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Deuxième séance du jeudi 5 février 2004

153e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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APPLICATION DU PRINCIPE DE LAICITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (n°s 1378, 1381).

discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Le Bris.

M. Gilbert Le Bris. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, d'abord le bon sens ! toujours, d'autant qu'il a tendance à disparaître dans le tintamarre médiatique ambiant qui accompagne tout sujet intéressant l'ensemble des citoyens ! Tel est le cas ici.

Le bon sens, celui que l'on ne retrouve plus à force d'entendre des arguments parcellaires qui mettent en lumière tel ou tel détail du tableau général : pour les uns, la liberté, pour d'autres, la diplomatie ou l'exercice de la foi.

Ce n'est pas à n'importe quel bon sens que je fais référence, mais à celui de ma Basse-Bretagne, comme l'on disait au temps où l'on ne parlait pas le « politiquement correct ».

Si c'est celui de ma lointaine province, c'est aussi celui de toutes nos zones rurales, de toutes nos campagnes. C'est celui d'une époque où les messages principaux n'étaient pas parasités, où un débat sur la laïcité n'aurait pas été « spammé » ou « pourriellisé ».

En fait, je demande à retrouver le bon sens paysan, comme l'on dit. Et que dit-il, lui ?

Il dit que lorsque l'on est cornouaillais et que l'on se rend chez les Léonard ou les Vannetais, on doit se comporter comme eux, et inversement ; que lorsque l'on est embauché comme mousse ou comme ouvrier agricole, on ne commence pas par vouloir changer toutes les habitudes existantes à bord du chalutier ou dans la ferme ; que lorsqu'on a une identité culturelle, sociale, professionnelle, on l'assume avec fierté, sans se renier, mais en respectant celle des autres ; que lorsqu'une coutume existe et qu'elle est suivie par tous sans problème, c'est mieux, mais que lorsqu'elle prête à contestation, il faut alors très vite un texte écrit pour arbitrer.

Voilà ce que dit, entre autres, le bon sens de chez moi, le bon sens de chez vous.

Traduisons cela en termes politiques contemporains.

Nos lois, notre culture résultent de dizaines de générations qui les ont peu à peu instaurées. On fête Noël et Pâques, on ne travaille pas le dimanche, on vit normalement en monogamie, on tend en tout domaine à l'égalité entre les hommes et les femmes, on a réussi fort heureusement - et fort douloureusement - à trancher les liens existant entre l'Eglise et l'Etat.

L'islam est d'implantation relativement récente chez nous. Sa croyance est parfaitement respectable. Mais, comme pour toutes les autres, c'est aux tenants de cette religion de s'adapter à nos valeurs et traditions et non l'inverse.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Gilbert Le Bris. A peine arrivée dans notre pays, voilà que la religion islamique présente le visage d'une minorité qui n'a que faire de nos valeurs et traditions. Voilà que l'on assiste à la montée d'un fanatisme politico-religieux. Voilà que le voile veut s'introduire dans l'espace laïque de l'école. Et pourquoi pas, demain, la burka ?

Nous ne pouvons l'accepter.

M. Guy Geoffroy. En effet !

M. Gilbert Le Bris. Toute faiblesse serait condamnable, car elle serait trahison de nos anciens et mépris de nos enfants.

Alors, oui, je suis favorable à une loi, et depuis longtemps, puisque, dès 1989, je demandais à Lionel Jospin, alors ministre de l'éducation nationale, de prendre toutes mesures, y compris législatives, pour éteindre immédiatement les premiers feux du fanatisme religieux militant. Vous connaissez le principe : un verre d'eau suffit au commencement d'un incendie ; ensuite, il faut faire appel aux Canadairs !

Certes, l'intégration d'une communauté aujourd'hui importante, qui doit jouer un rôle dans la France contemporaine, qui est réellement fragilisée par le chômage et qui est vue par nos concitoyens à travers le prisme déformant d'une ostentatoire minorité activiste intégriste, n'est pas chose aisée.

Cette intégration passe - nous le rappelons souvent dans cet hémicycle - par un traitement économique et social adapté, vigilant et volontariste. Mais il ne faut pas perdre de vue l'essentiel, même quand on est envahi de tous côtés par le superflu.

Aujourd'hui, se pose avant tout un double problème.

Le premier est celui de la laïcité, bien sûr, valeur élaborée au fil des siècles et à laquelle nous tenons comme à la prunelle de nos yeux ou à la liberté de notre conscience, cette laïcité qui est, qui doit être un réflexe de priorité donnée à l'identité citoyenne dans la communauté humaine que constitue, par exemple, une école.

Le second concerne l'autorité, dans le cadre de la société et même de la nation, ce vouloir-vivre en commun. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas céder à l'extrémisme, à une minorité mue par le fondamentalisme religieux.

C'est aussi l'autorité de la République et ses valeurs qui sont en jeu. La notion de « signe visible » aurait été à cet égard plus à même d'affirmer dans la clarté nos engagements et notre volonté. Mais faisons tout de même confiance au bon sens !

Pour conclure, j'estime que ce projet de loi comporte des insuffisance, qu'il reste un peu au milieu du gué, mais qu'il est utile.

Lorsqu'on dit chez moi que quelqu'un a « du vent dans les voiles », cela veut dire qu'il titube, qu'il chancelle. Je n'ai pas envie que la laïcité titube ou chancelle ni qu'un vent favorable porte ces voiles ou que notre indifférence les favorise. Je veux défendre ce pilier de la République qu'est la laïcité et cette loi peut y contribuer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Remiller.

M. Jacques Remiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, je vais à mon tour essayer de faire preuve de bon sens, celui du département de l'Isère et de la vallée du Rhône, qui est très proche de celui de la belle région Bretonne.

Force est de constater que l'examen du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité à l'école - ô combien nécessaire, pourtant - s'inscrit dans un contexte passionné, comme le démontre encore notre débat.

Il est notable que ce projet et le véritable débat de société qui en découle se déroulent un an avant la célébration du centième anniversaire de la loi de 1905 proclamant le principe de la séparation des Eglises et de l'Etat, qui énonçait le principe de la laïcité de la République. Il convient, me semble-t-il, de rappeler dans ce débat ce que signifie au juste le concept de « laïcité », mouvant par nature.

La laïcité, ce n'est pas la négation des religions, comme certains le laissent à penser, mais au contraire la possibilité d'exercer son culte ou de ne pas en avoir, dans le respect de celui des autres. Comme certains l'ont d'ores et déjà rappelé, ce projet de loi ne vise nullement à stigmatiser telle ou telle religion, mais uniquement à clarifier la règle juridique applicable, en interdisant dans les écoles, collèges et lycées publics le port de signes ou de tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.


La laïcité est avant tout affaire de tolérance envers toutes les religions. Elle refuse toute forme de communautarisme et de prosélytisme. A cet égard, il eût peut-être été opportun d'évoquer, à l'article 1er du projet de loi, la notion de « comportements » en sus des termes « signes » et « tenues ». Le débat sur les notions de « signe » et de « comportement » est, à mon sens, primordial car il est la raison d'être du projet que nous examinons aujourd'hui. Pour faire face au refus de certains élèves d'assister à des enseignements, notamment sportifs, il semblerait important d'y faire une référence explicite dans la loi, gage d'une interprétation sans équivoque.

En dehors de cette remarque de fond, je demeure persuadé qu'il était devenu impératif de légiférer en ce domaine. L'Etat, le Gouvernement et aujourd'hui l'Assemblée nationale prennent enfin toutes leurs responsabilités. C'est parce qu'il est devenu très difficile, au regard du cadre juridique existant, de faire appliquer ce principe - au cœur de notre identité républicaine -, qu'une large réflexion a eu lieu et que ce projet de loi a vu le jour.

Jusqu'à présent, en effet, les problèmes d'application pratique du principe de laïcité à l'école ont été réglés par la jurisprudence ambiguë du Conseil d'Etat. De surcroît, le caractère jurisprudentiel des principes énoncés a empêché une application uniforme des règles sur le territoire de la République. Le résultat en est le désarroi manifesté par les chefs d'établissement et les enseignants tenus d'appliquer ce principe de manière concrète et quotidienne - un sondage publié aujourd'hui illustre d'ailleurs leur état d'esprit.

Il convient donc de leur donner un cadre juridique plus clair, de nature à leur permettre d'exercer plus sereinement leur métier. Le mérite de ce texte est bien de poser ce cadre. Son caractère législatif assurera, sinon une interprétation unanime, au moins une application uniforme sur l'ensemble du territoire de la République.

Mais si la loi est nécessaire, elle ne sera néanmoins pas suffisante pour empêcher toute forme de communautarisme. Par-delà le principe énoncé, c'est sa mise en œuvre qui fait naître aujourd'hui de nombreuses interrogations.

En premier lieu, comment les chefs d'établissements et les enseignants vont-ils apprécier l'interdiction ? Je sais bien, monsieur le ministre, que la mise en œuvre de la loi devra s'accompagner d'une grande pédagogie, de la bonne volonté de tous et d'un dialogue permanent. Mais je suis également conscient que cette appréciation se fera, par nature, en fonction des circonstances propres à chaque cas, tel qu'il aura été soumis aux premiers intéressés, les enseignants et le chef d'établissement. Comme beaucoup d'entre nous, j'attends donc avec impatience la circulaire en cours de rédaction et qui doit préciser dans quelles conditions les règlements intérieurs devront traduire les impératifs fixés par la loi. Pourriez-vous d'ores et déjà, monsieur le ministre, nous livrer quelques éléments à son sujet ?

Enfin et surtout, la question se pose de savoir comment les chefs d'établissement vont apprécier les sanctions. Seront-elles appréciées de la même façon dans tous les établissements du territoire ? A cet égard, je me félicite, comme beaucoup d'entre nous, de l'adoption, en commission des lois, d'un amendement tendant à inviter le « contrevenant » - entre guillemets - à se conformer à la règle avant toute procédure de sanction. Mais je souhaiterais en savoir plus sur l'échelle de sanctions qui sera finalement retenue, en dehors de l'exclusion. Par ailleurs, combien de temps prévoyez-vous entre le moment où démarre la médiation et celui de la notification de la sanction encourue à l'intéressé ? Prévoyez-vous d'instituer des procédures de contrôle afin d'éviter tout arbitraire ou tout contournement dans la mise en œuvre de la loi ?

Je vous remercie, monsieur le ministre, des réponses que vous pourrez apporter sur ces éléments : elles éclaireront utilement notre discussion avant l'adoption de ce texte que, bien évidemment, je soutiens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que dans le monde, les attaques contre la démocratie se font de plus en plus nettes, que les communautarismes se développent, y compris sur notre territoire, il nous semble indispensable de réaffirmer notre attachement aux valeurs qui fondent notre république. On peut d'ailleurs se demander si les fondamentalistes ne testent pas les faiblesses de réaction de notre système politique face aux atteintes portées contre les valeurs républicaines.

Le principe de laïcité est au cœur de cette exigence. Je souhaiterais simplement insister sur l'idée de neutralité et de respect mutuel qu'il suppose à mes yeux. Il ne s'agit en aucun cas de refuser la différence ou de l'interdire, mais avant tout d'assurer à chacun un espace de liberté, aussi bien politique que philosophique ou religieux, mais en séparant la sphère publique de la sphère privée.

La question du port de signes religieux à l'école ne saurait donc être assimilée à la question de la laïcité tout entière, contrairement à ce qu'indique le titre du projet de loi gouvernemental. Une part importante de ce texte aurait dû être consacrée à l'enseignement et à la compréhension de la laïcité. Or à sa lecture, on ne trouve rien sur l'enseignement de l'histoire des religions, pas un mot sur la lutte contre les communautarismes, rien sur la connaissance et la compréhension de notre système politique et institutionnel. Comment peut-on demander à des enfants, à des adolescents de respecter des règles s'ils n'en connaissent pas les tenants et les aboutissants ou, à défaut, au moins les grandes lignes ? Dans la société éclatée dans laquelle nous vivons aujourd'hui, l'instruction civique devrait à mon sens rester le ciment du système éducatif et contribuer à forger l'idée d'appartenance à une même communauté.

Mais surtout, il n'y a dans ce texte aucune ligne sur l'intégration. Des populations issues de l'immigration ne trouvent aujourd'hui plus les moyens de s'intégrer. La politique sociale du Gouvernement accentue encore ce sentiment de rejet. L'impossible intégration de ces jeunes gens nés en France, y ayant effectué toute leur scolarité, pousse malheureusement certains d'entre eux vers toujours plus de radicalisme, ou vers des extrémismes contre lesquels la République doit lutter. Député lorrain, élu dans une terre de brassage, une terre qui a vu se succéder des vagues d'immigrants, je sais ce qu'est une intégration réussie.

Le débat s'est, à notre sens, trop radicalisé autour de la question du port du voile islamique à l'école. Cette radicalisation a parfois donné l'impression que se développait en France un sentiment anti-musulman. Je tiens à repousser vigoureusement cette affirmation.

Aucun d'entre nous ne veut stigmatiser la religion musulmane. Mais l'école doit être le lieu d'intégration, et non de l'affirmation de différences.

M. Gilbert Le Bris. Tout à fait !

M. Jean-Yves Le Déaut. Le port du voile dans les écoles par des jeunes filles mineures reste un véritable problème qu'il faut résoudre dans un esprit de dialogue et de concertation avec les familles, ainsi qu'avec les autorités religieuses musulmanes, qui, pour une grande part, affirment très clairement leur attachement au principe de laïcité. Le véritable problème, c'est celui de l'absence de lieux de culte dans nos villes pour les musulmans qui veulent pratiquer leur religion avec sérénité et dans le respect des principes républicains.

Une loi m'apparaît néanmoins nécessaire aujourd'hui car elle doit lever les ambiguïtés ou imprécisions de la situation actuelle. Les enseignants et les chefs d'établissement n'ont en effet pas reçu les moyens adéquats pour gérer des situations souvent très complexes. La loi doit être utile, elle doit fixer des règles claires et simples, applicables par les enseignants et les chefs d'établissement.

L'article 10 de la loi d'orientation de juillet 1989 doit à notre sens être précisé. Il affirme que « dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression ». Mais dans l'esprit du législateur, la liberté d'expression ne signifiait en aucun cas l'abandon du principe de laïcité à l'intérieur des établissements. Or c'est au nom de la liberté d'expression que le Conseil d'Etat, dans son avis du 27 novembre 1989, affirme que « la liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit de s'exprimer ou de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur comme à l'extérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui ». Il pouvait ensuite prendre position contre le port de signes religieux ostentatoires ou revendicatifs car ils « constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande », mais il avait introduit la confusion en considérant ainsi que le terme de liberté d'expression battait en brèche le principe de laïcité, pourtant affirmé dans la Constitution.

La circulaire qui a suivi indique que le port de signes religieux par les élèves n'est pas lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il relève de la liberté d'expression. Il s'agit bel et bien d'un dépassement de la volonté du législateur.

M. Gilbert Le Bris. C'est vrai !

M. Jean-Yves Le Déaut. L'école est un lieu d'acquisition de connaissances, mais également de construction de la citoyenneté, d'apprentissage des règles de vie en société. Quel sens aurait-elle si les familles ou les sociétés dans lesquelles vivent les enfants prédéterminaient leurs comportements futurs ? Nous ne pouvons accepter que l'on refuse les cours d'instruction physique ou les séances de piscine, confortant ainsi un traitement inégal entre les garçons et les filles, que des parents s'octroient le droit d'interrompre cours ou examens, de contester des pans entiers des enseignements de sciences de la vie ou d'histoire pour des motifs de religion, enfin que des garçons contestent l'autorité d'enseignantes ou de chefs d'établissement femmes.

L'équilibre entre liberté d'expression et neutralité du service public doit être inscrit dans la loi et ainsi donner un cadre précis pour inscrire toute réaction en cas de problème. Il est donc essentiel que la place du dialogue soit réaffirmée. Au final, l'exclusion doit rester une solution extrême. Il appartient à chaque établissement d'apporter les précisions jugées utiles dans son règlement intérieur pour encadrer la liberté d'expression. La loi n'est pas l'outil adéquat pour exclure ou sanctionner les élèves. Elle doit fixer des principes fondamentaux qui doivent ensuite être déclinés au cas par cas.

Le texte actuel ne prend pas suffisamment en compte cet impératif de dialogue. Il considère seulement comme nécessaire de bannir de l'école les signes « ostensibles ». Mais le mot est ambigu et source de contentieux. Il repose sur l'interprétation, nécessairement subjective, des intentions de la personne considérée et donc empêchera une prise de décision sereine et objective. C'est ce qui nous conduit à préférer le terme de « visible » à celui d'ostensible ou d'ostentatoire.

J'aurais d'ailleurs préféré, pour que les choses soient encore plus nettes - et, monsieur le ministre, il n'est pas trop tard pour y réfléchir -, que nous reprenions les termes de la circulaire signée par Jean Zay le 15 mai 1937, qui posait de manière explicite les règles d'application de la laïcité dans les écoles. « L'enseignement public est laïc. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d'y veiller avec une fermeté sans défaillance ». Le mot prosélytisme, qui désigne le « zèle déployé pour convertir autrui à ses idées, pour tenter d'imposer ses convictions », est en effet beaucoup plus clair que le mot ostensible. Et comme le disait Paul Valéry, « rien ne me choque plus que le prosélytisme et ses moyens, toujours impurs ».

Le Président de la République veut se poser en garant de la laïcité et en grand pourfendeur des discriminations. De telles intentions sont parfaitement louables et je les partage entièrement. Malheureusement, les actes ne sont pas à la hauteur des engagements. Dans l'état actuel, le texte est à notre sens trop réducteur.

Peu de textes dans ma carrière parlementaire m'ont posé pareil cas de conscience. Et je remercie M. le président de l'Assemblée nationale de nous avoir laissés à tous, pour la première fois, l'occasion de nous exprimer sur un texte aussi compliqué. (Applaudissements sur tous les bancs.)

En effet, nous devons trouver l'impossible équilibre entre la liberté individuelle de conscience et d'expression et le principe collectif de laïcité, fondement essentiel de notre république. Le danger serait d'opposer ces principes qui ne concernent pas les mêmes sphères. Il me semble donc primordial de bien séparer sphère privée et sphère publique. Seule une séparation claire et applicable permettra de trouver un équilibre satisfaisant. Après mûre réflexion, je suis donc favorable au vote d'une loi reposant sur ces principes car, pour moi, une loi claire et applicable est un élément de reconstruction du pacte républicain si elle réaffirme la primauté des valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Paillé.


M. Dominique Paillé
. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vais pas répéter ce qu'un grand nombre d'orateurs ont pu exprimer avant moi, je vais simplement, en quelques mots, vous dire quelle est ma position sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui.

Je crois que cette loi est bienvenue, qu'elle était nécessaire, car la République, face à la montée des communautarismes et à la remise en cause insidieuse de la place et du rôle de la femme dans notre société, se devait de redire solennellement haut et fort les principes fondamentaux qui la font vivre, mais elle n'atteindra son but que si, au-delà du symbole, elle se révèle efficace, c'est-à-dire facilement applicable, pour ceux qui seront en première ligne, les principaux et les proviseurs essentiellement. Or, selon moi, la terminologie retenue, malheureusement sujette à interprétation, ne le permettra pas.

J'étais extrêmement satisfait des conclusions de la mission Debré et des propositions qui en ont découlé. Cela me semblait être le seul document sur lequel arc-bouter ou fonder une loi nouvelle. Cela n'a pas été le cas. J'espère très simplement qu'à l'occasion des débats et des échanges sur les amendements, nous pourrons y parvenir. Sinon, personnellement, je m'abstiendrais de voter pour cette loi.

Permettez-moi d'énoncer un regret complémentaire. Il faut certes faire respecter la laïcité, au regard notamment du prosélytisme religieux, il faut aussi éviter que l'école ne soit un champ clos de combats politiques. Cette dimension est absente du projet qui nous est soumis. C'est à mon avis regrettable et je crains fort que, dans quelques années, nous soyons obligés de revenir sur ce point.

M. Daniel Garrigue. Tout à fait !

M. Dominique Paillé. Nous n'aurons pas à ouvrir un tel débat dans le futur proche si nous travaillons de manière complète sur le texte qui nous est soumis. C'est sans doute, au terme de cette discussion, l'enjeu auquel nous allons être confrontés.

Si tel n'était pas le cas, je vous le répète, et en dépit de tout le bien que je pense d'une législation en ce domaine, je serais contraint personnellement de m'abstenir.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Nous le regretterions !

M. le président. La parole est à Mme Annick Lepetit.

Mme Annick Lepetit. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en dépit d'une mission d'information présidée par le président de notre assemblée, en dépit d'une commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, en dépit de la remise de rapports importants, en dépit de l'ampleur des débats dans la presse, nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre du projet de loi intitulé « l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics ». Bref, beaucoup de bruit pour peu puisque ce projet de loi concerne uniquement les signes religieux à l'école.

M. Guy Geoffroy. C'est déjà beaucoup !

Mme Annick Lepetit. Il n'aborde qu'un aspect du principe de la laïcité, que nous sommes pourtant nombreux ici à vouloir réaffirmer.

Certains membres de la commission Stasi ont déclaré être déçus qu'un débat de fond ne soit pas engagé au Parlement. Comme l'a dit l'un d'entre eux, la montagne a accouché d'une souris.

Ces débats auraient dû être l'occasion de clarifier les choses. Ils auraient dû être plus ouverts et, surtout, plus proches de la réalité.

Aujourd'hui, je n'aborderai que quelques points qui, selon moi, auraient dû être au cœur de nos discussions et qui, faute d'être soulevés aujourd'hui, devront absolument l'être demain.

D'abord, ce débat aurait dû être l'occasion d'aborder les questions d'intégration et d'égalité des chances. Je reprends volontairement l'intitulé du débat sans vote proposé par le groupe UMP qui aura lieu ici même à l'Assemblée nationale dans quelques jours, à la va-vite, avant le vote de la loi dont nous discutons aujourd'hui. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Vous ne l'avez pas fait !

Mme Annick Lepetit. Cela ajoute à la confusion des esprits,...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Mais non !

Mme Annick Lepetit. ...confusion dont on peut tout de même se demander parfois si elle ne participe pas d'une stratégie politicienne du Gouvernement et de sa majorité. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Nous ne sommes pas comme vous !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Pourquoi n'avez-vous pas abordé ces questions ?

Mme Annick Lepetit. Pourquoi ne pas parler maintenant des moyens qui permettraient de garantir à tous les Français l'égalité des chances, quelles que soient leurs origines, leur religion, leur couleur de peau ?

La commission Stasi a dénoncé les difficultés de l'intégration, les conditions de vie dans un certain nombre de quartiers, les discriminations. Pourquoi effectivement ne pas parler ici des discriminations à l'embauche et à l'accès au logement que subissent les Français issus de l'immigration ? Tous les jours, des jeunes femmes et des jeunes hommes, souvent diplômés de l'école de la République - je les vois dans ma permanence -, ne trouvent pas d'emploi ou de logement car ils ont des noms à consonance étrangère, ou souffrent de ce qu'on appelle le délit de faciès. Cela est à dénoncer haut, fort et concrètement si nous ne voulons pas que celles et ceux qui subissent tous les jours l'exclusion tournent le dos aux valeurs de la République.

La réaffirmation du principe de la laïcité est une de ces valeurs. Donner des règles pour vivre ensemble dans la communauté nationale, voilà ce à quoi aspirent nos concitoyens, tous nos concitoyens, surtout les plus démunis qui sont aujourd'hui de plus en plus nombreux poussés vers la précarité.

Ensuite, ce débat aurait dû être l'occasion de se pencher sur la place de la religion musulmane dans notre pays, car affirmer - marteler, graver dans la pierre - le principe de la laïcité, ce que nous avons raison de faire, c'est déclarer garantir le libre exercice de toutes les religions, dans le respect des lois de la République. Pourtant, aujourd'hui, c'est loin d'être la réalité pour la deuxième religion de notre pays. Actuellement, des milliers de musulmans prient dans des caves ou dans la rue. Cette situation, d'une part, est humiliante pour les croyants et, d'autre part, nourrit tous les extrémismes. Il faut rattraper le retard et construire des lieux de culte musulmans. Je pourrais aussi parler des carrés confessionnels dans les cimetières, où toutes les religions ne sont pas traitées de la même manière, ou bien des aumôneries, mais d'autres l'ont fait avant moi. Tous les cultes devraient bénéficier des mêmes avantages.

Enfin, ce débat aurait dû être l'occasion d'aborder la place des femmes dans notre société.

Le combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes est loin d'être fini ! Ces derniers mois le confirment encore. De nombreuses femmes ont le courage de témoigner des contraintes intolérables imposées à certaines d'entre elles, fondées sur une conception intransigeante de la religion, une conception selon laquelle la loi de Dieu prévaut sur la loi républicaine, une conception qui, quelles que soient les religions selon les époques, oblige les femmes à se conformer pour être respectées. Faut-il rappeler que, dans certains pays, au XXIsiècle, les femmes qui ne se cachent pas ont des sanctions pouvant aller jusqu'à la mort ! En Iran, c'est la lapidation. En Afghanistan, c'est l'exécution. Au Bangladesh, elles sont brûlées à l'acide.

En France, si les raisons de porter le foulard - puisque c'est principalement ce dont il s'agit dans l'esprit de cette loi - sont multiples, il n'en demeure pas moins qu'il est le symbole, l'instrument d'une discrimination. L'accepter, c'est remettre en question la mixité à l'école - le combat pour l'obtenir n'est pas si ancien -, c'est admettre la dispense de certaines disciplines scolaires.

La commission Stasi s'alarme du développement de la déscolarisation. La loi devrait réaffirmer les règles en matière d'obligation scolaire, rappeler que l'inscription par correspondance n'est de droit que dans des circonstances exceptionnelles. La commission propose, entre autres, que les élèves à partir de seize ans puissent choisir sans le consentement de leurs parents de poursuivre leur scolarité. Voilà une proposition simple, claire et pas chère. Pourquoi, monsieur le ministre, ne pas la reprendre ?

Je ne voudrais pas que le vote de cette loi, comme je le crains en entendant les propos du Gouvernement et de ceux venus des bancs de l'UMP, dissimule des questions essentielles, celles qui continueront, j'en suis sûre, à agiter notre communauté nationale.

Oui à l'interdiction des signes religieux à l'école, mais de manière simple, forte et claire. Mais oui aussi pour combattre les discriminations, lutter contre le sexisme, développer l'égalité des chances.

Votre politique, je le crains, monsieur le ministre, ne donne aucun signe de ce côté-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Taratata !

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. C'est un peu excessif !

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après un débat national particulièrement nourri, le Président de la République a souhaité apaiser les inquiétudes qui se sont fait jour autour du voile islamique à l'école. Le projet qui nous est soumis tend vers cet objectif, en France métropolitaine comme dans nos contrées ultra-marines.

Des personnalités plus qualifiées ont d'ores et déjà exposé le sujet, les enjeux sont désormais clairs. Je m'attarderai donc à vérifier avec vous les conséquences du projet à l'égard de Mayotte, avant de m'adresser directement à nos compatriotes de confession musulmane de France et à la communauté nationale dans son ensemble.

S'agissant de Mayotte, que n'avons-nous pas entendu ici et là ? Des rumeurs savamment orchestrées ont à un moment laissé entendre que la collectivité départementale de Mayotte ne serait pas concernée par le projet de loi en raison du statut personnel de l'immense majorité de ses habitants de confession musulmane. Rapidement, le regard s'est porté sur la tenue traditionnelle des femmes pour la qualifier de tenue religieuse. Bref, à notre place, l'on affirme par pétition de principe que ce projet posera des problèmes à la communauté mahoraise.

A tous, je veux rappeler que la République n'est pas l'apanage de telle ou telle religion, de telle ou telle communauté raciale ou culturelle. La République est l'affirmation d'un certain nombre de règles intrinsèques à la communauté de destin que nous avons souhaitée ensemble, règles au premier rang desquelles la laïcité constitue la colonne vertébrale.

Le projet qui nous est soumis est clair et concis. Il interdit le port à l'école, au collège et au lycée de tous signes ostensibles que le Président de la République définit comme ceux dont le port conduit à se faire remarquer et reconnaître immédiatement à travers son appartenance religieuse.

Ce projet n'a ni pour vocation ni pour ambition de gommer les cultures régionales qui sont l'enrichissement de la culture nationale. Il n'a pas pour objectif de concevoir une identité française et européenne uniforme, où les filles auraient la même coupe de cheveux, la même tenue vestimentaire à l'école, où l'on interdirait les tresses de cheveux crépus.

Le projet, en réaffirmant le principe de laïcité dans les enceintes de l'école de la République, proscrit simplement les signes religieux.

Au contraire, il réaffirme aux traditions locales une liberté d'expression que les filles mahoraises ont toujours su utiliser avec éclat en alternant, dès la maternelle, tenue européenne et habit traditionnel, très coloré, composé du « salouva » et du « kishali », le premier étant une pièce fermée enfilée autour du corps alors que le second est constitué d'une pièce de forme rectangulaire, portée indistinctement autour de la tête, sur la tête, sur l'épaule ou encore autour du cou, le tout agrémenté, notamment à l'occasion des fêtes, d'un rouge à lèvres et d'un masque de beauté pour mieux mettre en exergue la beauté de nos femmes. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cette tenue traditionnelle ne peut être confondue avec la tenue religieuse, à savoir le « bwibwi », constitué d'un ensemble noir et triste couvrant entièrement la femme des pieds à la tête, y compris le visage, et qu'elle porte par-dessus la tenue traditionnelle afin d'éviter d'être vue dans la rue. Cette tenue constitue la négation même de la femme, elle est en cela contraire à l'idée que nous nous faisons des droits de l'homme et singulièrement de la place de la femme dans notre société. Elle est inacceptable car elle avilit la femme. Heureusement peu usitée dans l'île, elle ne concerne que des adultes et seulement quelques adultes.

Un autre objet peut prêter aussi à interrogation, je veux parler du kofia, qui est une coiffe portée par les hommes. Son usage, à l'instar des casquettes, se trouve d'ores et déjà encadré par le règlement intérieur des établissements publics qui en proscrivent le port pendant les cours. Adoptée par la communauté éducative, donc par les délégués des élèves et les représentants de parents, cette disposition n'a jamais posé la moindre difficulté.

Telles sont les raisons qui me font croire que ce projet peut recevoir, sans difficultés particulières, application sur le territoire français de Mayotte. Dans l'immédiat, les chefs d'établissements n'auront pas besoin de l'appliquer. En revanche, je vois dans cette extension deux avantages majeurs : d'une part, affirmer l'intégration complète de Mayotte dans la République - ce territoire ne pouvait pas rester trop longtemps en dehors des grands principes nécessaires à notre temps -, d'autre part, constituer demain un rempart nécessaire face aux velléités d'un intégrisme venu d'ailleurs, qui cherche par tous moyens à radicaliser une pratique tolérante et ouverte mais multiséculaire de l'islam sur ce territoire. La récente tentative, avortée, de manifester contre le présent projet est là pour en témoigner.

Décidément, les Mahorais surprendront toujours la communauté nationale !


Oui, à rebours des extrêmes, Mayotte rapporte la preuve, depuis la fin des années cinquante, de sa capacité d'émancipation de la femme. Mme Zena M'déré, se levant contre les velléités indépendantistes de l'époque, conduisit victorieusement Mayotte à la séparation d'avec l'ensemble comorien et au maintien de l'île dans la France. Sur cette île très attachée à ses traditions, l'autorité de cette grande dame a toujours été reconnue et respectée par tous.

Plus récemment encore, en juillet dernier, sur la proposition de votre serviteur et avec l'appui sans faille de la ministre de l'outre-mer, à qui je veux redire notre gratitude, le Parlement a adopté l'une des mesures les plus symboliques mais parmi les plus révolutionnaires que les Mahorais aient connues depuis l'abolition de l'esclavage.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois. Très bien !

M. Mansour Kamardine. La loi du 21 juillet 2003 interdit désormais la polygamie et la répudiation. Elle rétablit l'égalité entre les filles et les garçons devant la succession et autorise la reconnaissance d'enfants naturels.

Curieusement, les oppositions les plus « visibles » ou « ostensibles » à cette évolution ne sont pas venues du terrain localement. Elles sont venues de Paris pour soutenir certains archaïsmes qui ont parfois servi de prétexte pour retarder la pleine intégration de Mayotte dans la République.

Comme par le passé, ces beaux esprits continuent à parler de Mayotte à la place des Mahorais, sans jamais les interroger, sans jamais les entendre, ni jamais les écouter.

Or, si les Mahorais sont des musulmans dans leur immense majorité, ils sont aussi des républicains très attachés aux grands principes qui fondent notre pacte commun.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois et M. René Dosière. Très bien !

M. Mansour Kamardine. Avec cette réforme du droit personnel local, c'est toute la société mahoraise qui se modernise jusqu'au plus profond de ses fondations. Mme la ministre de l'outre-mer, récemment dans l'île, a pu personnellement constater l'adhésion massive et sans réserve de la société mahoraise à cette évolution.

Mayotte, c'est exemple de la France dans sa dimension musulmane où se côtoient dans un grand élan fraternel les différentes religions présentes sur le territoire. Elle est aujourd'hui un laboratoire de ce vers quoi nous devons tendre au plan national.

A nos compatriotes de confession musulmane, je veux dire : « Ne vous trompez pas d'adversaire. Votre adversaire, ce ne sont pas les autres religions ; votre adversaire ce n'est pas le présent projet de loi ; votre véritable adversaire, c'est l'intégrisme qui gangrène le culte en France. »

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois et M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Mansour Kamardine. La foi est une relation personnelle que chacun entretient avec Dieu, à sa façon. Tous ceux qui ont choisi la République l'ont fait pour vivre mieux leur foi et librement. Celle-ci doit s'exprimer dans nos cœurs et dans la limite du respect de l'autre.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Bravo !

M. Mansour Kamardine. Cette séparation, nous l'avons organisée à Mayotte depuis de très longues années. L'éducation religieuse relève de l'école coranique, structure privée fréquentée par nos enfants en dehors des horaires de l'école républicaine et laïque. Notre foi ne s'en trouve pas altérée pour autant.

Nous vivons à Mayotte une laïcité apaisée, c'est-à-dire sans frustration, sans revendication identitaire ou de type communautariste. C'est le vœu que je veux formuler pour la nation tout entière.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois. Très bien !

M. Mansour Kamardine. Regardons les évolutions qui s'opèrent partout dans le monde musulman. Le Maroc, entièrement musulman, vient de moderniser son droit de la famille, pour encadrer la polygamie, interdire la répudiation et réaliser l'égalité de l'homme et de la femme devant la succession. N'ayons pas l'œil toujours rivé sur le rétroviseur. Les temps changent, le monde et les hommes aussi !

A la communauté nationale, je voudrais dire combien il est important qu'elle évolue également et qu'elle porte un regard nouveau sur les musulmans de France, composante à part entière de la communauté nationale.

Nous devons ensemble rebâtir notre contrat social pour accepter tout le monde, pour assurer à tous la même égalité de chance et de succès dans la société. L'ascenseur social doit être le même pour tous. Autant nous sommes intransigeants dans la sanctuarisation de l'école, autant nous devons être exigeants devant l'ascenseur social pour refuser l'exclusion.

Comment rester indifférent aux propos tenus par le Président de la République le 17 décembre dernier à l'Elysée, qui soulignait avec force : « Le sentiment d'incompréhension, de désarroi, parfois même de révolte de ces jeunes Français issus de l'immigration dont les demandes d'emploi passent à la corbeille en raison de la consonance de leur nom et qui sont, trop souvent, confrontés aux discriminations pour l'accès au logement ou simplement pour l'entrée dans un lieu de loisir. »

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Mansour Kamardine. J'appelle de mes vœux à une refondation de cet ascenseur social jusqu'au plus lointain de nos territoires ultra-marins. Ainsi, nous rétablirons la République dans ses lettres de noblesse de liberté, d'égalité et de fraternité.

Monsieur le ministre, parce que nous souhaitons offrir à la nation les moyens de son apaisement, je voterai votre projet. Sa mise en œuvre seule ne suffira pas à apporter les réponses attendues. Les orateurs qui m'ont précédé ont esquissé les principales pistes de réflexion pour approfondir cette belle œuvre. Mais d'ores et déjà, un vaste effort de dialogue doit être entrepris. Aussi, permettez-moi en conclusion de soumettre à la sagacité de votre jugement les réflexions de quelqu'un que vous ne pouvez pas ignorer, un lointain prédécesseur. J'ai nommé Jules Ferry qui, pour gagner la cause de l'école laïque, avait imaginé l'enseignement de la leçon de morale pour que les enfants rapportent de leur classe de meilleures habitudes, des manières plus douces et plus respectueuses, plus de droiture, plus d'obéissance, plus de goût pour le travail, plus de soumission au devoir, enfin les signes d'une incessante amélioration morale.

Dans nos foyers, les cœurs de nos enfants, comme de nous autres parents, ont besoin d'être éclairés pour mieux préparer à notre pays cette génération de bons citoyens à laquelle nous rêvons tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis, après beaucoup d'autres, d'un tel débat qui permet à chacun, avec suffisamment de temps, de dire sa « religion » sur la laïcité dans la République. Je vous en félicite, monsieur le président.

Tout a été dit avant moi et je souscris globalement aux propos que j'ai entendus sur la nécessité de faire cette loi, sur son insuffisance, sur le fait qu'elle ne réglera pas tous les problèmes, sur son utilité, sur la querelle sémantique qui a animé les débats à propos du remplacement du mot « ostensible » par le mot « apparent » ou « visible ».

Permettez-moi simplement, après M. Kamardine et d'autres élus de l'outre-mer, d'ajouter à ce débat une petite touche antillaise, ultra-marine.

Rappelez-vous une affaire que nous connaissons tous et que nous avons vécue de manière diverse, l'affaire de Creil, en 1989. A ce propos, il convient de rappeler trois faits.

Tout d'abord, le principal du collègue de Creil était d'origine martiniquaise. Si je le mentionne, c'est que les Antillais vivent de manière intense et fort rigoureuse la laïcité. Le principal de l'époque a voulu appliquer strictement le règlement intérieur en interdisant aux trois jeunes filles de pénétrer dans la salle de classe. Les Antillais apportent un peu de leur culture sous la semelle de leurs chaussures...

Dans l'histoire antillaise, à l'époque où seule était autorisée la religion catholique, elle se transformait en psychopompe, en conducteur des âmes...

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Hermès !

M. Victorin Lurel. Aujourd'hui, la laïcité est vécue intensément, qui en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, qui à la Réunion ou à Mayotte.

Ensuite, et cela été oublié, on n'a pas interdit aux jeunes filles de pénétrer dans l'enceinte de l'école. Elles ont été reléguées dans la bibliothèque, où elles pouvaient recevoir un enseignement, lire les livres qu'elles voulaient. La salle de classe a été, d'une certaine manière, sanctuarisée, sacralisée, faisant de l'école un espace d'accès à l'universel.

Bien entendu, on a l'impression, au-delà de l'importance de l'école dans la culture française et dans la culture républicaine, d'examiner cette question par le petit bout de la lorgnette, mais il est important de rappeler que l'on a sacralisé, sanctuarisé, séparant, si j'ose dire, le sacré et le profane : la salle de classe devenait donc un espace sacré. C'est ce que l'on cherche aujourd'hui d'une certaine façon à faire dans ce projet de loi.

Enfin, j'observe que, si la laïcité a eu gain de cause, puisque les élèves ont enlevé leur voile, ce fut sur injonction du roi du Maroc, Commandeur des croyants.

Il a donc fallu une autorité extérieure à la République pour faire respecter les lois de la République.

Aujourd'hui, M. Mariani l'a rappelé, l'enseignement des langues et cultures d'origine, permet à des autorités extérieures à la République de s'immiscer dans la pédagogie et peut-être dans le contenu des programmes. Nous n'avons pas de contrôle sur celles et ceux qui dispensent ces enseignements, ni sur les ouvrages.

Il faut être prudent. Quinze ans après l'affaire de Creil, la problématique n'a pas changé et la laïcité reste encore une idée neuve.

En réalité, le problème du voile islamique, puisque c'est ainsi qu'on l'a appelé, n'est que le symptôme, le signe d'un malaise qui traverse la société française. J'ai la terrible et tenace impression que la société française a du mal à s'accepter telle qu'elle est aujourd'hui et qu'elle digère fort mal l'héritage post-colonial.

Quel est le problème ? La société française appartient à ce que, dans les Caraïbes, nous nommons les sociétés ataviques, les sociétés multi-séculaires, avec une racine judéo-chrétienne - plus chrétienne peut-être que judéo. On a du mal dans ces sociétés, même si elles font preuve d'ouverture, à accepter intrinsèquement l'autre.

On assiste à un choc des cultures. La France traverse une période de transition culturelle. Elle devient sous nos yeux une société multiculturelle. Et c'est en même temps un tabou : personne ne veut véritablement l'accepter, la vivre telle qu'elle est et donc la traiter comme il faut. La France est devenue une société composite.

Or, en République française, on ne reconnaît pas les minorités, on ne reconnaît pas véritablement les communautés. On reconnaît l'individu et on veut en faire un citoyen. Mais, dans la vie de tous les jours, le citoyen a le sentiment de n'être pas reconnu, de n'être pas intégré, de ne pas arriver à s'insérer, ni à trouver sa bonne place. Quels que soient ses efforts, quelle que soit sa vertu, il retourne vers sa communauté et sombre dans les replis communautaires. C'est tout le drame : l'individu n'est pas reconnu en tant que citoyen et sa communauté non plus.

Ce dissensus, ce choc interculturel est cause de la crise et du malaise que nous connaissons.

Je le vis presque dans ma chair. J'appartiens aux minorités dites visibles, et, pourtant, il y a une telle invisibilité sociale ! Vous le sentez dans le regard de l'autre. Vous éprouvez l'impression, un peu curieuse, qu'au-delà de votre citoyenneté, de votre identité, de votre nationalité, subsiste manifestement un problème d'insertion et d'intégration et qu'il convient d'y mettre l'accent, ce que n'ont pas fait tous les gouvernements.


La société caraïbe dans laquelle je vis n'est pas seulement métissée, mais multiculturelle. C'est une société à identités multiples - à identité « rhizome », ou « mangrove », comme disent les écrivains -, où l'on va à la rencontre de l'autre. Aux Antilles comme à la Réunion, la laïcité est vécue de manière sobre, tempérée, sans que se posent de véritables problèmes. Il convient donc de faire là un effort d'appréhension. La France vit un processus qui n'est pas seulement de métissage, mais de créolisation. Ce terme, qui peut étonner, exprime bien l'interpénétration des cultures, avec une valeur ajoutée qui est celle de l'imprévisibilité.

Tel est donc le choc entre le vieux et le neuf, et l'intégration n'a pas lieu. La France connaît une crise du vivre ensemble, et les politiques appliquées n'ont pas prise sur la réalité. Il suffit de s'asseoir à la terrasse d'un café parisien pour voir défiler des citoyens originaires d'Europe, d'Afrique, du Maghreb, des DOM ou des TOM, qui sont une richesse de la France d'aujourd'hui.

La France a du mal à mettre en place une politique qui lui permette de digérer cet héritage post-colonial. La laïcité a été l'outil - le concept, l'idée, l'idéal - permettant de faire cohabiter harmonieusement les diverses confessions dans une société multiconfessionnelle. Mais notre société devenue multiethnique, multicolore et multiculturelle n'a pas su trouver un tel outil. Il lui faut sans doute un plan Marshall de l'intégration.

J'ai déjà dit à cette tribune que nous avons besoin de signes forts et symboliques. Ainsi, pour montrer que nous vivons intensément l'égalité telle qu'elle est inscrite en lettres de feu dans notre loi fondamentale, il nous faut supprimer de l'article 1er de la Constitution le mot « race », et affirmer qu'il n'y a pas de races humaines, mais un polymorphisme génétique, et que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

Oui, il nous faut une autorité de lutte contre les discriminations. Le mot de « mobilisation positive » irrite certains, mais c'est pourtant bien la politique qui est menée hypocritement. Qu'est-ce donc que la politique de la ville ou des banlieues ? Qu'a donc fait M. Descoings, directeur de Sciences Po, sinon appliquer cette autre conception de l'équité ?

Le Gouvernement et notre assemblée doivent s'interroger sur les moyens de faire cohabiter harmonieusement et pacifiquement l'universalité, qui est fondamentale, et la diversité - ou, mieux encore, la « diversalité », pour reprendre le terme qu'emploie, notamment, Chamoiseau. Tel est le nouveau pacte laïque vers lequel nous devons cheminer, et c'est ce à quoi je vous invite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Descamps.

M. Jean-Jacques Descamps. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues. J'ai lu les rapports de la commission et de la mission d'information mandatées pour nous éclairer sur les solutions à apporter au problème du port du voile dans les écoles.

J'ai écouté les arguments des uns et des autres. J'ai entendu le Premier ministre, mon ami, en qui j'ai une grande confiance. J'ai entendu hier le ministre de l'éducation nationale défendre l'idée fondatrice de ce projet : cette loi serait un signe simple et clair envoyé à tous ceux et à toutes celles qui veulent attenter aux principes de laïcité républicaine dans notre pays.

Je comprends ces arguments mais le débat est bien plus complexe et cette loi ne suffira pas à le clore.

Elle vise, en effet, à interdire le voile, signe ostensible de croyance religieuse - et, par conséquent, avec lui, tous les autres signes religieux. Mais, en fait, c'est bien de l'islam qu'il s'agit, qui interpelle soudainement l'opinion publique française, habituée au subtil équilibre construit depuis 1905 et, surtout, depuis 1924, entre les partisans d'une laïcité républicaine conforme à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et ceux qui veulent maintenir le strict respect par l'Etat des traditions judéo-chrétiennes qui ont fait l'histoire de notre pays.

L'opinion publique accepte que les communes entretiennent les lieux de culte catholique et que des aumôniers catholiques ou protestants soient présents dans l'armée, les écoles et les prisons. Est-elle prête à l'accepter pour la religion musulmane ? Peut-être, sous réserve que soient levées les incertitudes sur les objectifs réels de cette religion. Est-elle l'expression d'une croyance en un dieu aussi respectable que celui des chrétiens ou, au contraire, l'expression d'une vision géopolitique et morale inacceptable pour notre société ?

L'arrivée dans notre pays de cette religion, pratiquée par une large partie d'une population nouvelle, d'origine maghrébine ou africaine, que nous avons accepté d'accueillir sans contrôle et sans réserve, ou qui y est née et est devenue française par le droit du sol, modifie fondamentalement l'équilibre qui existait jusqu'alors entre une vision raisonnable de la laïcité républicaine et la pratique de religions modérées souvent confortée par les vagues d'immigration précédentes - polonaise, espagnole et portugaise.

La confusion trop rapidement commise par beaucoup de nos concitoyens entre l'islamisme, le fondamentalisme et - pourquoi pas ? - le risque du terrorisme a créé une appréhension quasiment irréversible devant la montée en puissance de la religion musulmane.

Quelques apparitons de jeunes filles voilées, amplifiées par l'habituelle pression médiatique et mises en lumière par l'incapacité de certains chefs d'établissement à régler localement le problème, ont fait surgir au grand jour cette inquiétude partagée sans le dire par la majorité de la population. Elles ont suscité le débat actuel, qui est, certes, salutaire, mais qui se limite trop, selon moi, à une question simple : le port du voile par certaines jeunes filles pratiquantes, outre qu'il peut leur avoir été imposé plus par leur famille que par leur religion et être signe d'une infériorité de la femme, est-il l'expression sincère d'une croyance respectable ou, au contraire, une provocation d'ordre politique ou moral répréhensible, et donc passible de sanction ?

Mais en réalité, au-delà de cette question, le problème qui se pose n'est-il pas celui de l'intégration de la religion musulmane et de ses conséquences sociologiques dans le paysage politico-culturel français ? Si tel est le cas, cette loi est-elle vraiment une réponse à la question ?

La solution est-elle donc vraiment d'interdire le port d'une grande croix ou de la kippa à l'école pour justifier l'interdiction du voile ? Est-elle de « laïciser » un peu plus encore les jeunes élèves pour qu'elles échappent à une culture familiale dangereuse, qu'elles retrouveront naturellement chez elles dès la sortie de l'école ?

Est-ce en interdisant tout signe religieux ostensible appartenant à notre propre histoire ou à celle de cette population immigrée qu'on séparera, dans notre pays, le bon grain que représente la foule des pratiquants modérés de l'ivraie des intégristes de tout poil, prêts, comme on l'a vu dans les siècles passés, à toutes les turpitudes ?

L'islam est là, chez nous. La question est de savoir comment faire pour qu'il s'exprime de façon modérée.

Rappelons nous qu'il y a cinquante ans, les prêtres catholiques portaient soutane et les femmes, à l'église, se couvraient la tête. La religion catholique a évolué. La religion musulmane, dans son expression la plus sexiste, le peut-elle aussi ? Si on ne le croit pas, le danger est réel, car, même si on résout le problème à l'école, on ne le résoudra pas dans les mosquées ou dans les quartiers sensibles.

Que faire, alors, devant ce texte qui, à mon sens, ne répond pas aux vraies questions ?

Sans doute pourrait-on, déjà, la rendre plus conforme à la Déclaration des droits de l'homme en ne prévoyant d'interdiction qu'en cas de troubles de l'ordre public, comme le propose Edouard Balladur dans un amendement que je soutiens.

On aurait pu aussi, conformément à l'idée que l'on peut se faire - et qui est la mienne - d'une neutralité de l'enseignement à l'école, assortir cette interdiction des signes religieux d'une interdiction des signes politiques ou, mieux, des comportements agressifs ou non conformes à ce qu'on appelle communément la morale.

Vous avez fait le choix de sa simplicité. Du coup, ce texte ouvre la porte à une vision radicale de la laïcité républicaine, en la limitant à l'école, mais en prenant le risque d'extensions ultérieures qui seraient inacceptables, comme son application dans les écoles privées sous contrat.

Certains ont exprimé une conception de la laïcité qui, à force de craindre les effets de la religion sur la morale ou sur la politique, ferait refuser l'expression publique et modérée des croyances religieuses.

De même, j'ai le sentiment que cette loi contribue à donner plus d'importance aux signes religieux qu'aux comportements, qui doivent pourtant respecter les us et coutumes de notre République.

Il conviendrait de s'intéresser davantage aux comportements de tous ceux qui, de toutes origines - et pas seulement maghrébine -, vivent sur notre territoire, et surtout de ceux qui ont choisi d'accéder à la nationalité française et bénéficient ainsi de la solidarité nationale et des droits qui y sont attachés. Il faudra veiller à ce que, dans le respect de leurs propres cultures, ils respectent les devoirs qui en découlent, comme l'adaptation à nos règles de vie en société, le respect des croyances d'autrui et le refus du prosélytisme agressif. C'est ainsi que l'on forge un pays diversifié, innovant et dynamique, qui préfère l'ouverture au repli sur soi.

Avec le recul nécessaire, on voit bien que ce n'est pas à l'école que le problème est le plus difficile à résoudre. C'est dans tous les gestes de la vie quotidienne, pour les enfants comme pour les adultes, qu'il faut veiller au respect de nos valeurs républicaines, qui sont d'abord fondées sur la liberté de croire, de penser et de parler. Telle est la laïcité républicaine collective, dans le respect des consciences de chacun.

C'est pour ces raisons qu'en conscience, je ne me satisfais pas totalement de cette loi qui ne répond pas aux vrais problèmes de la société de demain. Je m'abstiendrai donc de la voter en l'état.

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'il s'agisse des pressions exercées sur les jeunes musulmanes ou de la provocation recherchée à l'égard du reste de la communauté scolaire, le problème majeur que pose le voile est la remise en cause de l'un des éléments les plus étroitement liés à la laïcité : la liberté de conscience. Le problème, qui n'a pas été assez souligné comme tel, est donc au moins autant celui de la liberté de conscience au sens strict que celui, plus large, de la laïcité. C'est ce qui justifie une prise de position et le choix, parmi les diverses solutions possibles, la voie législative.

Mais il faut veiller, monsieur le ministre, à ce que, dans les circonstances qui nous conduisent à légiférer, le texte que nous adopterons sur un sujet aussi sérieux que la laïcité ne soit pas un texte de circonstance. Notre débat et l'intérêt qu'il suscite ont montré que les conceptions de la laïcité sont très diverses - des plus rigoureuses aux plus ouvertes - et il importe, pour l'avenir, que ce débat soit réellement approfondi.

Or, l'un des problèmes posés par ce projet de loi est qu'en ne visant que les signes religieux, il crée chez ceux qui pratiquent une religion, qui y sont attachés ou qui, simplement, respectent les religions un sentiment de gêne, voire d'humiliation.

Personne, monsieur le ministre, n'a le monopole de la République, et la première exigence en matière de laïcité est la réciprocité. Les juifs et les protestants ont adhéré pratiquement dès l'origine à la République. Les catholiques s'y sont officiellement ralliés à la fin du XIXe siècle. La très grande majorité des musulmans de notre pays sont attachés aux principes républicains, et des institutions telles que le Conseil français du culte musulman ont pour rôle de faciliter les relations entre la religion musulmane et la République, comme cela a été le cas pour les autres religions.

A l'opposé, s'il est vrai que ceux qui font volontiers profession de laïcité en ont généralement, et à juste titre, rappelé les principes, ils ont parfois aussi versé dans l'hyper-laïcité ou dans le laïcisme, qui est une autre forme d'intégrisme.


La laïcité n'est pas seulement une séparation entre la République et les religions ; elle est aussi un espace commun. Et comme tout espace, elle a plusieurs frontières, qui doivent être autant respectées par les uns que par les autres. C'est pourquoi j'aurais souhaité que ce texte, qui s'applique exclusivement aux élèves, concerne aussi, dans l'esprit de la circulaire de Jules Ferry, les enseignants et les autres personnels des établissements scolaires. Outre les signes religieux, il aurait dû viser, dans un esprit de réciprocité et d'équilibre, le port de signes politiques, maçonniques ou philosophiques.

Au-delà de ce projet de loi, monsieur le ministre, l'autre enjeu de ce débat est de ne pas s'enfermer dans une laïcité purement formaliste, voire de négation, et de savoir entretenir une laïcité de dialogue. Je rappelle que l'article 1er de la loi de 1905 affirme que la République « garantit le libre exercice des cultes », et que cette loi n'est donc pas, comme certains le croient, une loi areligieuse, ou a fortiori antireligieuse.

Le dialogue est nécessaire parce que la laïcité est un espace par nature fragile. L'enseignement, dans nos écoles, des éléments essentiels des principales religions ou croyances, vaudrait mieux que le silence, trop fréquent aujourd'hui, ou qu'un enseignement échappant à toute règle, comme celui de l'ELCO évoqué hier par notre collègue Thierry Mariani. De même, certaines dispositions de la loi de 1905, aujourd'hui surannées, demanderaient sans doute des adaptations, prudentes mais néanmoins nécessaires.

Ce dialogue est bien sûr indispensable dans la perspective de notre politique d'intégration - nombreux sont les orateurs qui l'ont souligné -, mais aussi dans le cadre de la construction européenne. Les travaux sur la constitution européenne nous ont montré que, sur ce point aussi, nous ne ferons pas l'économie d'un débat : nous devrons, avec nos partenaires, définir des règles ou des concepts qui garantissent notre propre conception de la laïcité.

Je voterai ce texte car il est nécessaire dans l'immédiat, mais je vous demande, monsieur le ministre, d'engager une véritable réflexion et un vrai débat sur une laïcité qui doit certes être exigeante, mais aussi partagée et ouverte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Remiller. Très bien !

M. le président. Monsieur le ministre, chers collègues, je tiens à saluer tout particulièrement les élèves malentendants du lycée François Truffaut. Ils sont venus suivre nos débats. (Applaudissements sur tous les bancs.) J'exprime toute ma reconnaissance à leur interprète. Il est membre d'une association et a passé avec eux une partie de cet après-midi au Palais-Bourbon, pour le visiter et traduire vos interventions. Il y a sur le fronton de toutes les mairies de France le mot « Fraternité » ; leur présence en est l'expression. (Applaudissements sur tous les bancs.)

La parole est à M. Germinal Peiro.

M. Germinal Peiro. Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intrusion du voile pose depuis plusieurs années de sérieux problèmes dans les établissements scolaires et laisse le plus souvent les chefs d'établissement seuls face aux difficultés. Notre pays est donc amené à s'interroger à nouveau sur la place des religions dans notre société et sur la mise en œuvre du concept de laïcité, qui constitue un des fondements de notre République.

Avant d'aborder le thème des signes religieux à l'école, je souhaite exprimer mon opinion sur le port du voile. A mon sens, comme l'ont dit d'ailleurs plusieurs collègues, le voile est avant tout le symbole de l'inégalité entre les sexes, le signe imposé par l'homme de la soumission de la femme. Certains nous diront qu'il peut être porté volontairement, mais, pour l'immense majorité des femmes qui s'en couvrent, nous savons tous que c'est une contrainte discriminatoire qui les affecte dans leur personne, leur dignité et leur statut social.

Dans notre pays, la marche pour l'émancipation des femmes a été longue, et elle n'est pas totalement achevée. Il a fallu attendre 1945 pour que les femmes, reconnues comme citoyennes à part entière, aient enfin le droit de vote, puis les années soixante et soixante-dix pour qu'elles puissent disposer librement de leur corps, avoir accès aux méthodes de contraception et à l'interruption volontaire de grossesse. Aujourd'hui encore, à qualification égale, le salaire n'est pas égal entre un homme et une femme. Il faut noter que ce combat des femmes pour leur émancipation a toujours été mené contre les préceptes des religions. Aujourd'hui, des millions de femmes dans le monde vivent sous le joug des religieux, qui leur imposent un statut social inférieur et la privation des libertés fondamentales, ou qui préfèrent les laisser mourir du sida et des autres maladies sexuellement transmissibles, plutôt que d'autoriser l'usage de moyens de protection comme le préservatif.

Nous devons admettre que toutes les sociétés humaines ne peuvent évoluer de la même façon et au même rythme. Mais nous n'en devons pas moins réaffirmer, encore et toujours, l'idéal humaniste qui est le nôtre. Né durant le Siècle des Lumières, concrétisé par la Révolution de 1789 puis par l'abolition de l'esclavage, c'est grâce à lui que notre pays porte depuis deux siècles, à travers le monde, le message universel des droits de l'homme. Et ne nous trompons pas, c'est avant tout au nom des droits de l'homme, du respect de la personne humaine et de l'égalité entre les sexes que nous avons le devoir de nous opposer au port du voile à l'école.

S'agissant de la place des religions dans notre société, nous devons aussi réaffirmer clairement le principe de la séparation des Eglises et de l'Etat, qui fait de notre pays un cas pratiquement unique au monde.

Notre République est laïque, et la laïcité nous permet, dans la reconnaissance absolue de la liberté individuelle, de vivre ensemble dans un mutuel respect entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, car elle borne chacune des confessions religieuses afin que celle-ci ne puisse s'imposer aux autres ou aux non croyants. La laïcité, en marquant ces limites, est la seule et véritable garantie de la liberté de chacun dans notre République. Ce débat nous donne l'occasion de réaffirmer la nécessité de ces limites et de protéger des espaces de neutralité, en dehors de toute influence religieuse.

A ce titre, les écoles publiques, mais aussi les écoles privées sous contrat puisqu'elles sont financées par les deniers publics, de même que les administrations publiques, doivent être des espaces neutres où aucune religion ne cherche à s'imposer ni à introduire ses règles. La préservation de cette neutralité est la garantie du respect de tous, d'une coexistence pacifique et de la liberté de chacun.

Le principe de laïcité est pourtant fréquemment bafoué. Il est nécessaire aujourd'hui, monsieur le ministre, de rappeler aux services de l'Etat eux-mêmes que leur premier devoir est de respecter ce principe inscrit dans la Constitution, notre règle commune. Il est indispensable de rappeler à tous les agents de l'Etat que si, dans leur vie privée, ils ont l'entière liberté d'adhérer à telle ou telle croyance ou de ne pas croire, ils ont le devoir, dans le cadre de leur fonction, de respecter les règles fondamentales de notre République. Il n'est pas acceptable de voir couramment aujourd'hui, dans notre pays, un préfet ou un sous-préfet, en fonction et en uniforme, représentant donc l'Etat, chanter, prier, communier, lors d'une manifestation religieuse. Il n'est pas admissible que des militaires, comme les gendarmes, ou des agents des collectivités territoriales, comme les pompiers, organisent publiquement des manifestations religieuses, auxquelles ils n'hésitent pas à inviter la population et les élus.

M. Jacques Remiller. Mais c'est pour la Sainte-Barbe ou la Sainte-Geneviève ! (Sourires.)

M. Germinal Peiro. Monsieur le ministre, vous nous dites être attaché au principe de laïcité. Vous ne manquerez donc pas de rappeler que, quel que soit le poids des traditions, les agents de la fonction publique d'Etat, territoriale ou hospitalière, ont le devoir impérieux de respecter le principe de laïcité qui fonde notre République. Pour la même raison, vous ne manquerez pas non plus d'accepter l'amendement du groupe socialiste qui propose d'interdire l'ensemble des signes religieux visibles à l'école, comme l'a préconisé la mission d'information dirigée par M. le président de l'Assemblée nationale.

Devant un problème difficile, il faut une réponse claire, afin d'éviter les appréciations subjectives, sources de futures contestations. Il faut surtout que vous traduisiez en acte ce que vous affirmez : la loi n'est pas une loi contre l'islam. Pourtant, si vous n'écrivez pas « visible » dans la loi, le texte reviendra à interdire le voile tout en autorisant, de fait, les signes plus discrets des autres religions. Vous prendriez le risque de stigmatiser la population musulmane et vous tromperiez les républicains sincères, car vous n'appliqueriez pas strictement le principe de laïcité.

Monsieur le ministre, notre République mérite mieux qu'une position ambiguë qui susciterait de nouveaux conflits. La laïcité est un principe fondamental. Vous ne devez pas l'écorner. Vous avez le devoir, de par vos fonctions, d'en être le garant. Il en va de l'équilibre de la société française et de la façon harmonieuse de vivre ensemble ; il en va aussi du message universel de respect mutuel et de liberté qui participe à la construction de la paix dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, appliquer le principe de laïcité à l'école publique, tel est l'objectif du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, conformément à la volonté du Président de la République.

Depuis la charte de 1830, qui mit fin à la religion d'Etat en France, depuis surtout la séparation des Eglises et de l'Etat en 1905, une laïcité empreinte de tolérance et respectueuse des libertés individuelles s'est peu à peu affirmée dans notre pays.

Depuis plusieurs années pourtant, ce principe est battu en brèche. Dans certains lycées, des jeunes filles portent ouvertement, librement pour certaines et sous la contrainte pour d'autres, le voile, symbole de leur appartenance religieuse. En 1989, la décision du gouvernement de s'en remettre sur ce sujet à un avis du Conseil d'Etat n'a rien réglé.

Depuis plusieurs mois, le débat est sorti des limites des bureaux des proviseurs et des conseils de discipline pour investir le champ politique. Il est donc de notre devoir, et je dirai même de notre honneur de parlementaire, de nous exprimer pour fixer la règle et réaffirmer que la laïcité est un des principes fondamentaux de notre République.

Réaffirmer ce principe suppose, en premier lieu, de défendre la place de la femme dans notre société.

En effet, il ne servirait à rien de voter des lois garantissant, par exemple, l'égalité des sexes dans le milieu professionnel si l'essentiel, la garantie d'une véritable égalité des chances, n'était pas assuré, aussi bien dans le cercle familial qu'au cours de l'acquisition des valeurs et du savoir. Il serait tout aussi inutile d'adopter des lois sur la parité si, parallèlement, on laissait imposer à des femmes, dans notre pays, le port d'un voile manifestant leur soumission envers la gent masculine.

En quoi la chevelure d'une femme constitue-t-elle un outrage à la morale ? Accepter le voile, ce serait finalement réduire les femmes à l'état d'objet charnel. En quelques années, nous verrions alors fleurir les exemptions pour les jeunes filles dans les cours d'éducation physique ; ensuite, on nous expliquerait qu'il serait souhaitable de revenir sur la mixité dans les écoles ; enfin, le refus de se faire soigner dans un hôpital par un médecin du sexe opposé serait considéré comme normal.

De tels comportements sont contraires aux principes qui régissent notre république. Ceux qui me connaissent savent que le féminisme n'est pas mon combat. Les femmes ne veulent ni des quotas, ni des places réservées. Elles souhaitent seulement l'égalité des chances et la liberté de choix. Et le projet de loi sur la laïcité à l'école va dans ce sens.


L'application du principe de laïcité à l'école publique est au cœur de l'identité républicaine de notre pays. Car l'école ne doit pas redevenir le théâtre d'affrontements idéologiques ou religieux. Pour le bien de nos enfants, elle doit rester un terrain neutre, premier espace de liberté, d'égalité et de tolérance, loin de toute agression.

L'école est en effet le point de rencontre privilégié où sont transmises les connaissances et les valeurs qui fondent notre société. Elle est également devenue le point où se rencontrent des enfants d'origines diverses, qu'elles soient sociales, religieuses ou géographiques.

L'école constitue le creuset qui a permis, depuis la fin du XIXe siècle, de forger l'identité d'une France républicaine, d'une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », comme le dit la Constitution. Si nous sommes loin, aujourd'hui, de ces instituteurs « hussards noirs de la République » qui formèrent plusieurs générations de nos concitoyens, apportant ainsi leur soutien essentiel à l'unité de ce pays, les enseignants ont toujours pour mission de transmettre à nos enfants les valeurs qui nous sont communes, et qui permettent l'enracinement de l'idéal républicain.

C'est pourquoi l'école doit être préservée. Elle doit rester neutre par rapport à tout conflit religieux, car sinon ce serait contraire aux intérêts des enfants. Elle doit être protégée et permettre aux professeurs et aux chefs d'établissement d'exercer sereinement leur mission d'éducation. C'est pourquoi nous devons inscrire dans la loi une règle claire. Une règle qui est pourtant depuis longtemps dans nos usages et fonde notre pratique : le respect de la laïcité à l'école publique.

Comme toutes les libertés individuelles, la République française garantit la liberté de culte. En conséquence, chacun est totalement libre de vivre sa foi. Cette liberté doit être vécue dans le respect de la laïcité au sein de l'école publique. Dans l'enceinte de l'école, c'est donc bien la neutralité religieuse, seule garante du respect de la liberté de conscience des élèves, qui doit prévaloir.

C'est ainsi et ainsi seulement, dans le respect du principe de neutralité, que sera garantie l'égalité des chances entre les sexes, à l'école et, plus tard, dans la vie professionnelle.

C'est pourquoi une loi est devenue nécessaire. Comme beaucoup, j'ai longtemps hésité. Pourquoi, en effet, figer dans le marbre de la loi un principe qui, depuis longtemps, était devenu réalité dans nos usages ?

Depuis plusieurs années, les cas de voiles à l'école seraient en diminution, nous dit-on.

M. Guy Geoffroy. Non !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Et pourtant, ce problème suscite depuis plusieurs mois un véritable débat dans la société française. Il est temps aujourd'hui de donner aux professeurs et aux proviseurs de nos collèges et lycées publics les moyens juridiques qu'ils attendent pour assurer l'éducation de nos enfants dans la sérénité. Il ne leur appartient pas, en effet, de déterminer dans quelle mesure une croix, un voile ou une kippa peuvent être portés par des élèves, pour qu'ensuite leur décision soit contestée, voire annulée devant un tribunal. Ils n'en ont pas l'autorité. C'est au législateur et à lui seul de prendre ses responsabilités. C'est ce qu'il fait en adoptant cette loi.

Car la loi doit affirmer sa force. En votant ces quelques lignes, nous réaffirmerons à l'endroit de ceux qui voulaient ne pas l'entendre que la France est le pays des libertés. J'ai entendu comme vous ces intégristes manifestant dans la rue ou investissant les plateaux de télévision. Ils se font les défenseurs des libertés individuelles. Ils se posent en défenseurs de millions de personnes. Pourtant, ils ne furent que quelques milliers à défiler dans les rues. La liberté de culte ne doit pas être une porte laissée ouverte aux intégrismes.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. A eux tous qui crient et dénoncent une atteinte aux libertés, je dis : la laïcité, c'est la garantie de la liberté de conscience.

M. Jacques Remiller. Très bien !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. La laïcité, c'est la liberté de croire ou de ne pas croire. C'est la liberté de s'exprimer et de pratiquer sa foi, quelle qu'elle soit. C'est le respect, l'esprit de dialogue et de tolérance. La laïcité, c'est l'essence même de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Nesme.

M. Jean-Marc Nesme. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi me rend perplexe, car il me semble être une mauvaise réponse à un vrai problème, ou, si l'on veut, une fausse bonne idée.

L'article 1er de notre Constitution dispose que « la France est une République laïque ». Etant la règle suprême, la Constitution s'impose à tous. Je crains que celui qui ne respecte pas la loi suprême ne respectera pas plus une loi de circonstance !

Alors, pourquoi promulguer une loi spécifique interdisant les signes religieux ostensibles à l'école alors que l'on sait qu'elle risque d'être inapplicable, comme le sont les règlements intérieurs actuels. Que cache cette redondance de textes qui risque d'affaiblir l'efficacité du droit ? Pourquoi un texte particulier sur la laïcité serait-il plus clair que l'affirmation constitutionnelle du principe lui-même, alors que les exégètes ne sont d'accord ni sur les adjectifs - visibles, ostensibles, ostentatoires - ni sur les qualificatifs, signe religieux ou politique ?

Comment réagira l'opinion, dont on connaît la versatilité, lorsqu'elle découvrira sur les écrans de télévision qu'une jeune lycéenne catholique ou protestante ou juive ou musulmane est expulsée de son établissement scolaire par la police dans le cadre de l'application de cette loi ! Cette loi est, si je puis dire, pain bénit pour les intégristes de tout poil, qui « accueilleront » avec joie et intérêt ces jeunes mis au ban de l'école laïque. A l'inverse, si la loi n'est pas appliquée, l'Etat aura, une fois de plus, perdu une partie de son autorité.

Faudra-t-il une autre loi pour dire que notre République est ostensiblement ou « ostentatoirement » laïque ? Après une loi pour les hôpitaux, faudra-t-il une loi pour les services de l'Etat, une pour les services municipaux, une pour les cantines scolaires, une pour les piscines, une pour interdire aux sportifs de se signer au moment d'entrer dans un stade ?

M. François Loncle. Quelle caricature !

M. Jean-Marc Nesme. Ne peut-on pas craindre qu'un certain « intégrisme laïque » ou un fondamentalisme islamique se développent, demandant, à l'avenir, une loi pour détruire les calvaires, une pour retirer le mot « saint » du nom de milliers de communes de France, une pour interdire les expositions publiques des œuvres d'art d'inspiration chrétienne, qui composent 80 % de notre patrimoine culturel ?

M. François Loncle. N'importe quoi !

M. Jean-Marc Nesme. Pourquoi ouvrir la boîte de Pandore et risquer de porter atteinte au fragile équilibre entre l'Etat et les religions ? Pourquoi risquer de raviver de vieilles querelles ? Pourquoi promulguer une loi qui est synonyme de marginalité sociale, entraînant le repli communautariste pour une minorité de personnes qui refusent de s'intégrer ?

La laïcité, au sens exact du terme, n'a rien à voir avec ce texte de loi. Il est vrai que la notion en a été faussée, spécialement dans certains milieux et par certains courants de pensée où elle s'est traduite en profession d'athéisme et en propagande athée, ce qui constitue, à l'évidence, une contre-laïcité. « Ainsi comprise, écrivait récemment Jean Foyer, ancien ministre de la justice, elle veut mettre sous le boisseau l'expression de toute conviction religieuse ».

Or, au sens de la Constitution, la laïcité n'est pas cela. La laïcité de l'Etat est le respect intégral des religions et des croyances ; elle n'est pas le laïcisme. La laïcité est tout simplement la tolérance, dont l'Etat est le garant. Le général de Gaulle l'avait bien compris lorsqu'il déclarait : « La République est laïque, mais la France est chrétienne. » Si la République est laïque, la société civile, elle, ne l'est pas. La vraie laïcité est celle qui contribue au meilleur « vivre ensemble ».

Alors, on nous dit que ce projet de loi est destiné à protéger les écoliers, les collégiens et les lycéens contre les situations tendant à créer un trouble à l'ordre public dans les établissements scolaires publics.

Il me semble que cet argument ne tient pas. L'apprentissage de la tolérance, du « vivre ensemble », du respect de l'autre se fait très jeune, d'abord au sein de la famille, et se développe à l'adolescence, notamment à l'école. Faire des adolescents des « abstractions » et faire des établissements scolaires des « sanctuaires » coupés des réalités et du monde extérieur, c'est le plus sûr moyen de construire une société d'irresponsables, de plus en plus intolérante et individualiste.

La vraie question n'est donc pas de combattre les signes religieux à l'école, c'est d'y enseigner le fait religieux. Comme l'écrivait Régis Debray dans son rapport de février 2002, « l'histoire des religions peut prendre sa pleine pertinence éducative, comme moyen de raccorder le court au long terme, en retrouvant les enchaînements, les engendrements longs, propres à l'humanitude, que tend à gommer la sphère audiovisuelle, apothéose répétitive de l'instant ».

En outre, ce projet de loi est contraire, me semble-t-il, aux conventions internationales que la France a ratifiées et signées. Dans ses articles 13 et 14, la Convention internationale des droits de l'enfant stipule que « les Etats parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ». La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, où le mot laïcité n'apparaît jamais mais le mot religion dans quatre articles, affirme « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques ». Rien ne nous assure que la Cour européenne des droits de l'homme ne sanctionnera pas, dans le cadre d'un contentieux, ce projet de loi sur l'interdiction des signes religieux ostensibles à l'école.

L'Espagne et le Royaume-Uni viennent de s'émouvoir face à cette loi et à ses conséquences. D'autres pays européens ne comprennent pas, sans compter le monde arabo-musulman. N'aurait-il pas été nécessaire de donner du temps au temps avant de créer une nouvelle exception française au sein de l'Union européenne ?

Promulguer une loi pour interdire le seul voile islamique n'aurait évidemment pas de sens et serait dangereux. Alors, pour éviter le reproche de méconnaître l'égalité de traitement au détriment des seuls musulmans, il nous est proposé d'interdire tous les signes religieux ostensibles. On oublie qu'il y a bien longtemps que les élèves catholiques, protestants, juifs et une grande majorité d'élèves musulmans ne créent plus, pour des raisons religieuses, de trouble à l'ordre public dans les cités scolaires. Alors pourquoi une loi qui peut s'apparenter à une loi d'exclusion, et qui, sans discernement, met tout le monde dans le même sac ? Cette loi peut être considérée comme humiliante pour une grande majorité de croyants et attentatoire à leur foi et à l'éducation qu'ils reçoivent de leurs parents.

La République connaîtrait-elle une crise existentielle si grave qu'elle nierait l'apport des religions en général, et surtout du christianisme en particulier, dans ses institutions, dans son droit et dans sa culture ? Traverserait-elle une telle crise de confiance pour refuser que la future Constitution européenne mentionne dans son préambule, comme le demandent beaucoup de pays européens, les racines judéo-chrétiennes de notre continent ?

M. Jean-Christophe Cambadélis. Ben voyons !

M. Jean-Marc Nesme. Saint-Exupéry déclarait qu' « un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ». Ce n'est pas en niant ce que nous sommes, ce n'est pas en niant ce qu'est notre civilisation, et ce n'est pas en niant les apports du christianisme que nous serons respectés par un islam sûr de lui et de ses valeurs.

De plus, ce projet de loi me semble en complet décalage avec le dialogue inter-religieux qui se développe de plus en plus dans notre pays entre les trois grands monothéismes.

Ce projet de loi me semble peu utile, parce qu'il ne traite pas le fond des problèmes et qu'il ignore les groupuscules d'activistes islamiques qui, sous couvert de théologie, cherchent à mener des combats politiques contre la République, contre la France et contre l'Occident, exploitant la misère morale et matérielle d'une population dont les familles ont connu la colonisation et qui s'intègre mal dans notre société, à cause du chômage et de la ghettoïsation.

Mais il ne s'agit que de groupuscules.

S'il est prouvé que ces groupuscules s'apparentent à des sectes ou à des groupes terroristes, appliquons les lois en vigueur. Si leurs agissements sont contraires aux droits de l'homme tels que nous les concevons - et en particulier en ce qui concerne la polygamie, la répudiation, l'excision, les mariages forcés -, appliquons les lois en vigueur.

Promulguer une loi interdisant les signes religieux ostensibles à l'école semble dérisoire et inutile face aux vrais problèmes.

Loin d'être un signe de soumission, sauf exception, le signe religieux est un signe d'appartenance et un signe identitaire. C'est un désir personnel fréquent chez les adolescents pour être reconnu dans leur dignité et dans leur singularité. Mais je préfère les signes religieux aux piercings et aux cheveux teints en vert. Les premiers mènent les jeunes sur un chemin d'espérance qui a un sens ; les seconds risquent de les mener dans une impasse.

Vouloir à tout prix affirmer une univocité du signe religieux s'apparente en réalité à une intolérance et à un jugement de type inquisitorial qui prétend sonder les reins et les cœurs et entend gouverner les consciences. Au nom de quoi accepterait-on un ou une élève tatoué ou portant des piercings qui, eux, peuvent être provocants, et refuserait-on la croix, la kippa, le voile ?

J'ajoute qu'il peut paraître assez paradoxal de refuser ces signes religieux au prétexte qu'ils violeraient la laïcité républicaine et la dignité des jeunes musulmanes voilées alors que la société marchande exhibe, dans la publicité et sur les écrans, des corps de femmes nues dans des positions suggestives et racoleuses, sans que les farouches défenseurs des vertus républicaines s'en offusquent. Là, c'est la cléricature de l'argent du sexe qui prédomine.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Marc Nesme. Je voudrais conclure en disant ceci : il me semble que c'est une République médiatrice qu'il nous faut. Certes, il est de la responsabilité de l'Etat de défendre la liberté de conscience et de veiller à une coexistence sociale pacifique entre toutes les composantes de la société. Il est de sa responsabilité de s'opposer à toute forme de violence utilisée pour imposer autoritairement à la société sa foi religieuse. Mais, si la République doit être vigilante, elle doit être avant tout accueillante et médiatrice, c'est-à-dire capable de mobiliser les familles spirituelles au service de la refondation du lien social, capable de renouveler la pratique d'une laïcité ouverte, je dis bien ouverte, qui pourrait être la base d'une reconnaissance de la contribution des religions à la vie publique. Cela devrait commencer à l'école. Ce projet de loi ne nous y conduit pas, monsieur le ministre. Je m'abstiendrai donc de le voter.

M. le président. La parole est à M. Michel Charzat.


M. Michel Charzat
. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est constitutive de notre histoire nationale. Pour autant, elle n'est pas, à elle seule, un projet. C'est à la politique de réaliser dans la Cité les principes de la laïcité : la séparation de la foi et de la loi, du public et du privé, la liberté de conscience, garanties par un Etat neutre et impartial, mais aussi l'égalité des chances et la promotion de tous les talents.

C'est au regard de ces principes que doit être apprécié ce projet de loi interdisant les signes religieux dans les établissements de l'éducation nationale. Ne pas légiférer maintenant serait une imprudence de la part de tous ceux qui défendent la liberté de conscience et de pensée. Il convient de donner un coup d'arrêt à ces forces qui veulent « tester » la capacité de notre pays à défendre et à promouvoir son éthique de la vie en société. Dans ce combat entre la démocratie laïque et la théocratie, la France n'est, en effet, pas à la traîne, mais en avance.

Un député du groupe socialiste. Très bien !

M. Michel Charzat. Dans l'actuel contexte géopolitique, la tradition politique et culturelle de la France assigne à notre pays une responsabilité particulière : faire face à la nouvelle donne sociale et spirituelle, affirmer la possibilité de concilier le « vivre ensemble » et le pluralisme, refuser de sous-traiter la cohésion sociale aux intégristes et aux communautaristes.

Il convient également de donner un coup d'arrêt à la remise en cause de l'égalité entre les hommes et les femmes. Les fondamentalismes considèrent les femmes comme des êtres mineurs qui doivent être subordonnés à un statut particulier, attentatoire à la dignité humaine. Fadela Amara, présidente du mouvement « Ni putes ni soumises » nous rappelle que « le voile correspond à la volonté de tous ceux qui veulent renvoyer les femmes dans leurs foyers, dans un rôle extrêmement traditionnel et surtout dans une situation d'oppression ». L'obscurantisme, voilà l'ennemi de toutes nos valeurs de libertés individuelles !

Pensons à toutes ces femmes, dans nos villes et nos quartiers, emmurées dans le silence de ce voile devenu prison. Mais pensons également à toutes celles et à tous ceux qui attendent beaucoup de notre pays, particulièrement de l'autre côté de la Méditerranée !

Enfin, il convient de mettre l'école à distance du monde pour mieux le comprendre. L'école n'est pas un espace banal. L'élève n'est pas un usager. L'école n'est pas prestataire de service : elle forme, elle instruit, elle façonne des citoyens autonomes. Elle est, selon la définition de Jean Zay, « un asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». Cette conception de l'école n'est pas celle portée par la jurisprudence du Conseil d'Etat depuis 1989. Or la pression sur les personnels de l'éducation nationale est sans commune mesure avec celle qui prévalait alors.

Voilà pourquoi nous proposons d'interdire les signes religieux « visibles », reprenant ainsi la proposition unanime de la mission d'information parlementaire. La loi n'en sera que plus claire, donc plus efficace.

Il faut continuer dans ce débat à améliorer et à clarifier ce projet de loi, et à affirmer, par ailleurs, la nécessité de l'explication, du dialogue, de la concertation.

Mais on ne peut faire abstraction du contexte. A l'ère du scepticisme civique et du capitalisme mondialisé, beaucoup de nos contemporains réagissent aux agressions de l'environnement, à la dépersonnalisation croissante des relations par un repli de fait sur leur territoire, sur leur groupe d'affinités. Le communautarisme rampant menace notre communauté nationale.

Aujourd'hui, le modèle français d'intégration est en panne. L'abaissement de l'Etat, l'effacement de la nation comme espace de projet commun, l'incapacité de notre société à offrir des perspectives aux plus modestes minent le pacte républicain, de même que l'abandon de certains de nos quartiers populaires au prosélytisme intégriste.

Il n'y a pas de déclin français, mais une souffrance de la France au contact d'une mondialisation qui lui semble étrangère. Ce qui est véritablement en cause, c'est une laïcité en actes, qui redonne du souffle aux principes proclamés, et d'abord au principe de l'égalité. L'égalité entre les religions implique de reconnaître la place de l'islam dans la République. Comme le souligne Tahar Ben Jelloul : « La France peut devenir la preuve vivante que l'islam est compatible avec la démocratie et la laïcité. » Encore faudrait-il rompre avec la douteuse et dangereuse manœuvre du ministre de l'intérieur qui valorise des représentants du culte musulman éloignés du modèle républicain de l'intégration.

En revanche, dans le respect de la loi de 1905, il appartient aux collectivités locales de permettre l'exercice effectif du culte musulman, comme de ses prescriptions, et à l'Etat d'assurer la formation d'imams autochtones qui faciliteront la transition d'un islam en France vers un islam de France.

Egalité entre les citoyens : comme le souligne la commission Stasi, l'émancipation des enfants issus de l'immigration n'a de sens que si l'égalité des chances est assurée en tout point du territoire, les diverses histoires qui fondent notre communauté nationale reconnues et les identités multiples respectées.

J'ajoute que l'intégration des parents, plus généralement de tous ceux qui ont des relations stables et anciennes avec la France, appelle la reconnaissance de leur droit à participer aux élections locales.

Le moment est venu de relancer le creuset républicain, cette machine à fabriquer des citoyens, non par une politique de discrimination positive fondée sur des quotas, qui serait une impasse consistant à défaire la société tout en multipliant les contraintes et les normes, mais par un projet qui offre la perspective d'un avenir commun. Un pays ne peut, en effet, intégrer « large » que s'il sait et fait savoir à quoi il intègre. Il appartient au politique de reconstruire le socle éthique de la laïcité, de défendre les services publics - l'école, mais également l'université, les hôpitaux -, de redéfinir les droits et les devoirs de l'individu en société. Il lui appartient aussi de concrétiser la citoyenneté en mettant en œuvre des projets fédératifs. Casser les ghettos urbains, restaurer la mixité sociale, instaurer un service national pour les jeunes, filles et garçons, sont des choix qui relèvent de la volonté politique nationale.

Il s'agit donc de faire vivre, dans les actes, une action positive garantissant l'accès aux droits, à la citoyenneté accomplie. Dans cette perspective, les discriminations à l'embauche ou au logement doivent être combattues vigoureusement par un renforcement des politiques territoriales et par une lutte sans merci contre le racisme et les préjugés xénophobes.

Ce gouvernement, et je le regrette, en traitant séparément l'intégration, la lutte contre les discriminations, la place des religions dans notre pays, les signes religieux à l'école, la politique de la ville, l'aménagement du territoire, se contente d'une action qualifiée sévèrement, mais lucidement, par le président de notre assemblée de « boutiquière ».

Parce que nous refusons cet aveu d'impuissance, il nous appartient de proposer un nouvel horizon, celui d'une République laïque et sociale, celui d'une société préservée des sectarismes et de la domination de l'argent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Cocquempot.

M. Gilles Cocquempot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour moi qui suis né et ai grandi dans une famille d'esprit socialiste et républicain, la laïcité a toujours été une évidence, à tel point que, dans les conditions qui nous amènent aujourd'hui à débattre du sujet, je ne me serais pas penché sur les raisons qui ont prévalu à son adoption.

Inséparable de l'esprit des Lumières, la laïcité constitue la base même de toute société ouverte et moderne. Elle est aujourd'hui l'objet de questions et de contestations. En réalité, l'identité même de notre pays est remise en question. Pourtant, c'est dans notre pays que, dans un an, nous célébrerons le centenaire de la loi de 1905 qui a consacré la séparation des Eglises et de l'Etat. Depuis cette date, notre Etat républicain assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. Ainsi, notre propre identité nationale, fondée sur l'égalité pour toutes et tous sur l'humanisme, sur une vision universelle de la société, est-elle en jeu aujourd'hui et notre régime politique se trouve-t-il interpellé. Face à cela, nous ne pouvons rester inactifs. Le moment est venu de rappeler à la nation qu'elle ne peut accepter de voir sa diversité, qui fait sa richesse culturelle, remise en cause par une vision multiculturelle et communautariste réductrice. Si la laïcité devient, pour certains, un enjeu politique, il faut lui redonner tout son sens et en faire un projet politique qui permette à la France de rappeler à l'Europe et au monde qu'elle est et qu'elle reste un espace de liberté, d'égalité et de fraternité. Il doit également permettre à notre pays de montrer à l'Europe et au monde qu'elle demeure un modèle cohérent pour les démocraties qui considèrent que l'argent du pouvoir ou le pouvoir de l'argent n'ont rien à voir avec le bien-être des peuples ! Si je m'exprime ainsi dans cet hémicycle et du haut de cette tribune, c'est parce que je considère ce lieu comme symbolique, voire magique.

Au-delà de mes convictions, empreintes de tolérance, le projet de loi qui occupe nos débats dépasse, par sa signification, son contenu et sa rédaction. La rédaction est courte, le contenu est faible et limité. Comment aurait-il pu en être autrement quand le ministre des cultes est un récent converti de sa nécessité et quand le ministre de l'éducation nationale hésite à prendre la plume pour le rédiger et surtout à y inscrire les mots « ostentatoire », « ostensible » ou « visible » ?

Chacun, ici, a son avis sur le sujet. Mais, au-delà de la sémantique, cette loi a une portée historique, comme en témoigne le fait qu'un quart de la représentation nationale a exprimé le désir d'intervenir dans le débat. Le temps de débat consacré à chacun de façon égalitaire, lui permettant ainsi d'intervenir aujourd'hui non pas en tant que représentant d'un groupe politique, mais en sa qualité d'élu de la nation, ne montre-t-il pas notre volonté collective d'égalité dans ce pays ?

M. Eric Raoult. Très bien !

M. Gilles Cocquempot. Chacun d'entre nous a donc pu s'exprimer. S'exprimer, oui, mais pour dire quoi, me répondrez-vous ? Je ferai, pour ce qui me concerne, de brèves observations sur le projet lui-même. Chacun en a bien conscience, il ne règle rien, mais il a le mérite de poser le problème que nous avons tous abordé. Comment, dans notre société, au travers de nos règles républicaines, pouvons-nous mieux que d'autres tenter d'en finir avec l'amalgame entre islam et islamisme ? Les musulmans de France ont toute leur place dans notre pays, au même titre que les juifs, les catholiques, les protestants, les orthodoxes, dès lors qu'ils veulent exprimer leur foi en toute liberté, sans tomber pour autant dans une dérive sectaire. Les règles républicaines permettent à chacun d'exister. En revanche, elles doivent donner à chaque enfant de France, fille ou garçon, la reconnaissance de sa pleine citoyenneté. C'est donc à travers une démarche politique affirmant, affichant et réalisant l'égalité des chances, l'égalité d'accès à l'emploi, l'égalité à disposer d'un logement décent pour tout citoyen, quelle que soit sa couleur et sa confession, que nous lui donnerons le sentiment de respecter sa qualité d'être humain. C'est, à mon avis, la seule façon d'empêcher le fondamentalisme de s'enraciner en France.

Sous couvert de tolérance, de respect des Droits de l'homme, ceux qui soutiennent de telles positions dans nos sociétés occidentales suscitent des crises qui nuisent fortement à ceux qui y vivent. « Lorsqu'ils expriment leur croyance, par le port du voile ou de la barbe, ils attentent en premier lieu à l'islam en le réduisant à de superficielles questions de forme. » Ce n'est pas moi, mes chers collègues, qui le dis, c'est Adonis, l'un des plus grands poètes contemporains du monde arabe. Que nous dit Adonis ? « Il n'existe, dans le Coran ou les hadith, aucun passage univoque qui impose le voile à la femme musulmane, comme le voudraient les fondamentalistes. » Il précise encore que « le premier principe que devraient respecter les musulmans émigrés, particulièrement ceux qui ont obtenu la reconnaissance du pays dans lequel ils vivent, est d'établir une nette distinction entre ce qui est du domaine public et ce qui relève du privé ». Pour lui : « La mosquée est le seul endroit où le musulman a légitimité à se singulariser. C'est là qu'il exprime son identité religieuse en Occident. Toute pratique sociale ou publique à l'extérieur de la mosquée est une atteinte aux valeurs de la communauté. L'institution appartient à tous les citoyens : l'école et l'université, en particulier, sont des lieux de savoir commun, des lieux ouverts à tous, des lieux où doivent disparaître les signes extérieurs d'appartenance confessionnelle, les signes distinctifs, quels qu'ils soient. »


Enfin, il précise : « Et nous ajoutons à ce que nous appelons "l'institution" la rue, les cafés, les lieux de rencontre, les cinémas, les salles de conférence, etc. L'apparition de signes confessionnels distinctifs en ces lieux est une violation de leur sens et de leur mission mêmes. »

Nous sommes loin, ici, de l'univers d'Adonis. Quoi qu'il en soit, l'enjeu est bien, mes chers collègues, de combattre tous les fondamentalismes.

Une loi peut-elle régler le problème ? Je ne le crois pas. Mais elle peut constituer un début, un acte fort, signifiant que, comme sur d'autres sujets de société, la ligne définie par les institutions représentatives ne doit et ne peut être dépassée.

S'il faut un début, il faut aussi une suite. A cet égard, j'estime nécessaire, pour ma part, que le Parlement soit saisi régulièrement - une fois par an, peut-être - pour débattre des problèmes de société du pays et évaluer l'impact des lois votées, les conséquences de leur application, ou bien de leur non-application.

Pour terminer, mes chers collègues, je suggère que nous puissions établir une sorte de « code de la laïcité », afin de ne pas laisser les enseignants et les chefs d'établissement seuls quand les règles que cette loi imposera à toutes et à tous auront été transgressées et qu'il s'agira d'ouvrir le dialogue, la médiation préalable, indispensable, me semble-t-il, avant d'administrer une éventuelle sanction.

Je vais conclure, monsieur le président, en espérant ne pas avoir été trop long.

M. le président. Vous n'avez pas excédé votre temps de parole, mais cela ne saurait tarder. (Sourires.)

M. Gilles Cocquempot. Dans ces conditions, en conscience, je ne me vois pas faire obstacle à la raison, même si je privilégie souvent le cœur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Eric Raoult. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Etienne Mourrut.

M. Etienne Mourrut. Monsieur le président, monsieur le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, mes chers collègues, le 25 octobre 1989, Lionel Jospin, alors ministre de l'éducation nationale, déclarait ici même, dans cet hémicycle, à propos du premier cas de jeunes filles voilées, survenu au lycée technique de Creil, dans l'Oise : « L'école ne peut exclure, elle est faite pour accueillir. » Et de s'en remettre à la décision du Conseil d'Etat, saisi à propos de l'exclusion des deux lycéennes, prononcée par le chef d'établissement.

Le Conseil d'Etat se défausse à son tour en indiquant, aux termes de sa décision du 27 novembre suivant, que le voile « peut faire l'objet d'une réglementation » relevant de la seule compétence du directeur d'établissement, mais il condamne, bien évidemment, les actes de provocations.

La brèche était ouverte et, depuis, nous payons au prix fort l'inconséquence du gouvernement de l'époque, qui n'a pas su appréhender le phénomène islamique.

M. Jean Glavany. Et vous, qu'avez-vous fait ?

M. Eric Raoult. Nous nous sommes opposés !

M. Jean Glavany. N'avez-vous pas été ministre, entre-temps, monsieur Raoult ? (Sourires.)

M. Etienne Mourrut. En quelques années, à cause de cette négligence fautive, ce qui aurait dû rester un épiphénomène est devenu un problème réel pour notre société en s'étendant aux hôpitaux, aux établissements publics, à l'administration.

La simple voie réglementaire aurait pu être efficace et pragmatique pour solutionner ponctuellement la question, mais force est de constater que nous avons été induits en erreur par la confiance aveugle de certains, selon lesquels notre système politique, basé sur le contrat, la laïcité, l'humanisme, pouvait être compris par tous et adapté à toutes les cultures ; à l'évidence, il n'en est rien.

M. Jean Glavany. C'est bêtement polémique.

M. Etienne Mourrut. Le foulard, brandi comme une bannière, cristallisant les passions, est le symbole du choc des cultures et des systèmes de pensée.

Il faut mettre un terme à la pression de ces intégristes qui, par le biais du foulard, ôtent la liberté à la femme en la murant dans le féodalisme, suppriment l'égalité en plaçant la femme en situation d'infériorité par rapport à l'homme, abolissent la fraternité en enfermant la femme dans l'exclusion. Il est de notre responsabilité de défendre les femmes françaises de confession musulmane : les positions courageuses que bon nombre d'entre elles ont prises - je pense notamment au témoignage éloquent d'une femme musulmane paru dans la Gazette de Nîmes - démontrent que, si la loi ne peut pas tout résoudre, il est nécessaire, dans ce cas précis, de faire preuve de fermeté, de fixer des règles.

L'islam fondamentaliste est une religion politique ; le Coran est sa loi religieuse, le Coran est sa loi civile, le Coran est sa loi pénale, ne l'oublions pas. Ce courant politico-religieux, qui n'est pas dans nos traditions, représente une réelle menace pour nos institutions républicaines. L'insidieuse infiltration de principes radicalement opposés aux nôtres rend la loi indispensable, son poids et sa force constituant un rappel solennel au respect du pacte républicain.

Bien évidemment, j'apporterai mon soutien à ce texte, que je considère cependant comme une étape, car, compte tenu de la situation, je reste convaincu qu'il faudra prendre d'autres dispositions afin de « réaffirmer avec force la neutralité et la laïcité du service public », comme l'a dit le Président de la République, Jacques Chirac, lors de son intervention du 17 décembre dernier. Il faudra rester vigilant, et surtout faire preuve de fermeté, dans les faits, quant à l'application de cette loi. Et surtout, monsieur le ministre, tenons le cap de notre modèle d'intégration ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Mach. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur le port du voile et, par conséquent, sur la laïcité a suscité, depuis 1989, de nombreux remous parmi la classe politique, les dirigeants, les milieux intellectuels, dans les quartiers, les établissements publics, les écoles, hôpitaux et autres services administratifs. Pendant quelque temps, la jurisprudence du Conseil d'Etat et les circulaires ministérielles ont semblé suffire. Mais leurs limites apparaissent clairement aujourd'hui : absence d'uniformité territoriale dans l'application des règles, résolution des conflits au cas par cas, médiatisation du voile. Il faut donc passer outre les critiques relatives à l'inflation législative et le principe selon lequel la loi ne doit pas promouvoir les mœurs. Légiférer est nécessaire pour apaiser les conflits, certes, mais également pour protéger l'école publique républicaine.

L'école constitue le socle de nos valeurs républicaines. C'est parfois la dernière institution de la République présente et respectée. Apprentissage des savoirs, respect des principes de notre République, formation des futurs citoyens, socialisation et intégration, transmission des valeurs républicaines, l'école se doit d'être un lieu de neutralité et d'apaisement des conflits.

La réalité du terrain montre combien il est important que le législateur intervienne. On m'a récemment fait savoir qu'un nombre grandissant de chefs d'établissement mettaient des salles de permanence à la disposition des élèves musulmans pour qu'ils fassent leurs prières pendant les cours. Les restaurants scolaires de nombreux collèges et lycées ne servent plus de viande de porc. Des enseignants en biologie, en sciences naturelles ou en histoire avouent être obligés d'occulter certaines parties de leur programme.

Le texte soumis à la discussion de l'Assemblée nationale inverse la logique qui prévalait jusqu'à présent. En effet, alors que la jurisprudence du Conseil d'Etat autorisait le port de signes religieux tout en condamnant ce comportement, le projet de loi interdit, dans les écoles publiques, les signes ostensibles comme le voile, la kippa et la croix d'une certaine dimension. Le choix de l'adverbe « ostensiblement » permet de viser à la fois le signe et le comportement.

Je voterai le texte, mais je souhaite émettre un souhait en ce qui concerne l'interprétation ou plutôt la traduction de l'expression « signes discrets d'appartenance religieuse », qui désigne les croix, étoiles de David ou mains de Fatima. Je comprends bien l'importance du comportement par rapport à l'objet, mais n'est-il pas nécessaire, pour que la loi soit plus lisible et applicable, de décrire les dimensions physiques des « signes discrets » ? Je ne veux pas réduire l'esprit de cette loi à une dimension matérielle, mais il faut pouvoir quantifier la discrétion. Mettons-nous à la place du chef d'établissement scolaire qui devra apprécier les signes d'appartenance religieuse : sans vouloir le doter d'un pied à coulisse, fournissons-lui tout de même un référentiel. Il serait dommageable que, par manque de précision, certaines personnes extrapolent l'esprit de cette loi de tolérance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René Rouquet.

M. René Rouquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la représentation nationale s'est engagée dans un processus législatif que l'on pourrait qualifier d'historique, au vu des attentes qu'il suscite et des passions qu'il soulève, mais nul ne peut encore en connaître l'issue ni mesurer ses conséquences.

Puisque l'occasion m'est offerte d'intervenir à mon tour dans ce débat, je souhaite réaffirmer avec force et vigueur que la volonté de clarifier cette loi anime les socialistes.

Nous nous sommes toujours situés dans le camp des militants de la laïcité, nous fûmes de tous les combats pour les libertés et, aujourd'hui, nous répondons présents à ce rendez-vous démocratique essentiel pour notre société, afin, comme l'a souligné le président de notre groupe, Jean-Marc Ayrault, de « poursuivre une œuvre d'émancipation commencée il y a près de cent ans ».

Parce que je crois, parce que nous croyons en l'homme, parce que je considère la laïcité comme la valeur première de la République, au cœur de notre histoire commune, je veux apporter ma pierre à l'édifice fragile mais indispensable que nous tentons de construire ici même, pour essayer d'aboutir à une loi utile, une loi claire, une loi efficace et applicable, partout et pour tous, une loi de liberté, d'égalité et de fraternité.

Je rappellerai, pour commencer, que la laïcité garantit la liberté, la liberté de conscience. Tous les hommes et toutes les femmes, au sein de notre espace démocratique, doivent pouvoir rester libres de croire, de ne pas croire ou de douter. Cette liberté, garantie dans le respect de toutes les croyances, est la condition première de l'organisation sociale.

Parce qu'elle s'appuie d'abord sur la liberté de conscience, définie dans la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789, puis dans celle de 1948, et réaffirmée par la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 - laquelle stipule en outre le droit, pour chacun, de changer de religion et de conviction -, la laïcité vise à construire un monde où l'individu, dans la sphère privée, est libre de penser.

Mais, parce que le « vivre ensemble » nécessite un espace de rencontre commun au plus grand nombre, sans discrimination, il fallait fixer un cadre juridique clair, permettant, dans la sphère publique, l'expression de tous les citoyens, égaux en droits comme en devoirs.

Tel est le sens de la loi voulue par nos prédécesseurs en 1905, qui impliquait, de la part de l'Etat et de ses représentants, une stricte neutralité vis-à-vis des options spirituelles ou philosophiques.

Un siècle plus tard, les enjeux sont devenus trop nombreux, les interrogations trop fortes, pour qu'il n'y ait pas aujourd'hui urgence à clarifier et à réaffirmer le principe de laïcité. Nos concitoyens sont-ils préservés des excès des préjugés et des dogmes ? La laïcité est-elle toujours l'antidote du communautarisme et de ses dérives, le racisme et l'antisémitisme ?


La démarche laïque nous permet-elle encore de répondre à la complexité culturelle et sociale de notre époque sans le soutien d'une loi ? N'avons-nous pas simplement oublié un peu vite que la laïcité n'est jamais acquise et qu'elle reste un combat permanent ?

D'ailleurs, comme un rappel à l'ordre, la question est revenue sur le devant de la scène médiatique, à la faveur de « l'affaire du foulard islamique », dans un collège de Creil, il y a quinze ans déjà.

Depuis cette date, ce problème posé à la communauté scolaire est devenu, peu à peu, un véritable fait de société et s'est radicalisé à l'excès autour de la question du voile islamique. Alors qu'il aurait sans doute suffi d'appliquer à la lettre la loi de 1905 et d'interdire tout signe d'appartenance religieuse dans le cadre scolaire, on découvrait des enseignants démunis face à ce phénomène !

Dès lors, d'autres épisodes sont venus s'ajouter à cette confusion des genres : des piscines réservées le soir aux femmes jusqu'au refus de certaines élèves de participer aux cours de gymnastique, la problématique d'une expression religieuse dans la sphère publique s'est insinuée au centre du débat social.

Chers collègues, les revendications de certains élèves qui récusent des programmes de biologie ou de philosophie sont inacceptables ! Les accepter serait favoriser la prédominance du communautarisme à l'école, puis dans la sphère publique ; ce serait contraire à notre modèle d'intégration républicaine et à nos valeurs d'égalité !

Oui, la laïcité incarne aussi l'égalité devant les lois et les valeurs de la République, égalité à l'école, égalité de chances d'intégration.

Il nous faut réussir le défi de l'intégration. Or, si nous voulons offrir aux hommes et aux femmes issus de l'immigration toutes les chances de promotion au sein de la société, l'Etat doit assumer son rôle en affirmant la loi face aux brèches ouvertes dans le texte de 1905.

Oui, face aux difficultés générées par des interprétations multiples, souvent contradictoires, et notamment par l'avis du Conseil d'Etat sur le port du voile, nous sommes convaincus qu'une solution législative est aujourd'hui nécessaire pour sortir de l'impasse, surtout pour ceux qui sont en première ligne, au sein de l'école et du service public.

Mais l'arbre du voile ne doit pas masquer la forêt des attaques lancées contre le principe de laïcité de l'Etat, qui devrait être applicable partout, pour tous et sur tout le territoire de la République.

Je rappelle que la suppression des crucifix dans les bâtiments publics n'est pas totalement réalisée, que le régime de laïcité demeure inappliqué dans certains territoires comme la Guyane, l'Alsace-Moselle ou la Polynésie. Et même si je me réjouis que Mayotte aille vers l'application des lois de la République en matière d'état civil ou de polygamie, comme le rappelait mon collègue Mansour Kamardine, un long chemin reste à parcourir !

Est-il normal que, pour échapper à une instruction religieuse, on soit obligé, au sein de la République, de demander une dérogation ?

Mes chers collègues, dans cette société où le communautarisme a profité de l'affaiblissement de la loi de 1905, un nouvel engagement fort des défenseurs de la laïcité est nécessaire pour « reconquérir les territoires perdus par la République », ainsi que le disait récemment le Grand Maître du Grand Orient de France.

Oui, le moment est venu de fournir un cadre clair et intelligent aux enseignants afin de ne pas les laisser seuls face au problème ! Oui, le moment est venu d'affirmer l'interdiction absolue de tout signe d'appartenance religieux « visible », pour que l'école demeure ce lieu d'émancipation des individus voulu par les pères de l'école publique.

Voici plus d'un siècle, le plus proche collaborateur de Jules Ferry, Ferdinand Buisson, proclamait : « La République n'a pas fondé l'école laïque comme une menace pour l'Eglise ; elle l'a fondée pour garantir le dogme des dogmes, la liberté de conscience ».

A l'heure où les fondamentalistes manifestent pour empêcher le Parlement de légiférer, où l'on voit, au-delà du seul Front national, des membres de la classe politique - dont certains n'étaient pas attendus sur un tel terrain - critiquer notre débat, la représentation nationale a raison de ne pas céder à ces pressions qui visent à nous culpabiliser, nous, défenseurs des droits de l'homme !

On tente de convaincre l'opinion qu'attenter par une loi au droit des jeunes filles de porter un voile, c'est liberticide, alors que nous voulons, justement, leur garantir la liberté et l'égalité ! Le droit à la différence ne doit pas aboutir à la différence des droits !

S'il faut libérer et émanciper les jeunes filles, notamment des cités, c'est en affirmant qu'elles n'auront plus besoin de se cacher dans une cage d'escalier pour choisir les vêtements qu'elles veulent porter !

S'il faut libérer et émanciper les jeunes gens des contraintes religieuses, c'est en leur garantissant la stricte neutralité de l'école, dont la mission est de permettre aux citoyennes et aux citoyens futurs de se construire.

C'est l'honneur de notre assemblée d'entrer dans cette démarche de clarification qui constitue aussi, pour nos concitoyens issus de l'immigration, un nouveau pas vers l'émancipation sociale et l'intégration dans la République.

Car si la laïcité incarne la liberté et garantit l'égalité, elle est aussi fraternité, parce qu'elle préserve le droit de vivre ensemble pour les croyants et les athées, le droit pour chacun de choisir son culte, d'en changer ou de n'en exercer aucun, sans que les uns ou les autres soient stigmatisés pour leurs convictions.

Liberté, égalité, fraternité : la loi que nous souhaitons pouvoir voter, moi et mes amis du groupe socialiste, c'est celle qui rassemble autour des valeurs de la République, laïque et indivisible, c'est celle qui fournira à l'école des outils de dialogue et de sanction, dans un cadre clair et précis pour tous, c'est celle qui préservera l'égalité des droits et les chances d'émancipation, pour favoriser la mixité sociale et l'intégration républicaine que nous voulons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Mach.

M. Daniel Mach. Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à vous remercier et à vous féliciter d'avoir pris l'initiative de ce débat sur la laïcité qui nous permet de nous exprimer sur un thème d'actualité très sensible.

J'en suis, pour ma part, extrêmement satisfait car nous parlons ici d'un sujet essentiel : la sauvegarde et l'avenir de notre République, qui n'est, je le rappelle, ni à vendre ni à négocier et qui ne doit, en aucun cas, faire l'objet de marchandages. A cet égard, nous devons faire preuve d'une extrême vigilance et de beaucoup de fermeté.

Notre référence en ce domaine est la loi de 1905. Force est de constater que les problèmes ne se posent plus de la même façon et que les solutions ne peuvent plus s'envisager sous le même angle. Notre société a vécu une succession de mutations qui fait de notre pays une mosaïque tant en termes culturels, que spirituels, religieux ou politiques. La France s'est d'ailleurs enrichie de ces différentes cultures. Mais l'ampleur de ces modifications et les événements qu'elles engendrent justifient l'importance d'un projet de loi juste, équilibré et précis dans lequel tout le monde doit se retrouver, se reconnaître et se respecter. Pallier les difficultés en cherchant systématiquement des excuses n'a jamais apporté aucune solution.

Le Parlement doit prendre ses responsabilités car ce projet de loi est nécessaire et attendu. Il doit donner à notre République la capacité d'agir pour ses convictions et à nos établissements scolaires la force de la loi.

Pourquoi en sommes-nous arrivés à devoir rédiger un texte de loi réinstaurant et imposant la primauté de notre laïcité, alors qu'elle aurait dû être partagée très naturellement ?

Les trente dernières années ont été marquées par le développement d'une sorte d'anarchie à l'intérieur de notre système éducatif. Plus personne n'a de repères, plus personne ne s'y retrouve à tel point que chacun essaye, tant bien que mal, d'imposer sa propre conception de l'avenir de notre société. Les enseignants n'ont plus d'autorité, les élèves n'ont plus de valeurs et les parents ne savent plus quel rôle jouer.

Si l'école est le dernier lieu privilégié où apprendre à accepter l'autre, elle doit être aussi un espace de neutralité et doit le demeurer parce que c'est l'endroit par excellence de la formation de l'esprit, de la transmission du savoir et de l'apprentissage de la vie de citoyen, ainsi que, pensons-nous, le premier lieu d'intégration.

Il y a très longtemps que la République et l'école se sont construites. Elles ne doivent pas être mises à mal par des provocations. Voilà pourquoi ce débat de fond s'impose. Nous pouvons regretter d'avoir gardé le silence pendant tant d'années et de ne pas avoir pris conscience du mal qui progressait, n'y voyant que l'échec du politique face à l'intégration.

Mais pour que l'intégration soit pleinement accomplie, elle doit résulter d'une volonté réciproque, tant à l'école que dans les quartiers. Comment voulez-vous qu'elle se réalise si, au lieu de s'intégrer, certains tentent de nous convertir ?

Chacun vit sa religion, même si, pour ce qui est de la pratique, beaucoup ne sont que des « intermittents » ; jamais ils ne tenteront de l'imposer à quiconque mais jamais ils ne supporteront que les autres leur imposent la leur. Je pense, disant cela, à certains extrémistes pour qui la religion est la seule perspective d'avenir et le seul projet politique. Or, une religion ne peut pas être un projet politique et nous devons combattre les communautarismes qui menacent notre République. Dans l'éventualité où certaines minorités, avides d'extrémisme, voudraient savoir jusqu'où elles pourraient aller, cette loi leur expose les limites à ne pas dépasser !

L'école de la République n'est pas un amphithéâtre où les élèves seraient en droit de clamer leurs convictions. Elle n'est pas la voie publique et doit être préservée de l'agressivité, de l'intolérance et de la polémique et, à ce titre, je suis persuadé qu'interdire les signes ostensibles d'appartenance dans les enceintes scolaires réserve à toutes les croyances un traitement égal qui n'humilie ni n'abaisse aucune d'entre elles.

L'école doit être le reflet mais surtout pas le miroir de la société. C'est un espace civique irremplaçable qui vise à la transmission de la connaissance.

Mais il y a aussi un second enjeu : refuser la discrimination entre hommes et femmes dans les lieux publics. L'un des plus grands acquis de notre République est de reconnaître aux femmes les mêmes droits qu'aux hommes, entre autres le droit à l'éducation, le droit de vote ou encore le droit de travailler. Admettre le voile dans nos écoles, c'est admettre les pressions exercées sur les femmes, c'est cautionner l'asservissement de la femme.

M. Guy Geoffroy. C'est vrai !

M. Daniel Mach. Je considère donc le port du voile à l'école comme un acte politico-religieux et comme une provocation, imposés par une minorité et incompatibles avec la laïcité. Les étrangers qui viennent vivre en France y viennent parce qu'ils y trouvent la richesse...

M. Jean Glavany. Il faut le dire vite !

M. Daniel Mach. ...mais aussi la liberté, cruellement limitée dans certains de leurs pays.

Je crains même qu'à terme, il ne soit fait usage de signes politiques qui deviendraient des démarches de propagande dans des lieux où, je le répète, la neutralité est de mise.

C'est pourquoi il faut faire preuve de fermeté dans l'interdiction du port du foulard et je pense qu'il serait même indispensable d'intégrer la notion d'appartenance « politique » dans l'interdiction des signes ostensibles. Je suis convaincu que cet approfondissement du texte de loi nous permettrait d'anticiper et épargnerait au Parlement de se pencher, de nouveau, dans quelques années, sur la protection de notre laïcité.

Monsieur le ministre, malgré tout, vous pouvez compter sur moi : je voterai ce projet en l'état. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus de vingt heures que nous débattons du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées. De nombreux orateurs se sont succédé à cette tribune pour dire, chacun à sa façon, combien ils étaient attachés aux valeurs de la République et à la cohésion nationale.

Le mot « laïcité » a été prononcé des milliers de fois dans cet hémicycle sans perdre ni son acuité ni sa substance. Souvenons-nous que l'idée d'un Etat laïque est apparue avec la Révolution française, un Etat neutre entre tous les cultes et dégagé de toute conception théologique.

Au XIXe siècle, laïcité est un mot nouveau, un néologisme nécessaire, aucun autre terme n'exprimant sans périphrase la même idée dans toute son ampleur.

Permettez-moi de citer Ferdinand Buisson, un personnage hors du commun, homme de conviction et d'action, collaborateur de Jules Ferry, qui fut l'incarnation d'une laïcité à l'école, infiniment tolérante mais ferme. Il fut aussi, comme député, le défenseur de la laïcité de l'Etat, de l'enseignement professionnel obligatoire et du droit de vote des femmes. Dans son dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire de 1887, on peut lire : « La laïcité ou la neutralité de l'école à tous les degrés n'est autre chose que l'application à l'école du régime qui a prévalu dans toutes nos institutions sociales. Nous sommes partis comme la plupart des peuples d'un état de choses qui consistait essentiellement dans la confusion de tous les pouvoirs et de tous les domaines, dans la subordination de toutes les autorités à une autorité unique, celle de la religion. Ce n'est que par le lent travail des siècles que peu à peu les diverses fonctions de la vie publique se sont distinguées, séparées les unes des autres et affranchies de la tutelle étroite de l'Eglise. »

L'enseignement laïque, Ferdinand Buisson l'a porté comme on porte un enfant ; il l'a nourri et élevé pour lui forger une identité. L'école laïque s'impose alors une stricte neutralité confessionnelle, s'interdit de prendre position pour ou contre aucune Eglise, mais entend ne pas démissionner devant la tâche éducative qui lui est assignée. La religion est alors le domaine sacré de la conscience et, parallèlement, la morale entre hardiment à l'école, la morale de la générosité, de la liberté, du progrès, de la tolérance, de la vérité et de l'honnêteté.


Qu'en est-il aujourd'hui, au XXIe siècle, siècle de la mondialisation, de la globalisation des échanges, du brassage des idées et des populations ? Dans nos démocraties occidentales, où l'individualisme et le multiculturalisme se développent, l'affirmation de valeurs communes qui permettent de faire vivre ensemble au sein d'une même nation est fondamentale.

Ainsi, la laïcité est devenue un enjeu politique. Comme l'a laissé entendre Mme Chérifi à la mission Debré, le voile n'est pas seulement le signe d'une appartenance religieuse musulmane mais le signe de l'appartenance à l'islam fondamentaliste.

M. Daniel Mach. Tout à fait !

M. Frédéric Reiss. Le voile, qui selon l'islam protège la jeune femme des hommes, la rend en réalité servile et la rabaisse.

M. Daniel Mach. Bien sûr !

M. Frédéric Reiss. Il rappelle aussi aux femmes musulmanes qu'il leur est interdit d'épouser un « non- musulman ».

M. Daniel Mach. Exactement !

M. Frédéric Reiss. En Alsace, comme ailleurs en France, les discussions relatives au port du foulard à l'école ont suscité un grand nombre de prises de position sur le contenu du principe de laïcité. Dans son grand discours du 17 décembre 2003, le Président de la République a posé les problèmes de manière claire, avec l'objectif de mettre un terme au temps des confusions. Il a souhaité que ce débat prouve notre capacité à nous réunir sur l'essentiel. A un moment de l'histoire où la surinformation trouble les esprits plus qu'elle ne les enrichit, il est important que notre pays affirme clairement que le communautarisme n'entrera pas dans les écoles.

Lorsque des promoteurs idéologiques, islamistes, fondamentalistes encouragent les conflits au détriment de la scolarité, ou cherchent à déstabiliser l'éducation nationale, mettant ainsi notre société en danger, il est impératif de réagir, d'autant que l'adolescence est le moment de tous les dangers et de toutes les violences !

Comme de nombreux députés, j'ai longtemps hésité, pensant qu'une stricte application du règlement intérieur d'un établissement scolaire était suffisante. Mais bon nombre de discussions et d'événements m'ont éclairé. Les incidents très médiatisés qui ont eu lieu dans certains lycées, les problèmes rencontrés en cours d'éducation physique et sportive ou de biologie, les pressions pour que certaines parties du programme d'histoire ou de littérature ne soient pas enseignées, les manifestations de femmes voilées sur la voie publique me conduisent à voter cette loi : comme l'ont dit Alain Juppé et beaucoup d'autres, elle est nécessaire, même si elle n'est probablement pas suffisante.

L'avant-projet de loi a été largement diffusé, l'exposé des motifs a été largement commenté. La procédure de dialogue préalable à la sanction qui sera proposée par un amendement pourrait faciliter la mise en œuvre de la loi. Le Parlement doit jouer son rôle d'apaisement, d'explication et de décision. La loi sera un rempart contre les dérives communautaires et un facteur d'intégration et d'égalité des chances dans notre école.

Si le débat législatif porte sur le principe de laïcité à l'école, c'est qu'il était important de commencer par ce qui est le lieu de formation des citoyens responsables de demain. Le débat soulève inévitablement le problème du voile dans les administrations, les tribunaux ou les hôpitaux, où des solutions restent à trouver. A l'école il s'agit de respecter l'objectif de socialisation et d'intégration pour favoriser le « vivre ensemble » d'enfants d'origines et de croyances différentes, conformément à la Constitution, qui dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

M. Jean-Pierre Brard. Sociale : cela dépend des jours !

M. Frédéric Reiss. II est indispensable de garder les valeurs essentielles de l'éthique et de la morale, et de retrouver dans le terreau de notre histoire judéo-chrétienne la sève nutritive d'un avenir maîtrisé : chaque jeune fréquentant l'école de la République, quelle que soit son appartenance religieuse et quelle que soit la condition de ses parents, doit pouvoir s'y épanouir, dans le respect mutuel des uns et des autres. Il ne s'agit en aucun cas de brider, de museler ou d'écraser qui que ce soit ou quoi que ce soit, mais bien de respecter ce lieu de neutralité et d'apprentissage pour tous qu'est l'école.

La conception de la laïcité, dans les écoles publiques d'Alsace-Moselle, est conforme aux principes de laïcité que sont le respect de la liberté de conscience et de religion, la neutralité de l'Etat à l'égard des convictions religieuses, la non-discrimination en matière religieuse. Le droit local alsacien mosellan, dont le fondement est d'ordre historique, l'Alsace-Moselle étant allemande en 1905, met ces principes en œuvre, même s'il le fait autrement que le droit général. Si en Alsace comme ailleurs les croyants ne remplissent plus les églises autant qu'autrefois, il faut préciser que 78 % de mes concitoyens alsaciens et mosellans sont favorables au maintien des cours de religion - qu'il ne faut pas confondre avec le catéchisme - à l'école primaire et au collège. Au début de l'année scolaire, les parents peuvent de manière très simple dispenser leur enfant du cours de religion sans nuire d'aucune manière à sa scolarité.

M. Jean-Pierre Brard. Il ne manquerait plus que ça !

M. Frédéric Reiss. La commission Stasi a estimé que la réaffirmation de la laïcité au travers d'une loi ne remet pas en cause le statut de l'Alsace-Moselle, auquel la population de nos trois départements est particulièrement attachée. Il serait bon, monsieur le ministre, qu'une circulaire rectorale le précise clairement. Il est incontestable que, si un enseignement religieux est organisé dans les écoles publiques d'Alsace-Moselle pour certaines confessions, il ne peut être exclu pour d'autres. Comme l'a affirmé tout à l'heure notre collègue Emile Blessig, il est impératif d'évaluer correctement la demande, de former les enseignants dans un cadre universitaire, de garantir la fiabilité de leurs compétences, et d'organiser un recrutement reconnu par les pouvoirs publics et les autorités religieuses. En aucun cas l'improvisation ne peut être de mise.

La loi doit être applicable dès la prochaine rentrée, et des circulaires devraient permettre aux chefs d'établissement de mettre le règlement intérieur de leur établissement en conformité. En cas de conflit, lorsque le dialogue et la médiation auront échoué, la loi devra être un outil permettant de pacifier les relations à l'intérieur de l'école.

Dans certains quartiers, l'école est aujourd'hui la dernière institution de la République à être encore respectée. Même imparfaite sur le fond, la loi en consolidera les bases et lui permettra de s'occuper de l'essentiel : instruire, éduquer et permettre à chacun, sans distinction de race, de religion, d'origine ou de sexe, de trouver sa place dans notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'école publique, c'est l'école de tous, c'est-à-dire l'école dont la vocation est d'accueillir sur les mêmes bancs tous les élèves, quelles que soient leur condition, leur confession, leur opinion. L'école de la République leur permet de vivre ensemble par-delà leurs différences. Elle permet, comme le disait Pierre Mendès France, « l'apprentissage en commun de la vie commune ». Elle assure la transmission des connaissances ; elle forme à l'autonomie intellectuelle et à la liberté de jugement ; elle favorise l'éveil de consciences libres, qui choisiront elles-mêmes leur destin, au lieu de subir la fatalité de leur destinée ; elle forme des esprits libres qui, une fois éclairés et parvenus à l'âge adulte, pourront effectuer eux-mêmes leurs propres choix religieux et politiques.

Pour cela, l'école publique doit être un espace de neutralité et de laïcité. La République laïque garantit la liberté de conscience, respecte toutes les croyances, mais ne reconnaît aucun culte. Elle ne combat pas les religions. Elle se borne à vouloir que celles-ci se limitent à la sphère privée et n'investissent pas l'espace public.

Espace public par excellence, l'école publique doit être un lieu de paix et de concorde, cet « asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas », selon l'expression de Jean Zay. Elle doit transmettre le savoir dans le calme et la sérénité. Elle doit échapper aux tensions ou affrontements confessionnels, identitaires et politiques, qui troubleraient l'ordre public dans les établissements et la quiétude de la vie scolaire.

Aujourd'hui, certains tentent d'exercer des pressions religieuses sur l'école de la République. Celle-ci se trouve à l'évidence confrontée à la montée des communautarismes et des intégrismes, inspirés par de nouveaux cléricalismes. On ne peut pas laisser l'école publique devenir le champ clos de batailles confessionnelles. Elle ne peut être soumise à l'ostentation de la foi, voire à son exhibition, par le port de signes ou de tenues manifestant à l'excès l'appartenance religieuse des élèves.

C'est pourquoi une loi est nécessaire, et je suis heureux que l'ensemble du Gouvernement partage désormais ce point de vue, ce qui n'était pas le cas il y a quelques semaines. Le législateur doit cesser de tergiverser, comme il le fait depuis quinze ans ; il doit statuer lui-même, et non s'en remettre simplement, comme c'est le cas depuis 1989, à une jurisprudence et à des circulaires administratives imprécises, voire ambiguës et donc d'interprétation incertaine et aléatoire, qui sont à l'origine des graves difficultés rencontrées par les établissements scolaires.

Selon un sondage réalisé par l'institut CSA et publié dans Le Monde du 5 février, 76 % des enseignants interrogés sont favorables à une loi interdisant le port à l'école publique de signes et de tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse des élèves.

Je juge à titre personnel que l'adverbe « ostensiblement » incarne un point d'équilibre légitime. Il traduit l'esprit de la circulaire du 15 mai 1937 adressée aux recteurs par Jean Zay, ministre radical de l'éducation nationale dans le gouvernement de Front populaire : cette circulaire interdisait seulement le « prosélytisme », la « propagande confessionnelle », bref ce qui relève de l'ostentation de la foi à l'école publique, où cette ostentation pourrait engendrer tensions et affrontements. Il s'agit donc de passer d'une attitude d'ostentation à une exigence de discrétion. Ce texte n'interdit pas les signes religieux discrets, qui ne troublent pas la quiétude de la vie scolaire.

Au demeurant, une telle interdiction pourrait poser problème au plan juridique. En effet notre Constitution se réfère à la Déclaration des droits de l'homme de 1789, dont l'article X dispose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». En outre, selon la Constitution, les traités régulièrement ratifiés ont une autorité supérieure à celle des lois. Parmi ceux-ci, figure la Convention européenne des droits de l'homme, qui précise que la liberté de manifester sa religion ne peut être restreinte que pour des motifs relatifs à la protection de l'ordre où à la protection des droits et libertés d'autrui. La Cour européenne des droits de l'homme, si elle en était saisie, pourrait donc juger que l'interdiction des signes religieux discrets ne serait pas proportionnée à l'objectif recherché, et apporterait une limitation excessive à l'exercice de la liberté de conscience.

Cette loi est en tout cas indispensable pour assurer tranquillité et sérénité à l'école de la République. Refuser de légiférer serait maintenir l'incertitude et le trouble dans nos établissements scolaires. Ce serait aussi sembler reculer devant les manifestations intégristes qui somment le Parlement de ne pas légiférer. Dans une république laïque comme la nôtre, la foi ne peut prétendre dicter la loi, ni imposer l'absence de loi. La République doit rappeler à tous ses principes fondamentaux, desquels fait partie l'impératif de laïcité. Quand celui-ci est contesté ou menacé, le législateur ne peut rester inerte.

Il importe par ailleurs - et j'ai déposé un amendement en ce sens - que cette loi interdise également le port de signes ou de tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance ou l'engagement politique des élèves. En effet, le port de signes politiques présente le même risque. Porter ostensiblement l'insigne ou le badge d'un parti politique, ou une tenue qui symbolise le soutien à telle ou telle cause nationale, peut provoquer des tensions ou des affrontements dans la vie des établissements scolaires.

C'est pourquoi la première circulaire de Jean Zay datant du 1er juillet 1936 portait sur les signes politiques, c'est-à-dire « tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire ». Et tous les textes et rapports qui ont en la matière précédé le présent projet de loi visaient à la fois les signes religieux et politiques, qu'il s'agisse des travaux de la mission d'information présidée par M. Jean-Louis Debré, de la proposition de loi déposée le 18 novembre 2003 par les membres du groupe socialiste et apparentés, ou du rapport de la commission Stasi publié le 10 décembre 2003. Celle-ci proposait en effet que soient « interdits dans les écoles, collèges et lycées les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique ». Je ne comprends donc pas pourquoi le Premier ministre n'a pas retenu cette double interdiction, d'autant moins que M. Raffarin a déclaré avant-hier que « certains signes religieux, et parmi eux le voile islamique, se multiplient dans nos écoles. Ils prennent de fait un sens politique et ne peuvent plus être seulement considérés comme des signes personnels d'appartenance religieuse. » Il faut être cohérent. Si le Premier ministre entend interdire les signes religieux qui « prennent de fait un sens politique », il faut a fortiori interdire les signes politiques à l'école. On ne peut pas à la fois interdire le voile islamique, en considérant qu'il est en réalité un signe politique, et autoriser les autres signes politiques ostensibles.

M. Jean-Pierre Brard. C'est ce qu'exige tant la logique de Descartes que celle de La Palice !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Mon amendement, qui n'interdit pas les signes politiques discrets, serait compatible avec la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989, dont l'article 10 consacre la liberté d'expression des élèves dans les collèges et lycées, tout en précisant que l'exercice de cette liberté doit respecter le principe de neutralité et ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement. L'amendement que je défendrai ne vise à faire obstacle qu'à des manifestations ostentatoires d'appartenance ou d'engagement politiques. Il n'empêche pas, par exemple, l'organisation dans ces établissements de débats politiques, pourvu qu'ils ne troublent pas la quiétude de la vie scolaire. Selon le sondage CSA déjà cité, 72 % des enseignants interrogés se déclarent favorables à l'interdiction des insignes politiques à l'école : il importe d'être attentif à leur message.

Ce que je propose pour l'école publique peut se résumer en trois principes : oui à la libre expression, non à la propagande ; oui à la liberté de conscience, non au prosélytisme ; oui à l'intégration, non à l'intégrisme.

Mes chers collègues, le Parlement, porte-parole de la nation et voix de la République, doit s'exprimer avec force et clarté, parce qu'il s'agit de défendre l'école publique, creuset de la France républicaine. Cette école doit rester un espace de paix et de concorde. Aujourd'hui comme hier, elle doit permettre à tous les élèves de vivre ensemble, de grandir ensemble, de devenir ensemble des citoyens de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Herth.


M. Antoine Herth
. Monsieur le président, mesdames, messieurs, faut-il légiférer ? Faut-il interdire tout signe religieux visible ? Le projet de loi dont nous discutons est-il compatible avec le concordat en Alsace-Moselle ? C'est à ces trois questions que je vais tâcher de répondre.

Si j'ai d'abord douté de l'utilité de la loi que présente le ministre de l'éducation, Luc Ferry, j'ai fini par me laisser convaincre de son intérêt en suivant les travaux de l'Assemblée nationale et en revisitant ma bibliothèque. Dans un essai publié en 1996, M. Luc Ferry, philosophe et écrivain, considérait en effet que « la volonté d'étendre à l'univers entier le système humaniste et laïque qui a si bien fait ses preuves dans l'Europe d'après-guerre aurait quelques raisons d'apparaître comme un dessein d'envergure (...). La fidélité aux droits de l'homme, la liberté politique, la paix, une relative prospérité, le respect des autres cultures et le regard critique sur soi, n'est-ce pas là l'idéal que notre modeste continent pourrait offrir au reste du monde s'il avisait de s'en inspirer ? »...

M. Jean-Pierre Brard. C'est un défi pour l'auteur lui-même !

M. Antoine Herth. ...« Sans doute le malheur des autres ne saurait-il nous convaincre de notre propre bonheur. Quoi qu'il en soit, c'est pour une raison de fond que la comparaison avec des sociétés différentes ne suffit plus à justifier nos modes de vie : c'est maintenant de l'intérieur que l'Occident commence à percevoir des failles que son opposition à des régimes hostiles (...) lui avait si longtemps permis d'occulter.

« L'homme politique des républiques islamiques peut prétendre tirer sa force de ce qu'il incarne une figure de l'Absolu. Le chef d'Etat nationaliste détient encore la possibilité de représenter aux yeux du peuple le génie incomparable de sa nation, entité sacrée parce que supérieure à ses membres.

« Le leader révolutionnaire maintenait, tant bien que mal, le sentiment d'incarner une mission sacrée. Dieu, la patrie, la révolution consacraient de grands desseins. Comment le politicien laïque et démocrate pourrait-il, en comparaison, ne pas faire figure de gestionnaire au petit pied ? »...

M. Jean-Pierre Brard. Vous parlez pour vous ?

M. Antoine Herth. ...« On lui accordera, dans le meilleur des cas, des vertus de compétence (...) mais comment suffiraient-elles à justifier l'exorbitante prétention, dont il hérite avec ou contre son gré, à s'élever au-dessus du commun des mortels pour leur servir de guide ? Il ressent l'urgence de formuler un vaste projet. (...) Mais où trouver cette « grande politique » dans un univers dont la source et l'horizon sont si bien humanisés que rien ne peut s'y élever de sacré sans contrevenir aux idéaux laïcs et démocratiques ? »

Pardonnez-moi de vous citer aussi longuement, monsieur le ministre − du reste, ce n'est pas le ministre que je cite, c'est l'écrivain.

M. Jean-Pierre Brard. C'est comme la sainte Trinité !

M. Antoine Herth. Ainsi, j'ai cru comprendre que cette loi est un début de réponse du ministre au philosophe.

Elle vise à redonner corps à cette « personne morale » et forcément immatérielle qu'est notre République démocratique et laïque, et donc à donner du sens à l'action politique.

Ce message s'adresse d'abord aux Françaises et aux Français, pour leur rappeler que les valeurs fondatrices de notre nation restent plus que jamais d'actualité. Mais il s'adresse aussi au monde, à ce monde globalisé qui brasse les hommes et les idées, pour lui dire que, là où flotte le drapeau tricolore, là s'appliquent les lois de la République française.

Ce projet de loi et le présent débat sont nécessaires pour nous préserver de la torpeur et de la perte de repères. Il nous invite à refaire le chemin de notre histoire et à puiser dans nos convictions pour reformuler le projet politique national.

Ma deuxième question concerne la rédaction du texte et plus particulièrement la notion de « manifestation ostensible d'une appartenance religieuse ».

Cette approche me semble juste et équilibrée, et je veux m'inscrire en faux contre ceux qui prônent l'interdiction de tout signe religieux visible. Ne voient-ils pas la formidable contradiction entre cette surenchère réglementaire et leur attachement supposé à la préservation des libertés individuelles ? Je suis d'autant plus surpris que cette position est défendue par notre collègue Armand Jung. Il devrait se rappeler que, durant les heures tumultueuses de la Révolution, la flèche de la cathédrale de Strasbourg fut un temps coiffée du bonnet phrygien, éphémère tentative de supplanter le signe religieux par un symbole républicain.

M. Jean-Pierre Brard. C'est pas idiot ! (Sourires.)

M. Antoine Herth. Faudra-t-il, après la prohibition des signes religieux vestimentaires, raser les clochers d'Alsace, dès lors qu'ils seront visibles de la cour d'une école ? Mes chers collègues, ne tombons pas dans les excès d'une inquisition laïque qui rendrait cette loi inapplicable et serait la marque d'une démocratie agonisante.

Je crois au contraire que notre République est forte. La seule chose à proscrire, c'est la volonté de contester ses valeurs.

Je me suis demandé, en dernier lieu, si cette loi était compatible avec le concordat en Alsace-Moselle. Je ne vois aucune raison d'en douter, à moins que des directives ministérielles ultérieures ne viennent me contredire. Ce qui pourrait menacer le principe concordataire, vieux de deux siècles, ce serait l'affaiblissement de l'Etat laïque, contraint de s'arc-bouter sur des valeurs républicaines devenues obsolètes et qu'il serait incapable de revitaliser.

Cette loi, au contraire, renforce la souveraineté de l'Etat, et, par là même, redonne de la force au contrat qui le lie aux cultes concordataires. Je rejoins ici Frédéric Reiss, qui a souligné combien les Alsaciens et les Mosellans étaient attachés à cet acquis historique, comme l'a également rappelé Emile Blessig dans son excellente intervention, où il a évoqué la question de l'élargissement du concordat à l'islam, deuxième religion pratiquée en Alsace. Une expérimentation pourrait alimenter la réflexion nationale. Je formule cependant deux conditions. D'une part, les autorités religieuses de l'islam − je serais tenté de dire « des islams » − doivent prouver leur capacité à s'organiser pour devenir des interlocuteurs crédibles de l'Etat. D'autre part, il me paraît indispensable qu'elles affirment haut et fort leur engagement à appliquer la loi.

M. Jacques Barrot. Très bien !

M. Antoine Herth. Dans ces conditions seulement, un dialogue constructif sera possible.

Monsieur le ministre, en conclusion, le modeste député de base que je suis veut rendre hommage au travail que vous accomplissez.

M. Jean Glavany. Vous êtes un élu du peuple !

M. Jean-Pierre Brard. Mais vos électeurs risquent de vous rapprocher de la base !

M. Antoine Herth. Le débat sur l'avenir de l'école a permis une très large mobilisation et donné la parole à ceux qui la font vivre au quotidien.

M. Mansour Kamardine. C'est vrai !

M. Antoine Herth. Si tous s'accordaient pour parler de « creuset de la République », la définition précise des valeurs que l'école est supposée transmettre n'allait souvent guère au-delà des pétitions de principe. Avec ce projet de loi, nous réaffirmons un peu plus notre identité et ce qu'elle implique dans les faits. Cette laïcité que nous proclamons pour nos écoles, c'est la garantie réelle de la liberté d'opinion, c'est le renforcement de l'égalité des chances pour les femmes comme pour les hommes, c'est le progrès vers une société fraternelle, sans distinction de couleur de peau.

Je vous remercie donc, monsieur le ministre, pour le travail que vous avez accompli, et je voterai ce texte, si aucun amendement ne vient en dénaturer le sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close. Elle a duré vingt et une heures trente et 120 députés ont pu s'exprimer. Vos interventions seront publiées jeudi prochain dans un livre qui vous sera distribué.

M. Jacques Barrot. Très bien !

M. le président. M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, m'a informé qu'il retirait la motion de renvoi en commission qu'il avait déposée. J'en prends acte.

Avant d'en venir à la discussion des articles, je vais suspendre la séance pour quelques instants.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, inscrit sur l'article 1er.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, le temps que durera mon intervention permettra peut-être à M. Lagarde de nous rejoindre. Car s'il ne devait pas venir pour défendre son amendement, après avoir renoncé à son temps de parole dans la discussion générale, c'est qu'il nous referait le coup de M. Bayrou lors de l'examen de la loi de finances : tout dans les gestes, rien dans les actes !

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 1er du projet de loi appelle des améliorations, comme l'a constaté la commission des lois elle-même en adoptant un amendement judicieux sur le dialogue. Mais cet article est nécessaire.

La jurisprudence développée sur le fondement de la circulaire de décembre 1989 a progressivement dénaturé l'esprit de la loi de 1905 et des autres lois de laïcité de l'enseignement. Le principe est aujourd'hui la possibilité d'afficher des signes d'appartenance religieuse, l'interdiction étant réservée à des cas exceptionnels. La confusion est telle qu'une note de plus de trois pages de la direction des affaires juridiques du ministère de la jeunesse, de l'éducation et de la recherche, publiée en mars 2003, s'est révélée nécessaire pour décrypter les arcanes de l'Etat de droit !

Certains de nos collègues, qui n'ont certainement pas lu la jurisprudence, soutiennent qu'il est superflu de légiférer. Or un examen un peu attentif du contenu et des effets préoccupants de la jurisprudence du Conseil d'Etat devrait les conduire à ne pas s'en tenir à des approximations trompeuses.

Je sais bien qu'il est politiquement incorrect de critiquer le Conseil d'Etat. Il faut pourtant bien reconnaître qu'au fil du temps celui-ci a fini par faire dire à la loi de 1905 le contraire de ce qu'elle disait ! D'où la nécessité de légiférer.

En 1994, une seconde circulaire ministérielle a posé le principe de l'interdiction, tout en autorisant les signes discrets. Le Conseil d'Etat a jugé que le ministre de l'éducation nationale de l'époque s'était borné à donner son interprétation de la laïcité, et qu'aucune disposition de cette circulaire n'avait de valeur normative. Les juges ont donc maintenu leur jurisprudence, en écartant, par un arrêt de juillet 1995, la nouvelle circulaire d'un revers de main, moins d'un an après sa publication.

Mettre fin à cette situation de grande confusion qui délite les principes républicains est à l'évidence notre devoir de législateur.

Donner des orientations claires et des instruments administratifs et juridiques aux chefs d'établissement ne saurait bien entendu signifier un quelconque mécanisme de sanction automatique, procédé détestable. Le dialogue avec les élèves qui porteraient des signes prohibés est indispensable car il ne s'agit pas d'interdire pour interdire, mais de faire comprendre, admettre et partager les principes républicains du bien-vivre ensemble.

L'amendement adopté qui prescrit le dialogue en le transcrivant dans les règlements intérieurs est donc une mesure de sagesse.

Il faut, par le dialogue, faire comprendre à des citoyens en formation le principe de laïcité, qui n'est pas nécessairement présent dans leur patrimoine culturel familial, et la distinction entre la sphère privée, dans laquelle la pratique religieuse est garantie par la liberté de conscience, et la sphère publique, qui inclut l'école et qui est régie par le principe de neutralité.

Le travail de pédagogie est indispensable. C'est pourquoi notre mission, que vous présidiez, monsieur le président, a préconisé la formation obligatoire des enseignants à la laïcité, et l'enseignement de la laïcité dès l'école primaire, comme le souhaite également M. Glavany.

M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Vous reconnaîtrez avec moi, monsieur le président, que la plus grande confusion régnait à cet égard sur les bancs de cette partie de l'hémicycle.

M. le président. Ce n'est pas mon problème, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Et c'est pourquoi je vous demande de me laisser m'exprimer jusqu'au bout.

M. Charles Cova. Personne de votre groupe n'est là pour vous écouter !

M. Jean-Pierre Brard. Peu assurés sur le fond, certains détracteurs de la loi dénoncent une manœuvre électorale. Fallait-il attendre ? Faudrait-il différer, voire renoncer à ce texte ? Ce serait faire un cadeau extraordinaire aux extrémistes de tous bords ! Nos concitoyens jugeraient sévèrement une attitude aussi irresponsable.

Il faut donc améliorer encore le texte et le voter sans retard. Mais il ne réglera pas à lui seul l'importante question de l'intégration des habitants de culture ou de religion musulmane dans notre société. Je pense en particulier, monsieur le Premier ministre, au droit de vote pour les élections locales, ...

M. Mansour Kamardine. Encore !

M. Jean-Pierre Brard. ...au bénéfice des étrangers non communautaires, remplissant une condition de durée de séjour.

Enfin, appliquer la loi de 1905, c'est donner les moyens aux croyants de pratiquer leur culte. La République n'a à intervenir ni dans la théologie ni dans les rites, pourvu qu'ils respectent ses lois.

M. le président. Monsieur Brard, votre temps de parole est dépassé.

M. Jean-Pierre Brard. L'islam, qui est arrivé après les autres cultes,...

M. Mansour Kamardine. Tout cela a déjà été dit !

M. Jean-Pierre Brard. ...ne dispose pas de lieux de prière dignes. Il faut donc régler la question de leur construction, dans le respect des lois de la République. Il suffirait pour cela de s'inspirer simplement du modèle du logement social, par exemple.

M. le président. L'amendement n° 11 de M. Lagarde n'est pas soutenu.

Je suis saisi d'un amendement n° 22.

Puis-je considérer que vous l'avez défendu, monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre Brard. Pas vraiment, monsieur le président.

M. le président. Il se justifie pourtant par son texte même puisqu'il tend à insérer les mots « et tous autres locaux ou enceintes, durant l'intégralité du temps scolaire, ainsi que lors des sorties et voyages scolaires ».

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, vous avez pu noter au cours des auditions auxquelles a procédé la mission que vous avez présidée, que ce point était très discuté. J'attends donc de la clarté, et en particulier que le président de la commission des lois délimite explicitement le champ d'application de l'article.

M. le président. C'est ce que j'aurais pu lui demander immédiatement si vous n'aviez pas repris la parole.

La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. Monsieur Brard, vous posez, avec cet amendement et les deux suivants, trois questions différentes.

Vous vous êtes d'abord demandé, avec plusieurs de nos collègues siégeant sur différents bancs, si cette loi était utile voire nécessaire. Vous avez conclu qu'elle n'était ni utile ni nécessaire.

M. Jean-Pierre Brard. Pas du tout ! Je viens de dire exactement le contraire !

M. Jean Glavany. Vous ne l'écoutez pas attentivement !

M. le président. Laissez parler, je vous prie, M. le président de la commission.

M. Jean Glavany. Il est autiste !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pardonnez-moi si j'ai résumé de manière un peu lapidaire votre intervention, monsieur Brard. Ma démonstration devrait toutefois vous apporter quelque lumière.

Je tiens d'abord à faire le point sur la situation actuelle et à expliquer pourquoi le Gouvernement a jugé bon de proposer une loi.

Le Conseil d'Etat a fondé son avis sur la loi d'orientation sur l'éducation de 1989, dite loi Jospin, selon laquelle « dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression ».

La Cour européenne de justice admet, pour sa part, que l'on peut limiter les libertés dans une société démocratique à condition que cela corresponde à des motifs de sécurité publique, de protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publique ou de protection des droits et libertés d'autrui, et à condition également que cette limitation soit opérée par le législateur.

Le Conseil d'Etat ne pouvait donc que juger que les signes religieux étaient permis et que seul le comportement de l'élève pouvait conduire le chef d'établissement à en interdire le port. Ce qui était en cause, c'était le comportement et pas le signe.

M. Jean Glavany. Un signe ou un comportement ostensibles, c'est la même chose !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Que propose le projet de loi ? D'inverser la problématique : c'est le signe qui devient maintenant interdit. La logique est donc bien inversée.

M. Jean Glavany. Pas avec le terme « ostensiblement » !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est un autre problème sur lequel je reviendrai tout à l'heure.

Selon moi, en tout cas, le projet de loi est l'exact contraire de la loi de 1989 : celle-ci permettait le port du signe ; celui-là l'interdit.

Le Conseil d'Etat se plaçait jusqu'à présent, pour rendre ses avis et arrêts, dans une logique de port de signe religieux. Maintenant la logique sera celle du non-port de signe religieux.

Vous vous demandez, monsieur Brard, ce qu'il en est hors de l'enceinte scolaire. Permettez-moi de vous renvoyer à cet égard à l'exposé des motifs du projet de loi. Celui-ci répond en effet de façon très claire à votre interrogation : « L'interdiction » que la loi « institue vaut évidemment pour toute la période où les élèves se trouvent placés sous la responsabilité de l'école, du collège ou du lycée, y compris pour les activités se déroulant en dehors de l'enceinte de l'établissement (sorties scolaires, cours d'éducation physique et sportive, etc.). »

Si la question devait se poser, le juge se reportera à l'exposé des motifs pour interpréter la loi. Vous avez donc satisfaction.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, pour donner l'avis du Gouvernement.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Le Gouvernement a le même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, permettez-moi d'abord de saluer votre initiative tendant à faire éditer nos interventions.

M. le président. Cela n'a aucun rapport avec notre sujet.

M. Jean-Pierre Brard. Au contraire : M. Clément me répondait comme si j'étais contre la loi. Or, depuis le début, je suis pour !

Monsieur le président de la commission, il faut écouter les députés. Cela vous éviterait de vous emmêler les pieds !

Mais si vous étiez mal parti, vous avez fini par trouver le bon aiguillage grâce aux signaux envoyés par le sémaphore Jean Glavany ! (Sourires). Vous avez en effet précisé le champ d'application de la loi, et l'expérience montre, avec le Conseil d'Etat, que de telles précisions étaient nécessaires. Je retire donc mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 22 est retiré.


Je suis saisi d'un amendement n° 21.

Vous le retirez également, monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre Brard. Non, monsieur le président. Ce n'est pas du tout pareil. (Sourires.)

M. Jean Le Garrec. C'était bien d'essayer, monsieur le président.

M. le président. Vous avez la parole pour le soutenir, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je reconnais là votre habileté, monsieur le président. Espérant profiter d'un moment d'inattention, vous avez essayé d'écarter, d'un revers de main, un amendement qui a fait l'objet de discussions au sein de la mission parlementaire, comme vous le savez, puisqu'il porte sur le champ d'application de la loi.

Dans les établissements privés ayant passé un contrat d'association avec l'enseignement public, l'enseignement est dispensé selon les règles et les programmes de l'enseignement public. Tous les enfants, sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyance, y ont accès.

Des décisions du Conseil constitutionnel consacrent la notion de « caractère propre » de cet enseignement sans toutefois lui donner un contenu précis. Le projet éducatif spécifique des établissements privés sous contrat par lequel se traduit le caractère propre de ces établissements ne saurait faire obstacle à une règle qui privilégie ce qui rapproche et proscrit ce qui sépare, dès lors que tous les enfants, sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyance, doivent y être acceptés.

L'interdiction du port de signes religieux dans le cadre scolaire n'est pas une règle arbitraire mais la forme la plus adaptée aux réalités actuelles de la nécessaire conciliation du respect de toutes les croyances et de l'accès au savoir qui reste la mission première de l'école, y compris de l'école privée sous contrat. Les mêmes devoirs, qui sont ceux du respect des consciences et de la transmission d'un savoir neutre, requièrent l'application des mêmes règles de fonctionnement que pour le service public de l'école. Nous ne voulons pas entendre à nouveau ce qu'un chef d'établissement auditionné par la mission Debré a répondu à une de nos questions : dans mon collège, j'ai 80 % d'enfants musulmans et 20 % de chrétiens. Nous avons été obligés de demander à cet honorable chef d'établissement depuis quand on distinguait dans notre pays les élèves en fonction de leur appartenance religieuse.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg et M. Germinal Peiro. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Mon cher collègue, vous vous êtes fondé, pour déposer cet amendement, sur les réflexions de la mission qui a été présidée par le président de l'Assemblée nationale. Vous avez considéré, et l'exemple que vous avez donné à l'instant est à cet égard éloquent, que la limite pouvait être franchie et que nous pouvions décider d'imposer à l'enseignement privé cet idéal républicain dont nous discutons.

Pour autant, vous connaissez la loi Debré de 1959.

M. Jean Glavany. Ah ! Le mot est lâché ! (Sourires.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. En effet, le grand mot est lâché.

Eh bien, cette loi mentionne explicitement le « caractère propre » des établissements privés sous contrat.

Certes, comme vous l'avez très justement fait observer, monsieur Brard, cette notion est difficile à définir, je vous en donne acte. Pour autant, si les avis qui se sont exprimés à cet égard sont divers, il est un point sur lequel tout le monde semble d'accord, c'est que le caractère propre des établissements privés sous contrat est constitué par leur identité spécifique et la relation particulière qu'ils entretiennent avec la religion.

Si nous supprimions aux établissements religieux, qui pour 95 % sont catholiques, cette capacité d'exprimer le caractère propre de leurs établissements, ils seraient fondés à s'interroger sur le respect de la liberté de l'enseignement. Celle-ci ne serait-elle pas incidemment remise en cause, ce qui irait très au-delà de ce que souhaitent le législateur, le Gouvernement, cela va sans dire, et très probablement un nombre important de membres de la mission du président Jean-Louis Debré ?

Par conséquent, il faut respecter ce caractère propre des établissements privés, et ne pas leur imposer cette loi. Cela n'empêchera pas ces établissements de pouvoir s'inspirer, dans leur règlement intérieur, de ce qui se fait dans les établissements publics,...

M. Jacques Barrot. Bien sûr !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...sans pour autant qu'il y ait obligation.

M. Ghislain Bray. Eh oui !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Cela répond à l'exemple précis que vous avez donné, monsieur Brard, même si je sais que le problème ne se pose pas partout dans les mêmes termes.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. L'avis du Gouvernement est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. Bien que je ne soutienne pas la proposition de Jean-Pierre Brard, je trouve qu'il pose une vraie, et une bonne, question.

M. Jean-Pierre Brard. Comme d'habitude ! (Sourires.)

M. Jean Glavany. Comme souvent. (Sourires.)

Je voulais moi aussi faire référence à la loi de 1959, sans citer l'auteur, pour garder...

M. le président. L'anonymat ? (Sourires.)

M. Jean Glavany. ...la sérénité à nos débats et ne gêner personne dans cet hémicycle. La notion de caractère propre y est assez indéfinie. Le Conseil constitutionnel lui-même...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il l'a reconnue.

M. Jean Glavany. ...en effet, mais sans jamais la définir avec précision.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Absolument !

M. Jean Glavany. Le fait est qu'aujourd'hui nous nous apprêtons à lui donner une définition plus précise puisqu'il sera stipulé que les établissements privés sous contrat ont les obligations de service public, sauf celle d'appliquer cette loi sur la « laïcité » - j'espère d'ailleurs que le titre va être modifié parce que ce serait un comble, cela reviendrait à dire que les établissements privés n'ont pas besoin d'être laïcs.

Au fond, grâce à la loi de 1959 - vous voyez, je dis « grâce », pour vous être agréable, monsieur le président...

M. René Dosière. C'est un terme religieux ! (Sourires.)

M. Jean Glavany. ...les établissements privés sous contrat ont une mission de service public mais sont exonérés d'une partie de l'application de la laïcité. Voilà le texte que nous allons voter aujourd'hui ! Nous ouvrons une boite de Pandore et nous sommes obligés de jongler avec des principes de droit très délicats.

Nous avions déjà pointé du doigt cette contradiction au sein de la mission d'information parlementaire et je considère que Jean-Pierre Brard pose une sacrée question, qui mériterait d'être étudiée sérieusement, je le répète, même si je ne prends pas part au vote.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 21.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements, n°s 23 corrigé, 15, 20 corrigé, 24 et 10, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements n°s 15 et 20 corrigé sont identiques.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l'amendement n° 23 corrigé.

M. Jean-Pierre Brard. J'aurais préféré que cet amendement soit appelé plus tard comme il me semblait qu'il aurait dû l'être, mais peu importe.

Par cet amendement, je propose de poser le principe suivant : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port apparent de tout signe d'appartenance religieuse est interdit. »

L'objectif, c'est d'adopter un texte clair afin d'empêcher les interprétations divergentes, qui risqueraient de faire rebondir un débat dont l'arrière-plan n'est pas toujours très correct.

La mission d'information s'était prononcée très clairement sur l'adjectif qui convenait. Sans doute, monsieur le président, n'avez-vous pas été le moins surpris par le débat sémantique qui s'est pourtant engagé ensuite pour savoir quel était le meilleur adjectif.

M. Jean Glavany. Le débat n'est pas sémantique !

Mme Annick Lepetit. Soi-disant sémantique !

M. Jean-Pierre Brard. Certains de nos collègues ont même brandi la menace des foudres de la Cour européenne des droits de l'homme mais ils ont été démentis par le vice-président de ladite cour, que nous avons auditionné. Celui-ci a en effet été extrêmement clair : pour toutes ces questions concernant le droit qui s'applique aux religions étant de compétence nationale, la Cour prend en compte les législations nationales. Tout le reste est fallacieux.

Pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Alors que la mission d'information a tranché cette question à l'unanimité moins deux voix, le groupe UMP, inspiré par le Président de la République et comptant certainement en son sein un certain nombre de futurs candidats à l'Académie française, s'est transformé en cénacle de sémanticiens.

M. Gérard Léonard. Vous oubliez la commission Stasi !

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez mal lu ses conclusions.

M. le président. Monsieur Brard, ne répondez pas aux interruptions, s'il vous plaît.

M. Jean-Pierre Brard. On ne peut égrener ce débat comme certains égrènent leur chapelet, c'est-à-dire grain après grain, monsieur le président. On peut discuter. Je crois aux vertus de la dialectique.

Rien ne nous empêche d'utiliser l'adjectif « visible ». Mais, si vous n'en voulez pas, il est un adjectif pour le coup parfaitement synonyme, c'est celui d'« apparent ». Il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarettes du point de vue de l'interprétation entre « apparent » et « visible », monsieur le Premier ministre. (M. le Premier ministre se penche vers M. le président de la commission des lois.)

Consulter M. le président de la commission des lois pour vous faire une opinion me semble très imprudent, monsieur le Premier ministre, parce que, jusqu'à présent, il ne nous a pas beaucoup aidés dans l'interprétation sémantique des mots qui sont proposés.

L'amendement n° 23 corrigé était un amendement de repli mais dans la mesure où il est appelé maintenant, j'invite mes collègues de l'UMP, dont on a bien senti que la plupart d'entre eux étaient profondément enracinés dans ce patrimoine symbolique commun qu'est la laïcité...

M. Eric Raoult. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. ...à faire preuve d'à-propos - ce n'est pas toujours le cas (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) - afin de ne pas rouvrir la boîte de Pandore et d'empêcher toute polémique quant à l'interprétation du texte que nous allons voter.

M. Mansour Kamardine. Gardez vos conseils pour vous !

M. le président. Monsieur Brard, je ne suis pas sûr qu'un signe « apparent » puisse ne pas être visible...

M. Jean-Pierre Brard. Voyez où nous en sommes ! Il aurait mieux valu en rester à votre adjectif !

M. le président. Non, et c'est pour cela que je vous ai répondu.

M. Jean-Pierre Brard. Vous vous défilez, monsieur le président. (Sourires.)

M. le président. Jamais.

Gardons de la tenue à nos débats.

La parole est à M. René Dosière, pour soutenir l'amendement n° 15.

M. René Dosière. Notre collègue Brard aurait également pu indiquer que, sur les panneaux placés aux abords de l'hémicycle, il est bien précisé que le port du badge doit être « permanent et apparent ». (Sourires.) Ainsi, c'est clair pour tout le monde.

M. Jean Glavany. « Visible » serait préférable.

M. René Dosière. L'amendement n° 15 prévoit la rédaction suivante : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port visible de tout signe d'appartenance religieuse est interdit. »

Cette proposition a fait l'objet de nombreux commentaires lors de la discussion générale de la part des orateurs du groupe socialiste, en particulier de Laurent Fabius. Aussi ne m'étendrai-je pas.

Je voudrais juste faire remarquer que, contrairement à ce que disait à l'instant notre collègue Brard, il ne s'agit pas d'une querelle sémantique. Nous avons bien conscience, en proposant l'interdiction des signes « visibles », d'être plus stricts que le Gouvernement : sans doute les signes religieux discrets ne seraient-ils plus autorisés. Mais, outre le fait que ce terme « visible » avait été retenu par la mission que vous présidiez, monsieur Debré, nous pensons que ce terme est plus clair et qu'il met toutes les religions à égalité. En fait, la rédaction du projet de loi nous semble plus dirigée contre les signes appartenant à la religion musulmane que contre les autres. Le président des évêques de France nous a lui-même explicitement dit ne plus sentir les catholiques concernés. Nous pensons que c'est une erreur et qu'il fallait que toutes les religions aient le même traitement. Notre débat sur ce point n'a rien de sémantique, car la signification des termes est bien différente.

Vous nous avez dit, monsieur le Premier ministre, que notre proposition était plus risquée sur le plan juridique. Nous en avons effectivement discuté en commission, notamment avec le président de la commission des lois, mais, après un débat un peu approfondi, la commission a jugé que, si le risque existait, personne ne pouvait savoir de quel côté la balance de la Cour européenne des droits de l'homme pencherait. Nous en avons conclu que nous pouvions apporter une réponse politique à un problème politique, dans le sens le plus noble du terme.

Nous souhaitons donc que le texte soit plus clair, considérant que, dans sa rédaction actuelle, le texte du Gouvernement risque de donner lieu à toute une série d'interprétations et de ne pas apporter la sécurité juridique que les chefs d'établissement appellent de leurs vœux.


M. le président
. L'amendement n° 20 corrigé étant identique à l'amendement n° 15, puis-je considérer, monsieur Brard, que M. Dosière l'a également défendu ?

M. Jean-Pierre Brard. Il est difficile de considérer que M. Dosière ait défendu mon amendement, monsieur le président, alors qu'il a dit qu'il n'était pas d'accord avec mon interprétation ! (Sourires.)

M. le président. Mais il est d'accord avec le texte !

M. Jean-Pierre Brard. Qu'avons-nous remarqué durant les travaux de la mission ? La haute administration, recteurs en tête, disait : « Tout va très bien, madame la marquise ! » Quant aux chefs d'établissement, ils criaient : « Au secours ! Il faut nous aider ! »

M. Jean Glavany. C'est aussi ce que disait le ministre !

M. Jean-Pierre Brard. En effet !

Il faut donc légiférer clairement. J'ajoute que le sondage qui a été réalisé sur le sentiment des enseignants confirme ce que nous avons entendu lors des travaux de la mission. Il faut entendre ce que nous disent les enseignants et ne pas seulement prêter l'oreille à l'écho de ce qui se dit de l'autre côté de la rue, monsieur le Premier ministre ! La France d'en bas, c'est plus important dans le cas particulier.

M. le président. Je suppose, monsieur Brard, que vous avez défendu l'amendement n° 24 !

M. Jean-Pierre Brard. Là, c'est beaucoup plus simple, monsieur le président.

Nos collègues ne savent pas se décider. Ils balancent entre « ostensible », « visible », « apparent ». Il y a une solution pour régler le problème : supprimer l'adjectif. Il n'y aura alors plus de débat sémantique. Le port de tout signe religieux sera interdit.

Je vois, monsieur le président, que vous regrettez de ne pas y avoir pensé plus tôt.

M. le président. Vous ne voyez rien du tout, monsieur Brard ! Il n'y a rien de visible sur mon visage ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. J'ai vu vos mouvements de sourcils ! Si l'on ne s'était pas engagé dans ce débat sur les adjectifs, la discussion aurait été simplifiée et nous serions allés directement à l'objectif en restant fidèles à l'esprit qui nous a animés. Il suffit donc de supprimer l'adjectif et il n'y aura plus de débat !

M. le président. L'amendement n° 10 n'est pas soutenu.

Quel est l'avis de la commission sur les quatre amendements restant en discussion ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je veux répondre à nos différents collègues, car Dieu sait que...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Non, pas cette expression ! Pas aujourd'hui ! (Sourires.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...car tout le monde sait que nous sommes là au cœur du débat. Je développerai trois points. D'abord, ce n'est pas un débat sémantique. Ensuite, c'est un débat juridique. Enfin, c'est un débat politique.

Ce n'est pas du tout un débat sémantique. Beaucoup, dont vous faites partie, monsieur Brard, ont parlé à la tribune du terme « ostensible ». Certains nous disent qu'en choisissant tel ou tel terme, on obtiendra tel ou tel résultat. Le problème n'est pas là. En réalité, rien n'est jamais sûr en matière juridique. On le sait d'ailleurs quand on est justiciable. On arrive devant le tribunal avec la certitude de gagner une cause et on pleure parfois en sortant. Pour autant, il y a des principes juridiques qui éclairent le législateur.

Aujourd'hui, le système juridique est devenu complexe. Le législateur français est soumis à l'autorité du Conseil constitutionnel, à la Convention européenne des droits de l'homme qui, je le rappelle, a été signée par quarante-trois pays, et la Cour européenne des droits de l'homme est aujourd'hui la dernière instance qui viendra dire ce qu'il en est dans ce domaine. Le législateur ne peut donc pas méconnaître ce que pense la Cour européenne des droits de l'homme.

Les deux juristes interrogés par la mission Debré n'étaient visiblement pas du même avis sur la question. L'un estimait que nous risquions la censure avec l'adjectif « visible » ; l'autre pensait que cela n'était pas le cas. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. C'est manichéen !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. La Convention européenne des droits de l'homme dit que toute limitation de liberté doit se fonder sur une loi - nous n'en avons pas, si ce n'est la loi de 1989 - et qu'elle doit être proportionnée au but poursuivi.

De plus, la Cour européenne dit, et le Conseil d'Etat l'a rappelé - pardon, monsieur Brard ! -, que le législateur est obligé de concilier deux principes contradictoires : le principe de laïcité et le principe de liberté de conscience et de liberté religieuse. C'est ce qui nous pousse à ne pas radicaliser la loi sur le plan juridique.

On peut passer outre. C'est l'avis de la mission Debré, du groupe socialiste et de certains collègues. Je dis simplement que ce qui a été fait, sur le plan juridique, c'est cet effort de conciliation de deux principes. La laïcité est un concept qui a beaucoup évolué depuis cent ans et, aujourd'hui, nous sommes presque tous d'accord pour une laïcité ouverte. C'est aussi la volonté du Premier ministre qui a déposé ce texte en voulant rappeler un principe de laïcité fort et, en même temps, une laïcité ouverte.

Par ailleurs, nous ne voulons pas un texte qui puisse être interprété sur le plan pratique d'une manière qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne rendrait pas les choses limpides. Certains signes qui, en eux-mêmes, n'ont pas de valeur religieuse, pourraient en avoir une après interprétation des chefs d'établissement. Autrement dit, ce qui est visible ne serait pas toujours condamnable. L'aspect pratique mis en avant pour soutenir cet argument n'est donc malheureusement pas justifié. On ne peut pas dire que l'on ne laissera pas de marge de manœuvre aux chefs d'établissement. Ce serait méconnaître leur capacité de jugement prudentiel dans des circonstances particulières qu'ils auront à gérer. Il faut leur laisser cette marge d'appréciation.

Enfin, dernier argument, nous sommes nombreux ici à être fiers de cette loi qui rappelle la laïcité républicaine, mais pas une laïcité qui pourrait sembler être un refus du fait religieux ou de l'expression religieuse. Encore une fois, nous défendons une laïcité ouverte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Barrot. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre, pour donner l'avis du Gouvernement sur ces amendements.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais dire combien ce débat est respectable. Il porte en effet sur une question particulièrement difficile sur laquelle nous avons beaucoup travaillé les uns et les autres. La conviction du Gouvernement est que la rédaction se référant au « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » est celle qui conduit à un niveau de contentieux minimum. C'est la rédaction qui me paraît la plus claire pour atteindre l'objectif qui est le nôtre. Nous avons en effet un objectif commun et nous discutons sur la manière de l'atteindre.

Cela étant, je suis tout à fait prêt à émettre un avis favorable à l'amendement prévoyant une évaluation pour que l'on puisse apprécier le niveau de contentieux. Notre objectif est de donner aux chefs d'établissement et à l'ensemble de ceux qui sont confrontés au problème la capacité d'affirmer leur autorité, celle de la République par laquelle passe la laïcité. Nous avons pensé que la rédaction proposée serait celle qui occasionnerait le moins de contentieux. Il va de soi que, sur un sujet aussi complexe, ce qui compte c'est de garder la perspective de l'objectif qui est de faire respecter, au nom de la République et dans l'espace républicain, la valeur de laïcité.

Je vais maintenant demander au ministre de l'éducation nationale de vous faire part de l'avis des chefs d'établissement sur ce sujet, puisque nous les avons consultés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Tardivement !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Pour préparer ce projet de loi, j'ai rencontré près d'un millier de chefs d'établissement et j'ai longuement discuté avec leurs représentants syndicaux, du public comme du privé, de droite comme de gauche.

M. Jean-Pierre Brard. Comment saviez-vous qu'ils étaient de droite ou de gauche ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Oh, il suffit parfois d'un peu d'intuition !

Ces discussions ont duré plusieurs semaines et, au début, tous les chefs d'établissement que j'ai rencontrés étaient favorables à l'interdiction des signes « visibles ». Ils pensaient, très exactement comme vous, que cela serait plus clair. Et puis j'ai eu de longues discussions avec eux et je leur ai fait valoir deux choses.

D'abord, la constitutionnalité et l'application du principe de proportionnalité, sur lesquelles je ne reviendrai pas puisque le président Clément vient d'en parler très clairement : c'est une question que l'on ne peut trancher ce soir ici, même s'il y a des arguments puissants en faveur des deux thèses.

Ensuite, je leur ai fait valoir que, si nous décidions d'interdire les signes visibles, cela signifierait, comme l'a dit M. Dosière tout à l'heure, l'interdiction des signes discrets. Ce qu'ils ont parfaitement compris et ce qui les a convaincus, c'est que si l'on interdisait les signes discrets il faudrait aller vérifier concrètement ce qu'il en est sur chaque pendentif, bague ou bracelet. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. C'est ridicule !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. D'ici je ne peux pas voir, par exemple, si le collier que porte l'une d'entre vous comporte un signe religieux ou non.

Un autre argument a achevé de convaincre les chefs d'établissement. La capacité à inventer de nouveaux signes étant infinie, on peut très bien imaginer que l'on en trouve qui contournent ceux que l'on connaît. Ainsi, ce qui apparaîtrait comme une facilité, dans la mesure où l'on pourrait interdire ce que l'on voit, serait en réalité source d'une très grande difficulté, car chaque professeur, chaque chef d'établissement serait obligé d'aller voir, sur chaque bijou, s'il comporte un signe religieux ou pas. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. Je voudrais d'abord remercier M. le Premier ministre de l'esprit d'ouverture qu'il a manifesté sur certains de nos amendements.

Ensuite, monsieur le rapporteur, comme je l'ai dit dans la discussion générale, la laïcité n'a pas besoin d'adjectifs. J'entends parler de laïcité ouverte, fermée, ancienne, moderne, etc. Mais la laïcité, c'est la laïcité. Quand elle est bien comprise, elle n'a pas besoin d'adjectifs.

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. C'est comme Dieu !

M. Jean Glavany. Ceux qui l'affublent d'adjectifs la dévalorisent, je le dis comme je le pense. Je souhaite que l'on ne se livre pas à ce genre d'exercice, même si je reconnais que la démarche n'est pas forcément neutre.

Je voudrais lancer un appel solennel à tous ceux, dans cet hémicycle, qui croient à la nécessité d'une loi, pour qu'ils ne reviennent pas sur cette histoire de querelle sémantique. Ceux qui parlent de querelle sémantique sont ceux qui veulent discréditer la loi.

M. le Premier ministre. Absolument !

M. Jean Glavany. Ils se sont exprimés une ou deux fois à la tribune pendant la discussion générale ou à l'extérieur de l'hémicycle, mais nous, nous ne devons pas tomber dans ce piège. Nous devons revaloriser ce débat en faisant qu'il soit à la fois juridique et politique, comme l'a dit M. le rapporteur. Finissons-en avec cette idée de querelle sémantique ! C'est un débat politique et juridique auquel je voudrais que tous ceux qui croient à la nécessité de cette loi apportent leur contribution.

J'en viens aux deux aspects, juridique et politique, évoqués par M. le rapporteur.

Tout principe juridique fait toujours l'objet d'une interprétation. Chacun sait que celle-ci peut différer d'un tribunal à l'autre, d'une cour d'appel à l'autre, et que, pour tel ou tel délit, il vaut mieux être jugé à Brest qu'à Aix-en-Provence, à Toulouse qu'à Strasbourg.

M. Jean-Pierre Blazy. Ou qu'à Nanterre !

M. Jean Glavany. Je m'arrête là, car je ne veux pas être polémique. La jurisprudence est là pour résoudre le problème.


Et puis, invoquant un deuxième raisonnement juridique, on nous fait le coup de la constitutionnalité et l'on brandit la Convention européenne. Le raisonnement ne tient pas : dans tout ce que nous avons étudié ensemble au cours de la mission d'information parlementaire, nous n'avons rien trouvé qui puisse fonder cet argument. Au contraire ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ecoutez, mes chers collègues, pendant six mois, nous avons travaillé ensemble, droite et gauche réunies, vous le savez. Et toutes tendances confondues, nous nous sommes convaincus qu'aucune objection de ce type ne pouvait être soulevée : le vice-président de la Cour européenne nous a indiqué lui-même que l'important était de faire une loi.

D'ailleurs, je me souviens que, sur les bancs de la majorité, des députés ont alors salué ce tournant dans le débat. Enfin, nous allions pouvoir légiférer ! Et maintenant, les mêmes députés reviennent en arrière et invoquent à contretemps les déclarations du vice-président. Ne lui faisons pas dire ce qu'il n'a pas dit !

L'argument juridique ne tient pas : ce sont des arguties !

M. Gérard Léonard. Non !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Léonard, admettez-le !

M. Jean Glavany. Je vous le dis comme je le pense, monsieur Léonard.

Savez-vous sur quoi porte réellement le débat juridique ? Ce n'est pas sur la compatibilité de la loi avec la Constitution ou la Convention européenne, mais sur son applicabilité. Voilà le vrai débat juridique !

C'est pourquoi, une fois de plus, je suis troublé en entendant les propos du ministre. Car les chefs d'établissement nous ont lancé des appels au secours pendant des mois. Ils nous ont expliqué qu'ils ne voulaient pas être ballottés au gré d'une jurisprudence floue. Ils ont refusé qu'on leur laisse une marge d'interprétation trop grande, ce qui les condamnerait à appliquer les consignes d'une manière très différente d'un établissement à l'autre. Ils nous ont demandé de leur donner une règle claire. Ce sont eux qui posent le problème de l'applicabilité de la loi.

Revenons donc à l'adjectif « discret ». Nous avons bien compris vos intentions. Elles sont d'ailleurs, non pas juridiques, mais politiques.

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Jean Glavany. Mais je vous retourne l'argument : qui va juger de ce qui est discret et de ce qui ne l'est pas ? Le chef d'établissement. Et comment va-t-il faire ? En se plaçant à l'entrée des établissements avec un double décimètre, comme on l'a dit parfois de manière caricaturale ?

J'ai consulté des juristes. Il n'y a qu'une seule manière d'éviter toute hésitation : écrire dans la loi que le port des signes religieux est interdit, lorsque la taille de ces signes dépasse celle qui a été fixée par un décret du Conseil d'Etat. Dans ce cas, évidemment, la discussion serait close. (Sourires.)

Cela vous fait sourire, mais au moins, du point de vue juridique, le texte serait blindé.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Vous n'avez pas tort...

M. Jean Glavany. Mais si l'on ne veut pas tomber dans ce piège, si l'on ne veut pas se défausser de cette décision sur le Conseil d'Etat, il faut dire les choses clairement.

L'adjectif « discret » a fait l'objet d'un arbitrage politique. Assumez-le, mesdames et messieurs de la majorité !

M. Jean-Pierre Brard. Oui !

M. Jean Glavany. Et vous savez avec qui a eu lieu cet arbitrage : avec des forces qui, traditionnellement, ne sont pas du côté de la laïcité. Cet arbitrage politique vous permettait d'autoriser ce qui est discret et d'interdire ce qui ne l'est pas. Mais du coup, vous butez sur le problème de l'application de la loi. Car faute d'avoir la règle claire qu'ils attendaient, ce sont les chefs d'établissement qui auront à trancher.

Nous nous heurtons donc ici à une difficulté tant politique que juridique. Il était important de le redire, pour rappeler tout le sens de l'amendement. Si vous n'acceptez pas l'adjectif « visible », nous aurons toujours les mêmes contentieux et les mêmes difficultés d'application. Et, dans quelques mois, cette loi qui paraissait nécessaire et qui, certes, aura été importante du fait de sa valeur symbolique, s'avérera inutile et il faudra y revenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour répondre à la commission.

M. Bruno Le Roux. M. le Premier ministre faisait remarquer que le débat était respectable. C'est vrai, surtout pour tous ceux qui s'interrogent, depuis plusieurs mois, sur le problème et, depuis plusieurs semaines, sur ce texte, et pour qui, aujourd'hui, la question n'est ni symbolique ni sémantique.

Je voudrais dire à M. le ministre de l'éducation nationale que je ne crois pas que l'adjectif « visible » revête un caractère inquisitoire. Il a, au contraire, le mérite de la clarté.

Au cours de ces dernières semaines, j'ai consulté des enseignants et j'ai pu remarquer qu'ils avaient besoin de soutien. C'est ce qui m'amène, en m'interrogeant aujourd'hui sur cette loi, à me dire qu'elle ne peut pas être tout à fait mauvaise. Or quand on demande à des enseignants ou à des chefs d'établissement ce qu'ils pensent des adjectifs « visible » ou « ostensible », il ressort que l'adjectif « visible » induit une forme de subjectivité, nécessairement relative, ce qui fait qu'on lui associe la notion d'ostentation. On n'ira pas vérifier si une croix se cache dans un foulard. Mais dès lors qu'on la voit et qu'on pense qu'elle représente un insigne religieux, on demandera à celle qui la porte de l'enlever.

Quand on demande aujourd'hui quels sont les signes religieux ostensibles, on vous cite le voile - et, parfois, dans les écoles, les emblèmes de cette espèce de secte que forment les « gothiques ». Posez la question autour de vous : dans aucun établissement scolaire, on ne vous parle de la croix.

Il y aura donc un flottement si nous ne sécurisons pas cette loi au moyen de l'adjectif « visible ». Et il faut trancher cette question par une analyse qui soit réellement de nature politique.

Monsieur le Premier ministre, nous aurions pu ici nous contenter d'un débat politique de circonstance. Mais le nôtre s'appuie sur les travaux d'une commission. Celle-ci a, pendant de nombreux mois, procédé à des auditions, dans une logique non discriminante. Tous nos concitoyens l'ont compris. Elle a choisi un terme clair. Je crois qu'avant de prévoir les contentieux, il faut d'abord faciliter l'interprétation de la loi. Pour tous ceux qui s'interrogent aujourd'hui, le choix de l'adjectif « visible » serait un signe important donné par le Gouvernement, qui permettrait de défendre demain une loi universelle et non une loi particulière. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 23 corrigé.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements n°s 15 et 20 corrigé.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 24.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 5.

La parole est à M. Daniel Garrigue, pour le soutenir.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le président, si vous le permettez, je défendrai en même temps l'amendement n° 4.

M. le président. Je suis en effet saisi d'un amendement n° 4.

Vous avez la parole, cher collègue.

M. Daniel Garrigue. L'amendement n° 5 a pour objet d'étendre les prescriptions de la loi, qui ne visent pour le moment que les seuls élèves, aux enseignants et aux personnels des établissements scolaires. Je rappelle - certains l'ont fait avant moi au cours de ce débat - que la circulaire de Jules Ferry s'adressait non aux élèves, mais aux enseignants.

J'ai lu attentivement les rapports des deux commissions sans trouver d'indication sur ce point : pour quelle raison ne vise-t-on que les élèves ? Je suis tout à fait d'accord pour que l'on s'interroge à leur propos, d'autant que, pour eux, le problème se pose peut-être de manière beaucoup plus aiguë qu'au début du siècle dernier. En revanche - à moins qu'il n'existe d'autres dispositions par ailleurs -, je ne vois pas pourquoi le projet de loi ne viserait pas les enseignants et les personnels des établissements.

Prenons un exemple, qui n'a rien d'un cas d'école : imaginons que, demain, une enseignante arrive en cours voilée. Elle ne sera pas visée par la loi. Que se passera-t-il ? Cet amendement vise à prévenir ce type de situation.

Quant à l'amendement n° 4, sa raison d'être est simple. Je crois d'ailleurs l'avoir évoquée au cours du débat. Un des éléments qui pose problème dans le texte est qu'il ne vise que les signes religieux, ce qui - je l'ai observé - provoque un sentiment de gêne, voire d'humiliation chez certaines personnes qui pratiquent une religion, qui y sont attachées ou simplement qui respectent la religion.

La laïcité n'est pas une simple frontière entre la République et les religions. C'est un espace qui, en réalité, comporte plusieurs frontières. Elle peut être menacée par l'attitude de certaines personnes qui pratiquent une religion de manière ostentatoire ou avec prosélytisme. Mais la laïcité est aussi quelque chose de plus vaste, que nous devons tous partager, quelles que soient nos croyances ou nos convictions. Et elle peut être menacée par ceux qui la conçoivent de manière trop combative.

Car je ne suis pas d'accord avec M. Glavany quand il affirme qu'il n'y a qu'une seule conception de la laïcité. Il y a plusieurs approches de cette notion : il existe une laïcité fermée, rigoureuse, une laïcité de combat, et une laïcité plus ouverte, une laïcité de dialogue. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes.

Parce que certains ont, de la laïcité, une conception qui relève du combat, je propose, par l'amendement n° 4, que cette loi proscrive aussi les signes maçonniques. D'ailleurs, je me rallie également à l'amendement n° 3 rectifié de M. Mariton relatif aux signes politiques, parce que le problème est le même. Les loges maçonniques ont toujours été très impliquées dans le débat sur la laïcité. Elles sont intervenues avec courage. A propos du voile, les milieux maçonniques ont été les premiers à avoir tiré la sonnette d'alarme. Ils l'ont souvent fait avec mesure.

Mais, de même que, dans telle ou telle religion, certains témoignent d'une attitude expansionniste ou prosélyte, de même, dans les milieux maçonniques, certains font preuve d'un véritable laïcisme, voire d'un intégrisme en matière de laïcité.

J'estime pour ma part - et je ne suis pas le seul à le penser - que la neutralité et la laïcité constituent un espace qui doit être protégé de tous les abus, d'où qu'ils viennent, et partagé de la même façon par tous.

Tel est le sens de l'amendement que j'ai déposé : je souhaite que cette loi ne vise pas seulement les signes religieux, mais aussi les signes maçonniques et, comme le propose l'amendement n° 3 rectifié, les signes politiques. On aurait également pu mentionner les signes philosophiques, au nom d'une véritable conception de la laïcité.

(M. Eric Raoult remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 5 et 4 ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Par son amendement n° 5, M. Garrigue propose que les enseignants et les personnels des établissements scolaires soient soumis aux mêmes obligations que les élèves.

J'avoue que, de la part de M. Garrigue, qui est lui-même, à l'origine, un haut fonctionnaire, cette suggestion m'étonne : il sait comme moi que le statut de la fonction publique oblige chaque fonctionnaire à un devoir de neutralité. Ce principe bien connu a d'ailleurs été confirmé par le Conseil constitutionnel en 1986 et par le Conseil d'Etat, dans un arrêt récent du 3 mai 2000, Demoiselle Marteau. Il a enfin été rappelé par la Cour européenne des droits de l'homme, dans une décision de 2001 relative à une Mme Dahlab contre son pays, en l'occurrence la Suisse. Ces dispositions s'imposent déjà aux fonctionnaires et aux personnels de l'éducation nationale, qui relèvent tous du statut de la fonction publique.

J'émets donc un avis défavorable à l'amendement n° 5.

Quant aux autres signes philosophiques mentionnés par M. Garrigue, je rappelle que ni dans la mission Debré, ni dans la commission Stasi, aucun abus de cette nature, ni d'ailleurs aucun abus relatif aux signes politiques, n'a été évoqué. Nous y reviendrons.

Très honnêtement, je crois qu'il ne faut pas enlever de la puissance à ce texte, qui sera beaucoup plus fort si nous nous en tenons aux signes religieux. Car si l'on commence à décliner tout ce qui peut être un signe, il ne faut pas seulement considérer les signes philosophiques, mais aussi les signes culturels et les signes relatifs aux loisirs. Jusqu'où irait-t-on ?

Traiter des signes philosophiques ne répond pas à une demande qui se serait exprimée au niveau de l'école. Et ce ne serait souhaitable ni du point de vue de la loi, ni du point de vue de l'importance symbolique qu'on veut lui donner.

Avis défavorable à l'amendement n° 4.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.


M. Christian Bataille
. Je suis rassuré par l'avis qu'a émis la commission sur l'amendement n° 4, car l'adoption de celui-ci aurait des conséquences pratiques dans les établissements scolaires. En effet, si l'on suivait notre collègue Garrigue, les travaux manuels qui supposent la manipulation de certains outils, tels l'équerre, le compas, voire la pierre brute, seraient impossibles, tout comme l'enseignement de la géométrie, dont les instruments de base sont l'équerre et le compas. Il me paraît donc tout à fait sage de ne pas retenir cet amendement. J'ai dit ! (Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements, n°s 2, 3 rectifié, 9 et 17, pouvant être soumis à une discussion commune.

L'amendement n° 2 n'est pas défendu, non plus que l'amendement n° 9.

La parole est à M. Hervé Mariton, pour soutenir l'amendement n° 3 rectifié.

M. Hervé Mariton. Le Premier ministre a eu l'occasion de souligner à plusieurs reprises combien le présent projet de loi s'inscrit dans une démarche générale de préservation de la neutralité de ce lieu particulier qu'est l'école.

S'agissant des agents du service public, le président Clément vient de rappeler que la neutralité est une règle générale. Elle s'applique donc à l'école, et nous ne doutons pas qu'elle soit parfaitement respectée et que, dans le cadre de ce débat, nous n'ayons qu'à en rappeler l'importance.

Le projet de loi concerne plus particulièrement les élèves des écoles, des collèges et des lycées. Or, l'analyse des faits, les auditions que nous avons menées dans le cadre de la mission présidée par Jean-Louis Debré, ainsi que les commentaires que nous avons pu lire au fil du débat et les échanges que nous avons eus avec tous ceux, nombreux, qui se sont intéressés au sujet montrent que le problème des signes religieux se transporte vite sur le terrain politique. Ainsi, concernant le « fait générateur » du projet de loi, c'est-à-dire le port du voile, nombre de ceux que nous avons écoutés nous ont déclaré que la question était au moins autant politique que religieuse.

Du reste, la mission Debré comme la commission Stasi et, parmi les formations politiques, l'UMP ont été amenées à suggérer l'appréhension commune des signes religieux et politiques. J'ajoute qu'un récent sondage révèle que 72 % des enseignants étaient également favorables à l'interdiction des signes politiques. Le problème n'est donc pas construit, inventé : il se pose. Et sa solution a été évoquée dans les rapports que je viens de citer. Dès lors, il serait surprenant qu'un amendement que tout le monde approuve finisse par être rejeté.

M. Jean Glavany. C'est arrivé plus d'une fois !

M. Hervé Mariton. Certes, le président Clément a eu raison de rappeler à l'instant que ce n'est pas sur cette question particulière que portaient les travaux de la mission et de la commission. Mais je rappelle que les qualificatifs « philosophique » et « politique » ont été évoqués et que seul le second terme a été retenu lors de ces travaux, qui n'ont été que des travaux d'information préparatoires.

Qu'il s'agisse d'enjeux de politique intérieure ou internationale, nous savons que l'école peut aussi, hélas ! être un lieu d'affrontements et que certains signes sont pour le moins ambigus.

Permettez-moi de citer un exemple. Il y a quelques mois, dans un lycée de ma ville, j'ai moi-même ressenti un certain malaise lorsque j'ai vu, dans la cour, un groupe de quelques jeunes portant un keffieh s'opposer manifestement à un autre groupe. On ne pouvait pas ignorer la signification de ce signe. Pourtant, il n'y avait pas de réponse administrative.

Le dispositif réglementaire actuel ne me semble pas suffisant dans ce domaine. On peut certes évoquer les circulaires de Jean Zay de 1936 et 1937, mais si elles suffisaient, cela se saurait et nous ne serions pas en train de débattre de l'interdiction légale des signes religieux portés ostensiblement. Quelle qu'ait été la clarté de leur rédaction et la hauteur des intentions qui la motivaient - il s'agissait de brider le développement des ligues d'extrême droite dans les établissements -, la circulaire de 1936 et celle de 1937 sont insuffisantes.

M. Jean Glavany. Nous n'allons pas refaire la discussion générale !

M. Hervé Mariton. Je rappelle que l'une d'elles visait à interdire « tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire ».

Les circulaires ne suffisent pas, disais-je. Le décret du 28 mars 1976, lui, aurait pu suffire. Hélas ! la loi Jospin de 1989 est venue affirmer le principe du pluralisme en mêlant neutralité et pluralisme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Non, elle affirme la liberté d'expression !

M. Hervé Mariton. Or, la revendication d'un engagement pose une question de principe et certaines pratiques pédagogiques portent souvent atteinte à la neutralité. Chacun d'entre nous a en tête des exemples fâcheux, il faut le dire.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Mariton.

M. Hervé Mariton. Mon amendement a donc pour objet de résoudre ces difficultés en interdisant signes politiques et religieux, qui sont si étroitement mêlés.

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour soutenir l'amendement n° 17.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Cet amendement vise à interdire dans les établissements scolaires publics le port de signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance ou l'engagement politiques des élèves. Il me semble en effet que, pour être un espace de laïcité et de neutralité, pour ne pas connaître les tensions ou les affrontements confessionnels, identitaires ou politiques, l'école publique doit être préservée, certes du prosélytisme et de la propagande confessionnelle, mais aussi de la propagande politique.

S'agissant de la circulaire de Jean Zay du 1er juillet 1936, qu'évoquait l'orateur précédent, je rappelle qu'elle a précédé la circulaire qui a interdit les signes religieux. En effet, en juillet 1936, les ligues d'extrême droite posant différents problèmes, le premier réflexe fut d'interdire avant toute chose les signes politiques, c'est-à-dire, « tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire », en précisant que « l'ordre et la paix doivent être maintenus à l'intérieur des établissements scolaires. » Une seconde circulaire, du 15 mai 1937 a, je l'ai dit, étendu cette interdiction aux signes religieux.

A l'évidence, le port de signes ou de tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance ou l'engagement politiques des élèves présente le même risque pour la tranquillité et l'ordre public dans les établissements scolaires que le port de signes religieux. Porter ostensiblement l'insigne ou le badge d'un parti politique ou une tenue qui symbolise le soutien à telle ou telle cause nationale ou identitaire peut en effet provoquer des incidents ou des troubles dans les établissements scolaires.

Du reste, ainsi que je le remarquais tout à l'heure, tous les textes ou rapports qui ont précédé l'adoption par le conseil des ministres du projet de loi comportaient l'interdiction des signes politiques et religieux, qu'il s'agisse de la mission d'information présidée par Jean-Louis Debré ou de la commission Stasi, qui proposait une interdiction portant sur les « tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique ».

Par ailleurs, je rappelle que le Premier ministre a déclaré avant-hier que, s'il fallait s'opposer au port du voile islamique, c'était en réalité et surtout parce qu'il « prenait de fait un sens politique ». Or si le Premier ministre entend prohiber le port de signes religieux « qui prennent de fait un sens politique », il faut évidemment interdire les signes politiques à l'école. On ne peut pas, en effet, interdire le voile islamique en considérant qu'il est en réalité un signe politique et autoriser les autres signes politiques ostensibles. Il paraît donc souhaitable d'interdire, dans les établissements scolaires publics, le port de signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse ou l'appartenance ou l'engagement politiques des élèves.

Je précise que l'amendement ne vise pas à interdire les signes politiques discrets et qu'il me paraît compatible avec la loi d'orientation sur l'éducation nationale du 10 juillet 1989 qui consacre en effet, dans son article 10, la liberté d'expression des élèves dans les collèges et lycées, tout en précisant cependant que l'exercice de cette liberté doit respecter « le principe de neutralité » et « ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement ». L'amendement proposé ne fait obstacle qu'à des manifestations ostentatoires d'appartenance ou d'engagement politiques et n'interdit pas, par exemple, l'organisation de débats politiques dans les établissements dans des conditions qui ne troublent pas la quiétude de la vie scolaire.

J'ajoute que, dans un sondage publié hier par Le Monde, 72 % des enseignants interrogés se déclarent favorables à l'interdiction des insignes politiques à l'école, et je pense qu'il est important d'être également attentif à ce message.

Le vote de cet amendement est souhaitable pour que l'école publique demeure un espace de paix et de concorde permettant à tous les élèves de vivre ensemble par-delà leurs différences confessionnelles, mais aussi politiques.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 3 rectifié et 17 ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Nos deux collègues ont présenté deux amendements qui visent à compléter la loi en ajoutant à l'interdiction des signes religieux celle des signes politiques. Or, ils ont déjà répondu à leur propre argumentation. Je suis donc un peu ennuyé, car je ne sais pas ce que je vais pouvoir leur apprendre.

Je veux néanmoins apporter trois précisions.

Premièrement, d'un point de vue pratique, ni la mission Debré ni la commission Stasi n'ont eu connaissance d'une demande de ce type de la part des chefs d'établissement.

Deuxièmement, la très belle circulaire Jean Zay n'ayant jamais été supprimée ni remplacée, le ministre a déjà fait savoir qu'elle conservait toute sa valeur juridique.

M. Hervé Mariton. Mais ce n'est qu'une circulaire !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Quand bien même s'agirait-il d'un règlement intérieur, s'il ne contredisait ni une circulaire ni un décret ni une loi, il serait valable. La circulaire est donc évidemment valable. S'agissant de l'exemple que vous avez cité, la solution existe : elle dépend du chef d'établissement.

M. Jacques Barrot. Très juste !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Troisièmement, revenons à l'essentiel, nous voulons tous assigner à cette loi une finalité très belle : il s'agit en effet de rappeler un principe, assez incroyable pour le reste du monde, que l'on appelle chez nous la laïcité et qui permettra à nos jeunes, qu'ils soient Français de souche, de date récente ou étrangers, de découvrir le « vivre ensemble » à travers le respect de l'autre et de ses convictions, dans le lieu d'intégration privilégié qu'est l'école. J'ajoute que ce principe est un idéal partagé par la quasi-totalité des Français. N'allons donc pas « abîmer » la loi, dont nous voulons qu'elle soit une loi d'intégration, en y ajoutant autre chose que ce que nous avons voulu dire.


C'est pourquoi je crois qu'il n'est pas opportun de retenir cette idée qui, quoique fondée, ne paraît pas opportune pour notre projet de loi.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière.

M. Jérôme Rivière. Après ces vingt heures de débat sur la laïcité, nous avons tous compris que le voile, signe religieux, était également interprété par certains comme un signe politique. Par ailleurs, j'ai constaté qu'un grand nombre d'orateurs étaient très gênés, pour ne pas dire choqués, que l'on interpelle uniquement la communauté musulmane, puisque certains se sont adressés directement à cette communauté.

M. Jean Glavany. Il n'y a pas de communauté musulmane, il n'y a que la communauté nationale !

Mme Annick Lepetit. C'est la religion qui est musulmane !

M. Jérôme Rivière. Je maintiens que certains orateurs se sont adressés à la communauté musulmane.

Je crois que l'adoption de l'amendement n° 3 rectifié présenterait un double avantage : d'une part, insister sur le fait que le voile peut être aussi un signe politique, et donc marquer clairement notre refus de laisser pervertir une religion, et d'autre part, pour ceux qui la craignaient, éviter une forme de provocation à l'égard d'une communauté qui n'est pas directement visée.

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. Je suis contre ces amendements, et je vais d'ailleurs vous faire part, honnêtement, de l'évolution du groupe socialiste sur ce sujet. Nous nous sommes d'abord, dans une proposition de loi, prononcés pour une interdiction des signes politiques. Mais à force de débattre entre nous, nous avons changé d'avis, pour trois raisons.

La première est celle indiquée à l'instant par le rapporteur, à qui je veux dire à quel point je soutiens son appréciation sur ces amendements.

M. René Dosière. Il est très convaincant, ce rapporteur !

M. Jean Glavany. Quand il n'y a pas de problème, quand il n'y a pas de demande des chefs d'établissement, pourquoi voulez-vous prendre une disposition pour régler un problème qui n'existe pas ? On a déjà assez de mal à régler un problème bien réel. De plus, je crois que cela affaiblirait la portée de notre texte que de vouloir s'occuper de problèmes qui n'existent pas.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est vrai !

M. Jean Glavany. Deuxièmement, quand on touche à la politique, il faut veiller au respect de la liberté d'expression des élèves, et notamment à l'éducation civique et à l'éducation citoyenne. Il existe, dans de nombreux lycées, des débats organisés sous l'autorité des professeurs, et la politique n'est pas interdite de cité dans les établissements. Dans son article 10, la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 - que j'ai approuvée, et que j'aurais votée si j'avais été au Parlement - a introduit une forme de liberté d'expression des élèves dans les établissements. Je crains que ces amendements ne conduisent à une remise en cause de cette liberté d'expression, dont on ne mesurerait pas les conséquences. Je ne suis pas sûr que les élèves de France, les lycéens en particuliers, apprécieraient beaucoup ce genre de mesures.

Enfin, j'estime qu'il convient de défendre la liberté d'appréciation des chefs d'établissement, qui savent très bien faire la différence entre ce qui est admissible et ce qui ne l'est pas. Allez-vous interdire à des jeunes de porter un tee-shirt à l'effigie de Che Guevara, ou représentant une croix de Lorraine ? Cela n'aurait pas de sens ! Il faut laisser les chefs d'établissement faire leur travail tranquillement. Ils y parviennent très bien, sans problèmes, sans conflits, sans contentieux. C'est pourquoi je souhaite qu'on ne retienne pas ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. C'est sans doute dans un moment d'égarement que tous ceux dont j'ai parlé - la mission, la commission, et une formation politique importante - ont évoqué les signes politiques. Mais si je ne conteste pas que la circulaire Jean Zay existe, je souhaiterais tout de même que le Gouvernement précise sur quelle base réglementaire on pourra s'appuyer demain.

Quand j'entends notre collègue Glavany, je me demande si tout le monde ne serait pas d'accord sur une ambiguïté.

M. Jean Glavany. Mais non !

M. Hervé Mariton. Vous venez de souligner, cher collègue, l'intérêt que pouvaient présenter certaines formes d'expression politique au sein des établissements. C'est donc bien la question de la neutralité des établissements qui se pose. Certes, nous avons la circulaire Jean Zay, et je m'en félicite. Cela étant, sans prétendre être un aussi éminent juriste que le président Clément, je pense que nous avons parfois dû confirmer certains textes pourtant réputés solides. Je souhaite que le Gouvernement me réponde sur ce point, et je crains, si nous ne disons pas les choses clairement aujourd'hui, que, demain, les problèmes ne se multiplient.

M. Jean Glavany. Ils n'existent pas !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 1 corrigé.

La parole est à M. Edouard Balladur, pour le soutenir.

M. Edouard Balladur. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à rappeler qu'il est légitime à mes yeux de réglementer le port des signes religieux à l'école. Le texte qui nous est proposé n'est pas contestable dans son principe. Encore faut-il qu'il puisse être mis en œuvre de façon claire par les chefs d'établissement, et que la liberté de conscience, quelles que soient les convictions religieuses, soit pleinement respectée. C'est pourquoi le texte du Gouvernement mérité d'être précisé.

En effet, dès lors qu'il mentionne la manifestation ostensible d'une appartenance religieuse, il faudra que cette manifestation soit appréciée par le chef d'établissement, comme l'a rappelé M. le président de la commission des lois. Dès lors qu'il s'agira d'une décision du chef d'établissement, il appartiendra au juge de vérifier son bien-fondé. Mais le juge devra le faire en appliquant les principes relatifs à la liberté de conscience, qui sont des principes supérieurs à la loi. Il s'agit de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme, et de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dit que chacun est libre de manifester sa religion, mais que cette liberté « ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de l'ordre ».

M. Jean Glavany. Je suis d'accord avec vous !

M. Edouard Balladur. Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est que le seul fait que l'interdiction soit prévue par la loi ne suffit pas à garantir sa compatibilité avec la Déclaration et la Convention. Il faut en outre que cette interdiction soit nécessaire, c'est-à-dire proportionnée à la réalisation d'objectifs énoncés par la convention, comme la sécurité publique ou la protection de l'ordre.

M. Gérard Léonard. Exactement !

M. Edouard Balladur. La décision des chefs d'établissement n'échappera ni au contrôle du juge national, ni au contrôle du juge européen. Mieux vaut donc, dès maintenant, prendre les précautions nécessaires pour rendre ce texte incontestable, c'est-à-dire prévoir que l'interdiction du port de signes religieux est légitime, dès lors que celui-ci est de nature à troubler le bon ordre de l'établissement. Tel est l'objet de l'amendement que je propose.

Cet amendement permet de tenir compte des conditions locales, variables selon les départements et les territoires de la République où s'exerce la liberté religieuse. Ce qui trouble l'ordre dans un établissement, dans une région donnée, ne le trouble pas nécessairement ailleurs. J'observe, messieurs les ministres, que le projet de loi que vous nous soumettez prévoit que pour les établissements d'enseignement français à l'étranger, la loi s'appliquera dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Cet amendement permet également de proportionner l'interdiction aux circonstances de fait. Pourquoi faudrait-il mettre en œuvre une interdiction là où aucun problème ne se pose ? Il précise le rôle du juge, qui devra contrôler à la fois le caractère ostensible du port de signes religieux, et le fait qu'il est de nature à troubler l'ordre.

Enfin, et contrairement à ce que j'ai entendu, il n'introduit aucune insécurité juridique. Dans une société de liberté, mes chers collègues, l'intervention du juge n'est pas un élément d'insécurité, mais de sécurité. De toute façon, l'automaticité de l'interdiction est impossible, puisque le juge devra apprécier quels sont les signes manifestement ostensibles, et quels sont les signes qui ne le sont pas. Cessons de rêver à un texte automatique. L'automaticité violerait d'ailleurs les principes supérieurs du droit que j'ai rappelés, contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et dans la Convention européenne.

En somme, s'il s'agit d'une mesure d'interdiction générale et automatique, elle risque d'être contraire au droit. Et si elle doit être, comme je le pense, conditionnée par le risque de troubler l'ordre, mieux vaut le dire dans la loi. Mon objectif est de rendre le texte incontestable, et d'application sinon facile - ne nous leurrons pas, elle ne le sera pas -, du moins possible.

Réaffirmer les principes fondamentaux du droit dans une société libérale qui n'accepte la limitation d'une liberté qu'autant que l'exercice de cette liberté ne trouble pas l'ordre, voilà, mes chers collègues, l'objet de l'amendement que j'ai l'honneur de vous soumettre.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je voudrais dire à M. le Premier ministre Balladur que, bien évidemment, tout le monde approuve l'amendement, et la finalité de l'amendement qu'il soutient. Il souhaite spécifier que ces interdictions n'ont pas d'autre finalité que de maintenir l'ordre public, et je ne peux que saluer cette intention qui nous est commune.

M. Jean-Pierre Brard. Mais... (Sourires.)

M. le président. Allons, monsieur Brard, un peu de respect !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. J'aimerais effectivement qu'on ne me trouble pas, monsieur le président. (Sourires.)

M. Jean Glavany. Cette fois, ce n'est pas l'ordre public qui est troublé !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Cependant, je voudrais rappeler que ce qui était - à juste titre - critiqué dans les contentieux dont nous avons eu à connaître depuis une quinzaine d'années, c'est que, dans certains cas, le juge administratif confirmait l'exclusion d'un élève, et dans d'autres cas l'annulait, ordonnant la réintégration. Nous avons supporté pendant quinze ans cette situation, qui a donné lieu à l'émergence de ce que les chefs d'établissement appellent des droits locaux.

Aujourd'hui, nous avons enfin le courage de préciser dans une loi, de la façon la plus objective possible, ce qui doit être interdit. Je suis conscient du fait que cette loi n'est pas parfaitement objective, mais comme je l'ai démontré tout à l'heure, ni le terme « visible » ni aucun autre, ne peuvent prétendre à une complète objectivité.

M. Jean Glavany. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Brard. Surtout l'invisible, d'ailleurs !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Or, monsieur Balladur, en complétant le texte par une notion de trouble au bon ordre de l'établissement, vous ajoutez, si vous me permettez un mot peu juridique, une variable supplémentaire. Et ce faisant, vous êtes, volens nolens, en train de revenir au statu quo ante, comme si la loi ne devait rien changer.

M. Jean Glavany. Exactement !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous donnez en fait la possibilité au juge administratif de décider que l'exclusion d'un élève n'est pas justifiée, parce que son comportement ne menace pas l'ordre public, et d'ordonner au chef d'établissement de réintégrer cet élève. Votre amendement aurait pour conséquence de recréer les situations que nous déplorons aujourd'hui, à savoir des différences d'appréciation du juge administratif en fonction des circonstances.

Par ailleurs, j'ai un argument plus juridique à vous opposer. Vous vous êtes appuyé sur la Convention européenne, comme je l'ai fait moi-même tout à l'heure pour montrer qu'il fallait concilier les deux principes. Mais vous vous êtes également appuyé sur l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme, mais sans nous en donner lecture. Si vous me le permettez, je vais le faire : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » C'est ce que nous allons faire : établir la loi qui permet d'encadrer l'ordre public. Si vous vous arrêtez à l'ordre public sans donner la suite, vous nous faites revenir à la situation actuelle, comme si nous n'allions pas voter cette loi ; nous nous retrouvons avec l'avis de 1989, et des contentieux tranchés de manières diverses par le juge administratif.

Sans doute n'était-ce pas là votre intention, mais vous auriez voulu faire exploser la loi de l'intérieur que vous ne vous y seriez pas pris autrement. En effet, votre amendement prive la loi de tout effet pratique. Je comprends la finalité que vous poursuivez, qui est de préserver au maximum la liberté de chacun en recherchant une juste proportionnalité de l'interdiction. C'est ce que vous faites en ajoutant la notion de trouble de l'ordre, mais je crains que, ce faisant, on ne finisse par manquer l'objectif initial.

Voilà pourquoi la commission n'est pas favorable à votre amendement.

M. Jean-Pierre Brard. C'est dur d'avoir des amis, monsieur Balladur !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?


M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche
. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Jean-Pierre Brard. M. Baguet est la sentinelle de l'UDF !

M. Pierre-Christophe Baguet. Le groupe UDF votera l'amendement de M. Balladur, qui vise à ne pas rendre automatique le dispositif d'interdiction, puisque ce sont les chefs d'établissement, sous le contrôle du juge, qui apprécieront si les signes ou tenues sont portés ostensiblement ou non.

Cet amendement apporte, selon nous, une dimension d'humanité à un texte dont la rédaction, un peu brutale malgré tout, ne sied pas forcément à des situations particulières parfois beaucoup plus complexes qu'on ne peut le percevoir.

Néanmoins, et comme l'a rappelé François Bayrou dans son intervention, nous aurions préféré que ce pouvoir d'appréciation revienne au recteur. Quoi qu'il en soit, la non-automaticité, et par conséquent, le traitement au cas par cas nous paraît souhaitable. Rappelons que les cas de port de voile ayant posé problème se comptent sur quelques doigts.

Une loi ne semblait donc pas nécessaire. Mais cet amendement est en parfaite coordination avec l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme, qui dispose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public ».

L'amendement de M. Balladur, qui rappelle le respect que l'on doit à chacun, mérite donc d'être voté. Il est d'ailleurs complété dans cet esprit, monsieur le président de la commission des lois, par l'amendement suivant que vous allez présenter.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 corrigé.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 8, deuxième rectification.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur le président, je préférerais n'intervenir qu'après les autres signataires de cet amendement, M. Gérard Léonard et M. Dosière, car, en l'occurrence, mon rôle a été fort modeste.

M. René Dosière. Modeste mais décisif !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il a simplement consisté à synthétiser deux propositions largement convergentes.

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. Comme nous l'avons indiqué dans la discussion générale, cet amendement est essentiel pour nous. J'ai entendu un orateur nous expliquer qu'il voyait dans cette disposition une marque de défiance à l'égard de la communauté éducative. Or, c'est tout le contraire.

C'est précisément parce que 95 %, 96 % ou 97 % des contentieux sont aujourd'hui réglés par les chefs d'établissement ou les équipes pédagogiques grâce au dialogue, à la pédagogie ou à la force de conviction que nous souhaitons que l'interdit prévu par la loi soit systématiquement précédé par ce temps du dialogue. Si tel n'était pas le cas, nous courrions le risque que cette procédure soit oubliée et que certains - je ne doute pas que la majorité continuera à chercher à convaincre - se réfugient derrière l'interdit pour exclure un peu trop rapidement ou arbitrairement.

Cet amendement est donc essentiel et je remercie la commission et le Gouvernement de l'avoir accepté. Il est important de donner ce signe. Nous montrons ainsi que le dialogue, la concertation et la force de conviction doivent toujours être privilégiés.

M. le président. La parole est à M. Gérard Léonard.

M. Gérard Léonard. Je ne reviendrai pas sur la portée de cet amendement. Je rappellerai simplement que ce souci de dialogue apparaît très nettement dans l'exposé des motifs. La question est donc de savoir s'il importe de préciser dans le texte que la procédure disciplinaire doit être précédée d'un dialogue. Moi, j'ai le sentiment que cette précision est nécessaire. Il s'agit d'épauler les chefs d'établissement, et non pas de les gêner, comme le craignent certains de mes collègues. Du reste, Guy Geoffroy, ancien proviseur, a souligné l'importance du terme « rappelle » figurant dans l' amendement.

Même si, dans la plupart des cas, la procédure de dialogue s'instaure spontanément, il nous paraît bon de la prévoir dans la loi, ne serait-ce que pour protéger un certain nombre de proviseurs par rapport à un dispositif qui pourra sembler un peu dur.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Mes deux collègues, soucieux de respecter l'esprit d'apaisement de cette loi, ont souhaité introduire dans le texte cette procédure de dialogue avec l'intéressé. La commission a été sensible à leur argumentation et j'espère qu'il en ira de même pour l'Assemblée.

Je préciserai, après M. Léonard, que le terme « rappelle » a été minutieusement choisi. Je précise encore que le règlement intérieur ne peut ni rester en deçà ni aller au-delà de la loi. Il devra la reprendre mot à mot. J'insiste sur ce point car j'ai lu dans un quotidien, que je ne nommerai pas, que le règlement intérieur pourra adapter la loi. Or il n'en est absolument pas question.

M. Jean-Pierre Brard. De quel journal s'agit-il ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. De L'Humanité !

M. Jean-Pierre Brard. Cela ne m'étonne pas !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Mais non, ce n'est pas vrai ! (Sourires.)

Cela étant, monsieur le président, avec l'accord de mes collègues, je souhaite rectifier l'amendement n° 8, deuxième rectification, en substituant au mot « intéressé » le mot « élève ».

Je le répète, cet amendement, en introduisant une procédure de dialogue, met l'accent sur le caractère d'apaisement que nous voulons donner à cette loi.

M. le président. L'amendement n° 8, troisième rectification, doit se lire ainsi :

« Compléter le texte proposé pour l'article L.141-5-1 du code de l'éducation par l'alinéa suivant :

« Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève. »

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Pourrait-on envisager de préciser qu'il s'agira d'un dialogue avec l'élève « et sa famille » ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Celle-ci est souvent directement concernée et les procédures d'exclusion doivent être discutées avec elle.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Baguet, interrogez donc nos collègues qui ont vécu ces situations. Ils vous expliqueront que vous risquez de vous retrouver face à des familles comprenant mal le français et qui viendront avec des interprètes et des juristes. Et la procédure de dialogue se transformera en confrontation.

Or M. Dosière et M. Léonard ont souhaité insister sur le fait qu'il s'agissait de voter une loi de pédagogie et non pas de contrainte. Un chef d'établissement ou un enseignant peut, dans le cadre d'un entretien particulier, expliquer à un élève, avec gentillesse et conviction, ce qu'est la laïcité, ce que veut dire vivre ensemble, ce que signifie la tolérance alors que tout le monde n'a pas la même religion. En revanche, dans le cadre de l'organisation que vous préconisez et qui rassemblera quatre, cinq, voire dix personnes, il ne sera plus possible de faire preuve de pédagogie ou de convaincre qui que ce soit.

Nous, nous voulons convaincre. Nous voulons que l'école soit un lieu de formation. Il n'est donc pas question d'accepter votre proposition, monsieur Baguet.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur pour avis. Sans vouloir empiéter sur le terrain de M. le président de la commission des lois, je rappellerai simplement à M. Baguet qu'il n'y a pas de définition juridique de la famille.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8, troisième rectification.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié par l'amendement n° 8, troisième rectification.

(L'article 1er, ainsi modifié, est adopté.)

Après l'article 1er

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 16.

M. René Dosière. Cet amendement n'a plus d'objet compte tenu de l'adoption du précédent.

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 19.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le soutenir.

M. Jean-Pierre Brard. Evoquer les questions religieuses avec des jeunes conduit rapidement à un constat sans ambiguïté : l'ignorance sur ces sujets est dans notre pays très grande. Cet analphabétisme religieux est une des causes des difficultés que nous rencontrons pour développer le mieux-vivre ensemble, tant à l'école que dans la société.

L'ignorance génère la méfiance, qui peut elle-même provoquer l'hostilité et parfois la haine, laquelle précède la confrontation.

La laïcité, dans ses développements actuels, nous conduit à aborder ce problème et à envisager la nécessité de passer, comme le dit Régis Debray, d'une laïcité d'incompétence, au sens juridique du terme, à une laïcité d'intelligence.

La laïcité d'incompétence est celle qui affirme qu'on ne parle pas de religion à l'école parce qu'elle est ce qui divise et que l'école doit, au contraire, unir.

Passer de la « laïcité d'incompétence » à une « laïcité d'intelligence », c'est vouloir comprendre et donner aux élèves l'intelligence de leur propre histoire et de l'histoire des autres, notamment dans le domaine du religieux. Ce n'est pas exclure le religieux du domaine public, mais c'est en proposer une vision objective et scientifique, et non pas confessionnelle : apprendre une chronologie, des dates, un calendrier, les fêtes de telle ou telle religion, le sens de l'Aïd-el-Kébir, celui de l'Ascension ou de Pessah, tout cela sans entrer dans le domaine de la croyance.

Il s'agit non pas de juger que telle ou telle religion est meilleure qu'une autre, mais d'offrir les connaissances élémentaires sur ce qui fait qu'une religion est différente d'une autre. Chacune a ses dogmes, sa théologie, sa géographie, son milieu, son histoire, d'où la nécessité de cette inclusion de la connaissance du religieux dans les programmes, non pas comme culte mais comme culture, c'est-à-dire comme ce que chacun doit apprendre pour devenir un citoyen instruit.

C'est dans cet esprit et avec ces objectifs que vous est proposé cet amendement introduisant l'enseignement de l'histoire du fait religieux dans les programmes.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?


M. Pascal Clément
, président de la commission des lois, rapporteur. Je voudrais dire à notre collègue Brard que je suis totalement d'accord avec lui. Je suis heureux que ce texte nous permette de généraliser l'enseignement du fait religieux, de mieux l'encadrer.

M. Jean-Pierre Brard. Un enseignement mieux fait, par des professeurs compétents !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Effectivement, par des professeurs mieux formés, parce que tous ne sont pas préparés à enseigner le fait religieux.

Pour autant, monsieur Brard, ajouter un article à notre loi, qui se veut particulière, très forte sur le plan symbolique et la plus compacte possible, n'est pas une bonne chose. C'est pourquoi je souhaite que n'y figurent pas les signes politiques et philosophiques. Sur l'enseignement du fait religieux, je suis tout à fait d'accord avec vous, mais il faut trouver une autre loi et ne pas alourdir celle-ci.

Bien qu'étant cent fois d'accord avec vous, mon cher collègue, et sachant que le Gouvernement l'est également, je vous demande de retirer votre amendement, car je ne voudrais pas voter contre.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Le Gouvernement a le même avis que la commission, mais je voudrais ajouter une chose, monsieur Brard : je partage totalement votre objectif. J'ai moi-même inscrit dans les programmes, dès les années 1996 et 1997, un enseignement substantiel des religions, et j'ai signé le décret créant l'institut que préside M. Régis Debray.

Ce qui nous manque aujourd'hui, plutôt qu'une loi, ce sont des outils pédagogiques. Car comme vous le disiez justement tout à l'heure, le défaut aujourd'hui résulte de la formation insuffisante des enseignants dans le domaine de l'histoire des religions. Nous travaillons actuellement en sens.

Par ailleurs, il me semble que ce point ne relève pas du domaine législatif, mais plutôt du domaine réglementaire.

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. Je voulais simplement faire remarquer à notre collègue Brard que même si je suis, comme le rapporteur et le ministre, favorable à sa proposition, elle n'a pas sa place dans ce projet de loi. Toutefois, si elle devait y trouver sa place, je la sous-amenderais pour préciser que, s'il est important d'enseigner l'histoire du fait religieux, il faut aussi enseigner ce qu'est la laïcité.

La laïcité, en effet, n'est plus enseignée dans nos écoles, et deux enfants sur trois ne savent pas ce qu'elle signifie quand ils sortent du système éducatif. Elle n'est plus enseignée dans les IUFM, sauf parfois, à titre facultatif, mais les modules sont abandonnés en cours d'année. Je pense que c'est un vrai problème et que si l'on enseignait la laïcité, on connaîtrait mieux le fait religieux.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Si nous sommes réunis depuis trois jours sur ce sujet, c'est évidemment que nous avons un problème par rapport à la laïcité, que nous avons certainement trop vite considérée comme faisant partie des gènes de la nation française. S'y ajoute une certaine démission du politique, qui renvoie le problème au Conseil d'Etat. Cela dit, j'adhère totalement à ce que vient de dire Jean Glavany.

Il semble qu'il y ait un consensus entre nous. D'ailleurs, dans le cadre de la mission parlementaire, nous avons évoqué le projet de rédiger un ouvrage sur ce thème. J'espère que M. le ministre, qui est un grand lecteur, surtout de nos textes, a bien lu le compte rendu des travaux de cette mission.

Je suis prêt à retirer mon amendement, monsieur le ministre, mais à une condition : que vous vous engagiez à faire figurer l'enseignement religieux dans le projet de loi d'orientation qui sera discuté à l'automne, parce que c'est une vision globale de la situation qui nous permettra de combattre l'analphabétisme religieux.

M. Jean Glavany. Vous aurez du mal, monsieur le ministre, à tenir cet engagement !

M. Jean-Pierre Brard. Ainsi passerons-nous de cette laïcité d'incompétence - pour reprendre la formule très pertinente de Régis Debray - à la laïcité d'intelligence, au sens étymologique, pour gagner l'intelligence du monde, qui comprend l'évolution de l'humanité au fil des temps.

Si M. le ministre en prend l'engagement, je retire mon amendement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur Brard, je prends très volontiers cet engagement devant vous, et je prends un autre engagement vis-à-vis de M. Glavany, celui d'introduire dans le texte le renforcement de l'enseignement de la laïcité.

M. Christian Bataille. Très bien !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Celui-ci existe déjà dans les cours d'instruction civique, mais je crois que nous pouvons faire beaucoup plus et beaucoup mieux.

J'en prends l'engagement, ces mesures figureront dans la loi d'orientation.

M. Jean-Pierre Brard. Ainsi soit-il ! (Sourires.) L'amendement est retiré.

M. le président. L'amendement n° 19 est retiré.

L'amendement n° 18 n'est pas défendu.

Article 2

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, inscrit sur l'article 2.

M. Jean-Pierre Brard. Je renonce à m'exprimer, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Tout le monde dit de la laïcité qu'elle est au cœur de l'identité républicaine, qu'elle est un acquis républicain. Le Premier ministre a même ajouté qu'il s'agissait d'affirmer nos valeurs républicaines. Je n'ai pas de proposition à vous faire, mes chers collègues, mais je souhaite attirer votre attention sur un point afin que nous y réfléchissions à la faveur de la navette.

Ce texte sera applicable sur tout le territoire national, à l'exception de la Polynésie française. Le motif avancé, qui figure dans l'exposé des motifs du projet de loi, est le suivant : la loi ne pourra pas s'appliquer dès lors que les établissements qu'elle vise y relèvent de la compétence des autorités territoriales en vertu du statut d'autonomie de cette collectivité d'outre-mer.

Or le statut d'autonomie, ou plus précisément la compétence fonctionnelle sur l'enseignement du second degré, c'est-à-dire l'organisation et la gestion des enseignants, ne concerne pas le contenu des programmes, qui dépendent essentiellement de la métropole.

Cette autonomie fonctionnelle justifie-t-elle que l'on déroge à un principe républicain ? Ce principe, me semble-t-il, devrait faire partie des lois de souveraineté et devrait être applicable de plein droit. Je pense, pour ma part, qu'il ne concerne pas l'enseignement du second degré.

La Polynésie, si on ne répond pas à cette question, risque de rester en dehors de cette grande réforme et de l'affirmation des grands principes républicains. Elle sera la seule d'ailleurs, l'ensemble de l'outre-mer se trouvant soumis à ces dispositions, y compris les collectivités soumises à la spécialité législative.

Les valeurs et les principes de la République ne peuvent s'arrêter où commence l'autonomie, car l'autonomie, c'est justement tout le reste.

M. le président. L'amendement n° 12 n'est pas défendu.

Je suis saisi d'un amendement n° 26.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je serai d'autant plus bref qu'il s'agit d'un amendement de simplification rédactionnelle, comme l'amendement n° 25 qui le suit.

M. le président. Je suis en effet saisi d'un amendement n° 25.

Quel est l'avis du Gouvernement  sur les deux amendements ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié par les amendements adoptés.

(L'article 2, ainsi modifié, est adopté.)

Article 3

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, inscrit sur l'article 3.

M. Jean-Pierre Brard. Comme le dit notre collègue Jean Glavany, afin de vous faire gagner du temps, je ne renoncerai pas à mon intervention (Sourires) qui ne sera pas directement liée au contenu de l'article 3.

Pourquoi néanmoins me suis-je convaincu d'intervenir, monsieur le président ? C'est très simple. Nous arrivons au terme d'une discussion fort importante et, dans le cadre des explications de vote, qui auront lieu la semaine prochaine, le président de mon groupe, M. Bocquet, sera confronté à un problème très délicat : exprimer la position commune d'un groupe qui n'en a pas. (Sourires.)

Pour ma part, j'ai une opinion et je tiens à vous la faire connaître parce que le sujet est extrêmement important, la laïcité étant une balise cardinale de l'ordre républicain et laïque, si j'ose ce pléonasme. Il fallait réaffirmer le principe de laïcité, de telle manière qu'il n'y ait pas de doute sur l'interprétation de la loi de 1905.

Par ailleurs, la loi que nous allons voter et la liberté de culte sont complémentaires. Cette liberté de culte, ce rapport à la religion doit se traduire par l'application totale de la loi de 1905, c'est-à-dire le droit offert à chacun de pratiquer son culte, y compris pour la deuxième religion de France, qui, pour des raisons historiques, est arrivée après les autres.

Ce droit passe nécessairement par la possibilité qu'auront les fidèles de cette religion, comme les autres, de pratiquer leur culte dans des lieux dignes. Il faut donc que l'Etat prenne les dispositions législatives qui permettront de financer ces lieux de culte, dans le respect de la loi de 1905, selon laquelle la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Mais nous savons qu'il est possible de régler le problème, en accordant des prêts, par exemple, comme pour le logement social, et en interdisant clairement tout financement de l'étranger, selon des modalités qui restent à définir.

Enfin, nous devons combattre l'analphabétisme religieux, comme nous l'avons dit tout à l'heure.

Je pense que nous ouvrons des perspectives à la laïcité en réaffirmant ses principes, en appliquant parfaitement la loi de 1905, c'est-à-dire en donnant à chacun la liberté et les moyens concrets de pratiquer son culte, et enfin en combattant l'analphabétisme religieux.

Mais cette loi ne règle pas tout, et c'est pourquoi j'adhère à l'amendement de nos collègues socialistes relatif à son titre. D'abord, la laïcité est beaucoup plus vaste que le texte qui nous est soumis. Par ailleurs, il existe d'autres secteurs du domaine public, notamment la santé, où la laïcité doit être réaffirmée avec force.

Comme l'a dit le premier personnage de l'Etat, la laïcité n'est pas négociable, pas plus à l'école qu'à l'hôpital ou ailleurs, dès lors qu'il s'agit du champ public.

M. le président. L'amendement n° 13 n'est pas défendu.

Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Après l'article 3

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 7.

La parole est à M. Jérôme Rivière, pour le soutenir.

M. Jérôme Rivière. Cet amendement tend à introduire une disposition pénale. Je propose en effet de punir toute infraction à l'article 1er d'une amende de cinquième classe.

Il y a plusieurs avantages, que je souhaiterais développer, à l'introduction de cette disposition pénale.

Tout d'abord, nous renforçons notre texte. Une loi qui ne prévoit pas les sanctions applicables si elle n'est pas respectée est affaiblie et risque de n'être qu'une proclamation. Or, nous disposons en la matière de l'article 1er de la Constitution, qui est une proclamation très forte, et à mon sens suffisante.

Un deuxième avantage existe, auquel je n'avais pas pensé avant d'entendre M. Glavany, mais qui répond à son souci d'avoir un autre juge que le chef d'établissement pour décider de ce qui est ostensible ou de ce qui est porté ostensiblement.

M. Jean Glavany. Vous ne m'avez pas compris, ce qui, d'une certaine façon, me rassure !

M. Jérôme Rivière. Lorsqu'un enfant mineur sera concerné, il appartiendra au juge pour enfants d'en juger ; s'il s'agit d'un élève majeur, ce sera le tribunal de police, qui en a l'habitude, notamment en matière d'atteinte à la pudeur, qui jugera ce qui est ostensible et ce qui ne l'est pas.

Il s'agit d'un amendement très mesuré...

M. Jean Glavany. Et comment !

M. Jérôme Rivière. ...puisqu'il ne propose en aucune façon de créer un délit, mais une simple amende.

Dans le cas d'un élève majeur, c'est le tribunal de police qui décidera de le condamner ou non au versement d'une amende, sans inscription au casier judiciaire.

L'avantage le plus formel concerne l'élève mineur. Deux cas peuvent se présenter.

Si l'élève est condamné, nous associons les parents à la sanction. En effet, un élève mineur ne pouvant pas s'acquitter d'une amende, ce sont les parents qui doivent être sanctionnés. Il est bon de rappeler la responsabilité des parents en la matière.

Mais le point le plus important et qui, à mon sens, est un peu oublié par ce projet de loi, est d'offrir aux enfants mineurs une véritable protection. Si le juge pour enfants constate que l'enfant est manipulé ou victime d'un abus d'autorité parentale, il peut utiliser tout ce qui est mis à sa disposition en matière d'aide à l'enfance en danger. Les outils sont nombreux, que ce soit l'accompagnement ou le suivi éducatif.

C'est une mesure positive. Dans les cas les plus terribles, au-delà d'une simple exclusion, nous proposons une protection à ces enfants en difficulté.

Comme je vous le disais tout à l'heure, lorsqu'une enfant de quinze ans fait référence à la décision du Conseil d'Etat, on voit bien qu'elle est manipulée. On peut sans doute la protéger et lui donner les moyens de se sortir d'une situation familiale difficile. Assurément, l'amendement conforterait la loi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?


M. Pascal Clément
, président de la commission des lois, rapporteur. Je tiens à dire à notre collègue Rivière que la commission n'est pas d'accord, pour des raisons à la fois de fond et de forme.

Le Gouvernement a souhaité, par le biais de l'article 3, que ce projet de loi soit voté maintenant afin que les chefs d'établissement, d'une part, intègrent la loi dans les règlements intérieurs et, d'autre part, mènent un travail de pédagogie en direction des enseignants et des élèves dans tous les établissements d'enseignement public, au cours des six mois nous séparant de la prochaine rentrée scolaire.

Il s'agit bien, dans l'esprit du législateur, d'indiquer l'objectif à atteindre. Mais en pratique, j'en suis convaincu, les chefs d'établissements mettront plus ou moins de temps pour y parvenir.

Si vous ajoutez à la loi une sanction financière, vous faites disparaître tout cet aspect fondamentalement pédagogique, qui se veut positif et va dans le sens d'une intégration à la République française, à la nation française. C'est alors tout l'esprit de la démarche qui est atteint.

J'ajoute qu'une contravention de cinquième classe, comme je l'ai dit en commission et comme je le répète devant cette assemblée, c'est, par exemple, donner la mort à un animal domestique. Nous sommes donc là juste avant le délit, ce qui me semble quelque peu disproportionné.

Aussi, mon cher collègue, vous comprendrez que votre amendement fasse l'objet d'un avis défavorable de la commission.

M. Emile Blessig et M. René Dosière. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. On ne peut pas faire passer deux symboles en même temps. Celui que cette loi tente d'exprimer, c'est que le rappel de la laïcité des principes républicains doit se faire dans le cadre de la pédagogie et du dialogue. J'indique d'ailleurs, pour répondre à une interrogation de M. Glavany, que je proposerai bientôt un guide de la laïcité républicaine qui ira aussi dans ce sens. Il me semble que si l'on ajoutait, au-delà de la sanction disciplinaire, une sanction pénale, on brouillerait considérablement le message. Nous devons choisir entre les deux.

Pour notre part, nous faisons le pari que le dialogue et la pédagogie parviendront à résoudre les problèmes relatifs à l'application de la loi.

Par conséquent, monsieur Rivière, je pense qu'il vaudrait mieux renoncer à votre amendement.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière.

M. Jérôme Rivière. Je voudrais respectueusement dire au président de la commission des lois qu'une atteinte à la dignité humaine me paraît une infraction bien plus grave que le fait de donner la mort à un animal domestique. Par conséquent, je ne vois pas en quoi une contravention de cinquième classe lui paraît disproportionnée.

Je rappelle par ailleurs que si un élève écrit dans le journal du collège ou du lycée qu'un de ses professeurs est incompétent, on considère qu'il s'agit là d'une injure et donc d'un délit.

En matière de proportionnalité, j'estime que ma proposition est très raisonnable puisqu'elle permet de rester dans le domaine contraventionnel.

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Les propos de notre collègue Jérôme Rivière me laissent quelque peu perplexe.

Nous parlons ici d'école, et donc d'enfants, de mineurs. Et, pour leur apprendre la vie, on va leur dire qu'ils pourraient comparaître devant une juridiction et être condamnés par un juge, fût-il un juge des enfants ! Je crois que l'opinion publique - ceux-là même qui nous ont mandatés - se poserait des questions si nous adoptions un tel amendement.

En outre, nous connaissons tous le principe de la « non- double peine ». Or nous disposons déjà de sanctions administratives telles que la suspension de l'accès aux cours ou l'exclusion d'un établissement. Et on y ajouterait ensuite pour les mêmes faits une sanction pénale ? Ce serait là heurter un grand principe de notre droit et ce ne serait pas acceptable.

Voilà pourquoi la disposition proposée ne peut être adoptée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de l'amendement n° 27.

La parole est à M. Jean Glavany, pour le soutenir.

M. Jean Glavany. Nous avons eu tout à l'heure, à propos du terme « visibles », un débat serein, mais qui nous oppose sur les plans politique et juridique. Cela nous conduit à vous proposer un amendement de repli.

La formulation que vous avez choisie - et qui sera majoritairement adoptée par cette assemblée - est inapplicable et donnera lieu aux mêmes difficultés qu'aujourd'hui. Elle ne changera quasiment rien à la situation. Mais, puisque nous ne sommes pas arrivés à vous en convaincre, c'est la réalité qui le démontrera.

J'ai cru comprendre tout à l'heure que le Premier ministre était favorable à l'amendement que nous proposons, et je l'en remercie. Cet amendement prévoit une évaluation de la loi un an après son entrée en vigueur, ce qui nous permettra de voir qui avait raison.

En effet, si les contentieux se multiplient, comme nous le craignons, nous devrons modifier le dispositif et intégrer dans la loi le terme plus clair de « visibles », que vous n'acceptez pas aujourd'hui.

Tel est le sens de cet amendement : demander une évaluation de la loi, en analyser les conséquences et en tirer les conclusions devant le Parlement.

M. Charles Cova. Un tel amendement risque de dévaluer la loi !

M. Jean Glavany. Le Gouvernement ayant fait un geste d'ouverture, je considère que nous faisons là un pas vers un consensus que nous avons souhaité tout au long de ce débat.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. La question a été abordée en commission des affaires sociales. J'avais alors engagé mes collègues à exercer un véritable suivi de la loi et à se donner rendez-vous dans un an pour évaluer l'impact des mesures sur le fonctionnement de l'école publique. A titre personnel, je suis donc favorable à cet amendement.

M. Jean Glavany. C'est donc que vous avez un doute !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur Glavany, je suis également favorable à l'amendement de M. Ayrault.

Comme l'a dit le président Dubernard, nos commissions permanentes sentent bien que le rôle du législateur ne peut se limiter au vote de la loi et que celui-ci a aussi vocation à s'intéresser à son application. Nous examinerons d'ailleurs jeudi prochain une proposition de résolution de M. Jean-Luc Warsmann, cosignée par le président Jean-Louis Debré, sur ce thème.

L'évaluation des lois est donc appelée à se généraliser au niveau de toutes les commissions. S'agissant de la loi sur la laïcité, elle me semble particulièrement utile.

Sur le fond, cet amendement - et je m'adresse là à tous nos collègues - est le fruit d'un travail commun sur un sujet, ô combien difficile, et personne ne peut être sûr d'avoir raison. Le Gouvernement, aujourd'hui, a fait un choix, après y avoir mûrement réfléchi. Le chef de l'Etat lui-même, dont je rappelle qu'il joue un rôle particulier dans le maintien de la cohésion nationale, a choisi une ligne de crête précise, qui autorise le port de petits signes discrets, mais interdit ceux qui pourraient être ostensibles. C'est un choix politique dont nous souhaitons tous qu'il facilite les choses sur le plan pratique.

Je trouve M. Glavany trop sévère quand il estime que le présent projet ne changera rien à la situation sur le terrain. Je lui rappellerai que nous avons tout de même inversé la logique qui prévalait jusqu'ici, et c'est fondamental. Les signes religieux qui étaient permis seront à l'avenir défendus.

Nous examinerons ensemble les contentieux qui risquent de survenir au cours de l'année. La réalité nous fera tomber d'accord et nous verrons, non qui a raison et qui a tort - tel n'est pas l'objectif puisqu'il s'agit d'un travail commun - mais s'il y a lieu d'amender la loi.

Dans cet esprit, je m'engage à présenter à la fin de l'année prochaine un rapport sur les éventuels contentieux administratifs, à en tirer la leçon avec vous et à déposer, s'il le faut, une proposition de loi.

Voilà ce que je souhaitais dire pour faire droit à cette proposition. Elle présente un grand intérêt pour le Parlement et me semble particulièrement fondée s'agissant de cette loi. Nous devons rester humbles devant une situation que nous espérons améliorer.

Je souhaite que le fruit de notre travail commun s'exprime bientôt par le vote de ce qui sera une grande loi républicaine.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Bien que je partage le sentiment de M. Glavany, je ne pense pas que l'évaluation nous permettra de savoir qui avait raison. Une démarche scientifique rigoureuse exigerait en effet que l'on édicte deux lois et que l'on voie laquelle produit le plus de jurisprudence ! (Sourires.) Mais peut-être vaudrait-il mieux éviter cela !

Quoi qu'il en soit, je pense que la mesure proposée est excellente. Je suis donc favorable à l'amendement.

M. le président. La parole est à M. Gérard Léonard.

M. Gérard Léonard. Je voterai cet amendement, ce qui ne signifie pas que j'adhère nécessairement au motif sommairement exposé selon lequel il faudrait, dans un an, procéder à une sorte d'examen de rattrapage parce que nous aurions adopté un texte de portée inconsistante et difficile à mettre en œuvre.

Je le voterai car, comme l'a dit le président de la commission des lois, le développement d'une culture de l'évaluation est une très bonne chose. Elle permet de renforcer les pouvoirs normatifs et de contrôle de notre assemblée.

En outre, puisque nous sommes parvenus au terme de ce débat, je tiens à en souligner la qualité. Pour avoir entendu la plupart des interventions, je peux dire que je n'en ai pas entendu de médiocre. Personne n'a « fauté » par présomption. Il est normal qu'existe, en ces domaines, une part de doute, laquelle est tout à notre honneur.

C'est dans cet esprit que nous voterons l'amendement, qui sera le point de départ d'un prochain débat, nécessairement plus large.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 27.

(L'amendement est adopté.)

Titre

M. le président. Je suis saisi de l'amendement n° 14 rectifié.

La parole est à M. René Dosière, pour le soutenir.

M. René Dosière. J'avais déposé un amendement n° 14 - qui a été repoussé par la commission - tendant à préciser le titre du projet de loi, dont l'objet se limite à résoudre le problème du port de signes religieux à l'école, qui ne constitue qu'un aspect limité de la laïcité à l'école. Or la laïcité ne se résume pas à l'interdiction du port de signes religieux à l'école.

Aussi, je présente l'amendement n° 14 rectifié, qui me semble plus approprié que le précédent et susceptible de recueillir l'avis favorable de la commission des lois.

Je propose donc l'intitulé suivant : « Projet de loi relatif au port de signes religieux dans les écoles, collèges et lycées publics en application du principe de laïcité. » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?


M. Pascal Clément
, président de la commission des lois, rapporteur. Fondamentalement, le groupe socialiste a eu raison de déposer un tel amendement. Nos collègues craignent en effet que le titre du projet de loi, faisant référence à l'« application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics », ne laisse penser que l'on veut résumer la laïcité à son seul contenu. Ce n'est évidemment pas l'intention du Gouvernement ni de quiconque. Il fallait donc rendre au principe de laïcité ses vraies proportions.

La difficulté consiste à mettre en avant ce thème fort tout en limitant le champ défini par le titre.

Je suis un peu hésitant - et le ministre va m'aider en donnant son point de vue -, mais si René Dosière en est d'accord, je suggère de le rédiger ainsi : « Projet de loi relatif au port de signes ou de tenues dans les collèges et lycées publics en application du principe de laïcité ». En revanche, il est impossible d'ajouter les mots : « manifestant une appartenance religieuse » sans introduire une contradiction au sein du titre.

M. René Dosière. Vous retirez donc le mot « religieux » ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je suis navré, nous faisons là un travail de commission...

M. le président. C'est pour être agréable à M. Dosière ? (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Charles Cova. On a déjà fait beaucoup pour les socialistes !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Non, pour légiférer tous ensemble, monsieur le président.

Je vous fais une autre proposition : « Projet de loi encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, en application du principe de laïcité ». C'est tout sauf léger, ...

M. Charles Cova. En effet, c'est indigeste !

M. Gérard Léonard. Un vrai gâteau alsacien ! (Sourires.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...mais c'est complet, et cela nous permet d'être ensemble, unanimes, pour élaborer la législation, ce qui n'est pas rien.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Je souscris plutôt à la première version proposée par le président de la commission des lois. On ne peut pas, en effet, opposer dans le titre les signes religieux et le principe de laïcité.

Si l'on retire les mots « signes religieux », on peut parler du principe de laïcité, ou bien faire l'inverse, mais les deux sont incompatibles, car, encore une fois, la laïcité n'est pas contre la religion : c'est la défense de l'ensemble des religions.

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, les titres de loi les plus courts sont tout de même les meilleurs. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'adjectif « relatif » est suffisant ; le titre d'une loi n'a pas vocation à décrire son contenu, sinon il s'étendrait sur cinq ou six pages. Ce qui est proposé dans l'amendement n° 14 rectifié me paraît donc tout à fait convenir : projet de loi relatif au port de signes - ou de tenues, si vous voulez - religieux dans les établissements publics d'enseignement. Il est inutile d'en dire plus : une loi a un objet précis, elle ne porte pas sur l'ensemble de la condition humaine.

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Ce débat consacré au titre du projet de loi me paraît très révélateur, et il fait apparaître un problème que j'ai évoqué tout à l'heure. Je ne conteste pas, dans les circonstances particulières que nous connaissons, la nécessité de légiférer, mais je regrette tout de même que ce texte ne se limite qu'aux seuls signes religieux. Le problème de la laïcité exige en effet une approche beaucoup plus large, fondée sur la réciprocité et sur une définition de l'espace laïque. Celui-ci a en effet plusieurs frontières : il concerne, certes, les religions, mais également les autres écoles de pensée, politiques, philosophiques, maçonniques, par exemple.

Par ailleurs, il est nécessaire de définir une laïcité plus ouverte, une laïcité de dialogue. Or ces éléments ne figurent pas dans le texte. Le débat que nous avons sur le titre est révélateur de ces lacunes.

M. le président. La parole est à M. Emile Blessig.

M. Emile Blessig. J'observe que nous avons parlé jusqu'à présent d'écoles, de collèges et de lycées. La notion d'établissement public d'enseignement est beaucoup plus large, et englobe notamment les universités.

M. René Dosière. C'est pourquoi l'amendement a été rectifié.

M. Emile Blessig. Je suis heureux d'apprendre que l'expression « établissements publics d'enseignement » est abandonnée.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Mes chers collègues, pardonnez votre rapporteur de se révéler insuffisamment préparé en séance publique.

Nous avons, avec René Dosière, recherché ensemble le titre le plus adéquat.

Je note tout d'abord que la phrase «projet de loi relatif au port de signes religieux en application du principe de laïcité » laisserait penser que le principe de laïcité aboutit à faire porter des signes religieux. Nous atteignons l'absurde !

M. René Dosière. Ne légiférons pas idiot !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pour éviter ce type d'interprétation totalement abusive, je vous propose, une dernière rédaction : « Projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ».

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Pourquoi préciser ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Parce que parler des « établissements d'enseignement public » reviendrait à inclure les universités.

Nous semblons être tous d'accord sur cette rédaction...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Elle est parfaite !

M. Gérard Léonard. Un peu indigeste, mais claire !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...sauf M. Schwartzenberg.

M. le président. Il va nous dire pourquoi.

La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. L'expression « en application du principe de laïcité » ne me paraît pas nécessaire. Il faut faire court : l'ensemble du problème de la laïcité n'est pas contenu dans le projet de loi.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je suis fondamentalement en désaccord avec notre collègue Schwartzenberg. Nous voulons essayer d'enseigner à tous les enfants de France ce qu'est la laïcité. Si vous ôtez cet instrument pédagogique, il ne reste qu'une loi un peu répressive, et qui a perdu toute sa noblesse républicaine. Voilà pourquoi je tiens absolument à ces mots.

M. le président. La parole est à M. Antoine Herth.

M. Antoine Herth. Je souhaite appuyer les derniers propos du rapporteur de la commission. Je crois en effet qu'il est essentiel de maintenir les mots « en application du principe de laïcité ». Sinon, cette loi serait vue comme résultant d'un travail de boutiquier, voire de chiffonnier.

M. René Dosière. Quel langage !

M. Antoine Herth. D'ailleurs, le ministre s'est engagé à encourager l'enseignement des fondements de la laïcité dans les établissements scolaires et les IUFM. Il est donc important d'adopter la dernière version de l'amendement.

M. le président. L'amendement n° 14, deuxième rectification, pourrait donc se lire ainsi :

« Rédiger ainsi le titre du projet de loi :

« Projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. »

La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je ne renie pas le propos initial, pourquoi ne pas parler des « établissements scolaires publics » ? On désignerait ainsi les écoles, collèges et lycées. Beaucoup d'autres mots pourraient être supprimés, mais supprimons au moins ceux-là.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Non !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Pourquoi ? Les établissements scolaires publics, ce sont les écoles, les collèges et les lycées, à l'exception des universités.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Vous n'avez pas de chance : les écoles ne sont pas des établissements.

M. le président. Monsieur Dosière, êtes-vous d'accord pour rectifier l'amendement dans le sens proposé par le rapporteur ?

M. René Dosière. Je me rallie à la proposition du rapporteur.

M. le président. L'avis du Gouvernement est-il lui aussi favorable ?

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14, deuxième rectification.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Au terme de ce débat, je voudrais remercier mon collègue Gérard Léonard, dont la participation a été très forte, mais également - et très particulièrement - René Dosière, car c'est grâce à lui que nous sommes arrivés là où nous en sommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Conformément à la décision de la conférence des présidents, les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi auront lieu le mardi 10 février, après les questions au Gouvernement.

2

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures, troisième séance publique :

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité :

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur (rapport n° 1377).

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot