*) Les quatre premières questions porteront sur des thèmes européens.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 4 février 2004, à trois heures.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot