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Deuxième séance du mercredi 4 février 2004

151e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (n°s 1378, 1381).

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi l'Assemblée a poursuivi la discussion générale.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Daniel Bousquet.

Mme Danielle Bousquet. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, mes chers collègues, en tant que femme et femme de gauche, je me réjouis que la question laïque soit au cœur des débats d'aujourd'hui.

La laïcité est ce qui permet à chacun d'entre nous, quelles que soient ses convictions, de vivre dans l'espace commun, sans discrimination d'aucune sorte. C'est dans ce cadre que la question du voile islamique fait irruption et trouble notre communauté nationale parce qu'il semble cacher tout ce que notre République laïque combat : l'enfermement de l'individu dans un symbole communautariste, l'intrusion du religieux dans la sphère publique, l'activité des prosélytes et le sexisme.

Si l'on ne peut bien évidemment conclure que derrière chaque musulmane portant le foulard se cache une représentante de l'intégrisme, les responsables éducatifs s'accordent sur un constat : le port du foulard ne peut s'assimiler à une mode vestimentaire adoptée par des adolescentes en quête d'affirmation. Il est bien l'expression d'une pression orchestrée par des groupes intégristes auprès des jeunes lycéennes musulmanes, même si certaines d'entre elles portent le voile par souci de protection ou par affirmation identitaire.

C'est en effet la question du voile islamique - et nulle autre à l'évidence - qui a déclenché notre besoin de réaffirmer les valeurs de la laïcité, parce qu'elle touche au principe, inscrit dans notre constitution, de l'égalité entre les femmes et les hommes. Le voile est en effet - tous les orateurs ou presque l'ont souligné - le signe de l'inégalité entre l'homme et la femme, le signe de la soumission au dogme des intégristes pour qui la femme n'est rien, n'a aucun droit, pire, représente un danger, une menace.

Cette pratique n'a pas sa place dans notre République car le port du voile porte atteinte à nos principes constitutionnels.

M. Éric Raoult. Très bien !

Mme Danielle Bousquet. Cependant, si les dérives intégristes sont indiscutablement un danger pour notre République, il nous faut tout autant insister sur le fait qu'il ne s'agit en aucune manière d'une loi dirigée contre les religions ou les libertés religieuses, ni contre une religion en particulier, et affirmer devant tous nos concitoyens que l'Islam en France est parfaitement compatible avec la démocratie et la laïcité.

Dans leur immense majorité les croyants et leurs représentants respectent le pacte laïque. Notre réaffirmation de la laïcité doit nous conduire à mieux reconnaître la diversité religieuse en France et, s'agissant de la religion musulmane, deuxième religion de France, à accepter la création de lieux de culte hors des caves, en toute transparence.

Dans ce contexte, décider d'une loi qui réaffirme les principes de la laïcité, est la réponse que notre République se doit de faire à la stratégie mise en place par des groupes qui l'attaquent dans ses principes lorsqu'ils instrumentalisent le port de signes religieux ; c'est montrer résolument une hostilité dissuasive envers tout ce qui menace les principes républicains.

Oui, il nous faut une loi pour réaffirmer la laïcité de l'école, lieu où sont formés les garçons et les filles, lieu qui contribue à leur éducation et à la détermination de leurs comportements. La laïcité de l'école est une question centrale car l'école doit former les élèves, garçons et filles, dans un scrupuleux respect des différences et en refusant de voir telle ou telle différence dicter sa loi.

Oui, il nous faut une loi pour garantir la cohésion sociale et républicaine.

Cela étant, quel dommage, monsieur le ministre, que l'orientation que vous avez donnée au débat sur la laïcité n'ait pas permis de mettre en évidence les causes des difficultés rencontrées ! Qu'en est-il aujourd'hui de l'intégration, des inégalités sociales, de l'accès à l'emploi pour les jeunes issus de l'immigration ? N'est-ce pas là que les fondamentalismes trouvent leur terreau ? N'est-ce pas dans la fracture sociale, et dans le communautarisme qui peut en découler, que l'intégrisme fait son lit ?

M. Jean Glavany. Evidemment !

Mme Danielle Bousquet. Le combat pour la laïcité est d'abord un combat contre les discriminations et je regrette que seul l'exposé des motifs de votre projet de loi aborde ce point essentiel.

Certes, l'indéniable atout de ce texte est de mettre sur le devant de la scène la réalité des mouvements intégristes qui, bien que minoritaires, n'en sont pas moins actifs puisqu'ils réussissent à instrumentaliser des jeunes filles, à les transformer en porte-drapeaux d'une idéologie qui va bien au-delà de la simple volonté de porter des signes religieux. Et n'oublions pas pour autant l'intégrisme chrétien qui prolifère outre-atlantique et s'active partout en Europe et fait reculer les droits des femmes. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Léonard. Pas en France !

Mme Danielle Bousquet. Pour combattre ces dérives, il est nécessaire de lier l'affirmation de la laïcité et de traduire le souci de l'égalité en actes. Or les faits nous montrent que si le Gouvernement tient un discours ferme sur la laïcité, il cautionne par ailleurs des pratiques communautaristes. Ainsi - et je veux bien croire que ce n'est pas son intention première - il légitime les intégristes qui se réclament d'une interprétation maximaliste de la religion. Cela contribue à brouiller le message adressé à nos concitoyens.

La traduction du souci de l'égalité en actes, c'est aussi ce qu'attendent de nous toutes ces jeunes filles, toutes ces jeunes femmes qui nous demandent une loi pour les protéger. Dans le même temps nous devons néanmoins régler les problèmes de fond pour éviter que notre loi n'apparaisse que comme un texte dirigé contre l'islam. C'est pourquoi elle ne doit être que la première étape d'un processus d'intégration de tous ceux, issus de l'immigration, qui ont fait le choix de la France.

A cet égard, il nous revient d'affirmer notre volonté d'une véritable politique de la ville en direction des banlieues ghettoïsées des grandes villes, des établissements scolaires de ces quartiers et de la mixité de leurs équipes d'encadrement. Nous avons le devoir de mettre en place les politiques publiques appropriées. Il nous revient aussi d'affirmer l'importance de ce combat pour le statut et l'émancipation des femmes, véritable fer de lance de la lutte contre tous les intégrismes.

Certes, monsieur le ministre, nous voulons une loi mais celle que nous examinons risque de se révéler cruellement insuffisante si de réels moyens de lutter contre les discriminations sociales qui frappent les enfants de l'immigration ne font pas l'objet d'une large mobilisation de votre part et si nous ne mettons pas en place les moyens effectifs de reconnaître le caractère multiculturel de la société française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-André Périssol.

M. Pierre-André Périssol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi sur la laïcité, voulue par le Président de la République, est nécessaire pour plusieurs raisons.

Elle est nécessaire, tout d'abord, pour défendre à l'école le respect des valeurs républicaines auxquelles nous sommes attachés - laïcité, tolérance, liberté de conscience et respect de cette liberté - et pour défendre l'école contre la montée des extrémismes et des communautarismes.

Elle est nécessaire, ensuite, pour défendre l'ordre public à l'école. Les tensions et les affrontements dans les établissements autour des questions religieuses sont très durs. Ils perturbent les missions dévolues au service public de l'éducation, le bon déroulement des activités d'enseignement. Aussi, les enseignants et les chefs d'établissement sont-ils désemparés face à la multiplication des tensions suscitées par les revendications identitaires et religieuses. La loi doit leur donner les moyens d'exercer sereinement leur mission avec l'affirmation d'une règle claire. Comme vous avez pu le constater, les trois quarts d'entre eux nous demandent de légiférer pour leur donner ces moyens.

La loi est nécessaire, également, pour réaffirmer le rôle de l'Etat comme protecteur du libre exercice, par chacun, de sa liberté de conscience, de son expression, comme de sa non-expression. Cela est d'autant plus impératif dans le cadre de l'espace scolaire, lieu de formation des esprits et d'apprentissage de la vie en commun.

L'école a le devoir de protéger les jeunes contre les influences qui, loin de les libérer ou de leur permettre d'affirmer leur libre arbitre, les contraignent ou les menacent. L'école a le devoir de protéger les jeunes filles non voilées et celles qui n'ont pas pu faire leur choix librement, mais qui ont, tout comme les autres élèves, le droit d'exercer leur liberté de conscience.

La loi est nécessaire, enfin, pour affirmer, à l'école et dans la société, le principe essentiel de l'égalité entre les femmes et les hommes. Toute conception visant à saper les acquis de notre République que sont l'égalité des sexes et la dignité des femmes doit être combattue.

Il importe de ne pas se laisser abuser : la loi ne limitera aucunement le droit fondamental à l'expression religieuse et à la liberté de conscience. C'est, au contraire, pour renforcer ce droit qu'elle en restreindra les expressions extrémistes et prosélytes dans le cadre de l'école, susceptibles, par leur caractère de provocation, de pression ou de propagande, de porter atteinte à la dignité et à la liberté des élèves et des membres de la communauté éducative.

Comme toutes les libertés, la liberté d'expression des croyances ne peut trouver de limites que dans la liberté d'autrui et dans l'observation des règles de vie en société. La liberté religieuse ne saurait être détournée et remettre en cause la loi commune dans l'espace scolaire. C'est là la définition même de la tolérance, une des valeurs républicaines cardinales que l'école se doit de transmettre à tous nos enfants.

C'est pourquoi cette loi s'inscrit pleinement dans la conception française de la laïcité, laquelle pose l'égalité de toutes les options spirituelles dans notre République.

La loi n'est assurément pas dirigée contre une religion, quelle qu'elle soit, et n'a pas pour but d'en stigmatiser telle ou telle. L'islam, en particulier, a toute sa place parmi les religions présentes sur notre sol. Cette reconnaissance participe du combat sans merci livré par le Président de la République et par le Gouvernement contre toutes les formes de xénophobie - quelle qu'en soit la cible, notamment les jeunes arabes ou musulmans -, de racisme et d'antisémitisme.

Une fois votée, la loi devra être mise en œuvre dans un esprit de dialogue et de médiation. Elle vise à inciter au dialogue, non à exclure. Son objet, l'affirmation d'une règle claire qui fixe les limites à ne pas dépasser en matière d'expression religieuse à l'école, exige que son application s'accompagne d'un travail d'explication et de pédagogie dans les établissements. Il ne s'agit pas tant de poser des interdits que de fixer des règles de vie en commun.

L'esprit de dialogue doit dominer dans un paysage spirituel qui, depuis 1905, s'est enrichi d'une plus grande diversité et implique des adaptations. Comme le souhaite le Président de la République, il faut assurer à l'école, par divers accommodements raisonnables, un meilleur respect des grandes fêtes religieuses et mieux prendre en compte, dans chaque établissement scolaire, la diversité culturelle des enfants de France, en y développant l'enseignement de l'histoire du fait religieux.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Pierre-André Périssol. Il y aura donc la loi, mais aussi tout ce que conditionne sa mise en œuvre. Au-delà de la question du port de signes religieux ostensibles à l'école, la vie des établissements est aussi altérée, comme l'ont bien montré les auditions effectuées par les commissions Debré et Stasi, par d'autres phénomènes d'affirmation identitaire : demandes d'absence systématiques un jour de la semaine ou d'interruption de cours et d'examens pour un motif de prière ou de jeûne ; contestation de certains enseignements ; jeunes filles recourant à des certificats médicaux injustifiés pour être dispensées des cours d'éducation physique et sportive ou de la pratique de la natation ; épreuves d'examen troublées par le refus d'élèves de sexe féminin d'être entendues par un examinateur masculin ; autorité d'enseignants ou de chefs d'établissement contestée par les élèves ou par leurs parents au seul motif que ce sont des femmes...

Sur ces différents points, la loi semble très claire. Or les chefs d'établissement s'avouent mal armés pour la faire respecter, faute de moyens réglementaires leur permettant de lutter efficacement contre ces entorses à nos principes. Il faudrait, par exemple, pour en finir avec les certificats de complaisance délivrés à des élèves qui refusent d'aller à la piscine ou au gymnase, réserver à la médecine scolaire la capacité de délivrer les dispenses médicales ou, à défaut, rendre possible des contre-expertises. Il conviendrait également, dans les cas manifestes de non-assiduité répétée à certains cours, de donner au chef d'établissement les moyens de réagir en déclenchant des procédures disciplinaires adéquates.

Ces mesures, de nature réglementaire, se situent en aval de la loi et relèvent de la responsabilité du ministère de l'éducation nationale. Il faut agir vite, pour permettre aux chefs d'établissement et aux enseignants, aujourd'hui en première ligne, d'exercer sereinement leur mission.

L'école est, au premier chef, le lieu de la transmission des valeurs républicaines. Elle est l'espace où l'on forme les futurs citoyens à la liberté, à l'égalité et à la tolérance. C'est pourquoi il nous faut réaffirmer la laïcité à l'école, pour préserver celle-ci de tout ce qui menace de porter atteinte à l'acquisition de ces valeurs.

C'est en posant ces principes que le débat sur la laïcité pourra être, selon le souhait formulé par le Président de la République, « l'occasion pour les Français de se rassembler autour d'une volonté de vivre ensemble ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bascou.

M. Jacques Bascou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de la laïcité, telle qu'elle est posée depuis quelques mois, a pris, au regard des problèmes politiques et sociaux qui préoccupent les Français, une place démesurée dans le débat public, sans pour autant gagner en clarté ni en sérénité.

Ce phénomène tient, certes, aux conflits internationaux, à la montée des intégrismes religieux, aux menaces terroristes ou à la crise de l'école, mais aussi à la surmédiatisation de ce débat, qui a abouti à des crispations dans les communautés et à la stigmatisation de certaines d'entre elles. Cette surmédiatisation avait, en son temps, amplifié la perception des problèmes d'insécurité à quelques semaines de la dernière élection présidentielle.

La question de la laïcité mérite un débat, mais aussi la recherche d'un large assentiment des républicains de tous bords. Or les prises de positions contradictoires de ministres, les déclarations maladroites sur l'appartenance religieuse d'un préfet de la République, l'invitation faite aux imams de restaurer l'ordre dans les quartiers ou la façon dont le ministre de l'intérieur souhaite organiser le culte musulman en France n'ont pas contribué à éclairer le débat.

M. Jean-Pierre Brard. C'est vrai !

M. Jacques Bascou. La majorité de nos concitoyens attend donc aujourd'hui de nous une prise de position claire, lucide et responsable.

M. Jean-Pierre Brard. Entre Ferry et Sarko, ça ne va pas être facile !

M. Jacques Bascou. A ce titre, l'adoption d'une loi s'impose, pour permettre aux chefs d'établissements et aux équipes pédagogiques de trancher le problème du port des signes religieux dans les établissements scolaires et pour mettre fin aux différences de traitement entre établissements.

Toutefois ce n'est pas dans sa rédaction actuelle que le texte est susceptible d'entraîner un progrès. L'adverbe « ostensiblement » renvoie, en effet, à une interprétation nécessairement subjective des intentions de la personne portant un signe religieux. Cette rédaction va entraîner les mêmes difficultés d'interprétation et d'application, donc conduire aux mêmes contentieux, que le droit en vigueur.

M. Gérard Léonard. Mais non !

M. Jacques Bascou. Certains propos tenus à propos des bandanas ou des systèmes pileux ont montré les limites de l'exercice. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste a déposé un amendement de clarification.

Cette loi sera également insuffisante si elle se résume à la seule interdiction. Il est indispensable d'y inscrire que le dialogue et la pédagogie précéderont la sanction et l'exclusion. Un discours laïque borné, qui se contenterait d'interdire, contribuerait, au contraire, au phénomène de communautarisation auquel nous sommes confrontés.

Il faut éviter un éclatement de l'enseignement en fonction des groupes sociaux, culturels ou religieux. Le service public et laïque d'éducation doit pouvoir accueillir tous les jeunes dans un espace neutre. L'école doit rester un sanctuaire.

Au reste, cette loi ne va pas régler tous les problèmes, car la laïcité ne se résume pas à la question du port des insignes religieux dans les établissements scolaires. Elle est, en effet, indissociable de l'intégration, laquelle passe nécessairement par le modèle républicain et la mise en œuvre d'une politique de lutte contre les discriminations.

Dans un contexte de détricotage du tissu social, d'insuffisance ou de disparition annoncée de services publics, de faiblesse des politiques d'insertion et de prévention, de chômage massif dans les quartiers, certains groupes se nourrissent de l'exclusion sociale, économique et culturelle de la population pour l'entraîner sur le terrain de l'intégrisme religieux

M. Jean Glavany. Evidemment !

M. Jacques Bascou. De nombreux collègues ont déjà insisté sur l'importance du social. A ce propos je me contenterai de citer Jean Jaurès : « La République française doit être laïque et sociale, mais restera laïque parce qu'elle aura su être sociale ». (« Très bien ! Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Néanmoins il ne faut pas limiter la laïcité - ni, d'ailleurs, l'intégration - à la lutte contre les discriminations. La laïcité suppose une démarche volontariste pour vivre ensemble dans un cadre légal accepté par tous, conformément à des règles communes garantissant les droits fondamentaux, comme l'égalité entre hommes et femmes. Le juste combat du mouvement « Ni putes ni soumises » a, d'ailleurs, déjà été évoqué à plusieurs reprises au cours de ce débat.

La laïcité n'est pas, non plus, uniformité. Elle suppose le respect des différences, des cultures, des religions, ainsi que la liberté de conscience et le libre exercice du culte, consacré par la loi de séparation de 1905. En dehors de ce cadre, la diversité entraîne le communautarisme, le repli identitaire et le conflit entre communautés.

La laïcité suppose la capacité pour chacun de transcender les particularismes et les affirmations identitaires, au profit d'une appartenance plus large. En ce sens, elle est l'affirmation d'un intérêt général qui l'emporte sur les intérêts particuliers. Or aujourd'hui, les notions d'intérêt général, de défense de valeurs communes ou de dessein collectif sont de moins en moins partagées par nos concitoyens, et nombreux sont ceux qui ne se sentent pas partie prenante du pacte républicain.

Le débat que nous avons depuis deux jours montre notre attachement, sur tous les bancs de notre assemblée, à cette forme d'exception française qu'est la laïcité, pilier de la République, et la volonté qui anime une grande majorité d'entre nous de légiférer pour défendre les principes laïques et républicains. Mais ce débat ne peut être dissocié de la question fondamentale qui porte sur la nature de la société dans laquelle nous vivons et de son évolution. II restera de l'ordre de l'incantation si une autre politique n'est pas mise en place dans notre pays.

La montée du chômage, l'exclusion, la pauvreté et les inégalités croissantes menacent notre société. L'Etat, garant de la solidarité entre citoyens et entre territoires, voit son rôle affaibli, au nom d'une politique libérale.

Les évolutions qui touchent tous nos systèmes de protection collective, qu'il s'agisse du régime des retraites, qui glisse progressivement de la solidarité entre générations aux assurances privées, ...

M. Michel Bouvard. Oh !

M. Jacques Bascou. ...de la mise en place d'un système de santé à plusieurs vitesses,...

M. Michel Bouvard. Oh !

M. Jacques Bascou. ... de la remise en cause du droit du travail et de l'impôt redistributif, ...

M. Michel Bouvard. Oh !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur pour avis. Des intermittents du spectacle !

M. Jacques Bascou. ... ou des attaques contre les services publics, contribuent à la remise en cause de la cohésion nationale, au délitement du lien social, et menacent la laïcité.

M. Michel Bouvard. Oh ! (« Mais oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Bascou. La construction européenne, qui consacre le libre échange et l'économie de marché, sans en combattre les excès, sans mettre en place des politiques publiques puissantes et sans affirmer le principe de laïcité, contribue au repli communautaire. L'économie libérale, aujourd'hui mondialisée, propose aux nouvelles générations un modèle culturel uniforme standardisé, fondé sur l'individualisme, la compétition, le mythe de l'argent facile, un modèle dont la valeur culte est une consommation à laquelle elles n'auront pas accès.

M. Michel Bouvard. Le modèle de l'argent facile est apparu sous Mitterrand !

M. Jacques Bascou. Les extrémismes, les fondamentalismes et les nationalismes se nourrissent de cette contradiction.

La plupart des auditions menées dans le cadre des missions présidées respectivement par M. Stasi et par le président de notre assemblée ont souligné que le combat pour la laïcité ne pouvait se résumer à un projet de loi limité au port des signes religieux à l'école. Pour être utile, le texte que vous nous proposez doit prendre en compte les amendements du groupe socialiste.

En tout état de cause le combat pour la laïcité ne s'arrête pas aujourd'hui. D'autres engagements seront nécessaires pour restaurer le pacte républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette loi est bien difficile et pose de nombreux problèmes.

M. Jean-Pierre Brard. Pas pour nous ! De la part d'un député prolétarien comme vous, c'est surprenant ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Brard, je vous en prie !

M. Claude Goasguen. Il est vrai que M. Brard a toujours été un adepte de la laïcité. Les peuples de l'Union soviétique se souviennent d'ailleurs de son soutien laïque.

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez toujours été avec les privilégiés ! Vous êtes leur fondé de pouvoir !

M. Claude Goasguen. Monsieur Brard, si vous me cherchez, vous allez me trouver ! Ne soyez pas amnésique ! Chacun sait d'où vous venez. Il n'y a pas lieu de vous accuser d'être stalinien : c'est un fait, vous l'avez été, comme beaucoup d'autres.

M. Éric Raoult. Il l'est toujours (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. J'étais trop jeune !

M. Éric Raoult. Là-dessus, il dort bien !

M. Jean-Pierre Brard. Vous n'avez rien de mieux à dire ?

M. Claude Goasguen. Quand je pourrai parler ! (Rires.)


Il s'agit donc d'un de projet loi bien difficile à examiner, car il porte sur deux sujets différents, apparus successivement et qui se superposent aujourd'hui.

Dans un premier temps, la source du droit - le pouvoir réglementaire des chefs d'établissement -, justifiée par les circulaires, avait précisé l'attitude à avoir et abouti à certains résultats, au milieu des turbulences de la jurisprudence du Conseil d'Etat. Mais les chefs d'établissement se sont trouvés confrontés à des difficultés croissantes. Il était donc nécessaire, sur le strict plan scolaire, d'intervenir et nous étions tous d'accord pour faire appel, devant ces situations conflictuelles qui se multipliaient même si elles n'atteignaient pas des proportions considérables, à une source du droit qui soit intangible. Seule la loi, en réalité, permet aux chefs d'établissement d'avoir une assise suffisante pour exercer leur autorité.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Claude Goasguen. Telle était la première démarche, qui a abouti à ce projet de loi.

Puis, progressivement, le débat a dépassé le strict problème de l'école et de la source du droit la plus adéquate. Désormais il ne porte plus uniquement sur l'école mais concerne la société toute entière, puisqu'il a englobé la politique d'intégration des populations immigrées.

Les Français dans leur ensemble sont confrontés aux contradictions - qui existent depuis vingt ans - d'une politique d'intégration qui s'est souvent révélée, quels que soient d'ailleurs les gouvernements, davantage incantatoire que réelle. Nos concitoyens ont découvert, à l'occasion d'une loi qui aurait dû rester cantonnée à l'école, qu'un grave problème de société se posait depuis longtemps et qu'il prenait aujourd'hui toute sa dimension.

Le débat a donc dépassé le cadre d'une loi sur la laïcité stricto sensu, encore que le terme laïcité prête à confusion dans la bouche et dans l'esprit de certains, puisqu'ils imaginent une société fondée exclusivement sur la laïcité.

M. Jean Glavany. Ce serait bien !

M. Claude Goasguen Il est vrai que c'est une tendance profonde de la société française que de vouloir exclure les religions à tout prix. On y retrouve des relents du passé. Pourtant la laïcité est un terme scolaire, rien de plus, et il est hors de question de bâtir une société entièrement laïque.

M. Jean Glavany. Si, il en est question ! C'est là notre divergence avec vous !

M. Yves Durand. Quel aveu, monsieur Goasguen !

M. Claude Goasguen. Heureusement que nous avons des divergences ! Je m'en félicite ! Je vous dis d'ailleurs franchement que, si vous votiez contre ce texte, cela m'arrangerait beaucoup ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Nous ne sommes pas là pour vous complaire !

M. Claude Goasguen. Je le sais bien !

C'est peut-être un tort de chercher le consensus à tout prix ; mais c'est un autre débat.

Nous avons donc dépassé la question scolaire et abordé le problème de société.

M. Jean Glavany. Parfaitement !

M. Yves Durand. C'est un problème de société, justement !

M. Gérard Léonard. Que nous assumons, monsieur Durand !

M. Claude Goasguen. A cet égard, le problème scolaire n'est pas le plus important. Pour parler franchement, cette loi ne réglera que très peu de difficultés. Nous le savons très bien, puisque nous l'avons examinée sous tous ses aspects.

L'amendement proposé par la commission des lois, qui prévoit une procédure de dialogue avant toute sanction éventuelle, décevra et ne rendra malgré tout pas service aux proviseurs et aux principaux qui attendent de nous la création d'un droit intangible. En effet chacun sait fort bien que les difficultés sur le terrain sont beaucoup plus considérables qu'à la tribune de cette assemblée, où il est toujours aisé de pérorer sur la facilité de mise en œuvre d'une réforme. C'est beaucoup moins facile, concrètement, pour un chef d'établissement, qui est quelquefois confronté à des élèves assistés d' avocats.(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Blazy. Il faut donc voter nos amendements !

M. Claude Goasguen. Des interprétations juridiques permettront à ces avocats de retarder le règlement des conflits.

Je crains, mes chers collègues, que la confiance qu'accordent les chefs d'établissement à la source légale du droit ne soit exagérément optimiste, car je sais qu'ils vont être confrontés à des obstacles très supérieures à ceux qu'ils prévoient.

Si le texte ne portait que sur l'aspect purement laïque et scolaire du problème de l'intégration, il est clair que je me serais abstenu, car je ne crois pas que cette loi, trop partielle, soit suffisante. Je crains même qu'elle ne suscite de nouvelles difficultés au sein des établissements scolaires. Cependant, je voterai ce morceau de loi car je sais, compte tenu de mon expérience professionnelle, que la rentrée scolaire se prépare au mois de février. La date de son adoption permettra donc de l'appliquer dès la rentrée de septembre.

Sur ce point, je suis navré de me retrouver avec la gauche mais, comme j'aborde le sujet dans une perspective sociale, il est clair que je ne la voterai pas dans le même esprit que l'opposition.

M. Yves Durand. Nous sommes rassurés !

M. Claude Goasguen. Je vais la voter parce que la République est confrontée à un véritable défi lancé par l'islamisme, par le fondamentalisme. C'est un défi arrogant lancé par ceux qui, dans leurs manifestions, n'ont pas hésité à employer des termes qui relèvent du code pénal.

M. Jean Glavany. Nous l'avons dit !

M. Claude Goasguen. On y a entendu des propos antisémites, racistes...

M. Yves Durand et M. Jean Glavany. Et homophobes !

M. Claude Goasguen. ...qui constituent un véritable défi aux valeurs de la République. Je ne me suis donc pas senti le courage, devant cette mise en jeu des valeurs républicaines, de me dérober dans l'abstention au motif que la loi me paraît imparfaite.

C'est pourquoi, après mûres réflexions, je m'associerai, par un vote positif, à cette loi

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur, et M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Claude Goasguen. Je sais qu'elle ne résoudra pas tous les problèmes, mais elle sera suivie d'un vaste débat que la société française demande depuis des décennies, celui sur l'intégration et sur l'immigration.

Je me félicite d'ailleurs que le Premier ministre, en conclusion de son discours à l'Assemblée, ait dit que, au-delà du problème du voile à l'école, se posait toute la question de la neutralité du service public et qu'il ait parlé explicitement de la situation dans les hôpitaux, qui me paraît beaucoup plus critique encore que celle des établissements scolaires. Il nous a ainsi permis d'espérer, car c'est un vrai débat de société qui s'ouvre et dans lequel, je le souhaite, nous ne serons pas d'accord, chers collègues de l'opposition, puisqu'il s'agit de revoir toute la politique d'intégration que vous n'avez pas su mener pendant vingt ans.

M. Jean Glavany. Et la vôtre, c'est un triomphe ?

M. Claude Goasguen. Et ne parlons pas de la politique d'immigration, que vous avez volontairement sabotée par votre laxisme ! C'est parce que vous avez littéralement laissez faire, dans l'anarchie la plus complète, (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Éric Raoult. Il a raison !

M. Claude Goasguen. ...qu'il est aujourd'hui nécessaire d'adopter cette loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, chers collègues : « La République assure la liberté de conscience ». Par cette affirmation de l'article 1er de la loi dite de séparation des Eglises et de l'Etat, la République laïque s'affirme, depuis presque un siècle, comme responsable du vivre ensemble. A ce titre, elle respecte toutes les opinions et garantit la libre expression de celles-ci, mais elle assure aussi la neutralité de l'espace public.

L'école, proclamée gratuite, obligatoire et laïque dès les lois de Jules Ferry - j'ai bien précisé le prénom... - de 1883, a été le premier champ d'application de la laïcité. Nos enfants doivent en effet pouvoir grandir et s'instruire dans un environnement ouvert, tolérant et serein. Jusqu'à l'âge de la majorité, ils doivent être préservés de tout enrôlement, leur libre arbitre n'étant pas encore totalement fortifié. Tout prosélytisme doit donc être banni de l'enceinte de l'école, et l'enfant ne doit pas être pris dans des querelles de croyances. Il doit se voir proposer des connaissances lui permettant de se forger un jugement et des opinions. L'école, le collège et le lycée doivent demeurer des lieux d'apprentissages diversifiés, de développement du jugement et de l'esprit critique. Les familles qui tiennent à tout prix à éduquer leurs enfants dans une religion donnée sont libres de les inscrire dans des écoles privées confessionnelles, mais, si elles choisissent l'école publique, elles doivent se conformer à son exigence de neutralité philosophique et religieuse.

Une loi est-elle réellement indispensable pour interdire les signes religieux dans les établissements scolaires ? C'est une question que nous avons été nombreux à nous poser pendant des mois.

A l'origine, je n'y étais pas favorable. En effet, elle présente le risque d'être interprétée comme une loi contre le voile et contre les musulmans. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, beaucoup de Français d'origine maghrébine ou africaine voient dans ce projet de loi un texte dirigé contre eux, alors même qu'ils souffrent déjà de nombreuses inégalités dans leur vie quotidienne : le chômage, les discriminations à l'embauche, la difficulté à se loger, l'insécurité, la dégradation des quartiers. Ils ressentent comme une injustice de plus un interdit qui, pensent-ils, les viserait exclusivement.

Malgré ce risque réel, je me suis cependant ralliée à l'idée d'une loi au fur et à mesure qu'avançaient les travaux de la mission d'information sur les signes religieux, dont j'étais membre. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage au président Debré pour la conduite, éclairée et équitable, de nos débats. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Lors des auditions, j'ai compris que nous étions en face, non pas seulement d'une incompréhension culturelle, mais aussi d'une véritable offensive politique de groupuscules intégristes, certes peu nombreux, mais actifs et déterminés. Des initiatives agressives, comme la circulation d'un guide des intégristes rédigé par le docteur Abdallah Milcent, m'ont convaincue qu'il existe des tentatives de déstabilisation et que les extrémistes testent la capacité de réaction de la République. Il faut donc donner un coup d'arrêt et proclamer que cela suffit !

Et puis, il y a les femmes. Danielle Bousquet vient d'en parler, avec éloquence. Des millions de femmes dans le monde attendent toujours de pouvoir, librement, aller et venir, parler, s'éduquer, se soigner , montrer leur visage. L'oppression des femmes afghanes ou iraniennes est devenue le symbole de cet obscurantisme qui veut voiler la moitié de l'humanité, au prix de sa dignité. Il faut rendre hommage à des voix comme celles de Taslima Nasrin ou de Chirine Ebadi, qui ont osé interpeller les consciences.

En France aussi, j'ai pu entendre, dans des réunions de quartiers ou lors de la marche des jeunes de « Ni putes, ni soumises », la souffrance de toutes ces femmes dont la dignité est mise en doute à chaque choix de tenue ou de mode de vie. Pour moi qui ai défendu la réforme de notre constitution établissant la parité, la mixité de l'espace public est un élément fondamental de notre vie démocratique, car c'est l'acceptation de l'autre, la première application du principe du respect de la différence.

Ce sont donc ces deux raisons - offensive intégriste et respect de la liberté des femmes - qui m'ont conduite à accepter, et même à estimer nécessaire, une loi.

Encore faut-il que cette loi soit utile et ne stigmatise pas certains de nos concitoyens. Pour cela, elle doit clarifier la règle en vigueur et garantir, à cet égard, l'égalité de toutes les croyances. Or je redoute que l'adverbe « ostensiblement » retenu par le Gouvernement, ne soit qu'une variation stylistique du terme « ostentatoire » employé par le Conseil d'Etat, et qu'il n'apporte aucune aide supplémentaire aux équipes pédagogiques. En effet il sera aussi difficile de dire ce qui est ostensible, monsieur le ministre, qu'il est malaisé de définir ce qui ostentatoire. D'ailleurs, M. le ministre de l'éducation nationale nous en a donné une illustration un peu pathétique avec ses considérations malvenues sur le système pileux, lesquelles ont davantage semé le trouble que calmé les appréhensions.


Or les équipes enseignantes souhaitent pouvoir appuyer leurs décisions sur une norme simple et compréhensible par tous. La visibilité est une notion beaucoup plus objective et égalitaire que l'ostentation. Arborer un signe visible témoigne de la volonté ou de l'intention de la personne portant le signe religieux. Il conviendrait donc, selon nous et conformément aux conclusions de la commission Debré, de privilégier une interdiction des signes visibles d'appartenance religieuse, si l'on veut, à la fois, faire œuvre de clarification et viser tous les signes religieux.

Le principe étant réaffirmé dans la loi, il est absolument nécessaire de privilégier le dialogue et la médiation préalable entre enseignants, élèves et familles. L'interdit posé par cette loi ne devra s'appliquer qu'en dernier recours, dans les cas que la seule négociation ne résoudra pas. La meilleure façon de désarmer les stratégies d'affrontement des extrémistes de tous bords est de promouvoir le dialogue et la résolution concertée des problèmes.

Cette loi doit également permettre d'unifier la règle en vigueur dans les établissements scolaires. En Seine-Saint-Denis, j'ai pu constater les inégalités d'application : ici on interdit les signes religieux ; là, on les tolère ; là encore un compromis est passé. Or la République se définit aussi par l'unité indivisible des règles.

La présente loi doit donner aux équipes pédagogiques et aux chefs d'établissement les outils juridiques - et symboliques - permettant de réagir de façon claire et cohérente, en laissant le dialogue prévaloir systématiquement.

Cependant cette loi, à elle seule, ne résoudra pas le problème que pose aujourd'hui la laïcité. Il convient de la prolonger par de plus vastes initiatives en faveur de la laïcité.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou. Nous souhaitons l'élaboration d'une charte de la laïcité qui puisse être diffusée à toutes les institutions publiques et dont l'application à l'école donnerait lieu à des textes précis mis à la disposition des enseignants. Quelles initiatives comptez-vous prendre, monsieur le ministre, afin de donner aux équipes pédagogiques les guides nécessaires à l'application de la loi ? Pourquoi ne pas créer une direction ou une sous-direction de la laïcité au sein de votre ministère ?

M. Hervé Mariton. Ça réglerait tout sans doute!

M. Christian Vanneste. Des fonctionnaires supplémentaires !

Mme Élisabeth Guigou. Avez-vous l'intention d'éditer et de diffuser un guide de la laïcité à destination des enseignants, des élèves et des parents ? Allez-vous imposer, au programme des instituts universitaires de formation des maîtres, un enseignement obligatoire de la notion de laïcité et de ses implications pédagogiques ? Allez-vous faire enseigner la laïcité à l'école ? Ce vaste chantier doit être lancé dès maintenant car la laïcité a besoin d'être débattue, discutée, comprise, vécue, en somme, par nos enfants.

M. Bernard Carayon. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Hervé Novelli. Ils ont pourtant eu le temps !

Mme Élisabeth Guigou. Cependant la laïcité ne concerne pas que l'école. D'autres espaces publics sont touchés par une immixtion croissante des considérations religieuses ou communautaires. Il convient, là aussi, de rappeler fermement la règle qui est la nôtre.

L'interdiction du port de signes religieux par les agents des services publics est déjà clairement affirmée par la loi.

M. Claude Goasguen. Cela s'appelle la neutralité du service public.

Mme Élisabeth Guigou. Il reste à réaffirmer la mixité à l'hôpital et le principe de détermination des soins sur des critères strictement médicaux. L'hôpital devient en effet de plus en plus un lieu d'expression des fondamentalismes : les commandos anti-avortement des catholiques extrémistes le prouvent, hélas, trop souvent.

M. Claude Goasguen. Allons !

Mme Élisabeth Guigou. L'intégrisme n'est pas seulement le fait de certains musulmans. En vérité, tous les extrémismes religieux oppriment les femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bruno Bourg-Broc. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou. La République se définit par un ensemble de droits et de devoirs. Si elle doit faire respecter ses règles, elle doit également garantir à tous l'égalité. Or je constate malheureusement chaque jour que la République n'a pas rempli tous ses devoirs à l'égard de ses enfants issus de l'immigration. Comment lutter contre le repli sur le communautarisme et l'identité religieuse, si on ne propose pas de réelles possibilités d'intégration et de réalisation des individus dans la République ?

M. Bernard Carayon. C'est le résultat de vingt ans de socialisme !

M. Hervé Novelli. Faites donc repentance !

M. Hervé Mariton. C'est dramatique ! Quel échec !

Mme Élisabeth Guigou. Afin de préserver notre modèle du vivre ensemble, l'égalité des chances dans la société doit absolument être garantie. Elle le sera par l'intégration professionnelle, qui suppose une lutte active contre le chômage et les discriminations à l'embauche, par l'intégration territoriale, qui nécessite le démantèlement des ghettos dans lesquels sont cumulés tous les handicaps, par l'intégration sociale enfin, qui exige la démultiplication des actions éducatives et culturelles à l'égard de ceux qui en ont besoin.

L'égalité entre les religions doit également être garantie. Il convient d'aider l'islam à acquérir ce que les religions chrétienne et juive ont su obtenir au fil des siècles : des lieux de culte décents. Trop de maires refusent encore d'accorder des permis de construire des mosquées ou des carrés musulmans dans les cimetières.

M. Hervé Mariton. Il faut les déférer devant les tribunaux !

Mme Élisabeth Guigou. Souvenons-nous des pères et des grands-pères de nos compatriotes qui, enrôlés en Afrique dans nos armées, ont versé leur sang pour la France.

Souvenons-nous également qu'il existe aujourd'hui, sur notre sol, de nombreux Français d'origine maghrébine qui ne sont pas musulmans et qui déclarent fièrement qu'ils sont athées. Le jeune Ali, hier, à Bondy - Jean Glavany l'a entendu comme moi - a indiqué qu'il refusait d'être désigné par une identité religieuse, lui qui proclame qu'il n'est pas musulman.

Les conflits à l'école ne sont que le miroir des tensions à l'œuvre dans l'espace social. Clarifier les règles à l'intérieur de l'école ne sera utile que si l'on clarifie également les règles en vigueur à l'extérieur. La promotion active des valeurs laïques, des actions volontaristes, c'est-à-dire des actes - et non les contre-actes que vous avez commis - en vue d'une véritable égalité entre les hommes et les femmes, et une lutte déterminée contre toutes les formes de discriminations, notamment sociales et professionnelles, doivent prolonger ce projet de loi.

S'il est l'amorce d'une réelle dynamique en faveur de l'intégration de tous, de l'égalité concrète, de la compréhension et du respect mutuels, en somme de la concorde nationale, comme l'a souhaité Jean-Marc Ayrault, alors il aura atteint son but. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette loi nous fait accomplir un pas considérable. Elle est l'aboutissement d'un débat qui aura passionné les députés et les Français dans leur ensemble. On était en droit de se demander s'il allait susciter l'attention des politiques ou de la presse. Chacun d'entre nous, en tout cas, aura pu le constater : dans tous les milieux - urbains ou ruraux -, dans les grandes villes comme dans les petites ou encore dans les banlieues, nos compatriotes sont passionnés par le sujet.

Ce débat aura été également l'occasion d'un diagnostic lucide et franc. Philippe Manière, dans son ouvrage La revanche du peuple, ...

M. Jean Glavany. Populiste !

M. Hervé Mariton. ... a souligné combien le résultat du premier tour de la dernière élection présidentielle a été la conséquence de l'absence d'un diagnostic porté sur la France d'aujourd'hui, de l'absence d'une description et d'une prise de conscience de sa réalité actuelle. Selon Philippe Manière, la France n'est plus la France de Bécassine, mais les politiques ne le reconnaissent et ne l'expliquent jamais.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Jean Glavany. Il vaudrait mieux !

M. Hervé Mariton. Mme Buffet, hier, lors de son intervention, a regretté que l'approche du projet de loi puisse mettre en cause la France plurielle. Je lui répondrai qu'il ne suffit pas de constater que la France est plurielle pour que tout aille bien. Le voile islamique - qui est le fait générateur principal de notre débat - est une mise en cause de la neutralité de l'espace public, de l'égalité des hommes et des femmes et, plus largement, du modèle français. La question qu'il pose est à la fois religieuse et politique.

La loi que vous nous proposez, monsieur le ministre, est une réponse simple, utile et nécessaire : simple parce que le texte en est court ; utile, parce qu'elle répond à une situation concrète et à une demande de nos compatriotes ; nécessaire enfin, parce qu'elle est un signal clair et propose une mesure indispensable.

Elle est aussi - et nécessairement - respectueuse des équilibres de la République. La loi doit respecter l'expression des convictions, « même religieuses » comme il est précisé dans les textes historiques. Le projet de loi respecte le caractère propre de certains établissements d'enseignement. Soulignons d'ailleurs que la neutralité s'impose à la République elle-même : c'est le nécessaire rappel de la neutralité politique de l'école.

Vous nous avez offert, monsieur le président, il y a quelques mois, un superbe ouvrage décrivant les Mariannes à travers l'histoire. Marianne porte un bonnet phrygien, mais si Marianne allait à l'école, son bonnet phrygien ne serait pas le bienvenu.

M. Yves Durand et M. Jacques Bascou. Pourquoi ?

M. Alain Néri. Le bonnet phrygien, enfin !

M. le président. Monsieur Mariton, après 1875, la Marianne ne portait plus le bonnet phrygien.

M. Hervé Mariton. La France avance, monsieur le président.

M. Jean-Marc Ayrault. Vous n'avez pas lu le livre qui vous a été offert.

M. Hervé Mariton. Mais si ! Je vous y renvoie volontiers d'ailleurs, car il est superbe.

M. Alain Néri. Vous n'avez lu que la dédicace.

M. Hervé Mariton. Je l'ai lu dans le sens qui me plaisait. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

La question plus essentielle à laquelle conduit notre débat est assez simple et elle est très forte. Chacun la connaît : « C'est quoi la France ? » Quel est le principe - « la grammaire » disait hier le Premier ministre - de notre vivre ensemble ?

Le mois dernier a été publié un sondage, qui portait sur l'identité française. Selon ses résultats, le premier élément constitutif de notre identité française est la langue française. Le deuxième est le système de protection sociale. La culture et le patrimoine n'arrivent qu'en troisième position.

Or la laïcité est importante. Selon Claude Nicolet, dans L'idée républicaine en France, ...

M. Yves Durand. Voilà un bon auteur !

M. Hervé Mariton. ...l'unité juridique et territoriale, horizontale, exige aussi une unité d'une autre sorte - verticale - morale et spirituelle : c'est la laïcité.

M. Bernard Carayon. Evidemment !

M. Hervé Mariton. La laïcité à l'école - certains l'ont dit - c'est l'arbre qui cache la forêt, mais pour traiter la forêt, encore faut-il commencer par s'occuper d'un arbre.

M. Jean Glavany. En voilà un forestier !

M. Hervé Mariton. En effet il s'agit bien de l'unité de la communauté nationale et du partage d'une conscience morale qui définit la nation.

Parmi les points très forts d'un débat, qui, depuis des mois, se déroule à l'Assemblée comme dans le reste du pays, j'évoquerai le rappel que, dans son discours du 17 décembre dernier, le Président de la République a fait de la force de notre héritage. Parallèlement - chacun peut le mesurer - l'ouverture de la communauté nationale n'est pas en cause. Renan rappelle que « la France devint très légitimement le nom d'un pays où il n'était entré qu'une imperceptible minorité de Francs. »

Oui, notre communauté nationale est ouverte. Oui, elle doit répondre à de nouveaux défis. Oui, nous devons entamer un débat concret sur l'égalité des chances : il est nécessaire, mais il ne peut résumer notre projet, qui n'est pas affaire de statistiques ou d'arithmétique. Notre projet doit être dynamique et entraîner l'adhésion. Cela suppose que la communauté nationale fasse preuve d'une force d'attraction morale plus encore que matérielle - j'ai nommé les valeurs de la République -, que notre communauté ait une force d'attraction et que l'effort soit fait d'y adhérer ! La République n'est pas un self-service ! Elle n'est pas même un menu à la carte.

M. Yves Durand. et M. Jean Glavany. Ah !

M. Hervé Mariton. Nous avons entendu, devant la mission que vous présidiez, monsieur le président, Shmuel Trigano énoncer la formule selon laquelle ce sont les nouveaux venus qui doivent s'adapter au modèle en place, et non l'inverse.

M. Bernard Carayon. Très bien !

M. Hervé Mariton. Alors que nous sommes nombreux à partager le diagnostic et à approuver le projet de loi, nous sommes en droit de nous poser une question importante : le choix que nous allons faire par le vote de cette loi est-il celui de la dernière chance...

M. Pierre Lellouche. Probablement.

M. Hervé Mariton. ...en vue d'affirmer la conception française de la nation ?

Notre attitude intrigue les étrangers. La laïcité à la française les surprend. Ils nous questionnent aussi sur le résultat d'un hypothétique rapport de force démographique et politique. En un mot : le communautarisme peut-il être évité ?

Certains diront sans doute qu'il est trop tard. Je pense au contraire que notre débat traduit un réveil et une alerte. La réponse apportée par ce texte est à la fois indispensable et partielle. Nous devons la prolonger par l'affirmation d'une exigence à l'égard de la collectivité et de tous les citoyens, ce qui n'est guère facile dans une société du « droit à ».

Nous ne saurons pas s'il est déjà trop tard ou si nous avons saisi là ce qui est peut-être une dernière chance. Ce sont plutôt nos enfants qui le constateront.

Les mots à la mode ont leurs limites et leurs vertus. Ainsi, on emploie souvent aujourd'hui l'expression « développement durable ». C'est une belle idée, à laquelle on peut donner du sens. Mais souhaitons alors que soit durable notre envie de France.

Si tant de députés s'expriment et si tant de citoyens écoutent, c'est que nous ne parlons pas d'un morceau de tissu, mais bel et bien de l'idée que nous nous faisons de notre pays, de ce que nous espérons pour lui et de ce que nous voulons y construire.

Aussi voterai-je bien volontiers ce projet de loi, tout en disant au Gouvernement et à mes collègues que, au-delà de ce texte, pointe une interrogation très forte, essentielle, et qui est à l'ordre du jour : que voulons-nous faire de la France demain ? Nous franchissons aujourd'hui un pas important. Le débat qui s'ensuivra ne sera pas facile, mais nous ne pourrons nous y dérober. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Cambadélis.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous occupe ces jours-ci ne porte pas, pour nous, sur la place du foulard à l'école, mais sur les moyens de l'en faire sortir. Cette exclusion du voile des établissements scolaires, et non pas de celles qui le portent, comme de tout autre signe religieux, repose sur deux principes fondamentaux qui ne me semblent pas négociables.

D'une part l'attachement à la laïcité de l'enseignement, compris comme la délivrance à tous les enfants d'un savoir commun, ce qui n'implique en aucun cas qu'il se prétende unique, objectif, ce qui ne signifie pas neutre, rationnel, ce qui ne veut pas dire qu'il méprise ou ignore d'autres champs de la pensée humaine qui relèvent de la foi, du sentiment ou de l'intime conviction.

D'autre part le refus viscéral de toute discrimination au sein du genre humain, notamment entre hommes et femmes.

Voilà pourquoi lorsque, en ce mois d'avril 2003, une nouvelle offensive a été engagée pour tester les résistances de la République, lorsque, comme vous, j'ai entendu que l'enjeu n'était pas, ou plus, la foi de quelques adolescentes, mais bien le désir que la République s'adapte à l'islam, je me suis résolu à une loi qui, au passage, permette évidemment d'étendre l'interdit à tous ports visibles de signes religieux. En effet devant cette tentative d'utiliser les limites de la jurisprudence du Conseil d'Etat, où le mot « ostentatoire » était sujet à toute interprétation, il était temps de faire œuvre législative utile.

Tout a déjà été dit sur les problèmes posés par l'état actuel du droit, sur 1'insécurisation juridique des enseignants et des chefs établissements. J'aurais donc tendance à assumer clairement ce soir la dimension signifiante et symbolique d'une loi.

II y a à cela quatre raisons.

D'abord le ressac de l'histoire : après le 11 septembre 2001, dans cette phase de globalisation, le problème essentiel, dorénavant, n'est plus celui d'une exception française, absolue ou relative, qu'il faudrait résorber ; il est partout celui d'une crise de la politique et d'une interrogation sur la démocratie. L'Etat et la société civile sont l'un et l'autre remis en cause, dans un contexte marqué par l'avènement de nouvelles perplexités sur les formes et sur le sens de l'intérêt général. Le malaise a pris une tournure paroxystique dans notre nation le 21 avril 2002. La conjugaison de la bouderie civique et de la peur rageuse fut le signe tangible d'une crise de la nation : expression française d'un doute universel sur le destin de la civilisation occidentale.

Comme nous le dit Pierre-André Taguieff, « la globalisation économique et communicationnelle, l'internationalisation du droit et l'uniformisation marchande du monde n'ont pas fait disparaître les puissantes aspirations identitaires », bien au contraire. L'individualisme consumériste et son rêve d'une société-marché produit en retour une logique communautariste et une problématique identitaire. Je crois, avec le politiste Joseph Yacoub, que cet « ethnonationalisme étroit est devenu envahissant ».

Il n'était pas anormal, dans ces conditions, que l'islamisme politique, vitrine légale d'un islam religieusement fondamentaliste, cherche dans cette crise à se construire un espace, voire à remodeler les relations de la République et des cultes. Le caractère inacceptable de cet islamisme militant, c'est la prétention à l'exclusivité, c'est le fait de vouloir se faire reconnaître comme la seule vérité. Voilà pourquoi nous avons considéré en son temps qu'il n'était pas bon que le ministre de l'intérieur vienne adouber le rassemblement de l'Union des organisations islamiques de France. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Voilà pourquoi je considère que ceux qui, dans la République, prenant acte de sa crise, revendiquent un compromis historique entre celle-ci et le communautarisme commettent une faute politique majeure.

Pour autant, nous ne confondons pas le sentiment religieux avec une religion, encore moins avec un dogme. Si la loi réitère la séparation de l'espace public et de l'espace privé et si elle se propose de codifier le premier, elle doit donner au second les moyens de s'organiser. La République s'honorerait d'une loi permettant l'organisation du culte musulman. Le fait que nous n'abordions pas aujourd'hui cette question ne peut que fragiliser la République et laisser à nos détracteurs le terrain d'une prétendue islamophobie.

Dans ces conditions, pourquoi limiter le port du voile à l'école, me direz-vous. La limitation du port du voile à l'espace de l'école obéit à deux considérations.

La première, totalement principielle, consiste à offrir aux adolescentes issues de familles musulmanes un cadre de « désaffiliation positive » leur permettant d'échapper à leur assignation identitaire et de se construire véritablement comme des individus libres de leurs choix. Il s'agit là d'une visée qui se rattache au meilleur de la tradition émancipatrice de la République Le fait que certaines adolescentes manifestent leur fierté à porter le voile ne change rien : la République a encore le droit de penser pour ses enfants. Hannah Arendt voyait d'ailleurs dans le renoncement à ce droit un symptôme de la crise de la culture. Et on a surtout le devoir de penser que, pour beaucoup de jeunes musulmanes, la pression du milieu ne laisse effectivement que peu de place au choix.

La seconde raison de se limiter à l'école, plus pragmatique, part du constat qu'on ne peut que très difficilement interdire, dans un Etat non totalitaire basé sur un principe général de liberté individuelle, le port du voile dans la rue, a fortiori dans l'espace privé. Cette relativisation n'est toutefois que relative : l'école est l'antichambre de la vie en société. Le fait d'y proscrire le voile est un levier essentiel pour induire les évolutions comportementales déterminantes susceptibles de se propager à toutes les sphères de l'existence. Nous pensons en effet que l'école est le lieu de l'arrachement à l'ignorance, aux préjugés, à la tradition, à l'enfermement.

Le face-à-face dans l'enceinte de l'école entre le maître et l'élève est source d'émancipation, d'ouverture sur le monde et sur l'altérité. Permettre, quelques heures par jour, à l'enfant de se soustraire à sa famille et de se soumettre à une autre autorité pour que lui soit transmis un savoir commun et rationnel, est la condition nécessaire à la formation d'un esprit critique et d'une liberté de conscience authentique. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Voilà ce qui justifie, selon le joli mot d'Alain Finkielkraut, que « l'on se découvre face aux livres », par opposition au Livre qui exige, lui, que l'on se voile.

Quant à ceux qui nous disent que c'est leur religion qui impose le port du voile, nous leur répondons avec le philosophe Henri Pena-Ruiz, qui a été abondamment cité au cours de ce débat, qu'« on n'entre pas en uniforme, avec oriflamme et tenue partisane, dans les lieux de culte dévolus au recueillement. Pourquoi le ferait-on dans les lieux de cultures dévolus à l'étude ? »

Il existe un troisième argument : la place des femmes.

Mes chers collègues, la convention internationale des droits de la femme, ratifiée par la France il y a vingt ans - Journal officiel du 20 mars 1984 -, édicte en son article 5, un engagement précis : « Modifier les schémas et modèles de comportements socioculturels de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières ou de tout autre type qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ». Il s'agit donc d'un engagement de la France.

La norme de la laïcité scolaire peut ici desserrer l'étau de la contrainte paternelle ou de la tutelle communautariste. L'école apparaîtra clairement pour ce qu'elle est : un espace de liberté où la stigmatisation sexiste et religieuse n'a pas de place. Tête nue, la jeune fille est d'emblée reconnue comme l'égale des garçons. L'école lui apprend ainsi qu'elle peut vivre autrement qu'en étant soumise à l'arbitre du « sexe fort ». Tolérer le port du voile dans l'enceinte scolaire, ce serait en revanche consacrer le règne sans partage de la loi paternelle ou communautariste.

Cependant, vous l'avez compris, pour fondés et pertinents que soient ces arguments qui nous rassemblent, ils n'en restent pas moins adjacents, car la question est d'abord politique : elle est celle de la mystique républicaine.

Notre époque a grandement besoin de renouer avec une certaine mystique républicaine, avec cette belle idée toute simple qui fait de nous des législateurs, à savoir que la loi commune peut être libératrice et que l'enfermement dans le différentialisme est oppresseur, même si, naturellement, nul ne peut élaborer la loi en s'extrayant des mœurs. Aujourd'hui il ne s'agit pas de cela. Nous ne sommes pas convoqués pour adapter notre loi commune à une avancée de la société civile ; mais nous devons légiférer pour protéger les progrès de la société civile.

L'atomisation individuelle, l'éclatement des demandes sociales et sociétales et leur complexité ont entravé la capacité de vouloir des politiques. Paradoxalement, la société française, tout en étant, en partie par ses propres mutations, à l'origine de cette inhibition, adresse à la classe politique une demande de maîtrise, d'autorité, et de sens. Cela procède de l'ambivalence française que nous connaissons bien.

Néanmoins l'idée que tout se négocie toujours et partout, que toute volonté corporatiste, tout particularisme culturel est en droit de s'opposer à l'intérêt général, la négation de toute visée commune, de tout universalisme, tout cela heurte profondément l'inconscient français, 1'identité républicaine de ce pays. Nous savons depuis longtemps de quel prix se paie le renoncement des élites dans un pays qui est et reste politique.

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !

M. Jean-Christophe Cambadélis. D'où vient le trouble vis-à-vis de ce projet de loi qui devrait nous souder en un bloc républicain ? Du flou de la loi ? De son instrumentalisation politique ? De l'absence de mesures d'accompagnement ? Ce qui a gêné d'emblée nombre des membres de la commission Stasi, c'est le calendrier quelque peu opportuniste : pourquoi maintenant et pas en avril ? Pourquoi avant les élections et pas après ?

M. Jean-Pierre Blazy. Eh oui !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Pourquoi dans ce moment-là et point lorsque le peuple peut être rassemblé ? Passons.

Lorsque, le 15 décembre 2003, le Président de la République s'est prononcé, après bien d'autres dont le parti socialiste, en faveur d'une loi lorsqu'il a fixé les missions de la commission Stasi, je pensais sincèrement que la concorde républicaine était possible, comme lors du deuxième tour de l'élection présidentielle et, de façon plus mesurée, à propos de la guerre entre les Etats-Unis et l'Irak.

M. Bernard Carayon. Il faudra recommencer !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Ne fallait-il pas travailler à cet objectif, rassembler la France, plutôt que rassurer son camp ?

Il y avait une voie possible pour une union d'emblée : que le Gouvernement fasse siens l'attendu des motifs et la formulation de la mission parlementaire présidée par notre président, Jean-Louis Debré. Mais, au lieu du terme « visible » qui nous rassemblait, il a préféré « ostensible », revenant au mot même qui nous obligeait à légiférer. Nous imaginons pourquoi : un compromis entre les différentes sensibilités de la majorité, un geste en direction de certains soutiens.

En fait votre volonté acharnée et paradoxale de n'ennuyer totalement personne sera source d'une précarisation des objectifs mêmes de la loi. Voilà pourquoi le mot « visible » n'est pas, de notre part, une coquetterie sémantique. Nous souhaitons voter avec vous une loi simple, claire, applicable et si possible efficace. Mais nos trois amendements ne sont pas une pirouette en attendant de vous applaudir.

Monsieur le ministre, nous ne combattons pas frontalement votre loi, même si nous l'amendons totalement. La laïcité n'est pas, pour les socialistes, un sujet politicien mais un vieux combat, le cœur même de l'émancipation humaine. Si je voulais vous en donner un exemple, il me suffirait de conclure avec les propos que tenait Jean Jaurès, il y a presque un siècle jour pour jour.

Le jeudi 3 mars 1904, dans cet hémicycle, il montait à la tribune pour évoquer devant la Chambre des députés - étrange clin d'œil de l'histoire ! - l'Eglise et la laïcité. Le propos vaut de résonner à nouveau dans cette enceinte : « Liberté à vous tous, croyants, d'esprit à esprit, d'intelligence à intelligence, de conscience à conscience, de propager votre croyance et votre foi, quelle que puisse en être la redoutable conséquence lointaine, même pour les libertés fondamentales de l'ordre nouveau ; liberté à tous de la propager. Mais du moins, à la racine de la vie intellectuelle des hommes, dans l'œuvre d'éducation où la conscience s'éveille, où la raison incertaine se dégage, intervention de la communauté laïque, libre de toute entrave, libre de tout dogme pour susciter dans les jeunes esprits non pas un dogme nouveau, non pas une doctrine immuable, mais l'habitude même de la raison et de la vérité. Et c'est ainsi que, sans toucher à la liberté de conscience, à la liberté de croyance, sans toucher au principe même et à la vérité de la liberté dans ce pays, nous avons le droit, nous avons le devoir de faire de cette liberté de l'esprit une réalité vivante dans l'œuvre laïque et nationale d'éducation et d'enseignement. ».

M. Yves Durand. Très bien !

M. Jean-Christophe Cambadélis. C'est parce que nous marchons dans les pas de Jaurès que nous voulons une loi qui serve la laïcité. Tout dépend maintenant de votre capacité à entendre notre volonté de nous réunir sur une loi claire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un médecin qui ne traiterait que les symptômes sans soigner la maladie serait un très mauvais médecin. Un législateur qui s'en prend aux symboles sans avoir défini le danger qu'ils symbolisent, sans s'attaquer à ce danger même, ressemble beaucoup à ce mauvais médecin. En l'occurrence, le danger c'est l'affaiblissement de l'idéal national et républicain ; c'est aussi l'affaiblissement de l'Etat ; ce n'est pas ce qu'il y a sur les têtes mais ce qu'il y a dedans.

Lorsque, dans un stade, des jeunes sifflent la Marseillaise ou arborent des signes d'appartenance communautaire, que signifient ces comportements ? A l'âge où l'affirmation de soi, où la conquête de son identité personnelle passe par l'appropriation d'une identité collective, ce n'est ni l'appartenance nationale ni l'adhésion à notre République qui sont les plus fortes, les plus séduisantes. Voilà le problème. Et la citoyenneté au rabais pour les élections locales proposée cet après-midi par M. Fabius n'est pas de nature à les rendre plus attractives.

Notre inquiétude devrait naître moins de ces signes que de notre propre impuissance à transmettre des valeurs positives. Une loi qui interdit un symbole risque de n'être que symbolique et ne fera qu'accentuer notre impuissance. Une loi n'est pas faite pour envoyer un signal : elle édicte une norme, une des plus élevées qui soit dans la hiérarchie. C'est pourquoi il est inutile et dangereux d'y recourir trop souvent. Trop de loi tue la loi...

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. Christian Vanneste. ...surtout lorsqu'elle est d'une application difficile.

M. Hervé Novelli. Tout à fait !

M. Christian Vanneste. Fallait-il une loi pour interdire le port du hidjab dans les écoles publiques ? Mon premier sentiment a été celui d'une disproportion entre le problème et sa solution. Cette question ne me semblait pas du niveau de la loi. C'est le gouvernement des juges, en l'espèce la jurisprudence du Conseil d'Etat, qui nous y a conduits. Mais, même dans le cadre de cette jurisprudence, le problème est très circonscrit : ni le respect des programmes ni celui des horaires ne sont menacés. L'arrêt Aoukili ne fonde l'interdiction du port du foulard que sur sa dangerosité lors des cours d'éducation physique.

Reste donc l'atteinte que le port du foulard porte au principe de laïcité. La justification de la loi réside dans la nécessité de légitimer les règlements internes des établissements scolaires et de conforter les chefs d'établissements. La démarche semble logique compte tenu de la jurisprudence du Conseil d'Etat, mais la mise en pratique de la loi semble beaucoup plus périlleuse.

Il y avait trois possibilités.

Soit on employait le terme « visible », qui avait le mérite de l'objectivité mais le défaut d'être clairement anticonstitutionnel en raison de l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme.

M. Gérard Léonard. Tout à fait !

M. Christian Vanneste. Soit on optait pour la rédaction retenue par le texte, qui ne fait que renforcer la subjectivité de l'appréciation du comportement interdit. La forme adverbiale « ostensiblement » indique bien que c'est l'intention qui sera visée et non le fait même. Or, de ce point de vue, une croix ou une étoile de David manifeste bien une appartenance, tandis qu'un foulard ne montre rien. Il ne fait que cacher pour obéir à une prescription coranique. Pour les Sikhs, par exemple, le signe d'appartenance est la longueur des cheveux non coupés. Le turban ne fait que les retenir en les cachant. Enlever le turban fera apparaître le signe.

C'est la raison pour laquelle j'aurais préféré une troisième solution.

L'école de la République ne doit pas interdire ; elle doit avant tout inculquer ses valeurs de manière positive. Le port de l'uniforme serait une mesure positive qui répondrait à la fois au souci primordial de l'égalité et au rappel de la rigueur propice au travail et à l'enseignement.

M. Gérard Léonard. Cela nous rajeunirait !

M. Christian Vanneste. En revanche, limiter la loi à l'interdiction de signes religieux aura deux conséquences négatives, la première sur le principe de laïcité même. Ce concept est né dans un contexte chrétien où l'on distinguait clercs et laïcs, pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Il trouve son expression dans la pensée libérale anglo-saxonne. Dans sa Lettre sur la tolérance, Locke écrit : « La loi ne doit se préoccuper que du maintien de l'ordre social ; elle a le droit de réprimer les manifestations destructrices de l'Etat mais elle n'a aucune juridiction sur les âmes des hommes ».

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. Yves Durand. La laïcité, ce n'est pas la même chose que la tolérance !

M. Christian Vanneste. Les Etats-Unis, surtout, et la plupart des pays européens ont une telle approche.

Les grands textes auxquels nous sommes ou non soumis juridiquement - déclaration universelle des droits de l'homme, convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - insistent sur le caractère essentiel de la liberté de conscience. La déclaration universelle rappelle le droit des parents à choisir le genre d'éducation qu'ils souhaitent pour leurs enfants. La convention souligne la liberté de manifester sa religion individuellement ou collectivement, en public et en privé. Les seules limites sont, comme d'habitude, celles de l'ordre public.

L'exception française consiste en l'introduction explicite du concept de laïcité dans la Constitution, en une application plus stricte et, surtout, dans une histoire marquée par une laïcité de combat, conduite progressivement à devenir une laïcité de respect - Alain Juppé le rappelait cet après-midi - en 1907, puis, après la Première guerre mondiale, en 1924, avec l'accord entre la République et le Saint-Siège et, bien sûr, le retour de l'Alsace-Moselle au sein de la République. C'est l'esprit de cette laïcité-là qu'il faut sauvegarder, c'est-à-dire une neutralité bienveillante à l'égard des religions. Je ne suis pas sûr que cette loi y contribue.

La deuxième conséquence négative à craindre sont les effets pervers de la loi. Une identité humiliée risque d'être une identité révoltée, sensible, comme on l'a vu récemment, aux appels extrémistes et sans doute tentée par le repli communautaire. En stigmatisant par trop la religion dans les établissements publics, on risque de susciter le développement d'un enseignement communautaire, voire communautariste. En s'attaquant aux symptômes, on aura aggravé la maladie, alors que les efforts récents, notamment la création du Conseil français du culte musulman par Nicolas Sarkozy, avaient créé les conditions d'une évolution favorable et positive.

Les religions n'ont jamais été des obstacles à l'intégration, bien au contraire. Le problème que pose l'islam est moins une question d'identité que de temps. Il faut laisser au temps le soin de l'intégrer dans la République et de faire en sorte que nos valeurs clairement affirmées prennent une autre forme que l'interdiction. Il y a là un défi que cette loi ne me paraît pas en mesure de relever.

M. Gérard Léonard et M. Hervé Novelli. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est un sujet important qui suscite des discussions souvent passionnées au travail, à l'école, en famille et aussi entre amis. Elle a donné lieu à un festival médiatique et politique assez étonnant, débordant d'ailleurs largement son objet. Elle fait la une de la presse et des journaux télévisés depuis maintenant plusieurs semaines, masquant au passage d'autres sujets d'actualité tout aussi préoccupants, voire davantage.

Aujourd'hui, la représentation nationale doit se prononcer sur un projet de loi tendant à interdire le port des signes religieux ostensibles à l'école, dont l'intitulé élargit le débat au thème de la laïcité dans notre société.

Quand on parle de laïcité, de quoi s'agit-il finalement ? D'un principe d'organisation de la société sur la base de valeurs communes et dans le respect des différences individuelles. C'est également la séparation des églises et de l'Etat, le respect du pluralisme religieux pacifique, la liberté de conscience et la confrontation des idées dans le respect de l'autre. Ce sont les valeurs qui forgent notre nation, les valeurs de progrès inscrites dans la loi de 1905.

Cependant la laïcité, c'est aussi le mariage civil, l'autorisation du divorce, l'école publique, l'exercice légal de la médecine, la légalisation de l'IVG, (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) qui sont autant de valeurs incluses dans le patrimoine culturel et social de notre pays.

M. Yves Durand. Très bien !

M. Gérard Léonard. Cela n'a rien à voir !

M. Hervé Mariton. Hors sujet !

Mme Jacqueline Fraysse. Le texte proposé par le Gouvernement permettra-t-il de garantir tous ces acquis ? Je ne le pense pas car il ne répond pas aux attaques contre la laïcité dans toute son expression. Il ne vise qu'à stigmatiser le port du voile par des jeunes filles dans l'école publique. Du coup, il discrimine plutôt qu'il intègre.

Si je pense qu'il faut combattre le port du voile religieux par les femmes, c'est parce qu'il est une obligation faite à celles-ci de cacher leur corps et leur féminité. Il est à mes yeux l'instrument d'une domination inacceptable contre laquelle nous devons lutter dans tous les espaces de notre territoire et toutes les strates de notre société. Il est indispensable que soit mené un débat sans complaisance pour faire évoluer des comportements dont les femmes sont les premières victimes.

Mais je refuse avec la même vigueur, au nom même de l'esprit de laïcité, de réduire la représentation de l'islam à ces seules pratiques, comme le projet de loi tend à l'insinuer. Il a déjà pour conséquence de flatter les dérives populistes qui alimentent l'extrême droite et les intégristes. Finalement, loin de faire reculer les conservateurs et progresser les droits des femmes, ce texte risque d'aboutir à l'inverse.

Bien sûr, la montée des intégrismes est préoccupante et doit être combattue. Cependant il s'agit d'une question complexe et il est dangereux de la limiter au seul intégrisme musulman. Faut-il rappeler que les intégristes catholiques manifestaient encore tout récemment devant l'Assemblée nationale pour la remise en cause de l'IVG à la suite de l'amendement de M. Garraud ?

M. Christian Vanneste. C'est complètement faux ! Cet amendement ne tendait pas à remettre en cause l'IVG !

Mme Jacqueline Fraysse. Calmez-vous, cher collègue !

M. Christian Vanneste. C'est scandaleux, madame, d'accuser M. Garraud de s'être attaqué à l'IVG !

M. Pierre Lellouche. De plus, je ne vois pas le rapport avec l'islam et le voile !

M. le président. Veuillez poursuivre, madame Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. L'entreprise de stigmatisation de la seule religion musulmane risque de jeter dans les bras des intégristes ceux qui ne le sont pas. L'immense majorité des musulmans vit sa foi dans le respect des lois de la République. Le principe de la liberté de culte doit s'appliquer pleinement à leur religion, comme l'a d'ailleurs préconisé le haut conseil à l'intégration.

Notre pays est fort quand il sait s'enrichir de la diversité des cultes de ses habitants. Aussi ferait-il bien de reconnaître la citoyenneté de résidence. Quelle que soit leur nationalité, les étrangers doivent avoir le droit de voter dans le pays où ils vivent.

M. Bernard Carayon. C'est scandaleux !

Mme Jacqueline Fraysse. A cet égard, je regrette beaucoup que le gouvernement de gauche n'ait pas accordé le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers.

M. Bernard Carayon. Pour une fois que le PS a été responsable !

Mme Jacqueline Fraysse. La droite, quant à elle, a rejeté cette proposition au début de la présente législature, ce qui n'est pas pour nous surprendre.

Je considère que c'est un droit légitime et je continuerai à agir pour qu'il soit reconnu aux étrangers vivant en France Il est indispensable pour l'intégration de tous dans notre société.

Quand on sait que, en 2003, le Gouvernement a gelé plus du quart des crédits accordés au fonds d'action de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations - le FASILD - on mesure son cynisme et le peu de cas qu'il fait des atteintes aux droits des femmes immigrées puisque ce fonds sert notamment à financer des associations qui assurent la socialisation des femmes.

Il reste encore beaucoup à faire pour améliorer les droits des femmes et assurer l'égalité, et je ne parle pas seulement des femmes musulmanes. Les discriminations à l'égard des femmes sont nombreuses dans notre société. Pourquoi, par exemple, ne trouve-t-on nulle part trace de projets de loi tendant à l'égalisation des retraites et des salaires à qualification égale ou d'actions fortes du Gouvernement et des groupes parlementaires pour véritablement encourager l'accès des femmes aux postes à responsabilité dans les entreprises, mais aussi, ici, à l'Assemblée nationale, où nous ne représentons qu'un peu plus de 13 % des députés ?

Mes chers collègues, notre pays a sans conteste besoin d'un réel débat sur la laïcité telle qu'elle est appliquée dans la société d'aujourd'hui - car cette dernière évolue - sur l'immigration et les droits des femmes pour pouvoir approfondir l'ensemble des questions soulevées. C'est une condition préalable à toute réforme si l'on a la volonté de prendre des mesures de respect mutuel et de progrès social ambitieuses. A l'évidence, cette démarche de fond n'est pas celle envisagée par le Gouvernement, qui préfère présenter un texte stigmatisant et restrictif, confinant à une discrimination inacceptable. Pour toutes ces raisons, je ne le voterai.

M. le président. La parole est à M. René Couanau.

M. René Couanau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme beaucoup d'entre nous, sur nombre de ces bancs, j'ai pensé assez longtemps qu'il serait abusif et peut-être même irrespectueux, voire discriminant à l'égard de la liberté religieuse et de la liberté de conscience, de légiférer pour interdire le port d'un signe religieux à l'école. Je comprends et je rejoins aujourd'hui celles et ceux qui entendent, par le vote symbolique d'une loi sobre, mettre solennellement en garde contre une dérive insidieuse que notre tradition de tolérance pourrait favoriser puisque c'est bien l'intolérance qui risque de prospérer de ce fait.

Nous avons cru, les uns et les autres, à une laïcité apaisée, établie par des années de pratique et de consentement mutuel, même si, avouons-le, la conception que nous nous en faisons et que nous partageons comme un bien commun n'a toujours été qu'un fragile équilibre. Nos références à la laïcité partagée étaient devenues si implicites que, depuis l'apparition des premiers voiles musulmans à l'école, à la fin des années 1980, on a continué de croire que des règlements intérieurs d'établissement, des circulaires ministérielles et une jurisprudence du Conseil d'Etat suffiraient à mettre un terme localement et progressivement à ce qui n'apparaissait toujours que comme une turbulence passagère. Aujourd'hui encore, certains d'entre nous conservent ce point de vue.

Toutefois, ce débat et ceux qui l'ont précédé dans les commissions et dans l'opinion, ainsi que les analyses et les consultations que nous avons conduites personnellement sont venus malheureusement dissiper cette vision optimiste et rassurante de la résolution des conflits.

Non, mes chers collègues, nous ne sommes pas en présence d'une crise passagère, limitée ou circonscrite.

M. Pierre Lellouche. Absolument !

M. René Couanau. La société française est bel et bien confrontée à un fait nouveau important, religieux certes, mais plus encore sociétal et politique, auquel elle ne peut appliquer les seules pratiques et les seules procédures dont elle espérait qu'elles opéreraient les régulations habituelles. Nous percevons mieux maintenant que la laïcité rêvée et apaisée, élément de notre cohésion, court tout simplement le risque d'éclater en morceaux à l'école et hors de l'école et, avec elle, sans doute, des pans entiers des valeurs de notre République.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Très bien !

M. René Couanau. Le port du voile à l'école par certaines jeunes filles de religion et de culture musulmanes va consciemment ou inconsciemment bien au-delà de la seule volonté de respecter des préceptes religieux.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. René Couanau. De ce seul point de vue déjà, il pose à notre société une difficulté particulière, en venant rompre le pacte, souvent tacite, qui lie les citoyens français. De ce seul point de vue, encore, la manifestation ostensible d'appartenance à une religion n'est pas acceptable à l'école publique pour ce qu'elle signifie et pour les intéressées elles-mêmes, pour leur famille et pour les tiers qui peuvent se trouver portés à revendiquer eux-mêmes une telle manifestation. On voit dans quel processus de surenchère on peut alors s'engager.

Nous savons aussi que cette revendication identitaire d'un islam que la majorité des Français d'origine musulmane dénomment eux-mêmes intégriste, comporte aussi une adhésion, consciente ou non, à un code juridique, à des normes sociales, à une conception des rapports entre le citoyen, les religions et l'Etat qui ne sont pas, mes chers collègues, ceux de la République française...

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. René Couanau. ...quand ne sont pas partagées pleinement les valeurs fondamentales qui unissent une société, alors apparaissent ou se renforcent les risques du communautarisme. Encore ne s'agit-il pas ici de revendications identitaires d'appartenance à une communauté qui ne se définirait que par son origine géographique puisque la majorité des Français originaires des pays musulmans la réfutent.

En fait, il s'agit bien d'une tentation pour les uns, d'une tentative pour les autres de rassembler et de fonder à l'intérieur de notre société une communauté qui ne se reconnaîtrait ni dans nos lois ni dans notre système social. Cela va bien au-delà de l'inacceptable.

Le port du voile au regard de nos références communes peut être aussi - cela a été dit - l'expression d'une soumission, volontaire ou non, de la part de toutes les jeunes filles ou non. Là n'est pas la question à l'école. Que serait en effet une société de droit, d'égalité et de liberté si elle courait le risque de ne pas assurer, ne serait-ce qu'à une personne sur cent ou sur dix mille, la protection qu'elle lui doit contre la contrainte et la discrimination dans cette école où l'on va lui enseigner l'égalité, le respect et la fraternité ?

Les règlements intérieurs et l'autorité responsable des chefs d'établissement y pourvoiront, nous dit-on. Certes, nous pouvons penser que le dialogue et la persuasion continueront de prévaloir mais tout laisse malheureusement prévoir des difficultés croissantes pour les mettre en œuvre. Il est donc nécessaire aujourd'hui de voter une loi symbole, qui pose clairement, simplement mais solennellement, les limites de la liberté individuelle dans une école ouverte à tous et à toutes et destinée à former des citoyens responsables d'eux-mêmes et porteurs d'une parcelle de la responsabilité collective.

Toutefois ne nous faisons pas d'illusion. Cette loi ne sera pas un exorcisme ni contre telle ou telle religion ni contre tel ou tel fantasme qui hanterait notre société. Elle ne sera pas non plus un exorcisme contre les maux, contre le faisceau de causes qui ont abouti à cette crise de la laïcité, laquelle est en réalité une crise de la société par les développements qu'elle a pris.

Ses origines se trouvent d'abord chez nous. Que le port du voile soit revendiqué par les deuxième et troisième générations de l'immigration devrait nous alerter davantage sur les erreurs d'une politique d'intégration qui a échoué.

M. Bernard Carayon. Très juste !

M. René Couanau. La commission Stasi a justement rappelé l'existence de sept cents quartiers de nos villes accueillant et regroupant de nombreuses nationalités où se cumulent chômage à 40 %, problèmes aigus de scolarisation, signalements des situations précaires trois fois plus nombreux qu'ailleurs et population d'un tiers de moins de vingt ans. Peut-on être assez aveugle pour imaginer qu'une telle situation est étrangère aux tentations de repli identitaire et à la revendication communautaire ?

Cette loi ne viendra pas non plus, mes chers collègues, exorciser les retentissements douloureux du conflit inextinguible du Moyen-Orient, ni les ondes de choc provoquées par les affrontements à travers le monde, ni les peurs nées du sentiment d'incapacité de la communauté internationale à juguler le recours à la loi du plus fort, ni simplement l'attirance de jeunes esprits à la recherche d'idéaux, pour des modèles extrêmes, fussent, comme ailleurs, ceux du terrorisme suicidaire, faute de trouver dans la culture, dans la civilisation et dans la société qui leur sont proposées des modèles convaincants.

M. Serge Janquin. Très juste !

M. René Couanau. Bien sûr, personne n'aura la naïveté d'ignorer, en outre, que des influences occultes, extérieures, ont alors beau jeu d'exploiter cette situation pour satisfaire leur prosélytisme religieux et politique. C'est à notre société et, d'abord, à notre école, premier lieu d'intégration et de promotion, d'ouvrir un nouveau champ de reconquête des valeurs qui fondent notre communauté nationale.

Cette loi sera un signe clair donné ainsi à celles et à ceux - chefs d'établissement, enseignants - qui, dans nos écoles, en viennent quelquefois à douter de leurs missions. Son adoption peut être perçue par eux, qui sont en première ligne, comme un vote de confiance, auquel je vous invite, mes chers collègues. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Serge Janquin.

M. Serge Janquin. Monsieur le ministre, mes chers collègues, quand on a, un jour, l'ambition de siéger dans cette assemblée, on se fait une certaine idée des grandes voix qui s'y sont exprimées sur de grandes causes, une certaine idée de la mission du parlementaire, de la noblesse de cette fonction qui consiste à faire les lois de la République.

Les députés ne sauraient évidemment se résigner à ce que la loi soit - comme le dénonce Renaud Denoix de Saint Marc - « bavarde, précaire, banalisée et utilisée comme moyen d'action politique. » Bien au contraire, ils veulent - nous voulons tous - édifier des lois qui soient fortes, parfaites et majestueuses comme des temples grecs.

Le projet de loi qui nous est soumis est-il à la hauteur de la grande cause qu'il prétend défendre ?

L'impératif de laïcité est la clef de voûte de la construction de notre modèle républicain. Même si nous n'en abordons aujourd'hui qu'un aspect, celui du port d'insignes religieux dans les établissements d'enseignement public, cet aspect est suffisamment constitutif de principes de laïcité pour que nous voulions le conforter par la vigueur de la loi, plutôt que d'exposer les chefs d'établissement et le corps enseignant à régler, dans des conditions difficiles, des comportements dont le sens change et dérive dangereusement, pour passer du libre exercice d'une faculté - cela demeure dans certains cas - à un prosélytisme militant, qui constituerait, à terme, une menace pour la neutralité de l'école et pour l'unité de la République.

Encore faut-il qu'au terme du débat, nous puissions voter une loi conforme aux impératifs rappelés.

Quelles sont les questions auxquelles, compte tenu de l'état de la société, doit répondre le législateur ?

Premièrement, le projet de loi répond-il à la question sociale essentielle de notre temps, celle de l'intégration de toutes les composantes de la société française ?

Deuxièmement, ce projet répond-il à la défense, à la réaffirmation du principe de laïcité ? La laïcité se résume-t-elle à un refus du port d'un signe religieux à l'école et particulièrement - c'est comme cela que tout a débuté - par le port d'un foulard ?

Troisièmement, ce projet permet-il de mieux assurer l'émancipation des femmes de toutes origines, de toutes confessions dans notre société ?

Quatrièmement, ce projet assure-t-il les chefs d'établissement public d'enseignement de références législatives plus claires pour décider ? Est-il utile à la sérénité des établissements, de leur personnel et de leurs élèves ?

Je vais d'abord exprimer mon point de vue sur l'utilité de la loi.

J'aurais préféré, comme beaucoup d'autres, qu'on désigne les signes religieux visibles ou apparents plutôt que des signes portés de manière ostensible. En effet qu'est-ce qui distingue les signes ostentatoires des signes portés de manière ostensible ? Dans les deux formulations, rien ne permet une appréciation objective. Dans les deux cas, toute décision pourra être contestée, le juge saisi, la décision réformée. Cela n'ajoutera rien à la sécurité juridique des décisions prises par les établissements même si on nous oppose les avis négatifs éventuels du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne de justice.

D'abord, les combats qui ne sont pas tentés sont nécessairement perdus.

Ensuite, et surtout, la loi ainsi votée, répondrait aux impératifs de proportionnalité de la réponse de la loi à l'agression subie par l'ordre public et à la limitation des libertés, puisque la loi contient le périmètre de son intervention de deux manières.

D'une part, elle ne concerne que les enfants et les adolescents. A l'âge où se prend la mesure de la relation de l'être avec son univers ; à l'âge où se forment les choix, il convient de protéger la liberté de détermination personnelle. C'est notre tradition et c'est la fierté de l'école émancipatrice.

D'autre part, elle est cantonnée à la porte des établissements, instituant une sorte de périmètre sacré, mais autorisant, dès qu'on en sort, tous les insignes religieux possibles.

Il eût mieux valu aller jusque-là pour être net, clair et efficace. Pour autant, l'intervention de la loi, même dans sa formulation trop pusillanime à mes yeux, organise une sorte de renversement de la preuve, puisque, désormais, par rapport à l'avis rendu par le Conseil d'Etat, le principe sera l'interdiction des insignes religieux.

Au moins, monsieur le ministre, accordez l'évaluation réclamée par Jean Glavany. Chacun voit bien qu'au cœur de la loi se situe la question de la condition de la femme, celle de sa pleine émancipation. La commission Stasi a parfaitement rendu compte des enjeux. Je souscris à ses conclusions.

Je n'y reviendrai pas sauf pour dire que les fondamentalistes, qui cherchent à instrumentaliser les femmes de confession musulmane au nom de la liberté religieuse, ne manquent pas d'audace. Ceux qui plaident pour la liberté de porter le voile là où il ne serait pas autorisé devraient manifester autant d'énergie pour combattre le port obligatoire du voile partout où il est utilisé pour dominer, asservir, dévaloriser la femme.

Dans combien de pays, dans combien de foyers, les femmes sont-elles outragées dans leur dignité...

M. Bernard Carayon. C'est vrai !

M. Serge Janquin. ...saccagées dans leur chair , reléguées dans une sous-condition, confinées dans la dépendance, niées en tant qu'être humain, sans qu'ils s'en émeuvent ?

M. Bernard Carayon. Absolument !

M. Serge Janquin. De ce point de vue, le projet de loi établit un socle des droits de la femme, que nous devons résolument conforter.

Le projet de loi est un élément constitutif de la laïcité Cependant il n'épuise pas le sujet. Qu'en sera-t-il de l'intervention de médecins, de personnels de santé « hommes » qui font l'objet d'un refus ? Qu'en sera-t-il dans les services publics, obligés eux aussi à un principe de neutralité ? Au-delà, quels outils de pédagogie met-on en place pour que le principe de laïcité soit pris en charge et défendu par tous les acteurs de la nation, par tous nos concitoyens ?

Une grande loi sur la laïcité ne permet pas de rester ainsi au milieu du gué.

Nous aurions besoin d'une grande loi sur l'intégration : ici et maintenant, pas en différé, pas par petits bouts. Nous aurions besoin d'une loi contre les discriminations et pour l'égalité des chances qui donne accès à l'exercice complet de la pleine citoyenneté.

Chacun connaît bien toutes les souffrances de notre société. Chacun sait bien que, malgré des politiques publiques qui se sont étoffées, demeurent dans nombre de territoires une misère sociale, une misère culturelle qui génèrent des souffrances dont on n'a pas encore pris complètement la mesure, avec le cortège de dérives de comportement qui en résultent : ce sont ici le délit de faciès à l'entrée de boîte de nuit ; là la discrimination à l'emploi pour couleur de peau ; ailleurs le refus d'accès au logement pour cause de nom à consonance saharienne ou subsaharienne ; ailleurs encore l'accès à l'emploi entravé pour raison d'appartenance à une minorité ethnique, culturelle ou sexuelle.

Combien d'offenses à la dignité de l'homme ou de la femme, au respect de ses choix de vie, à l'égalité des chances pour trouver son épanouissement individuel ne sont-elles pas encore combattues comme il convient ? Combien de lieux de culte, caves ou hangars indigents sont-ils indignes du respect des convictions de l'autre ? Et, même après la mort, combien de nos concitoyens peuvent-ils être inhumés dans des conditions conformes à leurs convictions ?

Oui, monsieur le ministre, nous avions besoin de cette grande loi fondamentale de la République, forte, parfaite et majestueuse comme un temple grec. Le Gouvernement auquel vous appartenez ne l'aura pas permis.

Victor Hugo disait en substance dans cet hémicycle : « Messieurs, tant que vous n'aurez pas vaincu la misère, vous n'aurez pas fait votre devoir. »

Aujourd'hui, en nous inspirant de notre illustre prédécesseur, nous pourrions dire, mes chers collègues : « Tant que nous n'aurons pas rendu à nos concitoyens l'égalité de chances, tant que nous n'aurons pas combattu, pied à pied, les discriminations, toutes les discriminations, pour l'accès au savoir et à la culture, vis-à-vis du logement, pour la formation et l'emploi, pour la reconquête des banlieues et territoires en proie à la déshérence et au désespoir, nous n'aurons pas fait notre devoir. »

Nous aurons voté une loi qui va dans le bon sens, mais qui est encore incertaine dans son application. C'est une loi de respiration courte, et non le souffle hugolien qui eût été nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous propose de suspendre la séance pendant cinq minutes.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt-cinq, est reprise à vingt-trois heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Bernard Carayon.

M. Bernard Carayon. Le projet de loi qui nous est soumis présente trois mérites : il rappelle la primauté de la loi civile sur la loi religieuse ; il répond à une offensive politique de l'islam intégriste ; il fait application d'une valeur occidentale à vocation universelle : l'égalité en droits et en devoirs des individus, quels que soient leur sexe ou leur confession religieuse.

La primauté de la loi civile sur la loi religieuse découle de notre identité judéo-chrétienne. La République l'a consacrée en principe général du droit avant de la constitutionnaliser. Néanmoins de la distinction entre les deux cités de Saint-Augustin à la loi de séparation de 1905, l'inspiration est la même : la religion relève de l'intimité, peut-être du visible, mais sûrement pas de l'ostensible. L'histoire de ce cheminement fut certes chaotique ; reste que l'encyclique Mirari vos de 1832, qui considérait la liberté de conscience et de culte comme « une maxime absurde et erronée » est depuis longtemps tombée en désuétude.

La démocratie est bien née de l'abandon de ce que Jean-François Revel appelle la « néfaste compote » de la religion et de la politique, compote encore plus indigeste lorsqu'elle en vient à régler les menus détails de la vie quotidienne et sociale, à faire du prosélytisme un devoir et à condamner l'apostasie.

Mettre un coup d'arrêt à l'offensive politique de l'intégrisme musulman est une nécessité vitale.

On soulignera au passage qu'il s'agit du dernier intégrisme religieux dans le monde, mais d'un intégrisme avec lequel il serait vain de chercher le moindre accommodement ; d'une conception globale du monde qui ne reconnaît pas de critère de vérité qui lui soit extérieur. Les intégristes revendiquent le pouvoir culturel et politique total. Un accord ne reste pour eux qu'un armistice. L'arrangement local est donc inutile. Ainsi en va t-il des horaires réservés aux femmes dans les piscines ou des régimes spéciaux dans les cantines.

On ne peut composer avec ceux qui érigent la violence, la haine, en particulier la haine antisémite, et la discrimination en règles de droit, donc en principe de vie.

Aussi loin que l'on puisse remonter dans l'histoire de notre civilisation gréco-latine puis judéo-chrétienne, l'égalité de l'homme et de la femme a constitué une référence obligée. Plus tard, le siècle des Lumières a consacré l'égalité en droits et en devoirs des individus ; l'infériorité ontologique de la femme apparaît ainsi étrangère non pas à notre civilisation, mais à la civilisation. Tolérer le voile aujourd'hui, c'est interpréter demain l'excision, la polygamie ou la lapidation comme des faits culturels relevant de l'ethnologie. Nous ne sommes pas ici dans l'ordre juridique, mais bien dans celui de la dignité humaine.

Ce débat souligne évidemment les échecs et les difficultés qu'a connus, sous ses divers avatars, notre politique d'immigration.

Les gouvernements successifs de la France ont privilégié la doctrine de l'intégration. Malheureusement, sous le couvert, louable, du respect de toutes les cultures et de tous les comportements, cette doctrine aura ouvert la voie au différencialisme, à une théologie de la différence, à l'éloge du singulier. Le moyen est ainsi devenu une fin.

Mais la République, ce n'est pas cela. La République, c'est l'assimilation et non pas l'intégration : l'assimilation dans l'adhésion, sans réticence ni résistance, aux valeurs universelles proclamées par la Déclaration de 1789. C'est la nation conçue, selon l'expression célèbre d'Ernest Renan, comme un « vouloir-vivre collectif, une adhésion de tous les instants ». La République, ce n'est pas une négociation permanente entre des particularismes, la tolérance à l'égard de l'intolérable. On ne négocie pas l'essentiel. On ne relativise pas les droits de l'homme. La République, c'est d'abord la paix.

Ce n'est pas un hasard si les intégristes musulmans ont choisi l'école comme terrain de provocations et d'affrontements. Elle est en effet, par excellence, le creuset républicain de l'égalité des chances, le lieu naturel d'éclosion de toutes les modernités et d'apprentissage des émancipations.

Certains voudraient faire croire que ce texte traduit l'islamophobie et l'intolérance de la société française. Cela est d'autant plus inacceptable que ce sont les mêmes qui, de Téhéran ou du Caire, justifient la haine, l'antisémitisme ou les pratiques les plus barbares de la charia.

Ce texte ne mettra certes pas un terme aux violences réelles ou symboliques que nous observons, mais il a le mérite de rassembler les Français autour des valeurs de notre nation : la liberté contre la soumission, l'égalité contre la discrimination, la fraternité contre le conflit. Il ne convaincra pas celles qui ont trouvé dans l'aliénation de leur personnalité leur mode normal d'existence. Cependant si, au moins, ce texte est une bouffée d'espoir pour les femmes qui refusent la violence, l'humiliation et la soumission, alors notre démocratie aura retrouvé, pour celles-là aussi, les couleurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la grande loi républicaine de séparation des Eglises et de l'Etat aura bientôt cent ans. Depuis 1905, le concept de laïcité a d'abord été constitutionnalisé, en 1946, puis en 1958 et la France en a fait un principe essentiel, le principe de base du pacte républicain.

La laïcité repose sur trois fondements : la liberté de conscience, l'égalité en droit des options spirituelles et religieuses et la neutralité du pouvoir politique. Aussi peut-elle être définie comme une philosophie qui se rattache au courant de l'humanisme radical et qui correspond à une certaine vision du monde, en vertu de laquelle l'homme donne la mesure de toute chose, un homme ouvert à la raison et curieux d'explorer l'inconnu.

La laïcité est une philosophie politique qui opère le découplage entre la confession et la citoyenneté ; elle rend le politique autonome, elle le délie de toute transcendance divine. Fondée sur les droits fondamentaux de la personne, elle repose sur la Déclaration de 1789, dans le droit fil des Lumières, rejette le pouvoir absolu des dogmes et fait l'apologie du pluralisme.

La séparation des Eglises et de l'Etat nous est ainsi devenue tout à fait légitime ; c'est un acquis bien intégré à l'arsenal démocratique. Mais n'oublions pas qu'elle est le fruit d'une évolution politique et intellectuelle longue. Néanmoins cette séparation est un affranchissement de la tutelle de l'Eglise qui pesait sur les activités publiques.

Ce mouvement commence dès le Moyen Age avec la critique thomiste de la continuité du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Lorsque, à la Renaissance, l'unité de foi se brisera, l'apprentissage de la pluralité des croyances sera douloureux. Dans ce contexte, l'organisation des rapports dans la société entre le politique et le religieux devient indispensable. La Révolution française permettra de dépasser les clivages du passé.

Ce qui s'observait dans le domaine de la foi va être transposé dans celui des convictions politiques. On accepte, dès lors, la diversité d'opinion qui deviendra un principe fondateur de notre démocratie. La cohésion du corps social se fait sur des valeurs communes, parmi lesquelles le droit imprescriptible à suivre librement sa voie sur le plan spirituel et à faire valoir pacifiquement son opinion sur le gouvernement de la cité.

La grande loi républicaine de 1905 réalise la séparation des églises et de l'Etat.

Parce qu'elle est fondée sur l'égale dignité des personnes et les libertés fondamentales de conscience, de culte, d'opinion, d'expression, elle va plus loin que la tolérance. Si l'une et l'autre reconnaissent la diversité comme une valeur, seule la laïcité pose le principe de l'égalité en ne privilégiant aucun culte.

La loi de 1905 n'est pas une loi antireligieuse, bien au contraire : elle est une loi d'apaisement qui affirme aussi bien la liberté des églises que l'autonomie du politique par rapport au religieux, une loi qui a permis aux « deux France » de se réconcilier et aux différentes religions de cohabiter au sein de l'espace qui leur était assigné. La liberté de conscience suppose la liberté du culte, mais le choix des citoyens en matière de religion ne doit pas peser sur l'organisation de la cité. L'esprit de la loi de séparation peut se résumer en une phrase : la loi doit respecter la foi, mais la foi ne doit pas faire la loi.

Loin de nier le religieux, la laïcité lui donne toute sa place dans la formation des idées, la force des convictions et l'inspiration de l'art. Le principe laïque permet de faire des choix spirituels et, bien loin de combattre la religion, la République y puise. L'idée de progrès, chère aux Lumières et à la gauche radicale, à la gauche républicaine et humaniste, est issue du concept d'espérance, concept chrétien qui puise lui-même ses racines dans l'idée juive du « temps qui va quelque part ».

Ainsi le combat pour la laïcité est un combat pour l'égalité des citoyens, mais aussi un combat pour l'indépendance du pouvoir politique. N'oublions pas le devoir qui est le nôtre, en tant que représentants du peuple souverain : nous devons aux citoyens de toujours faire prévaloir l'intérêt général sur les intérêts particuliers.

Le rappel des implications pratiques de la laïcité permet de mieux comprendre pourquoi l'école se présente comme le terrain privilégié d'une application stricte des règles de neutralité : parce qu'elle est la matrice des valeurs républicaines, l'école doit être tenue à l'écart.

Ainsi la République et les religions ne s'opposent pas quand elles prônent le même idéal de perfectibilité de l'homme et de progrès. En fait, la laïcité constitue un rempart de neutralité absolue destiné à préserver la République de toutes les influences extérieures, qu'elles soient confessionnelles, économiques ou partisanes.

Les pressions religieuses ont trouvé refuge dans la tolérance républicaine. Du fait même de ces tolérances, la question aujourd'hui posée est celle de l'inégalité entre les religions dans l'accès aux facilités ouvertes par la loi. Le principal danger auquel l'école se trouve aujourd'hui exposée réside dans le consentement, donné par la République elle-même, à des discriminations contraires à la devise républicaine. Il faut que l'école redevienne républicaine et la laïcité un militantisme. Nous ne pouvons pas prendre le risque de voir nos enfants s'échapper vers ce que nous voulons combattre : l'intégrisme et le communautarisme.


La question du foulard, en réalité celle de l'ostentation de la foi en milieu scolaire, a révélé l'un des malentendus fondamentaux qui obscurcissent la question de la laïcité. Ce malentendu tient à l'idée fausse selon laquelle la laïcité devrait être modernisée. Il faut certes qu'elle prenne en compte les questions nouvelles telles que la biotechnologie, mais elle ne doit pas les réduire au plus petit dénominateur commun des parties en présence.

C'est notre croyance absolue en l'autonomie du sujet qui seule garantit le respect par nos sociétés des droits imprescriptibles de l'individu. Tolérer une limitation communautariste de ces droits, quand bien même l'individu concerné y consentirait, serait ouvrir une brèche dans les principes républicains. Une chose est de reconnaître la diversité des identités, une autre est de croire que la République pourrait survivre si elle n'était qu'une mosaïque, privée du principe organisateur et pourvoyeur de sens qu'est la laïcité. Il faut réaffirmer avec vigueur que les valeurs universelles sont fédératrices de toutes les identités et que la garantie de l'égalité entre les individus est la laïcité.

Si le projet qui nous est proposé permet de renforcer le principe laïque, nous le soutiendrons. Cependant, nous sommes conscients que le principal obstacle au respect de la laïcité est le communautarisme et qu'il faudra travailler à laïciser les identités pour vaincre ce danger.

La laïcité n'est pas qu'une règle du jeu institutionnel. Elle donne la possibilité de concilier vivre ensemble et pluralisme. Parce qu'aucun droit ne naît d'une appartenance, aucune inégalité de droit entre les communautés, les sexes, les personnes n'est envisageable, même au nom d'une tradition religieuse, il faut réaffirmer avec force que la laïcité est le seul moyen de forger l'unité tout en respectant la diversité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont notre assemblée est saisie aujourd'hui est tout sauf un texte de circonstances.

Rarement, projet aura mûri aussi longtemps, depuis les premières affaires de voile à Creil en 1989, et aura donné lieu à tant d'auditions, d'études et de débats approfondis au sein de notre assemblée - je pense à la mission conduite par notre président Jean-Louis Debré - comme à l'extérieur. A cet égard j'ai à l'esprit les remarquables travaux de la commission Stasi installée par le Président de la République, ou encore ceux de notre collègue François Baroin.

Cette longue période de maturation montre bien la difficulté de l'exercice et les hésitations qu'il a entraînées dans la classe politique, longtemps tentée, reconnaissons-le franchement, de se défausser sur le juge administratif, voire sur le personnel de l'Education nationale.

Le problème tient tout entier dans cette question : comment préserver le principe de laïcité consubstantiel à notre République, laïque et indivisible aux termes mêmes de l'article 1er de notre constitution, alors qu'en moins d'une génération, l'islam a fait irruption dans la société française et est devenu la deuxième religion du pays, et qu'une petite partie des musulmans de France revendique de plus en plus ouvertement non pas seulement le droit d'exercer librement cette religion, mais celui de modifier les règles, voire les principes fondamentaux du pacte républicain pour se conformer à leur lecture de la foi islamique ?

Comment, alors même que la communauté musulmane de France souffre de ne pouvoir s'intégrer, éviter que, à ce qui est souvent vécu au quotidien comme une discrimination sociale ou économique, ne s'ajoute la perception d'une discrimination juridique supplémentaire sous la forme d'une loi, vécue comme « anti-voile ». Comment éviter que, au lieu de résoudre un problème, on en crée un autre plus vaste encore ?

Comment faire en sorte que cette loi soit suffisamment large, de façon à englober tous les cultes au nom du principe d'égalité, et éviter ainsi l'écueil de l'islamophobie, mais aussi qu'elle distingue dans son application entre la libre pratique de la religion et l'utilisation politique de celle-ci ?

Sur la nécessité de légiférer, un consensus quasi général existe désormais non seulement au sein de l'exécutif mais aussi sur la quasi-totalité des bancs de notre assemblée, tant sont patentes les dérives souvent graves qui n'ont cessé de se multiplier au cours de ces dernières années au sein de notre société : à l'école, à l'hôpital, dans les services publics, sur les lieux de travail. Les travaux de la commission Stasi ont révélé l'ampleur du problème au point que le président de cette commission, qui ne passe pas pour un extrémiste, n'a pas hésité à écrire : « Il faut être lucide : oui, des groupes extrémistes sont à l'œuvre pour tester la résistance de la République et pour pousser certains jeunes à rejeter la France et ses valeurs. »

Les exemples sont malheureusement légion, qu'il s'agisse de la violence antisémite verbale ou physique dans les écoles, laquelle m'avait amené, il y a un an à vous proposer un texte que vous avez bien voulu voter à l'unanimité, sur les violences antisémites ; de l'impossibilité dans certaines classes d'enseigner telle ou telle partie des programmes ; des revendications visant à séparer filles et garçons en classe de gymnastique ou à la piscine ; des violences parfois terribles - je pense à Sohane, cette jeune femme brûlée vive - contre de jeunes françaises qui refusent de porter le voile, sans parler du refus de certaines femmes de se faire soigner par un médecin de sexe masculin ; ou de l'exigence du port du voile dans tel service public.

Hélas, mes chers collègues, indivisible et laïque, la République, force est de le constater, l'est de moins en moins au quotidien, notamment dans ce qu'il est convenu d'appeler les quartiers, cette forme de ghettos à la française que nous avons nous-même créés depuis trente ans.

Si le consensus existe désormais sur la nécessité de sortir des hésitations de la jurisprudence, de protéger d'abord l'école et d'y soulager les équipes enseignantes d'une responsabilité qu'elles ne peuvent plus assumer, faute d'un cadre législatif précis, ce consensus est malheureusement, moins net, comme l'a montré, aujourd'hui même, le débat entre Alain Juppé et Laurent Fabius, sur ce que doit être le texte de la loi.

Pourquoi cacher que j'aurais, moi aussi, préféré un texte plus fort, plus clair, retenant l'adjectif « visible » comme le préconisait la mission Debré, plutôt que l'adverbe « ostensiblement », sujet à moult interprétations.

Mme Claude Darciaux. Très bien !

M. Pierre Lellouche. J'aurais préféré aussi que le texte ne soit pas davantage affaibli par l'adoption de l'amendement n° 8, déjà voté par la commission des lois, qui introduit une sorte de procédure de concertation préalable avec l'intéressé avant la mise en œuvre de sanctions. Si l'objectif d'un tel amendement est sans doute louable, je crains qu'il ne serve de prétexte à de multiples provocations. La netteté de la loi laissant place à un espace permanent de négociations, ce dispositif, on peut le craindre, affaiblira l'efficacité des sanctions dont je rappelle d'ailleurs qu'elles ne sont pas prévues dans le texte.

Comme l'ont souligné plusieurs intervenants tant de la majorité que de l'opposition, ce texte se veut être une loi d'apaisement et non de combat, un bouclier, plutôt qu'un couperet. Approche louable, là encore, délibérément éloignée de l'esprit anticlérical initial de la loi de 1905, précisément parce que tous, nous souhaitons ici éviter le piège fatal de l'ostracisme à l'encontre de telle ou telle communauté. Je veux croire que cette approche sera suffisante.

Cela étant, certaines réactions, notamment à l'étranger, dans le monde arabo-musulman, sans parler de déclarations ici même en France, laissent craindre que le dispositif retenu ne fasse rapidement les preuves de ses limites, notamment face à ceux qui dénient purement et simplement à la République française le droit de légiférer sur le sujet.

A titre d'exemple, je citerai un texte publié hier dans un quotidien national sous la plume de Hani Ramadan, frère du très médiatique Tariq et directeur du Centre islamique de Genève, déjà connu pour ses positions sur la lapidation des femmes. Il écrit ceci : « Dans les pays musulmans, des millions de femmes sortent voilées, elles ne le font nullement par ostentation mais uniquement pour obéir à une injonction divine. » Au nom du « respect de la femme », poursuit-il, il est donc hors de question de « la mettre de force sous la tutelle d'une quelconque loi. » Cela signifie que la souveraineté d'un Etat laïque et républicain s'arrête là où commence la charia.

Il y a mieux encore : en même temps qu'il veut exporter le droit islamique, sorte d'extraterritorialité de la charia, M. Ramadan entend nous imposer sa définition de la morale. Le sexe bien sûr est au cœur de ce choc des civilisations ou plutôt des morales. Jugez en plutôt : « ... et si l'avilissement de la femme résidait plutôt dans la prostitution que la République autorise ? Ou dans l'exploitation dégradante de son corps livré aux appétits malsains d'une horde d'hommes qui consomment à fortes doses, sur grand écran ou dans des lits de hasard, les femmes dites libérées ? L'islam est la religion de la pudeur. La femme en islam a une valeur inestimable. Elle est la perle qui illumine le foyer et la société. Une perle que l'on protège dans un écrin de velours, et que l'on tient à l'abri des privautés. C'est une autre philosophie, une autre façon de voir les choses. Difficilement compréhensible, certes, pour des communautés déchristianisées qui considèrent qu'il est parfaitement normal de multiplier les partenaires. Un peu comme l'on se passe une pièce de cent sous ».

Et M. Ramadan de conclure : « En islam, l'être humain n'est réellement libre, homme ou femme, qu 'à partir du moment où il se soumet entièrement à Dieu et à Dieu seul.»

Oui, décidément il est grand temps de légiférer ! Non contre l'islam, et encore moins contre l'immense majorité des Français de confession musulmane qui ne revendiquent que le droit à l'indifférence et à l'égalité des chances, mais contre l'islamisme politique. Ayons cependant conscience que cette loi nécessaire n'est pas suffisante et que le combat sur ce terrain ne fait que commencer.

Prenons notamment conscience du fait que le monde musulman est traversé, depuis le double choc de 1979 - révolution khomeyniste et première guerre d'Afghanistan - par une formidable montée de l'intégrisme dont les effets se font ressentir dans tous les pays musulmans modérés ou non, et, bien sûr, dans les communautés installées en Occident, y compris chez nous. Le terreau est là, produit de la ségrégation urbaine et des écarts scolaires et sociaux. La cible aussi, notamment parmi les jeunes en quête de repères et d'identité.

Dans un tel contexte international qui, soyons lucides, est appelé à perdurer, cette loi n'est qu'une première étape. Pour qu'elle soit franchie avec succès, il faut que plusieurs conditions soient réunies.

Il faut d'abord qu'elle soit votée dans un consensus bi-partisan le plus large possible ; qu'elle soit appliquée sans faiblesse, ni procrastination : faut-il rappeler que le voile est interdit en Tunisie et en Turquie ?

Il est également indispensable que loin de donner l'impression de céder face aux pressions étrangères, nous donnions au contraire un signe d'espoir à toutes ces femmes, à toutes ces démocrates, qui, au sein du monde arabo-musulman, se battent pour la démocratie et l'égalité.

Il convient encore que les institutions représentatives du culte musulman de France, récemment mises en place par le ministre de l'intérieur, prennent clairement position pour la loi de la République et contre l'intégrisme.

Au-delà, il faut absolument que l'égalité des chances devienne une réalité dans notre pays et que, à l'école en particulier, l'intégration devienne le maître-mot. Lors de ma première élection, il y a onze ans, et de ma première intervention devant cette assemblée, j'avais proposé quatre mesures qui me paraissent essentielles et qui ne coûteraient pas un centime au budget de l'éducation nationale : qu'un drapeau français soit placé dans chaque salle de classe de chaque école de la République ; ...

M. Jérôme Rivière. Très bien !

M. Pierre Lellouche. ...que l'hymne national soit appris et maîtrisé par les enfants ; que l'uniforme ou la blouse, que certains d'entre nous ont porté pendant leur enfance, redevienne la règle pour tous les enfants, quelle que soit leur condition sociale ou leur couleur de peau ; ...

M. Jean-Pierre Blazy. Ce n'est pas une bonne idée.

M. Pierre Lellouche. ...que chaque journée commence par quinze minutes d'éducation civique.

Ces propositions, à l'époque, avaient fait sourire. Aujourd'hui, elles compléteraient heureusement les mesures que nous nous apprêtons à introduire dans notre droit.

L'affaire du voile a été l'occasion pour une majorité de Français de prendre conscience que l'islam était devenu, en une génération à peine, la deuxième religion du pays. Cependant ces mêmes Français qui légifèrent sur le voile, ignorent - parce que la loi l'interdit - ce que sera la composition ethnique et religieuse de notre pays dans vingt ans. Le seul fait de poser une telle question en France relève du tabou, voire de l'offense ! Pourtant, les autres grandes nations démocratiques, terres d'immigration comme nous, affirment toutes, sans problème, le droit de recenser avec précision leur population à partir de critères ethniques ou religieux, ce qui permet de mieux assurer l'intégration de telle ou telle minorité, sans avoir besoin d'interdire le voile...

Par un curieux paradoxe, hérité de nos principes révolutionnaires, nous voici interdisant le voile mais refusant, par une sorte de cécité volontaire, de connaître la composition même du peuple français, aujourd'hui comme demain. Un voile peut donc en cacher un autre. Mais est-ce vraiment raisonnable ? Et combien de temps cela durera-t-il ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. Monsieur le président, à l'occasion d'un débat comme celui-ci, je comprends combien la fonction que vous occupez est un véritable sacerdoce ! Je suis émue par votre sérénité.

M. Xavier de Roux. Pas mal ! (Sourires.)

M. le président. C'est moi qui suis touché de susciter, pour une fois, votre émotion ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira. Elle est immense.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis huit mois, la laïcité a envahi tout le champ du débat public, au point de laisser progresser sournoisement l'insécurité sociale et prospérer des manigances et des machinations contre notre système de protection sociale, de même qu'il y a deux ans, le thème de l'insécurité avait saturé la campagne présidentielle, au point de répandre l'idée que la France ressemblait au Chicago des années 30. Nous savons ce qu'il nous en a coûté.

Depuis huit mois, donc, nous entendons dire que la République a le dos au mur, que la laïcité est en péril extrême, menacée par des intégristes religieux dissimulés, selon les statistiques du ministère de l'éducation nationale, derrière un millier d'adolescentes. Oui, le fondamentalisme menace, mais celui de toutes les religions.

Tous les foulards ne sont pas une déclaration de guerre à la République. Ils peuvent aussi être un défi lancé à l'invisibilité institutionnelle de populations refoulées à la périphérie des villes de France. Ils sont parfois aussi l'expression d'une identité culturelle réduite à une exhibition de croyances. Ce rétrécissement progresse au rythme où les pouvoirs publics désertent les territoires de banlieue, abandonnent en friche des territoires de conscience au lieu d'y semer la fraternité et la justice sociale. Il s'opère aussi à l'allure où se démaille le lien social, où les inégalités corrodent le sentiment d'appartenance à la communauté nationale.

Cette loi anti-foulard et consorts ne résume pas la laïcité. D'ailleurs, si la laïcité est un principe constitutionnel inscrit dans la loi fondamentale depuis 1946, aucun document officiel n'en porte définition. La Constitution de la ive République se réfère explicitement à la déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen. Il doit s'agir autant des articles reconnaissant la liberté de religion que de ceux qui consacrent l'autonomie du sujet et l'égalité en droit.

D'ailleurs, faute de définition, dans une joyeuse improvisation, certains déclarent la laïcité intemporelle et universelle, la faisant remonter à la Grèce antique, à Aristote, à Averroès, au xie siècle, à Spinoza, au xviie siècle, au siècle des Lumières et au projet sur l'instruction publique présenté en 1792 par Condorcet devant la Convention. D'autres la font même remonter à Confucius et à Jésus-Christ, comme M. Séguin, en novembre, dont le propos a été abondamment repris ici.

Si l'on retient comme principes essentiels de la laïcité la séparation de la sphère publique de la sphère privée, du spirituel et du temporel, le droit d'exercer sa rationalité sur toutes les formes de spiritualité, avec ou sans Dieu, la libération de l'homme de toutes les aliénations, religieuses, politiques et culturelles, des auteurs éminents comme Jules Ferry, Émile Combes, Aristide Briand, Gambetta et Clemenceau peuvent être cités, ainsi que Mirabeau lui-même pour avoir déclaré que « la religion n'est pas, ne peut être un rapport social ». Plus concrètement, la laïcité, disons-le avec force, est un récit collectif en France.

En outre, si elle est un rempart contre les influences confessionnelles, partisanes et économiques, cette fortification ne saurait souffrir aucune forme d'ouverture, d'abaissement ou d'assouplissement. On a suffisamment répété que ce n'est pas une pensée de combat antireligieux. Il demeure que, dans ce récit historique français, la laïcité s'est forgée contre les cléricalismes, non seulement religieux mais aussi corporatistes, comme en témoigne l'histoire du Comité des forges.

De fait, la pensée laïque regroupe des athées, d'irréductibles libres-penseurs, ainsi que des agnostiques et des croyants. En effet la laïcité ne bannit pas les inspirations idéalistes et spiritualistes de l'œuvre publique. Elle n'ignore pas les lourdes interrogations propres à la condition humaine. Elle présume que la spiritualité transcende la foi, comme l'éthique transcende la morale. Si la raison est la voie d'accès privilégiée aux connaissances, elle n'en est pas la seule. Mais les défenseurs de la pensée laïque sont unis dans la conviction que le religieux ne peut avoir d'influence sur la décision publique dans l'élaboration des règles communes.

Cela étant, la religion n'est pas seule en cause. La confiscation des institutions publiques à des fins partisanes par exemple, par le verrouillage des contre-pouvoirs et des entreprises publiques, par l'influence des milieux économiques et financiers sur la décision publique, par l'inégal accès des familles politiques et philosophiques aux grands médias nationaux, sont des atteintes à la laïcité.

Outre les attaques frontales, existent des attaques fourbes et insidieuses. La République est ébréchée par les concessions consenties à diverses revendications dont certaines lui sont franchement hostiles, alors que d'autres ne sont que déraisonnables ou inoffensives : inoffensive, l'adaptation des menus des cantines scolaires ou la tolérance pour les absences les jours de rite ; déraisonnable, l'aménagement des horaires de piscine, mais franchement hostiles les aumôneries installées dans les espaces publics, rarement œcuméniques, donc souvent inégalitaires ; franchement hostiles l'exigence sur le genre du médecin soignant dans les hôpitaux publics, le port du voile dans un contexte de rapport de forces manifeste, mais aussi la charge du Vatican, si fortement relayée lors de l'élaboration du projet de convention de l'Union européenne, la présence officielle, en de multiples circonstances, d'un ministre dans un lieu de culte et un calendrier civil truffé de fêtes religieuses d'un seul culte.

Oui, la fermeté et la vigilance sur les principes de la laïcité s'imposent, mais fermeté et vigilance égales contre toutes les injustices, contre toutes les les inégalités, leurs sources et les blessures profondes qu'elles ont créées. A cet égard, l'un des mérites de ce débat est de nous renvoyer au statut de la femme, qu'il s'agisse du mariage, de la filiation, de la gestion du patrimoine, de ses droits au travail, bref, de son libre arbitre en tant que personne autonome et sujet de droit.

Les chiffres sont éloquents : les femmes ne participent que pour 10 % à la décision politique et pour moins de 4 % à la décision économique. A compétence égale, leur salaire moyen est de 27 % inférieur à celui des hommes. Elles constituent 80 % des plus pauvres et les deux tiers des bataillons de salariés en contrats précaires ou à temps partiel. Dans notre pays, elles ne votent que depuis à peine un demi-siècle et subissent de plein fouet les violences conjugales domestiques, inceste inclus. Il y a à peine vingt-cinq ans, elles devaient obtenir l'autorisation de leur mari pour gérer leur patrimoine et sortir du territoire.

Voilà qui interroge la citoyenneté au regard de la lutte contre les discriminations et qui interroge la République sur ses obligations constitutionnelles de protection de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de sexe et de religion. La laïcité, c'est aussi l'égalité des chances et l'égalité des droits. Elle est niée lorsque, chaque fois qu'il s'agit ici de dire ce qui convient aux femmes, les hommes sont beaucoup plus nombreux.

Ce débat nous renvoie également à notre réaction face aux démonstrations religieuses, à notre rapport à la spiritualité et à la libre conscience, à notre gêne face à un exhibitionnisme religieux dont nous n'avons plus l'habitude et à notre angoisse sur des questions existentielle, tels l'accompagnement en fin de vie et le droit de mourir dans la dignité.

Notre responsabilité en matière d'éducation est grande. Elle relève des pouvoirs publics, mais elle est aussi dispensée par la société civile, notamment au travers des écoles confessionnelles. Or les fermes mesures de cette loi ne s'y appliqueront pas. C'est une façon étrange d'adoucir la rigueur de ce texte. Alors qu'on avait envisagé, dans un premier temps, d'en écarter les régimes d'exception, cette loi s'appliquera aux départements d'Alsace, de Moselle, de Guyane, qui sont encore sous régime concordataire, et au reste de l'outre-mer. Nous verrons ce qu'il en sera à Mayotte, où la population est à 90 % musulmane et où la justice est partiellement rendue par les kadis.

Cette discussion nous renvoie aussi à l'histoire coloniale de la France, à la non-représentation institutionnelle de sa diversité culturelle et aux formes de protestation contre cette invisibilité institutionnelle. Elle nous renvoie enfin au débat faussé sur l'intégration qui concerne, la plupart du temps, de jeunes Français qui n'ont aucun pays de rechange.

La laïcité est sans nul doute en péril. Mais c'est un combat permanent, non une tolérance. L'école, lieu cardinal où l'on se prépare à la citoyenneté, ne se satisfait plus des schémas classiques et des débats artificiels.

Il reste à dire et à décliner les missions de l'éducation. L'école est le lieu où l'on peut acquérir les moyens de s'affranchir des transcendances religieuses, des prédestinations politiques, des déterminismes économiques, sociaux, ethniques. L'école n'est ni un lieu de tolérance molle ni un lieu d'intolérance. Sans éducation à l'altérité, la laïcité n'est que chimère.

Oui, la République française est bien laïque. Elle appartient aux agnostiques, aux athées, aux chrétiens, aux juifs, aux musulmans. J'ai délibérément choisi l'ordre alphabétique et j'ai feint d'oublier les animistes, mais la liberté de conscience et la liberté de croyance sont des promesses de la République.

La France est aussi une République sociale qui ne peut se sentir quitte des inégalités qui se creusent, des injustices qui s'élargissent, de la rage qui fouille son sillon dans le cœur d'une partie de ses enfants. L'égalité et la fraternité sont également des promesses de la République.

Il revient donc à la première collectivité de la République, le Gouvernement, de veiller, par des politiques publiques efficaces de reconquête des territoires de banlieue et des territoires de conscience provisoirement perdus, au respect des promesses de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'exposé des motifs du projet de loi indique que « l'application du principe de laïcité se heurte à des difficultés nouvelles et grandissantes qui ont suscité un large débat ces derniers mois dans la société française ».

La commission Stasi avait la conviction d'avoir contribué à lancer un débat de fond dans notre pays mais, comme l'a dit un peu cruellement l'un de ses membres, « la montagne a accouché d'une souris ». Un projet de loi qui se limite quasiment à interdire le port du voile à l'école est très réducteur.

Je reste persuadé que la voie réglementaire aurait suffit à résoudre la question du voile mais, surtout, je pense, à l'instar de René Rémond, membre de cette commission, que le voile n'était pas le problème central. Le vrai défi est celui de l'intégration sociale et professionnelle. Le débat de fond a révélé non seulement l'échec de l'application intelligente de la laïcité, mais aussi celui de notre politique d'intégration. Nous ne résoudrons pas ces problèmes cruciaux avec trois articles de loi.

Fallait-il une loi pour quelques centaines d'élèves, stigmatisant ainsi toute une partie de la population, au risque de renforcer ce communautarisme tant redouté ?

Vous voulez conjurer nos absences, nos erreurs, nos insuffisances par une loi de circonstances qui, automatiquement, en annonce d'autres. Déjà, vous prévoyez un projet de loi pour faire respecter la laïcité dans les hôpitaux. Après le ministre de l'éducation nationale, nous devrions dont voir bientôt le ministre de la santé nous proposer un texte pour les hôpitaux publics. Pourquoi rien n'est-il prévu pour la fonction publique ? Que ferez-vous le jour où nos élèves arboreront, par provocation, des sigles politiques ou syndicaux ?

Pourquoi une loi, alors que nos textes constitutionnels, législatifs et réglementaires permettent de trouver des solutions adaptées à des situations qui contreviendraient au principe de laïcité dans notre système scolaire ? La loi ne doit pas servir de piqûre de rappel chaque fois qu'une loi n'est pas respectée. Si une loi n'est pas appliquée, c'est par manque de volonté politique ou d'autorité. Est-il, en effet, normal, monsieur le ministre, que, dans certains collèges ou lycées, professeurs et chefs d'établissement tolèrent depuis des années le port de la casquette par des garçons dans les classes ou tout autre comportement désinvolte, voire irrespectueux ?

Pour avoir, pendant dix-huit ans, été chargé de l'enseignement et de la formation dans ma commune, je peux témoigner que les règlements intérieurs des écoles, collèges et lycées sont toujours respectés par les élèves et par les parents. Pourquoi ne pas imposer dans tous les règlements qui ne le prévoiraient pas une disposition interdisant les signes ostensibles à caractère religieux ? Une circulaire, précise, celle-là, aurait suffit à régler le problème en douceur. Je suis d'ailleurs surpris, monsieur le ministre, que, dans l'exposé des motifs de votre projet de loi, vous ne prévoyez pas d'adaptater les règlements intérieurs des écoles, visant seulement ceux des collèges et des lycées.

« La mise en œuvre de la loi devra également être assurée en usant du dialogue et de la concertation, et en recourant à une démarche fondée sur l'explication et la persuasion, soucieuse de faire partager aux élèves les valeurs de l'école républicaine », explique encore l'exposé des motifs. Fort bien, monsieur le ministre, mais où sont les parents dans tout cela ? Ils ont pourtant un rôle essentiel à jouer. Il leur appartient de signer les règlements intérieurs. Ce sont eux qui sont délégués de classe dans les collèges et lycées. Ce sont eux ou, en tout cas, leurs représentants, qui sont de droit membres des conseils d'école ou des conseils d'administration des collèges ou des lycées. Ce sont aussi eux, ou leurs représentants, qui participent aux conseils de discipline.

En tant que maire et président d'une communauté de communes, j'ai prévu, dans le règlement intérieur de ces collectivités, une disposition relative à la tenue vestimentaire qui est respectée, acceptée par tous, sans drames ni crispation. Il n'est donc nul besoin d'une loi pour faire respecter la laïcité dans la fonction publique, qu'elle soit territoriale ou nationale, dès lors qu'il y a explication, dialogue, volonté politique et courage.

Plutôt que de débattre sur les signes religieux ostensibles, j'aurais préféré, je ne vous le cache pas, que nous prenions le temps de réfléchir à l'ensemble des propositions formulées par la commission Stasi. C'était le moment d'élaborer un projet d'ensemble qui aurait traité toutes les facettes de l'intégration. Il fallait profiter de la réflexion sur la place, sur l'image et sur la connaissance des religions dans notre société, afin de mieux maîtriser une application intelligente de la laïcité. Au lieu de cela, nous avons, une fois de plus, brandi l'étendard de la laïcité menacée, incapables que nous sommes de parvenir à instaurer des relations plus sereines entre la République et les religions.

Nous avons aussi créé un malaise au sein de la communauté musulmane de France et, au-delà, parmi l'ensemble des croyants, quelle que soit leur religion.

Nous avons enfin suscité incompréhension et doute dans tout le monde arabe, celui avec lequel nous avons tissé, tout particulièrement le Président de la République, des liens très forts d'amitié et de fraternité.

Oui, il fallait construire une véritable politique d'intégration, dans le respect des autres et des particularités de nos concitoyens d'origine étrangère, qu'ils soient ou non de nationalité française. Le projet de loi sur l'intégration aurait été l'occasion d'apporter une réponse beaucoup plus large aux problèmes qui ont été soulevés aujourd'hui.

Enfin, nous ne pouvions pas faire l'impasse sur le statut des femmes d'origine étrangère dans notre pays. Nombre d'entre elles nous ont lancé des appels. Or cette loi ne suffira pas, loin s'en faut, à résoudre les difficultés auxquelles elles sont confrontées chaque jour.

En conclusion, monsieur le ministre, je ne peux adhérer à un projet de loi qui ne répond pas aux vraies questions, en particulier à celle de l'intégration. Nous avons raté une belle occasion de nous pencher, avec sérénité, sur la manière dont nous devons aider nos compatriotes à devenir des Français à part entière. Je le regrette.

C'est la raison pour laquelle je ne peux vous suivre sur cette fausse route qui ne conduit pas, à mes yeux, à la promotion d'un mieux vivre dans notre pays.

Mme Christine Boutin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à l'intrusion des symboles religieux à l'intérieur des établissements scolaires, la République se doit d'aujourd'hui d'envoyer un message fort en réaffirmant la primauté de la loi commune sur les revendications identitaires, en réaffirmant notre indéfectible attachement au principe de la laïcité, fondement du pacte républicain.

La laïcité n'est ni dogmatique ni intégriste. Elle est le cadre dans lequel un individu est libre de pratiquer ou non une religion, de croire ou de ne pas croire.

En défendant le droit absolu à la liberté de conscience, à la liberté d'expression et au libre choix, la laïcité participe à la construction d'un humanisme moderne qui donne à chaque femme et à chaque homme un égal accès aux connaissances et aux responsabilités, aux mêmes droits et aux mêmes devoirs.

La place de l'école est, bien évidemment, centrale dans la mise en œuvre concrète de la laïcité. En effet, la liberté de l'homme s'édifie dès l'enfance. L'école laïque, lieu de formation du citoyen, peut seule lui donner les moyens de son émancipation, lui permettre d'acquérir la responsabilité de lui-même dans sa vie personnelle, sociale, civique et de dégager son autonomie et sa liberté, y compris par rapport à son milieu d'origine et à sa famille.

Oui, une loi est aujourd'hui nécessaire, mais évidemment pas pour juger une religion ou une pratique religieuse. En aucun cas il ne doit s'agir ici de montrer du doigt la religion musulmane. Et si nous affirmons que le port du voile par des jeunes filles à l'école est inacceptable, c'est d'abord au nom du principe d'égalité entre hommes et femmes tel qu'il est défini dans la déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen. La laïcité à l'école n'est pas seulement le refus des signes religieux ; elle est aussi celui de tout signe de soumission d'origine sexiste. Lancer ce message à l'école, c'est aussi le lancer à toute la société et enseigner l'humanisme pour mieux préparer l'avenir.

Oui, une loi est aujourd'hui nécessaire, mais pas n'importe laquelle, car, à l'obscurantisme, nous devons avant tout répondre par la clarté.

M. Patrick Roy. Très bien !

M. Marc Dolez. Or force est de constater que le texte proposé par le Gouvernement ne répond pas à cette exigence de clarté.

Faisant référence aux signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse, le projet de loi adopte une formulation trop floue qui ne manquera pas de susciter un contentieux important. L'exposé des motifs précise d'ailleurs que les signes discrets resteront naturellement possibles. Où sera la frontière entre une croix ostensible et une croix discrète ?

M. Patrick Roy. Absolument !

M. Marc Dolez. Dans ces conditions, les chefs d'établissement n'auront pas la sécurité juridique qu'ils réclament et seront confrontés aux mêmes difficultés d'interprétation, aux mêmes contentieux.

La mission que vous avez présidée, monsieur le président, a bien analysé cette difficulté : « Légiférer sur le port des signes religieux à l'école vise à éviter de fabriquer des compromis peu satisfaisants et précaires pour l'application d'un principe aussi fondamental que le principe de laïcité. » La mission a conclu, à la quasi-unanimité, qu'il convenait d'interdire expressément le port visible de tout signe d'appartenance religieuse.

M. Patrick Roy. Elle a eu raison !

M. Marc Dolez. Si nous choisissons de légiférer, c'est bien, en effet, pour être efficaces et résoudre les problèmes posés. Seule une règle claire, égalitaire et applicable permettra d'y parvenir. Sinon, le risque est grand de légiférer pour rien.

Rien ne serait pire aussi que de donner le sentiment de stigmatiser plus particulièrement une religion. Voter une loi de circonstances ne ferait que susciter de nouvelles incompréhensions et accentuer l'exclusion. C'est pourquoi, outre la clarté, il nous faut aussi absolument valoriser et favoriser le dialogue et la médiation. Le but de la loi est non d'exclure mais de faire respecter la neutralité de l'école par l'écoute et le respect.

Une loi est nécessaire, mais non suffisante. En effet la laïcité ne se réduit pas à l'interdiction des signes religieux. Elle est avant tout la protection d'une liberté individuelle fondamentale, la liberté de conscience et l'égalité de chacun, quel que soit son sexe, sa religion, son origine culturelle, la couleur de sa peau.

Faire vivre la laïcité, c'est aussi lutter contre toutes les discriminations. La majorité des jeunes Français issus de l'immigration sont aujourd'hui intégrés dans notre société ; ils en partagent les valeurs, les codes, les références culturelles. Ce qui pose problème, c'est le contraste entre ce qu'ils sont et l'image négative que nous leur renvoyons et qui les fait douter du discours sur l'égalité des chances et sur le pacte républicain. Comment croire qu'une loi interdisant les signes religieux à l'école aussi nécessaire soit-elle -et elle l'est- suffira à leur faire retrouver les valeurs de la République ?

M. Patrick Roy. Très bien !

M. Marc Dolez. Comment ignorer les difficultés qu'ils rencontrent ? A diplôme égal, à niveau social égal, ils ont plus de mal que les autres à se loger, à trouver un emploi, parfois même à se divertir. Les vexations régulières qui leur sont infligées sont à l'origine des provocations d'aujourd'hui. Les contrôles d'identité au faciès, les paroles insultantes et le filtrage raciste à l'entrée des boîtes de nuit ou des centres commerciaux ont peu à peu mais durablement compromis notre pacte républicain et favorisé tous les replis identitaires.

C'est pourquoi la loi dont nous débattons devrait se prolonger par un engagement politique plus ambitieux contre le racisme et toutes les discriminations, notamment sexistes, et s'accompagner d'un véritable effort national d'intégration urbaine et sociale, d'une grande politique de lutte contre toutes les discriminations à l'emploi et au logement, pour redonner ainsi confiance en la République.

Ce débat est l'occasion de réaffirmer avec force -c'est en tout cas la conviction de la gauche- que la République sociale est le prolongement de la République laïque.

Les amendements déposés par le groupe socialiste, qui s'appuient sur les conclusions de la mission Debré, devraient permettre de voter une loi de concorde nationale, pour reprendre l'expression utilisée hier par le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, une loi d'apaisement, une loi utile qui serve à quelque chose. Si tel n'était pas le cas à l'issue de nos débats, ce serait une faute politique lourde de conséquences, une faute que le Gouvernement a encore la possibilité de ne pas commettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin. Je tiens d'abord à remercier le président Debré d'avoir organisé les débats de sorte que tous ceux qui souhaitent s'exprimer puissent le faire. Il est vrai que l'importance de ce texte justifiait des modalités de débat nouvelles. Encore fallait-il les déterminer et les mettre en œuvre. J'espère que cette grande première aura des suites et que le Parlement travaillera de cette manière sur d'autres textes importants.

Pourquoi le cacher ? Je voterai contre ce texte, mes convictions m'interdisant de faire autrement.

Depuis le mois d'octobre, comme beaucoup, je sens monter un débat qui, s'il pouvait au départ sembler sans grande gravité, fragilise aujourd'hui, j'en suis convaincue, notre pacte social. Le rapport que j'ai remis au Premier ministre à l'automne dernier, à sa demande, sur la situation de la cohésion sociale dans notre pays me conduit à affirmer que nous n'avons aucun intérêt, ni les uns ni les autres, à remettre en cause notre loi fondamentale.

L'histoire est ancienne : quelques dizaines de jeunes filles viennent en classe coiffées d'un voile. Les enseignants sont dépassés et appellent légitimement au secours. La réaction du politique est d'abord de ne pas y prendre garde, puis d'émettre une circulaire. Les cas les plus difficiles sont même soumis aux tribunaux qui condamnent et excluent l'élève s'ils estiment qu'il y a prosélytisme. Tout cela est naturellement facteur de passions et de nervosité. Pour régler le problème, des commissions sont créées et une énergie débordante est déployée pour obtenir une très large majorité favorable à un texte de loi. Un accord semble même avoir été conclu avec le parti socialiste qui demande que toute sanction soit précédée par un dialogue, comme si cela n'était déjà pas le cas !

Le projet de loi ne répond pas aux objectifs annoncés ou implicites. Il ne favorisera pas l'émancipation et le respect de la dignité des femmes. Si tel avait été le cas, j'aurais été la première à le voter. En réalité, nous n'avons pas osé dire clairement qu'il s'agissait ici de mettre un coup d'arrêt à l'intégrisme musulman qu'il convient, lui, de condamner.

Nous sommes aujourd'hui dans une situation de confusion extrême qui fragilise l'ensemble de notre société. Certains prétendent que le voile est un signe religieux, d'autres affirment qu'il s'agit d'une instrumentalisation politique des jeunes filles.

Pour ne pas avoir eu le courage d'affronter le mouvement politique extrémiste, on s'est appuyé sur l'interprétation religieuse du port du voile.

Qu'on le sache, avoir pris en otage une religion, la religion musulmane - sans oser la citer -, la stigmatise, bien sûr, mais fragilise aussi l'ensemble du fait religieux dans notre société et, ipso facto, le principe de laïcité à la française.

M. René Dosière. Ne confondez pas religion et intégrisme !

Mme Christine Boutin. C'est notre fierté d'avoir pu, après bien des combats, bien des souffrances et bien des guerres, arriver à cet équilibre exemplaire que l'on nomme la laïcité à la française.

En quoi consiste-t-elle ? Elle repose sur plusieurs fondements : le premier est incontestablement la reconnaissance du fait religieux par la puissance publique, son engagement à ne pas en contrecarrer l'expression, et même à la rendre possible chaque fois que les consciences en feront le choix ; le deuxième est le refus par l'Etat de reconnaître une croyance en particulier et de se déclarer compétent en matière confessionnelle, c'est-à-dire de se prononcer sur la vérité d'une croyance ou d'une foi ; le troisième est l'engagement corollaire des croyants à ne pas troubler l'ordre public et à ne pas se soustraire à ses obligations.

La laïcité à la française est faite de l'acceptation des différences entre ceux qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas.

M. René Dosière. C'est le refus de la loi religieuse.

Mme Christine Boutin. Elle est faite du respect de toutes les religions et de tous les courants philosophiques. Elle participe au sens que nous donnons, nous Français, à « vivre ensemble ».

J'affirme qu'avec ce texte, nous risquons d'attiser en vain, mes chers collègues, les extrémismes de tous bords, j'insiste. Pourtant, notre corpus législatif répond parfaitement à la problématique.

L'article 1er de la Constitution, malheureusement un peu tombé dans l'oubli ces derniers mois, dispose en effet : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » Tout est dit. En y ajoutant la loi de 1905, nous avons tous les textes fondamentaux nécessaires.

Peut-être aurions-nous pu, pour les cas difficiles, et dans le cadre de la décentralisation, donner aux recteurs ou aux inspecteurs d'académie la responsabilité de l'ultime décision quand certains directeurs d'établissement étaient débordés.

Face aux pressions et aux enjeux, il est encore temps de manifester un geste d'apaisement envers toute une population qui vit sur notre territoire et qui se sent montrée du doigt. Renoncer à légiférer et s'appuyer sur notre constitution représenterait un acte de courage politique et républicain. Il s'agit non pas de céder aux menaces des extrémismes politico-religieux, mais de rappeler le sens de la loi, dans toute sa fermeté, en faveur de la paix sociale et de la cohésion nationale.

Il est temps aussi de manifester aux recteurs d'académie, aux directeurs d'établissement et aux enseignants la confiance de la nation dans leur capacité à distinguer le prosélytisme du code vestimentaire.

Mais, pour ma part, mes chers collègues, au-delà du risque de compromettre l'équilibre fragile de notre laïcité à la française, l'exercice législatif - pour ne pas dire la contorsion législative - qui nous est demandé aujourd'hui ne réglera, j'en suis convaincue et c'est pour moi le plus fondamental, aucun des problèmes posés. Il fragilisera notre pacte social mais, surtout, il touchera à une liberté fondamentale qui est le moteur de mon engagement politique, je veux parler de la liberté de conscience et de la liberté d'expression. Depuis près de vingt ans, ici, à l'Assemblée nationale, je me bats en politique pour que mon adversaire puisse exprimer ses idées. Je me bats pour que toutes les religions, tous les courants philosophiques puissent cohabiter. Il s'agit d'un principe élémentaire dans toute démocratie.

Certains vont peut-être trouver que je vais trop loin, mais j'estime que la France, pays des droits de l'homme, ne peut, à moins de se renier, fragiliser ce principe fondamental qu'est la liberté.

