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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 29 novembre 2005

81e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

Abrogation de l’article 4
de la loi du 23 février 2005
relative aux français rapatriés

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Bernard Derosier et plusieurs de ses collègues visant à abroger l’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (n°s 2667, 2705).

La parole est M. Bernard Derosier, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Bernard Derosier, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué aux anciens combattants, mes chers collègues, nous sommes des législateurs, mandatés par nos concitoyens pour faire la loi, une loi qui très souvent protège mais, dans certains cas, contraint. Or, il est des domaines où la contrainte crée une orientation parfois contraire aux grands principes d’une démocratie, aux grands principes de notre république.

Depuis quelques jours, cette proposition de loi a suscité un débat dans l’opinion, et beaucoup interviennent pour traiter des aspects positifs ou négatifs de la colonisation.

Bien que ce ne soit pas là l’objet essentiel de ma proposition de loi, c’est un sujet qui mérite réflexion. Convenons, cela étant, que, si nous sommes législateurs pour écrire la loi, nous n’avons pas, à quelques exceptions près, toutes les compétences du sociologue, du philosophe ou de l’historien, qui peuvent, en vertu de leur formation, créer la réflexion et participer à l’écriture de l’histoire.

Telle qu’elle a été votée, promulguée et publiée, la loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés est incontestablement à l’origine d’un nombre non négligeable de problèmes. Elle porte sur un sujet d’une gravité peu commune et touche à l’idéal humaniste et démocratique de notre république, dont nous nous réclamons tous.

Tout s’est passé le 11 juin 2004, au cours de l’examen en première lecture de ce qui allait devenir la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

Ce texte était incontestablement indispensable mais, à l’occasion du débat et à travers un sous-amendement, l’Assemblée a introduit un article, l’article 4, dont je m’autorise à vous rappeler le contenu : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. »

Or, la lecture de cette disposition semble issue d’un autre temps, et même d’un autre régime politique. Elle est en contradiction avec les principes fondateurs de notre démocratie, elle n’a pas sa place dans la loi française.

Ce sous-amendement, voté contre l’avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – et je salue ici M. Christian Kert, alors rapporteur du projet de loi –, a complètement dénaturé les objectifs initiaux du projet de loi qui devait être un symbole de réconciliation nationale.

Je veux par mon propos montrer à quel point l’article 4 est politiquement, juridiquement et diplomatiquement inacceptable. Il est juridiquement inopérant, car il n’entre pas dans les prérogatives du législateur de fixer les programmes scolaires et universitaires ; il est politiquement inacceptable, car le deuxième alinéa de l’article 4 met à bas les efforts entrepris en faveur de la mémoire de la période coloniale de notre histoire ; il est enfin diplomatiquement dévastateur, car il met en péril l’équilibre des relations qui lient la France aux pays anciennement colonisés.

L’article 4 est en effet juridiquement inopérant, car il n’appartient pas au législateur d’enjoindre aux historiens qui rédigent les manuels scolaires et universitaires servant de support à l’enseignement de l’histoire dans les établissements de la République de reconnaître le caractère bénéfique ou non de la politique de colonisation française, notamment en Afrique du Nord.

Le chef d’un État concerné, avec lequel nous entretenons des relations qui s’améliorent chaque jour, a parlé de « révisionnisme » : ce mot est marqué en France d’une connotation lourde, et il me semble donc quelque peu exagéré.

En tant qu’élus de la Nation, nous contribuons par nos décisions à l’écriture de notre histoire, mais nous n’avons ni le recul ni la compétence nécessaires pour en mesurer les conséquences et les analyser. Cela relève de la responsabilité des chercheurs, des historiens, français ou étrangers.

L’indépendance des enseignants chercheurs, qui ont la charge d’analyser l’histoire mais aussi d’établir les programmes scolaires, constitue d’ailleurs un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Le Conseil constitutionnel l’a réaffirmé dans une décision du 20 janvier 1984, qui indique que « par leur nature même, les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables ».

Il est donc de la responsabilité politique du Parlement et du Gouvernement de garantir les moyens et l’indépendance des travaux de recherche. Or, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 s’y oppose.

La récente déclaration du ministre de l’éducation nationale, Gilles de Robien, est d’ailleurs révélatrice du caractère inopérant de cet article : « L’article 4 de la loi n’implique aucune modification des programmes actuels d’histoire, qui permettent d’aborder le thème de la présence française outre-mer dans tous ses aspects et tous ses éclairages. »

Le dernier alinéa de l’article, qui prévoit que « la coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée », n’a pas non plus sa place dans un texte de loi. L’intérêt d’une coopération interétatique est évident, à condition que le résultat de la recherche ne soit pas prédéterminé. Devra-t-on financer les chercheurs pour qu’ils contactent les gouvernements des pays qui furent des colonies en leur demandant la preuve, et seulement celle-là, des bienfaits de notre passage ?

Plus encore, à quoi bon inscrire dans la loi une coopération qui existe déjà entre les universités françaises et étrangères ?

Nous venons de discuter du projet de loi de finances pour 2006. Demandons plutôt au Gouvernement d’augmenter les crédits alloués à la recherche sur l’histoire des colonies, créons un programme budgétaire : nous répondrons ainsi au légitime appel qu’ont lancé des universitaires lors d’un colloque à Blois en octobre dernier, demandant un véritable effort en faveur des études sur la colonisation et la décolonisation.

L’article 4 est aussi politiquement inacceptable. Ce texte risque en effet de ralentir considérablement les efforts consentis par la France concernant la mémoire des politiques coloniales.

Nous devons dépasser les clivages politiques et nous appuyer sur des travaux impartiaux pour permettre que s’établisse un consensus national sur le travail de mémoire.

Alors que le fait colonial est désormais reconnu dans toutes ses manifestations, même les plus brutales et les plus récentes, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 représente une forme de régression. Depuis juin 1999, les autorités françaises ont en effet marqué leur volonté de reconnaître à l’histoire algérienne de la France, et à la guerre d’Algérie, sa place dans l’histoire nationale. Ce fut d’abord sa reconnaissance officielle par l’Assemblée nationale, à travers le vote, à l’unanimité, de la loi du 18 octobre 1999, relative à la substitution, à l’expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l’expression « à la guerre d’Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc » – et je salue le travail accompli par Jacques Floch à l’époque. Ce fut ensuite l’ouverture des archives, trente ans après les faits, et enfin l’inscription de la guerre d’Algérie dans les programmes scolaires nationaux.

Attention, donc ! Ne nous faisons pas l’écho de la théorie d’Ernest Renan qui, dans La Réforme intellectuelle et morale, fondait le colonialisme sur l’inégalité des races et sur la mission civilisatrice de l’homme blanc.

Après avoir aboli l’esclavage sous la IIe République, la France républicaine a souhaité habiller ses ambitions économiques et géostratégiques du manteau d’un messianisme civilisateur qui voulait apporter les Lumières aux populations conquises.

Ne perpétuons pas une tradition dont les effets ont été à l’origine de tant de drames et de conflits ! Certes, la présence française outre-mer s’est étalée sur plusieurs siècles. Elle a eu des effets divers. Peut-être a-t-elle permis des avancées dans le domaine des infrastructures, des équipements publics et autres, réalisés grâce au travail de personnes soit françaises, soit le plus souvent issues de ces territoires et terriblement exploitées lors de la réalisation de ces ouvrages. En tout état de cause, il appartient au législateur non pas de qualifier l’histoire coloniale, mais d’en favoriser les études et la mémoire afin que les leçons tirées aient une influence positive sur nos comportements futurs.

Mme Christiane Taubira. Très bien !

M. Bernard Derosier, rapporteur. Ne nous trompons pas : l’histoire n’est pas une somme de faits positifs ou négatifs ; elle ne se résume pas au résultat d’une addition ; on n’en établit pas le compte pour tresser des couronnes aux uns et aux autres.

En s’engageant dans cette représentation comptable de l’histoire, le Parlement a organisé la concurrence des victimes et des mémoires. Cette concurrence va à l’encontre non seulement de la réconciliation des peuples, mais aussi de l’unité des Français. Bien entendu, je n’oublie pas celles et ceux de nos compatriotes qui ont eu à subir, dans leur chair, dans leurs biens, dans leur vie tout simplement, les effets de la décolonisation. Ils ont fait les frais d’une politique qui faisait peu de cas de leur implication dans les pays colonisés et furent victimes d’un système. La colonisation n’est pas une faute que l’on doit leur imputer ! C’est à la France dans son ensemble d’assumer toutes les conséquences de ses actes.

L’enseignement dispensé dans les écoles de la République doit donc être exemplaire et offrir aux jeunes Français des repères de mémoire afin de bâtir non seulement leur avenir, mais aussi l’avenir de la France et de la République. Il serait indigne pour l’ensemble de la Nation de passer sous silence les faits, peu glorieux parfois, tant dans les territoires colonisés que sur le territoire métropolitain, de mentir par omission en oubliant des événements dramatiques. N’avancer que le rôle positif de la présence française outre-mer, et particulièrement en Afrique du Nord, est forcément interprété dans un sens que ne voulaient pas – j’en suis quasiment persuadé – lui donner la plupart de ceux qui ont voté l’amendement.

Diplomatiquement dévastateur, le dernier volet, et non des moindres, de mon rapport est le volet international et diplomatique. Les effets de ce texte ont largement dépassé le seul territoire national et placé la France dans une situation délicate vis-à-vis de ses anciennes colonies.

Léopold Sédar Senghor – référence incontestable ! – reconnaissait, en 1977, qu’il y avait deux facettes dans l’histoire de la colonisation : l’une négative, dont l’une des traductions les plus monstrueuses est sans doute celle qui concerne le commerce triangulaire ; l’autre, qui a fait que nombre de pays sont désormais membres de la francophonie.

Les relations au sein de l’espace francophone risquent pourtant d’être affaiblies par des mesures semblables à l’article 4 de la loi du 23 février 2005. Ainsi cette disposition a-t-elle déjà provoqué d’importantes réactions au sein de l’ensemble des pays concernés par la colonisation française alors que nous devons œuvrer à une réconciliation pérenne des peuples.

Certes, l’Algérie est le pays où la réaction est la plus vive. Ses responsables politiques, son chef de l’État s’expriment parfois en des termes qui, j’en conviens, peuvent ne pas nous plaire. Mais n’oublions pas que l’Algérie est le dernier en date des pays qui ont fait l’objet d’une mesure très forte de décolonisation et qu’elle a accédé à l’indépendance dans les conditions que l’on sait. C’est aussi le seul pays avec lequel nous sommes engagés dans un processus de conclusion d’un traité d’amitié et de coopération, lancé officiellement à Alger par les Présidents Bouteflika et Chirac, en mars 2003, puisqu’ils en ont signé le principe.

En mai dernier, j’ai eu l’honneur de conduire avec certains de mes collègues, dont le président Raoult, que je salue, une délégation de députés français qui, pendant une semaine, ont rencontré des responsables algériens. Ces derniers ont à chaque fois abordé cette question tant elle les préoccupe en termes de remise en cause de l’évolution de ce traité d’amitié entre nos deux pays. Je suis rentré hier d’une mission en Algérie destinée à participer à la formation des parlementaires des pays du Maghreb et des fonctionnaires de leurs assemblées, et j’ai à nouveau été interrogé sur ce point par mes interlocuteurs.

L’article que nous proposons de supprimer menace donc l’élaboration et la signature de cet indispensable traité d’amitié franco-algérien qui devrait permettre à ces deux peuples de devenir, demain, le moteur de la coopération euro-méditerranéenne, comme l’a été le couple franco-allemand dans la construction européenne, après pourtant trois guerres meurtrières en quatre-vingts ans, grâce au traité d’amitié signé le 22 janvier 1963 entre la France et l’Allemagne. Chacun se souvient du rôle déterminant qu’a joué alors le général de Gaulle. L’article 4 est de ce point de vue une initiative qui met en cause l’image et le rayonnement de la France,

L’histoire de notre République n’est pas sans taches. Le colonialisme est de ces plaies qui tardent à cicatriser et que quelques mots suffisent à raviver. La République ne peut pas se bâtir sur le mensonge et la négation de ses errements sans renier son idéal humaniste.

Dans ces conditions, ne pas abroger l’article 4 de la loi du 23 février 2005, c’est refuser le nouvel état du monde et la nécessité d’entretenir des relations claires et confiantes avec les États issus des anciennes colonies. Pourquoi tenter d’excuser ce qu’il nous faut d’abord affronter ensemble et dont il faut tirer les conséquences avec justice ?

Ne laissons pas un texte adopté dans les conditions que l’on sait et contre l’avis même de la plupart des membres de la majorité ternir l’idéal républicain, notre idéal commun !

Mes chers collègues, quel que soit le groupe politique auquel vous appartenez, je suis sûr que vous avez envie d’envoyer un message de bonne santé au Président algérien Bouteflika, qui se soigne en ce moment à Paris. Je suis sûr, mes chers collègues de la majorité et peut-être même aussi de l’opposition, que vous avez envie d’envoyer un message de bon anniversaire au Président de la République Jacques Chirac. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. C’est indécent !

M. Jean-Pierre Brard. Pas du tout : ce souci humanitaire honore notre collègue Derosier !

M. Jean-Pierre Soisson. N’importe quoi !

M. Éric Raoult. C’est malheureux !

M. Georges Fenech. C’est un dérapage !

M. le président. Mes chers collègues, M. Derosier allait précisément conclure puisqu’il a largement dépassé son temps de parole, ce que je vais finir par regretter !

M. Bernard Derosier, rapporteur. Je suis navré que le président Dubernard réagisse aussi vivement !

M. Éric Raoult. Le début de votre propos était bon, mais la fin l’est moins !

M. Bernard Derosier, rapporteur. Elle est très bonne aussi. La preuve, c’est qu’elle vous fait réagir !

M. Jean-Pierre Soisson. Vous déraillez, un point c’est tout !

M. Bernard Derosier, rapporteur. M. Soisson est tellement habitué aux déraillements dans sa vie politique que son propos ne peut pas nous surprendre !

Je vous invite, mesdames, messieurs les députés, à adopter ce texte, car la France et les Français nous regardent, de même que nos partenaires des pays amis qui furent, à un moment de notre histoire, des colonies. Vous avez là une opportunité de clore une polémique inutile et néfaste pour la France et pour son image dans le monde,…

M. Georges Fenech. Polémique que vous avez soulevée !

M. Bernard Derosier, rapporteur. …et de laisser l’histoire juger l’histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, mesdames, messieurs, j’ai hésité à m’exprimer sur ce texte. Je vais tout de même le faire, mais je regrette que le ton donné par le rapporteur au débat en séance publique ne corresponde pas à celui qu’il a adopté en commission, qui était parfaitement acceptable par tous et respecté par les membres de la commission. Rappelons-nous aussi d’où vient cette polémique !

Mercredi dernier, le 23 novembre, j’ai proposé en commission de ne pas engager la discussion des articles, de suspendre les travaux de la commission et de ne pas présenter de conclusions sur le texte de la proposition de loi de M. Bernard Derosier. Cette position n’a nullement empêché ni la discussion en séance publique ni la publication d’un rapport incluant le compte rendu des travaux de la commission au cours desquels chacun a eu tout loisir de s’exprimer. Je dois saluer à cet égard la pondération des députés, et notamment celle du rapporteur, lors de nos débats en commission.

Si j’ai proposé en commission de ne pas engager la discussion des articles, c’est que je mesure ce que MM. Mengouchi et Ramdane ont appelé, en 1978, les souffrances de « l’homme qui enjamba la mer ». Rapatriés, harkis, émigrés, notamment issus d’Afrique du Nord : cette souffrance, ils l’ont tous connue.

Nous ne ferons pas injure au bon sens des uns et des autres en refusant d’admettre que leurs retrouvailles ici, en France, ont parfois pu créer des pincements au cœur pour cause d’histoire douloureuse, notamment s’agissant de l’Algérie. On a la mémoire longue sur les deux rives de la Méditerranée !

Reste que ceux qui n’ont pas connu cela, ceux qui n’ont pas souffert, n’ont qu’un devoir : renvoyer dos à dos les démagogues, faire cesser l’invective et reculer la peur.

Au moment où l’opinion est interpellée sur le traitement social de l’immigration et découvre avec angoisse les difficultés de vivre dans nos banlieues sans âme des petits-enfants d’immigrés qui n’étaient autres que d’anciens colonisés, aucun d’entre nous ne doit agiter le chiffon rouge, dans un sens ou dans un autre.

Cela ne signifie pas, bien au contraire, qu’il ne faut pas savoir parler de ce fameux passé colonial, que Pierre Chaunu a décrit comme « une tragédie grecque, zébrée de blessures cachées et d’élans déçus où la rancune et l’amour se croisent ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, premier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Éric Raoult. Il va nous parler de l’amnistie des généraux ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ils ont la mémoire sélective !

M. Jean-Paul Bacquet. Pas du tout ! Nous assumons complètement !

M. Éric Raoult. Mitterrand doit se retourner dans sa tombe !

M. le président. Laissez parler l’orateur, je vous prie.

Vous avez la parole, monsieur Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué aux anciens combattants, mes chers collègues, la transmission de la mémoire historique est un élément constitutif d’une nation. Elle se regarde dans son histoire comme dans un miroir. Elle y puise son identité, son caractère, son vivre ensemble.

Comment ne pas voir qu’aujourd’hui le miroir est fissuré, éclaté. Comme l’a souligné à juste titre le Président de la République, notre pays traverse une crise d’identité. Les Français doutent de partager les mêmes valeurs ; ils craignent de ne plus avoir la même histoire.

Qui sur ces bancs n’est pas choqué par les concurrences de mémoires qui tendent à opposer l’esclavage et l’antisémitisme ? Qui n’est pas peiné de voir des artistes et des intellectuels s’empoigner sur les souffrances de leur communauté d’origine ? Qui n’est pas interpellé quand un musicien français confie à la télévision qu’il n’a pas trouvé de héros auquel s’identifier dans notre panthéon national ?

Ces mots, ces conflits expriment le désarroi de tant de nos concitoyens, jeunes ou adultes, de ne pouvoir se raccrocher à une mémoire collective, d’être sans cesse ballotté entre souffrances et repentances. La République ne parvient plus à leur transmettre ce socle qui fonde une communauté de destin. Combien de citoyens oublient ce qu’ils doivent à son histoire ?

Si nous avons choisi d’ouvrir ce débat, monsieur Raoult, ce n’est pas pour rejouer les guerres coloniales. Ce n’est pas pour rouvrir des plaies qui nous ont fait tant de mal. C’est au contraire, comme l’a rappelé le rapporteur, pour les dépasser, pour reconstruire une conscience nationale qui concilie la vérité et l’estime de soi.

Oui, je le dis avec tristesse, l’article de loi dont nous demandons l’abrogation est un contre-exemple éducatif, un anachronisme historique et une faute politique. Il renoue avec ces temps immémoriaux où l’État croyait fabriquer de bons Français en sommant l’école de leur enseigner une histoire officielle. Une telle conception pouvait se concevoir quand il fallait enraciner la République. Elle n’a plus lieu d’être dans une démocratie adulte où les historiens et les médias mettent en lumière toutes les contradictions de notre histoire.

Quand, en 1999, le Parlement a reconnu à l’unanimité que la guerre d’Algérie était bien une guerre et l’a inscrite comme telle dans les programmes scolaires, il s’agissait de faire comprendre l’enchaînement des événements qui avait conduit à cette tragédie, pas de décréter une vérité unique. Tout ce travail de reconnaissance, de compréhension, toute la volonté de regarder en face notre passé sont compromis par cette soudaine réhabilitation de l’époque coloniale.

Le contre-exemple éducatif devient un anachronisme historique quand il impose une lecture positive et univoque de ce passé tourmenté.

Cet article ressuscite « le bon vieux temps de la coloniale », où la France venait convertir les indigènes à la civilisation des Lumières. C’est ignorer le travail des historiens qui, depuis plus de cinquante ans, ont fait litière de cette légende. C’est passer sous silence les violences, les exactions et les oppressions qui ont parsemé cette période. C’est méconnaître les difficultés qu’a rencontrées notre pays pour accepter l’indépendance de son empire.

Que la présence française ait permis des avancées en matière d’équipements, d’éducation et d’action sanitaire pour les peuples assujettis ne peut en aucun cas justifier l’essence même de la colonisation, qui a été un système de domination d’un peuple sur d’autres et qui a contredit toutes les grandes valeurs démocratiques et humanistes de la République. Là est la faute politique.

Comment comprendre, monsieur le ministre, qu’un gouvernement qui se réclame du gaullisme et du multilatéralisme ait pu laisser passer une telle négation de la libre détermination des peuples ? Comment n’a-t-il pas vu l’impact négatif – dont je sais pourtant que vous êtes conscient – qu’une telle réhabilitation pouvait occasionner dans les pays d’Afrique ou d’Asie qui ont connu la domination française ?

Nous en mesurons l’effet avec l’enlisement du traité d’amitié franco-algérien que le Président de la République avait justement conçu comme un symbole de réconciliation aussi fort que le traité de l’Élysée entre la France et l’Allemagne. Des années d’efforts de rapprochement risquent d’être ruinés par le maintien de cet article.

Cette seule considération devrait suffire à le retirer. Mais il en est une autre qui tient à notre cohésion nationale.

Beaucoup d’entre vous, mesdames et messieurs les députés de la majorité, ont assurément conscience – certains me l’ont dit personnellement – de la blessure qu’une telle disposition a pu infliger à nos concitoyens français issus de l’immigration. Je doute que la colonisation française soit pour beaucoup d’entre eux ou ait été pour leurs ancêtres une époque « positive ». Je ne crois pas qu’elle reflète à leurs yeux les valeurs de la République telles qu’on leur enseigne ou qu’on leur a enseignées. Va-t-on leur refuser la qualité de bon Français parce qu’ils ont un autre regard sur notre histoire ? Évidemment non.

L’histoire d’une vieille nation comme la nôtre n’est pas en noir et blanc. Il n’y a pas les bons et les méchants, les coupables et les victimes, les civilisés et les sauvages. La France a écrit des pages glorieuses dont nous pouvons être fiers et qu’il faut célébrer.

M. Jean-Pierre Soisson. Quand même !

M. Jean-Marc Ayrault. Elle a connu des pages sombres qu’il est nécessaire de comprendre et de reconnaître.

M. Jean-Pierre Brard et M. Christian Paul. Très juste !

M. Jean-Marc Ayrault. Mais il ne s’agit pas de faire repentance ou de s’excuser. Je récuse l’accusation absurde d’une France qui reproduirait aujourd’hui dans ses quartiers la fracture coloniale.

La thèse des « indigènes de la République » ne correspond pas à ma conception.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Nous ne sommes pas comptables des fautes de nos pères et de nos ancêtres, mais nous serions coupables de les répéter. Depuis cinquante ans, quel pays plus que la France a marié tant de populations diverses ? Quel pays plus que la France a reconnu toutes ces personnes comme citoyens à part entière ? Les difficultés que traverse notre modèle d’intégration républicain ne peuvent faire oublier les vertus de ses principes.

Le problème n’est pas de battre notre coulpe, de jeter notre histoire par-dessus bord ou de lui substituer une histoire de chaque communauté. C’est de construire un nouveau récit national et de porter une mémoire partagée dans laquelle chaque enfant de la République puisse se reconnaître. Telle est notre démarche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Là est notre responsabilité, mes chers collègues, là est la mission de l’école : transmettre une conscience nationale aux racines multiples et parfois opposées, évoluer du passé simple au passé composé. C’est cela, la mémoire partagée : « Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore » – comme l’écrivait Ernest Renan dans sa définition de la nation.

Au Chemin des Dames, il y avait des artilleurs ch’timis et des tirailleurs sénégalais. À Monte Cassino, il y avait des fantassins bretons et des tabors marocains. Et la France industrielle s’est construite avec des ouvriers de Gennevilliers, de Tlemcen ou de Wroclaw. C’est cela aussi notre gloire commune, que nous voulons aujourd’hui porter vers le futur.

La faute de cet article est d’avoir fait le contraire. Au lieu d’unir les Français dans la complexité de leur histoire, il crée des mémoires séparées, des mémoires conflictuelles.

Voilà pourquoi, mesdames et messieurs de la majorité, je souhaite que nous trouvions ensemble les chemins pour corriger cette erreur. Nous avons tous reconnu à juste titre la nécessité de réparer les injustices faites aux rapatriés et aux harkis. Nous pouvons tous reconnaître que la présence française outre-mer doit être étudiée dans les écoles parce qu’elle est un élément important de notre histoire contemporaine. Il ne tient qu’à vous, monsieur le ministre, mesdames et messieurs de la majorité, de construire avec nous cette mémoire partagée. Nous vous tendons la main.

M. Jean-Paul Garraud. Arrêtez votre cinéma !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Si les hommes politiques parlaient plus vrai, ils auraient une meilleure image !

M. Jean-Marc Ayrault. Oui, nous vous tendons la main et, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, plutôt que d’annoncer par avance que vous refusez d’engager la discussion des articles, changeons ensemble cet article qui porte un nouveau germe de division.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. L’hypocrisie a des limites ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Paul Garraud. Pas au parti socialiste !

M. Christian Paul. Nos collègues de la majorité feraient mieux de chercher à élever le débat !

M. Jean-Marc Ayrault. L’unité d’une nation se forge dans la conscience de ce qu’elle est et non dans la nostalgie de ce qu’elle a été. Voilà notre conviction, que nous essayons de faire partager à la représentation nationale. C’est maintenant à vous, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés de la majorité, de prendre vos responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Leonetti. Nos responsabilités, nous les avons déjà prises !

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à cette proposition de loi visant à abroger l’article 4 de la loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, nous nous sommes longuement interrogés avant de déterminer notre position.

M. Jean Leonetti. Comme d’habitude !

M. François Rochebloine. En effet, la violence des positions des uns et des autres nous a montré une nouvelle fois qu’aucun camp ne peut s’arroger le monopole de la vérité.

M. Jean-Pierre Brard. Eh non, mon frère !

M. François Rochebloine. Le monde réel n’est jamais tout blanc ou tout noir et il est irresponsable de ne chercher à voir qu’un côté des choses, de même que, en politique, il est irresponsable, quand on est dans la majorité, de ne jamais oser critiquer les projets du Gouvernement qui ne vont pas dans le bon sens. Il est tout autant irresponsable, quand on est dans l’opposition, de s’interdire de voter les bonnes mesures du Gouvernement.

D’un côté, les rapatriés, d’un seul élan, ont salué l’adoption de cet article en février 2005, qui leur paraissait corriger une vision déformée de la colonisation française, celle véhiculée par quelques intellectuels, journalistes et enseignants, qui présentaient les colons comme de riches propriétaires fonciers exploitant les populations colonisées. Nous savons tous qu’une bonne part des colons vivaient en fraternité avec les populations locales et que leurs niveaux de vie n’étaient pas si éloignés. Nous savons aussi que la colonisation a eu d’incontestables effets positifs, notamment l’alphabétisation et la diffusion de l’enseignement, le développement de l’agriculture, de l’exploitation minière et des moyens de communication.

Les rapatriés ont toujours, enracinée en eux, la conviction que l’État ne les a pas aidés comme il l’aurait dû et que la reconnaissance de la Nation, si importante à leurs yeux, et la réparation financière ne seront jamais à la hauteur des souffrances et des sacrifices qui ont été les leurs. Ils se sentent vilipendés dans les médias. Il est vrai que les réactions officielles ne sont pas toujours promptes à répondre à certains propos outrageants, notamment ceux qu’a tenus le Président algérien en 2001, des propos indignes à l’encontre de nos compatriotes harkis.

M. Jean-Pierre Grand. En effet !

M. François Rochebloine. Le sentiment des rapatriés d’avoir été abandonnés par la France et la dette qu’ils imputent à l’État constituent des convictions fortes, que nous devons respecter.

Mais ce respect ne passe pas pour autant par un article de loi contraire à l’indépendance des historiens par rapport au pouvoir politique. Nous comprenons et partageons l’émoi provoqué par cet article 4 parmi les historiens, qui considèrent avec raison que la loi n’a pas vocation à trancher les rapports entre l’histoire et la mémoire.

M. Jean-Pierre Brard. Très juste ! Nous ne sommes pas en Union Soviétique !

M. François Rochebloine. Nous refusons évidemment toute volonté d’ingérence du politique dans le travail des historiens. Rappelons que l’élaboration des programmes scolaires ne dépend pas de la loi, mais du ministère de l’éducation nationale, après une concertation effectuée au sein du Conseil national des programmes. Le ministre François Baroin l’a rappelé très justement sur les ondes hier matin.

De fait, ce serait une atteinte à la neutralité laïque de la République et à la liberté de pensée qui fonde toute recherche scientifique que de vouloir, plus de quarante ans après des événements qui ont profondément marqué l’histoire de France et les consciences, réécrire l’histoire ou occulter certains aspects qui dérangent.

M. Jean-Pierre Brard. Très juste !

M. François Rochebloine. Il ne relève pas de la compétence des législateurs de vouloir gommer les aspects négatifs de la colonisation ou d’affirmer que le rôle de la présence française outre-mer peut être qualifié de globalement positif, sans que des travaux relevant d’une démarche scientifique aient établi ces faits.

M. Georges Fenech. Nous n’avons jamais rien prétendu de tel !

M. Jean-Pierre Grand. Après avoir trahi la majorité, l’UDF trahit l’histoire ! Quelle honte !

M. François Rochebloine. Cette appréciation est uniquement du ressort des historiens. Ce ne sont pas les opinions personnelles qui doivent inspirer le contenu des programmes scolaires, mais des faits établis scientifiquement par les historiens.

La colonisation a eu des effets contradictoires et des ambiguïtés. Il n’en reste pas moins qu’elle s’inscrit dans un processus global qui a été condamné par l’histoire, quelle que soit la puissance colonisatrice. Assia Djebar, qui vient d’être élue à l’Académie française, a écrit que « la langue de l’ancien colonisateur s’était avancée autrefois sur des chemins de sang, de carnage et de viols ».

Pour autant, on ne peut pas considérer, comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi, que les principales avancées dues à la présence française dans les colonies sont les infrastructures et les équipements publics. C’est nier, en particulier, tout le travail d’enseignement.

Cette crainte que le pouvoir politique ne cherche à imposer le sens à donner aux événements historiques — alors que son devoir est de permettre à la communauté des historiens d’agir avec une objectivité garante d’une véritable démocratie — intervient au moment où, par ailleurs, aucune voix officielle ne s’élève pour empêcher l’inauguration de monuments sur notre sol à la mémoire de l’OAS, dont les assassins ont été jugés et condamnés par la justice de la République.

Cette loi de février 2005 a été ressentie par les rapatriés et par les harkis comme un acte fort de la République exprimant sa reconnaissance : la France rendait justice à l’œuvre bâtie par nos compatriotes outre-mer et aux conditions dramatiques dans lesquelles ils se sont séparés de ces terres qu’ils ont aimées et servies.

L’abrogation de l’article 4, manifestement contraire à la liberté de pensée nécessaire aux historiens, ne vise ni à revenir sur cette reconnaissance ni à prendre parti pour les porteurs de valises contre l’OAS.

M. Jean-Pierre Grand. L’UDF avec les communistes : on aura tout vu !

M. François Rochebloine. Nous espérons qu’elle permettra d’apurer le contentieux du passé, de solder les injustices, de dépasser les incompréhensions. Cela passe par un travail de mémoire commun, dans le respect mutuel – ce qui vous manque, cher collègue –, pour examiner et surmonter le passé, y compris les pages les plus douloureuses de la période de la colonisation.

M. Jean-Pierre Grand. Dites-le sur le terrain, à vos électeurs !

M. François Rochebloine. Rassurez-vous, je suis sur le terrain au moins autant que vous.

M. Jean-Pierre Brard. Je peux l’attester !

M. François Rochebloine. Ce travail de mémoire est en tout cas indispensable pour ouvrir la voie à l’édification d’un partenariat exemplaire entre les peuples des deux rives de la Méditerranée, que rapprochent des liens humains d’une densité exceptionnelle.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDF est favorable à la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Grand. Quel scandale ! J’ai honte pour eux.

Mme Michèle Tabarot. Ça oui, quelle honte !

M. le président. La parole est à M. François Liberti.

M. François Liberti. Monsieur le ministre, lors du débat parlementaire du mardi 2 décembre 2003, censé préparer la future loi à partir des conclusions du rapport commandé par le Gouvernement à notre collègue Diefenbacher, j’avais, au nom du groupe communiste et républicain, souligné trois points.

Tout d’abord, la première des vérités historiques consiste à reconnaître et à affirmer que la guerre n’aurait jamais dû avoir lieu : ceux qui l’ont condamnée malgré la répression féroce dont ils furent victimes avaient raison. L’ouverture des archives de cette période devenait donc impérative.

Ensuite, le cessez-le-feu du 19 mars et la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, le 3 juillet 1962, après huit ans de guerre et cent trente-deux ans de colonisation, impliquent un devoir de mémoire envers toutes les victimes, et d’abord les Algériens eux-mêmes, qu’il s’agisse de Larbi Ben M’Hidi, dirigeant du FLN pendu par les commandos d’Aussaresse, de Maurice Audin, mort sous la torture,…

M. Jean-Pierre Grand. C’est la voix du FLN !

M. François Liberti. …des soldats français du contingent tombés au combat, des victimes civiles de tous bords ayant subi exactions, massacres et attentats, en Algérie comme en France, ou des centaines de milliers de familles de rapatriés ayant connu la dure réalité de l’exode, avec son cortège d’injustices et de difficultés.

Enfin, j’avais souligné combien le Comité national des associations de rapatriés attendait d’abord et avant tout, non pas une loi de repentance ou de revanche, mais une loi éclairant les responsabilités politiques et, surtout, une vraie loi de réparation et d’indemnisation propre à rétablir la justice et l’équité envers les rapatriés, ouvriers, salariés, artisans, fonctionnaires et pêcheurs, laissés-pour-compte des lois précédentes, lesquelles ont largement bénéficié à ceux qui, parmi les grands propriétaires fonciers et représentants des grands groupes financiers et industriels, ont profité de la colonisation dont ils ont été les principaux acteurs.

M. Jean-Paul Bacquet. Très juste !

M. François Liberti. Hélas ! Il n’en a rien été. La loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, présentée et défendue par le Gouvernement et la majorité, a exclu le principe même du droit à réparation envers les rapatriés et les enfants de harkis de la deuxième génération – ce qui est un comble, vu son intitulé – et a glissé vers la réhabilitation du fait colonial, qui est devenue le cœur de ce texte.

Le groupe communiste et républicain qui, en première comme en deuxième lecture, a voté contre l’adoption de la loi du 23 février 2005 – à l’abrogation de laquelle je suis, pour ma part, favorable – ne peut qu’approuver pleinement la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. Celle-ci tend en effet à en abroger l’article 4, amendé en février au cours du débat parlementaire, dictant aux historiens le sens dans lequel ils doivent écrire l’histoire de la présence française en Algérie et à l’école de la République la façon dont elle doit enseigner aux élèves les bienfaits de la politique coloniale, tout particulièrement en Afrique du Nord.

Répréhensible tant dans son principe que dans son contenu, cet article a d’autres conséquences. Comment nier l’obstacle ainsi dressé à la réconciliation nécessaire, aux coopérations indispensables, au travail commun à engager avec les pays et les peuples hier colonisés, afin que cette écriture de l’histoire et ce travail de mémoire soient réellement partagés ?

Non seulement une loi ultime de réparation pour les rapatriés reste à faire, mais il est urgent de retrouver le chemin emprunté par celles et ceux qui se sont mobilisés en France et ailleurs pour que tombent les tabous et s’efface le mensonge par omission destiné à masquer la réalité de la guerre d’Algérie et ses causes profondes. Il est indispensable de retrouver le sens de l’histoire qui, en 1999, cinquante ans après, a conduit enfin la France à reconnaître officiellement la guerre d’Algérie, à inscrire celle-ci dans les programmes scolaires et à décider l’ouverture des archives de la présence française, afin de permettre aux historiens d’en écrire l’histoire, dégagés de toute interprétation orientée.

Pour toutes ces raisons, les députés communistes et républicains voteront en faveur de l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, une grande voix résonne encore ici, dont il nous faut entendre la sagesse, celle de Portalis, qui donne à notre travail d’aujourd’hui un singulier éclairage : « Au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer. » Et Portalis d’ajouter : « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance. Ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. »

M. Jean-Pierre Brard. On croirait du Mazeaud !

M. Christian Kert. En quoi la loi du 23 février 2005 aurait-elle dérogé à cet idéal ? Ce texte a pour vocation la reconnaissance de la Nation et pour ambition de corriger quelques-unes des injustices de l’histoire dont les hommes jalonnent leurs civilisations. Ne ferait-on pas mieux de le faire aimer, plutôt que de vilipender l’un de ses articles au prétexte qu’il déplaît à une opinion dominante selon laquelle la colonisation s’est arrêtée là où commence l’aventure, à la conquête et à son cortège de violences ?

M. Jean-Paul Garraud. Très bien !

M. Christian Kert. Nul ne doute de votre sincérité, monsieur le rapporteur, vous qui avez fait preuve, lors du débat en commission, d’une grande rigueur intellectuelle. Cependant, la rigueur et la sincérité ne suffisent point. Observez ce qui nous arrive, aux uns et aux autres : nous voilà condamnés à nous défendre d’avoir cédé notre plume de législateur à des forces colonisatrices presque occultes, tandis que vous êtes accusés d’être inspirés par les dénonciateurs les plus empressés d’une certaine forme de colonisation et, mieux – ou pire –, d’adopter une démarche hostile aux colons algériens d’hier, rapatriés d’aujourd’hui.

Ni les uns ni les autres, nous ne méritons ces condamnations. Nous ne méritons pas l’injuste accusation d’avoir voulu écrire l’histoire de France à la place des historiens, comme certains orateurs ont cru pouvoir l’affirmer,…

M. François Loncle. Malheureusement, si !

M. Christian Kert. …et vous ne méritez pas d’apparaître comme 1e traître à la cause de tous les rapatriés, quelle que soit leur origine.

La vérité est forcément plus complexe. La voici.

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, relayé par celui de Dominique de Villepin, s’était engagé, si ce n’est à clore, du moins à parfaire le dispositif – qui s’est stratifié au cours des quarante années écoulées – en faveur de cette double communauté rapatriée, celle des pieds-noirs et celle des harkis. Soit dit en passant, monsieur le président du groupe socialiste, et sans polémiquer sur le sujet, c’est généralement vous qui avez plein d’idées en faveur de cette communauté, mais c’est toujours nous qui prenons des dispositions concrètes.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est faux !

M. Christian Kert. Ainsi est née cette loi de reconnaissance de la Nation, dont l’examen par les deux assemblées s’étalera sur près d’un an, de mars 2004 à février 2005, donnant lieu à trois lectures successives. Cette reconnaissance de la Nation, nous avons voulu qu’elle se traduise sur le plan de la mémoire, puis sur le plan matériel, et d’abord en direction des harkis de la première génération,…

M. Jacques Floch. Il n’y a pas de harkis de la deuxième génération !

M. Christian Kert. …ceux-là mêmes dont vous dites avec nous qu’ils sont les oubliés de l’histoire. Ces gens ont dû réapprendre, hélas ! dans la misère, le sens de la dignité. Pour la première fois depuis bien longtemps, monsieur le ministre, nous avons dégagé suffisamment d’argent pour permettre à ces harkis de ne plus vivre dans l’urgence financière.

M. Jacques Desallangre. Ce n’est pas le débat !

M. Christian Kert. C’est tout à fait le débat, car vous avez oublié cela. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

De la même façon, nous avons corrigé certaines injustices dont les pieds-noirs, ces déracinés pour longtemps, étaient victimes, injustices que des textes insuffisamment ficelés avaient laissé subsister.

M. Jean-Marc Ayrault. Nous sommes d’accord sur ce point !

M. Christian Kert. Si la gauche n’a pas voté ce texte, elle en a approuvé l’essentiel des dispositions, estimant d’ailleurs qu’elles n’allaient pas assez loin.

M. Jean-Marc Ayrault. Oui !

M. Christian Kert. Mais le débat n’est pas là. Il est né de notre volonté, collective et partagée, de bien faire. Partagée car, jamais au cours des trois séances d’examen de ce texte, Christiane Taubira, Robert Badinter, Jack Lang ou Jack Ralite – ces voix emblématiques en matière de défense des droits de l’homme – ne se sont élevés contre l’adoption d’un sous-amendement d’une grande clarté,…

M. Jean-Paul Garraud. C’est exact !

M. Christian Kert. …qui dispose que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Jamais l’une de ces voix ne s’est élevée après le vote de la loi. Mieux, lors de son examen au Sénat, son article 1er, qui induit le dispositif de l’article 4, a été voté a l’unanimité des groupes politiques.

M. Jean-Paul Garraud. Eh oui !

M. Christian Kert. Il aura fallu attendre un mois après le vote en première lecture pour que deux universitaires demandent dans une tribune de L’Humanité l’abrogation de cet article 4, demande relayée par une pétition et un nouvel appel lancé par des partis et des formations de gauche.

M. François Rochebloine. L’amendement de M. Vercamer était meilleur et il n’aurait pas posé tous ces problèmes !

M. Christian Kert. Tous demandent l’abrogation de la loi du 23 février 2005, au prétexte qu’elle est « un défi à la réalité des faits, à la liberté de l’historien, à toutes les victimes des conflits coloniaux et qu’elle menace la démocratie ». Rien de moins ! Ce qui est consternant, c’est la mauvaise foi de certains et la crédulité de beaucoup d’autres.

Qui peut en effet croire que nous avons voulu nous substituer aux historiens ? Qui peut croire que nous avons voulu dicter aux enseignants un chapitre d’histoire officielle ? Qui peut croire que le ministre Mékachéra ait, avec son vécu personnel, voulu tromper l’histoire ?

Le texte a été caricaturé. La lecture la plus noire possible en a été faite, pour n’y voir qu’une idée : « Ils n’ont voulu retenir que le rôle positif de la colonisation ». Or c’est faux, puisque ce texte dispose clairement : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer. »

M. Jean-Marc Ayrault. « En particulier » !

M. Christian Kert. Où peut-on lire l’obligation de revisiter l’histoire ou la condamnation des écrits relatant les aspects les plus sombres, les plus négatifs de la colonisation ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Marc Ayrault. On peut le lire ! D’ailleurs, vous étiez vous-même opposé au sous-amendement, monsieur Kert !

M. Christian Kert. La grande souplesse intellectuelle de l’article 4 laisse à l’historien le soin de travailler et de publier et à l’enseignant celui de transmettre, en toute conscience, une histoire dont il demeure maître de la présentation, sauf que nous lui demandons de ne pas en ignorer les aspects positifs.

On aura donc compris que la volonté du législateur est bien de demander une présentation équilibrée de la colonisation française.

Mme Martine Billard. Ce n’est pas le rôle de la loi !

M. Christian Kert. Nous ne fixons pas l’intégralité du contenu du programme d’histoire concernant la colonisation. Nous demandons que, à l’intérieur de ce programme, on admette pour vraie, après l’avoir niée, l’idée selon laquelle cette colonisation – que nous appelons présence – a eu aussi un rôle positif.

Êtes-vous toujours sûr, monsieur Ayrault, de votre affirmation selon laquelle ce texte est une « aberration éducative » ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Comme votre rapporteur, n’êtes-vous pas tenté, dans ce dossier si sensible, par plus de prudence dans le propos ?

M. Jean-Marc Ayrault. Vous ne m’avez pas écouté !

M. Christian Kert. Sans doute pris par le temps, monsieur Ayrault, vous avez oublié de lire Jean Daniel, qui semblait s’adresser à vous, au printemps dernier, dans Le Nouvel observateur.

Il écrivait : « Ce sont les professeurs et instituteurs français qui ont enseigné aux enfants colonisés la nécessité de l’émancipation et les moyens d’y parvenir. Il y a une différence entre la colonisation et la présence ». Je sais que vous faites cette différence, monsieur le rapporteur, et je serais heureux, monsieur le président Ayrault, de vous voir suivre le même chemin.

Car si l’on ne présente pas aux élèves les aspects positifs de la présence française outre-mer, alors oui, l’action des milliers de fonctionnaires français – dont des centaines d’enseignants – et l’adhésion au modèle français de millions de colonisés risquent de rester incompréhensibles ; malgré leur courage, les populations indigènes qui ont choisi de travailler avec la France pourraient être rabaissées au rang de traîtres ou de collaborateurs, comme l’a si délicatement rappelé le président Bouteflika à propos des harkis. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Marie-Christine Bellosta a raison, lorsqu’elle s’écrie à propos de ses collègues de l’enseignement qui, un peu hâtivement sans doute, ont signé des pétitions : « Que resterait-il de la France des Lumières si tous les professeurs donnaient cet exemple de passion partisane aux jeunes qui leur sont confiés ? »

M. Jean-Marc Ayrault. Cela n’a rien à voir avec ce que nous disons !

M. Christian Kert. La vérité est forcément complexe…

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Christian Kert. Elle l’est plus encore que vous l’imaginez, monsieur le rapporteur, pour nous les députés qui, depuis notre enfance, côtoyons les pieds-noirs et leurs compagnons d’infortune, les harkis. À vouloir nier un pan de l’histoire, ceux qui appellent à cette abrogation font fi de la mémoire.

M. Jean-Marc Ayrault. C’est faux !

M. Christian Kert. Surtout, vous établissez une hiérarchie dans les mémoires en souffrance : il y aurait d’un côté ceux qui ont souffert des conquêtes et qui auraient droit à notre repentance et, de l’autre, ceux dont il faudrait ignorer les souffrances parce qu’ils étaient du côté de ceux qui réalisaient, qui soignaient, qui éduquaient, mais hors de chez eux.

M. Jean-Marc Ayrault. J’ai dit tout le contraire, monsieur Kert !

M. Christian Kert. Pour notre part, monsieur le rapporteur, nous nous interdisons d’établir une hiérarchie entre ces mémoires en souffrance. La souffrance d’une veuve d’un militant du FLN est aussi réelle que celle du pied-noir qui a laissé les siens là-bas, ou que celle qu’éprouve la famille d’un soldat tué au feu. Elle est aussi forte que celle d’un jeune issu de l’immigration, déchiré entre deux cultures. Elle est identique à celle de la fille d’une victime de la rue d’Isly.

Nous voulons nous interdire de diaboliser certaines années et d’en magnifier d’autres. Or, nous le savons bien, pendant les années quatre-vingt, il y a eu une désertion des élites, des politiques, des universitaires quant au fait colonial. Depuis 1995 environ, les historiens se sont remis à la tâche, et s’approchent peu à peu de la vérité grâce aux articles, aux témoignages, aux photographies.

Parce qu’ils n’ont pas encore atteint cette vérité, l’histoire qu’on nous raconte est incomplète, voire faussée. Le sentiment que nous avions avant d’écrire cette loi de 2005 et son article 4, c’est que nous avions jusqu’à présent, comme l’a dit superbement Camus, laissé l’absurde l’emporter « en comprenant dans une même malédiction Christophe Colomb et Lyautey ».

Depuis quelques années, on n’entendait parler, à propos de la guerre d’Algérie, que de la torture et des déplacements forcés de populations. En se focalisant sur ces aspects, les historiens ne faisaient plus tout à fait œuvre d’historiens. En novembre 1954, au début de l’insurrection, un couple de jeunes instituteurs, les Monnerot, fut abattu sauvagement. Fallait-il que leur mémoire fût effacée ? Non. Elle le fut pourtant. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Voulez-vous, monsieur le rapporteur, qu’après leur avoir laissé entendre qu’enfin la France reconnaissait ce qu’ils ont pu faire de beau et de vrai, les rapatriés se voient à nouveau privés de cette part de vérité que nous leur accordons à travers l’article 4 ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Voulez-vous que les harkis, qui se reconnaissaient enfin dans ce rôle positif qui leur rendait une part de leur honneur, en soient à nouveau dépossédés ?

M. Jean-Marc Ayrault. Vous déformez nos propos ! C’est scandaleux !

M. Christian Kert. Pouvez-vous comprendre que ce qui a changé, ce ne sont pas les faits, mais leur perception ?

Sans volonté de polémiquer, j’en donne un exemple. En février 1882, un homme malade descend à l’hôtel d’Orient à Alger. Impressionné par ce qu’il voit de l’œuvre de la France, il écrit à sa fille Laure Lafargue, pour lui dire que « la France accomplit quelque chose d’extraordinaire, ici, à Alger ». Cet homme de soixante-quatre ans, impressionné par l’œuvre coloniale de la France, restera dans l’histoire. Il s’appelle Karl Marx.

Avant de déposer cette proposition de loi, vous êtes-vous posé deux questions essentielles pour notre société du xxie siècle ?

Premièrement, n’est-ce pas faire œuvre utile que de rappeler le rôle positif de la France à nombre de ces jeunes français issus de l’immigration qui reçoivent au premier degré les messages soulignant les aspects négatifs de la période coloniale ? Comment ceux-ci pourraient-ils ressentir une quelconque fierté d’être français dès lors que les historiens ne leur présentent la France que comme un État qui a exploité leur pays d’origine et martyrisé leurs ancêtres ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. Caricature ! Les historiens sont des gens sérieux !

M. Christian Kert. Deuxièmement, l’abrogation de cet article 4 ne donnerait-elle pas la fâcheuse impression d’une reculade de l’État souverain français à l’égard de l’État souverain algérien qui, par la voix de son Président, a maudit récemment l’aventure française de cent trente ans ?

Certes, vous nous affirmez – et nous ne demandons qu’à le croire, monsieur le rapporteur – qu’il y a aujourd’hui une réelle volonté de rapprochement, mais avez-vous mesuré ces risques, monsieur le rapporteur ? Ne vous effraient-ils pas face à l’histoire de ces hommes dont l’esprit de conquête était éminemment pacifique…

Mme Martine Billard. Eh bien !

Mme Huguette Bello. En 1947, 100 000 morts à Madagascar !

M. Christian Kert. …et qui trouvent avec la loi du 23 février 2005 plus qu’une reconnaissance, une raison nouvelle d’espérer ?

Nous refuserons de voter l’abrogation de l’article 4. Mais je voudrais aussi, monsieur le rapporteur, que votre esprit exigeant reconnaisse la vérité de nos arguments. J’aimerais que vous attendiez que la fondation prévue par la loi se mette au travail sur ces questions d’histoire et de mémoire pour qu’ensemble nous étudiions alors la possibilité de modifier notre loi, dans la mesure où son article 4 serait évidemment devenu inutile.

M. Jean-Marc Ayrault. Autant le retirer dès maintenant !

M. Christian Kert. Retirez votre texte, monsieur le rapporteur, et nous ferons triompher ensemble l’esprit de Portalis, qui disait : « Plutôt que de changer la loi, donnons aux citoyens de nouveaux motifs de l’aimer ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Mignon.

Mme Hélène Mignon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en début d’année scolaire, sur les bancs de l’école primaire, que nous nous prénommions Marie, Leila, Yvette ou Naima, nous récitions en chœur la première leçon d’histoire « Nos ancêtres les Gaulois ».

Lorsqu’on y repense, plusieurs décennies plus tard, on ne peut que trouver risible et pathétique cette volonté du colonisateur d’effacer toute l’histoire de ces peuples, pour ne retenir que la sienne. Maladresse diront certains, mais une maladresse qui dura quand même bien longtemps.

Des souvenirs, nous en sommes tous porteurs, mais cela ne fait pas l’histoire.

Fille de deux fonctionnaires nommés en Algérie, j’ai aimé mon enfance et mon adolescence là-bas, mais je suis restée lucide, ayant été élevée dans le respect de la démocratie et de la République.

Évoquer la présence française outre-mer, c’est faire référence à la colonisation – n’ayons pas peur des mots et ne soyons pas faussement naïfs. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Le but de la colonisation a clairement été énoncé dans cette enceinte en 1885, comme l’a rappelé notre rapporteur : il s’agissait de trouver de nouveaux marchés à nos produits industriels et d’assurer la présence française sur toutes les mers du globe.

Coloniser, c’est annexer des territoires et leurs richesses par la violence, souvent par la ruse, ce qui est tout aussi contestable et cruel. C’est imposer la volonté du colonisateur à tous, en ignorant volontairement les coutumes, les habitudes, l’environnement social et économique, bref les règles qui régissaient le « vivre ensemble » des populations autochtones.

C’est d’avoir méconnu les ethnies, tracé des frontières artificielles pour créer des entités administratives nouvelles, que surgirent bien des problèmes. Il est permis de penser que l’instabilité politique actuelle de certains pays d’Afrique y trouve sa source.

Coloniser, c’est amener une population de France dans le but d’exploiter les richesses d’un autre pays. Ce sont les Alsaciens-Lorrains et les communards qui remplirent les premiers bateaux en partance pour l’Algérie, et firent courageusement vivre le pays tel que la France l’avait imaginé. Pour cela, ils eurent besoin de routes, de voies de chemin de fer, d’écoles, d’hôpitaux.

L’aménagement du territoire se fit en fonction des besoins de la colonisation capitaliste, et non pour répondre aux besoins des populations autochtones, même si celles-ci purent en profiter.

L'État n'étant pas philanthrope, il laissa les congrégations religieuses s'implanter ailleurs, pour ouvrir écoles et dispensaires dans des zones peu accessibles.

À travers nos expériences, nous savons qu’il y a du positif et du négatif dans ce passé commun, mais ce n’est pas à nous d’écrire cette longue page d’histoire pour la transmettre. L’histoire doit être impartiale, et nous ne connaissons qu’une partie de la vérité, celle-ci possédant encore une face cachée. Ce sont les chercheurs qui, après avoir longuement étudié et confronté les documents relatifs à cette période, pourront nous donner la ligne à suivre.

Ils doivent pour cela se référer aux archives écrites, mais aussi s’appuyer sur les témoignages qu’il est encore possible de recueillir. Lorsqu’il s’agit de pays où la tradition orale l’emporte sur l’écrit, il faut aller vite, en vertu de l’adage africain selon lequel, lorsqu’un ancien disparaît, c’est une bibliothèque qui s’en va.

Nous savons qu’en évoquant ce sujet aujourd’hui, nous ravivons des plaies. Nous côtoyons les uns et les autres des rapatriés, des harkis qui ont fait les frais d’une guerre que les gouvernements et la société civile dans sa quasi-totalité n’ont pas pu, pas su ou pas voulu éviter, et d’incidents que des colonialistes forcenés ont eux-mêmes provoqués. Nos compatriotes ont partagé la douleur de ceux qui sont arrivés meurtris.

Pensons aussi à ceux qui, venus de ces territoires, ont participé aux campagnes de France et d’Italie. Nombreux sont ceux qui y ont laissé leur vie. Quant aux anciens combattants qui vivent encore, la pension que leur sert le Gouvernement français est bien plus une aumône qu’une reconnaissance.

Si un armistice n’efface pas l’histoire, nous devons savoir nous retrouver dans la confiance, assumer mutuellement notre passé, sans en oublier les moments douloureux ni les violences. Ce sera notre fierté que de savoir les dépasser.

De part et d’autre de la Méditerranée, des mains se tendent, fraternelles, trait d’union entre deux continents. Suivons l’exemple donné par ces rapatriés qui, l’année dernière, ont su retraverser la Méditerranée pour y retrouver souvenirs et amis. L’émotion a été grande de part et d’autre.

N’oublions pas que des milliers de paraboles se tournent vers la France. Le français est encore la langue de nombre d’Algériens et les bibliothèques sont toujours très fréquentées, même si de plus en plus de jeunes vont poursuivre leurs études au Canada, où ils sont mieux acceptés.

Prenons garde à ne pas rompre ce lien qui perdure entre les hommes et les femmes de pays différents.

Les propos du Président Bouteflika nous ont choqués. Ils sont excessifs, quelles qu’en soient les raisons, et ont sûrement contribué à retarder la signature du traité d’amitié, mais les propos ministériels tenus ici même ces dernières semaines ont eux aussi atteints de plein fouet ces populations.

L’article 4 est le seul que nous remettons en cause dans ce texte de loi, et peut-être ne serions-nous pas ici aujourd’hui si M. de Villepin avait répondu à la lettre que lui a adressée M. Ayrault. Tel qu’il est présenté, cet article ne peut pas concourir à unir nos concitoyens autour de leur histoire, il ne peut pas rassembler la France et les pays qui furent autrefois placés sous sa souveraineté. Notre implantation y est fragile, d’autres voudraient nous y supplanter.

Nous devons la vérité à nos jeunes de tous les quartiers, de toutes origines, mais aussi aux moins jeunes. Donnons aux chercheurs, aux historiens les moyens de développer une profonde analyse des faits, favorisons la confrontation des idées, mais n’acceptons pas d’idées toutes faites ou simplistes.

L’enjeu est dans le devenir de nos relations internationales, des traités bilatéraux que l’Europe pourra conclure non seulement avec les pays en voie de développement, mais aussi avec le reste du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Vitel. Cela n’a rien à voir : c’est hors sujet !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le ministre, l’adoption par le Parlement français, en février dernier, d’un article définissant, à propos du fait colonial, un point de vue officiel pour l’analyse d’un pan entier de l’histoire nationale, article imposant l’enseignement de ce point de vue, restera un événement politique remarquable et regrettable dans l’histoire de notre pays.

Que n’aurait-on entendu si, d’aventure, sur les bancs de gauche de cet hémicycle, nous avions eu l’imprudence de proposer, par exemple, que « les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la Commune de Paris la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la Commune de Paris et accordent à l’histoire et au sacrifice des Communards la place éminente à laquelle ils ont droit » ?

M. Jean Leonetti. C’est déjà fait !

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas vrai, monsieur Leonetti, et vous le savez parfaitement. On valorise toujours le rôle des Versaillais, jamais celui des Communards, qui pourtant furent les seuls à faire preuve de patriotisme face aux Prussiens.

M. Jean Leonetti. Il semble que vous n’ayez pas ouvert un livre d’histoire depuis longtemps !

M. Jean-Pierre Brard. On voit ainsi combien est dangereuse, et contraire à nos valeurs républicaines, toute volonté d’écrire une histoire officielle. C’est un ferment de division de la nation, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’histoire du fait colonial, alors que nombreux sont les Français originaires de pays anciennement colonisés, donc particulièrement sensibles à cette question.

L’adoption de cet amendement traduit une volonté de se cramponner à un passé révolu, à des images d’Épinal rassurantes. Chose très étrange, ce sont les mêmes qui prêchent l’ouverture sans limites à la mondialisation libérale qui voudraient figer l’histoire de notre pays sur des visions officielles orientées, datant du xixe siècle.

Bien évidemment, il ne s’agit nullement de vouloir dénigrer systématiquement l’apport de la colonisation, même si chacun est libre de penser. Marx disait…

M. Jean Leonetti. Que vous citiez Marx ne nous étonne pas !

M. Jean-Pierre Brard. Mieux vaut être savant qu’ignorant !

M. Jean Leonetti. Mieux vaut être démocrate que stalinien !

M. Jean-Pierre Brard. Marx n’était pas stalinien et pour cause : la chronologie le lui interdisait ! (Rires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.) Et si Staline avait été plus marxiste, il n’aurait pas été criminel !

Marx disait donc : « Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre. »

M. Manuel Valls. C’était à propos de la Pologne !

M. Jean-Pierre Brard. Oui, face aux Russes.

Ce serait tomber dans le travers exactement symétrique de celui des auteurs de cette disposition, alors que nous voulons seulement la neutralité et l’objectivité scientifique de l’historien et de l’enseignant.

Il faut remarquer que la France, par la voix de son ambassadeur en Algérie, a, le 27 février dernier, émis publiquement, à partir de l’exemple algérien et s’adressant à un public algérien, une analyse très intéressante quant à la façon de traiter notre passé colonial. Et M. Colin de Verdière, notre ambassadeur, était bien sûr autorisé par les plus hautes autorités de l’État à tenir les propos suivants :

« On parle souvent, entre la France et l’Algérie, d’une “mémoire commune”, liée à mille faits quotidiens tissés entre les communautés musulmane, juive et chrétienne pendant la période coloniale. “Mémoire commune” certes, de voisinage et parfois d’œuvres collectives ; mais aussi “mémoire non-commune”, chargée de ressentiments, d’incompréhensions, d’hostilités. Il n’y a jamais unicité des mémoires, ni d’explication catégorique ou définitive des grands événements historiques, comme il ne peut y avoir concurrence des victimes, ni négation des malheurs, quels que soient ceux-ci.

« Les jeunes générations d’Algérie et de France, la vôtre en l’occurrence, n’ont aucune responsabilité dans les affrontements que nous avons connus. Cela ne doit pas conduire à l’oubli ou à la négation de l’histoire. Mieux vaut se charger lucidement du poids des bruits et des fureurs, des violences des événements et des acteurs de cette histoire, en évitant si possible les certitudes mal étayées, voire les jugements réciproques. Cette charge est lourde et le travail à mener considérable.

« C’est là, me semble-t-il, que se situe notre et votre responsabilité. Celle qui s’appuie sur les exigences du savoir pour tenter d’ouvrir, avec méthode, les chantiers d’un travail historique, comme le font déjà certaines ou certains d’entre vous. Et cela, comme l’a écrit l’historien Benjamin Stora, “pour forger des valeurs d’égalité sur les ruines du mépris et de la haine”. Certains pensent qu’il faut oublier le passé pour qu’il n’enterre pas le présent. Je ne partage pas cet avis, même si nous ne devons pas non plus nous enfermer dans l’histoire. C’est la connaissance lucide du passé et des mémoires diverses, complétée par la vision d’un avenir différent, qui conduit à la tolérance, à la construction de l’espace démocratique et aux valeurs universelles. [...] »

II est donc tout à fait souhaitable que notre pays ne donne pas le sentiment de pratiquer le double langage, l’un à usage interne, l’autre destiné aux pays anciennement colonisés. Le vote de la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise permettrait de régler de bonne manière cette contradiction qui, sans cela, risque fort de devenir rapidement ingérable pour notre pays.

Monsieur le ministre, permettez-moi pour terminer de m’adresser autant au ministre qu’à M. Mékachéra. Vous êtes en effet un bel exemple de la capacité de la nation française à s’enrichir de ses apports successifs. Cela étant, je suis sûr que, pensant à vos parents et à vos grands-parents, vous ne passez pas par profits et pertes les dizaines de milliers de massacrés de Constantine et de Tananarive. Je le sais. Sinon, vous ne seriez pas ministre de la République.

Mme Michèle Tabarot. Quelle honte ! C’est hallucinant !

M. Jean-Pierre Brard. Nous parlons aujourd’hui de vous. Mais nous avons aussi connu Raymond Forni, Édouard Balladur, François Liberti, Lionnel Luca, Thierry Mariani, Odette Grzegrzulka, Kofi Yamgnane, Arthur Paecht. Ce sont ces apports successifs qui font notre nation. Raison de plus pour lire l’histoire telle qu’elle est, sans la déformer comme d’autres ont pu le faire ailleurs, autrefois, et l’on sait à quoi cela a mené.

M. Jean-Pierre Gorges. Et c’est un communiste qui dit cela !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, il faudra qu’un jour, nous fassions enfin la clarté sur notre histoire coloniale, qui a conduit des Français à tuer d’autres Français. Et je ne peux achever ce propos sans évoquer Henri Alleg, Maurice Audin ou Fernand Yveton. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Tabarot.

Mme Michèle Tabarot. Monsieur le président, monsieur le ministre, le 11 juin 2004, alors que notre assemblée venait d’adopter la loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, mes collègues et moi-même quittions cet hémicycle avec la légitime fierté d’avoir œuvré, quarante ans après, à la réhabilitation de la mémoire française en Algérie. La légitime fierté de pouvoir dire à la communauté rapatriée qu’en dehors de toute considération matérielle, la Nation avait tenu à lui rendre un hommage solennel et ô combien mérité.

Cette reconnaissance arrivait après des années de souffrance et d’humiliation pour les pieds-noirs et les harkis. Des années difficiles où ils ont dû faire face aux pires accusations, eux qui n’avaient pour ambition que de vivre sereinement, entourés des leurs, sur ce sol d’Algérie qu’ils aimaient par-dessus tout.

Alors, pour toutes ces raisons, je ne peux accepter que cet hommage à la présence française outre-mer soit aujourd’hui attaqué. Je ne peux m’expliquer qu’après plusieurs mois de silence l’opposition ait décidé de remettre en cause cette avancée, si ce n’est pour satisfaire une partie de son électorat…

M. Manuel Valls. De quel électorat parlez-vous ?

Mme Michèle Tabarot. …et une minorité d’enseignants signataires d’une pétition contre l’article 4 de la loi du 23 février 2005.

Pour ma part, je n’oublie pas que les enseignants qui, aujourd’hui, demandent l’abrogation de cet article, sous un prétexte d’objectivité et de neutralité, sont les mêmes qui arrivaient avec des roses à la main dans l’enceinte de nos salles de classe le 11 mai 1981. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Hélène Mignon. Et alors ?

Mme Michèle Tabarot. Les mêmes qui nous ont enseigné pendant toutes ces années que les modèles communistes, de Moscou, Pékin ou Phnom Penh, permettaient à l’être humain de s’épanouir dans une société juste, égalitaire, et dans le respect des droits de l’homme. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Yves Durand. Scandaleux ! Vous insultez les enseignants !

Mme Michèle Tabarot. Je comprends que vous ayez du mal à l’entendre !

M. Yves Durand. C’est honteux !

M. le président. Mes chers collègues, écoutez Mme Tabarot !

M. Jean-Pierre Brard. Non, trop c’est trop !

Mme Michèle Tabarot. Serait-ce que la vérité vous choque ?

M. Jean-Pierre Brard. Provocatrice !

Mme Michèle Tabarot. Les mêmes qui, aujourd’hui, désemparés de ne plus pouvoir enseigner leur modèle de démocratie, font quotidiennement à leurs élèves le procès de la colonisation.

M. Patrick Roy. Vous faites dans la finesse, ma chère collègue !

M. René Dosière. Elle va bientôt nous sortir l’OAS !

Mme Michèle Tabarot. Mes chers collègues, il est bien trop réducteur d’avoir de l’histoire une vision manichéenne.

M. Manuel Valls. Ça, c’est vrai !

M. Jean-Pierre Brard. La vôtre, madame, est unilatérale !

M. le président. Monsieur Brard, vous n’avez pas la parole !

Mme Michèle Tabarot. Écoutez-moi, monsieur Brard, cela vous fera du bien !

M. Jean-Pierre Brard. Ignorante ! Quand les ignorants veulent enseigner, on sait où cela conduit…

Mme Michèle Tabarot. Vous devriez écouter, pour une fois !

M. Jean-Pierre Brard. Je me suis très bien passé de vous jusqu’à présent !

Mme Michèle Tabarot. Notre passé se compose de multiples facettes. Pour sa part, la France coloniale a permis d’éradiquer des épidémies dévastatrices, grâce aux traitements dispensés par les médecins militaires.

Les Français d’outre-mer ont permis la fertilisation de terres incultes et marécageuses, la réalisation d’infrastructures que les Algériens utilisent encore aujourd’hui.

La France a posé les jalons de la modernité en Algérie, en lui donnant les moyens d’exploiter les richesses naturelles de son sous-sol. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Manuel Valls. Voilà le vrai visage de la droite !

M. Jean-Pierre Brard. Et Tananarive ? Ignorante !

Mme Michèle Tabarot. C’est cela votre tolérance ? Vous ne cessez de faire des discours sur le sujet. Mais vous n’écoutez pas les autres ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Respectez donc les intervenants ! En la matière, vous n’avez pas été très brillants jusqu’à présent.

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes négationiste !

M. Bernard Roman. Exactement ! Hors de cette enceinte, de tels propos sont condamnés par les tribunaux !

Mme Michèle Tabarot. L’article 4 se borne simplement à rappeler que l’histoire ne peut s’écrire d’une seule main.

Il ne s’agit pas, comme cela a pu être dit, de réécrire l’histoire officielle. Il n’est pas question, non plus, de remettre en cause le travail important auquel doivent se livrer les historiens…

M. Jean-Pierre Brard. À condition qu’ils soient à votre botte !

M. Noël Mamère. Les historiens ne vous ont pas attendue, madame !

Mme Michèle Tabarot. …en se basant sur les témoignages de ceux qui ont vécu l’Algérie française.

Il s’agit simplement, pour la représentation nationale de donner son opinion sur un événement historique, comme elle a pu le faire par le passé pour l’esclavage ou en reconnaissant le génocide arménien.

Au moment où l’on s’interroge sur ce qui compose l’identité nationale, sur ce qui doit favoriser notre cohésion, les jeunes Français doivent plus que jamais connaître l’histoire de leur pays dans toute sa réalité, et en être fiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Roman. Ce n’était pas brillant !

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Patrick Roy. La vérité va être rétablie !

M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en entendant certaines interventions, je suis meurtri, endolori et triste.

M. Patrick Roy. Nous aussi !

M. Victorin Lurel. Fils de colonisé, je suis en effet estomaqué par la teneur des propos venant de la droite de cet hémicycle.

« Le passé n’est donc jamais mort, il n’est même jamais le passé » : notre assemblée aurait dû se souvenir de ces mots de William Faulkner avant d’accepter le sous-amendement qui dénature toute l’économie de l’article 4 de la loi du 23 janvier 2005, article que nous vous conjurons d’abroger.

Non, le passé n’est vraiment jamais mort. C’est encore aujourd’hui, et singulièrement au sein de cet hémicycle, le poids mort des choses qui pèse trop sur l’esprit des vivants.

De désastreux prophètes qui se « croisent » pour la défense de l’entreprise coloniale ont décidé, en 2005, de ressusciter Jules Ferry, le Tonkinois, et d’invoquer insidieusement les mânes d’Ernest Renan, non pas celui qui discourait superbement le 11 mars 1882 en Sorbonne sur la conception élective de la Nation, la française, opposée à l’allemande, l’élitaire et l’organique, non pas le Renan qui écrivait une admirable vie de Jésus-Christ, mais celui de la réforme intellectuelle et morale qui justifiait et légitimait la barbarie coloniale sur la prétendue supériorité omnilatérale de la civilisation occidentale, de la race blanche et de la supposée infériorité des races mélaniennes et des civilisations exotiques.

M. Jean-Pierre Brard. Écoutez ça !

M. Victorin Lurel. Désastreux, vous dis-je, parce qu’on n’a pas évalué l’impact désastreux que l’introduction sournoise et subreptice de cette petite phrase sur les bienfaits ou sur le rôle positif de la présence française outre-mer, au bout d’un banal et terne après-midi, pouvait avoir sur les anciennes possessions françaises, souveraines depuis tantôt et très sourcilleuses de leur indépendance, et sur les Français, nombreux, issus de l’immigration, et souvent, trop souvent, ostracisés, discriminés, ghettoïsés.

Au-delà de la véhémence et des outrances de quelques autorités étrangères, on ne saurait celer que cette maladresse compromet – peut-être plus durablement qu’on ne le croit à première vue parce qu’elle fait peser le soupçon sur nos institutions – la politique d’amitié et de coopération avec les pays d’Afrique et d’Asie.

Déjà l’Algérie retient sa plume pour signer le traité qui avait, mutatis mutandis, la même vocation de réconciliation que le traité d’amitié franco-allemand de 1963.

Désastreux, vous dis-je, quand les fourriers de la catastrophe oublient, impavides, que la France est devenue une société multiculturelle et multi-ethnique et qu’il convient de tout faire pour préserver la cohésion nationale et forger une identité intégratrice de toutes les origines. Cela exige tact et sagesse, modération et sobriété. Les émeutes urbaines sont là pour nous le rappeler de manière quasi obsessionnelle.

Désastreux, cet article 4, oukase et avatar du « lyssenkisme », qui enjoint à l’école et à l’université d’enseigner une histoire positive et officielle de la colonisation, violant allègrement au passage un principe fondamental reconnu par les lois de la République : l’indépendance des enseignants-chercheurs.

En partie inapplicable, cette loi funeste n’est pas pour autant sans conséquence pour l’esprit public. Méphitique et délétère, elle constitue incontestablement un ferment de division.

Une mémoire partagée par l’ensemble de la Nation et adossée aux valeurs fondamentales de la République et de l’humanisme doit reconnaître les avancées engrangées sous le régime colonial en matière d’équipements, d’éducation, de santé, mais elle doit nécessairement réparer les blessures encore palpitantes et béantes infligées aux harkis et aux rapatriés d’Afrique du Nord et reconnaître qu’il convient, cinquante ans plus tard, de leur faire un meilleur sort. Mais cette nécessaire objectivité ne saurait nous dispenser d’être lucides sur les horreurs de la longue nuit coloniale.

« Sécurité ? Culture ? Juridisme ? En attendant, je regarde et je vois, partout où il y a, face à face, colonisateurs et colonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt, et en parodie de la formation culturelle, la formation hâtive de quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires. […] Et je dis que, de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie »…

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Victorin Lurel. …« et que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réunir une seule valeur humaine. » J’ai cité Aimé Césaire.

M. Jean-Pierre Brard. Nos collègues de la majorité ne savent pas tous qui est Aimé Césaire !

M. le président. Monsieur Brard, je vous en prie !

M. Victorin Lurel. Aussi désireux que l’on soit de conserver aux débats de cette auguste assemblée leur sérénité, on ne peut pas, même sans acte de contrition, sans repentance et sans exiger je ne sais quel sanglot de l’homme blanc, passer sous silence les 10 000 morts de Guadeloupe en 1802, lors du rétablissement de l’esclavage.

M. Jean-Pierre Brard. Assurément !

M. Victorin Lurel. On ne saurait oublier les 90 000 morts de Madagascar en 1947, les 45 000 morts de Sétif et les carnages commis pendant la conquête du Congo !

M. Jean-Pierre Brard. En effet !

M. Victorin Lurel. On ne peut oublier les morts, les mutilés, les estropiés d’Indochine et d’Afrique. On ne peut oublier, même en faisant un effort d’amnésie, la chicote, la rigoise et le carcan, le fouet, les travaux forcés, l’exploitation, le hachoir des plantations, hier, et aujourd’hui encore l’aliénation, la réification, le larbinisme inoculé, les maladies, les famines, l’analphabétisme – en 1962, 80 % de jeunes Algériens ne sont pas scolarisés – puis les coups d’État fomentés, les élections opportunément arrangées, l’extorsion du pétrole et des matières premières…

M. Bernard Roman. Eh oui !

M. Victorin Lurel. …les élites décérébrées et stipendiées dans les néo-colonies qui forment le pré carré de la France Afrique.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Victorin Lurel. Ah ! Elle était bien bonne, la « coloniale » ! Le plus ahurissant, c’est que s’exprime ici, cinquante ans après le « Discours sur le colonialisme » d’Aimé Césaire et le « Portrait du colonisateur et du colonisé » d’Albert Memmi, sans gêne, à haute et intelligible voix, ce qui se ruminait in petto et se murmurait en cachette : les pires excès et les plus vicieuses des passions. C’est comme si nous étions condamnés, par une sorte de châtiment historique, à remâcher le vomi du racisme, de l’orgueil et de l’arrogance colonialistes.

Qui osera dire à Alain Finkielkraut, ce nouveau croisé qui étale ses certitudes et sa bonne conscience, non ennuagée de doutes, qu’il croit faire preuve de courage en s’attaquant à l’imperium de la pensée unique, mais qu’en s’en prenant à la composition ethnique de l’équipe de France de football, il est tout au plus odieux ?

M. François Loncle. Très bien !

M. Victorin Lurel. C’est pourtant lui qui évoquait dans La défaite de la pensée le « vouloir vivre ensemble » et le plébiscite de tous les jours que constitue la Nation !

Qui osera dire au Club de l’Horloge que les insanités entendues lors de son université du 20 novembre sur les bienfaits de la colonisation blanche en Afrique du Sud sont une faute esthétique et le reflet d’une grossièreté morale ?

Qui osera dire à l’historien patenté Max Gallo que rétablir l’esclavage en 1802 n’était pas qu’un détail ?

Mes chers collègues, en vous proposant d’abroger l’article 4 de la loi du 23 février 2005, nous vous proposons en fait de renoncer à ce qui fait l’essence même de l’aventure coloniale : la domination d’un peuple sur d’autres peuples, contraire aux valeurs de la République.

M. Jean-Pierre Brard. Excellent !

M. Victorin Lurel. Nous vous demandons de renouer avec la Nation, c’est-à-dire avec un héritage mémoriel : mémoire d’un État, mémoire d’une société, mémoire d’un passé commun, mémoire d’un présent intégrant le vouloir vivre ensemble et les héritages culturels.

Mesdames et messieurs, pour toutes ces raisons et bien d’autres encore tapies au fond de vos consciences, parce que nous souhaitons favoriser l’appropriation par l’ensemble de la communauté nationale de cette mémoire douloureuse, avec ses parts d’ombre et de lumière, de ce passé qui n’est décidément jamais mort et qui n’est même pas le passé, cette loi, que vous le vouliez ou non, sera tôt ou tard abrogée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Un député du groupe socialiste. La vérité a été rétablie !

M. le président. La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Monsieur le ministre, l’unique objet de la proposition de loi dont nous discutons ce matin et que – je l’espère – nous voterons, est de réparer l’une des trop nombreuses erreurs du Gouvernement et de sa majorité. Ce n’est pas la pire des erreurs, car elle n’est que symbolique, mais pour cette raison même, ce n’est pas la moindre. Aussi, sans vouloir agiter le chiffon rouge, je n’ai pas l’intention d’édulcorer mon propos pour vous permettre d’esquiver les problèmes que vous avez posés. Nous devons parler franchement et réparer très vite l’erreur qui a été commise. C’est ce que je vais faire, et l’on ne pourra m’accuser d’hypocrisie.

Le texte initial de la loi de février 2005, que l’Assemblée a voté, comportait des mesures de reconnaissance et d’indemnisation en faveur des Français rapatriés d’Algérie. Nous approuvions ces mesures, mais cela n’a pas suffi à votre majorité : certains députés ont souhaité adopter un amendement reflétant leur attachement surprenant à l’empire français et à la colonisation. Monsieur le ministre, vous vous êtes laissé déborder par une partie de votre droite, peut-être inspirée par l’époque des croisades, durant laquelle la France entendait accomplir pour le roi et l’Église une œuvre civilisatrice sur les res nullius et les hommes sans âme.

Au lieu de vous en tenir, mes chers collègues de l’UMP, à la simple indemnisation de femmes et d’hommes qui avaient souffert en raison de leur attachement à la France, vous avez, en votant cet article, fait œuvre dogmatique et tenté de créer une histoire officielle. Que vos discours en soient imprégnés, c’est votre droit, mais l’imposer par la loi pose un problème à tous les Français !

La précédente majorité avait fait voter une loi, adoptée à l’unanimité, qui reconnaissait l’état de guerre en Algérie et traduisait notre volonté d’apaiser notre mémoire collective et de pacifier nos relations diplomatiques avec le peuple algérien.

Nous avions collectivement œuvré pour la réconciliation d’une génération avec son histoire et sa mémoire, afin que les anciens combattants et la France puissent enfin se regarder dans un miroir sans que surgissent les cicatrices d’une amnésie volontaire. De la même façon, les plus hautes autorités de l’État ont reconnu la coresponsabilité du régime pétainiste dans la déportation et l’extermination de milliers de Français juifs, résistants, communistes, homosexuels, tziganes et francs-maçons pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Ces deux introspections ont permis à notre nation de se regarder avec lucidité, sans complaisance mais sans repentante excessive. Votre majorité, hélas, préfère prendre le contre-pied et refuser cette vision équilibrée pour imposer une vérité officielle, légale, en matière d’histoire de la colonisation. Tous les enseignants, chercheurs et universitaires, comme un seul homme et le doigt sur la couture du pantalon, sont donc censés enseigner l’histoire telle que l’impose la loi ! Les chercheurs peuvent chercher, mais leurs conclusions seront désormais écrites dans la loi. Et demain, les controverses historiques ne se feront plus dans les revues scientifiques ou sur les bancs de l’université mais devant le Conseil constitutionnel, puisqu’il faudra contester la loi !

Mes chers collègues, si vous acceptez que la loi fasse l’histoire, impose la véracité des faits et que, en dehors même de toute analyse scientifique, cette vérité officielle s’impose à tous, alors nous courons un grand danger : celui d’attiser les passions, de ressusciter les tensions en portant atteinte à la liberté de penser.

Le mois dernier, monsieur le ministre, je profitais de la discussion du budget des anciens combattants pour dénoncer vos erreurs symboliques les plus importantes qui, je ne sais pour quelle raison, concernent toutes la guerre d’Algérie et ont, à plusieurs reprises, illustré votre dédain pour l’histoire. Par exemple, pour honorer la mémoire des victimes des combats en Afrique du Nord, vous avez imposé la date du 5 décembre, alors que cette date n’a aucune portée historique. Dans le même esprit, vous avez intégré dans des comités de lecture une association de rapatriés d’Algérie proche de l’OAS. Enfin, votre majorité a revisité l’histoire en imposant une version officielle incontestable. J’appelle votre attention sur le ton impératif de l’article 4 de la loi : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française… » !

Cette proposition de loi donne à notre assemblée la possibilité de réparer les erreurs symboliques, politiques, diplomatiques et institutionnelles que la majorité a commises. Que chacun fasse ce pourquoi il est désigné : notre rôle de législateur est d’établir les normes permettant à tous les citoyens de vivre en commun le plus harmonieusement possible, et non de faire ou de refaire l’histoire !

Pour toutes ces raisons, il me semble impératif de poursuivre la discussion de la proposition de loi.

Mes chers collègues de l’UMP, votre erreur vous embarrasse tant que vous avez préféré ne pas présenter de conclusions en commission, afin d’éviter un vote sur l’article de cette proposition de loi. Préférant la tactique de la fuite à l’acceptation et à la réparation de vos erreurs, vous invoquez, dans un amalgame fallacieux, les difficultés de nos compatriotes rapatriés d’Algérie dans les quartiers sensibles.

Nous, les membres du groupe des député-e-s communistes et républicains, souhaitons corriger l’erreur qui a été commise et c’est pourquoi nous voterons en faveur du passage à la discussion des articles de cette proposition de loi, puis pour son adoption. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la rencontre de deux peuples, de deux cultures, de deux religions porte toujours en elle le risque d’un affrontement violent. La colonisation n’a pas échappé à cette règle. Elle a d’abord été l’œuvre des militaires. Mais elle n’est pas restée longtemps l’œuvre des seuls militaires, elle est très vite devenue celle des bâtisseurs.

M. Jean-Pierre Brard. Vous parlez des missionnaires ?

M. Michel Diefenbacher. S’il est un domaine dans lequel elle a apporté, non pas au colonisateur mais à l’humanité tout entière, des avancées majeures, c’est assurément la santé.

Lorsque les grands empires se sont stabilisés entre 1880 et 1914, la « révolution pastorienne » atteignait son apogée en médecine. Les médecins allemands, anglais, français rivalisaient d’ardeur et de créativité pour faire reculer les maladies tropicales. Pendant qu’au Cameroun, Koch, connu pour avoir identifié le bacille de la tuberculose, découvrait le microbe du choléra et s’attaquait à la maladie du sommeil et au paludisme, en Afrique de l’Est, les Anglais Bruce, Dutton, Leishman, Donovan et Manson commençaient à soigner la bilharziose et la leishmaniose.

Dans ce combat contre la souffrance et la mort, les médecins français n’étaient pas en retard. Et l’Algérie fut souvent le lieu de leurs victoires. C’est à Bône qu’en 1835 le médecin-major François-Clément Maillot mit au point le premier traitement contre le paludisme.

M. Jean-Pierre Brard. Certains étaient anti-colonialistes, l’avez-vous oublié ?

M. Michel Diefenbacher. Je n’oublie rien ! Et c’est à Constantine qu’en 1878, le docteur Laveran isola le parasite responsable du paludisme, découverte qui lui vaut le prix Nobel de médecine en 1907.

Ces médecins, ces chercheurs, ces humanistes portaient sous leur blouse blanche un uniforme : celui de l’armée française.

Si leur mission originelle était de soigner ceux qui servaient le même drapeau qu’eux, ils se sont très vite penchés sur le sort des populations locales. Le premier service médical de colonisation fut ainsi créé en Algérie en 1853. Un siècle plus tard, à la veille de l’insurrection, l’Algérie comptait un hôpital universitaire de 2 000 lits à Alger, 3 grands hôpitaux de chef-lieu à Alger, Oran et Constantine,…

M. Manuel Valls. Nous allons revenir sur ce point !

M. Michel Diefenbacher. …14 hôpitaux spécialisés et 112 hôpitaux polyvalents, soit au total 1 lit pour 300 habitants ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Et combien d’Algériens dans ces lits ?

Un député du groupe socialiste. Pendant que 80 % des enfants n’étaient pas scolarisés !

M. Michel Diefenbacher. Les grandes endémies – la variole, le paludisme, la tuberculose, le typhus, la typhoïde, le choléra, la rage, la peste –, qui avaient fait tant de ravages, étaient enfin éradiqués.

Mme Christiane Taubira. Vive la coloniale !

M. Michel Diefenbacher. De 1880 à 1954, la population de souche algérienne était passée de 2,5 à 8,5 millions d’habitants.

Et l’Algérie n’était pas un cas isolé. C’est en Indochine que le docteur Yersin a isolé le microbe de la peste, en 1894, avant que, quarante ans plus tard, le vaccin soit mis au point à Tananarive.

M. Jean-Pierre Brard. Yersin ne portait pas d’uniforme sous la blouse, et il a même lutté contre les militaires !

M. Michel Diefenbacher. Il était français !

C’est encore à Madagascar qu’un jeune médecin colonial, le docteur Lasnet, a créé la première organisation d’assistance médicale gratuite sous le nom d’« assistance médicale indigène », en 1899.

M. Noël Mamère. C’est du négationnisme !

M. Jean-Pierre Brard. Il soignait les victimes de la répression !

M. le président. Monsieur Brard, vous vous êtes déjà exprimé !

M. Michel Diefenbacher. Et si, aujourd’hui encore, dans de nombreux pays africains, les dispensaires mobiles s’appellent les « équipes Jamot », c’est parce qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale un jeune médecin français, Eugène Jamot, avait imaginé ce moyen pour aller au-devant des malades jusqu’au plus profond de la brousse.

Tout cela, mes chers collègues, ce ne sont pas des interprétations, des appréciations, ou des « peut-être », pour reprendre l’expression de M. Derosier. Ce sont des faits. Et ces faits, je les ai cherchés en vain dans les livres d’histoire de nos enfants.

M. Jean-Pierre Brard. Le père Noël va vous apporter un casque colonial ! (Rires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Michel Diefenbacher. En votant le fameux article dont les socialistes demandent aujourd’hui l’abrogation, ce que nous avons voulu, c’est tout simplement que ces faits ne soient ni occultés ni oubliés. Contrairement à ce qu’on a pu entendre ce matin sur les ondes d’une chaîne de radio, hélas ! du service public (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)…

M. Manuel Valls. Vous allez bientôt présenter le journal télévisé !

M. Jean-Pierre Brard. Et vous le présenterez en uniforme !

M. Manuel Valls. Avec un casque colonial !

M. Jean-Pierre Brard. Comme Jaruzelski !

M. le président. Monsieur Brard !

Poursuivez, monsieur Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Contrairement à ce qu’on a pu entendre ce matin sur les ondes d’une chaîne de radio, hélas ! du service public, cet article n’a pas été « voté en catimini ». Il a été discuté publiquement ici, dans cet hémicycle, et les socialistes ne s’y sont pas opposés. Pourquoi aujourd’hui ce revirement bien tardif ?

M. Charles Cova. Après le congrès du Mans, ça leur sert de trait d’union !

M. Michel Diefenbacher. À quelle sollicitation, à quelle injonction la gauche voudrait-elle donc répondre ?

La colonisation était une œuvre humaine. Comme toutes les œuvres humaines, elle a connu ses ombres et ses lumières. Les ombres ont existé, ne les oublions pas. Mais les lumières aussi, et nos enfants doivent les connaître.

Et l’humanisme dont ont fait preuve tant de médecins, bien d’autres en ont aussi témoigné avec autant de talent et de cœur : des ingénieurs, des hommes de loi, des enseignants, des bâtisseurs, des paysans, des religieux, qui, les uns et les autres, n’ont cherché dans cette aventure ni l’argent, ni la puissance, ni la gloire.

M. Jean-Pierre Brard. C’est l’extrême-onction avant l’exécution !

M. Michel Diefenbacher. Rappeler cela, ce n’est ni faire offense aux peuples désormais souverains, ni contester la légitimité de leur émancipation, c’est tout simplement dire ce qu’a été notre histoire commune. Qu’on ne nous accuse pas de vouloir réécrire cette histoire. Nous savons bien que c’est aux historiens de le faire. Mais lorsqu’ils ne le font pas, faut-il alors que la représentation nationale se taise ?

Plusieurs députés du groupe Union pour la démocratie française. Que faites-vous du Livre noir du colonialisme ?

M. Michel Diefenbacher. Mes chers collègues, la loi votée en début d’année ne comporte aucune injonction qui soit assortie d’une sanction, elle ne traduit aucune volonté du politique de se substituer aux historiens. Elle ne demande qu’une chose : le respect de la vérité.

J’ai vécu en Algérie. J’ai gardé de nombreux et de vrais amis algériens. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous aussi, vous avez un ami algérien ?

M. Michel Diefenbacher. Je partage avec eux une conviction : c’est qu’une amitié ne se bâtit que sur la vérité.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’avez pas un ami juif, aussi ?

M. Michel Diefenbacher. C’est sur le respect de la vérité, dans sa complexité et parfois dans ses contradictions, que se construira, là-bas comme ici, l’amitié franco-algérienne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Eh bien ! On est bien parti !

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il en coûte toujours à une société de ne pas être au clair avec son histoire, de tenter d’en contourner les difficultés pour éluder les enseignements qu’elles comportent. La grande tragédie de la colonisation, de même que cette autre grande tragédie qu’est l’esclavage, mérite d’être considérée dans toute sa complexité, mérite aussi, quand elle est examinée par notre assemblée, d’être traitée autrement que par l’introduction subreptice d’un sous-amendement chargé de passion qui, sans oser l’avouer, fait le jeu des interprétations partisanes et extrémistes du fait colonial.

Cette raison suffirait pour que nous votions l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005.

Mais il en est beaucoup d’autres. Une des deux puissances coloniales majeures revient sur des événements, des rêves, des aberrations, des conflits qui l’occupèrent pendant plusieurs siècles. Elle le fait à un moment de l’histoire où les anciens peuples colonisés, dont beaucoup durent arracher leur indépendance, nourrissent des sentiments ambigus, complexes, méfiants à l’égard d’un monde occidental où la folie et l’ignorance des responsables irresponsables vont jusqu’à réveiller le fantasme des croisades. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cette puissance, mes chers collègues, ce pays qui, se tournant vers son passé encore tout proche en feuilletant avec gravité les pages les plus raturées de commentaires, va faire se tourner vers lui les regards de tous les peuples, c’est la France.

II n’y a place en cet instant, en ce lieu, pour aucun intérêt particulier (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), pour aucune stratégie particulière, pour aucune rancœur particulière, pour aucune satisfaction particulière. Il y a place seulement pour la largeur et la générosité. Il y a place seulement pour ce souffle qui animait Charles de Gaulle comme Pierre Mendès France, et dont le grand orientaliste Jacques Berque a su entendre le message simple et puissant : « C’est le vaste qui commande. »

Cet article 4 que nous voulons abroger et qui nous condamne, lui, à l’étroitesse, constitue une insupportable incitation à l’archaïsme, c’est-à-dire, nécessairement, à la violence.

Faut-il, après les événements que nous venons de vivre, aggraver encore pour nos compatriotes issus de l’immigration la difficulté de vivre français ?

Faut-il vraiment infecter les plaies qu’ils portent encore en eux et que leurs conditions d’existence, l’accueil détestable qu’on fait à leurs noms et à leurs prénoms eux-mêmes ne cessent de rouvrir ? Préférons-nous au renforcement de l’amitié avec eux la jouissance solitaire du ressentiment ? Voulons-nous que nos refus les fassent se replier, pour leur malheur et le malheur de tous, dans les ghettos des communautés ?

La France doit se chercher en eux. Ils doivent se chercher dans la France. N’est-ce pas mieux que d’élever, encore et toujours, les barrières des souvenirs tronqués ? La lente éclosion d’une société composite satisfait et au mouvement du monde et au sentiment français de l’universel.

Dangereux pour nous-mêmes, cet article 4 l’est encore plus pour nos relations avec le monde. Au moment où le Président de la République a le courage d’aborder publiquement, et à deux reprises, à Madagascar, une des pages les plus sombres de la colonisation française, la représentation nationale ne peut lui répondre par la régression.

M. Jean-Pierre Brard et Mme Martine Billard. Très bien !

Mme Huguette Bello. Le progrès des relations que le monde occidental entretient avec les pays anciennement colonisés, à une époque de bouleversements mondiaux et d’immenses inégalités, suppose que soit relue ensemble, une fois pour toutes, dans la franchise et la loyauté réciproques, l’histoire entière de la colonisation.

C’est tout particulièrement vrai, tout particulièrement nécessaire, tout particulièrement urgent quand il s’agit des relations entre la France et l’Algérie, dont aucune tragédie n’a pu dénouer les liens. Le traité d’amitié que les deux États ont l’intention de signer n’est pas seulement un trait d’union entre deux nations, c’est un pont décisif entre l’Europe et la Méditerranée.

Au-delà même du champ politique, cet aggiornamento de notre réflexion sur la colonisation ne doit pas être entravé. Le fait colonial – nous voyons que Tocqueville lui-même y cédait – s’est inscrit dans la logique de cette volonté de puissance que le XXe siècle a disqualifiée. Il est vrai que des nostalgiques de la violence nous suggèrent, pour lire le monde moderne, la grille du choc des civilisations, à la fois préalable et cache-misère du nouvel ordre mondial qu’on veut nous imposer.

Le temps n’est plus de céder au fantasme. La guerre d’Irak nous a montré, une fois pour toutes espérons-le, ce que signifient les égoïsmes masqués en exaltation nationale, les intérêts vernis de religiosité, la violence déguisée en défense des valeurs : ils signifient le refus de la réalité, la négation de l’autre, le mensonge à soi-même.

M. Jean-Pierre Grand. C’est grâce à M. Chirac que la France n’a pas participé à cette guerre !

Mme Huguette Bello. Résistons à cet enfermement. Parlons avec simplicité de la colonisation avec tous ceux qu’elle a concernés et qu’elle concerne.

L’ouverture de la réflexion et de la parole nous donnera les meilleures chances de comprendre ce qu’elle a signifié pour les colonisateurs et pour les colonisés. En revenant sereinement sur ce passé, cherchons pourquoi il est si difficile de reconnaître la diversité des autres et la pluralité des sociétés, et trouvons, dans un monde qui l’exige, le moyen d’y parvenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Excellent !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à onze heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Christiane Taubira.

M. Jean-Paul Bacquet. Quel plaisir d’écouter Mme Taubira !

M. le président. En silence, mon cher collègue !

M. Jean-Paul Bacquet. Enfin, du talent !

Mme Christiane Taubira. Ce n’est pas le talent qui a manqué, ce matin.

M. Jean-Pierre Brard. Il n’a pas toujours été prodigué pour le meilleur !

Mme Christiane Taubira. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Kert m’a fait l’honneur − encombrant − de me citer et je le remercie mille fois de me donner ainsi l’occasion de rappeler dans quelles conditions s’est déroulée la première lecture de la loi du 23 février 2005 dont nous proposons d’abroger l’article 4. Initialement programmée pour le mardi 15 juin 2004, elle a été avancée au vendredi 11 juin 2004 : c’était l’avant-veille des élections européennes ; on le voit, on en prend parfois à son aise avec le calendrier parlementaire. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Leonetti. Il est plaisant d’entendre celle qui a fait éliminer Jospin au premier tour nous parler des élections passées ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Christiane Taubira. Depuis quelques mois, les défenseurs maladroits de cet article 4 croient avoir trouvé l’arme fatale en prétendant qu’il n’est qu’un copié-collé de l’article 2 de la loi du 21 mai 2001. Cette posture est indigente.

M. Jean Leonetti. Mme Taubira est-elle de nouveau candidate à l’élection présidentielle ? (« Silence ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Paul Bacquet. Ils sont jaloux parce qu’elle a du talent !

M. le président. Mes chers collègues, serait-il possible que, les uns et les autres, nous nous écoutions en silence ?

M. Jean Leonetti. Il faudrait également demander à l’opposition de se taire quand un orateur de la majorité s’exprime !

M. le président. Je l’ai fait, mon cher collègue, mais vous n’étiez pas là ! Il serait bon que nous écoutions chaque orateur, quoi qu’on pense de ce qu’il dit. Cela réhabiliterait aussi l’Assemblée nationale, comme le rappelle régulièrement notre président, Jean-Louis Debré. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Raoult. Notre bien-aimé président !

M. le président. Veuillez poursuivre, madame Taubira.

Mme Christiane Taubira. C’est bien maltraiter la fonction législative que de recourir aux arguments des cancres pris en défaut dans la cour de récréation et qui se défaussent en accusant leurs camarades.

M. Éric Raoult. Mitterrand était un cancre ?

Mme Christiane Taubira. D’autre part, il faut être de mauvaise foi pour déclarer identiques deux articles de loi qui n’ont rien en commun, ni dans leurs intentions ni dans leurs conséquences.

Ce qui est en jeu, ce sont des visions inconciliables du passé et du présent. Des professeurs d’histoire vigilants l’ont bien compris : si la loi du 21 mai 2001 déclare la nécessité d’un enseignement sur la période de l’esclavage, elle ne formule aucune injonction sur la façon de le faire et stipule, au contraire, que la recherche doit être encouragée et favorisée.

Telle n’est pas l’ambition de l’article 4 de la loi du 23 février 2005. Pour démontrer qu’il ne s’agit que d’une contrefaçon, on pourrait évoquer, une fois de plus, Aimé Césaire qui, en 1955, s’interrogeait : « Qu’est-ce en son principe que la colonisation ? », et répondait que l’essentiel est de « convenir de ce qu’elle n’est point : ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d’admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force ».

M. Éric Raoult. Il a dit tout ça, Aimé Césaire ?

Mme Christiane Taubira. Tout cela et bien plus : c’est dans son Discours sur le colonialisme, paru en 1955.

Mais laissons de côté les principes et passons à la pratique. Le 7 juillet 1833, Louis-Philippe, qui n’était pas un furieux bolchevik (Sourires),…

M. Jean Glavany. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Jean-Pierre Brard. Je le confirme !

Mme Christiane Taubira. …a nommé une commission d’enquête sur l’Algérie. Permettez-moi de citer quelques extraits du rapport qu’elle lui a remis : « La manière dont l’occupation a traité les indigènes est en contradiction non seulement avec la justice, mais avec la raison ». Ou encore : « Nous avons commencé l’exercice de notre puissance par une exaction. » Plus loin : « Nous avons massacré des gens porteurs de sauf-conduits ; égorgé sur un soupçon des populations entières, qui se sont avérées par la suite innocentes. » Et de conclure : « En un mot, nous avons débordé la barbarie des barbares que nous venions civiliser et nous nous plaignons de n’avoir pas réussi avec eux. » Voilà ce qu’écrivaient des Français sous la monarchie.

Aujourd’hui, sous la République, il s’en trouve pour passer par profits et pertes les enfumages, les boucanages, que Pélissier, Saint-Arnaud ou Bugeaud ont reconnu avoir perpétrés : c’est trahir le général Berthezène, humaniste même du temps de la pacification, Thomas Ismayl Urbain, saint-simonien qui a inspiré à Napoléon III le décret du 2 juin 1858 pour en finir avec le pouvoir du sabre, c’est déconsidérer le général de Bollardière, c’est discréditer les combats et la vaillance de Maurice Audin, d’Henri Alleg, c’est disqualifier la parole courageuse de Pierre Vidal-Naquet et tous ceux qui leur ressemblent.

M. Éric Raoult. Et Jules Moch ? Vous êtes sélective !

M. Jean Glavany. Monsieur Raoult, révisez vos classiques ! Il faut tâcher d’élever le débat !

Mme Christiane Taubira. Vous prétendez dicter aux historiens la façon de faire leur travail. Mais il y a longtemps qu’ils savent transmettre ce qu’ils ont appris et il n’est nul besoin d’une sommation idéologique pour enseigner et dire les 450 000 hectares de terres confisquées, les 35 millions de francs réclamés en compensation des dommages de guerre, le sixième de la population algérienne disparue durant les vingt-cinq premières années d’occupation, mais aussi le rôle émancipateur des instituteurs français − il est vrai que les enfants scolarisés étaient peu nombreux −, le courage et le dévouement des militaires français lors de l’épidémie de choléra de 1949.

Entre la loi de 2001 et celle de 2005, les visions paraissent inconciliables. Pour ceux qui l’ignorent ou qui l’ont oublié, je rappellerai que, en 2001, l’ambiance était à l’honneur, à la dignité et au courage. Nulle repentance, nulle mise en accusation, parce qu’il était impensable, pour nous, de meurtrir la France, celle de la Déclaration universelle des droits de l’homme, celle d’Olympe de Gouges, celle de la Commune, celle de Louise Michel, celle de la Résistance, celle de Louise Weiss, la France des grandes voix. Albert Schweitzer, médecin de Lambaréné, disait : « Que signifie à lui seul ce fait que là où des Européens, parés du nom de Jésus, sont parvenus, un si grand nombre de peuples ont déjà disparu ? »

M. Éric Raoult. Et de Gaulle ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. Et Brazzaville ?

Mme Christiane Taubira. « Et quand nous aurons fait tout ce qui est en notre pouvoir, nous n’aurons réparé qu’une petite partie des fautes commises. »

Entendons les grandes voix de Schweitzer, d’André Gide − dans Voyage au Congo et Le Retour du Tchad −, d’Albert Londres − dans Terre d’ébène −, de l’abbé Grégoire, de Victor Schoelcher, de Condorcet. Nous savons reconnaître cette grande voix de la France même lorsqu’elle provient de vos rangs, lorsqu’elle est, par exemple, la voix claire et lumineuse, forte et responsable, lucide et raisonnable qui s’est opposée à la guerre en Irak. Ne vous en déplaise, c’est cette France-là que nous aimons, pas celle qui est captive de vos nostalgies, c’est ce pays qui, dans l’imaginaire universel, insuffle force et espoir aux opprimés de la Terre, la France qui est éternelle parce qu’elle habite les cœurs, les esprits et les rêves de millions de personnes, partout dans le monde. (Plusieurs députés du groupe socialiste se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Martine Billard et M. Noël Mamère. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste.

Mme Marylise Lebranchu. Laissez-nous rendre hommage à Christiane !

M. René Dosière. Ce n’est pas M. Vanneste que nous applaudissons !

M. Jean-Pierre Brard. De ce point de vue, la majorité est un peu défavorisée, ce matin !

M. Christian Vanneste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l’histoire est le plus dangereux des produits que la chimie de l’intellect humain ait élaboré ». Cette phrase de Paul Valéry témoigne, une fois encore, de sa lucidité. L’histoire est avant tout une recherche, et, à ce titre, elle doit être libre, comme le rappelle la loi du 23 février 2005. Mais elle peut aussi être un enseignement et, dans ce cas, elle est nécessairement contrainte, ne serait-ce que par la nécessité de résumer, de condenser. L’histoire n’enseigne pas des faits, elle en donne une interprétation, et la distance historique ou le privilège accordé à tel ou tel type de causalité donneront des mêmes faits une interprétation différente. J’emprunte cette réflexion à Paul Ricœur qui souligne ainsi la limite de l’objectivité historique.

M. René Dosière. Abstenez-vous de déformer sa pensée !

M. Christian Vanneste. François Furet, on s’en souvient, avait montré combien l’enseignement de la Révolution française avait pâti d’une interprétation idéologique.

M. Jean-Pierre Brard. Parce que Furet, lui, n’était pas un idéologue ?

M. Christian Vanneste. L’histoire peut ainsi aller de l’hagiographie au réquisitoire. Elle n’enseigne pas seulement l’interprétation des événements, mais, à travers celle-ci, elle inculque aussi des valeurs. La sélection des faits, le choix de l’un plutôt que de l’autre, et leur interprétation tendent à susciter des jugements de valeur. Or, comme l’écrit justement Dominique Schnapper dans La Communauté des citoyens, c’est à l’école qu’on forme des citoyens, qu’on suscite et nourrit leur adhésion à la collectivité.

C’est la raison pour laquelle il faut veiller à ce que ce dangereux produit de l’intellect qu’est l’histoire soit le plus équilibré possible, pour favoriser à la fois la lucidité et la cohésion.

M. Jean-Pierre Brard. Pour cela, remplacez la louche par la cuiller !

M. Christian Vanneste. Tel est bien le souci qui a présidé à la rédaction de la loi portant reconnaissance de la nation envers les rapatriés : « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France. » L’exposé des motifs, rappelle, quant à lui, que « reconnaître l’œuvre positive de nos compatriotes sur ces territoires est un devoir pour l’État français ».

M. Noël Mamère. Ah bon ?

M. Christian Vanneste. L’article 4 de la loi ne fait que tirer les conséquences de ce devoir de mémoire pour l’enseignement scolaire, ce qui n’est en rien étonnant : c’est même parfaitement logique après les déclarations du Président de la République sur la reconnaissance due aux populations d’outre-mer. La notion de « rôle positif », précédée de l’expression « en particulier », n’exclut donc pas l’évocation d’aspects négatifs de la présence française outre-mer.

M. Jean-Pierre Brard. C’est d’une casuistique admirable !

M. Christian Vanneste. Non, c’est du droit !

M. Noël Mamère. Non, de l’idéologie !

M. Christian Vanneste. Mais, dans un souci d’équilibre que beaucoup feignent de ne pas percevoir, la loi appelle également, dans la même phrase, à la reconnaissance envers les soldats issus de l’outre-mer venus combattre pour la France, notamment durant les deux guerres mondiales. Or ce second membre de phrase, vous vous gardez bien, mes chers collègues, de le relever !

M. Jean-Marie Le Guen. Rappelez donc la promesse que vous aviez faite à l’époque !

M. Christian Vanneste. Cette reconnaissance n’est pas seulement un rappel au devoir de mémoire envers les morts. C’est aussi un message d’espoir envers les vivants, les enfants de rapatriés, de pieds-noirs et de harkis, comme envers les enfants d’immigrés, dont beaucoup ont eu dans leur famille l’un de ces combattants.

Mme Hélène Mignon. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Pierre Brard. Vous ne leur versez même pas de retraite !

M. Christian Vanneste. Sans l’article 4 de la loi, la mémoire de ces combattants ne serait plus honorée. Vous en porteriez la lourde responsabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Glavany. Politicien !

M. Noël Mamère. Révisionniste !

M. Christian Vanneste. Alain Finkielkraut...

M. Jean-Pierre Brard. On a les références qu’on peut !

M. Christian Vanneste. ...nous met aujourd’hui en garde contre la « bien-pensance anti-occidentale » et souligne les conséquences néfastes d’une présentation systématiquement négative de l’histoire, propre à entraîner notre société dans la dépression. «Ainsi répondra-t-on au défi de l’intégration en hâtant la désintégration nationale », souligne-t-il. En effet, comment aimer un pays qui se haïrait lui-même ?

Mme Gisèle Printz, notre collègue socialiste du Sénat, ne s’y est d’ailleurs pas trompée puisqu’elle a soutenu la loi...

M. Pierre Cohen. Mais pas votre sous-amendement !

M. Christian Vanneste. ...et, particulièrement, l’article 4, dont elle s’est plu à souligner les dispositions. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Qui oserait, en effet, regretter la présence de la France dans le monde, le rayonnement de ses valeurs et de sa culture, enrichie par les échanges, et l’existence de la francophonie ?

Qui pourrait regretter le rôle de Brazzaville ou d’Alger dans l’affirmation de la France Libre ?

M. Alain Néri. Encore eût-il fallu tenir les engagements de Brazzaville !

M. Christian Vanneste. A-t-on pensé, un instant, à ce qu’aurait été la France des années quarante,...

M. Jean Glavany. Quand votre idéologie était à Vichy !

M. Philippe Vitel. Avec la gauche pacifiste ?

M. Christian Vanneste. ...sans cet empire que le général de Gaulle fera basculer dans le camp de la liberté,...

M. Philippe Vitel. Ce n’est pas la francisque de Mitterrand !

M. Jean Glavany. Il était anticolonialiste, ignorant !

M. Christian Vanneste. ...avant que les troupes de Leclerc et de Delattre, qui s’y étaient formées, ne viennent participer à la libération de la métropole ?

Comment ne pas vouloir donner comme exemple aux enfants d’aujourd’hui ces premiers médecins français, que citait Michel Diefenbacher, ces french doctors de l’époque qui libéraient Madagascar de la variole et de la rage avec André Thiroux, l’Indochine de la peste avec Alexandre Yersin, et l’Algérie de la malaria avec François-Clément Maillot ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Monsieur Brard et monsieur Mamère, vous n’avez pas la parole !

M. Christian Vanneste. Dans son discours de Brazzaville, le général de Gaulle rappelant l’action de la France, de Gallieni et de Brazza jusqu’à Lyautey, concluait par ces mots : « Il n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient [...] participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. »

Moins de vingt ans plus tard, il tiendra cet engagement. À l’évidence, le présent débat n’aurait pas lieu s’il avait pu mettre celui-ci en œuvre dès le lendemain de la guerre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Entre M. Vanneste et Mme Taubira, il n’y a pas photo !

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, ainsi, neuf mois après l’adoption de la loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, le parti socialiste accouche d’une proposition de loi visant à supprimer l’un de ses articles, au motif que celui-ci « apparaît comme une reconnaissance de la colonisation française ». On ne saurait mieux renier sa propre histoire et ses grands ancêtres, de Jules Ferry à Guy Mollet.

M. René Dosière. Jules Ferry n’était pas socialiste.

M. Lionnel Luca. Quel reniement spectaculaire pour un parti qui a été le parti colonial de la IIIe et de la IVe République !

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. Lionnel Luca. Ce texte, selon l’exposé des motifs de votre proposition de loi, serait une « injonction faite aux historiens d’écrire et à l’école de la République d’enseigner une histoire officielle afin de reconnaître le caractère bénéfique de la politique de colonisation française ». Il n’en est rien car la phrase que vous citez à l’appui de votre raisonnement est délibérément tronquée. Je relis donc une nouvelle fois, après notre collègue Christian Kert, l’article 4 de la loi : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier… » – ce qui ne signifie pas exclusivement, je le souligne – « …le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires »...

M. Jean-Pierre Brard. Versez leur une retraite !

M. le président. Monsieur Brard, vous n’avez pas la parole !

M. Lionnel Luca. ... – c’est-à-dire tous ceux qui, issus de l’empire colonial français, ont été blessés ou tués pendant la Première puis la Deuxième Guerre mondiale, la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie – « la place éminente à laquelle ils ont droit. »

M. Jean-Marie Le Guen. Il fallait le reconnaître à l’époque !

M. Lionnel Luca. Si l’on prend la peine de relire les débats qui eurent lieu sur l’amendement, on constate que notre collègue Vanneste a essentiellement insisté sur ce sacrifice.

Mme Hélène Mignon. Ce n’est pas cela le problème !

M. Lionnel Luca. Chers collègues, en français, les phrases vont d’un point à un autre et ne s’arrêtent pas à une virgule quand cela vous arrange !

M. Jean-Pierre Brard. La ligne est droite mais la pente est forte ! (Sourires.)

M. Lionnel Luca. Qu’en est-il aujourd’hui de l’histoire enseignée dans nos écoles ? Je me suis amusé à lire un livre de Terminale – je tairai le nom de l’éditeur –, financé par la région dans laquelle je suis élu.

M. Paul-Henri Cugnenc. La région PACA !

M. Lionnel Luca. Pour ne pas la citer.

J’en citerai quelques bonnes feuilles portant sur le rôle de la France durant cette période.

À ma surprise, disons plutôt à ma demi-surprise, on peut en effet lire – je relis la phrase en entier pour qu’elle ne soit pas à son tour tronquée : « Depuis décembre 1946, la France mène en Indochine une guerre contre le Viêt-minh d’inspiration communiste. Le 7 mai 1954, elle subit une véritable gifle à Diên Biên Phu. »

M. Jean-Pierre Brard. Jusque-là, c’est vrai.

M. Lionnel Luca. Quel hommage aux combattants français, à tous ceux qui ont fait là le sacrifice de leur vie ! Quelle attention à leurs enfants qui liront dans les livres de classe de telles affirmations !

M. Jean Glavany. Les militaires le reconnaissent eux-mêmes !

M. Jean-Pierre Brard. Demandez au général Bigeard ! Il y était !

M. le président. Monsieur Brard, nous, nous ne vous demandons rien !

M. Richard Mallié. S’il faut demander quelque chose, c’est à Bigeard que l’on s’adressera, pas à Brard !

M. Lionnel Luca. Je poursuis ma lecture : « Le Viêt-minh s’empare de la cuvette dans laquelle l’état-major français a prévu d’attirer ses forces »...

M. Jean-Pierre Brard. Une réussite !

M. Lionnel Luca. ... « et capture la plus grande partie des troupes qui s’y trouvent. » Pas un mot sur les Français emprisonnés et déportés par le Viêt-minh, dont le taux de mortalité a été plus important que parmi les prisonniers des camps de concentration nazis.

M. Richard Mallié. Scandaleux !

M. Lionnel Luca. Voilà l’histoire qui est enseignée aujourd’hui, faite d’omissions, donc de mensonges !

Et sur l’Algérie, que lit-on dans le même manuel ? « Les accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962 et l’indépendance est finalement proclamée le 3 juillet 1962. »

M. Jean-Pierre Brard. Est-ce faux ?

M. Lionnel Luca. « Finalement proclamée », voilà à quoi l’on résume tout ce qui s’est passé entre le 19 mars et le 3 juillet, où il y eut plus de victimes que pendant toute la durée de la guerre.

M. Jean-Marie Le Guen. Qu’a dit le gouvernement de l’époque ? Rien !

Mme Hélène Mignon. C’est vrai !

M. Lionnel Luca. Je comprends que ces citations vous dérangent.

M. Jean-Marie Le Guen. Qui a décidé de l’abandon des Algériens qui avaient été avec l’armée française ?

M. Pierre Cohen. Qui était au pouvoir à l’époque ?

M. Lionnel Luca. « Des centaines de milliers de Français rapatriés rentrent alors en France. » Les vacances sont finies : 132 ans de vacances, pensez !

M. Jean-Marie Le Guen. Qu’a fait là-bas l’armée française ?

M. le président. Monsieur Le Guen, vous n’avez pas la parole.

M. Lionnel Luca. Pas un mot sur les déchirements, sur les massacres d’Oran, sur les camps d’accueil, sur la détresse des réfugiés.

Mme Martine Billard. Et sur les attentats de l’OAS ?

M. Lionnel Luca. Soyez rassurée : ils sont, eux, bien cités. (Vives exclamations de M. Jean-Marie Le Guen.)

M. Éric Raoult. Ses amis en ont amnistié les membres !

M. le président. Monsieur Le Guen, si vous vouliez intervenir, il fallait vous inscrire dans la discussion générale !

Monsieur Luca, concluez, je vous prie.

M. Lionnel Luca. Je conclus, monsieur le président, mais j’ai d’autres citations en réserve pour mes collègues.

L’article 4 de la loi vise donc à rétablir un équilibre qui n’existe pas aujourd’hui, une honnêteté intellectuelle, qui fait trop souvent défaut et qui entretient une vision partielle et partiale de l’histoire de la colonisation. C’est aujourd’hui que l’on enseigne une histoire officielle, dans des livres dont le dénominateur commun paraît être toujours l’humiliation nationale.

Voilà pourquoi abroger cet article est impossible et impensable, notamment depuis les déclarations inadmissibles, d’une violence proprement scandaleuse, du président algérien, que finalement vous relayez, chers collègues. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) J’observe toutefois que celui-ci n’est pas rancunier puisqu’il vient se faire soigner chez nous, ce qui est tout de même un bel hommage au colonisateur. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Glavany. Que d’amalgames !

M. Jean-Marie Le Guen. Il est vrai que la dictature algérienne est plutôt bien reçue en France !

M. Philippe Vitel. C’est vous et vos amis qui avez traité les harkis de collabos !

M. Jean-Marie Le Guen. Nos amis sont dans l’opposition !

M. Lionnel Luca. Abroger cet article est impossible et impensable car ce serait ouvrir encore plus les plaies toujours béantes du traumatisme subi par nos compatriotes. Ce serait, surtout, nier l’œuvre de plusieurs générations de nos compatriotes, administrateurs, fonctionnaires, enseignants, quantité de petites gens qui votaient pour vous à l’époque, chers collègues de l’opposition. Ce serait finalement renier Albert Camus, la belle figure de cet empire colonial français.

Mme Huguette Bello. L’empire colonial ! Quelle expression !

M. Lionnel Luca. Abroger cet article est impossible et impensable car ce serait, compte tenu d’une actualité plutôt chaude, si vous me permettez l’expression, rallumer des braises toujours ardentes...

M. Jean-Pierre Brard. Les braises n’ont jamais besoin d’être rallumées !

M. Lionnel Luca. ...au risque d’exacerber les tensions au sein de notre peuple.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas vrai !

M. Lionnel Luca. Ce n’est donc pas un gouvernement étranger, seul d’ailleurs parmi tous les autres de notre ancien empire à avoir protesté, qui remettra en cause les délibérations d’un parlement démocratique qui a œuvré en toute liberté et en toute conscience.

Oui, la colonisation française a eu un rôle positif ! C’est si vrai qu’aujourd’hui son héritage porte un nom : la francophonie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu d’une région industrielle qui a accueilli beaucoup d’immigrés – Italiens, Polonais puis Algériens, Marocains et Tunisiens – je veux ici porter témoignage des remarquables relations qui ont toujours régné entre les Français autochtones et ces populations ainsi que de la parfaite intégration dans la société française d’aujourd’hui de leurs enfants et petits-enfants.

Vous êtes, mes chers collègues, autant aveugles au mouvement social qui se développe dans notre pays qu’aux événements d’Algérie. Vous manquez de lucidité, alors que des protestations s’élèvent du fin fond du pays et pas seulement au sein de cette assemblée. J’en veux pour preuve ce que l’on pouvait lire ce week-end dans des journaux qui sont loin d’être des quotidiens polémiques, comme Le Républicain lorrain : « En prétendant dicter aux historiens comment il faut présenter une réalité, la loi du 2 février 2005 enfreint d’abord une règle qui depuis les débuts de la IIIe République, n’avait été transgressée qu’une fois, sous le régime de Vichy. Ensuite, en suscitant un débat sur le fil entre controverse historique et enjeu de mémoire, elle rouvre des plaies encore mal cicatrisées. »

En tant qu’élu local accueillant de multiples populations immigrées, je puis témoigner de l’excellent travail réalisé par les jeunes immigrés : lorsque je reçois les bacheliers pour leur remettre quelque cadeau, je ne peux que constater que les populations issues de l’immigration sont aujourd’hui aussi nombreuses que les autres à réussir le baccalauréat. C’est ce qui se passe ensuite qui ne fonctionne plus, en raison de discriminations à l’embauche et à l’accès au logement, d’une représentation politique indigente et de la constitution de ghettos, qui, malheureusement, ne disent pas toujours leur nom.

Notre société comporte en effet des aspects positifs mais aussi négatifs. Il en est de même de notre histoire.

Nous ne nions pas que des progrès aient pu être apportés en matière de scolarité, de santé, d’infrastructures mais nous ne pouvons pas non plus faire une croix sur les aspects négatifs, faits, malheureusement, de travaux forcés, de sang, de larmes mais aussi de morts. Cela, c’est aussi notre histoire, et un passé qui ne passe pas. Pourquoi toujours vouloir le ressusciter, en le caricaturant de surcroît ? Que n’aurait-on dit si nous avions considéré la présence française comme négative ou comme globalement négative ?

Nous sommes dans le même contexte aujourd’hui et notre rôle de parlementaires doit être de trouver un équilibre. Pour beaucoup d’entre nous, nous n’avons pas vécu ces événements mais nous vivons avec ceux qui les ont connus, leurs enfants et leurs petits-enfants.

Qui dit équilibre ne veut pas dire forcément silence et j’en veux pour preuve les manifestations qui se déroulent dans nos communes, comme le festival du film arabe dans la mienne, qui rassemble tout le monde, algériens, rapatriés et harkis, dans la communion de la culture de ce pays.

M. Richard Mallié. Cela n’a rien à voir avec l’article 4 !

M. Michel Liebgott. De la même manière, nous n’insultons personne lorsque nous célébrons le 19 mars. (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Michèle Tabarot. Si, vous insultez des milliers de morts.

M. Jean-Pierre Grand. Vous insultez la mémoire de ceux qui sont morts après !

M. Michel Liebgott. Nous n’insultons personne quand nous célébrons le 5 décembre, même si le 5 décembre est une date imposée sans aucune cohérence historique. Nous n’insultons personne non plus lorsque nous participons aux manifestations de la journée nationale d’hommage aux harkis et autres formations supplétives. Parce que, sur le plan local, notre souci permanent est de rassembler, de faire en sorte que ces drames, que ces crimes du passé appartiennent définitivement au passé, en laissant aux historiens le soin d’en dresser le bilan le plus objectif possible.

J’ai lu le livre d’histoire-géographie de ma fille qui est en cinquième. Dans sa neutralité, ce manuel précise que la colonisation française, la « colonisation », a marqué le Maghreb, ajoutant que trois États, indépendants depuis environ quarante ans, conservent des éléments de culture française. Voilà ce qui constitue vraiment notre patrimoine commun et personne ne peut s’y opposer.

Je voudrais, en conclusion, préciser que Mme Printz n’a pas prononcé, en tant que porte-parole du groupe socialiste au Sénat, les mots que vous lui avez attribués tout à l’heure. Certes, elle a considéré, dans la séance du 16 décembre 2004, que l’article 1er ter, qui prévoyait la création d’une fondation pour la mémoire, pouvait être encore amélioré. Mais en aucun cas elle n’a soutenu l’article 4.

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants. Si !

M. Michel Liebgott. Je vous invite à vérifier dans le compte rendu de la séance publique. Elle a même été un peu plus loin, et je partage entièrement son point de vue, en déclarant : « La France comme l’Algérie doivent assumer leur histoire dans toutes ses composantes, y compris les heures les plus sombres, pour faire vivre pleinement la démocratie. »

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Michel Liebgott. Alors, aujourd’hui, ne jetons pas d’huile sur le feu.

M. Jean-Pierre Brard. Écoutez, monsieur Luca !

M. Michel Liebgott. Sachons, au contraire, écouter tous nos concitoyens, qu’ils soient français d’origine ou qu’ils soient issus du Maghreb, parce que la France a plus besoin de cohésion que de débats provocateurs.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Michel Liebgott. Abrogeons ce qui peut être ressenti comme une provocation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Guibal.

M. Jean-Claude Guibal. Monsieur le président, monsieur le ministre, l’histoire, dit-on, est écrite par les vainqueurs. En ce qui concerne la guerre d’Algérie, cela relève de l’évidence, les vainqueurs furent les partisans de l’indépendance algérienne et, en France, son histoire, ou plutôt sa vulgate, fut écrite par leurs compagnons de route. Ils réussirent si bien à imposer leur interprétation de la colonisation, de la présence française en Afrique du Nord, et, plus récemment, des exactions dont se serait rendue coupable la seule armée française, qu’elle fit office de pensée unique.

Mme Hélène Mignon. Pas elle toute seule !

M. Jean-Claude Guibal. Alors, bien sûr, lorsque des élus du peuple, en réaction aux excès d’une thèse qui n’avait pas besoin d’être officialisée pour être dominante, rappelèrent, au détour d’une loi, que, pour eux, la présence française outre-mer avait eu un rôle positif, notamment en Afrique du Nord, nos professeurs en objectivité eurent un haut-le-cœur.

M. Jean-Pierre Brard. Et Aussaresses ?

M. Éric Raoult. Et Boudarel ?

M. Lionnel Luca. Boudarel, ce n’est pas mal non plus !

M. Jean-Claude Guibal. Le procès qu’ils nous font de vouloir instaurer une histoire officielle relève avant tout de la défense de leur fonds de commerce. Ce qui les gêne, c’est moins le risque, pourtant improbable, qu’une histoire officielle s’impose, que de voir s’affirmer un autre point de vue que le leur. Le débat n’est pas historique, il est politique.

On peut comprendre, à cet égard, que l’Algérie, pour des raisons tactiques de politique intérieure, se retourne contre la France et prenne notre pays comme bouc émissaire.

M. Jean-Marie Le Guen. Exact !

M. Jean-Claude Guibal. On peut regretter en revanche qu’elle le fasse à la veille de la signature d’un traité d’amitié et bien avant que n’ait été votée la loi du 23 février 2005.

M. Jean-Marie Le Guen. Tout à fait !

M. Jean-Claude Guibal. Mais que des élus français s’en fassent les instruments complaisants prouve que ceux-là, en quarante ans, n’ont rien oublié ni rien appris.

Mme Martine Billard. C’est vous le nostalgique !

M. Éric Raoult. Oh ! les Verts n’existaient pas. Heureusement d’ailleurs !

M. Jean-Claude Guibal. Qu’espèrent-ils, en cherchant à affaiblir et à humilier, chaque fois que l’occasion s’en présente, notre cher et vieux pays ? Que cherchent-ils en s’appliquant à culpabiliser et à infantiliser les Français ? Pourquoi préfèrent-ils que les Français ne s’aiment pas ? Et comment osent-ils se donner bonne conscience en condamnant, sans prendre d’ailleurs beaucoup de risques, ceux qui nous ont précédés !

M. Jean-Pierre Brard. Comme Massu, et d’autres !

M. Jean-Claude Guibal. Notre pays est épuisé de repentance et d’auto-flagellation.

M. Lionnel Luca. Eh oui !

M. Jean-Pierre Brard. Oh ! avec vous, ça risque pas !

M. Jean-Claude Guibal. Il n’en peut plus d’avoir à se faire pardonner de tout et peut-être d’abord, pour certains, d’exister.

Mme Hélène Mignon. Oh !

M. Jean-Claude Guibal. Nous ne saurions nous ériger à notre tour en donneurs de leçons. Mais enfin, nous vivons depuis assez longtemps dans l’histoire pour savoir que la fonction ultime de la politique est d’assurer la pérennité du groupe au sein duquel elle s’exerce et pour savoir aussi qu’un peuple qui perd l’estime de lui-même, qu’un peuple qui n’assume pas son passé, est un peuple sans avenir.

M. Jean-Pierre Brard. C’est ce que disait Papon ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Lionnel Luca. Quand on a été le serviteur de Staline, on se tait ! Il y en a assez de vos leçons d’histoire !

M. Jean-Claude Guibal. Ce n’est pas en nous excusant de tout et de rien que nous serons respectés des autres peuples. Bien au contraire, ils nous bafoueront. Les peuples qui gagnent et se survivent, ceux dont les valeurs sont reconnues par les autres, sont les peuples qui ont confiance en eux-mêmes. Ce sont les peuples patriotes. Les exemples en abondent aujourd’hui encore.

M. Jean-Marie Le Guen. Les patriotes, ce sont ceux qui voulaient négocier en 1958 pour éviter la guerre !

M. Éric Raoult. Et Mitterrand, où était-il ?

M. le président. Monsieur Raoult, vous n’êtes pas obligé de répondre à chaque interjection.

M. Philippe Vitel. Ils voudraient refaire l’histoire quand ça les arrange !

M. le président. Calmez-vous.

M. Jean-Claude Guibal. Si nous sommes attachés à la diversité culturelle et à un monde multipolaire, c’est bien parce que nous souhaitons que chacun soit davantage lui-même, ce qui, évidemment, vaut aussi pour nous.

Si nous voulons relancer vraiment le partenariat euro-méditerranéen, acceptons-nous mutuellement tels que nous sommes, avec nos histoires respectives et nos caractères propres, plutôt que de vouloir chacun imposer à l’autre son modèle. L’échec annoncé et quasiment consommé du processus de Barcelone ne tient-il pas notamment au fait qu’on a recherché une apparence de consensus plutôt que le dialogue des cultures ? Et si nous voulons intégrer vraiment les jeunes gens qui n’ont que depuis peu la nationalité française, ne nous contentons pas de leur assurer, à supposer que nous y parvenions, un emploi et un logement. Faisons aussi en sorte qu’ils soient fiers d’être Français, ce qui implique que nous le soyons d’abord nous-mêmes.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Jean-Claude Guibal. Du reste, comment ces jeunes gens se sentiraient-ils solidaires d’un peuple qui n’a de cesse de s’accuser d’avoir maltraité leurs pères ?

M. Lionnel Luca. Bien sûr !

M. Jean-Claude Guibal. Comment s’étonner qu’ils n’éprouvent, comme ils disent, que de la haine à son égard ?

Les nostalgiques du tiers-mondisme sont toujours à l’œuvre. Ils ne sont pas pour rien dans le malheur français. Cessons donc de subir leur terrorisme. Il est temps de redonner sa fierté au peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Paul-Henri Cugnenc.

M. Paul-Henri Cugnenc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, assurément, c’est une bien mauvaise querelle que de vouloir remettre en cause l’article 4 de la loi portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » que nous avons votée le 23 février 2005.

M. Lionnel Luca. Quelle indignité !

M. Paul-Henri Cugnenc. Est-il choquant en effet de constater qu’il y a eu dans la présence française, en Algérie notamment, des points positifs ? La formule « en particulier » de l’alinéa 2 de l’article 4 apporte de toute manière la nécessaire mesure à cette reconnaissance. N’y a t-il pas là, de la part du groupe socialiste, une vision ancienne, très décalée, qui insuffle partout le soupçon du néo-colonialisme ?

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. Paul-Henri Cugnenc. Rendre hommage aux centaines de milliers de compatriotes et de harkis qui ont souffert n’est que justice. Il y a bien longtemps d’ailleurs que cela aurait dû être fait.

Sur des sujets aussi graves que la reconnaissance du génocide arménien, la rafle du Vél’d’Hiv, notre pays et la majorité ont montré qu’ils savaient prendre toutes leurs responsabilités. Comment en serait-il autrement pour ce pays, en bien des domaines si proche, l’Algérie ?

La politique de reconnaissance par la France de faits historiques avérés ne doit pas se dicter de l’étranger. Rien ne doit être caché ou dissimulé. Tout doit être dit dans la clarté et la mesure. L’amitié entre les peuples ne se construit ni sur l’oubli, ni sur le mensonge.

Ayons le courage de dire que de part et d’autre de la Méditerranée, la souffrance a été grande. Du côté du peuple algérien, nous ne le contestons pas, et du côté des rapatriés, nous en revendiquons la mémoire.

Comment oublier ainsi la tragédie endurée par nos compatriotes présents à Oran le 5 juillet 1962, journée marquée par des atrocités ayant abouti à plus de 3 000 personnes tuées ou disparues ?

Comment ne pas se rappeler la gravité des événements de la rue d’Isly qui se sont produits le 26 mars 1962 à Alger ?

M. Philippe Vitel. Eh oui !

M. Paul-Henri Cugnenc. Au moment où cette loi vise à rendre justice pour pacifier les esprits, comment oublier ces malheureux ?

Face à ces milliers de victimes, je regrette sincèrement qu’un certain nombre d’élus socialistes de ma région, par faiblesse, ou par priorité politicienne, aient oublié leurs prétendues convictions exprimées dans leur circonscription et n’aient pas osé publiquement se désolidariser de cette initiative parlementaire de leur groupe.

M. Éric Raoult. Duplicité !

M. Paul-Henri Cugnenc. Ce n’est pas en faisant preuve de faiblesse au regard de l’histoire, en subissant des pressions venues parfois de l’étranger, que l’on contribuera à l’intégration républicaine des jeunes générations dont les familles ont eu à subir ces événements.

Mme Hélène Mignon. Ce propos est injurieux !

M. Paul-Henri Cugnenc. Le groupe socialiste, qui a associé à son initiative tous ses membres, s’est engagé sur le texte de notre collègue Derosier. C’est particulièrement pénible et regrettable pour l’élu d’une région comme la mienne où les harkis sont nombreux et en attente de notre soutien.

Mme Hélène Mignon. Mais ce n’est pas le sujet !

M. Victorin Lurel. C’est du clientélisme de bas étage ! Il n’y a pas de conviction.

M. le président. Monsieur Lurel.

M. Victorin Lurel. C’est scandaleux !

M. Paul-Henri Cugnenc. La loi du 23 février 2005, équilibrée, pacifiante et concrète avec son volet social – allocations de reconnaissance, aides spécifiques au logement, bourses de l’éducation nationale –, tend à rétablir les rapatriés dans leur juste droit. Respecter nos partenaires du Maghreb n’oblige pas à oublier le rôle positif de la présence française outre-mer.

Dans cet esprit, c’est avec sagesse que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a décidé de suspendre l’examen de cette proposition de loi et de ne pas présenter de conclusion. La vérité historique et l’apaisement méritent cette juste position. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. C’est bien. Il faut oser dire ces choses !

M. le président. La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce dont nous parlons ce matin, c’est de l’abrogation d’un article, l’article 4, de la loi du 23 février 2005. Les mesures en faveur des rapatriés et des harkis qui étaient contenues dans cette loi de février 2005 sont bonnes, monsieur Cugnenc, et nous les avons votées. Hélène Mignon l’a souligné tout à l’heure, il ne faut pas confondre cet aspect avec ce qui nous occupe ce matin, c’est-à-dire le combat contre l’injonction faite aux historiens et aux enseignants français. Tenter, par une loi, de dicter, d’orienter leur travail est à la fois une aberration et une stupidité. Comme si le mensonge avait force d’évidence scolaire.

Comment avez-vous pu ou pouvez-vous encore aujourd’hui, chers collègues de l’UMP, rejoindre ces adeptes, ces obsédés de la censure, de l’histoire imposée, des interdits, des tabous ?

M. Lionnel Luca. Quelle caricature !

M. François Loncle. Est-ce le souvenir des temps où l’Europe dominait de nombreux peuples outre-mer qui conduit le Français de métropole, comme l’on disait, à entretenir éternellement la nostalgie des « colonies », en occultant la valeur péjorative, que la violence du fait colonial rappelée par Christiane Taubira et Victorien Lurel, légitimerait ? « Les colonies » portent – hélas ! – en elles l’image d’une France plus grande.

L’histoire en démocratie ne relève ni de l’omission ni du mensonge, mais de la pensée critique. Seules les dictatures imposent à leurs sujets et aux enfants des écoles une chronique du passé officielle, corrigée par le prince, instrumentalisée politiquement. Rien de plus logique : là où les libertés sont interdites, où la parole est censurée, les gouvernements interdisent et censurent aussi le passé. Mais dans notre pays, ici même à l’Assemblée nationale, quelle absurdité de porter par une loi la démagogie électoraliste au niveau où vous l’avez subrepticement hissée ! (« Cela vous va bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Paul-Henri Cugnenc. N’est-ce pas un peu trop ?

M. François Loncle. Parlons aussi des relations extérieures de la France avec les pays colonisés qui ont recouvré leur indépendance, par exemple avec l’Algérie. Si je m’associe aux vœux de prompt rétablissement formulés par notre rapporteur Bernard Derosier, j’indique clairement que cette proposition d’abrogation ne répond en aucune manière à une demande quelconque de l’État algérien.

M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !

M. Paul-Henri Cugnenc. Ah bon ?

M. Jean-Marie Le Guen. M. Bouteflika est l’ami de Chirac, pas celui des socialistes !

M. François Loncle. Ne substituons pas une injonction à une sommation ! Ce qui devrait tous nous préoccuper, mes chers collègues, c’est l’image de la France dans le monde, ce sont ses relations avec ses partenaires du Sud, en particulier avec l’Afrique. Or cette image ne s’améliore pas et ce n’est pas l’initiative malencontreuse et provocatrice de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui concourra à restaurer politiquement et affectivement nos liens avec ces pays. Les récentes discussions de Barcelone sur la nécessité du lien euro-méditerranéen en sont un exemple déplorable, hélas !

La nécessaire réconciliation franco-allemande s’est faite sur la reconnaissance d’une réalité tragique dont les Allemands d’aujourd’hui ne sont en aucun cas responsables. Le 26 février dernier, l’ambassadeur de France en Algérie a ébauché la voie d’une ouverture mutuelle en regrettant les tragiques massacres commis à Sétif le 8 mai 1945. Mais pratiquement au même moment, était publié au Journal officiel cet article 4, porteur d’incompréhension et historiquement erroné, article inacceptable pour tout historien, qu’il soit français, algérien, malgache ou allemand, article offensant, par son déni des faits, pour les Algériens comme pour tous les peuples qui ont été colonisés par la France.

Or les faits sont les faits, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui. L’Algérie des années 2000 n’est certainement pas exempte de critiques concernant les libertés et le respect du droit.

M. Jean-Marie Le Guen. Tout à fait !

M. François Loncle. Les socialistes ont eu l’occasion de le dire et de l’écrire publiquement.

M. Jean-Marie Le Guen. Oui, notre diplomatie ne s’est pas couchée devant cette dictature que vous soutenez !

M. François Loncle. Mais, de grâce, ne mélangez pas le passé et le présent. Il est de l’intérêt bien compris de la France comme de l’Algérie de regarder ensemble vers l’avenir, sans pour autant oublier un passé difficile et parfois tragique. Chacun doit faire un pas dans cette direction. La France doit admettre que la colonisation a été un déni de souveraineté et de justice. L’Algérie doit comprendre que les Français nés là-bas et leurs enfants doivent avoir, quarante-deux ans après l’indépendance, la possibilité de retrouver leurs familles, quelle que soit leur culture ou leur religion. Cette double démarche ne va pas de soi. La déclaration de notre ambassadeur il y a quelques mois, celle du président Bouteflika concernant les familles quelque temps plus tard, ont montré que tous ceux qui souhaitent la signature d’un traité d’amitié bilatérale ne sont pas des utopistes. Votre initiative, mesdames, messieurs les députés de l’UMP, a bloqué cet effort de rapprochement. Il vous revient d’assumer publiquement votre erreur et de la réparer devant cette assemblée. Il est grand temps, comme l’écrivent trois historiens français dans un livre paru dernièrement, de « cicatriser la fracture coloniale ». L’abrogation de l’article 4 serait un signe fort. Je vous invite à la voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés a répondu à l’attente de l’immense majorité de nos amis rapatriés et harkis : la République a reconnu l’œuvre humaniste des Français d’outre-mer, en particulier dans nos anciens territoires d’Algérie, du Maroc et de Tunisie.

Dans son article 1er, le plus important, la loi du 23 février 2005 fixe l’expression de la reconnaissance nationale envers l’œuvre accomplie par ces femmes et ces hommes durant plus d’un siècle, sur ces terres qu’ils ont aimées, travaillées et défendues, dans des domaines aussi divers que l’agriculture, la santé, l’éducation et les infrastructures. Cet article a été voté, je le rappelle, à l’unanimité des groupes politiques de notre assemblée. Nous avons, ce jour-là, scellé la reconnaissance et la réconciliation nationale.

Dès lors que le Parlement a reconnu l’action positive de la France dans ces territoires, pourquoi l’éducation nationale ne pourrait-elle pas transmettre à nos jeunes concitoyens cette réalité ? La transmission de la vérité historique passe naturellement par les livres d’histoire et les manuels scolaires. C’est tout l’esprit de l’article 4, qui reprend ce que le Parlement a reconnu dans l’article 1er.

La proposition de loi socialiste qui nous est aujourd’hui soumise remet en cause l’esprit de cette loi votée si récemment. Je l’interprète comme un élément de synthèse de leur diversité idéologique. Ainsi, dans quelques jours, la communauté d’agglomération de Montpellier votera des crédits importants pour créer un mémorial en reconnaissance de l’action de la France outre-mer.

M. François Loncle. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Pierre Grand. Ce que font les socialistes à Montpellier est tout à fait différent de ce qu’ils font ici !

Mme Hélène Mignon. Cela ne veut rien dire !

M. Jean-Pierre Grand. D’ailleurs, le nombre de signataires de la proposition de loi est infiniment moins important que le nombre de députés socialistes. Cela signifie que plusieurs d’entre eux ont honte de cette proposition de loi et ne la défendent pas sur le terrain !

Dès lors, on peut s’interroger sur l’attitude qu’aurait l’opposition si elle devenait demain majoritaire dans notre Assemblée. J’imagine qu’elle déposerait une proposition de loi instituant le 19 mars comme journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie.

M. François Rochebloine. Vous mélangez tout !

M. Jean-Pierre Grand. Aujourd’hui, leur proposition de loi tend à ne pas reconnaître l’action de la France outre-mer, voire à la supprimer des manuels scolaires. Plus de quarante ans après les avoir quittées, nos compatriotes d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, continuent à aimer ces terres devenues indépendantes, où ils sont nés et où ils ont vécu si longtemps avec leurs familles. Ne pas permettre aux enfants de nos écoles de connaître, par l’enseignement de notre histoire, la réalité de l’action de la France outre-mer serait un outrage à la mémoire de ces Françaises et de ces Français. Cela reviendrait à censurer notre histoire, ce que, pour ma part, je ne puis accepter. C’est pourquoi je souhaite que le plus grand nombre de députés de la République s’unissent pour rejeter cette proposition de loi, dont le seul but est de ne pas enseigner à la jeunesse française l’œuvre accomplie par la France outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine Billard. Heureusement que nous n’avons pas à légiférer sur toutes nos périodes historiques !

M. Éric Raoult. Vous manquez d’OGM à faucher ?

Mme Martine Billard. Misogyne !

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par la loi du 23 février dernier, le Gouvernement a posé un acte important au nom de la nation pour la réhabilitation des Français rapatriés. C’était un acte de réconciliation nationale, que ces derniers attendaient et méritaient depuis longtemps.

L’article 4 de cette loi renforce le travail de mémoire sur l’œuvre de la France outre-mer. Il consacre à l’histoire coloniale la place qu’elle mérite dans les programmes scolaires et universitaires. Or la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui vise à le supprimer totalement.

À mon tour, je m’étonne de la démarche tardive de nos collègues socialistes, qui n’avaient manifesté aucune opposition lors de la discussion de cet article à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Je m’interroge donc sur la sincérité d’une démarche qui consiste à réagir dix mois après l’adoption d’un texte.

Supprimer l’article 4, reviendrait à supprimer aujourd’hui dans la loi le rappel du sacrifice des combattants de l’armée française issus de la France d’outre-mer.

M. Christian Vanneste. Très bien !

M. Thierry Mariani. Ce serait supprimer aussi la reconnaissance du rôle positif de la France outre-mer, notamment en Afrique du Nord.

La France a contribué au développement de ces pays aujourd’hui indépendants. Les Français n’ont pas à rougir des aménagements qu’ils ont réalisés, ni de l’action sociale et sanitaire qu’ils y ont menée. En Algérie, sous la présence française, le nombre d’enfants scolarisés a été multiplié par quarante, les médecins ont mené des campagnes de vaccination contre la rage et la variole, ont systématisé la lutte contre le paludisme et ont formé du personnel médical sur place. Les ressortissants français ont aménagé les territoires colonisés : en Algérie, vingt-trois ports, quatre aéroports, 54 000 kilomètres de route ont été construits, le rendement des terres agricoles a été multiplié par deux, la modernisation des méthodes de culture a permis au pays d’être autosuffisant sur le plan alimentaire. Les Français ont valorisé les terres d’Algérie en y introduisant la vigne, les agrumes et les céréales. Ces aspects de la présence française ne doivent pas être oubliés, ni pour l’Algérie, ni pour l’ensemble de l’ancien empire colonial français.

Par ailleurs, contrairement à ce qui est exposé dans la proposition de loi, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 ne diffuse aucune histoire officielle. Au contraire, il encourage la recherche universitaire sur cette période en facilitant l’accès aux archives. Il crée une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, qui facilite le travail des chercheurs et des historiens. Il donne donc enfin les outils pour regarder cette période avec l’objectivité et la transparence qu’elle requiert.

Pour toutes ces raisons, il faut maintenir l’article 4 de la loi du 23 février 2005. Les programmes scolaires et universitaires doivent mentionner les bienfaits – et les méfaits – de l’action de la France d’outre-mer.

Mme Hélène Mignon. C’est tout ce que nous demandons !

M. Thierry Mariani. Il ne s’agit pas de faire l’éloge du colonialisme, mais simplement de faire preuve d’objectivité et de réalisme. Il est temps d’avoir sur cette période un regard serein et équilibré.

Mme Hélène Mignon. Nous sommes d’accord !

M. Thierry Mariani. L’histoire n’est jamais simple. Elle comporte des aspects positifs et négatifs. Ainsi, M. Bouteflika nous accuse de cécité mentale, puis vient se faire soigner dans un hôpital français ! La loi du 23 février 2005 marque simplement la volonté d’avoir enfin une histoire équilibrée, décomplexée. Oui, il y a eu, en Afrique noire, en Algérie, en Indochine, pendant l’époque de la colonisation, des actes inadmissibles, qu’il convient de ne pas passer sous silence. Mais il y a eu aussi des actions admirables, un vrai travail pour développer ces pays. Cela aussi, il convient de ne pas l’oublier.

Il n’y a dans mes propos aucune nostalgie. Mais je refuse la culpabilité qu’il est de bon ton d’endosser dans ce pays, au nom de laquelle nous devrions sans cesse nous excuser et nous repentir pour ce que nous avons fait. Je suis fier de l’histoire de mon pays, la France. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il est temps de réhabiliter l’action des Français rapatriés, qui contribuent aujourd’hui à la richesse et à la diversité de notre pays. La loi du 23 février 2005 y contribue. C’est pourquoi je voterai contre la proposition de loi socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charzat.

M. Michel Charzat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 11 juin 2004, dans cet hémicycle, quelques représentants de la majorité ont subrepticement introduit dans le projet de loi portant reconnaissance de la nation en faveur des Français rapatriés des dispositions tendancieuses lourdes de conséquences.

M. Jean-Pierre Grand. Et pourtant, vous l’avez voté !

M. Michel Charzat. Cédant à des groupes de pression,…

M. Jean Leonetti. C’est vous qui êtes sous pression !

M. Michel Charzat. …ces parlementaires ont, sous prétexte de célébrer ce qu’ils nomment l’œuvre civilisatrice de la France en Afrique du Nord, qualifié de calomnieux l’emploi du vocable « colonialisme » pour désigner l’attitude de notre pays vis-à-vis des peuples conquis au cours de notre histoire.

M. Jean-Pierre Grand. Pourquoi avoir voté la loi ?

M. Michel Charzat. L’article 4 – le seul dont je parle – dispose que les « programmes scolaires doivent reconnaître en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Sans qu’aucun débat de fond ait été engagé par l’ensemble de la représentation nationale, les objectifs initiaux de la loi ont été dévoyés par cet article, qui prône l’avènement d’une histoire officielle, peu soucieuse de la vérité historique et de la complexité du fait colonial.

La présence française a, certes, contribué à développer les infrastructures et les services publics des pays colonisés. Elle a également répandu des valeurs universelles au nom desquelles les populations soumises à la tutelle de la métropole se sont soulevées afin d’accomplir leur droit à l’autodétermination. Mais elle n’a pas eu que des effets positifs, contrairement à ce que laisse entendre la formulation de l’article 4. L’exploitation économique, l’inégalité du statut politique et juridique, les humiliations, exactions, répressions et violences dont furent victimes les populations locales constituent la face obscure et injustifiable de la colonisation. Vouloir introduire dans les manuels scolaires, censés refléter l’état de la recherche, une vision aussi orientée de l’histoire de la période coloniale revient à instrumentaliser l’école républicaine. Cette attitude est contraire au principe fondamental de neutralité de l’enseignement et à la déontologie des historiens.

Il faut, au contraire, rendre les archives accessibles et encourager la recherche en vue de restituer le passé de notre pays dans son intégralité. Le récit historique doit prendre en compte la pluralité des vécus de nos concitoyens, notamment ceux des familles issues de l’immigration, qui ne peuvent ressentir que douloureusement toute négation de leur héritage. En cela, l’article 4 traduit un déni de mémoire, qui nous renvoie à l’époque où la France était une puissance coloniale et où l’école servait d’outil de promotion au colonialisme.

M. Éric Raoult. Et au socialisme !

M. Michel Charzat. Nous ne pouvons accepter un tel retour en arrière, remettant en cause le long et difficile travail effectué depuis quelques années autour du devoir de mémoire collective.

Si notre passé n’est pas assumé par l’ensemble des Français, conjointement avec les anciens dominés, alors la mémoire restera à jamais brouillée. C’est pourquoi nous devons aujourd’hui abroger cette disposition législative, indigne d’une démocratie éclairée, en votant la proposition de loi qui nous est soumise.

Cette abrogation est d’autant plus nécessaire que le vote de l’article 4 a suscité de vives réactions au sein des pays concernés par la colonisation française. On aurait attendu des membres de l’actuelle majorité qu’ils soutiennent et non qu’ils entravent la politique de réconciliation et d’amitié franco-algérienne voulue par le Président de la République.

Aujourd’hui comme il y a plus de quarante ans, c’est de certains secteurs de la droite que l’on se dresse contre le cours de l’histoire et que l’on refuse le message humaniste de la France au profit d’un éloge du colonialisme d’antan.

Pour toutes ces raisons, notre assemblée s’honorerait d’adopter de manière consensuelle la proposition de loi déposée par le groupe socialiste. Le Parlement doit rectifier les prises de position tendancieuses de quelques-uns de ses membres, et cela au nom d’une certaine idée de la France qui ne peut être subjuguée par des préoccupations électoralistes débridées et par les remugles d’une nostalgie dévoyée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Remiller.

M. Jacques Remiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 23 février 2005 a reconnu officiellement, pour la première fois, l’œuvre accomplie par nos ancêtres outre-mer, ainsi que les souffrances et les sacrifices qui ont été infligés à certains de nos compatriotes.

L’article 4 dont nous débattons ce matin ne fait que rappeler que la France a eu un rôle positif outre-mer, particulièrement en Afrique du Nord, dans bien des domaines – et ceux qui prétendent le contraire sont de mauvaise foi.

Cet article tend à rétablir un équilibre délicat entre le positif et le négatif, afin que l’œuvre colonisatrice ne soit plus systématiquement regardée au travers de ses heures sombres, qu’il n’est en aucun cas question de nier.

La France peut et doit être fière des actions accomplies par ses enfants outre-mer. Messieurs les socialistes, vous laissez penser que la France est un pays de tortionnaires ou d’esclavagistes. C’est faire insulte à la mémoire de nos anciens que de le laisser penser à nos enfants via les manuels scolaires, dont certains n’ont pas plus d’objectivité que ceux de la IIIe République.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Jacques Remiller. Je ne prendrai qu’un exemple : en matière d’instruction, la France a joué un rôle très positif dans les territoires et départements qu’elle a administrés. J’y ai personnellement contribué puisque j’ai enseigné dans les écoles de Rouached et de Fedj M’Zala dans le Constantinois.

Qui sait, pour l’avoir appris à l’école par exemple, que ce sont les religieuses et les frères enseignants qui, les premiers, ont formé des écoliers, par milliers ? En Algérie, par exemple, en 1848, 286 écoles communales libres ou publiques, ouvertes aux musulmans, accueillaient 16 000 enfants. En 1937, 104 748 enfants étaient scolarisés. En 1952, ils étaient 400 000 et, en 1960, plus de 800 000 enfants étaient regroupés dans 16 660 classes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Cela vous dérange peut-être, mais c’est la réalité. (Mêmes mouvements.)

M. le président. Ne vous laissez pas impressionner, monsieur Remiller.

M. Jacques Remiller. Je ne me laisse ni impressionner, ni interrompre, monsieur le président. De manière habituelle, je ne fais pas partie des députés qui vocifèrent. Chers collègues, quand vous parlez, je vous écoute en silence. Je vous demande d’en faire de même à mon égard. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En 1959, on recensait 16 000 instructeurs, dont un tiers de musulmans et un tiers d’instructrices européennes.

L’enseignement secondaire doit aussi beaucoup à la France. En 1878, les deux lycées d’Alger et de Constantine, les huit collèges et les quatre établissements privés totalisaient 3 142 élèves. En 1959, les effectifs du secondaire atteignaient 40 695 élèves, parmi lesquels plus de 10 000 musulmans.

La France ne s’est pas imposée en matière d’instruction, comme en témoigne le fait que l’association des Oulémas possédait 58 établissements regroupant 11 000 élèves en langue arabe moderne.

La France est aussi à l’origine de la création de l’École préparatoire de médecine et pharmacie en 1859 et d’écoles de droit, lettres et sciences en 1879. Par la loi du 30 décembre 1909, ces écoles supérieures algéroises ont accédé au rang de facultés. On dénombrait 2 700 étudiants en 1932, 5 000 en 1945 et 6 500 en 1959. L’Université d’Alger venait ainsi au troisième rang des universités françaises, après celles de Paris et de Lille. Dans les années 1950, Alger s’est également enrichie d’une école d’ingénieurs.

Je termine sur le développement de l’enseignement agricole. De la petite école pratique d’agriculture de Rouïba, que je connais personnellement, la France a fait naître l’Institut agricole d’Algérie, qui est ensuite devenu l’Institut national supérieur agronomique d’Alger, à Maison-Carrée, dont certains sur ces bancs ont reçu l’enseignement. Cet institut a essaimé sur l’ensemble du territoire avec des écoles régionales d’agriculture, des fermes écoles et des écoles ménagères agricoles, pour les musulmans en particulier.

Voilà, mes chers collègues, un exemple de ce qui, grâce à l’amendement de notre collègue Vanneste, pourra désormais être enseigné à notre jeunesse. Il ne s’agit pas de nier l’histoire des crimes commis, mais de rappeler que nombreux sont ceux qui ont œuvré toute leur vie pour la « Plus grande France » en ayant à cœur de respecter les coutumes et les religions des populations qui les ont accueillis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Monsieur le rapporteur Derosier, je peux comprendre votre démarche. Je pense même que beaucoup d’entre vous sont sincères. J’ai d’ailleurs été particulièrement touché par l’intervention de Christine Taubira. Mais je crois que vous vous trompez, de bonne ou de mauvaise foi, sur les réelles motivations qui sous-tendent l’article 4.

Vous nous faites, en réalité, un procès d’intention, qui comporte deux actes d’accusation.

Vous nous accusez, en premier lieu, de vouloir réécrire l’histoire et de tenir la main des historiens.

M. René Dosière. Faux !

M. Georges Fenech. Nous répondons : non ! Nous nous sommes longuement expliqués à ce sujet.

Vous nous accusez ensuite de présenter la période de colonisation comme une période faste et totalement lumineuse. Nous vous répondons à nouveau : non !

La colonisation a ses parts d’ombre également – la dépossession des indigènes de leurs terres et leur soumission notamment –, mais reconnaissez, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, que, au fil des générations, cette colonisation conquérante, qui, forcément, s’est accompagnée d’exactions, a fait des victimes et entraîné des souffrances, a laissé la place à une présence, une fraternité, une égalité entre toutes les communautés qui vivaient dans ces pays.

Ces rapports colonisateurs-colonisés se sont transformés, petit à petit, en rapports de solidarité, tendant à une même communauté de destin. Cela, vous ne pouvez pas le nier, à moins, monsieur le rapporteur, que vous ne décrétiez une fois pour toutes et ex abrupto que le péché originel de la colonisation interdit à tout jamais de parler d’une autre époque : de l’époque plus récente, pacificatrice, qui a incontestablement enrichi ces régions.

En demandant l’abrogation de l’article 4, vous ne favorisez pas la nécessaire réconciliation de l’ancienne mère patrie avec ses anciennes colonies, avec lesquelles elle entretient des rapports étroits de coopération et d’amitié. L’occasion nous a encore été donnée de le réaffirmer hier au sommet euro-méditerranéen.

Si personne dans cette assemblée ne peut imaginer écrire ou réécrire une histoire officielle, personne, monsieur le rapporteur, ne peut non plus se satisfaire et même tolérer que l’histoire enseignée à nos enfants dans les manuels scolaires soit tronquée, partielle ou – pire ! – partisane.

Notre collègue Taubira n’a-t-elle pas, avec courage et ténacité, obtenu qu’on enseigne dans les manuels scolaires la période sombre de l’esclavage ? Nous avons adopté sa proposition de loi sans état d’âme le 21 mai 2001.

Mme Christiane Taubira. C’est à l’honneur du Parlement !

M. Georges Fenech. Pourquoi ce qui vaut pour une période plus lointaine de notre histoire ne vaudrait-il pas pour une période plus récente ? Pourquoi y aurait-il deux poids, deux mesures quand il s’agit d’enseigner à des citoyens en devenir la vérité sur leur histoire, dans tous ses aspects, sombres et lumineux ?

Vous parliez tout à l’heure, monsieur le rapporteur, devant des tribunes pleines d’enfants qui représentent la diversité de notre pays aujourd’hui.

L’école de la République doit demeurer le sanctuaire du savoir, éloigné de tout prisme idéologique déformant.

Mme Christiane Taubira. Justement !

M. Georges Fenech. Dans ce débat, il est utile de rappeler – car cela n’a pas encore été dit – que les accords de Nouméa en 1998 ont mis en exergue les apports positifs autant que les actions négatives de la présence française. C’est un précédent heureux qui doit aujourd’hui nous inspirer. Cela se passait sous le gouvernement Jospin et nous avions approuvé cette heureuse initiative.

La vérité, monsieur le rapporteur, doit être livrée toute nue, aussi dérangeante soit-elle pour les uns ou les autres. Qui plus est, toute autre démarche serait irresponsable, à un moment où la société française, façonnée par ses diversités, secouée par une fracture identitaire, a besoin de retrouver ses origines.

Qu’il s’agisse des jeunes français de souche ou des jeunes français issus de l’immigration outre-marine, plus que jamais ils ont soif de cette vérité au sein d’une République pétrie des droits de l’homme.

D’ailleurs, monsieur le ministre, personne ne prétend que l’œuvre de la France d’outre-mer ait été entièrement positive. Nous demandons seulement que toute la vérité soit faite, y compris dans ses aspects largement positifs.

Je termine, monsieur le ministre, en insistant sur le fait que la IVe République a beaucoup apporté à ces pays d’Afrique sur le plan des institutions comme sur celui de l’éducation : 36 % d’africains étaient scolarisés en 1960 et leur nombre a progressé de 20 % par an ensuite. Comment, enfin, ne pas évoquer l’apport de nos valeurs fondées sur la démocratie, les droits de l’homme et la méritocratie ? C’est cela, monsieur le rapporteur, l’œuvre positive de la France d’outre-mer.

M. Maxime Gremetz. Franchement !

M. Georges Fenech. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous n’avons pas du tout à rougir de notre passé colonial.

M. Maxime Gremetz. Eh bien si !

M. Georges Fenech. Surtout, nous n’avons pas le droit de laisser inculquer aux futurs citoyens de notre pays une histoire tronquée et partiale, l’histoire d’un demi-mensonge ou d’une demi-vérité.

M. Maxime Gremetz. Honte à la République !

M. Georges Fenech. C’est la volonté nationale, soucieuse de réconciliation, qui l’exige au nom – ne vous en déplaise – du peuple français, au nom de la vérité tout entière et au nom de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, dernier orateur inscrit.

M. Jean Leonetti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi que nous avions votée en février dernier revêtait, au-delà de certaines dispositions matérielles et financières, une forte valeur symbolique de reconnaissance.

Vous disiez à ce moment-là, monsieur le ministre : « Pour la première fois, depuis plus de quarante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la nation reconnaît l’œuvre accomplie par nos compatriotes. »

Cette loi dit effectivement avec simplicité mais avec force que l’immense majorité des Français qui ont vécu sur le sol algérien à l’époque où ce pays était un département français n’avaient pas à rougir de ce qu’ils avaient accompli là-bas et avaient même à en être fiers.

Aujourd’hui, souhaitant supprimer des manuels scolaires, à la suite des protestations de quelques enseignants et du gouvernement algérien, la reconnaissance du « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », les députés socialistes créent, à mon sens, une polémique tardive et inutile. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

II nous avait semblé, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, qu’un consensus s’était dégagé…

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. Jean Leonetti. …à l’issue d’un débat riche, serein et apaisé.

M. Maxime Gremetz. Vous ne pouvez pas dire des choses pareilles !

M. Jean Leonetti. Il ne s’agissait pas en effet de dédouaner les erreurs des divers gouvernements qui ont représenté la France à l’époque où l’Algérie était française, ni d’excuser les crimes commis par quelques-uns de part et d’autre. Il ne s’agissait pas non plus de magnifier le colonialisme, mais de reconnaître pour la première fois l’action positive l’action positive de ces milliers d’hommes et de femmes venus de tous les pays d’Europe et aux religions diverses et souvent de condition extrêmement modeste.

Vous le savez tous, et les faits sont là, ils ont construit des routes, des ponts et des villes, cultivé la terre, bâti des hôpitaux et des écoles, ils ont soigné et enseigné, organisé administrativement le pays et valorisé cette terre qu’ils considéraient comme la leur, parce que leur livre d’histoire le leur enseignait et que les dirigeants politiques de l’époque le leur affirmait, qu’ils s’appellent François Mitterrand…

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Eh oui !

M. Jean Leonetti. …ou Mendès France : l’Algérie c’était la France.

Ce sont sans doute même les instituteurs, comme mon père ou comme Monnerot, qui ont donné aux enfants d’Algérie le goût de la liberté, peut-être même le goût de l’indépendance et de la révolte.

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. Jean Leonetti. Dans le débat de février, M. Bapt – souvenez-vous – reconnaissait que « pour ces Français un devoir de réparation morale s’impose avec la même force que celui de la reconnaissance matérielle ».

M. Liberti – souvenez-vous – lui emboîtait le pas en déclarant : « Il faut penser aux pieds-noirs et aux harkis, penser au drame qu’ils ont vécu et rendre un hommage au travail considérable accompli durant cent trente deux ans sur des terres ingrates. »

Mme Hélène Mignon. Pas si ingrates que cela ! Elles ont rapporté.

M. Jean Leonetti. Alors que Francis Vercamer soulignait la nécessité d’« honorer ces hommes et ces femmes qui ont combattu avec courage et fierté pour leur patrie », Kleber Mesquida affirmait : « Il y a eu progrès sur le plan de la reconnaissance. Pourquoi la représentation nationale en serait écartée ? »

Pourquoi, sur les bancs de gauche, brisez-vous aujourd’hui cette unanimité et reniez-vous les mots de François Liberti estimant qu’« il y a des rendez-vous avec l’histoire qu’il ne faut pas manquer »…

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est vrai !

M. Jean Leonetti. …et alors que certains sénateurs socialistes approuvaient clairement l’article 4, que vous contestez aujourd’hui ?

Ce rendez-vous avec l’histoire, les députés de la majorité ne le manqueront pas. Ils ne renonceront pas à leur devoir de reconnaissance et de mémoire, car c’est bien évidemment, de mémoire collective d’une nation tout entière qu’il s’agit, et les députés étaient tous d’accord sur ce point.

Ériger un mémorial à Marseille, créer une fondation pour l’histoire et la mémoire des Français rapatriés, affirmer, comme l’a fait le gouvernement socialiste, que ces événements étaient bien une guerre, trouver une date commémorative : à défaut d’un travail d’historien, admettons ensemble que c’est une reconnaissance politique d’un passé « encore proche mais déjà inscrit dans la mémoire collective d’un peuple ».

M. Alain Néri. La reconnaissance de la guerre d’Algérie a été votée à l’unanimité ici !

M. Jean Leonetti. Monsieur Néri, quel est l’espace entre la mémoire collective et l’histoire ?

M. Maxime Gremetz. Provocateur !

M. Jean Leonetti. C’est la confrontation de la réalité objective des faits avec la subjectivité des hommes.

Les faits sont là, ils sont têtus : les massacres de Sétif après la Seconde Guerre mondiale, mais aussi les massacres d’Oran et des harkis, après 1’indépendance sont des faits cruels et incontestables.

M. Alain Néri. Qui les a abandonnés ?

M. Jean Leonetti. Incontestables et inexcusables ! Ils nous rappellent que cette double guerre civile, qui a vu se battre les Français contre les Français et les Algériens contre les Algériens, laisse des plaies encore aujourd’hui ouvertes. La passion et la caricature polluent encore les débats et nous feraient presque oublier que nous nous étions battus ensemble contre l’oppresseur nazi.

Mais l’histoire officielle n’était-elle pas déjà en train de s’inscrire dans nos manuels et de s’écrire, présentant les Français comme des riches colons, les soldats français comme des tortionnaires, les harkis comme des collabos et les troupes françaises comme des forces d’occupation, dans un silence français qui pouvait être alors interprété comme une approbation passive.

Ne fallait-il pas trouver un équilibre dans cette vision partielle et partiale de l’histoire écrite par des responsables algériens à des fins de politique intérieure et par une partie de Français ? Une histoire trop simple, où, d’un côté, se trouvaient tous les bourreaux et, de l’autre, toutes les victimes.

Ne fallait-il pas faire émerger cette part de vérité populaire et simple en affirmant que l’infirmier, l’instituteur, le commerçant et tant d’autres n’étaient pas des colons, que le comportement des soldats français, dont certains sont morts pour une terre de France qu’ils ne connaissaient même pas, n’étaient pas des tortionnaires et qu’ils ne devaient pas être assimilés aux fautes reconnues de quelques-uns.

Dans les quartiers populaires, ceux qui ont vécu là-bas savaient et savent encore que les enfants mêlaient leurs jeux, que les hommes mêlaient leurs fêtes dans une fraternité bien réelle et bien éloignée de l’image de violence et de guerre véhiculée de manière caricaturale aujourd’hui.

Il n’y a pas dans notre pays d’histoire officielle à inscrire dans les livres d’enfants – contrairement aux pays totalitaires, que certains groupes sur ces bancs ont soutenus aveuglément en leur temps –, mais il y a aussi des oublis qui blessent les cœurs et des erreurs qui transpercent les âmes de ceux qui ont connu ces événements, trop longtemps évités ou travestis.

Il n’ y a pas dans notre pays d’enseignement officiel. Les maîtres sont libres du contenu pédagogique. Mais il ne peut y avoir de mémoire sélective, de pensée unique ou de morale imposée, non sans arrière-pensées, par d’éternels donneurs de leçons.

Il y a surtout une différence entre les peuples et les dirigeants – et je crois que nous pouvons être tous d’accord sur ce point. C’est au peuple que nous avons voulu rendre hommage. Nous avons vu l’amalgame inacceptable qu’ont fait certains élus lors de la mise en place du couvre-feu en raison des événements des banlieues, comparant nos forces de police aux soldats d’occupation, comparant les mesures prises à la guerre d’Algérie.

À ces jeunes Français issus de l’immigration, ne faut-il pas donner l’égalité des chances qu’ils méritent au lieu de les confiner dans un statut de victimes héréditaires ?

Ne faut-il pas leur ouvrir le chemin de l’espoir plutôt que celui du repli, celui de la fierté plutôt que celui de la rancœur ?

Le législateur a pu, dans le passé, interpeller l’histoire en restant dans son rôle. Il l’a fait sur l’esclavage, de manière unanime.

Mme Christiane Taubira. Cela n’a rien à voir !

M. Jean Leonetti. Il l’a fait sur le génocide arménien, de manière unanime. Pourquoi ne pourrait-il pas interpeller l’histoire sur sa propre histoire ?

Les historiens essaieront de l’analyser avec recul et impartialité. La fondation créée par la loi s’y emploiera. Ils y trouveront l’histoire de deux peuples qui se sont haïs de s’être trop aimés et qui n’ont pu malgré tout se détacher complètement les uns des autres.

L’histoire de la France et de l’Algérie se poursuit. D’autres pages seront écrites par ces deux pays souverains. Une nouvelle ère de coopération va naître, où l’un et l’autre auront, dans un respect commun, la volonté de lier leur destin sans nier leur passé.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. Jean Leonetti. Le temps de la mémoire précède le temps de la réconciliation. Pour que la France et l’Algérie puissent approfondir les liens qui les unissent et qui les uniront dans l’avenir, il nous paraît juste que la loi du 23 février soit maintenue.

La France ne peut pas renoncer à des dispositions législatives qui reconnaissent le courage, le travail et les efforts accomplis par ceux qui l’ont représentée pendant plus d’un siècle de l’autre côté de la Méditerranée, quelles que soient leurs origines, leurs religions et leurs conditions sociales.

Car c’est leur rendre, au-delà de la reconnaissance de la nation, l’honneur qui est dû à chacun d’entre eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué aux anciens combattants.

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le sujet qui nous réunit ce matin est, à l’évidence, important. Tout le monde en est conscient. Il s’agit de la manière dont notre pays appréhende son histoire, mais également de la façon dont il veut la transmettre aux jeunes générations.

Ce débat sur notre passé concerne donc aussi notre avenir, n’en doutons pas. C’est l’image de la France qui est en cause.

Ces questions, de plus en plus sensibles, peuvent prêter à toute sorte d’interprétations, de polémiques et, parfois même, de manipulations. Il est aussi possible – je le crois sincèrement – de les aborder de façon sereine et responsable. C’est la voie que le Gouvernement a choisie depuis l’origine du débat. C’est ce que je fais devant vous. C’est aussi la voie qu’avait souhaité emprunter le Parlement.

La loi du 23 février 2005 a été adoptée au terme de débats dignes, parfois passionnés certes, mais toujours d’une grande tenue. Toutes les opinions ont pu s’exprimer. Bref, ce fut un débat républicain. C’est à nouveau le cas ce matin. Je m’en réjouis, et j’en remercie tous les orateurs.

Je ne vous cache pas mon étonnement, mesdames, messieurs les députés, de voir le groupe socialiste revenir sur ce sujet aujourd’hui, très tardivement comme l’ont souligné avant moi plusieurs orateurs.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Un reniement supplémentaire !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Je m’en étonne d’autant plus que Mme Printz, que l’on a citée tout à l’heure, porte-parole du groupe socialiste au Sénat, avait expressément approuvé cet article 4 – le Journal officiel des Débats fait foi.

De plus, interrogé sur ce point, votre collègue M. Mesquida a déclaré qu’« on ne pouvait pas penser que le législateur ait été guidé par un esprit colonialiste ».

Et je comprends d’autant moins ce débat que cet article 4 n’est pas normatif.

M. Lionnel Luca. Absolument !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Il est purement déclaratif.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Justement, c’est encore pire !

M. Maxime Gremetz. Il ne faut pas le mettre, alors !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. De ce fait, il laisse aux responsables de l’enseignement la mission d’élaborer les programmes. Il était bon de le préciser, et je me plais à le dire.

En effet, chacun en convient, dans un pays de liberté et de démocratie comme le nôtre, ce n’est pas à la loi…

M. Maxime Gremetz. On ne dicte pas l’histoire !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Il est dommage que vous ne m’écoutiez pas ! J’abonde précisément dans votre sens. (« Pour une fois ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Dans un pays, dis-je, de liberté et de démocratie, ce n’est pas à la loi de dicter une histoire officielle.

M. Maxime Gremetz. C’est pourtant ce que vous faites !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Au nom du Gouvernement, je le redis de la façon la plus nette et la plus ferme : il n’est pas question d’imposer une histoire officielle. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. Abrogez donc l’article 4 ?

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Pour s'en convaincre, il suffit de se reporter à l'article 3 de cette même loi.

M. Maxime Gremetz. On ne parle pas de l’article 3, mais de l’article 4 ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Soisson. Laissez le Gouvernement s’exprimer ! (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Les coloniaux se réveillent !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Ce que je dis vous gêne, me semble-t-il, mais ce n’est pas pour me déplaire ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

L’article 3 prévoit la création d'une Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, espace naturel de travail et d'études pour les chercheurs et les historiens, de toutes origines et de toutes nationalités.

Comment peut-on décider la création d'une telle structure et, en même temps, prétendre orienter l'histoire ?

Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. C’est exactement ce que vous faites !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, force est de le constater, on a fait dire à cet article ce qu'il ne dit pas. (« En effet ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Relisez-le !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Avec l'article 4, le Parlement a simplement cherché à obtenir une présentation équilibrée de ce que fut la présence de la France outre-mer.

M. Lionnel Luca. En effet !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Votre assemblée a voulu, tout simplement, rétablir un équilibre objectif entre ce que l'on pourrait appeler « les ombres et les lumières », et vous avez été un certain nombre à le dire.

En effet, vous avez souhaité qu'à côté des pages sombres parfois tragiques, soit aussi rappelé ce qui fait l'honneur de la France, et cela ne devrait gêner personne dans cette assemblée ! Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi d'ailleurs de rappeler qu'après le vote définitif de ce texte, plusieurs mois se sont écoulés sans réactions de quiconque. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Raoult. Les socialistes préparaient leur congrès !

Mme Martine David. Il n’est jamais trop tard pour bien faire !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. En seconde lecture, cet article n’a pas fait débat. C'est alors qu'un professeur d'histoire l’a jugé excessif, et que la polémique s'est développée.

Pourtant, ce même professeur a déclaré : « Qu’il y ait eu des aspects positifs dans le phénomène colonial est indéniable,… »

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. « …il n'est qu'à penser aux hôpitaux, aux routes et aux écoles que la France a bâtis dans les pays intégrés à son empire colonial. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Martine David. Encore heureux ! Ce n’était pas de la charité, ne nous en vantons pas : c’était normal !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Alors, mesdames et messieurs les députés, comment justifier que ce pan de l'œuvre française doive être occulté et passé par pertes et profits ?

Toutefois, soyons clairs : que la colonisation ait eu des pages sombres, dramatiques, est incontestable. Nul ne l'ignore. Personne ne le nie.

L'article 4 ne dit pas le contraire. L'utilisation des termes « en particulier positif » atteste bien qu'il existe une autre face de l'histoire. « En particulier » ne signifie pas « exclusivement ».

M. Jean Leonetti. Très bien !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. C'est bien l'ensemble de ces deux dimensions qui constitue la vérité et l’histoire.

Comme l'a déclaré le président Ayrault : « L'histoire de France n'est pas en noir ou blanc. Il faut célébrer les pages glorieuses et comprendre les pages sombres. » Je souscris à cette affirmation !

Enfin, mesdames et messieurs les députés, je souhaite aborder un aspect étonnamment méconnu de cet article 4. En effet, il prévoit « d'accorder à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

II s'agit de saluer le rôle de tous ces combattants, de toutes les générations du feu. La suppression de cette disposition ôterait cet hommage dont chacun mesure la légitimité et, en ce moment, l'opportunité.

Tout au long des cérémonies du soixantième anniversaire de la Libération, nous avons veillé à rappeler le rôle des combattants venus des territoires français du Maghreb, d'Afrique, d'Asie, d'Amérique et d'Océanie dans cette épopée de la Liberté.

L'année prochaine, pour le quatre-vingt-dixième anniversaire de la bataille de Verdun, le Président de la République inaugurera un nouveau monument dédié « aux combattants musulmans morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale ». Ils furent 100 000.

Cette page d'histoire partagée ne saurait être passée sous silence, sauf à commettre une grave injustice à l'égard de ces combattants, de leurs enfants, de leurs petits-enfants, à l'égard des pays dont ces soldats étaient originaires.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, plusieurs d'entre vous ont évoqué nos relations avec ces pays, et notamment l'un de ces pays : l'Algérie.

L'Algérie est un grand pays, démocratique. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) Comme chez nous, le débat s'y organise normalement entre majorité et opposition. Il me semble que ce débat interne doit être respecté.

II convient donc d'éviter toute confusion entre ce débat, notre propre débat, et nos relations bilatérales, dont chacun sait qu'elles ne cessent de progresser et de se renforcer,

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, compte tenu de ces différents éléments, sur cet article 4 ajouté à votre initiative, le Gouvernement s'en était remis à la sagesse du Parlement.

M. Jean-Paul Bacquet. Courage, fuyons !

M. le ministre délégué aux anciens combattants. Ce matin, nous avons abordé, autant que faire se peut, les questions et les objections qui ont été soulevées depuis plusieurs mois.

Les éclaircissements ont été apportés tant sur les intentions du législateur que sur celles du Gouvernement. Chacun constate qu'il n'a jamais été question de réécrire l'histoire, je le répète, ou de choquer quiconque.

C'est pourquoi, après avoir entendu tous les orateurs de votre assemblée, le Gouvernement s'en tient à ce qui a été débattu et voté lors des examens dans les assemblées en première et deuxième lectures. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bernard Derosier, rapporteur. Permettez-moi, à l’issue de nos échanges, de regretter que le président de la commission ait proposé d’emblée de mettre fin au débat.

Mme Christiane Taubira. Ce n’est pas normal !

M. Bernard Derosier, rapporteur. Je déplore donc que nous ne puissions aller jusqu’au terme de cette séance d’initiative parlementaire, même par un vote qui serait peut-être conforme à vos souhaits, chers collègues de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Georges Tron. C’est ce que vous avez fait pendant cinq ans.

M. Bernard Derosier, rapporteur. J’exprimerai un second regret...

M. Jean Leonetti. D’avoir mis neuf mois à réféchir !

M. Bernard Derosier, rapporteur. Dans ce débat fort intéressant quant à l’expression des points de vue sur la colonisation, les conséquences du vote de cet article au plan international – et, monsieur le ministre, j’aurais souhaité, au nom du Gouvernement, vous entendre sur ce point – n’ont pas été suffisamment soulignées, à l’exception de notre collègue François Loncle qui a évoqué cette dimension internationale.

Après d’autres membres de l’Assemblée nationale, vous avez regretté, monsieur le ministre, qu’il n’y ait pas eu de réactions plus rapides de notre part et que le débat ait été tardif. Or, immédiatement après la promulgation de la loi, et dans le cadre de mes responsabilités de président du groupe d’amitié France-Algérie, j’ai été interpellé par l’ambassadeur d’Algérie à Paris, qui ne comprenait pas le sens d’une telle disposition. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Leonetti. Tout s’explique ! Quelle plaisanterie !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. On a tout compris !

M. le président. Poursuivez, monsieur le rapporteur.

M. Bernard Derosier, rapporteur. J’espère que vous réagirez aussi bruyamment lorsqu’à l’initiative du Président de la République que vous soutenez, on nous proposera, je l’espère, un traité d’amitié entre la France et l’Algérie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Bernard Derosier, rapporteur. S’il y a eu une telle réaction, en particulier en Algérie, c’est que vous mettiez l’accent sur l’Afrique du Nord, et que le vote d’une telle disposition remettait en question le traité d’amitié souhaité par le Président de la République.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. André Chassaigne. Les nostalgiques sont belliqueux !

M. Jacques-Alain Bénisti. Manipulation et démagogie !

M. Bernard Derosier, rapporteur. Je veux aussi rétablir la vérité : plusieurs d’entre vous, et M. le ministre à l’instant, ont commenté le vote des députés et des sénateurs socialistes. Ici, notre collègue Mesquida, au Sénat, Mme Printz, se sont, lors de chaque lecture, exprimés pour dire que nous portions un regard positif, il est vrai, sur le texte proposé, sauf sur l’article 4.

M. Christian Vanneste. C’est faux !

M. Bernard Derosier, rapporteur. M. Mesquida s’est exprimé dans ce sens – je tiens à votre disposition le Journal officiel –, tout comme Mme Printz au Sénat. Nous avions voté contre, estimant que vous n’alliez pas assez loin et que vous n’aviez pas pris en considération les dispositions que les socialistes souhaitaient en faveur des rapatriés.

Qu’au moins la vérité soit rétablie sur ce point, si vous envisagez de l’écrire différemment au regard de l’histoire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Vote sur le passage à la discussion
de l’article unique

M. le président. La commission n’ayant pas présenté de conclusions, l’Assemblée, conformément à l’article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion de l’article unique du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion de l’article unique, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Sur le passage à la discussion de l’article unique de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe UDF et le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Dans les explications de vote sur le passage à la discussion de l’article unique, la parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe UDF.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à un moment où nous devrions nous rassembler devant les difficultés que rencontre notre pays, je regrette que le débat de ce matin ait été l’occasion de s’envoyer des anathèmes à la figure, d’un côté comme de l’autre : notre assemblée n’en sortira pas grandie.

Nous considérons pour notre part que la loi n’a pas vocation à trancher les rapports entre histoire et mémoire.

M. Patrick Lemasle. Très bien !

M. François Rochebloine. Si nous acceptions aujourd’hui que le législateur fixe le contenu des programmes scolaires, cela voudrait dire qu’une autre majorité pourrait modifier ce que la précédente a accepté. Comment, dès lors, pourrions-nous protester ?

Un député du groupe socialiste. Très bien !

M. François Rochebloine. Au lieu d’adopter le sous-amendement de notre collègue Vanneste, qui fait débat aujourd’hui, il aurait été préférable d’accepter la proposition de notre collègue Francis Vercamer, laquelle était conforme au droit et ne se substituait pas au ministère de l’éducation nationale, après une concertation effectuée au sein du Conseil national des programmes. Malheureusement, le Gouvernement n’en a pas voulu. Nous n’en serions pas là aujourd’hui.

Ce matin, je me suis exprimé en fonction de la ligne traditionnelle d’une famille politique qui s’est toujours opposée à ce que l’histoire soit écrite par la loi de l’État. (M. Myard proteste.)

Toutefois, ce sujet ayant fait débat à l’intérieur de notre groupe, et comme cela a été le cas pour d’autres textes, la liberté de vote sera la règle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Charles Cova. Quel courage !

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Maxime Gremetz. Nous abordons un sujet important ce matin, et cela pour plusieurs raisons.

La première, c’est qu’il faut laisser aux historiens le soin d’écrire l’histoire ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Goasguen. De la part des communistes, cela ne manque pas de sel !

M. Bernard Deflesselles. Vous êtes des spécialistes !

M. Jean Leonetti. Pas vous, pas ça !

M. le président. Poursuivez, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Écoutez les négationnistes ! Je constate que l’UMP est honteuse de compter sur ses bancs des partisans de l’Empire français. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. M. Gremetz a, seul, la parole.

M. Maxime Gremetz. Sinon, elle ne réagirait pas avec tant de violence !

M. André Chassaigne. Ils sont nostalgiques !

M. Maxime Gremetz. Vous êtes des nostalgiques de la colonisation !

L’histoire mérite mieux que cela. Vous êtes sans doute très intelligents, mais laissez donc aux historiens le soin de l’écrire.

M. Éric Raoult. Comme Lyssenko la biologie !

M. Maxime Gremetz. Pour vous ramener à plus de modestie, je rappelle qu’il a fallu cinquante ans pour que la guerre d’Algérie, autrefois désignée sous les termes d’« opérations pour le rétablissement de l’ordre en Algérie », soit enfin reconnue.

M. Claude Goasguen. Et les archives du PC, combien de temps faudra-t-il attendre avant que vous les rendiez publiques ?

M. Maxime Gremetz. Ne vous empressez donc pas de vouloir écrire l’histoire, vous êtes les plus mal placés pour le faire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous voulez fixer le contenu des manuels d’histoire dans la loi et vous voulez dicter aux professeurs d’histoire la façon dont il faut expliquer les bienfaits de la colonisation. Il y a tout un débat sur cette question, mais je me garderai de l’engager, même si j’ai mon opinion là-dessus. Mais tout cela, c’est de la dictature : c’est pire que l’Union soviétique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Christophe Lagarde. En tout cas, ça fait moins de morts !

M. Jacques Myard. Vive le petit père des peuples !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, à mes chers collègues qui aujourd’hui se manifestent, sans doute sous l’emprise d’une certaine personne qui les dope dès le matin, je rappelle le texte de l’amendement qui avait été adopté par la commission des affaires sociales : « Les programmes scolaires et les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. » (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Hervé Mariton. Où est le problème ?

M. Maxime Gremetz. Écoutez donc, chers collègues, ce texte que vous avez voté puis renié : « La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée. » C’est cette rédaction-là que j’aimerais voir rétablie pour l’article 4, comme je le propose dans mon amendement. Car, moi, je ne change pas d’opinion…

M. Jean Leonetti. Vous êtes toujours aussi stalinien !

M. Maxime Gremetz. …parce que Sarko ou un autre demande de chanter les bienfaits de la colonisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Pour le groupe UMP, la parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Monsieur le président, quel regret que les propos outranciers de Maxime Gremetz portent atteinte à la dignité qui a caractérisé nos débats jusqu’alors ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Quel contraste avec la rigueur intellectuelle dont M. le rapporteur a fait preuve, et pour laquelle nous ne pouvons que lui rendre hommage !

Si notre groupe s’apprête à voter contre cette proposition, ce n’est pas parce qu’elle émane de l’opposition ou parce que nous rejetons les aspects parfois sombres de la colonisation. Non, nous y opposons parce qu’elle reprend l’idée dominante selon laquelle la colonisation s’est arrêtée là où commence en fait la véritable aventure, après la conquête et son cortège de violences. Cette proposition voudrait ignorer que le travail des historiens n’est pas achevé. Nous savons bien qu’on a voulu raconter davantage le mal que le bien et occulter la formidable œuvre de la France dans des domaines aussi essentiels que la santé, l’éducation et les transports. Certes, monsieur le rapporteur, vous ne l’avez pas nié, mais vous nous reprochez au fond de ne pas verser dans cet esprit de repentance dont vous faites en permanence votre miel, puisque la stigmatisation du passé national est devenue pour vous une raison d’être. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Pour notre part, nous avons voulu rappeler la nécessité d’établir un équilibre dans l’enseignement : l’exposé des faits doit être pluriel. La neutralité interprétative, dans la recherche comme dans l’enseignement, est une composante de la laïcité aussi vitale pour la démocratie que la neutralité religieuse. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Nous voici parvenus au terme de l’examen de cette proposition de loi, puisque la majorité s’apprête à refuser le passage à l’examen de son unique article. C’est votre responsabilité, chers collègues.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et nous l’assumons !

M. Jean-Marc Ayrault. Je le regrette profondément, au nom des députés socialistes.

Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention et de respect. Vous avez bien fait de rappeler qu’il fallait inscrire dans la loi la reconnaissance de la nation française à l’égard de tous les anciens combattants d’Afrique ou d’Asie qui, avec les Français, ont contribué à la libération de notre sol. Cette reconnaissance, nous la leur devions depuis bien longtemps. Et tous les gouvernements successifs ont leur part de responsabilité pour ne pas l’avoir fait plutôt.

Quelle émotion, le 11 novembre, de penser à tous ces tirailleurs sénégalais, issus de différents pays d’Afrique aujourd’hui indépendants, qui avaient été placés en première ligne au Chemin des Dames. Nous avions oublié notre devoir de mémoire à l’égard et il était juste que la République reconnaisse enfin leurs sacrifices.

M. Éric Raoult. Et qu’a fait Mitterrand pendant quatorze ans ?

M. le président. Monsieur Raoult !

M. Jean-Marc Ayrault. Je comprends donc d’autant moins l’attitude du Gouvernement et de la majorité.

Avec mon collègue Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste au Sénat, j’ai écrit à M. Dominique de Villepin, Premier ministre, qui était il n’y a pas si longtemps ministre des affaires étrangères, afin d’attirer son attention sur le fait que le sous-amendement adopté par l’Assemblée nationale constituait une blessure pour des peuples auxquels nous avons trop tardé à accorder leur indépendance.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Qui ?

M. Jean-Marc Ayrault. Certains d’entre eux se sont exprimés avec virulence, mais la plupart sont restés silencieux et discrets, sans pour autant sous-estimer la faute politique que cela représentait.

M. Jean-Paul Anciaux. Faites repentance !

M. Jean-Marc Ayrault. Cela a aussi été une blessure pour nos concitoyens issus de l’immigration, à qui est sans cesse rappelée leur origine. Or, ce qui est fondamental, c’est non seulement d’établir des règles d’équité et de justice entre les anciennes colonies françaises, aujourd’hui nations indépendantes, et la France mais aussi de faire en sorte que tous les enfants de la République se sentent, dans leur diversité, reconnus comme appartenant à la communauté nationale et aimés.

M. Jean-Paul Anciaux. Démagogie !

M. Jean-Marc Ayrault. C’est ce message que nous voudrions faire passer dans cet hémicycle et que vous refusez.

Mme Élisabeth Guigou. Eh oui !

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je voudrais vous dire mon regret car, dans deux circonstances pas si lointaines, nous avons été capables de nous rassembler, ce qui a fait la grandeur du Parlement de la République française : la première fois lorsque nous avons adopté quasiment à l’unanimité la proposition de loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, après des débats d’une grande qualité ; la deuxième fois en reconnaissant à l’unanimité la guerre d’Algérie en tant que telle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Alors, pourquoi ne pas reconnaître aujourd’hui que le colonialisme, ce n’est pas 50 % de bien et 50 % de mal, mais une injustice commise à l’égard de peuples qui ont été soumis et que nous n’avons pas, nous, parlementaires, à écrire l’histoire à la place des historiens et à dicter leurs cours aux professeurs. Oui, il faut enseigner l’histoire, toute l’histoire, mais pas dans ces conditions ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

J’ai écouté avec beaucoup d’attention M. Kert. La vérité, c’est qu’en commission, vous aviez accepté l’amendement cité par M. Gremetz et refusé le sous-amendement de M. Vanneste. C’est en séance que vous avez changé de position, après que le Gouvernement s’est remis à la sagesse de l’Assemblée pour le sous-amendement de M. Vanneste – comme si l’on pouvait appeler cela de la sagesse.

M. le président. Il vous faut conclure.

M. Jean-Marc Ayrault. J’ai tendu la main à la majorité pour que nous nous en sortions avec grandeur. Elle la refuse, et nous le regrettons, mais nous continuerons notre combat pour cette juste cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Derosier, rapporteur. Je demande la parole, monsieur le président ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Non, monsieur le rapporteur. Je ne vous la donne pas. Le scrutin a été annoncé. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix le passage à la discussion de l’article unique de la proposition de loi.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin sur le passage à la discussion de l’article unique de la proposition de loi :

L'Assemblée nationale ayant décidé de ne pas passer à la discussion de l’article unique, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Déclaration de l’urgence
d’un projet de loi

M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre une lettre l’informant que le Gouvernement déclare l’urgence du projet de loi relatif au retour à l’emploi et au développement de l’emploi (n° 2668).

M. Maxime Gremetz. Encore une urgence !

Ordre du jour de l’Assemblée

M. le président. L’ordre du jour des séances que l’Assemblée tiendra jusqu’au jeudi 15 décembre inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents.

Ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (nos 2615-2681) ;

Discussion du projet de loi, après déclaration d’urgence, n° 2668, relatif au retour à l’emploi et au développement de l’emploi :

Rapport, n° 2684, de M. Laurent Wauquiez, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures trente.)