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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 10 novembre 2005

56e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ DOSIÈRE,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Loi de finances pour 2006

DEUXIÈME PARTIE

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2006 (n°s 2540, 2568).

Justice

M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs à la justice.

La parole est à M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le rapport que j’ai l’honneur de vous présenter au nom de la commission des finances s’articule autour de trois grands axes : le périmètre de la mission « Justice », le volume des crédits et des emplois qui y sont affectés, enfin, pour élargir le débat, les conditions de la réussite de la mise en œuvre de la LOLF, appliquée à la justice.

Permettez-moi d’abord de porter un regard critique sur le périmètre de la mission. Il y a quelques mois, l’architecture présentée par le Gouvernement comptait six programmes. Elle n’en comporte plus que cinq aujourd’hui. Ainsi, le programme « Justice administrative » a été placé dans la mission « Conseil et contrôle de l’État ». Ce déplacement, effectué sans aucune consultation du Parlement, a été vivement critiqué dans notre assemblée et au Sénat et suscite de la part de votre rapporteur une très ferme protestation. En effet, ce rattachement est contraire à l’esprit même de la LOFL dont le but est de permettre un regard plus large et plus cohérent sur les objectifs de la justice en général. De plus, la loi d’orientation et de programmation de la justice de 2002 faisait de la justice administrative un des objectifs communs à l’ensemble des juridictions. Les préoccupations concernant la qualité, les délais d’instruction et de jugement, l’exécution et l’acceptation des décisions de justice forment, en effet, le socle commun à l’ordre administratif et judiciaire. Y aurait-il deux qualités de justiciables selon qu’ils dépendraient des juridictions de l’ordre judiciaire ou des juridictions administratives ? En réalité, ce détachement ne se justifie en rien. Je vous proposerai, en conséquence, mes chers collègues, un amendement tendant à réunifier les juridictions.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois constitutionnelle, de la législation et de l’administration générale de la République, et M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. S’agissant du volume des crédits et des emplois affectés à la mission interministérielle « Justice », je ne vous abreuverai pas de détails et vous renverrai à mon rapport écrit. Je me contenterai donc de vous citer quelques chiffres. Les autorisations d’engagement s’élèvent à 6,9 milliards d’euros et les crédits de paiement à 5,9 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 4,6 % par rapport à l’année dernière. Si l’estimation est précise, les pensions, allocations familiales et allocations logement ont été intégrées, apparemment dans leur totalité, dans la mission « Justice » à hauteur de 957 millions d’euros, soit deux fois plus que l’année dernière. Il s’agit, monsieur le garde des sceaux, d’une lente, régulière et très heureuse progression des crédits affectés à la justice, les dépenses, à périmètre constant, s’établissant aujourd’hui à 2,13 % du budget de l’État contre 1,81, % en 2002.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Très bien !

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Cela ne permet certes pas de rattraper en une seule fois des décennies de retard mais, désormais, les crédits de la mission vont dans le bon sens, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter sur tous ces bancs.

M. le garde des sceaux. Je vous remercie, monsieur le rapporteur !

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Pour les emplois, le plafond autorisé pour 2006 s’établit à 71 475 équivalents temps pleins travaillés. Les créations d’emplois se répartissent ainsi : 197 dans les services judiciaires, 220 dans l’administration pénitentiaire, 60 à la protection judiciaire de la jeunesse et 7 dans l’administration générale. Reconnaissons que cette progression est plus lente que celle de l’année précédente. Nous sommes toutefois tous naturellement conscients des contraintes budgétaires qui pèsent, d’une manière générale, sur les dépenses de l’État et nous nous félicitons de cette progression. Nous notons, également, un léger retard sur la loi d’orientation et de programmation de la justice adoptée en 2002, essentiellement dans le domaine des services judiciaires et de la protection judiciaire de la jeunesse, puisque le taux d’exécution s’établit aujourd’hui, lorsqu’il est calculé sur l’ensemble des quatre premières tranches, de 2003 à 2006, à 58 %. Une progression linéaire, qui n’est jamais réalisée, aurait dû conduire à un taux d’exécution de 80 %, mais nous savons naturellement qu’elle n’existe que dans l’esprit de ceux qui veulent bien comptabiliser des chiffres. Le maniement des créations d’emplois est évidemment d’autant plus complexe que le recrutement se fait essentiellement par voie de concours.

Quant aux crédits d’équipement, le rythme d’engagements est tout à fait honorable pour les autorisations de programme et il l’est moins, c’est assez logique, pour les crédits de paiement. Dans l’ensemble, on peut noter une accélération très manifeste de la capacité du ministère à consommer ces crédits.

Je me permettrais une observation tenant à la méthode. J’ai, en effet, constaté une certaine tendance à pratiquer une reconduction des crédits plutôt que d’effectuer de véritables choix en fonction des coûts respectifs des secteurs gérés par la justice. C’est assez normal s’agissant de la première année de mise en place de la LOLF. Nous serons plus exigeants, ce qui est tout à fait légitime, l’année prochaine, lorsque la loi organique nous permettra de rassembler nos connaissances au service d’une évaluation plus fine et d’une optimisation des crédits affectés à la justice.

Je terminerai cette présentation en évoquant les conditions qui doivent, selon moi, présider à la réussite de la mise en œuvre de la LOLF. En premier lieu, la déconcentration au sein de la mission « Justice » repose sur les trois piliers que sont les chefs de cour, les directeurs de l’administration pénitentiaire et les directeurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Pour que l’expérience soit réussie, chaque échelon doit naturellement bénéficier d’un outil informatique et humain suffisamment précis pour mesurer la pertinence et les conséquences des choix. Estimer que ce n’est pas encore tout à fait le cas, serait une manière optimiste de considérer les choses. Nous devrions, en réalité, nous étonner que l’outil informatique ne soit pas aujourd’hui plus perfectionné. En ce qui concerne les juridictions, cela dépendra du renforcement des services administratifs régionaux qui, c’est tout à fait clair, permettra de mieux gérer les crédits affectés aux juridictions et de dissiper les inquiétudes qu’éprouvent encore certains présidents de cour d’appel dans la gestion commune des crédits avec le parquet. Une meilleure compréhension réciproque doit s’installer. Chacun doit y mettre du sien.

Cela suppose de véritables contrats d’objectifs. Vous avez commencé à les mettre en œuvre. Il doit s’agir de véritables contrats négociés, et la marge de manœuvre ne doit pas être réduite à la portion congrue. Se fixer des objectifs, y affecter des moyens, permettre que le curseur des moyens se déplace selon l’accomplissement plus ou moins complet des objectifs, voilà en tout cas une perspective intéressante.

Le deuxième défi concerne le passage de crédits évaluatifs à des crédits limitatifs. Cela concerne des sommes très importantes, presque 20 % du budget de la justice. Ce sont notamment les frais de justice, qui augmentent particulièrement au pénal, l’aide juridictionnelle, pour laquelle la prévision est toujours très difficile à faire puisqu’elle dépend à la fois de la complexité des affaires traitées et de la situation financière des justiciables, des fonds de concours, des subventions accordées aux services habilités de la PJJ pour des sommes qui ne sont pas négligeables, et enfin, bien sûr, la santé des détenus.

La transition sera malgré tout difficile à réaliser. Il y a des économies, une rationalisation est entreprise, notamment pour les frais de justice. Vous avez prévu une réserve de précaution de l’ordre de 50 millions qui sera gérée par le ministère du budget. Je crains cependant qu’elle ne soit insuffisante dans cette année de transition qui demande des efforts et de la vigilance, et peut-être aussi une culture un peu différente.

Le troisième aspect concerne, de manière plus générale, le redéploiement des moyens de la France judiciaire. Il y a une assez forte inégalité, certaines juridictions étant surchargées, voire saturées. Pour faire simple, sur le plan géographique, cela concerne l’axe Nord-Pas-de-Calais, Île-de-France, et la totalité du sillon rhodanien de Lyon jusqu’à Aix et Perpignan. C’est le cas notamment, bien sûr, du tribunal de grande instance de Bobigny, mais aussi de ceux d’Évry, d’Aix, de Valence, de Perpignan, de Paris et de la cour d’appel de Paris. La charge qui repose sur les magistrats y est substantiellement plus lourde que celle qui repose sur les magistrats et les greffes de juridictions dont l’ordre des choses est plus confortable, la régulation des affaires plus facile et plus souple. Le ratio entre magistrats et greffiers notamment y est encore insuffisant. Il sera amélioré en 2006. On s’en félicite, mais la situation mérite d’être suivie avec une grande attention. Il faudra redéployer les moyens en fonction des données démographiques et des données de la délinquance. Les événements que nous avons connus ces derniers jours appellent à une telle révision. Il faudra tenir compte aussi de la complexité des affaires traitées par les juridictions.

Enfin, la quatrième condition de la réussite, Mme Tabarot en parlera dans un instant, est l’amélioration de la capacité et des conditions d’accueil dans les prisons, qui s’améliorent, trop lentement à nos yeux, bien sûr, mais nous revenons de très loin.

En conclusion, monsieur le ministre, nous avons tous intérêt à l’avenir à mieux mesurer l’impact en termes de moyens des lois que nous votons. Je prendrai l’exemple du surendettement et des mécanismes de la loi Borloo. À l’évidence, nous n’avons pas passé au crible de notre analyse les moyens que demande l’introduction de ces nouvelles responsabilités. Nous aurions intérêt désormais à faire, non pas une pause législative mais au moins une évaluation critique à l’avance des moyens nécessaires pour réussir l’application des lois que nous votons.

La commission des finances, à l’unanimité, a suggéré que ce budget de la justice soit adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’accès au droit et à la justice.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’accès au droit et à la justice. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, LOLF, modifie en profondeur le contenu, la procédure d’adoption et les conditions d’exécution du budget. Elle donne un rôle nouveau et accru au Parlement et elle entre en vigueur à compter du budget pour 2006 qui nous est soumis.

L’architecture du budget est donc maintenant présentée en trente-quatre missions. La mission « Justice » correspond aux attributions traditionnelles du ministère de la justice à l’exception, pour la première fois, du programme concernant la justice administrative, qui relève maintenant d’une autre mission intitulée « Conseil et contrôle de l’État ».

Comme je l’ai indiqué dans mon rapport écrit et comme vous, monsieur le rapporteur spécial de la commission des finances, je regrette une telle modification…

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission, et M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. …qui prive, à mon sens, le Parlement d’une vision globale de l’activité judiciaire (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) puisque le Conseil d’État, les juridictions administratives, la Cour des comptes et le Conseil économique et social échappent à présent à la mission « Justice », ce qui est pour le moins étonnant.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. Absolument !

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. La commission des lois a néanmoins décidé de maintenir l’unicité de l’avis sur les crédits des juridictions judiciaires et administratives, ce qui me semble une décision de bon sens.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. Et de sagesse !

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. Comme vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, le budget de la mission « Justice » présente un rythme de progression supérieur à l’évolution globale du budget général de l’État puisque celui-ci est en hausse de 1,8 % alors que les crédits de la mission « Justice » progressent de 4,6 % en crédits de paiement. Pour les juridictions administratives, la progression est de 10,7 % par rapport à 2005.

J’insisterai dans mon exposé sur un certain nombre de points qui m’apparaissent essentiels.

En dix ans, la part de la justice dans le budget de l’État a progressé de 27 %, ce qui est important et ce qui démontre la réalité d’une véritable volonté politique, mais cela est-il suffisant pour répondre aux demandes de nos concitoyens ?

Constater l’augmentation des crédits est certes révélateur, mais il s’agit surtout d’en mesurer l’efficacité. C’est tout l’enjeu de la LOLF, qui offre au Parlement les outils en ce sens. Nous passons d’une logique de moyens à une logique de résultats. Les gestionnaires sont soumis à une obligation d’engagement sur des objectifs et doivent rendre compte de leurs résultats. La mise en place de ce dispositif d’évaluation de la performance est d’ailleurs l’indispensable contrepartie de la liberté de gestion offerte par la globalisation des crédits.

Cette réforme budgétaire est donc très significative, surtout dans le domaine de la justice, qui, certes, doit être totalement indépendante dans sa mission principale de dire le droit, de rendre la justice, mais qui doit aussi, dans sa mission de gestion d’un service public, rendre des comptes sur cette gestion.

Ainsi, au niveau régional, les budgets opérationnels constitués à l’échelon de chaque cour d’appel se trouvent dorénavant sous la responsabilité conjointe du premier président et du procureur général, qui se trouvent placés à la tête de la conférence budgétaire régionale. Les chefs de cour deviennent ordonnateurs secondaires des crédits déconcentrés du programme « Justice judiciaire » et détiennent maintenant un pouvoir nouveau sur l’opportunité d’une meilleure utilisation des fonds publics. Ils bénéficient de services d’administration régionaux renforcés qui deviennent autonomes avec budget et effectifs propres placés sous leur autorité directe.

Cette réforme n’est pas neutre, et ce n’est pas la seule.

La maîtrise des frais de justice est également située au centre de nos préoccupations.

Après un doublement entre 1988 et 1995, les frais de justice pénale ont connu une très forte accélération au cours des années 2002, avec une hausse de 13,3 %, 2003, avec une hausse de 21,2 %, et 2004, avec une hausse de 27,1 %. Les frais de réquisitions téléphoniques, les frais d’expertises médicales, notamment génétiques, les dépenses de traduction et d’interprétariat expliquent en grande partie ces augmentations.

La LOLF permet maintenant d’appliquer un véritable plan de maîtrise des dépenses fondé sur de nouvelles règles de gestion, et la mise en place, en 2007, nous l’espérons, du système informatique Cassiopée contribuera à ces améliorations. Nous notons d’ailleurs dès à présent de sensibles diminutions de prix en ce qui concerne la téléphonie et les analyses génétiques, des négociations et des mises en concurrence ayant permis de faire chuter les facturations.

M. le garde des sceaux. Très bien !

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. Concernant les personnels, je ne peux qu’être très satisfait de voir l’augmentation très significative du régime indemnitaire des magistrats depuis 2002. N’oubliez pas, mesdames, messieurs de l’opposition que, lorsque vous étiez aux affaires entre 1997 et 2002, vous n’aviez rien fait dans ce domaine.

À ce régime indemnitaire s’ajoute le nouveau système de primes modulables qui s’inscrivent dans cette optique de la culture de l’objectif et du résultat, système qui n’est en aucune façon attentatoire à l’indépendance de la magistrature.

Si beaucoup a été fait pour les magistrats, je pense qu’il est maintenant nécessaire de faire bénéficier les fonctionnaires des services judiciaires de mesures indemnitaires significatives. Un magistrat n’est en effet rien sans son greffier.

Les améliorations doivent concerner les deux corps tout en tenant compte de leur niveau respectif de responsabilité. Sinon, un sentiment d’injustice et d’incompréhension viendrait à compromettre la qualité du travail d’équipe au centre duquel se trouve le magistrat. Je sais, monsieur le garde des sceaux, que vous êtes très attentif à ce sujet sensible dans les juridictions. Je me permets de rappeler que le taux indemnitaire moyen des greffiers en chef et greffiers n’a pas été revalorisé depuis 2001.

De même, je serais très désireux de voir progresser le taux indemnitaire des personnels de catégorie C. Un point a finalement été proposé dans le projet de budget. Je souhaite également attirer votre attention sur cette situation sensible dans les juridictions.

Comme l’année passée, j’espère donc que sera réduit l’écart entre le régime indemnitaire des magistrats et celui des fonctionnaires des services judiciaires. Je considère notamment que l’effort consenti en faveur des greffiers en chef et greffiers n’est pas tout à fait à la hauteur de leur rôle. L’ensemble des personnels doivent être intéressés aux résultats des juridictions. Réserver par exemple la prime modulable aux seuls magistrats risque de creuser le fossé entre cette catégorie et les agents des services judiciaires.

En complément de mon rapport écrit, je souhaitais également souligner l’évolution sur le terrain de la justice de proximité.

En septembre dernier, l’effectif des juges de proximité en fonction s’élevait à 471, affectés dans 322 juridictions de proximité. Ils seront près de 500 en 2006. La part de contentieux civil dont ils s’occupent avec le tribunal d’instance est passée de 5 % à 20 % et le contentieux pénal des contraventions occupe quasiment 80 % du contentieux total des contraventions, sans compter leur participation de plus en plus marquée aux audiences correctionnelles collégiales.

Le résultat des réformes est donc positif, mais je souhaite vous signaler les difficultés de recrutement et de formation de ces personnels. La procédure de nomination est trop longue et le bénéfice de la formation s’estompe quand s’écoulent de trop nombreux mois avant l’installation effective dans les fonctions. Il faudrait y remédier dans les meilleurs délais.

Dans un autre domaine, j’ai particulièrement remarqué l’effort réalisé en faveur de la construction ou de la rénovation de palais de justice. Cela faisait bien longtemps que de telles opérations n’avaient pas été menées. Ainsi, Toulouse, Thonon-les-Bains, Avesnes-sur-Helpe, l’école nationale des greffes à Dijon connaissent de telles améliorations. La création d’un nouveau tribunal administratif à Nîmes, dont l’ouverture est prévue le 1er septembre 2006, participe à cet effort qui s’inscrit dans le cadre de l’application de la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002.

Néanmoins, j’ai également insisté dans mon rapport sur les questions de sécurité qui concernent les palais de justice. Nous avons malheureusement de nombreux exemples de personnels agressés verbalement et physiquement. Je sais que vous êtes également très sensible à ce sujet. Un effort financier doit aussi être réalisé pour protéger ces personnels très exposés.

Le problème dépasse largement les questions budgétaires, j’en suis conscient. L’époque où l’autorité et l’image de la justice suffisaient pour assurer le respect de ceux qui la rendent est bien révolue. Ceux qui ne respectent plus rien et qui s’attaquent délibérément aux symboles de la République n’épargneront pas la justice. À l’heure où les banlieues s’enflamment, où les voyous terrorisent nos concitoyens en s’attaquant à nos valeurs fondamentales, la justice et ceux qui y travaillent peuvent devenir des cibles privilégiées. Tout doit donc être fait pour les protéger car, au-delà de la protection évidente de leurs personnes, le rôle qu’elles tiennent est indispensable au fonctionnement de notre société.

M. Guy Geoffroy. Très important !

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. L’actualité nous démontre à nouveau que la sécurité et la justice se situent au centre des préoccupations de nos concitoyens. Justice et sécurité sont indissociables et leur rôle est essentiel pour la République.

Le budget pour 2006, sous les quelques réserves que j’ai faites, les réformes législatives, importantes depuis 2002, la loi d’orientation et de programmation pour la justice et la réforme de la loi organique relative aux lois de finances devraient nous permettre de répondre aux attentes de nos compatriotes ainsi que de faire face aux risques actuels qui menacent notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’administration pénitentiaire et pour la protection judiciaire de la jeunesse.

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour l’administration pénitentiaire et pour la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le ministre, comme vous l'avez rappelé devant la commission des lois, avec un budget en augmentation de 4,6 %, la justice reste une priorité pour l'État. Cette évolution est d'autant plus encourageante que la mise en œuvre de la LOLF permet de dégager de nouvelles marges de manœuvre. Ainsi, en termes d’emplois, la substitution des équivalents temps plein travaillé aux postes budgétaires autorisera 2 020 recrutements dans l'administration pénitentiaire et 750 recrutements dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Au regard des orientations retenues, ce budget s'inscrit donc dans une logique de consolidation du grand chantier, lancé en 2002, de modernisation de notre justice.

Les crédits de l'administration pénitentiaire progressent de 3,5 %. Les autorisations d'engagement, d'un montant de 932 millions d’euros, permettront de lancer le programme de construction de 13 200 places, dont les premiers établissements devraient être livrés en 2008 ; il faut préciser toutefois que les sept établissements pour mineurs seront ouverts dès 2007.

Si nous ne pouvons que nous féliciter de ce développement significatif de la capacité carcérale, il est également essentiel de prévoir les crédits nécessaires au bon entretien des établissements existants, qui, du fait de leur vétusté, ont parfois un coût de maintenance élevé. Plusieurs directeurs d'établissements m'ont d'ailleurs fait part de leur inquiétude sur ce point à l'occasion de mes différentes visites.

Ce projet de budget consacre des moyens supplémentaires à la sécurité des établissements. Quinze millions d'euros seront dédiés aux opérations de sécurisation : dix autres établissements seront dotés de tunnels à rayons X. ; le programme de rénovation des miradors, dont, depuis 2003, trente établissements ont déjà bénéficié, sera poursuivi. Un million cent mille euros seront consacrés à l'installation d'appareils de brouillage des télécommunications.

L'évasion récente de deux détenus de la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône démontre que ces investissements sont impératifs, à une époque où les malfaiteurs n'hésitent plus à recourir à des armes de guerre. Ce renforcement de la sécurité est également essentiel pour soutenir les personnels pénitentiaires, victimes de 520 agressions en 2004, contre 233 en 1995.

Parallèlement, la féminisation des effectifs, avec 2 100 surveillantes en détention homme, implique une vigilance accrue. Il faut en tout cas saluer le travail de ces personnels qui s'acquittent, avec un sens du devoir remarquable, d'une mission particulièrement délicate. À ce propos, je souhaite qu'une réflexion s’engage, dans la concertation, sur la nécessité de renforcer l'attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire, étant donné les nombreuses vacances de postes mises en évidence par la LOLF. Si nous voulons atteindre l'objectif de 2 469 recrutements en 2006, il faudra certainement moderniser le statut des personnels techniques, administratifs et surveillants pour rendre ces métiers plus attractifs. C’est une demande unanime des syndicats que j'ai auditionnés dans le cadre du rapport. L'un des enjeux de cette réflexion pourrait d'ailleurs être une meilleure prise en compte des nouvelles missions dévolues aux personnels.

Ce point n’est pas sans rapport avec le deuxième axe de ma réflexion, qui concerne le maintien du lien familial. Le budget de la justice illustre parfaitement l'importance de ce lien familial, puisque c’est l'un des sept objectifs de performance retenus par l'administration pénitentiaire. II s'agit d'une donnée essentielle dans une perspective de réinsertion, même s'il faut avant tout tenir compte de l'équilibre de l'enfant. À ce titre, je note avec satisfaction que la présence dans les établissements de parloirs adaptés aux enfants est désormais un indicateur de performance du programme « Administration pénitentiaire ».

L'unité expérimentale de vie familiale du centre pénitentiaire de Rennes a également retenu toute mon attention. C'est une initiative particulièrement intéressante pour le maintien du lien parent-enfant. Mais cette structure devra certainement être allégée, si nous souhaitons la transposer à d'autres établissements pénitentiaires.

Les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse sont également en hausse, avec une augmentation de 3.04 %. Cette évolution budgétaire suit l'accroissement de l'activité, puisque la PJJ a pris en charge 129 600 jeunes en 2004, contre 120 800 en 2003. Ce budget permettra de renforcer les capacités d'accueil des structures de la PJJ : deux millions d'euros seront dédiés à l'ouverture de treize nouveaux centres éducatifs fermés ; huit millions d'euros seront investis dans l'entretien du patrimoine et la sécurité des établissements.

Je me suis intéressée, dans le cadre de ce rapport, aux solutions innovantes en matière d'accompagnement des jeunes en difficulté : mon attention a été particulièrement retenue par l’expérience des familles accueillantes, qui reçoivent, quasi bénévolement, des jeunes en difficulté à leur domicile pour leur apporter un soutien, une éducation et les aider à bâtir un projet de vie. Je tiens également, monsieur le ministre, à saluer votre démarche en faveur du parrainage des jeunes de la PJJ, pour les accompagner vers le monde de l'emploi. De telles initiatives sont très positives en ce qu’elles permettent à la PJJ de s'ouvrir sur la société

Je voudrais enfin insister sur le problème particulier de la double habilitation de certains établissements, qui permet de placer des jeunes en danger dans des établissements accueillant également des mineurs délinquants. Alors que le nombre de signalements ne cesse d'augmenter en France, pouvons-nous prendre le risque d'introduire une victime au milieu de jeunes potentiellement violents ? Je souhaite, pour ma part, que la prochaine réforme de la protection de l'enfance permette, de mieux définir, dans le cadre de schémas départementaux, le rôle de chaque structure d'accueil, pour éviter de telles confusions et clarifier les missions de chaque intervenant.

Comme je l’ai rappelé en introduction, la LOLF ouvre des perspectives nouvelles pour la mise en œuvre du budget de la justice. La responsabilisation des échelons déconcentrés permettra une gestion au plus près des besoins, tandis que le caractère désormais limitatif de la dotation au secteur associatif de la PJJ, à hauteur de 266 millions d'euros, améliorera la maîtrise budgétaire.

Je voudrais citer en conclusion l'exposé des motifs de l'ordonnance de 1945 : « La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ». Ces mots prennent aujourd'hui une résonance particulière.

Pour ma part, je me réjouis que le budget de la justice donne au Gouvernement des moyens supplémentaires. L’exigence d'efficacité est plus forte que jamais, à l'heure où la violence dans les banlieues nous rappelle que la délinquance des mineurs n'est plus un phénomène marginal, mais une question cruciale pour l'avenir de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, premier orateur inscrit.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de budget pour 2006 est la première application de la loi organique relative aux lois de finances, qui inscrit la performance au cœur des préoccupations budgétaires. Dans ce nouveau cadre, la mission « Justice » se décline en cinq programmes. À chacun d'entre eux sont associés une stratégie, des objectifs et des indicateurs de performance.

La justice est ainsi sommée d'entrer dans une logique de rentabilité, ce qui doit nous amener à nous interroger sur les stratégies, les objectifs et les critères d'évaluation retenus.

Comment en effet évaluer les résultats de la Justice ? Avouons, monsieur le garde des sceaux, que le discours que vous avez prononcé devant les chefs de cours, le 14 septembre dernier, les invitant, notamment, à se comporter en « gestionnaires audacieux », fait craindre une véritable taylorisation de la justice.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois. Pourquoi ne pas parler de stakhanovisme ?

M. Michel Vaxès. Vous ne parviendrez cependant pas à altérer notre solide conviction que l'institution judiciaire n'est pas une administration comme les autres. Ses finalités et ses problématiques singulières exigent que nous l'appréciions bien davantage du point de vue de la qualité de ses actes que de sa rentabilité.

Les indicateurs de performance, qui sont nécessairement quantitatifs, peuvent-ils rendre compte de la qualité d'une justice au service du justiciable ? Les délais de traitement ou le nombre d'affaires jugées dans un temps donné ne peuvent être les seuls gages de la qualité d'une décision rendue. Les contrats d'objectifs, les indicateurs de performance, les primes individuelles de rendement des magistrats ne permettront jamais d'évaluer l'indépendance, l'impartialité, la personnalisation des décisions, la qualité d'écoute ou encore le respect du contradictoire : autant de valeurs qui sont pourtant au cœur des missions de notre justice.

Cela ne signifie évidemment pas que nous rejetions l'exigence d'une bonne et saine gestion des crédits publics, pas plus que ne le font les professionnels de l’institution judiciaire. Ce que nous contestons, ce sont les moyens utilisés et les critères retenus, sans concertation, pour mesurer les « performances » de la justice.

Prenons l’exemple des frais de justice. Vous avez rappelé aux chefs de cours l'impérieuse nécessité de maîtriser leur évolution. Le législateur est pourtant le premier responsable de ces dépenses, lui qui ne cesse de multiplier les procédures coûteuses.

Les frais de justice ne devront pas désormais dépasser les 370 millions d'euros, à quoi s’ajoute une réserve exceptionnelle de cinquante millions d'euros pour dépenses imprévisibles. Ces 370 millions seront répartis par le chef de programme entre les juridictions, qui disposeront chacune d'une enveloppe globale incluant les frais de justice. Que se passera-t-il si une juridiction est amenée à dépasser cette enveloppe ?

Vous avez affirmé devant la commission des lois que « les frais de justice seront financés sur le budget des juridictions. Ces dernières ayant de nombreux besoins, elles auront intérêt à bien gérer leurs frais de justice ». Ce que vous ne dites pas, c'est que l'enveloppe allouée est manifestement bien en deçà des besoins, et que les évaluations sont inférieures à la réalité : courant 2005, la chancellerie évaluait ces dépenses à 600 millions, en raison notamment de l’entrée en vigueur de la loi Perben II. Il faudra donc arbitrer entre les moyens nécessaires à la recherche de la vérité et les besoins de fonctionnement de la juridiction. Il est dès lors fort hasardeux d'affirmer, comme vous le faites, que la recherche de la vérité ne sera pas freinée pour des raisons budgétaires.

Il serait en outre nécessaire, comme le rappelle le Syndicat de la magistrature, de revoir la définition même des frais de justice, ceux-ci comprenant étrangement des dépenses sans lien direct avec l'enquête, comme l'indemnisation des jurés, celle des délégués du procureur, des médiateurs pénaux, ou encore des employeurs des conseillers prud'hommes.

Ces observations posées, permettez que nous regardions plus avant le projet de budget lui-même et ses différents programmes.

Je voudrais d’abord formuler une remarque sur l'architecture même de la mission « Justice ». Nous regrettons autant que vous que la justice administrative ne figure pas dans cette mission, tout comme nous regrettons l’absence des juridictions financières. Cette distinction entre les ordres de juridictions demeure injustifiée à nos yeux.

Le budget de la justice est en hausse de 4,6 % cette année. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

M. Guy Geoffroy. Ah, quand même !

M. Michel Vaxès. Attendez la suite, cher collègue !

Notre enthousiasme est toutefois très modéré puisque ce budget demeure toujours bien en deçà de l'objectif de la loi de programmation de la justice, qui était de huit milliards d'euros d'ici 2007. À ce rythme, il ne sera jamais atteint.

Nous sommes également déçus par le nombre des créations d'emplois. Votre loi de programmation prévoyait la création de 10 100 emplois sur cinq ans, soit une moyenne de 2 020 emplois par an. Vous nous dites, aujourd'hui qu’en matière de création de postes, toute comparaison avec les années précédentes est impossible, en raison du changement de méthode de suivi des effectifs. Cela ne saurait dissimuler à nos yeux, pas plus qu’aux vôtres, l’évidence que les prévisions de la loi d'orientation ne seront pas respectées : alors que nous abordons l’avant- dernière année de ce plan, nous ne sommes qu'à la moitié des créations d'emplois prévues !

Or les besoins en personnels ont encore été accrus par les différentes réformes intervenues depuis. Je me limiterai au dernier texte voté par votre majorité, relatif au traitement de la récidive : les moyens budgétaires consacrés à l'exécution et à l'application des peines sont bien inférieurs aux besoins, en totale contradiction avec les priorités affichées de lutte contre la récidive. En effet, ce projet de budget donne la priorité au renforcement des mesures d'enfermement, au détriment des dispositifs de réinsertion.

Le constat fait en juin dernier par notre collègue Jean-Luc Warsmann ne sera donc pas contredit par cette loi de finances. Son rapport dénonçait l’insuffisance notoire des moyens consacrés à l'exécution et à l'application des peines, notamment des personnels d'insertion et de probation des services pénitentiaires, qui ont pour mission d'assurer le suivi des personnes incarcérées et de celles exécutant leur peine en milieu ouvert.

Or, sur les 220 postes créés par ce projet de budget, seuls quatre-vingt sont des postes de conseillers d'insertion et de probation ! Ces quatre-vingts postes seront d’ailleurs tous absorbés par les nouveaux établissements pénitentiaires. Ce chiffre apparaît d’autant plus dérisoire que 500 emplois jeunes sont appelés à disparaître dans les prochaines années.

La priorité donnée à l'enfermement nous inquiète tant elle est contre-productive et coûteuse. Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne la justice des mineurs.

Ainsi ce projet de budget crée-t-il de nouvelles places de prisons, avec la création de sept établissements pénitentiaires pour mineurs, alors que les actuels quartiers pour mineurs sont loin d’être remplis.

M. le garde des sceaux et M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois. C’est tout de même mieux comme ça !

M. Michel Vaxès. Tant mieux, en effet.

De même, la création des centres éducatifs fermés capte la majeure partie des crédits d’investissement de la protection judiciaire de la jeunesse, alors que le financement de l’ensemble des mesures concernant les enfants et les adolescents en danger diminue de 27 %. J’en veux pour preuve la priorité accordée au développement des centres éducatifs fermés avec une prévision de croissance de 49 % du nombre de journées pour 2006.

Tout aussi inquiétant est le désengagement annoncé de l’État de la protection des jeunes majeurs. Alors qu’en 2004, le nombre de journées d’hébergement des jeunes majeurs s’élevait à 984 663, les prévisions pour 2006 sont de 623 000, soit 300 000 de moins, ce qui représente une baisse de plus de 36 %. La circulaire du 21 mars dernier, qui invitait les magistrats et les services de protection judiciaire de la jeunesse à la plus grande parcimonie, n’en était malheureusement qu’un avant-goût. Pourtant, la prise en charge des jeunes de moins de vingt-cinq ans est plus que nécessaire dans une perspective de prévention de la délinquance.

J’aurais voulu aborder la question des frais de justice, mais mon temps de parole est presque écoulé. J’y reviendrai donc dans la question que je poserai tout à l’heure.

Votre projet de budget est au service d’une politique que nous contestons – une politique construite sur des effets d’annonce et qui ne se soucie guère de ses conséquences à moyen et à long terme. Vous mettez en place une justice productiviste,…

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. N’exagérons rien !

M. le garde des sceaux. Pourquoi pas stakhanoviste ?

M. Michel Vaxès. …au détriment d’une justice de qualité. Vous privilégiez l’enfermement au détriment d’une vraie politique de lutte contre la récidive. Ce sont autant de choix dangereux que nous dénonçons et combattons. Nous voterons donc contre ce projet de budget.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour sa première présentation sous l’égide de la loi organique relative aux lois de finances, votre projet de budget éclaire éloquemment les grandes lignes de la mission « Justice » pour 2006.

Je ferai deux remarques préalables. Je tiens d’abord à saluer, au nom du groupe UMP, le très bon fonctionnement de la chaîne pénale à l’occasion des graves difficultés que connaît notre pays. La police fait un travail remarquable et salué de tous, tout comme la justice, sous la conduite des procureurs et sur la base des interpellations opérées et des informations transmises par la police. À partir du cadrage très précis que vous avez rappelé aux procureurs généraux, les juridictions du siège font également ce que la nation attend d’elles en prenant des sanctions adaptées à ces actes de délinquance inqualifiables et inexcusables, pour lesquels fermeté et justice sont loin d’être incompatibles.

En second lieu, je tiens à reprendre les interrogations formulées par les orateurs précédents et exprimées unanimement par la commission des lois à propos de la justice administrative. Pourquoi, en effet, cette dernière, qui fait partie de la justice et ne se limite pas à une fonction de conseil, échappe-t-elle au regard de notre commission et à notre appréhension globale de ce budget ? Nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous preniez des initiatives pour remédier à cette erreur – car il ne peut s’agir que d’une erreur.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Pour notre part, nous en prendrons certainement, et en soutiendrons d’autres en ce sens.

Il faut noter, même avec l’« enthousiasme modéré » qui conduit nos collègues communistes à refuser ce budget, que celui-ci se traduit par une augmentation appréciable du volume budgétaire consacré à l’œuvre de justice. Cette augmentation de 4,6 %, qui fait suite à une progression de 4 % l’année précédente, s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre déterminée par le Gouvernement et par le Parlement des grandes lois que nous avons votées ici même depuis 2002, de la loi d’orientation à l’ensemble des dispositifs qui ont permis de la décliner.

Cette augmentation globale s’accompagne de la suppression induite par la LOLF des crédits évaluatifs qui s’élevaient à 20 %. Les efforts qui seront demandés en matière de frais de justice – et dont nous avons la preuve qu’ils sont possibles – viennent amplifier le volume des crédits réellement disponibles pour que la justice fasse un meilleur travail, comme le demandent avec force nos concitoyens.

Pour les juridictions de la justice judiciaire, l’augmentation budgétaire est de 8 % – soit, avec près de 2,5 milliards d’euros, 42 % du budget de votre mission ; pour l’aide aux victimes, action importante, attendue et revendiquée par nos concitoyens, elle est de 12 % ; pour l’administration pénitentiaire, de 4 % et, pour la protection judiciaire de la jeunesse, de 3 %. Ces évolutions s’accompagnent d’une responsabilisation des acteurs, également induite par la LOLF et qui revêt une extrême importance.

Grâce à la déconcentration des crédits et à leur gestion sur le territoire des juridictions, nous pouvons espérer – et nous en aurons bientôt la certitude – que le fonctionnement de l’institution judiciaire ne connaîtra pas de déperdition de moyens et que les crédits en constante augmentation que vote le Parlement seront utilisés d’une manière adéquate au service de nos concitoyens.

La maîtrise des frais de justice est éloquente à cet égard. Je tiens, au nom du groupe UMP, à m’inscrire en faux contre les mauvais procès qui sont faits au Gouvernement. En effet, comment tolérer les tarifs prohibitifs qui nous étaient imposés pour certaines écoutes téléphoniques…

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy. …ou certaines études et analyses et qui, par le simple jeu de la mise en concurrence, vont être réduits dans des proportions considérables ?

M. le garde des sceaux. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy. Nos concitoyens doivent le savoir. La baisse des crédits limitatifs inscrits dans le projet de budget pour l’ensemble de ces frais de justice ne doit pas être considérée comme un recul par rapport à des crédits évaluatifs qui étaient utilisés dans le laisser-aller général que permettait le dispositif ancien.

Au vu de ce projet de budget, l’année 2006 ne sera pas neutre en termes d’emploi. On peut certes constater, comme l’a fait à juste titre le rapporteur de la commission des finances, que le taux de montée en puissance des dispositions de la loi d’orientation ne nous permet pas encore d’atteindre le niveau que nous pouvions espérer, mais nous progressons vite et atteindrons probablement un niveau assez proche. Ce budget se traduira par près de 5 000 emplois en équivalent temps plein, dont 10 %, soit environ 500, sont de vrais nouveaux emplois : 279 emplois de magistrats, plus de 650 emplois au titre des greffes – dont il est nécessaire d’accélérer le travail pour que les décisions de justice soient appliquées en temps réel –, près de 2 000 emplois pour l’administration pénitentiaire et plus de 700 emplois pour la protection judiciaire de la jeunesse, sans compter les emplois qui seront suscités dans le secteur associatif par la montée en puissance des centres éducatifs fermés.

Comment ne pas saluer également les investissements réalisés, en application de la loi d’orientation, pour l’amélioration des conditions de détention, avec la rénovation de certains centres et la création de nouvelles prisons, et avec la décision que nous avons prise d’augmenter le nombre d’établissements accueillant spécifiquement des jeunes mineurs ?

Je rappelle par ailleurs qu’un amendement que j’avais proposé et qui a été adopté dans le cadre de la loi d’orientation fixait un objectif symboliquement important : que, dès que possible, il n’y ait plus dans notre pays aucun mineur emprisonné dans des établissements accueillant par ailleurs des majeurs. Le chemin est long et ne sera pas aisé, mais les dispositions de votre projet de budget me semblent de nature à nous permettre d’y parvenir.

Un mot, pour conclure, sur les centres éducatifs fermés, qui ont été brocardés par ceux-là mêmes qui les avaient également proposés. Le travail intelligent de persévérance et d’écoute qui a été accompli permet, fût-ce à titre provisoire, un bilan globalement satisfaisant. Nous constatons aujourd’hui, monsieur Vaxès, que les jeunes mineurs sont aujourd’hui moins nombreux en prison. Tel est bien l’objectif : faire du placement dans un centre, certes fermé, mais avant tout éducatif, la véritable alternative à l’incarcération des mineurs.

Nous sommes en voie d’y parvenir et tous les parlementaires doivent soutenir localement la création de ces établissements. Il serait dramatique, en effet, que nous convenions tous qu’ils sont nécessaires et que nous manquions, sur le plan local, du ressort nécessaire à leur mise en place. Lorsque j’ai pris l’initiative de demander la création d’un tel centre sur ma commune, l’idée n’a pas été facile à faire admettre. Il a fallu dialoguer et convaincre, mais nous y sommes parvenus. Je souhaite donc que tous les élus locaux de France acceptent les décisions de la représentation nationale avec la même vigueur que celle qu’ont déjà manifestée certains d’entre nous.

Monsieur le ministre, j’ai eu ce matin la grande satisfaction de vous entendre, sur les ondes d’une radio périphérique, mener un dialogue – qualifié d’ailleurs d’« étonnant » et de « très intéressant » par les journalistes – avec un jeune mineur incarcéré récemment à la prison de Fleury-Mérogis. Vous avez fait valoir le rôle des adultes, qui consiste à expliquer et justifier les sanctions, mais aussi la responsabilité qui nous revient de tendre la main et de faire comprendre aux jeunes, même en dérive, que, pour qu’il y ait une justice, celle-ci doit impérativement être un mélange personnalisé de prévention et de répression.

Le groupe UMP votera sans états d’âme et avec une grande satisfaction le budget de la mission « Justice » que vous nous présentez aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Vallini. Monsieur le ministre, au-delà de la technique budgétaire, certes nécessaire, et des chiffres du budget de la justice pour 2006, je veux saisir l’occasion de cette discussion budgétaire pour dresser un premier bilan de la politique menée depuis trois ans et demi, en matière de justice, par vous-même et votre prédécesseur, M. Perben. Ce bilan me semble révéler deux impostures. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

La première tient au décalage entre l’affichage d'une politique répressive que vous revendiquez et la réalité de sa mise en œuvre.

Les nombreuses dispositions législatives que vous avez votées depuis 2002, mesdames et messieurs de la majorité, n’aboutissent en fait qu’à aggraver l’engorgement de la machine judiciaire : l’augmentation du nombre de jugements en attente est sans précédent et, plus grave encore, la justice n’est plus en mesure de faire exécuter les décisions qu’elle prend, car des dizaines de milliers de jugements attendent aujourd’hui dans les cartons – et il n’est ici question que des juridictions pénales.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois. Malheureusement, ça ne change pas beaucoup !

M. André Vallini.Or plus le retard s’accroît entre la condamnation et son exécution, moins la peine est comprise par la victime tout d’abord, par le condamné ensuite, et par les enquêteurs qui ont identifié et interpellé l’auteur des faits mais qui ne voient pas le résultat judiciaire de leurs efforts.

Monsieur le ministre, où est l’autorité de la justice lorsque la moitié des peines de prison reste inexécutée dix-huit mois après le jugement ? Où est l’autorité de la justice lorsque des condamnations à des peines de prison ne sont pas exécutées du tout ? Où est l’autorité de la justice lorsque 50 % des condamnations ne font l’objet d’aucun acte de réelle mise en exécution ?

À Bobigny, fin décembre 2004, plus de 3 500 jugements de condamnation étaient en attente de traitement et le délai de mise à exécution des peines atteint parfois un an. 25 000 procédures de plaintes sont en attente d’enregistrement. Faute de greffier et de secrétaire, le délai moyen entre le prononcé de la décision et sa mise en exécution est de dix mois, et dans certains tribunaux comme Évry, le délai moyen va jusqu’à deux ans. La loi Perben II, qui prévoyait une exécution des peines « dans les meilleurs délais » – expression pas très juridique mais que vous avez votée –, est aujourd’hui lettre morte.

Cette situation décrédibilise totalement l’institution judiciaire, elle favorise le sentiment d’impunité, dont vous parlez souvent, et elle ôte tout son sens à vos grands discours sur les multirécidivistes. Sans compter que ces délais retardent l’enregistrement de la condamnation au casier judiciaire et que donc, en cas de récidive, le tribunal ignore souvent tout de l’infraction précédente. On estime que, pour résorber le stock des jugements en attente, le Gouvernement devrait recruter 1 000 greffiers et secrétaires, 3 500 travailleurs sociaux des services pénitentiaires d’insertion et de probation, et au moins une centaine de juges d’application des peines. Votre budget 2006 en est loin. On peut d’ores et déjà dire que la loi d’orientation et de programmation pour la justice ne sera pas exécutée. M. Geoffroy lui-même vient de le reconnaître à cette tribune.

M. le garde des sceaux. Ce n’est pas ce que j’ai compris.

M. André Vallini. Monsieur le ministre, vous avez mal écouté M. Geoffroy : il a dit que la loi d’orientation et de programmation ne serait pas exécutée. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. M. Geoffroy a dit que les résultats seraient proches des objectifs.

M. André Vallini. Il s’est absenté. On lui demandera lorsqu’il reviendra. Pour ma part, c’est ce que j’ai compris.

Cette loi d’orientation et de programmation avait prévu, pour la période 2003-2007, de créer 10 500 emplois nouveaux, dont 950 magistrats de l’ordre judiciaire et 3 500 fonctionnaires et agents des services judiciaires. Par rapport à ces objectifs affichés, le budget 2006, avec, par exemple, seulement quatre-vingt-treize magistrats de l’ordre judiciaire ou, pire encore, six – je dis bien six ! – personnels d’encadrement marque, en fait, l’arrêt de la LOPJ. J’ai demandé à mes collaborateurs de bien vérifier si c’était six et non pas soixante ou 600 : il s’agit bien de six personnels d’encadrement ! Vous-mêmes en souriez, madame et messieurs les rapporteurs.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. C’est vous qui nous faites sourire !

M. André Vallini. J’ajoute que cette loi de programmation, qui avait pour objectif de remettre à niveau la justice, a été votée en juillet 2002, avant l’adoption successive de plusieurs lois dévoreuses d’effectifs. Une petite liste non exhaustive peut en être dressée : sur le plan de l’organisation judiciaire, il s’agit du développement des missions des conseils départementaux d’accès au droit et, bien sûr, de la création des juges de proximité ; sur le plan pénal, il s’agit du développement des modes alternatifs et des lois Perben – augmentation des charges du parquet, accroissement des missions du JLD, juridictionnalisation de l’application des peines – ; sur le plan civil, la loi sur le redressement personnel, qui accentue la charge des juges d'instance en matière de surendettement, la réforme des divorces ou encore la création des juridictions régionales de l'incapacité. Je rappelle que ces lois vont consommer beaucoup d’effectifs et d’ores et déjà on peut dire que la LOPJ ne sera pas exécutée au terme fixé. Dernier exemple chiffré : la cour d'appel de Paris estime nécessaire pour son fonctionnement le recrutement de 429 fonctionnaires toutes catégories confondues, dont 304 pour le seul comblement des postes vacants ; pour la seule application de la réforme Perben de l'exécution des peines, elle chiffre ses besoins à quarante-cinq équivalents temps pleins. Avec ce budget 2006, on en est très loin.

Quant à la pénurie de greffiers, elle va encore s’aggraver et donc aggraver les lenteurs de la justice, alors que c'est sans doute là que les besoins les plus criants se font sentir.

Je veux dire un mot, à mon tour, de la question des frais de justice criminelle. Ils représentent 76 % du volume global des frais de justice et suivent une progression constante de plus de 20 % par an, ce qui est évidemment considérable. Les raisons, on les connaît : la société a évolué vers une judiciarisation des conflits et l’exigence de résultat de nos concitoyens est légitimée par les nouveaux moyens technologiques mis à la disposition de la justice. À cet égard, je pense bien sûr aux tests ADN qui ont remplacé, et tant mieux, la reine des preuves qu’était jusqu’alors l’aveu. Les justiciables ne comprendraient pas que l’on renonce à ces progrès que représentent toutes ces nouvelles technologies. Sans oublier les lois génératrices de frais supplémentaires, telles les lois Perben, qui contiennent au moins onze mesures qui ont un impact direct sur les frais de justice. On sait aussi que les recours aux écoutes téléphoniques, aux expertises psychiatriques, médicales ou psychologiques, ou encore les enquêtes sociales, sont de plus en plus nombreux. Pour 2006, les besoins ont été estimés à 600 millions d’euros alors que vous prévoyez une enveloppe de 370 millions d’euros seulement.

J'ajoute que dans l'objectif 3, intitulé « amplifier et diversifier la réponse pénale », vous préconisez d'accroître les taux d'alternatives aux poursuites, et on sait que ces alternatives sont, elles aussi, génératrices de frais de justice car il faut payer les conciliateurs.

Monsieur le ministre, je vous fais une suggestion : en attendant la mise en place effective des outils, et des directives claires des parquets aux services d'enquête de police et de gendarmerie, ne pensez-vous pas qu’il serait préférable pour 2006 de rattacher les frais de justice criminelle aux exceptions prévues à l'article 10 de la loi organique ou encore de laisser au secrétariat général du ministère de la justice la gestion de tels frais ?

Un mot enfin concernant l'accès au droit et à la justice : il est impossible évidemment de connaître par avance le nombre de demandeurs et de bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, pourtant ces crédits deviennent eux aussi limitatifs, ce qui va remettre en cause l'accès au droit et le droit à être défendu pour les justiciables les plus démunis et les plus vulnérables.

Voilà, monsieur le ministre, pour le premier point de mon intervention, qui portait sur la première imposture : le décalage entre une politique répressive affichée et l’effectivité de sa mise en œuvre.

Bref, la machine judiciaire se révèle chaque jour moins capable de remplir les missions que vous lui assignez.

M. Jean-Luc Warsmann. Tout en nuances !

M. André Vallini. Il faut bien que je tempère l’enthousiasme exprimé par M. Vaxès, au nom de l’opposition, tout à l’heure. (Sourires.) Mais je pense qu’il réagira lui-même à la récupération que certains ont fait de ses propos.

M. Guy Geoffroy. Vous parlez en expert, monsieur Vallini !

M. André Vallini. La seconde imposture est encore plus grave. On se souvient – M. Geoffroy le premier, qui doit son siège de député à ce qui s’est passé en 2002 – (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)

M. Pierre-Louis Fagniez. Et à son travail !

M. Jean-Luc Warsmann. Et à son talent !

M. Guy Geoffroy. Quelle élégance, monsieur Vallini !

M. André Vallini. …de l’hystérie nationale qui a fait de la sécurité l’enjeu majeur de la présidentielle de 2002 et donc des législatives qui ont suivi. Trois ans et demi plus tard, non seulement les cités s'embrasent chaque nuit, depuis douze jours, mais, au-delà des statistiques sujettes à caution, chacun voit que ni l'insécurité ni la violence, ni la criminalité ni la délinquance, n'ont vraiment reculé dans notre pays.

M. Jean-Luc Warsmann et M. Guy Geoffroy. C’est faux !

M. André Vallini. Au contraire, les violences aux personnes ne cessent d'augmenter. Est-ce vrai ou pas ? J’ai ici les chiffres d’une enquête de victimation dans la région Île-de-France. Je vous en fais grâce, mais je les tiens à votre disposition.

Monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité, rien n'est plus indispensable que de réprimer la délinquance, et aussi sévèrement que nécessaire. Encore faut-il, si l'on veut vraiment être efficace dans la durée, agir sur ses causes autant que sur ses conséquences, sur les racines du mal autant que sur ses symptômes. Or que faites-vous depuis trois ans et demi ? Exactement le contraire.

M. Guy Geoffroy. Belle caricature !

M. André Vallini. Vous avez créé de nouvelles incriminations contre les squatters alors que ce sont des logements sociaux qu'il faut construire, contre les sans domicile fixe alors que ce sont des centres d'accueil qu'il faut ouvrir, contre les prostitué-e-s alors que ce sont les réseaux du proxénétisme qu'il faut combattre, ou encore contre les jeunes dans les halls d'immeubles alors que ce sont des terrains de sport, des MJC et des associations de quartier qu'il faut multiplier au lieu de leur couper les vivres comme vous l’avez fait depuis trois ans et demi !

M. Guy Geoffroy. Quelle démagogie !

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. C’est caricatural !

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice Il faut être sérieux, monsieur Vallini !

M. André Vallini. M. de Villepin l’a reconnu lui-même à cette tribune avant-hier puisqu’il a décidé de rétablir les crédits que vous aviez coupés aux associations de terrain ! Il a fallu que la France des banlieues s’embrase pour que vous vous rendiez compte des effets néfastes et funestes de votre politique !

À cet égard, la politique de votre gouvernement en direction des jeunes délinquants peut être appréciée aussi à l'aune des crédits très insuffisants de la protection judiciaire de la jeunesse. En effet, les soixante emplois créés en 2006 seront réservés au traitement des mineurs en milieu fermé – centres éducatifs fermés et nouveaux quartiers de mineurs – au détriment du milieu ouvert. Cela étant, je vais vous montrer mon objectivité, monsieur Geoffroy, puisque vous m’avez interpellé indirectement sur les centres éducatifs fermés : nous sommes en train de revoir ce que nous devons penser de ces centres. Certes, l’abus de langage que nous avions dénoncé est maintenu : ils ne sont pas fermés, et s’ils l’étaient ce serait des prisons.

M. le garde des sceaux. Ils ne sont pas ouverts non plus !

M. André Vallini. Ils ne sont pas fermés, ce ne sont pas des prisons, et le système n’est pas forcément mauvais. En Isère, on est en train d’en installer quelques-uns. Il est vrai que les populations y sont très réticentes. Modestement, j’essaie de contribuer à l’implantation de ces centres éducatifs fermés, qui rappellent beaucoup nos centres éducatifs renforcés.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. Il y en aura d’autres pour les récidivistes !

M. André Vallini. Vous voyez que je sais faire la part des choses.

M. le garde des sceaux. Je vous en remercie.

M. André Vallini. Je vais tout de suite tempérer votre contentement, monsieur le ministre, en parlant des juges de proximité : je maintiens que c’est une faillite, un échec total. L’expérience le prouve.

J’en reviens à la protection judiciaire de la jeunesse, aux centres fermés et aux nouveaux quartiers de mineurs. Tout cela est nécessaire, notamment les prisons pour mineurs. Mais quid du milieu ouvert ? Il semble, en plus, que vous n’attendiez pas beaucoup de résultats de cette politique puisqu’aucune évaluation n'est prévue de l'action éducative ou de l'action entreprise en direction des mineurs en danger.

Comme je viens de parler des centres éducatifs fermés et des prisons pour mineurs, je vais parler des prisons proprement dites et de votre politique pénitentiaire. Multiplier le nombre des places de prison sans personnels motivés et bien formés ne sert à rien. Plus généralement, monsieur le ministre, la solution du tout carcéral est une illusion dangereuse…

M. le garde des sceaux. Bien sûr, monsieur Vallini. On est bien d’accord.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Personne ne prétend le contraire !

M. André Vallini. …qui laisse intactes les causes profondes de la violence, a fortiori quand les prisons surpeuplées renvoient dans la société les délinquants, sans autre choix pour eux que la récidive. Avec plus de 62 000 détenus, les prisons sont en fait devenues une machine infernale et la première fabrique de la récidive. La première des priorités serait d'y assurer un suivi et de vrais soins médicaux. 15 % des détenus souffrant de troubles psychiatriques ou de dépendances toxicomaniaques fortes, un véritable dossier de personnalité avec expertise psychologique ou psychiatrique devrait être établi dès l'incarcération et transmis ensuite à chaque nouvelle comparution en justice. Enfin et surtout, comme l’a dit mon collègue Warsmann, il est inconcevable de continuer à permettre des sorties « sèches ». C’est inconcevable et inadmissible !

M. le garde des sceaux. C’est bien mon avis !

M. André Vallini. Chacun sait ici que les services pénitentiaires d’insertion et de probation manquent cruellement de moyens : moins de 10 % des agents de l’administration pénitentiaire sont employés en milieu ouvert, et il n’y a actuellement en France que 2 500 agents au sein des SPIP – les services pénitentiaires d’insertion et de probation – pour suivre environ 130 000 personnes ! 2 500 agents pour 130 000 personnes !

M. Guy Geoffroy. Il y en avait encore moins sous Jospin !

M. André Vallini. Alors que le rapport Warsmann préconise la création de 3 000 postes de personnels de probation, ce sont 330 postes seulement qui ont été créés depuis l’entrée en vigueur de la LOPJ – 200 postes en 2005. Pour 2006, combien en prévoyez-vous, monsieur le ministre ? Quatre-vingts ! M. Warsmann appréciera.

Fin 2004, chaque juge de l’application des peines suivait théoriquement 100 dossiers, mais dans les faits – comme les juges le reconnaissent eux-mêmes – seulement 40 % des dossiers étaient suivis. Aujourd'hui, l'immense majorité des mesures de mise à l'épreuve ne reçoivent même pas un début d'exécution. Au lieu de combler cette pénurie, vous préférez encore pratiquer la fuite en avant législative avec cette fameuse loi sur la récidive…

M. Guy Geoffroy. Excellente loi !

M. André Vallini. …et le fameux bracelet électronique dont nous avons beaucoup parlé hier en commission mixte paritaire au Sénat. J’ai toujours été partisan du bicamérisme.

M. Guy Geoffroy. C’est rare au parti socialiste !

M. André Vallini. Je le suis davantage encore depuis que nous débattons de cette loi sur la récidive : heureusement que les sénateurs de la majorité sont plus sages que vous ! Si la disposition relative au bracelet électronique est adoptée à la fin de la discussion législative, elle coûtera 60 euros par personne et par jour. Elle pourrait s'adresser à 7 000 personnes actuellement emprisonnées, pour un coût de 153 millions d'euros par an !

M. Jean-Christophe Lagarde. Les chiffres changent tous les jours !

M. André Vallini. Imaginez-vous combien de postes de personnels d’insertion et de probation pourraient être créés avec une telle somme ?

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. Ce rapprochement ne veut rien dire !

M. André Vallini. Je ne peux terminer sans évoquer les incidents graves qui, chaque nuit, se déroulent en France depuis une douzaine de jours. Face à de tels phénomènes, l’efficacité commande d'agir avec précocité, intensité et continuité pour identifier et combattre les mécanismes qui conduisent des adolescents de plus en plus jeunes à sombrer dans la violence.

C'est d'abord en combattant les réseaux de la criminalité organisée, et notamment le trafic de stupéfiants, que l'on fera vraiment reculer la délinquance qui en découle dans nos villes et dans nos quartiers.

C'est aussi en y développant la police de proximité, aujourd'hui abandonnée en dépit des résultats reconnus qu'elle avait commencé à obtenir : il fallait laisser à cette œuvre de longue haleine le temps de porter ses fruits. C'est en y « remaillant » le tissu social, notamment grâce au travail des associations, aux dispositifs d'aide aux parents, au soutien des personnels médico-sociaux dans les écoles, à la coordination des services de l'aide sociale à l'enfance, des conseils généraux et la protection judiciaire de la jeunesse que l’on pourra durablement lutter contre la délinquance des mineurs. C'est enfin en menant une vraie politique pénitentiaire, fondée sur la réinsertion des détenus.

S'il faut à l'évidence punir la délinquance aussi sévèrement que nécessaire, monsieur le ministre, il faut aussi savoir la traiter comme le dérèglement d'une société qui, trop souvent, exclut au lieu d'intégrer ou de réinsérer ; une société où les budgets de la solidarité, de l'éducation, de l'insertion ou du logement sont sacrifiés sur l'autel de la baisse des impôts destinée aux plus favorisés.

Il est vrai, monsieur le ministre, que la gauche a mis quelques années à reconnaître la nécessité de la répression. Sous l’impulsion de Lionel Jospin, à partir notamment des assises de Villepinte en 1997, elle a fait son aggiornamento en la matière. Pourquoi la droite ne parvient-elle pas à faire le sien sur la prévention ?

M. Guy Geoffroy. Elle l’a fait depuis longtemps !

M. André Vallini. Cela fait trois ans et demi que vous parlez de la loi sur la prévention : on l’attend toujours ! Le projet est reporté tous les six mois ! Vous accumulez les lois répressives, et ne proposez jamais rien pour la prévention.

M. Jean-Luc Warsmann. La prévention ne relève guère du domaine législatif !

M. André Vallini. Le « tout répressif » peut faire illusion, et même bousculer des statistiques – surtout quand ceux qui sont chargés de les produire sont jugés sur les résultats ! – mais il est voué à l'échec.

Je voudrais citer un propos très juste et très fort sur le terrorisme : « Il faut attaquer le mal à la racine car un certain nombre de choses créent une ambiance favorable au recrutement des terroristes : la pauvreté, l’humiliation, les crises non résolues. Lutter par des moyens strictement militaires est voué à l'échec ». Je fais mienne cette analyse de… Jacques Chirac !

M. Jean-Luc Warsmann. Nous avons un bon Président de la République !

M. André Vallini. Pourquoi M. Chirac n’applique-t-il pas ses idées sur le terrorisme à ce « terrorisme social » qu'est parfois devenue la violence dans les banlieues ? Le terreau est le même : pauvreté, humiliation, crises non résolues. Contre cette violence, la lutte par des moyens strictement policiers se révèlera impuissante à long terme.

Certes, devant l'agitation permanente du ministre de l'intérieur, complaisamment relayée par les médias depuis trois ans et demi, il a été difficile de convaincre l'opinion que cette fuite en avant, loin de répondre à la montée de la violence, risquait de l'aggraver encore. Aujourd'hui, les Français ouvrent les yeux. Le « tout répressif » n’a pas fait reculer la violence, et les provocations verbales n’ont rien arrangé.

M. Jean-Christophe Lagarde. Le « tout répressif » supposerait des moyens ! Comment voulez-vous que nous le pratiquions à partir d’un budget que nous n’avons pas ?

M. André Vallini. La France, monsieur le ministre, est hélas au 23e rang européen pour le budget de la justice. Grâce à une hausse, sans doute insuffisante, de 29 % en cinq ans – de 1997 à 2002 –, nous avions commencé à combler ce retard. Et je dois reconnaître qu’avec votre loi de programmation, en 2002, nous pensions sincèrement que vous souhaitiez continuer dans la même voie. Hélas ! Il n'en est rien : la loi d’orientation et de programmation ne sera pas respectée, comme l’a dit M. Geoffroy tout à l’heure.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Vos propos sont excessifs et dérisoires !

M. André Vallini. La loi doit être appliquée : il faut pour cela lui donner les moyens de l’être. Notre justice traverse en effet une crise de confiance sans précédent.

Il y a quelques mois, je lisais Le Figaro magazine. C’est sans doute votre hebdomadaire préféré : vous voyez, madame Comparini, monsieur Garraud, que j’ai moi aussi de saines lectures. Je ne me borne pas au Nouvel Observateur ! J’ai donc lu dans Le Figaro magazine

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Ce n’est pas un péché !

M. André Vallini. … un sondage indiquant que 70 % de nos concitoyens estimaient que la justice fonctionne mal et 53 % que sa situation s’aggrave.

M. le garde des sceaux. En ce moment, elle prouve le contraire !

M. André Vallini. Le premier président de la Cour de cassation, Monsieur Guy Canivet lui-même – je ne fais aucune délation : je cite les propos publiés dans ce périodique – déclarait : « Ça ne peut pas continuer comme ça ».

Hélas avec votre budget pour 2006, monsieur le ministre, ça va « continuer comme ça » !

M. Jean-Christophe Lagarde. Dommage qu’il n’y ait personne pour applaudir !

M. Jean-Luc Warsmann. Si la situation était si grave, il y aurait sans doute plus d’un député socialiste en séance !

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini.

Mme Anne-Marie Comparini. Comme tout le monde l’a dit, le projet de budget de 2006 pour la justice progresse. La part de la justice représente donc aujourd'hui, d’après le périmètre évoqué par M. Albertini, plus de 2,13 % du budget de l'État, après s'être établi à 1,81 % en 2002.

Le groupe de l’UDF se félicite de cette progression : elle correspond au souhait, formulé par l’un de mes collègues dès 2002, de voir la justice dotée de moyens financiers conséquents, à hauteur de 2,5 % du budget de l'État. Nous y sommes presque.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

Mme Anne-Marie Comparini. Mais prévision ne veut pas dire réalisation. Aussi évoquerai-je certains domaines pour lesquels il est indispensable d’investir.

Pour la justice judiciaire, dont l'un des enjeux majeurs est la création d'emplois, le mouvement de renforcement des personnels se poursuit : 930 magistrats et greffiers rejoindront les juridictions en 2006. Voilà qui est positif.

Cependant, le taux d'exécution de la loi de programmation accuse un retard, déjà déploré l’an dernier par notre groupe. Vous nous objecterez peut-être, monsieur le garde des sceaux, que la durée de formation des greffiers n'a pas permis l'accompagnement des nominations de magistrats.

M. Jean-Luc Warsmann. Cette durée a été allongée !

Mme Anne-Marie Comparini. Nous pouvons le comprendre. Mais il faut impérativement accélérer les recrutements de personnels en juridiction, si nous voulons réduire le délai de traitement des affaires et améliorer le taux d'exécution des peines. C'est une exigence. La faiblesse des recrutements ne doit pas rendre les améliorations lentes à venir, d’autant plus que les magistrats doivent absorber les incessantes réformes que nous produisons et intégrer notre « inflation législative » dans leur charge d'activité.

Nous en parlons souvent et M. le rapporteur Albertini le rappelait ce matin : avant toute réforme, il faut réfléchir à l'efficacité des mesures existantes – trop souvent, l'arsenal pénal existe déjà – et évaluer l'impact des nouvelles propositions. Je le redirai aujourd’hui, en espérant que ce ne soit pas un vœu pieux.

Deuxième enjeu : l'engagement d'efficacité de la justice au service des citoyens. C’est déjà le cas : vous avez raison, monsieur le garde des sceaux, de le souligner. Dans les douloureux événements des deux dernières semaines, les Français ont pu constater la qualité de leur police, mais aussi de leur justice.

M. le garde des sceaux. Très bien !

Mme Anne-Marie Comparini. Les moyens nouveaux qu’offre le projet de budget pour 2006 iront de pair avec la mise en œuvre de mesures visant à améliorer son fonctionnement par une gestion plus libre des crédits. Il faut se féliciter de cette déconcentration.

Mais comme toujours dans notre pays – vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux – l'État peine à aller au bout de ses délégations et à faire confiance à ses représentants : il ne donne souvent que des responsabilités limitées – pour ne pas dire une « liberté surveillée ». En l’espèce, la marge de manœuvre sur les crédits sera faible ; le concept de plafond d'emplois risque d’être pénalisant et les règles de gestion des frais de justice mériteraient à mon sens d’être revues : la dyarchie de gestion pourrait en effet être un frein à la décision et les crédits limitatifs risquent de contrecarrer l'apport de la science à l'élucidation des enquêtes.

Je connais les mesures que vous avez prises pour garantir la bonne gestion des marchés relatifs aux écoutes téléphoniques. Il faut néanmoins nous interroger sur l’enveloppe de 370 millions d'euros : est-elle suffisante ? Les dépenses pour 2005 sont en effet estimées – la liquidation n’a pas encore eu lieu – à 500 millions et l'utilisation des techniques les plus avancées est désormais incontournable dans les investigations.

Venons-en à l'administration pénitentiaire, et pour commencer à nos prisons. Tout le monde connaît la gravité d’une situation qui rejaillit sur la profession et la vie des personnels pénitentiaires, ainsi que l'état des locaux, indigne du traitement humain auquel ont droit les détenus.

L'effort engagé par la loi de programmation se maintient et portera à 73 % le taux d'exécution de recrutement des personnels. De même, les crédits accordés pour la construction d'établissements pour majeurs délinquants et pour mineurs sont à un niveau satisfaisant.

Mais il y a tant à faire, monsieur le garde des sceaux, qu'il importe de veiller à ce que les engagements soient respectés et les constructions réalisées dans les temps. Nous ne pouvons décemment garder des prisons du XIXe siècle, dans lesquelles s'entasse, au mépris de toute humanité, une telle surpopulation. Il faut agir si nous voulons lutter contre la récidive : la prison est aujourd'hui criminogène.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

Mme Anne-Marie Comparini. Par exemple, comme l’a suggéré Mme Tabarot, pourquoi ne pas multiplier le nombre d'unités expérimentales de vie familiale ? Celles-ci ont montré l'effet bénéfique qu'elles pouvaient apporter en retissant des liens familiaux distendus.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

Mme Anne-Marie Comparini. Seules trois prisons françaises en disposent aujourd’hui. Pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous donner des garanties en la matière ?

Autre orientation importante à notre sens : le suivi socio-judiciaire et les aménagements de peine. Si le projet de budget prévoit bien des créations d'emplois et une réforme statutaire, tout espoir disparaît d'assurer la réinsertion des délinquants, faute de moyens financiers et humains suffisants – je pense notamment aux personnels d'insertion et de probation ou aux médecins coordonnateurs.

Ainsi nous ne pouvons nous satisfaire de la création de 80 postes de travailleurs sociaux car la carence est trop importante, et notre collègue Warsmann l’avait à juste titre dénoncée dans un rapport.

M. le garde des sceaux. Il est vrai que le rapport Warsmann m’a fait beaucoup de mal ! (Sourires.)

M. Jean-Luc Warsmann. J’ai plutôt le sentiment qu’il va vous aider !

Mme Anne-Marie Comparini. Nous aurions souhaité, monsieur le garde des sceaux, une réelle volonté de pallier ce manque criant ; le rapport entre le nombre de travailleurs sociaux et celui des détenus est vraiment trop faible !

Enfin, s’agissant de la protection de la jeunesse, les événements de ces deux dernières semaines doivent nous faire réfléchir. Jean-Christophe Lagarde en parlera au nom du groupe UDF. Permettez-moi, cependant, deux remarques.

Le premier ministre insistait mardi après-midi, ici même, sur la nécessité de renforcer le pouvoir des maires. Ne peut-on transférer ce que l’on appelle improprement les « éducateurs de rue » aux communes qui le souhaitent ? Cela permettrait de rendre plus cohérente l'action destinée à suivre les jeunes en voie de marginalisation.

Deuxième remarque, ne peut-on inscrire l'opération « Défense deuxième chance » dans la politique globale de resocialisation de ces mêmes jeunes ? Je pense que c’est une piste à envisager.

Pour le groupe UDF, il est nécessaire et urgent d’améliorer l'efficacité de la justice et de lui donner les moyens de mieux exécuter les décisions pénales sont des orientations urgentes et nécessaires. Ces orientations passent, sans doute, par la loi mais la solution législative n'est pas tout. D'ailleurs, lorsqu'on regarde l'actualité des derniers mois, on a l'impression que la France se fait une spécialité de n'apporter à chaque événement, aussi douloureux fût-il, qu'une réponse législative, trop souvent décidée sans bilan précis sur les textes déjà votés, sans aucune assurance quant aux moyens. Bien sûr, ce n'est pas nouveau puisqu'en cinquante ans, vingt-trois réformes de procédures ont été effectuées.

Cette analyse, je le sais, est largement partagée et elle montre que les orientations passent aussi par une solution budgétaire. Elle est inévitable. Hier matin, dans le groupe d’études sur les conditions carcérales et les prisons, présidé par Mme Boutin, nous nous interrogions sur le coût d’un détenu. Savez-vous qu’en France, il est faible – 20 000 euros – comparé à ce qu’il est en Italie – 44 000 euros – et en Grande-Bretagne – 69 000 euros ? Voilà qui confirme les besoins de la chaîne pénale dans notre pays.

Mais augmenter crédits et effectifs ne saurait être une fin en soi. Il est illusoire de penser que cela seul remédierait à la délinquance, pas plus d’ailleurs que le tout répressif, vous le disiez ce matin, monsieur le garde des sceaux, au cours d’une émission de radio, que nous étions nombreux à écouter. N’oublions pas que la solution passe aussi par l'application de peines alternatives à l'incarcération et faisons aussi en sorte de corriger, en urgence, les insuffisances de la réinsertion, en proposant une activité à chaque détenu, formation ou travail, ou formation et travail, et en interdisant toute « sortie sèche », sans formation, sans mesures de libération conditionnelle et de suivi.

M. Jean-Luc Warsmann. Très bien !

Mme Anne-Marie Comparini. Un budget n'est que la traduction d'une politique et d'une vision. La nôtre est grande pour la justice, pilier de la République. Voilà pourquoi, une nouvelle fois, au nom du groupe UDF, j'insiste sur la nécessité de donner à tous les professionnels de la chaîne pénale les moyens de remplir leur mission au service de la société qui a, en ce domaine, de fortes attentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le garde des sceaux. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, en commençant cette intervention, avoir une pensée pour les fonctionnaires du ministère de la justice qui, dans les moments douloureux que vit notre pays, ont été sollicités, alors que les tribunaux sont déjà souvent surchargés de travail et les établissements pénitentiaires parfois surpeuplés. Tous ont répondu présent, remplissant la tâche que le pays attendait d’eux.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. le garde des sceaux. Merci, monsieur Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann. Je ferai un constat et présenterai une proposition.

Le constat, c’est que vous avez fait, monsieur le ministre, de la maîtrise des frais de justice, une de vos priorités. Je tiens à vous en féliciter, car la situation à cet égard était abusive et elle ne pouvait pas durer. Depuis 2001, les frais de justice se sont accrus de 20 % par an. Ils ont atteint 420 millions d’euros en 2004 et on s’attend à un total de 490 millions d’euros en 2005. Or les intérêts de l’État n’ont jamais été bien défendus. Je pense notamment aux prestations demandées aux opérateurs téléphoniques, avec lesquels l’État n’a jamais mené de négociations, si bien que ses services payaient des factures parfois scandaleuses : 9 euros pour la simple consultation d’un fichier afin d’identifier le titulaire d’un numéro de téléphone !

M. Jean-Christophe LagardeC’est rigoureusement exact !

M. Jean-Luc Warsmann. Il est légitime que les magistrats soient libres de recourir à l’ensemble des moyens techniques et scientifiques. Il n’est pas question de les limiter. Et il est logique que ce recours se développe, car les écoutes téléphoniques, par exemple, sont des outils très utiles pour lutter contre certains types de délinquance. Quant aux empreintes ADN, elles aussi, se révèlent indispensables. Mais l’État doit négocier. Les ondes, rappelons-le, relève du domaine public, il est donc paradoxal que l’État, je le répète, paye sans négocier les opérateurs téléphoniques ! On m’a dit que l’État payait jusqu’à 300 euros une empreinte génétique. Vous avez, monsieur le garde des sceaux, lancé un appel d’offres qui a permis de ramener ce coût largement en dessous de 100 euros : c’est dire la gabegie qui a régné auparavant !

Félicitations, par conséquent, pour vous être engagé dans ce combat. Continuez à être aussi actif, vous avez l’entier soutien du Parlement.

En second lieu, je vous propose de faire de l’année 2006, l’année de l’exécution des décisions de justice et de l’exécution des peines. Le principe est clair : dès lors qu’un tribunal a rendu une décision au nom du peuple français, il n’est pas acceptable qu’elle ne soit pas mise à exécution. Nous en sommes tous tellement convaincus que nous avons voté ce principe dans la loi Perben II. Je rends hommage à votre prédécesseur qui avait accepté ces amendements. Le nouvel article 474 du code de procédure pénale prévoit désormais que lorsqu’une personne est condamnée à une peine de prison ferme, elle est convoquée devant le juge d’application des peines dans les trente jours qui suivent le jugement.

Nous avons également voté l’article 707-2 du code de procédure pénale qui édicte qu’une personne condamnée à une amende, par exemple par un tribunal correctionnel, pourra bénéficier d’une réduction de 20 % si elle la règle dans le mois.

L’exécution d’une décision de justice doit se faire dans le mois qui suit !

Au niveau législatif, nous avons fait tout ce que nous pouvions : les principes sont dans la loi. Et la date d’application – je parle de la convocation dans les trente jours – a été fixée au 1er janvier 2007. Peut-on, aujourd’hui, envisager qu’elle soit respectée ? Je pense que non et deux exemples vous le prouveront.

J’ai sous les yeux le tableau de l’exécution des peines du tribunal correctionnel d’Évry, au 13 octobre 2005. Lorsqu’une personne y est condamnée à une peine de prison ferme, si elle est présente à l’audience, le délai moyen avant sa mise à exécution est de onze mois ; si elle est absente, il est de vingt-quatre mois.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est toujours ça de gagné !

M. Jean-Luc Warsmann. Pour le dire autrement, le 13 octobre 2005, les dates des audiences les plus anciennes non encore mises à exécution pour les personnes condamnées non présentes, étaient le 22 janvier 2003 et le 21 mai 2003. C’est clair : pour toutes les personnes condamnées, sans être présentes, depuis le 25 mai 2003, rien ne s’était encore passé !

Cette situation est totalement inacceptable. Cela n’a aucun sens de faire travailler nos fonctionnaires de police et de gendarmerie, puis nos magistrats, si leurs décisions ne sont pas exécutées. Et puis, osons le dire, nous avons affaire à des personnes qui, souvent, manquent de repères. Or condamner quelqu’un sans lui faire exécuter sa peine, c’est diffuser un sentiment d’impunité.

En matière d’amendes, la situation est du même acabit. Nous avions voté, toujours dans la loi Perben II, une disposition obligeant les trésoriers-payeurs généraux, à rendre public un rapport annuel sur le taux de recouvrement des amendes. J’ai sous les yeux celui de M. le trésorier-payeur général de la Seine-Saint-Denis, qui date d’avril 2005 et est adressé à M. le procureur de la République de Bobigny. J’en extrais un ou deux chiffres.

Au 31 décembre 2004, pour les amendes correctionnelles prononcées par le tribunal de Bobigny, le taux de paiement brut s’élève à 6,73 % contre un taux national de 16,5 %.

M. Jean-Christophe Lagarde. Scandaleux !

M. Jean-Luc Warsmann. Ce n’est pas admissible non plus. D’autant qu’il ne s’agit pas d’infractions mineures – véhicule mal garé, par exemple – mais de délits, pour lesquels les magistrats ont jugé que l’amende était la sanction adéquate.

On ne peut continuer ainsi. Au niveau national, on estime à 250 000 le nombre de jugements de tribunaux correctionnels qui sont en attente dans des cartons. Loin de moi l’idée de vous en faire reproche, monsieur le ministre, moi que les propos de notre collègue, André Vallini, ont un peu choqué. En 2002, quand notre majorité est arrivée au pouvoir, le retard était de sept mois ! Que l’on n’attribue pas la situation actuelle à vous ou à votre prédécesseur : elle fait partie de l’héritage !

Il faut maintenant trouver des solutions. Cela a été dit, je pense que votre budget marque beaucoup d’avancées. Il traduit l’application de la loi d’orientation et de programmation pour la justice. Il faut vous en rendre grâce. Vous avez obtenu des arbitrages qui vont permettre d’améliorer le fonctionnement de la justice. Mais, je le dis avec la même sincérité, avec ce budget, il est impossible de résoudre le problème de l’exécution des peines. Vous aurez un peu de marge de manœuvre grâce aux magistrats qui vont sortir de l’école et que vous pourrez orienter à cet effet. Vous pouvez attendre une légère amélioration aussi en matière de greffiers.

M. le garde des sceaux. J’en ai 600 !

M. Jean-Luc Warsmann. Mais il en manque, ainsi que des fonctionnaires de justice de catégorie C.

Quand bien même on créerait des postes de magistrats supplémentaires, ils ne seraient opérationnels que dans trois ans. Cela ne répondrait pas à l’urgence.

Vos services, monsieur le ministre, ont organisé un concours pour recruter des fonctionnaires de catégorie C. Plusieurs centaines de lauréats figurent en liste complémentaire : voilà une réserve de recrutements rapides, pour renforcer tous les services d’exécution des peines qui ont besoin de plusieurs centaines de postes supplémentaires,…

M. le garde des sceaux. Vous les aurez !

M. Jean-Luc Warsmann. …lesquels peuvent être occupés en partie par des contractuels – parlons clair –, pendant un an par exemple, pour vous permettre de donner l’impulsion à tous les tribunaux du pays…

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Surtout ceux qui sont saturés !

M. Jean-Luc Warsmann. …et résorber les stocks.

Il faut aussi des renforts dans les services d’insertion et de probation parce que si vous mettez à exécution, dans le courant de l’année 2006, les peines en retard – dix-huit mois en douze mois ! – il faut renforcer toute la chaîne pénale. Sans quoi ces services pénitentiaires d’insertion et de probation, qui sont déjà dans une situation extrêmement tendue, exploseront littéralement sous la masse de travail.

Vous êtes donc sur la bonne voie, monsieur le ministre. Il faudra que, dans la suite de la discussion budgétaire, le Gouvernement nous propose des moyens supplémentaires, par le biais d’amendements ou par toutes voies qu’il jugera utiles. Je le répète, nous avons besoin de ces moyens. La bonne méthode, c’est de vous les donner à vous pour que, ensuite, le ministère de la justice puisse en quelque sorte passer des contrats d’objectifs avec chaque juridiction. Il faut qu’enfin, au 31 décembre 2006, chaque tribunal du pays dispose d’un bureau d’exécution des peines, et qu’à partir du 1er janvier 2007, toute personne qui sera jugée par un tribunal correctionnel en sorte avec, à la main, la convocation qui met en exécution le jugement, soit pour payer l’amende, soit pour rencontrer le juge d’application des peines ou un conseiller d’insertion et de probation afin d’exécuter un TIG ou d’être placée sous le régime du sursis avec mise à l’épreuve.

Ce serait une petite révolution après des décennies de carences. Monsieur le ministre, faites vôtre cette ambition et vous aurez ainsi fait avancer considérablement le système judiciaire français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Anne-Marie Comparini ayant exposé la position de notre groupe, je vous ferai part de mes propres réflexions, en accord total avec celles de Jean-Luc Warsmann.

Ainsi que je vous en ai fait part lors de votre audition devant la commission des lois, monsieur le garde des sceaux, votre projet de budget de la justice pour 2006 est globalement un bon budget, et je tiens à exprimer devant la représentation nationale ma satisfaction de constater qu'après trois années d'imprécisions, il y a enfin un véritable pilotage de la politique de la justice dans notre pays.

Cela étant, un budget peut toujours être amélioré. Il faudrait recruter encore plus de fonctionnaires pour faire appliquer les décisions de justice. En tout cas, bien qu’avec un peu de retard, nous allons dans le bon sens, et je salue les efforts accomplis en matière de gestion, assez rares dans l'administration pour être soulignés. Ainsi, j'approuve votre volonté de responsabiliser les chefs de cours, de même que la nécessité de mieux connaître les coûts. J’approuve également qu’on se pose enfin la question de savoir, pour atteindre un objectif, quels moyens y affecter. Je citerai l’exemple des écoutes téléphoniques et des demandes d’identification sur lesquelles, n’ayons pas peur des mots, l’État se faisait racketter depuis des années. Lorsque nous donnons des concessions de service public à des opérateurs téléphoniques, il conviendrait d’imposer dans le cahier des charges la gratuité lorsqu’il s’agit des besoins de la justice. Cela étant, vous avez fait avancer les choses et économisé intelligemment l’argent de la République. C’est si rare de nos jours que cela doit être dit !

En tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, je tiens à ce que, comme vous nous l'avez indiqué, les nouveaux postes qui seront créés en 2006 aillent bien là où les besoins sont les plus criants. Le tribunal de Bobigny – où, monsieur le ministre, vous vous êtes rendu vendredi dernier –, deuxième tribunal de France en termes d'affaires traitées, fait partie des juridictions les plus sinistrées.

Je souhaite également souligner l'urgence d'une politique de prise en charge des mineurs. Les centres éducatifs renforcés et les centres éducatifs fermés peuvent obtenir de bons résultats. Des mesures dérogatoires ayant été prises par cette majorité en 2002 pour leur construction, il convient d'agir rapidement en ce domaine. Mais aujourd'hui, malgré l'urgence, les magistrats rechignent à y envoyer les jeunes justiciables, faute de volonté, ou de place dans certaines régions. J'ai ainsi été surpris d'entendre la semaine dernière à la radio qu'il y avait en région parisienne une cinquantaine de places inoccupées dans les centres éducatifs renforcés et dans les centres éducatifs fermés. Pouvez-vous, monsieur le ministre, confirmer cette information ?

Je souhaiterais également souligner une certaine carence du système de protection judiciaire de la jeunesse. La protection judiciaire de la jeunesse du département de Seine-Saint-Denis doit faire face à un réel problème d'effectifs, alors que le tribunal de Bobigny est le premier tribunal de France en termes d'affaires traitées en matière de protection de la jeunesse. Il n'y a que douze juges pour enfants pour tout le département, alors que de nombreux jeunes sont en danger, qu'ils soient victimes de mauvais traitements ou qu’ils se trouvent sur la voie de la délinquance.

Lorsqu'il s'agit de victimes, le signalement d'un enfant en danger met plusieurs mois pour déboucher sur une mesure de placement judiciaire ou de protection. Ce problème se retrouve sans doute dans d'autres régions, mais, dans certains départements où les difficultés familiales sont plus importantes, les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse doivent être renforcés. Nous avons vécu des drames dans mon département et, dans ma commune qui compte 62 000 habitants, nous avons récemment connu trois cas ou la PJJ n'a pas pu agir à temps. Mais comment douze juges pour enfants pourraient-ils traiter à eux seuls des milliers de cas et agir dans des situations extrêmement compliquées ?

Lorsqu’il s'agit de délinquance juvénile, l'incroyable indulgence à répétition des magistrats du tribunal pour enfants de Bobigny pose un réel problème et aboutit à un sentiment d'impunité qui, d'une part, ne dissuade pas les jeunes délinquants et, d'autre part, révolte légitimement les victimes qui perdent confiance en la justice de notre pays. Cela détisse le lien social. À ce propos, savez-vous comment les juges du tribunal de Bobigny sont surnommés par les jeunes délinquants qui comparaissent devant eux ? Ils les appellent les « Papa Noël » parce que l’on entre dans leur cabinet la peur au ventre et que l’on en sort avec le sourire, les magistrats ne sanctionnant quasiment jamais les délinquants. Quand des gamins de douze, treize ou quatorze ans ont accumulé vingt, trente, quarante, voire soixante gardes à vue et passages devant le juge sur des faits constatés et n'ont jamais été sanctionnés que par des rappels à la loi, si nombreux qu'ils en deviennent inutiles, bien évidemment, cela pose problème.

Je tiens à saluer le nouveau procureur de la République de Bobigny, notamment pour l’action qu’il a menée ces dernières semaines, ainsi que tous les magistrats du tribunal qui ont fort à faire en ce moment, malgré la carence des moyens. Il réunit régulièrement les maires du département, ce qui est indispensable pour appréhender collectivement ce qui se passe dans nos villes. J’estime que le président du TGI et celui du tribunal pour enfants devraient faire de même. Hélas, seul le procureur le fait. À ce titre, M. Molins a grandement innové dans notre département : depuis huit ans, jamais les élus n’avaient pu rencontrer les responsables du parquet !

Lors d'un récent déplacement au tribunal de Bobigny pour rencontrer le procureur de la République, M. Molins, Jean-Pierre Brard, qu’on ne peut soupçonner d’être un partisan du tout répressif, expliquait que, dans sa ville, un jeune a pu être envoyé soixante-sept fois devant le juge des enfants sans qu'il y ait la moindre sanction ou mesure de placement.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. Eh oui !

M. Jean-Christophe Lagarde. Dans ma commune, qui compte 62 000 habitants, un groupe de cinq mineurs est responsable à lui seul, sur une année, d'un mois entier de délinquance pour toute la ville.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Triste record !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pourtant, aucune sanction n'est jamais tombée et aucune mesure de placement n'a été prise.

Or, monsieur le ministre, je ne comprends pas pourquoi, lorsqu’on est âgé de moins de treize ans et que l'on commet des délits à répétition, il ne s'ensuit pas une mesure de placement pour un temps suffisamment long afin d'extraire ces jeunes de l'environnement qui les conduit à agir ainsi et d'un milieu familial qui ne parvient plus à les maîtriser. Les parents, eux aussi, ont besoin d’aide, car ils deviennent victimes d’enfants qu’ils ne savent plus maîtriser, même si on doit les considérer comme responsables. Lorsqu’ils ne savent plus quoi faire, c’est à l’État d’agir à leur place. Laisser faire et ne pas prendre en charge ces mineurs, c'est tout simplement de la non-assistance à adolescents en danger, sans parler des nombreuses victimes qui ne peuvent faire face aux délits qu’ils subissent. On laisse des gamins complètement perdus vivre dans un milieu qui ne peut aboutir qu’à en faire des multirécidivistes.

La société agit comme si elle attendait, impuissante, que les délinquants dérivent encore davantage jusqu’à atteindre l’âge de dix-huit ans pour les envoyer en prison, où ils feront des entrées et des sorties durant toute leur vie. La vraie éducation passe aussi par la sanction.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Avant dix-huit ans !

M. Jean-Christophe Lagarde. Les deux sont nécessaires et vous le savez, monsieur le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Absolument !

M. Jean-Christophe Lagarde. C'est avant dix-huit ans qu'il convient d'agir monsieur le ministre, afin de sortir les jeunes de cette spirale de la délinquance.

M. le garde des sceaux. Tout à fait !

M. Jean-Christophe Lagarde. Il y a plusieurs semaines, je vous ai alerté sur ce sujet lors de l’examen de la proposition de loi relative à la prévention de la récidive. Vous avez indiqué que les mineurs pouvaient être considérés comme des récidivistes et que les sanctions légales devaient être modifiées. C’est une avancée. En effet, les peines applicables aux majeurs en état de récidive légale ne sont pas appliquées aux mineurs qui bénéficient des dispositions d'atténuation de responsabilité pénale. Si je ne souhaite pas que l'on remette en cause ces dispositions dans le cas d'une première ou d’une seconde infraction, j'estime que cet automatisme n'est pas acceptable en cas de réitération ou de récidive. En effet, il importe que le mineur déjà condamné pour des faits graves puisse être informé par le juge et, à travers lui, par la société tout entière, que les mesures de clémence dont il a bénéficié une première fois, voire une seconde, ne joueront plus en cas de récidive.

J'estime donc, monsieur le ministre, qu'il est urgent de prendre en compte la récidive des mineurs au même titre que celle des majeurs, comme vous avez souhaité le faire. Continuons dans cette voie. Il est en effet anormal qu'un jeune délinquant puisse faire l'objet de multiples rappels à la loi sans qu'aucune sanction ou mesure éducative ne les accompagnent. Il y va de la crédibilité de notre système judiciaire.

S'il ne peut y avoir de sanction sans explication, l'explication seule ne sert à rien face à la récidive. Elle finit par donner aux enfants le sentiment que la société est faible et qu’ils seront les plus forts : on en voit les résultats depuis plusieurs jours, d’abord en Seine-Saint-Denis, puis dans la région Ile-de-France et dans la France entière. Rien ne sert d’expliquer s’il n’y a pas, à un moment donné, la sanction proportionnée indiquant les limites et les bornes fixées par la société.

Sous la pression des événements, les magistrats sanctionnent désormais avec fermeté. Monsieur le garde des sceaux, connaissez-vous le résultat de cette nouvelle attitude ? Dans les quartiers les plus difficiles à gérer ces derniers jours, on entend les jeunes demander : « Vous avez vu les peines qui tombent ? » Ils en sont surpris et apeurés.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. C’est le début de la sagesse !

M. Jean-Christophe Lagarde. Si de telles mesures avaient été appliquées précédemment, si nous n’avions pas assisté à dix ans de non-suivi judiciaire de ces enfants, nous n’en serions pas là !

Par ailleurs, il nous faudra travailler de nouveau sur l’ordonnance de 1945, car son application par les magistrats n’est pas satisfaisante. Mais sans doute avons-nous encore des adaptations à faire : les enfants de 2005 ne ressemblent pas à ceux de 1945. À treize ou quatorze ans, aujourd’hui, on ne peut être considéré comme aussi responsable qu’un adulte, mais on ne peut pas non plus être totalement exonéré de sa responsabilité. Ce principe de responsabilité est inscrit dans les textes, mais n’est pas appliqué dans les faits.

Pour conclure mon propos, je souhaiterais vous faire part d'une réflexion, que j’ai livrée au ministre de l’intérieur et à laquelle j’ai cru comprendre, monsieur le garde des sceaux, que vous étiez favorable. Il faut assurer la sécurité dans certains tribunaux. Or les policiers qui s’y trouvent aujourd’hui ne permettent pas de le faire. Comme je l’explique chaque année au ministre de l’intérieur, les compagnies de CRS, qui sont fort peu mobilisés pour le maintien de l’ordre – sauf ces temps-ci –, seraient bien employées à protéger certains palais de justice. Vous avez pu voir, lors de votre déplacement au tribunal de Bobigny, monsieur le ministre, combien il y est difficile pour les magistrats de rendre la justice, sous la pression d’individus qui ne respectent plus les règles. Comment les magistrats pourraient-ils faire respecter la loi alors que, dans les tribunaux, ils craignent parfois ceux qu’ils jugent et ne parviennent pas à faire respecter leur fonction et la délégation que leur a donnée la société ?

En conclusion, je dirai que ce projet de budget donne des moyens nouveaux avec des directives plus claires, dans le souci, non de la seule économie, mais de l'équilibre entre le but à atteindre et les moyens pour y parvenir. Les crédits ne peuvent suffire sans une nouvelle orientation de la politique pénale pour faire respecter l’ordre dans nos tribunaux, sans une refonte des lois relatives à la délinquance des mineurs, sans un échange régulier entre les élus locaux et les magistrats du siège et du parquet afin que chacun évalue au mieux la situation. Cela est indispensable pour que soient respectées la paix civile et la confiance dans nos règles républicaines. ((Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le garde des sceaux et M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Émile Blessig, dernier orateur inscrit.

M. Émile Blessig. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette discussion illustre bien la nécessité de concilier le débat sur les moyens dans une perspective politique générale et les événements que nous connaissons depuis plusieurs jours, excellemment retracés par plusieurs intervenants.

Indépendamment de la pression du court terme, cette discussion se situe dans un cadre radicalement nouveau. D’une part, en raison de la LOLF, puisque l’on ne raisonne plus exclusivement en termes de chiffres et de moyens, mais en termes d’objectifs et de résultats. D’autre part, en raison d’une situation difficile, de retards à rattraper, de prévisions à effectuer, concernant notamment les effectifs de magistrats qui doivent être en adéquation avec une société, de plus en plus complexe, qui se judiciarise.

J’entends plusieurs de mes collègues raisonner en termes d’emplois, mais il s’agit d’une notion désormais obsolète : la LOLF nous invite en effet à parler d’équivalents temps plein travaillés, ce qui constitue une petite révolution. Ainsi, les 90 départs à la retraite de magistrats correspondent à seulement 52,5 équivalents temps plein, et les 279 magistrats nouvellement recrutés à 93 équivalents temps plein. Nous savons toutefois, compte tenu de l’évolution démographique, que les départs en retraite vont beaucoup augmenter à partir de 2007 et qu’ils seront massifs en 2012. La réponse à cette situation passe par des mesures d’organisation et des mesures de recrutement.

En ce qui concerne l’organisation, l’annexe de la loi de programmation proposait de limiter la participation des magistrats de l’ordre judiciaire à des commissions administratives. Où en est-on ? Dans la répartition des postes de magistrats, on voit que 251 équivalents temps plein travaillés sont affectés à l’action « Soutien », c’est-à-dire à des tâches non juridictionnelles. À quoi correspondent exactement ces postes ? De quelles marges de manœuvre disposons-nous vraiment ?

S’agissant du recrutement, une augmentation de l’effort est nécessaire, mais nous devons nous garder de dévaloriser le concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature. C’est pourquoi il convient de réfléchir dès à présent à des mesures complémentaires.

La mise en place des juges de proximité répond à cette logique. Monsieur le garde des sceaux, quel bilan peut-il être fait de l’impact de cette réforme sur l’amélioration de notre système judiciaire ? En matière pénale, la loi du 31 décembre 2004 a permis de compléter les effectifs des chambres correctionnelles avec des juges de proximité, ce qui a permis de développer la collégialité, garantie essentielle pour le justiciable.

Enfin, je souhaiterais attirer votre attention sur un système qui me tient à cœur, celui de l’échevinage, qui est justement une façon de garantir le principe de collégialité.

Cette solution a été avancée par le Sénat : dans son rapport de juillet 2002 sur l’évolution des métiers de la justice, celui-ci suggère que l’échevinage soit étendu dans les juridictions civiles et pénales de droit commun. Tout en reconnaissant que cette proposition ne fait pas l’unanimité, les sénateurs estiment qu’elle devrait être étudiée par le biais d’expérimentations. Cela permettrait de se rendre compte de l’efficacité d’une telle mesure et de réfléchir au mode de sélection des échevins. Il y a dans notre société de nombreux seniors qui pourraient, en travaillant à temps partiel, offrir leur participation à une justice rendue ainsi plus citoyenne.

Ce système ne serait pas une révolution. L’échevinage existe déjà, non seulement en Alsace et en Moselle – en particulier dans les chambres commerciales –, mais aussi dans les tribunaux pour enfants ou dans les juridictions prud’homales, en ce qui concerne le juge départiteur.

L’effort de recrutement d’un magistrat suppose une formation adéquate. Nous avons vu, notamment dans le secteur de la santé, que faute de prévoir et d’organiser en temps voulu les filières de formation, on peut se retrouver dans des situations extrêmement difficiles.

Mme Anne-Marie Comparini. C’est vrai.

M. Émile Blessig. Il serait regrettable de voir une telle situation se reproduire en matière judiciaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Rappel au règlement

M. Pierre Cardo. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Pierre Cardo, pour un rappel au règlement. En vertu de quel article, monsieur Cardo ?

M. Pierre Cardo. De l’article 58, alinéa 1, monsieur le président.

M. Jean-Christophe Lagarde. Excellent article !

M. le président. La prochaine fois, monsieur Cardo, essayez de trouver une référence plus appropriée.

Vous avez la parole.

M. Pierre Cardo. Monsieur le président, au sujet des graves événements auxquels nous devons faire face depuis plus d’une dizaine de jours, le Président de la République, le Premier ministre et les différents ministres concernés ont fait plusieurs déclarations et évoqué les réponses susceptibles d’être apportées par les services de l’État pour tenter de ramener le calme. M. le garde des sceaux a ainsi transmis un certain nombre d’instructions à ses services. Or toutes ces déclarations insistent sur l’importance jouée par les maires, dont on souhaite même renforcer le rôle en lui attribuant de nouveaux pouvoirs. Même le débat d’aujourd’hui est l’occasion de souligner ce rôle, quand il est question, par exemple, des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, dans lesquels le maire est systématiquement en première ligne.

Pour ma part, je crois que les élus locaux ont un rôle essentiel à jouer. Comme beaucoup d’entre vous, j’habite ma ville.

Mme Anne-Marie Comparini et M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Pierre Cardo. J’ai mes gosses à l’école locale, ce qui n’est pas le cas de la plupart de ceux qui interviennent dans les quartiers. Je suis présent dans ma ville tous les jours – et toutes les nuits.

Or je découvre que l’on envoie des hélicoptères alors qu’il ne se passe rien. J’apprends que l’on envisage d’instituer un couvre-feu, sans jamais avoir demandé mon avis – dont on ne tient de toute façon jamais compte. Et je dois procéder à de nombreuses démarches pour obtenir que l’on y renonce. Je me demande dans quel pays nous vivons !

M. Jean-Christophe Lagarde et Mme Anne-Marie Comparini. Absolument !

M. Pierre Cardo. Nous sommes pourtant les mieux placés pour tenter de ramener la paix civile. L’ordre public, n’est pas du ressort du maire, d’accord, mais la paix civile, oui. Car si le maire ne peut pas établir le dialogue, qui va le faire ? Or on sait pertinemment que la reprise du dialogue est une condition de l’apaisement des tensions. C’est ce que l’on attend de nous.

M. Gérard Léonard. En effet !

M. Pierre Cardo. Depuis dix jours, pour éviter tout incident, j’ai chassé les équipes de télévision de ma commune. On sait très bien, en effet, qu’elles montrent plutôt les flammes que les cendres.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il a raison !

M. Pierre Cardo. J’ai notamment pu le constater lors des émeutes que j’ai vécues en 1990, 1991 et 1992 : ces équipes ont tendance à exciter les esprits.

Or qu’est-ce que j’apprends ce matin, par hasard, en allant au bistro ? Qu’une équipe de télévision doit tourner dans un des deux collèges de ma ville – comme par hasard, celui qui connaît le plus de difficultés, et pour lequel nous développons, en lien avec le ministère de la justice et l’éducation nationale, des projets de contrats de réussite éducative. M. le recteur a lui-même donné, hier soir, depuis Versailles, son autorisation pour que cette équipe intervienne, afin de faire un reportage sur – devinez quoi ? – les zones d’éducation prioritaires. Est-ce le recteur qui a choisi l’établissement ? Non, c’est l’équipe de télévision qui a dit : « on aimerait bien aller dans ce collège, où on a fait un reportage il y a six ou sept ans, afin de constater les résultats des actions liées aux ZEP ». Est-ce qu’on se fout de notre gueule ? Est-ce qu’on nous prend pour des cons ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) En venant maintenant parler du travail effectué depuis des années dans les quartiers, cherchent-ils à de se donner bonne conscience après avoir utilisé les flammes de nos cités pour accroître leurs recettes publicitaires ?

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est une indignation légitime !

M. Pierre Cardo. Je trouve ça scandaleux, monsieur le président. Vous avez raison au sujet de l’article du règlement sur lequel je me suis appuyé, et je m’excuse d’y avoir recours. Mais j’en ai assez ! Comme bien des élus locaux, situés sur tous les bancs de cette assemblée, j’ai passé des nuits sans dormir, …

M. Guy Geoffroy et M. Jean-Christophe Lagarde. Absolument !

M. Pierre Cardo. …afin de tenter de ramener la paix civile. Nous sommes en train de gagner. Contre l’avis d’un grand nombre de gens, mais avec l’accord de tous les acteurs de terrain, j’ai décidé la nuit dernière de rouvrir les foyers. Je suis descendu dans la rue, j’ai joué avec les jeunes, nous avons discuté, et ils m’ont remercié de la position que j’avais prise. Le calme est revenu. Et on vient nous foutre le bazar avec des équipes de télévision !

Je demande que le ministre de l’éducation nationale se présente devant nous et nous donne des explications sur l’implication des recteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Comment se fait-il que l’on méprise à ce point les élus locaux quand on en a autant besoin ? C’est scandaleux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Le Gouvernement vous a entendu, monsieur Cardo.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. Jean-Christophe Lagarde. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. Sur le fondement de quel article, monsieur Lagarde ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Article 58, alinéa 1, monsieur le président.

M. le président. Vous n’avez pas plus d’imagination que cela ?...

Vous avez la parole pour un rappel au règlement, monsieur Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est important que le Gouvernement entende les réflexions des élus locaux. Il ne s’agit pas de le mettre en cause, mais de veiller à ce que soit respecté sur le territoire ce qui est dit dans cet hémicycle.

Le Premier ministre a annoncé que les maires verraient leurs pouvoirs renforcés en matière de prévention de la délinquance pour leur permettre de ramener l’ordre. Ainsi que je le disais hier, nous avons pu, grâce à une meilleure compréhension de ce qui se déroulait, ramener la sérénité dans nos quartiers, et ce en l’absence de moyens de l’État. Ainsi, dans ma commune de Drancy, nous n’avons jamais vu un CRS au cours de la période difficile que nous venons de traverser. Or, hier soir, alors que le calme est revenu depuis deux jours, on nous a affecté, sans en faire part ni au maire que je suis ni au commissaire de police, une demi-compagnie de CRS. J’ai demandé que ceux-ci soient le plus discrets possible, afin de ne pas raviver les tensions mais, une heure plus tard, dans la cité du Nord, ils collaient tout le monde au mur pour des contrôles d’identité. Mon intervention et celle du commissaire de police ont été nécessaires pour que les CRS quittent la commune et que l’on évite ainsi que les incendies ne reprennent.

Encore une fois, le Gouvernement doit entendre les élus locaux : ce sont eux qui ont ramené le calme. Je n’hésiterai pas, si c’est nécessaire, à solliciter la venue de CRS – même si on ne les obtient jamais lorsqu’on les demande – ou l’application du couvre-feu, mais il est inutile de montrer ses muscles et de faire de la provocation, car on risque de déclencher de nouveaux incidents.

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de vous présenter le projet de loi de finances pour 2006, dans ses parties concernant le ministère de la justice. La présentation d'un budget, qui est toujours un moment fort de la vie démocratique, l'est d'autant plus cette année, puisque nous mettons en œuvre une nouvelle procédure budgétaire.

La réorganisation des crédits aboutit à une plus grande transparence. Ainsi la mission « Justice » est organisée en cinq programmes : « Accès au droit et aide aux victimes », « Justice judiciaire », « Protection judiciaire de la jeunesse », « Soutien et formation » et « Administration pénitentiaire ». Le Gouvernement, qui n’est pas favorable à la remise en cause de cette organisation, n’acceptera pas d’amendements dans ce domaine. Vous pourrez constater que ces programmes se décomposent en vingt-sept actions, accompagnées de cinquante-trois indicateurs de résultats sur la base desquels je vous rendrai compte de l’exécution du budget à la fin de l’année 2006. Cette transparence est d'autant plus nécessaire que la modernisation de la justice est l’un des grands chantiers de la législature. Vous avez en effet souhaité faire de la justice une priorité budgétaire, afin de mieux garantir les libertés et de mieux assurer la sécurité des Français.

Cette priorité est plus que jamais d'actualité à l'heure où le rétablissement de l'autorité républicaine dans nos cités fait l'objet d'une mobilisation sans égale de tous les magistrats et fonctionnaires du ministère de la justice – et je remercie ceux d’entre vous qui ont salué le travail des magistrats, qui sont au-dessus de tout éloge.

Votre exigence s'est traduite par le vote, en 2002, d'un plan de rattrapage, la loi d'orientation et de programmation de la justice, dont l’exécution est en cours. Chacun d'entre vous doit le reconnaître, elle nous est d'un très grand secours pour faire face aux violences urbaines dans les juridictions qui y sont confrontées. Je rappelle que, depuis l’entrée en vigueur de la loi, 5 550 emplois ont été créés. Ainsi, au tribunal de grande instance de Bobigny, qui a été évoqué par Jean-Christophe Lagarde, 126 postes de magistrats étaient ouverts en 2002. Au début de cette année, ils étaient 152, soit une augmentation de 21 %. S'ils réussissent à assurer, dans l'urgence et avec un très grand dévouement, la mission que la République leur a confiée, c'est bien grâce à l’effort entrepris par la majorité dans le cadre de cette loi d’orientation et de programmation. J’ajoute à l’intention de M. Vallini que le tribunal de Bobigny vient d’être renforcé par l’arrivée de quatre magistrats du siège et de deux magistrats du parquet, sans compter les huit vacataires que les chefs de juridiction ont demandés.

Mesdames et messieurs les députés, je tiens à vous remercier des efforts que la nation consent en faveur de la justice. Ainsi, alors que les dépenses de l'État augmenteront de 1,8 % en 2006, le budget de la justice augmentera de 4,6 %.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. le garde des sceaux. Il s'élèvera au total à 5,9 milliards d'euros.

M. Gérard Léonard. Ce n’est pas rien !

M. le garde des sceaux. Vous constaterez que l'augmentation est encore supérieure à celle de l'an passé, qui s'était élevée à 4 %.

Avant de vous présenter les grandes lignes de ce budget, je voudrais évoquer la situation des crédits évaluatifs du ministère, devenus limitatifs dans le cadre de la LOLF. Plusieurs d’entre vous m’ont notamment interrogé sur les frais de justice. Je tiens à être extrêmement clair : aucune enquête ne sera freinée ou interrompue en raison d’un manque de crédits sur le poste des frais de justice, monsieur Vaxès. Toutes les économies réalisées seront compatibles avec la liberté de prescription des magistrats.

M. Jean-Luc Warsmann. Très bien !

M. le garde des sceaux. Les frais de justice ont progressé de 20 % par an depuis 2001, pour atteindre 420 millions d’euros dépensés en 2004 et moins de 480 millions attendus en 2005.

Il est vrai que 370 millions d'euros seulement ont été budgétés, mais j’ai mis en place un plan de maîtrise des frais de justice qui nous a déjà permis d’économiser 22 millions d’euros. En 2006, il permettra une économie globale d’au moins 62 millions d’euros. Pour illustrer le propos de Guy Geoffroy, je ne prendrai qu’un seul exemple. Lorsque la justice demande un renseignement à un opérateur téléphonique, une somme forfaitaire de 9 euros lui est facturée. Pour être plus proche du coût réel, nous avons fixé des tarifs avec les opérateurs : les renseignements déjà en leur possession seront facturés 3,80 euros et les demandes plus complexes 20 euros. L’économie qui sera réalisée peut d’ores et déjà être évaluée à 14 millions d’euros. Vous n’allez pas tout de même nous reprocher de bien gérer l’argent public, monsieur Vaxès !

Je compte aussi sur les efforts des chefs de cour que j'ai mobilisés sur ce sujet. Ils auront dorénavant la pleine capacité de décision de l'emploi des crédits mis à leur disposition et ils assumeront la responsabilité de leur gestion devant moi, responsable de la mission « Justice ». À mon tour, je vous rendrai des comptes sur cette gestion.

Enfin, en cas de dépenses exceptionnelles, le Premier ministre a validé la possibilité de mobiliser pour les frais de justice 50 millions d’euros du programme « Dépenses accidentelles et imprévisibles » du ministère du budget. Je précise, monsieur Albertini, que cette dotation exceptionnelle, ajoutée aux 370 millions déjà inscrits, permettra de financer les dépenses attendues, d’autant que l’on constate une nette décélération de celles-ci. Par ailleurs, j’indique à M. Vallini – l’un d’entre vous le lui répétera – que j’ai chargé le secrétaire général d’une mission de suivi et de coordination des frais de justice, qui assistera les chefs de cour dans la mise en place du plan d’économies.

Venons-en maintenant à la répartition des crédits de la mission « Justice ». Elle s'organise autour de mes trois grandes priorités : garantir les libertés et donner à la justice les moyens d'être réactive et efficace, garantir la sécurité des Français, notamment en assurant l'exécution des peines – vous avez été nombreux à le souligner –, et donner une deuxième chance à ceux qui sont suivis par les services du ministère de la justice, car s’il faut se préoccuper de la répression, il ne faut pas oublier la réinsertion.

J'ai souhaité que le budget pour 2006 permette à la justice de mieux garantir les libertés et lui permette d'être plus réactive et plus efficace. La justice a déjà réalisé des efforts importants pour devenir plus facile d'accès et raccourcir ses délais. Je vous demande de lui accorder les moyens nécessaires pour intensifier ces efforts.

Dans le projet de loi de finances, le budget des juridictions judiciaires représente 42 % du budget de la justice. Il bénéficie de 2,5 milliards d'euros, soit une augmentation à périmètre constant de 6 %, qui permettra de poursuivre la politique de recrutement du ministère. Cet effort sera mesuré par les indicateurs proposés dans le cadre de ce budget. Prenons l’exemple des affaires de divorce jugées devant les tribunaux de grande instance. Elles durent en moyenne onze mois aujourd'hui et ne devront pas dépasser six mois en 2007.

De même, la durée de traitement des affaires devant les tribunaux d’instance, qui est actuellement de quatre mois et demi, ne devra pas dépenser trois mois en 2007. Pour atteindre cet objectif, 651 fonctionnaires de greffe et 279 magistrats rejoindront les juridictions en 2006. Je dis bien 651 greffiers : du jamais-vu !

Mme Anne-Marie Comparini et M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. Gérard Léonard. Bel effort !

M. le garde des sceaux. Certes, l’importance de ce chiffre tient aussi à la prolongation de la scolarité, qui a entraîné un décalage de six mois de la date de sortie d’école. Quoi qu’il en soit, je suis certain que l’arrivée massive de ces fonctionnaires aura pour effet d’améliorer l’efficacité de nos juridictions.

Depuis quatre ans, 334 personnes ont rejoint les SAR, services administratifs régionaux, qui sont en fait les services gestionnaires des cours d’appel, en dyarchie avec les premiers présidents et les procureurs généraux.

Je tiens à indiquer à M. Garraud que des personnels administratifs viendront compléter ces recrutements afin d’utiliser au mieux les équivalents temps plein travaillés accordés au ministère.

Le ministère de la justice emploie en effet 66 500 ETPT, alors qu’il disposera l’année prochaine d’une autorisation budgétaire de 71 475 ETPT théoriques. Les 5 000 postes vacants nous permettront d’améliorer la situation des différents services en fonction des besoins exprimés et de commencer à anticiper les départs à la retraite des années à venir. À cet égard, l’année 2012 devrait être particulièrement difficile.

Dès 2006, nous mettrons en œuvre ces redéploiements au fur et à mesure des sorties d’école. J’ai fixé pour objectif à mes services d’utiliser au maximum la capacité de formation des écoles du ministère.

En ce qui concerne les juges de proximité – dont M. Blessig a dit du bien, tandis que M. Vallini exprimait à leur égard un profond scepticisme –, un groupe de travail est actuellement chargé d’effectuer le bilan, tant qualitatif que quantitatif, de ces juridictions et de réfléchir à la formation actuellement dispensée aux juges de proximité. Il remettra son rapport dans quelques semaines, mais je puis d’ores et déjà vous indiquer qu’il ressort des statistiques nationales que l’activité des juges de proximité est en très nette progression, notamment depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions les concernant.

En matière civile, l’activité de ces juridictions, qui ne représentait initialement que 5 % environ du contentieux des tribunaux d’instance, peut être actuellement évaluée à 18 %.

En matière pénale, le contentieux contraventionnel est évalué à 80 % de l’activité des tribunaux de police. La possibilité pour les juges de participer aux audiences collégiales correctionnelles constitue une nette avancée. Actuellement, 160 juridictions sur les 180 tribunaux de grande instance font appel, ou sont sur le point de recourir à la participation de ces juges.

Les nouvelles compétences dévolues aux juges de proximité permettent notamment aux magistrats professionnels assesseurs de dégager du temps pour se consacrer à leurs fonctions propres, ce qui répond à l’un des objectifs initiaux de la mise en place de ce nouvel ordre de juridiction. Nous sommes en train de gagner le pari que nous avons lancé avec la création des juges de proximité, et je suis certain que ceux qui avaient affiché du scepticisme au départ finiront par nous rejoindre.

Je me réjouis que la position de M. Vallini sur les centres éducatifs fermés ait évolué et qu’il y soit aujourd’hui favorable. On voit, dans le contexte actuel, à quel point ces centres sont importants. Je signale à la représentation nationale que, depuis que j’ai incité les juges français à se servir des CEF, qui disposent d’une cinquantaine de places, douze décisions de justice ont prononcé le placement de jeunes dans ces centres.

M. Guy Geoffroy. C’est très positif !

M. le garde des sceaux. Cette exigence d’efficacité de la justice implique également de moderniser nos juridictions. Près de 160 millions d’euros d’autorisations d’engagement seront destinés à la construction de nouveaux bâtiments judiciaires et 5,6 millions d’euros seront affectés à la poursuite du déploiement de la visioconférence.

La justice ne doit pas se contenter d’être réactive dans ses procédures de jugement, elle se doit de protéger les victimes et de leur garantir une prise en charge concrète. C’est pourquoi le budget de l’aide aux victimes connaît une très forte progression de 12 %, pour atteindre 9,2 millions d’euros.

Mesdames et messieurs les députés, la justice a également besoin de moyens nouveaux pour garantir la sécurité des Français. C’est l’engagement que prend le Gouvernement.

Garantir une plus grande sécurité, c’est faire en sorte que la réponse pénale des tribunaux soit plus systématique. Le taux de réponse pénale s’élevait à 73 % en 2003. Les efforts du Gouvernement ont permis sa progression à 75 % cette année, Désormais, notre objectif est de lui faire atteindre 80 % d’ici à 2010. L’arrivée de fonctionnaires de catégorie C et de greffiers est le gage du succès de la politique d’exécution des peines, car c’était le point faible de notre action. Toute peine prononcée doit être exécutée rapidement. À cet effet, notre objectif est de réduire les délais d’exécution de 10 à 15 % d’ici à 2007.

Pour tenir ces indicateurs, je souhaite développer la création des bureaux d’exécution des peines, dits BEX. Ces bureaux, situés dans les juridictions, ont pour objet de rationaliser et d’accélérer l’exécution des peines. Les condamnés s’y verront signifier aussitôt après leur jugement leur peine et ses modalités d’exécution. Le paiement immédiat des amendes est encouragé depuis le décret prévoyant une réduction du montant de l’amende si celle-ci est réglée dans le mois qui suit la décision de justice. Je souhaite que ce dispositif, actuellement expérimenté dans quelques juridictions, soit généralisé d’ici à 2007. Personne ne peut ne satisfaire de peines exécutées plusieurs mois après leur prononcé.

J’ai été très intéressé par la proposition de Jean-Luc Warsmann, qui permettrait d’autofinancer la généralisation des bureaux d’exécution des peines. Le Gouvernement l’examine avec la plus grande attention.

M. Jean-Luc Warsmann. Merci !

M. le garde des sceaux. Garantir la sécurité des Français, c’est aussi accorder les moyens adéquats à l’administration pénitentiaire. Près de 35 millions d’euros supplémentaires seront affectés à la modernisation des établissements et à la politique d’aménagement des peines, notamment pour augmenter le nombre de placements sous bracelet électronique. Nous encourageons ce système qui constitue une alternative intéressante – parmi d’autres – à l’incarcération. On a compté jusqu’à 1 000 condamnés porteurs d’un bracelet électronique, il y en a aujourd’hui 750.

L’action de sécurisation des établissements pénitentiaires conduite depuis 2002 a déjà permis de réduire de moitié le nombre d’évasions, mais cela ne suffit pas. Les crédits supplémentaires permettront d’élever encore le niveau de sécurité.

Certains sont allés jusqu’à écrire que les prisons étaient la honte de la République. Que le parc pénitentiaire soit pour partie trop ancien, que nous manquions de places de prison, que nous devions poursuivre nos efforts en matière de santé, qu’il y ait des marges de progression dans notre politique de réinsertion, tout cela est vrai. Mais cela n’autorise pas les contrevérités que j’entends proférer ici ou là.

La nation a entrepris des efforts considérables pour ses prisons, d’autant plus considérables, d’ailleurs, qu’on a beaucoup trop attendu pour cela. Les gouvernements appartenant à l’actuelle majorité ont accompli une action sans précédent pour moderniser le parc pénitentiaire. En 1986, Albin Chalandon lance un programme ambitieux de construction de 15 000 places de prison – que son successeur réduira à 13 000. En 1994, c’est le programme Méhaignerie qui prévoit la construction de 4 000 places. J’ai inauguré il y a quelques jours un nouvel établissement pénitentiaire à Lille-Sequedin, mis en chantier dans le cadre du programme Méhaignerie : c’est dire les délais nécessaires pour mener à bien ce type de projets ! Enfin, la loi d’orientation et de programmation pour la justice, votée en 2002, prévoit la construction de 13 200 places, dont les premières verront le jour en 2007.

M. Vaxès critiquait le fait que les quartiers pour mineurs ne soient pas pleins.

M. Michel Vaxès. Vous interprétez mes propos !

M. le garde des sceaux. Je n’interprète pas. Vous vous êtes étonné que l’on construise des établissements destinés aux mineurs, alors que ceux existant déjà ne sont pas pleins. Premièrement, j’observe que l’on ne saurait nous reprocher de pratiquer la politique du « tout répressif », puisque les quartiers pour mineurs ne sont pas pleins. Deuxièmement, la création de ces établissements pour mineurs répond à un objectif précis. Le fonctionnement de ces établissements sera essentiellement axé sur la pédagogie, car nous voulons que ces jeunes aient une chance de s’en sortir le plus vite possible, en évitant l’effet « pourrissoir » de la prison. Il y a ceux qui parlent et qui pétitionnent, et ceux qui agissent. En construisant 7 établissements pour mineurs indépendants des centres de détention actuels, le Gouvernement et la majorité actuels ont choisi d’agir.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le garde des sceaux. La situation dans les prisons françaises ne sera conforme à notre tradition humaniste qu’à la sortie de ce lourd programme immobilier. Vous noterez que pour ne pas susciter de polémique, je n’ai cité que les ministres ayant lancé des programmes dans ce domaine.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit et à la justice. Très bien !

M. le garde des sceaux. C’est pourquoi, mesdames et messieurs les députés, je vous demande cette année 932 millions d’euros d’autorisations d’engagement destinés à la construction de 10 établissements pénitentiaires pour majeurs, et de 7 établissements pénitentiaires pour mineurs.

Enfin, j’ai souhaité que la politique de sécurité du Gouvernement concerne également la sécurité des juridictions. Au début du mois de septembre, un drame a endeuillé le tribunal de Rouen où une fonctionnaire de greffe a été grièvement brûlée à la suite d’une agression. Elle se rétablit lentement.

Je tiens à indiquer à Jean-Christophe Lagarde que j’ai prévu une augmentation de plus de 4 millions d’euros des crédits destinés à améliorer la sécurité des juridictions. Ce budget s’élèvera ainsi à plus de 12 millions d’euros, mais tout effort auprès du ministère de l’intérieur dans ce domaine vous vaudra ma profonde reconnaissance.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. le garde des sceaux. Ces crédits seront accompagnés de renforts en personnels de sécurité, en partie couverts par le projet d’utilisation de la réserve de la gendarmerie et de la police au profit des juridictions. J’envisage également la création d’une réserve pénitentiaire qui pourra être mobilisée dans les tribunaux dont la sécurité reste imparfaite.

La politique de sécurité du Gouvernement se doit d’être ferme. Mais elle a également pour but de permettre la réinsertion. J’ai souhaité que le ministère de la justice devienne le ministère de la deuxième chance, tant les mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse que les détenus ayant purgé leur peine ont vocation à se réinsérer dans la société et à mener une vie normale.

La construction des centres éducatifs fermés se poursuit. Actuellement, 16 structures sont opérationnelles. À la date du 1er novembre 2005, 409 jeunes ont été pris en charge et 115 y séjournent. Les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse qui vous sont soumis permettront de créer 170 places supplémentaires. En effet, 15 nouveaux CEF, dont 5 gérés par le secteur public, doivent ouvrir en 2006. Je tiens à remercier une nouvelle fois les élus, notamment M. Guy Geoffroy, qui se sont impliqués dans la mise en place de ces nouvelles structures. J’ai constaté avec satisfaction que la position de M. Vallini sur cette question avait évolué.

En 2007, 14 nouvelles structures dont 4 portés par le secteur public généreront 160 places supplémentaires, permettant d’atteindre ainsi une capacité totale de 512 places en fin de dispositif.

Cette politique d’individualisation du suivi des mineurs les plus difficiles n’a de sens que si ces jeunes sont pris en charge le plus rapidement possible. C’est pourquoi un indicateur de résultat du programme PJJ prévoit de réduire par deux d’ici à 2010 les délais de prise en charge des mineurs délinquants. Mes services sont mobilisés pour atteindre cet objectif.

En parallèle, les professionnels de la PJJ continueront de soutenir l’effort de la justice en faveur de la réinsertion des jeunes pris en charge. Ils bénéficieront également du réseau de parrainage de jeunes par les membres de la société civile que je suis en train de mettre en place.

Comme l’a très bien dit Mme Tabarot, la société civile a un rôle essentiel à jouer en matière d’intégration : non seulement le public, mais aussi l’ensemble des citoyens français doivent se sentir concernés.

Je voudrais indiquer à Mme Anne-Marie Comparini qu’en 2006, cinq départements – l’Aisne, la Haute-Corse, l’Indre-et-Loire, le Loiret et le Rhône – expérimenteront, en application de la loi du 13 août 2004, le transfert de la compétence de la PJJ en matière d’assistance éducative au civil au profit des conseils généraux.

Je suis guidé par la même volonté pour ce qui est de la réinsertion des détenus. Celle-ci implique de développer les actions menées dans le domaine éducatif et de l'apprentissage professionnel.

En 2004, 35 000 détenus ont suivi, à un moment ou à un autre, un enseignement. La majorité a, bien évidemment, bénéficié d'une formation de base – alphabétisation, préparation du certificat de formation générale –, mais tous les niveaux sont concernés.

Toujours en 2004, près de 5 000 détenus se sont présentés à des examens : 70 % ont passé avec succès cet examen et plus d'une centaine a obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur. J’ai visité hier, à Fleury-Mérogis, une salle de classe du quartier affecté aux mineurs, celle-là même où se déroulent tous les ans les épreuves du baccalauréat.

Enfin, 18 000 détenus ont également bénéficié en 2004 d'une action de formation professionnelle.

Pour améliorer ces résultats, je souhaite qu'une partie non négligeable des recrutements de l'administration pénitentiaire aille aux services de probation et d'insertion pénitentiaires ainsi qu'aux personnels chargés de l'accompagnement des détenus. Voilà qui devrait éclairer ceux qui s’imaginent que nous nous contentons de multiplier les places de prisons et jamais celles d’éducateurs, soit de la PJJ soit des SPIP. Les chiffres que je vais citer maintenant vont d’ailleurs en faire la démonstration.

Nous avons donc fait un effort particulier en faveur des SPIP et des personnels chargés de l’accompagnement des détenus. Ainsi, 700 travailleurs sociaux supplémentaires ont été recrutés depuis 2002. Ceux qui nous critiquent en avaient recruté quasiment aucun !

Ces arrivées commencent à produire leurs effets puisque les aménagements de peine ont augmenté de 25 % en deux ans, passant de 15 000 mesures à près de 20 000.

Nous devons également garantir aux détenus le maintien de leurs liens familiaux. C’est en effet un élément fondamental pour préparer sereinement leur sortie.

Afin de rendre les prisons plus humaines, il est ainsi prévu de doter, d'ici à 2010, la quasi-totalité des établissements pénitentiaires de locaux destinés à l'accueil des familles. Cela répondra aux vœux exprimés par Michèle Tabarot et Anne-Marie Comparini. La création des unités expérimentales de visites familiales – UEVF – s’inscrit totalement dans le cadre de notre politique de maintien des liens familiaux. Ces UEVF permettent à des condamnés à de longues peines de recevoir une fois par trimestre, dans l’enceinte des établissements pénitentiaires, les membres de leur famille. Ces visites peuvent ainsi se dérouler pour quelques heures, à quelques jours, dans des conditions matérielles de durée et d’intimité satisfaisantes.

Mme Anne-Marie Comparini. Très bien !

M. le garde des sceaux. Deux établissements en sont pourvus, Rennes et Saint-Martin-de-Ré. La maison centrale de Poissy accueillera une unité de ce type à la fin de l’année. Une évaluation sera prochainement réalisée par la direction de l’administration pénitentiaire sur ces trois sites. Les résultats permettront de décider si ce dispositif peut être étendu.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, l’ensemble des points sur lesquels je tenais à insister. L’effort que nous faisons sur le plan budgétaire porte ses fruits. La motivation des magistrats que nous avons pu constater ces jours derniers témoigne de leur prise de conscience de la volonté du Parlement de donner des moyens à la justice de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous en arrivons aux questions.

Nous commençons par une question du groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Michel Vaxès. Monsieur le garde des sceaux, le programme « Accès au droit et à la justice » est présenté comme une priorité essentielle du Gouvernement, avec des crédits en faveur de l'aide juridictionnelle en augmentation de 2 %. L'aide juridictionnelle est, nous dit-on, « un volet primordial de la politique d'accès au droit et à la justice tant par les objectifs qu'elle poursuit (accès à la justice pour les personnes modestes) que par son poids budgétaire. »

Tout comme les frais de justice, ces crédits deviennent limitatifs et non plus évaluatifs. Cette évaluation devient donc essentielle si l'aide juridictionnelle est, effectivement, une priorité de la politique d'accès au droit.

C'est pourquoi, nous nous étonnons que ce projet de budget repose sur la prévision d'un ralentissement important de la croissance du nombre des bénéficiaires à l'aide juridictionnelle. En 2003, ils augmentaient de 9,8 %, en 2004 de 10 %, pour progresser en 2006, selon vos prévisions, de 2,3 % seulement ! Il est vrai que les circulaires du 12 janvier et du 26 février 2005 visaient à restreindre les conditions d’attribution de cette aide.

Parallèlement, le Gouvernement demande cependant aux parquets de donner la priorité au développement de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Or cette procédure sera une source importante d'augmentation du nombre des bénéficiaires puisque l'assistance d'un avocat y est légitimement obligatoire.

Quels sont donc les facteurs que nous ignorerions et qui justifieraient une telle baisse du nombre des admissions ?

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. J’espère que la réponse que je vais vous fournir vous rassurera, monsieur Vaxès. Je le rappelle, les crédits affectés à l’aide juridictionnelle pour 2006 s’élèvent à 304 millions d’euros, en progression de 5 millions d’euros. Cette augmentation est conforme à celle enregistrée actuellement puisque nous constatons une hausse de 1 % de demande d’aide juridictionnelle au civil et de 4 % au pénal.

L’impact des différentes lois votées sur l’aide juridictionnelle a entraîné une augmentation forte jusqu’en 2004. Aujourd’hui, nous en sommes à 870 000 admissions à l’aide juridictionnelle et nous pensons être arrivés à un palier. La progression de 2 % des crédits affectés à l’aide juridictionnelle nous semble donc réaliste. J’espère que les faits nous donneront raison.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

La parole est à M. Etienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Monsieur le garde des sceaux, le 7 juin dernier, la commission chargée de suivre les études de définition pour l’implantation de la cour d’appel et de la cour d’assises de Versailles dans les locaux de l’ancien hôpital Richaud a donné un avis très favorable à l’un des projets choisis.

L’agence de maîtrise d’ouvrage des travaux du ministère de la justice a fait savoir à la ville de Versailles que la désignation officielle du lauréat et le lancement opérationnel du projet étaient conditionnés notamment par un schéma de financement compatible avec le budget prévu par le ministère de la justice. En conséquence, l’agence a sollicité une participation financière de la commune pour un montant de 1,758 million d’euros, toutes taxes comprises.

Je suis en général défavorable à cette pratique de l’État, qui consiste à faire financer par les collectivités locales une partie des équipements relevant exclusivement de l’État. Mais, en l’occurrence, la municipalité a donné un accord de principe à la participation de la commune compte tenu de l’intérêt présenté pour la ville, dans une logique de continuité historique, de favoriser le maintien de la cour d’appel sur son territoire et dans des locaux dignes de son importance.

L’hypothèque de financement étant levée, pouvez-vous me préciser, monsieur le ministre, le délai dans lequel les travaux d’implantation de la cour d’appel dans ses nouveaux locaux commenceront ?

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur le député-maire de Versailles, le ministère de la justice a effet acquis le site de l’ancien hôpital Richaud pour en faire le siège de la cour d’appel et de la cour d’assises de Versailles. Votre ville a accordé une subvention de 1,75 million d’euros pour ce projet, et je suis très sensible à la volonté que vous exprimez ainsi conjointement avec le ministère de la justice.

Celui-ci a confié à son agence de maîtrise d’ouvrage le soin de réaliser l’opération. Le choix de l’architecte est actuellement en cours. En tout état de cause, les travaux commenceront en 2007, pour une mise en service début 2010.

L’investissement global du ministère de la justice pour ce projet réalisé au sein de l’agglomération versaillaise s’élève à 78 millions d’euros : c’est dire combien ce ministère est à l’écoute du maire, des élus et des magistrats de la cour de Versailles.

M. le président. La parole est à M. Émile Blessig.

M. Émile Blessig. Monsieur le garde des sceaux, 700 000 personnes sont actuellement placées sous tutelle ou curatelle, soit 200 000 de plus qu’il y a dix ans et 500 000 de plus qu’il y a vingt ans. Avec le vieillissement de la population, nous sommes certains que ces chiffres vont considérablement augmenter encore et qu’aucune famille ne sera à l’abri.

Aujourd’hui, 80 équivalents temps plein d’emploi de magistrat sont chargés de cette mission. Certes, cela peut sembler peu. Mais cela représente tout de même 8 750 dossiers par équivalent temps plein.

Monsieur le garde des sceaux, nous devons nous donner les moyens d’assurer la protection judiciaire des plus faibles. La réponse ne consiste pas uniquement à augmenter les moyens. Elle passe peut-être aussi par une réforme.

Quel sera le nombre d’équivalents temps plein de postes de juge des tutelles prévu dans le cadre du budget pour 2006 ? Où en est le projet de réforme ? Nous avions cru comprendre qu’il était prêt. Dès lors, où sont les blocages ? Dans le calendrier législatif ? Ou s’agit-il d’un problème de financement ?

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur Blessig, la mission de juge des tutelles est exercée par les juges d’instance. Il est donc difficile de parler du nombre de juges des tutelles. Pour autant, on peut estimer la fonction de juge de tutelle à 90 équivalents temps plein. Nous le savons, c’est insuffisant compte tenu du nombre de mesures prises et de l’évolution démographique de la France.

Cela étant, la réponse au problème de la tutelle ne passe pas seulement par l’augmentation du nombre de juges. Elle passe aussi par une réforme en profondeur destinée à réorienter vers d’autres dispositifs les personnes faisant aujourd’hui l’objet d’une mesure de tutelle à défaut d’un autre dispositif de protection adaptée.

C’est la raison pour laquelle le projet de réforme des tutelles préparé par le Gouvernement prévoit la mise en place de mesures d’aide sociale et d’accompagnement budgétaire qui seront mises en œuvre par le conseil général. Le projet de loi est actuellement soumis à la concertation avec l’Assemblée des départements de France. La question en débat n’est pas principalement financière – quoique… L’État est en effet prêt à compenser intégralement le transfert de charges correspondant. Mais, apparemment, on a du mal à le croire. Sans acte de foi commun, nous sommes bloqués.

Toutefois, le Gouvernement n’engagera cette réforme que s’il a l’assurance que l’ensemble des autorités chargées de sa mise en œuvre entend effectivement assumer ce bouleversement du régime de protection des personnes vulnérables sans pour autant relever d’un régime d’incapacité judiciaire. Il s’agit là d’un aspect social qui, vous le savez bien, dépasse le seul aspect budgétaire.

M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Monsieur le ministre, le 26 novembre 2003, voilà presque deux ans maintenant, nous votions une nouvelle loi sur la maîtrise de l’immigration et le séjour des étrangers, notamment une réforme de la double peine adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

Je serais heureux que vous fassiez un bilan de cette réforme pour ce qui relève de la compétence de votre ministère. Je vous ai d’ailleurs adressé, il y a quelques jours, le dossier d’un tout jeune homme de dix-neuf ans qui vit en France depuis l’âge de six ans avec sa famille, qui sans contestation possible relève des étrangers protégés contre l’expulsion, en vertu de la nouvelle loi, et qui a pourtant été condamné il y a quelques mois à une interdiction du territoire.

Il arrive malheureusement que des ITF soient requises contre certaines personnes d’origine étrangère, sans que soit prise en compte leur appartenance aux catégories protégées contre l’expulsion. Le pire, monsieur le ministre, est que certaines de ces personnes disposent de la nationalité française !

Enfin, je voudrais appeler votre attention sur le cas des étrangers qui ont déposé depuis plus de dix-huit mois une demande de recours en grâce. Bien qu’appartenant aux catégories protégées, ils ne peuvent bénéficier des dispositions de l’article 86 de la loi, l’ITF ayant été prononcée à titre principal ou antérieurement à l’année 1994. Malheureusement, ils n’ont toujours pas obtenu de réponse.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur le député, vous souhaitez connaître le bilan de l’application de la peine d’interdiction du territoire. La loi du 26 novembre 2003 a restreint le champ d’application de la peine d’interdiction du territoire français pour limiter les peines d’ITF lorsque les personnes étrangères disposent de leurs principales attaches personnelles sur notre territoire depuis un certain temps ou lorsque de telles peines risquent d’avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur l’état de santé des personnes.

Il est cependant toujours possible de prononcer une ITF lorsque les violences ont été commises contre le conjoint ou les enfants, ou pour des faits d’une particulière gravité, comme les actes de terrorisme.

Toutes ces dispositions ont été rappelées dans une circulaire d’application, et leurs effets n’ont pas tardé, puisque le nombre de peines d’interdiction du territoire français est passé de 9 583 à 7 652 entre 2003 et 2004. Cette évolution correspond, je pense, à la volonté du législateur.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe Union pour la démocratie française.

La parole est à M. Gilles Artigues.

M. Gilles Artigues. Monsieur le garde des sceaux, l’agglomération stéphanoise, dont je suis l’un des élus, a été la cible cette semaine de violences urbaines sans précédent. Outre des véhicules brûlés, comme ailleurs en France, nous déplorons l’incendie de l’école maternelle Saint-Saëns, dans le quartier de Montreynaud, et celui d’un bus, dont les occupants avaient été chassés.

Nos concitoyens ne comprennent pas ces actes de violence, qui frappent les plus démunis d’entre eux. Ce qui les agace le plus, c’est le sentiment d’impunité. Certes, un certain nombre d’arrestations ont eu lieu, mais nous attendons de la justice une réponse à la hauteur de la situation.

Monsieur le garde des sceaux, quel dispositif avez-vous prévu pour accélérer les procédures à l’encontre des fauteurs de troubles, particulièrement les mineurs ? Comment comptez-vous apporter aux victimes la juste indemnisation qu’elles réclament ?

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur Artigues, je regrette d’autant plus douloureusement les faits relatés qu’ils se sont déroulés dans la ville de Saint-Étienne et qu’ils affectent une population dont la vie dans ces quartiers est déjà difficile.

Comme vous le savez, j’ai donné aux parquets des instructions de fermeté. Vous n’ignorez pas qu’il est possible aujourd’hui d’infliger des sanctions aux mineurs âgés de seize à dix-huit ans. S’agissant des plus jeunes, des réponses différentes existent : le placement en foyer, le suivi socio-éducatif ou le recours aux centres éducatifs fermés. Lundi dernier, au moment où j’adressais cette recommandation de fermeté aux parquets, il restait une cinquantaine de places et il semble que depuis, douze jeunes aient fait l’objet d’un placement en centre éducatif fermé.

J’ai demandé aux procureurs généraux et aux procureurs de la République de faire preuve de la plus grande fermeté dans les réquisitions. J’ai également demandé aux parquets de faire systématiquement appel lorsqu’ils ne sont pas suivis par le juge, alors qu’ils ont demandé une peine de prison ferme. En matière de fermeté, je crois avoir fait le nécessaire. Pour ce qui est de l’effet dissuasif de la sévérité des décisions de justice, je me permets de vous renvoyer aux déclarations de votre collègue Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le garde des sceaux. Il est d’autant plus utile de le souligner que certains se demandaient si notre sévérité n’aggravait pas la situation : les déclarations des élus des quartiers sensibles témoignent du contraire.

J’en viens à la question de l’indemnisation des victimes. Rappelons tout d’abord que les personnes dont les véhicules ont brûlé sont parmi les plus modestes de nos concitoyens, les plus aisées possédant un garage.

Les personnes dont le véhicule a été incendié peuvent être indemnisées par leur compagnie d’assurance, dès lors qu’elles ont souscrit une garantie incendie, à l’instar de 82 % des automobilistes.

Par ailleurs, les dommages subis par les commerces dévastés du fait d’un mouvement populaire sont généralement assurés.

J’en viens aux indemnisations par voie de justice : lorsque les auteurs des faits sont connus, appréhendés et arrêtés, ils peuvent être condamnés à réparer les dégradations commises, voire à verser des dommages et intérêts aux victimes.

En vertu de l’article 706-14 du code de procédure pénale, il est également possible, dans certains cas, de saisir la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction, la CIVI, d’une demande d’indemnisation.

Après avoir évoqué l’indemnisation des victimes de dommages matériels et l’indemnisation par voie de justice, j’en viens à l’indemnisation des victimes de dommages corporels. Ceux-ci pourront être pris en charge par les compagnies d’assurance si la victime a souscrit une garantie contre les accidents de la vie, un contrat individuel « accident » ou une assurance vie. Une demande d’indemnisation devant la CIVI est également envisageable, sous réserve que les conditions de fonds et de ressources posées par la loi soient réunies.

Enfin, monsieur Artigues, je souhaite que l’INAVEM, qui est largement financée par le ministère de la justice et fédère 180 associations de victimes, vienne se mettre à la disposition des victimes des récentes violences urbaines.

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le ministre, vous avez évoqué le cas de commerçants qui ont été victimes des violences urbaines. Je suis moi-même confronté à ce problème dans ma commune. J’attire votre attention sur le risque que les assureurs refusent d’assurer les commerçants dans certains quartiers. Or la présence de commerçants dans les quartiers difficiles est vitale. Il faudra donc veiller, que ce soit par la loi ou par des instructions, à ce qu’ils ne soient pas pénalisés pour des faits dont ils ne sont absolument pas responsables.

Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur le manque de moyens humains du tribunal de Bobigny. Vous avez en partie répondu à ma question, mais je suis certain que vous allez m’apporter quelques précisions complémentaires.

Afin que la justice retrouve toute son autorité dans notre pays, notamment dans les quartiers les plus en difficulté, les moyens accordés aux magistrats doivent être suffisants pour que les peines prononcées puissent être exécutées.

Or, si des progrès ont été constatés en matière d’exécution des peines, les délais sont encore longs entre le prononcé et la signification, et la situation est encore loin d’être satisfaisante. Vous avez annoncé des améliorations pour 2006 : pouvez-vous me dire si des décisions ont été prises concernant le tribunal de grande instance de Bobigny, dont vous avez, la semaine dernière, constaté les difficultés ?

En effet, sur les 330 postes budgétaires que devrait compter le palais de justice de Bobigny, seuls 297 sont pourvus, voire 260 si l’on prend en compte le temps de récupération des personnels, soit un écart de 70 postes.

Vous en conviendrez, monsieur le garde des sceaux, cette situation est préjudiciable au soutien des victimes, à la bonne marche de la justice, comme à la cohésion sociale dans un département qui en a tant besoin : la Seine-Saint-Denis.

La pénurie de postes affecte principalement le corps des greffiers. Vous avez annoncé une importante augmentation du nombre des greffiers au plan national. Nous nous en réjouissons et souhaitons que le tribunal de Bobigny en bénéficie très largement. A Bobigny, le délai séparant le prononcé de la signification de la peine s’élève en effet à huit, voire dix mois. Et il n’est pas rare, compte tenu de la durée des délais de signification, que certains jugements ne soient pas appliqués. Hélas, ils concernent toujours le même type de délinquance, ce qui alimente, je suis désolé de le répéter, le sentiment d’impunité et la récidive, et laisse des adolescents dans la déshérence.

Monsieur le garde des sceaux, quels moyens allez-vous mettre en œuvre pour permettre aux magistrats du palais de justice de Bobigny, qui ont été remarquables, exemplaires – au-dessus de tout éloge, avez-vous dit –, de rendre une justice sereine, rapide, efficace et dissuasive ?

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur le député, avant d’en venir à la situation du tribunal de Bobigny, permettez-moi de vous citer quelques chiffres nationaux, qui intéressent l’ensemble de la représentation nationale. Je vous remercie de me donner l’occasion de le faire.

Monsieur le député, 21 800 emplois seront créés : 1 800 de greffiers en chef, 8 400 de greffiers et 11 600 d’agents de catégorie C, chiffres correspondant à des équivalents temps plein travaillés.

S’il est exact que nous constatons de nombreuses vacances de postes, celles-ci seront progressivement comblées par les étudiants qui sortiront de l’école. Il y aura 651 greffiers supplémentaires en 2006 et j’ai demandé aux chefs de cour d’utiliser tous les ETPT disponibles pour combler l’écart entre les plafonds d’emploi et les effectifs réels.

En ce qui concerne la juridiction de Bobigny, à laquelle j’ai récemment rendu visite, je remercie et j’encourage tous les magistrats qui y travaillent. Les chefs de cour, sur ma demande, ont pu affecter quatre magistrats, deux substituts, deux greffiers et huit vacataires, compte tenu de l’afflux récent d’affaires dans cette juridiction. Voilà pour l’immédiat.

M. Jean-Christophe Lagarde. Excellente mesure !

M. le garde des sceaux. Pour le plus long terme, le dialogue de gestion entre les chefs de cour et de juridiction et le directeur des services judiciaires se poursuit. S’il est trop tôt pour en connaître les résultats, les faits récents ne manqueront pas de leur donner des arguments sérieux.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

La parole est à M. Tony Dreyfus.

M. Tony Dreyfus. Vous l’avez appris comme nous, l’examen de certains budgets a été différé hier, le Premier ministre souhaitant actualiser les propositions faites au Parlement.

Je m’étonne, pour ma part, que rien n’ait été fait en ce sens pour le ministère de la justice, car votre budget, monsieur le ministre, devra nécessairement – tout au moins, je l’espère – répondre à certains besoins, devenus plus pressants.

Sans aborder les aspects techniques d’un budget que vous connaissez mieux que moi, je dirai simplement que le recours aux centres éducatifs renforcés et fermés sera sans doute accru. Si votre prédécesseur avait indiqué à plusieurs reprises à la représentation nationale que la surpopulation des jeunes dans les établissements pénitentiaires n’existait pas, je ne suis pas certain que cette vérité perdure. Nous apprenons en effet chaque jour de nouvelles décisions judiciaires. Je ne remets pas en cause leur bien-fondé, mais je sais, en tant qu’élu parisien, qu’un certain nombre d’actes délictueux sont très rapidement sanctionnés. Peut-on être sûr que les crédits nécessaires à l’adaptation de l’appareil judiciaire seront suffisants ?

Monsieur le ministre, votre budget est discuté à la date initialement prévue, alors qu’il aurait été nécessaire de l’actualiser. Qu’avez-vous prévu pour faire face aux nouvelles difficultés ?

M. Gérard Bapt. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur le député Dreyfus, il est dommage que nous n’ayons pas pu travailler ensemble ce matin et que vous ne nous rejoigniez que maintenant dans l’hémicycle pour poser votre question.

M. Tony Dreyfus. Je siégeais en commission des finances !

M. le garde des sceaux. Je sais bien qu’il est difficile d’être partout dans cette maison.

Vous auriez sûrement été convaincu de la réalité nos efforts dans le domaine que vous évoquez, mais également que les idées reçues sont battues en brèche par les faits. Je vais tenter de répondre à vos questions.

Premièrement, vous me dites que certains budgets ont été revus à cause des événements. Monsieur le député, tout le monde a reconnu que le budget de la justice était une priorité de l’État et l’est resté, qu’il affiche un pourcentage de progression fort intéressant de 4,6 %, que sa part dans le budget de l’État est sensiblement plus élevée que celle de l’année dernière, bref, qu’il fait partie des quatre priorités budgétaires de l’État. La question avait donc été réglée avant. Je redonne les chiffres que je citais il y a encore quelques instants : cette année, ce sont 651 greffiers qui arrivent dans les juridictions et 500 fonctionnaires de catégorie C qui sont recrutés ! Du jamais vu !

Par conséquent, le budget n’était pas à « refaire » compte tenu des événements. Cette année, toutes proportions gardées, ce budget correspond au périmètre national et à sa contrainte, et est, en même temps, un bon budget.

Deuxièmement, vous parliez des jeunes. M. Vaxès, membre du groupe communiste, donc d’un groupe voisin du vôtre, s’étonnait que nous construisions des établissements pour mineurs, alors que les quartiers pour jeunes des centres de détention ne sont pas pleins ! Il a raison ! J’ai visité hier celui de Fleury-Mérogis et je puis vous confirmer que, malgré l’arrivée de onze jeunes ces derniers jours, sa limite de capacité n’est toujours pas atteinte – et elle ne l’est jamais ! En effet, et vous le savez, la politique répressive de la France vis-à-vis des mineurs est très scrupuleuse et le carcéral n’est pas, loin s’en faut, la première solution apportée à la délinquance de nos mineurs.

M. le président. La parole est à M. Tony Dreyfus, pour poser une deuxième question.

M. Tony Dreyfus. Ma seconde question porte plus particulièrement sur les crédits prévus en faveur des associations qui sont parties prenantes de l’action menée par l’autorité judiciaire et auxquelles l’administration judiciaire délègue un certain nombre de missions. Le Premier ministre a déclaré que tous les crédits des associations dont l’action est nécessaire sur le terrain – j’utilise cette expression même si je ne l’aime pas, mais elle a en l’occurrence un sens – seront rétablis. C’est la raison pour laquelle, je le répète, je ne suis pas certain que vous ayez d’ores et déjà actualisé votre budget sur ce point, alors que vous le savez, le Premier ministre l’a annoncé, ces associations vont être revitalisées.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Le déficit des crédits versés aux associations serait actuellement de 71 millions d’euros. Il s’agit de crédits prévisionnels peu différents de crédits évaluatifs. En réponse à votre question précise, monsieur le député, j’indique qu’un dégel de 20 millions d’euros a été décidé pour ces associations. De plus, je verrai en cours d’année si, grâce au principe de fongibilité, nous pouvons également répondre à des questions qui pourraient se poser ici ou là.

S’agissant des associations d’aide aux victimes, nous avons vu tout à l’heure que leurs moyens augmentent de 12 %, soit une forte progression.

J’insiste enfin sur la nécessité de distinguer la situation des associations qui jouent un rôle d’animation, dont vous parliez, de celles qui jouent un rôle de délégataire de service public, ce qui est le cas dans notre ministère,

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions.

Justice

M. le président. J’appelle les crédits de la mission « Justice ».

État B

M. le président. Sur l’état B, je suis saisi d'un amendement n° 219.

La parole est à M. Gérard Bapt, pour le soutenir.

M. Gérard Bapt. Notre amendement a une dimension éminemment sociale et plus particulièrement médicale et psychiatrique.

S'il est un point de la politique pénale qui est présenté de façon consensuelle comme une priorité, c'est bien celui qui concerne les actions de prévention de la récidive, tant elles sont importantes. Chacun s'entend sur la nécessité de commencer en milieu fermé le soutien aux condamnés, et spécialement le soutien social, médical, psychiatrique et psychologique, pour mieux le poursuivre ensuite, car ce soutien est souvent une condition sine qua non de l'aménagement et de l'exécution de la peine en milieu semi-ouvert.

Or les moyens en la matière ne sont pas aux rendez-vous. J’indique d’emblée que je refuserai qu’on repousse notre amendement en invoquant la LOLF, au motif que son adoption supprimerait des emplois. Monsieur le ministre, vous avez toute faculté de lever le gage et de réaffecter vos dotations si vous trouvez nos arguments convaincants.

La société a tout à intérêt à financer le renforcement du suivi social et médical, et ce d'autant plus qu'une loi traitant de la récidive est examinée et sera très vraisemblablement votée avant la fin de l'année.

S’agissant des seuls délinquants sexuels, pour lesquels un placement sous bracelet électronique est prévu et financé sous condition de suivi socio-judiciaire, il semble acquis qu'un examen psychiatrique tous les deux ans – moyenne nationale actuelle – est nettement insuffisant. Le projet prévoit d'ailleurs l'intervention d'un spécialiste deux fois par an. Il convient aussi d'en tenir compte et d'apporter aux réformes proposées le financement nécessaire à leur mise en œuvre.

En ce qui concerne les effectifs de la pénitentiaire, il est proposé par ailleurs d'augmenter la possibilité de recourir à des assistants sociaux, en tant que vacataires, qui viendraient épauler les services de prévention et d'insertion de la pénitentiaire.

Les problèmes que rencontrent les jeunes délinquants devraient d’autant plus attirer l'intérêt du législateur que de nombreux articles de presse ont récemment mis l’accent sur leur ampleur. Leur conséquence violente, si elle ne peut qu'être condamnée, n'empêche pas de rechercher des réponses concrètes et humaines, au cas par cas. Il est donc proposé de prévoir des postes d'assistants sociaux, à hauteur d'un demi-poste en équivalent temps plein par département, ce qui représente une dépense d'un peu plus d’un million d’euros.

Pour ce qui est du suivi médical, psychologique et psychiatrique, un effort budgétaire est également nécessaire. Il est proposé d'augmenter les moyens de fonctionnement de l'accompagnement des personnes placées sous main de justice sous forme de vacations des personnels de santé. On connaît le coût plancher des mesures d'expertise médicale, psychiatrique et psychologique : environ 1 000 euros par personne et par an. Nous proposons, dans un premier temps, d'augmenter de 1 000 le nombre des personnes pouvant être suivies, soit une dépense d'un million d’euros.

L'importance du suivi psychologique et psychiatrique des jeunes délinquants mérite également une dotation. Dans un premier temps, il semble nécessaire de prévoir une dotation bénéficiant à 500 jeunes majeurs.

Cette action à la fois préventive et curative se situe au plus près du terrain. Elle implique une redistribution des moyens de fonctionnement affectés au programme 213. Ces moyens qui concernent la conduite et le pilotage central de la politique de la justice et les organismes rattachés, y compris les moyens de l'état-major, semblent en effet relativement surévalués au regard des priorités qui devraient prévaloir dès l’année prochaine.

M. le président. Monsieur Bapt, le membre de la commission des finances que vous êtes voudra bien excuser le président de séance, par ailleurs seulement membre de la commission des lois (Sourires), de relever une petite inexactitude dans votre exposé. L’amendement que vous avez défendu est parfaitement rédigé selon les nouvelles normes de la LOLF : vous proposez certes des augmentations de crédits, mais elles sont exactement compensées par une diminution de crédits dans un autre programme. Autrement dit, dans votre amendement, les crédits globaux de la mission « Justice » ne sont pas modifiés : c’est seulement la répartition entre les programmes qui est changée. Il n’y a donc pas de levée de gage à demander. La nouvelle procédure prévue par la loi organique est tout à fait intéressante.

M. le garde des sceaux. Eh oui !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement ?

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial. L’amendement pose de bonnes questions sur les moyens affectés au suivi socio-judiciaire.

Néanmoins, j’observe d’abord que le nombre de suivis socio-judiciaires prononcés par les juridictions augmente de façon sensible. Il faut s’inscrire dans la durée : 265 mesures de suivi socio-judiciaire ont été prononcées en 2000, 795 l’ont été en 2003, dernier chiffre disponible, et je ne doute pas qu’elles aient encore augmenté. Qu’il soit nécessaire d’accroître les moyens dans la durée, je n’en doute pas et nous en sommes tous convaincus, notamment pour la prévention de la récidive en matière de délinquance sexuelle, qui est – de loin – le problème majeur en matière de récidive.

Je n’ai pas pu reconstituer la totalité des crédits affectés au suivi socio-judiciaire dans la mesure où ils ne sont pas regroupés sous ce vocable dans la mission « Justice ». Par ailleurs, je suppose qu’ils relèvent également de la mission « Santé ». Il est donc assez normal d’avoir une approche plus globale de la question, et non pas une volonté de tronçonner les moyens et les objectifs, ce qui serait contraire à la LOLF.

Cependant, je ne doute pas qu’à l’avenir il faudra notamment alléger la procédure qui est aujourd’hui beaucoup trop complexe étant donné la multiplicité d’intervenants en matière de suivi socio-judiciaire.

Cher collègue, vous parlez de vacation, mais je crois aussi nécessaire de dire que le système n’est nullement attractif. Soixante TGI n’ont pas pu établir de liste de médecins coordonnateurs, faute de candidats ! Quant au secteur de la psychiatrie, vous connaissez la grande déshérence en la matière. Il faut tenir compte de ces difficultés.

Votre amendement propose d’augmenter les crédits consacrés aux SPIP, en prévoyant de diminuer ceux qui sont affectés au programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice », mais permettez-moi de vous le dire, ce programme est absolument nécessaire. Il se répartit en deux catégories de crédits : les crédits de personnel, pour environ 100 millions d’euros, et les crédits de fonctionnement, essentiellement des loyers. Il serait donc déraisonnable d’enlever des moyens à cette fonction de conduite et de pilotage de la politique de la justice.

Certes, le sujet est important, mais je demande le rejet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 219 ?

M. le garde des sceaux. Monsieur le président, je voudrais d’abord vous dire mon admiration pour le cours de finances publiques que vous venez de prononcer. Je vois que vous restez un grand spécialiste de cette matière et que vous n’avez pas tardé à actualiser vos connaissances à l’occasion de la LOLF.

Le groupe socialiste ne sera pas surpris si je lui apprends que le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Toutefois, comme l’a dit le rapporteur spécial, Pierre Albertini, nous partageons l’approche de ses rédacteurs : il est en effet nécessaire d’accompagner les personnes placées sous main de justice. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons déjà créé en 2002 − je vous demande de le retenir, voire de le répéter publiquement − 700 postes de conseillers d’insertion et de probation. Qui avait fait mieux dans le passé ? L’année prochaine, l’École nationale d’administration pénitentiaire formera 300 conseillers, ce qui correspond à sa capacité maximale.

Dans le cadre de la LOPJ, nous poursuivons l’augmentation sans précédent de ces effectifs. Mais, s’il est toujours possible de le faire en éparpillant de façon uniforme les personnels sur l’ensemble du territoire, je préfère, pour ma part, identifier concrètement les besoins, qui ne sont pas les mêmes dans l’Essonne et dans la Creuse, avant d’affecter des ressources supplémentaires.

En ce qui concerne le recours à des personnels de santé vacataires pour assurer une meilleure prise en charge sanitaire des détenus, je rappelle que des progrès considérables ont été réalisés en la matière depuis 1994, date à laquelle les soins en milieu carcéral ont été pris en charge par le ministère de la santé. Les moyens en personnels de santé intervenant au sein des établissements pénitentiaires relèvent, depuis cette date, de ce ministère et non de celui de la justice.

Votre préoccupation étant également celle du Gouvernement, nous étudions, sur la base des propositions de M. Jean-Luc Warsmann, la possibilité de renforcer les moyens d’exécution des peines, en affectant des ressources supplémentaires aux bureaux de l’exécution des peines que, je le disais tout à l’heure, je souhaite généraliser à l’ensemble des 181 tribunaux de grande instance, mais également aux services d’insertion et de probation.

Enfin, nous ne souhaitons pas que tout cela se fasse au détriment des principaux projets de modernisation de notre justice, et nous ne voulons surtout pas remettre en cause le projet informatique majeur qu’est Cassiopée. Votre proposition conduirait à supprimer ce projet, alors que 2006 sera l’année de sa finalisation et de sa réalisation. C’est un point très important.

M. Guy Geoffroy. Ce ne serait pas raisonnable !

M. le président. Vous voyez que les nouvelles procédures de la LOLF permettent des débats sur les priorités respectives des uns et des autres.

La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Si je m’étais attendu à cette réponse facile, qui consiste à dire que, non seulement mon amendement propose des suppressions d’emplois, mais qu’il s’en prend en outre à Cassiopée – contre quoi je vous assure que je n’ai absolument rien −, je ne me serais pas exprimé. (Rires.)

M. le garde des sceaux. Je m’en doutais !

M. Gérard Bapt. Cela dit, j’apprécie à leur juste valeur les réponses de M. le rapporteur et de M. le ministre.

Au-delà des moyens mis à disposition depuis 2002, que vous avez rappelés, les mesures prises dans le domaine de la prévention de la récidive vont augmenter les dépenses. Il faudra donc bien les financer. À l’heure actuelle, les moyens existants ne nous semblent pas suffisants. Mais, je le répète, j’apprécie, monsieur le ministre, que vous teniez notre préoccupation pour légitime.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 219.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les crédits de la mission « Justice », inscrits à l’état B.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président. Nous avons terminé l’examen des crédits relatifs à la justice.

La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour
de LA prochaine séance

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2006, n° 2540 :

Rapport, n° 2568, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

Santé :

Rapport spécial, n° 2568, annexe 29, de M. Gérard Bapt, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan ;

Avis, n° 2569, tome 8, de M. Paul-Henri Cugnenc, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)