M. Émile Blessig et M. Jacques Domergue. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Monsieur le président, à mon tour, je vous remercie pour votre initiative qui permet à l'ensemble des députés qui le souhaitent de s'exprimer sur ce sujet.

M. le président. Un quart des députés qui composent cette assemblée se seront exprimés, ce qui montre bien que chacun avait quelque chose à dire.

M. Philippe Vuilque. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la République, dit-on quelquefois, est bonne fille tant les libertés qu'elle offre peuvent se retourner contre elle si l'on n'y prend pas garde. La République doit en effet réagir toutes les fois que l'on veut abuser des avantages qu'elle procure.

La vie dans notre société démocratique est un équilibre complexe ; elle résulte d'un compromis permanent entre tous les systèmes de valeurs qui doivent pouvoir coexister. Ce lien, cette garantie qu'apporte la République, c'est la laïcité qui les rend possibles. Si demain on estime, d'une part, que la religion seule peut énoncer obligations ou interdits et, d'autre part, que la République n'est là que pour distribuer des droits et des libertés, alors ce compromis et cet équilibre seront rompus.

C'est pourquoi, confrontée à une telle situation, la République se doit de répondre fermement. Ne nous y trompons pas, c'est une offensive des extrémistes de tout poil qui est engagée. Prenons garde à ceux qui, au nom du droit à la différence, se font les apôtres d'une différenciation des droits et rejettent l'universalité des droits de l'homme. La religion devient oppressive lorsqu'elle se confond avec un projet politique.

Le texte de loi qui nous est proposé, amendé utilement par la commission des lois, est encore perfectible, mais il est néanmoins utile pour l'école publique car il fixera les règles du vivre ensemble. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit brillamment et excellemment par Jean-Marc Ayrault.

En ce qui concerne les premiers intéressés, à savoir les collégiens et les lycéens, je suis frappé de constater que le mot « laïcité » ne le leur dit malheureusement plus grand-chose. Peut-être faudrait-il, monsieur le ministre, user de pédagogie et leur en faire découvrir, ou redécouvrir, le sens, d'où l'intérêt d'une charte de la laïcité ou d'une explication spécifique dans les écoles.

Je veux également souligner que, si ce texte est nécessaire, la période pour en discuter n'est pas forcément opportune, et qu'il est très partiel dans la mesure où le principe de laïcité doit se concevoir d'une manière plus large. Il est donc très largement insuffisant face aux discriminations de toutes sortes qui nourrissent les intégrismes et qui mettent en péril la laïcité telle que nous la concevons.

Le choix de la période de discussion me semble affaiblir l'impact et la portée du texte. Est-il judicieux de légiférer sur cette question à la veille d'élections, époque peu propice à la sérénité et au recul nécessaires ? Il va de soi que, pendant ce temps, on évite de parler des sujets qui fâchent, le chômage par exemple ! N'y aurait-il pas quelques arrière-pensées préélectorales ?

M. Jean-Pierre Blazy. Si ! Si !

M. Philippe Vuilque. En tout état de cause, le choix de cette période dessert la cause de la laïcité. Elle peut en revanche servir l'extrême-droite, alliée objective des fondamentalistes de toutes sortes. Le risque existe de catalyser les antagonismes qui s'exacerbent dans notre société, et de diviser plutôt que de rassembler autour des valeurs de la République.

Par ailleurs, ce projet de loi est largement insuffisant. Il manque singulièrement d'envergure car il laisse de côté un des problèmes majeurs de notre société, véritable cancer qui ronge notre pays : les discriminations. Il y a véritablement urgence. Une loi pour interdire les signes religieux à l'école, si utile soit-elle, ne résoudra pas la question de l'intégration. La panne de la société est telle qu'il va falloir se retrousser très sérieusement les manches.

La liste des discriminations est longue, les situations et les pratiques sont connues. Bien sûr, il faut refonder le pacte républicain - on entend cela dans tous les discours - et lutter contre les ghettos urbains, mais, concrètement, si vous êtes aujourd'hui en France une fille ou un fils d'immigrés, si vous vous prénommez par exemple Leïla ou Kamel, quelles sont vos chances d'accéder aux formations et aux emplois qu'autorisent vos compétences ? Quelles sont vos chances de trouver un simple stage en entreprise ?

Les chiffres sont cruels mais révélateurs. Aujourd'hui, un jeune Français issu de l'immigration maghrébine est quatre fois plus souvent au chômage qu'un fils de Français dit de souche. Comment, dans ces conditions, dissuader des jeunes, nés dans une famille de tradition musulmane, de chercher dans l'appartenance religieuse l'identité politique, sociale et professionnelle que la République leur refuse ?

Tant que nous n'aurons pas une politique d'intégration digne de ce nom, assurant la promotion sociale de citoyens discriminés en raison de leur apparence physique, de la couleur de leur peau et des clichés véhiculés par les relents de l'histoire coloniale, nous aurons beau faire la plus belle loi possible sur la laïcité, la société ne guérira pas du mal endémique qui la mine.

Ce n'est pas en nommant un préfet, un recteur et deux secrétaires d'Etat issus de l'immigration qu'on relève le défi posé à la société française. L'utilité de certains gestes symboliques est parfois inversement proportionnelle à leurs effets médiatiques et je ne suis pas certain que les gesticulations et les propos du ministre de l'intérieur fassent beaucoup avancer les choses ni qu'ils clarifient le débat.

Comment peut-on se permettre d'employer les termes de « préfet musulman » ? Curieuse conception de la République pour laquelle, pourtant, il n'y a, depuis 1789, que des citoyens ! Qu'un préfet soit catholique, protestant, juif ou musulman, on s'en fiche ! Cela n'intéresse pas la République ! C'est avant tout un individu nommé pour ses seules compétences, ses vertus et ses talents, pour reprendre les termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les dérapages verbaux de M. Sarkozy - repris à l'envi par les médias - ne servent pas la cause de la laïcité.

Ces polémiques ont au moins le mérite de mettre le doigt sur l'essentiel. Dans la lutte contre les discriminations, notamment raciales, nous ne pouvons plus nous contenter de bonnes intentions ou de demi-mesures. Nous avons besoin d'une politique globale et cohérente, qui se donne les moyens d'inverser la tendance. Certains prônent la mise en place d'une discrimination positive, c'est-à-dire l'édiction de mesures favorables à une catégorie particulièrement marginalisée de la population. Un système de quotas aurait certes le mérite de garantir l'accès de ces populations à différents secteurs de la vie sociale. Ce sont des dispositifs connus et pratiqués, mais ils ne règlent pas le fond du problème. La discrimination positive est une impasse.

Nous avons besoin d'une volonté politique ferme pour changer l'attitude des entrepreneurs, des bailleurs, des tenanciers de bar et de boîte de nuit, bref de la société toute entière, sinon, nos petits problèmes de signes religieux à l'école seront dérisoires par rapport à ce qui nous attend.

Je conclus sur cette phrase d'Antoine de Saint-Exupéry : « Loin de m'indisposer, mon frère, ta différence m'enrichit ». Elle enrichit aussi la République. Puissions-nous collectivement faire nôtre cette très belle formule ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Domergue.

M. Jacques Domergue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'exprime ici en tant que député d'une circonscription où le débat sur le voile a été au cœur de la campagne législative.

Mon adversaire, le maire de Montpellier, avait eu des propos outranciers à l'égard de la communauté musulmane, disant des jeunes filles voilées : « Ce n'est pas grave, elles n'ont que les oreillons ».

Cet excès de langage, volontairement provocateur,...

M. René Dosière. Vous n'avez pas le sens de l'humour !

M. Jacques Domergue. ...n'eut pour conséquence qu'une exacerbation du communautarisme. Il y a quelques années, on aurait souligné le caractère inélégant de la plaisanterie.

M. René Dosière. Oui.

M. Jacques Domergue. Aujourd'hui, cette phrase est vécue comme une provocation : on ne plaisante pas avec les symboles.

J'ai rencontré des femmes voilées. Les plus âgées portent le voile par tradition, sans jamais s'être posé la question de sa signification profonde. Elles le portent comme les religieuses le portaient au couvent ou dans les hôpitaux catholiques. Nous ne pouvons que les respecter, tant le port du voile est naturellement installé dans leur vie quotidienne, sans la moindre provocation.

Certaines le portent ostensiblement. Parfois récemment converties à l'islam par conviction religieuse, parfois pratiquantes ferventes par révolte à l'égard de la France, ces femmes arborent le voile comme la marque de leur différence. Le voile n'est plus le signe religieux des musulmanes de la vieille génération. Il est devenu le symbole de la résistance communautariste d'une minorité qui ne se sent pas intégrée ou qui ne veut pas s'intégrer. Pour user d'une métaphore médicale empruntée au domaine de la transplantation d'organe, je dirai que c'est une véritable « réaction greffon contre hôte », c'est-à-dire le rejet du pays d'accueil, majoritaire, par une minorité transplantée qui ne s'est pas intégrée. La loi pourra fonctionner comme un rappel à l'ordre, mais elle ne sera appliquée que si nous gagnons la bataille de l'intégration.

Certaines, enfin, portent le voile par contrainte. Tel est souvent le cas des jeunes filles, enrôlées par des imams, des pères, des grands frères ou des tuteurs autoritaires, voire dangereux. Le voile devient le prélude aux mariages forcés, aux idées moyenâgeuses d'un islam immature, d'un islam instrumentalisé contre l'Occident et ce qu'il a de plus emblématique : la liberté de la femme. Enrôlées dès leur plus jeune âge, à l'âge scolaire, ces jeunes filles sont victimes de la confiscation de leurs droits les plus élémentaires. Elles ont osé nous le dire. Ce voile symbole est devenu l'instrument de l'aliénation intellectuelle d'une jeunesse en perdition. Le manque de repères de notre société, le manque d'éthique, l'affaiblissement de la cellule familiale, le malaise à l'école sont autant de vecteurs de cet islam refuge.

En France, les femmes ont lutté depuis plusieurs siècles pour être reconnues comme nos égales. Faudrait-il oublier tous ces combats, toutes ces victoires, au nom d'une religion ? En tant que médecin, j'ai été confronté aux problèmes posés par cette discrimination négative. Peut-on admettre qu'une femme refuse de se faire examiner par un médecin pour la seule raison qu'il est un homme ? Chacun est libre de ses opinions, de les exprimer, de les défendre dans les limites du fonctionnement de la société dans laquelle il évolue ; chez nous, dans le respect des principes de laïcité, de notre République et de notre constitution.

Le débat sur le voile est toujours passionnel. En tant que membre de la mission d'information sur les signes religieux à l'école, que vous avez présidée, monsieur le président, je me suis prononcé d'emblée en faveur de la nécessité d'une loi. On doit répondre à un symbole par un symbole. Le voile est devenu le symbole d'un islam prosélyte brandi par une minorité de musulmans. La loi doit se poser en contre-symbole.

Nous ne devons cependant pas oublier que la France est un pays laïque dont les origines judéo-chrétiennes ont marqué et façonné notre histoire. Terre d'asile, terre d'échange, terre des droits de l'homme, la France doit s'affirmer comme une terre d'intégration. La passion des débats sur le voile reflète les difficultés que notre pays rencontre pour intégrer ses enfants de religion musulmane. La loi de 1905 définissant les limites du pouvoir politique et religieux ne suffit pas à régler les problèmes posés par l'islam. Celui-ci s'est invité dans le paysage religieux français à grand bruit, par la voix de ceux qui véhiculent des idées communautaristes. Il ne trouvera sa place qu'en se positionnant de manière consensuelle à coté des autres religions, avec modération et tolérance.

La France n'est pas une confédération de communautés religieuses ou ethniques. L'unité de la nation est inscrite dans notre constitution. Elle est le ciment indispensable à la cohésion du peuple français. Nul ne souhaite revivre les moments les plus noirs de notre histoire. La Saint-Barthélemy et la Shoah restent les moments les plus douloureux ancrés dans nos mémoires. Soit nous serons capables de régler une fois pour toutes le problème de l'intégration de l'islam dans le paysage religieux français, soit nous mettrons en danger notre cohésion nationale.

M. Emile Blessig. Tout à fait !

M. Jacques Domergue. La loi est nécessaire mais elle est difficile à écrire. Mais est-ce parce qu'elle est difficile à écrire qu'il faut la rejeter ? Il faut seulement en prévenir et en éviter les dangers.

Le premier est d'éviter aux religions ancrées dans notre histoire, les religions catholique, protestante, juive, de se sentir menacées par le texte. On aurait pu interdire les signes religieux visibles à l'école, comme le proposent nos collègues socialistes.

M. Patrick Roy. Absolument !

M. René Dosière. Et le président de l'Assemblée nationale !

M. Jacques Domergue. Mais aurait-il fallu pour autant priver nos enfants du port d'une médaille de baptême, de la croix du grand-père, d'une main de Fatima ou d'une étoile de David ?

M. Alain Néri. Ils les mettraient dans la chemise ! C'est tout simple !

M. Jacques Domergue. Notre passé, nos coutumes, nos croyances doivent pouvoir s'exprimer. Ce que l'on veut interdire, c'est le prosélytisme d'un islam dur ou de toute autre religion pratiquée ostensiblement. Il en serait de même pour toute religion émergente. En l'occurrence il est question de l'islam d'une minorité agissante et non de celui que pratiquent en silence la grande majorité des musulmans de France. C'est pourquoi l'adverbe « ostensiblement » a été choisi. En effet ce qui est ostensible, c'est ce qui se voit outrageusement, de manière volontaire et délibérée, avec le souci de faire passer un message, parfois avec agressivité.

M. Patrick Roy. Comment en juger ? Ce sera subjectif !

M. Jacques Domergue. Le groupe UMP nous a laissé la liberté de vote. C'est en notre âme et conscience que nous devrons nous prononcer. Cette liberté de vote, dans un combat pour une liberté religieuse exercée dans le respect du principe de laïcité de notre République, permet à chacun de s'exprimer. Je respecte l'islam de France ; je respecte nos compatriotes musulmans et, parce que je les respecte, je voterai ce texte.

Je vous invite, pour conclure, à méditer ce précepte : « Si tu veux savoir si un comportement individuel est valable, étends-le aux dimensions de la société. » Ce précepte est parfaitement applicable au débat sur le voile. Vous pourriez croire qu'il a été écrit par l'un de nos penseurs, Descartes ou Rousseau. Ne vous y trompez pas : il a été écrit par Mahomet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant toutes mes années au lycée, dans des établissements publics, en Charente et à Paris, j'ai milité activement, en tant que chrétien, à la Jeunesse étudiante chrétienne et au Mouvement de la jeunesse socialiste.

M. René Dosière. Très bien !

M. Jérôme Lambert. Autour de moi, d'autres militants, dans des formations politiques, remettaient radicalement en cause notre système politique démocratique et certains de ceux-là, qui siègent aujourd'hui sur les bancs de notre assemblée, s'en souviendront comme moi. Parfois, des affrontements violents nous opposaient, au-delà des mots, quand des organisations extrémistes, tels le Betar, pour le mouvement sioniste, et le GUD, pour l'extrême droite, venait faire une descente dans mon lycée afin d'en chasser les militants du comité Palestine ou ceux d'extrême gauche. A la différence d'aujourd'hui, de tels événements, parfois graves, ne faisaient pas la une des médias. L'expression de ses idées, par voie de tracts, d'affiches, de réunions dans l'enceinte des établissements, était admise. L'administration n'intervenait que pour régler d'éventuels conflits majeurs quand des violences étaient exercées, au risque, pour ceux qui les généraient, de subir les foudres du conseil de discipline et une éventuelle exclusion.

Jamais, ayant vécu tout cela, et survécu (Sourires), ayant mené des mouvements lycéens à travers des actions de revendications et de grèves, je n'ai eu le sentiment que mon action militante, dans le cadre de mon lycée, avait pu être une atteinte à la laïcité et aurait pu mettre en cause les principes fondateurs de la République.

Cette école qui nous prodiguait un enseignement laïque, c'est-à-dire neutre, était un formidable creuset d'idées, de courants de pensée qui animaient la société et elle nous préparait à devenir des citoyens. Ceux de ma génération qui siègent aujourd'hui sur tous les bancs de notre assemblée n'ont pas été traumatisés par elle, pas plus qu'ils n'en sont sortis endoctrinés.

Alors, aujourd'hui, les fondements de notre République sont-ils remis en cause par quelques dizaines voire quelques centaines de jeunes filles qui se présentent la tête couverte d'un foulard dans nos établissements scolaires afin d'y manifester des convictions ? Sont-elles à ce point plus dangereuses que les militants que nous avons été dans nos lycées ? Je ne crois pas qu'elles puissent faire vaciller la République.

En revanche je pense que ces jeunes manifestent un profond malaise quant à leur devenir dans la société française. Le communautarisme, que traduisent ces comportements, est devenu pour certains la seule voie permettant d'être encore reconnu comme appartenant à un groupe humain, quand la société ne représente à leurs yeux et dans la réalité que rejet et exclusion de leur identité de fils et de filles d'immigrés arabes. Le problème vient de là.

Enlever le voile, qui n'avait pas, la plupart du temps, été porté par leurs mères, ne poserait sans doute aucun problème à des jeunes intégrées. Mais exiger de toutes que ce signe visible d'intégration soit librement accepté, alors que la réalité vécue est toute autre pour certaines d'entre elles, représente une sorte de difficulté qui, je le crains, sera exploitée par les milieux les plus extrémistes.

Force restera certainement à la loi, mais à quel prix ? Devrons-nous exclure, même après avoir dialogué, de l'enseignement public et laïque des dizaines de jeunes filles - parfois âgées de moins de seize ans, alors que la loi oblige à ce qu'elles soient scolarisées - et quel avenir pourrons-nous alors leur promettre ?

J'ai vraiment le sentiment, malheureux, que jamais nous n'aurions dû commencer par cette loi qui va toucher quelques milliers de personnes, et que nous aurions bien mieux fait de nous intéresser vraiment au sort de millions de personnes qui vivent dans des conditions d'exclusion, aux portes de notre société, et qui génèrent en leur sein ces comportements communautaristes bien problématiques, mais aussi compréhensibles.

Aujourd'hui, à tort ou à raison, mais souvent à raison, la population concernée ou qui se sent concernée par la loi que nous allons voter, comprend non pas des juifs ou des chrétiens parfaitement intégrés à la société, mais des personnes en grande difficulté sociale, coupées de leurs racines culturelles et difficilement acceptées par la société française, il faut le reconnaître.

C'est pourquoi j'ai le sentiment que cette loi-là n'était pas la réponse adéquate au désarroi exprimé par ces Français qui pratiquent certains rites culturels ou religieux que, bien souvent, nous connaissons fort mal. Voter cette loi, en l'état ou presque, ne résoudra aucun problème. Ceux qui veulent provoquer les réactions médiatiques en menant des actions provocatrices ne s'embarrasseront pas plus de la loi qu'ils ne s'embarrassaient des règlements intérieurs. Le résultat qu'ils recherchent par la provocation sera toujours atteint, et les victimes seront toujours des jeunes filles instrumentalisées. La loi n'y changera rien.

Qui plus est, demain, à travers les problèmes posés par son application, les différentes interprétations de ce qui est ostensiblement visible ou provocateur et les conditions requises ou non d'un véritable dialogue, la démonstration pourra être faite que la loi de la République peut être contournée, contestée, bafouée peut-être. Nous qui voulons un renforcement des valeurs de notre République à travers l'affirmation de la loi, nous risquons bel et bien que se développe une démonstration contraire qui ne nous servira évidemment pas.

Néanmoins dans la situation dans laquelle ce débat nous place, ne pas voter une loi poserait d'autres problèmes. Comme le Gouvernement a généré un bras de fer avec des mouvements pour lesquels nous ne pouvons avoir la moindre sympathie, mouvements qui manifestent dans la rue et s'organisent un peu mieux encore en réseaux, ne pas voter une loi donnerait le sentiment d'une victoire immédiate de leurs thèses, lesquelles remettent en cause des principes fondamentaux de notre société républicaine et démocratique.

Aussi n'avons-nous pas vraiment le choix. Toutefois quand, quoi qu'on fasse, on a le sentiment de ne pas faire exactement ce qu'il faut, on peut supposer que le problème n'a pas été bien abordé.

Certains ont mis en avant la situation des femmes auxquelles des hommes - pères, frères ou maris - imposeraient le port d'un foulard. La situation de certaines femmes de religion ou de culture musulmane n'est pas toujours éloignée de celles de cultures et de milieux différents. Les 10 % de femmes battues ou violentées que compte notre pays ne sont pas toutes musulmanes.

Même si nous devons considérer toutes les situations, y compris celle des femmes issues de l'immigration, afin de régler tous les problèmes, nous devons éviter de stigmatiser systématiquement les musulmans qui n'ont pas l'apanage des mauvais traitements. Beaucoup d'entre eux vivent parfaitement leur foi en harmonie avec leur milieu familial et social. Mon épouse étant musulmane, je peux en témoigner.

Les brutes peuvent être musulmanes, chrétiennes ou athées. Personne n'a l'apanage de la bêtise et du sexisme. Nous devons les combattre partout. Parfois, c'est vrai, leur violence prend la forme du voile ; parfois, elle est très différente. Cela ne signifie pas que le foulard porté par une femme soit toujours une violence. De nombreuses pratiques religieuses ou culturelles l'ont plus ou moins prôné. Je me souviens que ma grand-mère ne sortait pas sans mettre un foulard, il y a encore quelques dizaines d'années. On me répondra qu'il y a foulard et foulard. Mais évitons les amalgames et n'avivons pas certains sentiments anti-musulmans malheureusement véhiculés par les discours de l'extrême droite dans notre pays.

Mon vote rejoindra celui du groupe socialiste. La loi sera votée, mais tout restera à faire sur le terrain. Lutter contre le communautarisme nécessite la mise en œuvre d'une politique d'insertion sociale et donc d'insertion par le travail. Ceux qui se replient dans le communautarisme sont bien souvent des jeunes privés d'emploi et de perspectives, malgré la dure vie de labeur de leurs parents. Devons-nous alors nous étonner des conséquences de cette situation ? Nous aurions plutôt raison de nous en inquiéter. C'est la conséquence de dizaines d'années de difficultés grandissantes. Les bonnes réponses sont d'ouvrir le marché du travail, de faire disparaître les ghettos et d'améliorer les conditions de formation.

Voter une loi aussi restrictive dans les conditions politiques actuelles serait dangereux et risquerait de ne pas rassembler toute la communauté française et de profiter encore un peu plus aux provocateurs de tout bord qui ne cherchent que cela.

J'aurais souhaité que le Gouvernement et le Président de la République, pour une fois, ne se contentent pas d'un coup politique et de la recherche d'un consensus à l'Assemblée, mais qu'ils prennent la dimension des problèmes posés par de nombreux Français pour y apporter des solutions durables, seules de nature à lutter contre tous les extrémismes qui minent la République en éloignant de plus en plus les Français les uns des autres.

C'est dans le rassemblement de tous, dans nos diversités culturelles fondues dans la communauté française, que la France de demain doit se construire. Elle ne pourra y parvenir dans l'ignorance des uns envers les autres et encore moins les uns contre les autres.

Telle est la vraie responsabilité que nous devons exercer à l'occasion de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gabriel Biancheri. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gabriel Biancheri.

M. Gabriel Biancheri. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention sera assez brève.

Ce texte résulte, selon moi, de l'accumulation, depuis bien trop longtemps, de comportements divers nous conduisant de silences en silences, de reculades en reculades, de jurisprudences boiteuses en jurisprudences incomprises du Conseil d'Etat constituent parfois les révélations de situations inimaginables. Il témoigne également de l'application difficile du principe de laïcité.

Enfin, après les manifestations vécues ces derniers jours, il est apparu à nos concitoyens de plus en plus nécessaire et urgent de légiférer. Cette loi doit donc permettre de réaffirmer et, si possible, de faire appliquer le principe de laïcité. Il est, cependant, vrai qu'elle se présente sous forme d'interrogation. Je me contenterai donc d'énumérer, sans classement prioritaire, tout ce qui peut la justifier.

Cette loi, pardonnez-moi l'expression, lève enfin le voile sur un ensemble de vérités et de pratiques dissimulées dans les arcanes de la pratique intégriste. Elle doit donner un coup d'arrêt à l'entrisme politique des religieux. Elle doit aussi mettre fin à l'installation de la loi religieuse à travers ses tabous dans nos lieux publics, en particulier à l'école. Nombre d'entre nous ont énuméré ces tabous, mais il est nécessaire de les rappeler.

Ainsi, la viande de porc n'est-elle plus servie dans beaucoup de cantines. Les programmes scolaires sont amputés. On assiste aussi à la mise en place de lieux de pratique religieuse parallèlement aux cours. Il y a, enfin, la situation inqualifiable et de plus en plus invivable dans nos hôpitaux qui est tout aussi dangereuse qu'à l'école. Nous assistons également à une véritable offensive dans la fonction publique et dans l'entreprise.

Dans ma circonscription, à Romans et à Bourg-de-Péage dans le nord de la Drôme, nous vivons des situations difficiles dans certaines entreprises. Une jeune fille, que rien ne distinguait des autres, travaillait en CDD, mais elle s'est présentée voilée deux jours après avoir obtenu un CDI. A son chef d'entreprise, elle a opposé son « droit à la différence », mais quelle différence ? Un chef d'entreprise confronté à une telle situation n'est pas enclin à de nouvelles embauches. Une telle atitude constitue un frein à l'effort d'intégration.

Selon moi, monsieur le ministre, cette loi doit réaffirmer, voire marteler l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. Je regrette que cela n'apparaisse pas nettement dans le texte que vous nous proposez. Elle est pourtant le fondement de notre société avec un corollaire : la liberté individuelle.

Une loi sur l'école est extrêmement symbolique. Cette dernière est, en effet, le lieu où se transmettent nos valeurs communes, fondatrices de notre République. C'est parce qu'on apprend ces valeurs à l'école que la République peut perdurer.

Cette loi, cela a été souligné, rappelle la séparation entre les connaissances communes et indispensables à toutes et à tous, et les croyances individuelles, multiples et variées dont la laïcité est le meilleur garant.

Cette loi, monsieur le ministre, devra être complétée par des dispositions relatives à la fonction publique, à l'hôpital et à l'entreprise

Cette loi est essentielle dans la valeur de son message, un message de notre République, un message de tous les républicains, un message de portée nationale contre toutes les tentatives de prosélytisme à l'école et d'atteinte à nos valeurs républicaines, un message de soutien à toutes celles qui vivent dans la crainte de porter un jour le voile, un message aussi à tous ceux qui veulent intégrer notre République et son espace de laïcité. Les hommes et les femmes doivent être égaux en droit. La République n'acceptera aucun signe d'infériorité de la femme. C'est fondamental.

Au-delà de l'hexagone, ce message aura une portée universelle. Il apportera l'espoir à toutes celles qui, à travers le monde, sont emmurées dans le silence du voile et qui luttent, parfois au prix de leur vie, pour l'ôter. Il confortera celles qui y sont parvenues, mais pour lesquelles le chemin de l'émancipation est encore bien difficile. Il sera aussi un message de soutien et d'espoir aux pays modérés qui se trouveront ainsi confortés dans leur marche vers la démocratie et la liberté individuelle.

Cette loi va rappeler la séparation du temporel et du spirituelle, la primauté de la loi républicaine sur la loi religieuse et la primauté de la démocratie. C'est l'adhésion à ces principes fondamentaux qui nous permettra d'envisager un avenir commun dans l'apaisement et la sérénité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Claude Darciaux.

Mme Claude Darciaux. Rarement un débat aura autant passionné les Français et les médias et occulté le débat politique, alors que de graves problèmes sociaux perdurent. Il aura aussi divisé l'opinion publique.

Ce projet de loi interdisant les signes ostensibles religieux à l'école aura au moins permis, ce dont nous vous remercions, monsieur le président, à plus de 150 parlementaires de s'exprimer. Je suis toutefois très inquiète des traces qu'il laissera dans notre société.

Cela étant je crois nécessaire aujourd'hui de rappeler les limites du permis et de l'interdit au sein de l'institution scolaire au nom de la dignité des femmes, de la laïcité et de la cohésion sociale. Il est légitime de légiférer pour qu'enfin gagne le droit. Cependant cette disposition législative sur l'interdiction des signes religieux à l'école doit aussi ouvrir un processus général de renforcement de l'intégration et de la laïcité, car ces signes religieux à l'école ne sont compatibles ni avec l'article 2 de notre constitution affirmant le principe de laïcité de l'Etat ni avec la liberté de conscience, d'opinion et d'expression proclamée à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni avec l'égalité des sexes affirmée dans le préambule de la Constitution.

Tout en respectant l'article 18 de la déclaration sur la liberté de culte et de religion, la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat garantit aux citoyens la neutralité et l'indépendance du politique à l'égard du religieux. Depuis 1905, la laïcité est devenue une valeur qui rassemble et qui respecte les différences ; montrons-le dans ce projet de loi. La loi de 1905 est un fondement de la République et une garantie de notre bien vivre ensemble. Aussi l'école publique et l'ensemble des services publics doivent-ils être protégés contre toute intrusion de groupes de pression.

N'oublions pas la circulaire de Jean Zay de 1936 interdisant tout signe religieux visible. Personne n'a dit qu'elle était contraire au droit européen. Cette circulaire n'a, bien entendu, pas force de loi. C'est pourquoi nous avons besoin d'une loi claire, la même pour tout le monde, qui puisse s'appliquer sans ambiguïté partout. Cette loi doit être émancipatrice, protectrice, républicaine. Je l'aurais souhaitée plus utile, plus opérationnelle, plus efficace. C'est pourquoi j'ai soutenu la mention de l'interdiction de signes religieux « visibles ».

On ne peut plus laisser aux enseignants le choix d'appliquer la loi ou non, ou à chacun le soin d'édicter son droit local à géométrie variable. Il appartient au Parlement de légiférer. En effet, les lois républicaines doivent s'appliquer à tous et dans tous les domaines. Ne laissons pas les intégristes imposer leur loi. Face à eux, l'État doit faire respecter les lois de la République. Ce sont des principes stables qui permettent à chacun de vivre en liberté et à égalité de droits et de devoirs, sans discrimination liée au sexe, à l'origine ou à la conviction religieuse.

C'est pourquoi je défends aussi le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, qui implique la lutte contre toutes les atteintes à la dignité des femmes. Or, avec le port du voile, que reste-t-il de la dignité des femmes ?

L'égalité des sexes est d'ailleurs le parent pauvre de l'argumentation de ce projet de loi, alors que la convention internationale de New York du 18 décembre 1979, texte anti-sexiste ratifié par le Parlement français le 20 mars 1984, réaffirme que le sexisme est une discrimination majeure.

M. Alain Néri. C'est vrai !

Mme Claude Darciaux. Cette convention, qui a eu le mérite de définir une norme, aurait pu être appliquée contre des signes sexistes.

En effet, le port du voile, souvent imposé à des jeunes filles mineures, ne peut être interprété que comme un signe d'infériorité, de soumission des femmes et de domination inacceptable, un signe sexiste contraire aux valeurs républicaines, un enfermement, une séparation d'avec le reste du monde. Il donne une image offensante, dévalorisante des femmes. Le voile pose bien plus qu'une simple question religieuse ; il s'agit avant tout d'un instrument d'oppression, d'aliénation, de discrimination, de pouvoir des hommes sur les femmes. C'est pourquoi il est si nécessaire aujourd'hui de faire évoluer les comportements dont sont victimes les filles.

Certes, dans la pratique, la société se résigne encore souvent à bien des situations sexistes injustifiables, et l'égalité homme-femme progresse très peu, notamment dans le domaine professionnel ; rappelons seulement que les salaires des femmes, en moyenne, sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes. Mais, avec la revendication du voile à l'école, les principes sont bafoués là même où l'on est censé les transmettre.

Nous ne pouvons accepter une telle stigmatisation sexiste, qui, à long terme, peut menacer la liberté individuelle de ces filles.

Le voile abolit la mixité de l'espace public en vigueur à l'école et matérialise la séparation entre l'espace féminin et l'espace masculin ; il est toujours symbole d'inégalité.

Imposer le voile, c'est encourager la répression de toutes les femmes, c'est rendre encore plus difficilement réalisables les aspirations des filles à l'émancipation. Cette pratique n'a pas sa place dans une République où l'égalité ente l'homme et la femme est constitutionnelle.

Accepter le voile, c'est accepter une idée de la femme contraire à sa dignité et à son statut juridique, c'est encourager l'affichage des différences religieuses et, en quelque sorte, c'est soutenir l'islam politique.

M. René Dosière. Très juste !

Mme Claude Darciaux. Je veux d'ailleurs profiter de cette tribune pour rendre hommage à Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix. Elle s'est consacrée, elle, à la défense des droits des femmes et des enfants, et elle estime qu'il est plus important de se battre pour leurs droits fondamentaux et de protéger les mineures contre tous ces abus. Sa plus belle démonstration a été de recevoir son prix tête nue !

Dois-je rappeler que des militantes d'autres pays ont dû s'exiler ou même ont été tuées pour ne pas porter le voile ? Dois-je rappeler qu'en Turquie et en Tunisie, il est interdit de porter le foulard dans les écoles et les universités ?

Faut-il aussi rappeler que, dans toutes les grandes religions monothéistes, juive, chrétienne ou musulmane, il ne fait pas bon être une femme, dépendante de l'autorité de l'homme et de son pouvoir ?

M. René Dosière. Il faut le rappeler !

Mme Claude Darciaux. Le judaïsme ou le catholicisme d'antan ont marqué la femme de manière infamante et toutes les avancées sociales en matière de droits des femmes ont été arrachées contre les religions ; je pense notamment au droit à l'avortement.

On ne peut, d'un côté, revendiquer l'égalité, la parité et, de l'autre, accepter cette discrimination. La loi est la seule voie pour affirmer que « les femmes sont des hommes comme les autres », ainsi que le soutient notre constitution.

Etre laïc, c'est reconnaître que tous les citoyens sont égaux aux yeux des lois républicaines et qu'il est des lieux, comme l'école, où l'appartenance religieuse n'a pas sa place.

A travers cette loi, ce sont d'autres jeunes filles que l'on protège, celles qui n'entendent plus être menacées quotidiennement, elles qui ont choisi d'aller tête nue. Après la fracture sociale, devons-nous aujourd'hui accepter la fracture entre filles et garçons ? Le voile devra-t-il devenir l'uniforme de nos cités ?

Je suis pour une loi de clarification et d'apaisement, préservant l'interdiction de tout signe visible religieux à l'école, défendant les valeurs de la République, respectant les principes républicains de laïcité, d'égalité et de dignité des femmes.

Cependant, cette mesure législative ne règle pas tout et sera insuffisante si nous ne l'accompagnons pas de gestes forts en matière d'accès à l'emploi, au logement, au droit de vote, au savoir et à la culture, ni d'une politique d'intégration, qui ne pourra être mise en œuvre sans un investissement social et financier important.

Je voterai la loi prohibant le port de signes religieux à l'école, car il convient de protéger les jeunes filles qui subissent une réelle pression communautariste, mais il sera nécessaire d'aller plus loin que le simple rappel des principes et de lutter contre toute forme de discrimination sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gabriel Biancheri. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, qui sera le dernier orateur de la soirée.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le ministre, puisque je serai le dernier orateur, vous m'excuserez de ne pas vous parler de voile. Je vous décrirai plutôt deux expériences concrètes vécues dans sa commune par le maire que je suis depuis quinze ans, et je vous livrerai les réflexions qu'elles m'inspirent. Je vous parlerai donc d'un certain cross et, bien plus grave que le voile, à mon avis, du dispositif appelé ELCO, l'étude des langues et cultures d'origine, qui fait l'objet d'un silence assourdissant de la part du ministère de l'éducation.

Chaque année, bénévolement, sur leur temps de loisir, des enseignants extrêmement consciencieux - et de gauche - du collège de Valréas, ville de 10 000 habitants, organisaient un cross pour motiver les élèves et les inciter à la pratique sportive. Je vous rassure tout de suite : il ne s'agissait pas d'un marathon, mais, si je me souviens bien, de trois kilomètres pour les filles et de cinq kilomètres pour les garçons.

M. René Dosière. Et l'égalité hommes-femmes, alors ? (Sourires.)

M. Thierry Mariani. Ecoutez plutôt, car on parle beaucoup du voile, mais des faits au moins aussi graves ne provoquent aucune réaction de la part des services de l'éducation nationale ni, permettez-moi de le dire, du ministère.

Ainsi, en 2002, un événement sans précédent est survenu, et je pèse mes mots. Cette année-là, le cross tombant en plein ramadan, quatre jeunes filles, après avoir parcouru deux kilomètres, se sont roulées par terre prétendant être victimes d'un malaise car elles avaient dû jeûner.

M. Alain Néri. Cela peut arriver !

M. Thierry Mariani. Il aurait donc été scandaleux de les avoir fait courir en début de matinée. Comme elles faisaient une grosse comédie, on a appelé le SAMU et elles ont été évacuées. Mais, soyez rassurés, elles ont survécu sans problème.

M. René Dosière. Cela prouve au moins que la France a de bons services d'urgences !

M. Thierry Mariani. Quelques jours plus tard, une association maghrébine, l'Entente du Vaucluse, que je salue, publiait un communiqué affirmant que ces jeunes filles étaient manipulées et ne représentaient absolument pas la communauté.

Mais que s'est-il passé ensuite, monsieur le ministre ?

L'inspecteur d'académie a adressé aux enseignants concernés - des enseignants de l'école laïque - une lettre d'une lâcheté morale inqualifiable, leur reprochant d'avoir commis une faute : pour l'organisation d'une telle épreuve sportive, ils auraient dû tenir compte du calendrier religieux ! Trouvez-vous cela normal ?

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Non !

M. Thierry Mariani. Merci de le dire, monsieur le ministre, devant notre assemblée.

M. René Dosière. C'est ce qu'on appelle un accommodement.

M. Thierry Mariani. Toujours est-il que l'édition 2003 du cross n'a pas eu lieu car ces enseignants, qui étaient hyper-motivés, sont sortis écœurés de l'incident. Pardonnez-moi d'en reparler, mais j'ai alors écrit au ministère - en pure perte, d'ailleurs - une lettre un peu provocatrice dans laquelle j'établissais la liste de tous les jeûnes religieux, des bouddhistes aux témoins de Jéhovah, pour demander si les profs de sport devraient désormais en tenir compte avant d'organiser des épreuves sportives !

Parler du voile, c'est bien, vous avez raison, mais la laïcité ne se résume pas à cela. Certains ont aussi évoqué les problèmes dans les cantines. Je ne vise pas le gouvernement actuel,...

M. Alain Néri. Ah bon ?

M. Thierry Mariani. ...car tous les gouvernements ont leur part de responsabilité : nous avons besoin, je crois, d'un réarmement moral bien plus important que ce que nous offre la présente loi.

C'était mon premier exemple : le cross de Valréas n'existe plus, tant les enseignants ont été dégoûtés de se voir ainsi lâchés par l'éducation nationale. La lettre de l'inspection d'académie, j'insiste, était d'une bassesse affligeante. Il aurait été préférable de condamner plus fermement le comportement des quatre jeunes filles, complètement manipulées !

Le deuxième exemple est, à mon sens, encore plus grave.

Député depuis dix ans, je suis sidéré qu'on ne parle jamais de ce sujet, qui, dans toute la France, concerne tout de même 40 000 élèves chaque année. Combien de jeunes filles portent le voile ? Trente, cinquante, soixante ? Là, il s'agit de 40 000 élèves, monsieur le ministre ! Je veux parler de l'ELCO. Certains maires ici présents connaissent peut-être dans leur commune cette étude des langues et cultures d'origine.

Dans les années soixante-dix, des accords généreux, confirmés dans les années quatre-vingt - mon intention n'est nullement de faire un procès politique, je ne mets en cause ni la droite ni la gauche, mais les mentalités, qui doivent changer - ont été passés avec huit Etats étrangers, dont l'Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie. L'idée de départ, sympathique, me semble complètement dépassée en 2004, puisqu'elle consistait, en maintenant un lien linguistique, à préparer le retour dans leur pays des jeunes issus de l'immigration.

M. Alain Néri. Ce n'est pas stupide !

M. René Dosière. Le principe est louable ! Cela part d'un bon sentiment

M. Thierry Mariani. Sans doute, mais il faudrait veiller à son application. Ecoutez plutôt.

Aujourd'hui 40 000 jeunes suivent donc ces fameuses ELCO, soit un nombre autrement important que celui des jeunes filles recouvertes d'un voile.

Or comment fonctionne l'ELCO, mes chers collègues ? Avant d'être maire, je l'ignorais, mais, un jour, j'ai reçu une lettre de l'inspection d'académie me signifiant que je devais mettre une salle de cours à la disposition d'un enseignant choisi par le consulat du Maroc, nommé par le consulat du Maroc, payé par le consulat du Maroc.

M. Alain Néri. C'est là que le bât blesse.

M. Thierry Mariani. Vous allez interdire, dans les écoles, pendant le temps scolaire, sous le contrôle des enseignants français, le voile et tous les autres signes religieux distinctifs visibles que vous voudrez. Mais qu'allez-vous faire pour les élèves suivant les ELCO, dans ma commune comme dans les centaines d'autres qui sont concernées ? Sur ces enseignants nommés depuis l'étranger, vous n'exercez - nous n'exerçons, ce n'est pas une critique à votre endroit - aucun contrôle pédagogique. Nous fermons les yeux, mais nous savons très bien que ces enseignants apportent les manuels qu'ils veulent, y compris, parfois, des textes religieux. On leur ouvre donc les portes de l'école laïque et républicaine, pendant le temps scolaire ou en dehors, et on leur permet d'y faire ce qu'ils veulent ! Pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais trouvez-vous cela normal ?

L'ELCO, de surcroît, peut être « différée » ou « intégrée ». Est-ce seulement une question de vocabulaire ? Pas du tout !

« Différée », signifie en clair que l'enseignant nommé par le Maroc - je reprends mon exemple, mais croyez bien que je n'ai rien contre ce pays -, décide, par exemple, de venir le samedi. Il prend par conséquent les élèves en dehors des cours normaux et leur apprend le marocain. Comment ? Je l'ignore. Avec quels bouquins ? Je l'ignore. Quand une élève sera voilée, croyez-vous qu'un enseignant algérien, turc ou marocain l'expulsera de l'école publique ? Il rigolera, pardonnez-moi de le dire, car, dans le cas de l'étude différée, il sera tout seul. Cela concerne 40 000 élèves, depuis des années, et on ne réagit pas !

Et la situation est pire encore quand l'étude est « intégrée », car cela signifie que l'enseignant décide de se déplacer en milieu de semaine et prend en charge des élèves alors qu'ils auraient normalement dû suivre un cours de français, d'histoire ou de maths. Ces élèves, issus de l'immigration récente, sont généralement en difficulté scolaire, et voilà qu'un enseignant arabe vient dire au prof de français qu'ils doivent quitter son cours !

M. Alain Néri. Ce n'est pas normal !

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Ce n'est pas conforme aux accords.

M. Thierry Mariani. Vous pouvez hocher la tête, monsieur le ministre, c'est la vérité : il n'y a aucun contrôle ! Je l'ai demandé à de nombreuses reprises à l'inspection académique. Sous la gauche comme sous la droite, j'ai reçu les mêmes réponses !

Demain, je déposerai, une fois de plus, une demande de création d'une commission d'enquête sur l'ELCO.

Je suis d'accord pour préserver la laïcité, et pour interdire aux jeunes filles de porter le voile, mais faisons-le complètement !

Comment refuser l'entrée de son école à quatre ou cinq jeunes filles voilées, si l'on doit donner, le samedi, les clés de la même école à des enseignants choisis et payés par un Etat étranger, sans que l'on puisse exercer le moindre contrôle pédagogique ? Il s'agit pourtant bien d'un lieu public ! Croyez-vous que ces enseignants-là vont interdire le port du voile à l'école ?

Mon discours de ce soir peut paraître un peu iconoclaste, après celui de mes collègues qui ont parlé du voile mieux que je n'aurais pu le faire, mais je tenais à évoquer ce sujet car il concerne 40 000 élèves, monsieur le ministre, et pas une soixantaine de jeunes filles voilées ! Et pourtant, depuis vingt ans, on garde le silence.

Un jour, dans mon département, on s'est aperçu que l'on n'enseignait pas la langue d'origine à l'aide d'un manuel, mais qu'on étudiait des textes religieux. On a alors réagi et, depuis, l'enseignant a été changé.

Je terminerai en disant que la présente loi va dans le bon sens mais qu'elle est absolument insuffisante. Je n'entrerai pas dans le détail : à partir de combien de centimètres le signe sera-t-il ostentatoire ou non ?

M. René Dosière. Ostensible !

M. Thierry Mariani. Comme vous voudrez !

Moi, je voulais vous parler de ces maires républicains, de gauche ou de droite, qui, chaque semaine, confient les clés de leurs écoles publiques à des enseignants que vous ne contrôlez pas, monsieur le ministre, que nous ne contrôlons pas, que nous ne payons pas, que nous ne choisissons pas !

La laïcité s'applique à tous !

Monsieur le ministre, revoyez rapidement cette histoire de l'ELCO, qui est un vrai problème dont personne ne veut parler. N'oubliez pas : 40 000 élèves et sans aucun contrôle ! Si vous réformez l'ELCO, je voterai cette loi car on ne peut laisser le champ libre à tous ces enseignants !

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Cela dépend du ministère des affaires étrangères !

M. Thierry Mariani. Non, ils relèvent aussi de la responsabilité de l'éducation nationale !

Je vous ai cité deux exemples. C'était improvisé, vous m'en excuserez, mais quand des enseignants qui font leur travail - et même au-delà - se font réprimander par leur hiérarchie, au motif qu'ils auraient dû tenir compte des dates du ramadan pour fixer celles de leurs épreuves sportives, où va-t-on ? Et quand on donne les clés des écoles, comme on va sans doute continuer à le faire après le vote de cette loi, à des enseignants que l'on ne contrôle pas, où va-t-on ?

Monsieur le ministre, la laïcité ? Chiche ! Mais alors, allons jusqu'au bout de la démarche et plongez-vous dans le problème de l'ELCO !

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, à neuf heures trente, première séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 1378, relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics :

M. Pascal Clément, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1381),

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 1382).

A quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A vingt et une heure trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance ;

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

M. Jean-Luc Warsmann (rapport n° 1377).

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 5 février 2004, à une heure trente-cinq.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot