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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 9 janvier 2007

104e séance de la session ordinaire 2006-2007


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

souhaits de bonne année

M. le président. Permettez-moi d’abord, mes chers collègues, de vous présenter mes vœux les plus chaleureux et d’adresser au Gouvernement mes souhaits de bonne année.

communication de M. le président

M. le président. Mes chers collègues, la présence du drapeau national dans l’hémicycle ne vous aura certainement pas échappé. Répondant à un souhait unanime du bureau de l’Assemblée nationale, j’ai tenu à mettre un terme à une anomalie qui s’est étonnamment maintenue sous toutes nos Républiques : l’absence dans l’hémicycle d’un symbole républicain et national. Aujourd’hui, grâce à vous, ce symbole a été restauré. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Vive la République !

M. le président. Et, naturellement, vive la République !

questions au gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe des député-e-s communistes et républicains.

politique du logement

M. le président. La parole est à M. François Liberti.

M. François Liberti. Monsieur le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, l’irruption dans l’actualité des mal-logés et de la France des sans-toit a bousculé le ronron audiovisuel et préélectoral.

Vous avez été contraint à prendre des engagements pour la mise en place du droit au logement opposable et la création de 27 000 places d'hébergement et de passerelles vers le logement pour les plus démunis.

Nécessaire dans la loi, le droit au logement opposable est une bataille ; garantir son application dans la réalité en sera une autre. Même opposable, ce droit ne peut être effectif sans que d'autres mesures concrètes soient prises.

Il ne s'agit pas seulement, monsieur le ministre, de produire de l'habitat, il faut que l'augmentation nécessaire de la production de logements soit adaptée à celles et à ceux qui en ont besoin. La fondation de l'abbé Pierre a dénoncé que sur les 410 000 logements construits en 2005, les trois quarts étaient destinés au plus aisés. Il est nécessaire d'appliquer réellement la loi SRU, dite loi Gayssot. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Ah oui !

M. François Liberti. Pour cela, il faut instaurer une contrainte pure et simple, tout particulièrement envers le lobby anti-loi SRU qui sévit dans votre propre majorité et au sein même du Gouvernement.

Il s'agit aussi de procéder à la réquisition des logements vacants comme le prévoit la loi. Il faut interdire les expulsions locatives, les coupures d'eau, de gaz et d'électricité car avec un travail insuffisamment rémunérateur ou pas de travail du tout, il devient impossible de se loger. Les salaires, l'emploi, les minima sociaux, tout est lié.

Monsieur le ministre, il faut également bloquer la spéculation foncière au lieu de la faciliter comme vous le faites avec des avantages fiscaux accordés à ceux qui placent leurs profits sur les terrains à construire et dans la pierre uniquement pour spéculer.

La mise en place d'un service public de l'habitat financé par la taxation de la spéculation foncière et immobilière devient désormais d'une grande urgence.

M. le président. Monsieur Liberti, si vous voulez bien poser votre question ?

M. François Liberti. Monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour aller dans ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le député, le droit du logement est considéré, sur tous les bancs, comme étant aussi essentiel que le droit à l’éducation. Nous aurons l’occasion, je crois, d’en débattre sereinement, c’est une question à la fois fondamentale et difficile.

Pour parvenir à la régler, vous avez raison, il est indispensable de produire un nombre important de logements, notamment de logements pour tous, c'est-à-dire de logements sociaux. À ce propos, permettez-moi de vous donner quelques éléments précis d’appréciation.

En 2000, le parc public ou privé social produit, c’était 51 862 logements. Cette année, le même parc, selon les mêmes paramètres, c’est 143 850 logements. Et l’objectif pour 2007, grâce à la loi portant engagement national pour le logement, la loi ENL, c’est 160 000 logements, c'est-à-dire un triplement.

J’ajoute, pour répondre plus précisément à votre question, que dans la catégorie du très social, c’est-à-dire des PLUS et des PLAI, alors que votre majorité n’en produisait à l’époque, malheureusement, que 38 000, nous en avons produit 59 180, soit une progression de 65 %. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Et l’objectif pour 2007, c’est 80 000, soit une hausse de 110 %. Cet effort global est le résultat de l’action de tous les acteurs, y compris de la famille HLM. Nous ne pouvons tous que nous féliciter de ce retour à un processus global de production. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

protection des journalistes
en temps de guerre

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le président, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter pour cette présence du drapeau national dans notre hémicycle.

Cette période de vœux ne doit pas nous faire oublier les conflits qui agitent le monde, notamment ceux qui paient un lourd tribut à ces conflits, je veux parler des journalistes et des correspondants de guerre.

Selon l’association Reporters sans frontières, 110 journalistes ont péri l’année dernière dans l’exercice de leurs fonctions sur différents théâtres d’opérations. Depuis 1990, 450 journalistes ont été tués dans des zones de conflits, dont dix Français. L’année dernière, plus d’une centaine de journalistes sont morts au Proche-Orient, sans parler des prises d’otages : dix-huit journalistes français en ont été victimes, de Jacques Abouchar en 1984 à Florence Aubenas en 2005, et encore, tout récemment, un photographe de l’AFP à Gaza.

Cette constatation m’avait amené, avec mon collègue socialiste de l’Eure, François Loncle, à proposer à la commission des affaires étrangères et à M. Balladur la création d’une mission d’information sur la protection des journalistes en temps de guerre.

Notre rapport repose sur trois idées.

D’abord, il rappelle solennellement que la liberté d’informer est indispensable à la connaissance des conflits. Tous les conflits ne sont pas couverts par la presse.

Ensuite, il propose qu’il soit mis fin à l’impunité des chefs d’État qui font exécuter des journalistes.

Enfin, il précise qu’il faut lier ce droit à la saisine de la Cour pénale internationale.

J’ai le grand plaisir d’annoncer ici que, grâce à la mobilisation du Président de la République et du ministre des affaires étrangères, la France et la Grèce ont soumis au Conseil de sécurité des Nations unies, qui l’a adoptée à l’unanimité le 23 décembre dernier, une résolution 1738, qui, pour la première fois, établit le principe de la protection des journalistes en temps de guerre.

J’aimerais, monsieur le ministre, que vous informiez la représentation nationale du contenu de cette résolution et des moyens qui seront mis en œuvre pour mettre fin à un certain nombre de scandales, je pense notamment à l’assassinat tout récent de Mme Politkovskaïa en Russie, qui porte à vingt et un le nombre des journalistes russes assassinés depuis l’accession au pouvoir de M. Poutine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur Lellouche, comme vous l’avez rappelé, des correspondants de guerre, des envoyés spéciaux, des journalistes indépendants sont de plus en plus souvent attaqués alors qu’ils ne font qu’exercer leur métier. L’année 2006 aura été la plus meurtrière pour les journalistes.

La violence des attaques vis-à-vis des journalistes est d’autant plus inacceptable que la liberté de travailler, la liberté d’expression, la liberté d’informer sont des valeurs fondamentales de notre République.

Il fallait répondre à ces attaques, et je voudrais saluer ici deux initiatives.

D’une part, l’action de Reporters sans frontières et de son président Robert Ménard, ainsi que leur capacité de veille et de mobilisation.

D’autre part, le rapport d’information parlementaire que vous avez signé, monsieur Lellouche, avec M. Loncle, et cette proposition de présenter une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies.

J’ai présenté cette résolution avec ma collègue grecque. Cette résolution – 1738 – a été votée à l’unanimité du Conseil de sécurité, le 23 décembre à New York. Que dit-elle ?

D’abord, qu’il faut systématiquement faire des enquêtes contre les crimes perpétrés contre des journalistes et qu’il convient de punir les responsables de ces crimes.

Ensuite, qu’il faut que tous les États acceptent la liberté et l’indépendance de la presse.

Mais, vous avez raison, monsieur le député, il faut des prolongements à la résolution, pour que les nouvelles enceintes que sont la Cour pénale internationale, le Conseil des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe et l’OSCE puissent continuer à contribuer à la sécurité et à l’indépendance des journalistes.

Permettez-moi, enfin, de saluer devant la représentation nationale la mémoire de tous les journalistes qui sont morts en exerçant leur métier tout simplement, morts pour la liberté d’informer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)

droit au logement

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le Premier ministre, le rappel à l'ordre a été sévère. Pour répondre à l'opinion publique, le Président de la République a récemment exhorté le Gouvernement à mettre en place l'opposabilité du droit au logement.

Ce droit, on le sait, n'est pas satisfait pour des millions de nos concitoyens sans-abri ou mal logés. Le rendre opposable permettrait à chacun, s'il n'obtient pas un habitat correspondant à ses besoins ou à ses moyens, de recourir à la justice.

M. Jean-Paul Anciaux. Que ne l’aviez-vous fait avant !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Portée depuis plusieurs années par les associations et par de hautes institutions, cette revendication a été relayée par les parlementaires socialistes dès 2004. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Nudant. Démago !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ici même, comme au Sénat, à de nombreuses reprises nous avons défendu des amendements pour l'opposabilité du droit au logement. Toutes ces démarches se sont heurtées à un rejet méprisant de votre gouvernement et de sa majorité. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Aujourd'hui, vous êtes contraints de changer radicalement de position.

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous pourrions nous réjouir de ce progrès. Mais la politique que vous avez conduite depuis cinq ans est en totale contradiction avec les principes qu'exige une réelle efficacité du droit au logement.

Si l’État doit en rester garant, son opposabilité suppose d'abord de désigner une autorité responsable de sa mise en œuvre au plan local. Or votre loi sur la décentralisation a dispersé la compétence, laissant la question « Qui fait quoi ? » sans réponse claire. À la question « Qui ne fait rien ? », par contre, on connaît la réponse ! (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Le Guen. En effet. C’est vous qui ne faites rien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’opposabilité du droit au logement suppose ensuite de construire des logements adaptés aux besoins de la population. Un logement pour tous ! Or sur les 430 000 mises en chantier lancées en 2006, seules 25 % seront accessibles aux deux tiers des Français.

M. le président. Monsieur Le Bouillonnec, merci de poser votre question.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Enfin, l’opposabilité suppose de mobiliser les communes sur tout le territoire. Or vous n’avez rien fait pour contraindre davantage les maires qui refusent de construire des logements sociaux. Et il a fallu, dans cet hémicycle, combattre votre majorité pour vous empêcher de commettre l'irréparable, c'est-à-dire de revenir sur l'obligation de 20 % de logements sociaux.

M. le président. Merci, monsieur Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Faute d'avoir rempli ces exigences, vos annonces sont d'autant plus condamnées à rester sans effets qu'elles engagent surtout les majorités à venir. Elles ne sont donc qu'une grossière manœuvre de diversion. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Merci.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le Premier ministre, allez-vous remettre en cause en profondeur votre politique du logement pour rendre effectif le droit au logement et réellement applicable son opposabilité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le député, je regrette sincèrement le ton de votre question et je vais vous dire pourquoi. Après un rapport demandé par le Premier ministre et annoncé dans cette enceinte, avec votre accord, lors de la discussion de la loi portant engagement national pour le logement, un texte fondateur pour notre république et compliqué opérationnellement a reçu, hier, un avis positif, unanime, du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, qui regroupe des gens de toutes tendances politiques. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David. Cela n’est pas la question !

M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Cet important texte va venir devant votre assemblée, et je souhaite qu’il soit soutenu de manière unanime par tous les Républicains.

Faut-il avoir la cruauté de citer le projet du parti socialiste sur ce sujet ? « Nous demanderons, au début de la législature, au Conseil économique et social de préparer un rapport sur la mise en œuvre du droit opposable. » Ce rapport a été fait dès 2003 et, nous, nous y donnons suite aujourd’hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

vote par internet

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Michel Hunault. Ma question concerne les modalités de vote pour les prochaines élections.

Au nom du groupe UDF, reprenant une récente proposition de loi visant à autoriser le vote par internet, je voudrais savoir si le Gouvernement entend faciliter celui-ci. Comme dans certains pays d’Europe, il serait possible de voter par internet dans un cadre parfaitement sécurisé. Cela encouragerait les personnes éloignées, empêchées ou handicapées à voter.

Sur le plan technique, rien n’empêche le vote par internet. Dans le souci de permettre à tous les Français d’exercer leur droit de vote, le Gouvernement entend-il permettre le vote par internet, ne serait-ce qu’à titre expérimental ?

En ce qui concerne l’Union pour la démocratie française, nous sommes prêts à participer à une commission qui regrouperait l’ensemble des formations politiques et qui travaillerait à la concrétisation du vote par internet, dans un cadre sécurisé et totalement transparent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur le député, vous nous proposez d’étendre les mesures d’utilisation d’internet haut débit au vote électronique en matière de consultation électorale. Cela ne peut évidemment se faire que dans le cadre de garanties de transparence et de sécurité, et nous devons donc passer par des expérimentations.

Je vous rappelle à cet égard que nous avons procédé, en 2004, à une première expérimentation dans le cadre de l’élection de cinq chambres de commerce et d’industrie ainsi que de deux conseils d’université – Nantes et Lyon 2. Cinq cent mille personnes participèrent à ce vote électronique. En 2006, nous avons procédé de la même manière pour l’élection de l’Assemblée des Français de l’étranger : il y a eu 10 000 participants. Dans le prolongement de ces expériences, nous organiserons un vote électronique en 2008 pour le renouvellement des conseils prud’homaux.

Le Gouvernement peut se réjouir d’avoir permis à notre pays d’être le premier de l’Union européenne pour ce qui est de la couverture numérique du territoire. Je remercie d’ailleurs votre groupe pour son soutien constant à notre action qu’elle concerne l’opérateur historique, la fibre optique ou, aujourd’hui, l’extension aux zones blanches avec la mise en service grâce aux licences que nous avons accordées en juillet dernier à toutes les régions de France par le système WiMAX, ou encore l’aide que nous apportons aux communes les plus isolées avec un fonds de 10 millions d’euros que nous avons débloqué pour aider les communes les plus économiquement faibles à bénéficier de 80 % de subventions de l’État. Dès lors que sont réunies toutes les garanties de transparence et de sécurité, nous sommes favorables à la création d’un groupe de travail pluraliste que vous appelez de vos vœux. Nicolas Sarkozy et moi-même le mettrons en place le plus rapidement possible. Cela montre notre souci de nous rapprocher toujours un peu plus de la préoccupation de nos concitoyens, notamment ceux des territoires les plus isolés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

politique du logement

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’UMP.

M. Michel Piron. Monsieur le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, la politique du logement que vous menez depuis des années a donné des résultats incontestables : 430 000 mises en chantier en 2006 contre 310 000 en 2000, soit plus 40 % ; 97 000 logements locatifs sociaux en 2006 contre 42 000 en 2000, soit plus du double ; 38 000 logements privés à loyers maîtrisés contre 9 600 en 2000, soit quatre fois plus ; 240 000 prêts à taux zéro contre moins de 100 000 en 2002, soit plus du double pour favoriser l’accession sociale à la propriété.

M. Jean-Paul Anciaux. Très bien !

M. Michel Piron. Ces résultats n’ont été possibles que grâce aux décisions prises en 2002 et en 2003, engagements confirmés par la loi portant engagement national pour le logement en 2006. Mais, malgré cela, tous les problèmes ne sont pas réglés, loin s’en faut, notamment dans les grandes agglomérations, au premier rang desquelles l’agglomération parisienne. Il est vrai que le retard accumulé entre 1990 et 2000 était tel qu’il nous faudra maintenir et accentuer encore l’effort considérable accompli.

Pourriez-vous, monsieur le ministre, faire le point sur la situation et les perspectives d’hébergement, notamment pour les sans-domicile-fixe, dont la presse a beaucoup parlé ces jours derniers ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le député, vous avez raison d’insister sur l’effort tout particulier accompli par notre gouvernement depuis 2002 pour résoudre la très grave crise du logement. Une fois les décisions prises et les financements accordés, il faut cependant un délai minimum pour que les logements sortent de terre. De ce fait, suite au manque de constructions de la fin des années 90, la chaîne du logement a subi une véritable embolie, qui a touché tous les demandeurs et surtout les plus précaires. C’est pour cela que le Gouvernement a eu à cœur d’apporter des réponses, y compris pour les très grands exclus, avec la création de 30 000 places.

Aujourd’hui, il faut conjuguer hébergement et sortie de l’exclusion. Pour cela, nous avons mis en place de nouveaux dispositifs adaptés aux différents publics – travailleurs pauvres, femmes isolées, grands exclus – et un programme exceptionnel et exemplaire de 20 000 places nouvelles accompagnées, seule réponse durable. Nous avons pris, au nom de l’État, l’engagement d’accompagner les plus faibles, les victimes d’accidents de la vie, pour les aider à s’en sortir. C’est cela la République fraternelle ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

orientation au collège

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour le groupe de l’UMP.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’orientation des enfants fait partie de nos préoccupations à tous. A la suite du rapport Hetzel, vous avez pris plusieurs décisions. Elles ont été de réelles avancées pour l’orientation des jeunes au lycée en classe de terminale et aussi à l’université. C’est une bonne chose. Mais il reste qu’à ce jour, à l’exception de la découverte professionnelle et de l’apprentissage junior, aucune aide à l’orientation n’est proposée aux parents et aux élèves de collège. Et pourtant, malheureusement, les sorties de parcours scolaire sans qualification se comptent encore par dizaines de milliers.

Nous ne pouvons pas accepter ce qui constitue un échec de notre système. Alors, au nom des familles de notre pays, je vous demande, monsieur le ministre, quelles dispositions vous entendez prendre pour aider aussi, le plus tôt possible, les élèves qui en ont besoin à choisir leur parcours et construire leur avenir, ou les parents à construire l’avenir de leurs enfants. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, l’orientation et l’insertion professionnelle sont deux grands défis de notre système éducatif. Déjà, sous l’impulsion du Premier ministre, le rapport Hetzel a défini comment mieux faire déboucher les études supérieures sur un métier. Dans le secondaire, c’est la même chose. J’ai décidé qu’au deuxième trimestre, dès cette année, les 790 000 collégiens bénéficieront d’un entretien d’orientation personnalisé mené sous la conduite du professeur principal, assisté d’un conseiller d’orientation ou d’un psychologue et accompagné d’experts extérieurs qui, dans le domaine de la formation, seront rattachés soit aux chambres de commerce, soit aux chambres des métiers, soit aux chambres d’agricultures. Les parents seront invités à ces entretiens d’orientation. C’est très important, car cela permettra de consolider la confiance entre eux, les enseignants, les élèves et le milieu socio-professionnel. Ce point d’étape permettra à l’élève de dégager des perspectives en fonction de ce qu’il ressent, de ce qu’il a appris et de ce qu’il aime.

Ce dispositif va exactement dans le même sens que la démarche des trois heures de découverte professionnelle, pratiquement généralisée à tous les collèges de France depuis la dernière rentrée.

Ainsi, les vocations s’affirmeront plus tôt, plus sûrement. Les élèves pourront se rapprocher des organismes de formation, des milieux socio-professionnels. C’est ainsi que l’éducation nationale fait progresser l’égalité des chances. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

accès aux soins pour les plus démunis

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste.

M. Gérard Bapt. Ma question s’adresse à M. le ministre de la santé et des solidarités. Elle porte sur une préoccupation grandissante de nos compatriotes, les difficultés croissantes et de natures multiples qu’ils rencontrent pour accéder aux soins.

Sont d’abord concernés les patients bénéficiaires de la couverture maladie universelle et de l’aide médicale d’État, dont les demandes sont trop souvent refusées non seulement par certains médecins spécialistes ou généralistes, mais aussi par certains pharmaciens. Même si ces praticiens sont minoritaires, nous attendons, monsieur le ministre, que vous exigiez que soient sanctionnés, par le Conseil de l’ordre et par l’assurance maladie, de tels manquements à l’éthique médicale et au serment d’Hippocrate.

M. Philippe Vitel. Cela n’a rien à voir !

M. Gérard Bapt. Une autre difficulté grandissante à l’accès aux soins, qui est désormais rencontrée par un grand nombre d’assurés sociaux, réside dans la pratique des dépassements d’honoraires, dont la charge s’ajoute aux différentes contributions imposées aux patients au prétexte de responsabilisation.

De plus en plus fréquemment, c’est la question des ressources qui écarte des soins ou des actes de prévention nombre de nos compatriotes.

M. Jean-Marc Roubaud. C’est faux !

M. Gérard Bapt. La mise en place d’un secteur nouveau, dit « secteur optionnel », ne pourrait qu’aggraver les inégalités en généralisant la pratique du dépassement d’honoraires. Dans un tel contexte, monsieur le ministre, allez-vous procéder par revalorisation des tarifs opposables de certains actes si c’est nécessaire et abandonner la création du secteur optionnel qui consacrerait la mise en place d’une médecine à deux vitesses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur le député, 2006, 2007, les années se suivent et vous avez toujours du mal à éviter deux écueils : la caricature et la démagogie. C’est bien dommage. Mais il n’est pas trop tard pour vous améliorer.

Mme Martine David. Donneur de leçons !

M. Christian Paul. Répondez plutôt à la question !

M. le ministre de la santé et des solidarités. Vous connaissez bien ces sujets. Vous savez donc très bien quelle est la réalité. Concernant la CMU et l’AME, heureusement que je ne vous ai pas attendu ! J’ai pris les mesures qui s’imposaient et fait en sorte que l’égalité d’accès aux soins ne soit pas un droit virtuel, mais une réalité.

Vous avez laissé entendre que la plupart des médecins, notamment des généralistes, posaient problème, alors que vous savez pertinemment – les études sont très claires – que près de 99 % des généralistes ne sont pas en cause. Pour les autres, les associations, les syndicats médicaux, mais aussi le Conseil de l’ordre et l’assurance maladie ont accepté, à mes côtés, de mettre en place des comités de suivi, dans le but d’appliquer enfin les mesures qui s’imposent pour la CMU et l’AME.

En ce qui concerne le secteur optionnel, la seule chose qui m’intéresse, et qui devrait intéresser l’ensemble des élus, est de donner un coup d’arrêt aux dérives en développant les tarifs opposables. C’est là la vocation du secteur optionnel, que je n’ai pas inventé ou imaginé de toutes pièces, mais qui était prévu par un accord signé en 2004 par l’ensemble des partenaires conventionnels.

M. Jean-Marie Le Guen. À votre demande !

M. le ministre de la santé et des solidarités. Je ne vous ai jamais entendu le remettre en cause !

M. Jean-Marie Le Guen. Allons, allons !

M. le ministre de la santé et des solidarités. Ce que je veux faire, de mon côté, au-delà de l’agitation des uns et des autres, c’est renforcer l’égalité d’accès aux soins, comme nous n’avons cessé de le faire.

Mme Martine David. Mensonges !

M. le ministre de la santé et des solidarités. Et nous continuerons dans cette voie, parce que c’est la qualité du système de santé qui en dépend. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

baisse du chômage

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Montchamp, pour le groupe de l’UMP.

Mme Marie-Anne Montchamp. Monsieur le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes, au mois de novembre, la baisse de 0,8 % du nombre des demandeurs d’emploi a ramené le taux de chômage de notre pays à 8,7 % de la population active. L’amélioration est tout à fait remarquable : en un mois, ce sont 17 400 personnes qui ont cessé d’être inscrites au chômage.

Je sais bien que nos opposants cherchent à minimiser ces excellents résultats (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), comme le faisait, hier soir encore, sur une radio nationale, le premier secrétaire du parti socialiste. Mais nous devrions, tout au contraire, considérer ces 360 000 chômeurs en moins comme un succès important. Le Président de la République a eu raison de le souligner et de confirmer le cap.

En même temps, nous savons bien que le chômage est une réalité complexe, qui mérite que l’on distingue par exemple le chômage des jeunes, le chômage des seniors et le chômage des personnes handicapées. Les résultats, nous le savons, ne sont pas homogènes. De la même manière, nous savons tous que, dans nos circonscriptions, à l’annonce de ces bons résultats, beaucoup de demandeurs d’emploi restent dans une attente difficile et douloureuse.

Ma question comporte deux points. D’une part, pouvez-vous nous détailler les résultats obtenus sur le front de l’emploi et nous préciser toutes les avancées que le gouvernement de Dominique de Villepin, soutenu par notre majorité, a su obtenir ? (« C’est de la poudre aux yeux ! » sur les bancs du groupe socialiste.) D’autre part, pouvez-vous nous indiquer s’il est réaliste d’envisager que l’on passe sous la barre des 8 %, et, dans ce cas, à quelle échéance et à quelles conditions ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Madame la députée, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie 1 a baissé de 10 % entre novembre 2005 et novembre 2006, et de 15 % depuis février 2005, soit une diminution de 360 000 demandeurs d’emploi. Celle-ci concerne les jeunes, parmi lesquels le nombre de demandeurs d’emploi a baissé de 10 %. Mais, pour la première fois, ce qui est très important, elle profite aussi aux chômeurs de longue durée, dont le nombre a diminué de 12 %, et aux demandeurs d’emploi de plus de cinquante ans, en baisse de 9 %.

M. Jacques Desallangre. C’est la période des soldes !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Néanmoins, il nous reste du chemin à parcourir, vous avez raison de le souligner, notamment en direction de nos concitoyens handicapés. Voilà pourquoi, avec Philippe Bas, nous avons présenté un nouveau parcours, dont nous souhaitons qu’il soit mis en œuvre dans un délai de moins de six mois, en direction des demandeurs d’emploi handicapés, car il n’est pas tolérable que leur taux de chômage soit encore deux fois plus supérieur à la moyenne nationale.

Cette politique correspond à des créations d’emplois – il y en aura 200 000 dans le secteur marchand –, ainsi qu’à la mise en place et à la montée en puissance du plan de cohésion sociale autour des contrats d’apprentissage. Jamais ceux-ci n’auront été aussi nombreux. Par ailleurs, 230 000 contrats de professionnalisation ont été signés depuis la création de ce dispositif. Enfin, les contrats d’avenir permettront à des hommes et des femmes depuis longtemps au RMI de revenir vers l’emploi.

Notre priorité, pour les temps qui viennent, c’est la bataille pour l’emploi annoncée par le Premier ministre. Notre engagement sera naturellement en faveur des jeunes des quartiers, des moins qualifiés et de ceux qui, bien que qualifiés, ne trouvent pas d’emploi. L’égalité des chances, tel est l’objectif européen pour 2007. Je vous propose que nous le partagions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

cotisations sociales
des créateurs d’entreprise

M. le président. La parole est à M. Philippe Auberger, pour le groupe de l’UMP.

M. Philippe Auberger. Monsieur le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales, afin de soutenir la croissance économique et l’emploi, le Gouvernement a mis l’accent sur le dynamisme et le renouvellement du tissu économique, en facilitant la création et, le cas échéant, la reprise d’entreprises. C’est ainsi que l’objectif, fixé en 2002, de création d’un million d’entreprises en cinq ans est largement dépassé, puisque le nombre d’entreprises nouvelles a constamment augmenté au cours de ces années et qu’il s’établit désormais à plus de 240 000 par an.

Mais cet effort se heurte au fait que les créateurs d’entreprise, en raison de leur statut de travailleur indépendant, doivent acquitter une cotisation minimum de 781 euros dès le premier trimestre d’activité, de 3 123 euros pour la première année et de 4 470 euros pour l’année suivante, alors qu’ils ne sont nullement assurés de réaliser un chiffre d’affaires leur permettant de verser de telles cotisations. C’est là une barrière incontestable à la création de nouvelles entreprises.

Le Gouvernement souhaite introduire, à la demande du Président de la République, une disposition qui prévoit une déclaration unique et, au démarrage, le paiement de cotisations sociales proportionnelles au chiffre d’affaires, soit 14 % du chiffre d’affaires pour une activité commerciale et 24,5 % pour une autre activité, ce qui répondrait parfaitement aux difficultés rencontrées par les créateurs d’entreprise.

Monsieur le ministre, ma question est simple : pouvez-vous nous préciser quand et dans quel cadre le Gouvernement pense pouvoir proposer ce dispositif à l’Assemblée nationale ? Dans quel délai celui-ci pourra-t-il effectivement être mis en œuvre ? Quel est le nombre prévisionnel d’entreprises nouvelles susceptibles de bénéficier de cette mesure et quel est son coût envisagé ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales.

M. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Monsieur le député, je voudrais tout d’abord rappeler une disposition très importante pour les créateurs d’entreprise, qui figure à l’article 36 de la loi pour l’initiative économique du 1er août 2003. Elle permet à un créateur d’entreprise, travailleur indépendant, de ne pas payer un euro de charges sociales pour son propre compte pendant la première année, sous réserve de rembourser ensuite les cotisations dues pendant les cinq années suivantes. Cette disposition n’étant pas suffisamment connue, je crois qu’il faut en faire la publicité.

Mais nous avons voulu aller beaucoup plus loin en instaurant un « bouclier social » pour les plus petits créateurs d’entreprise, qui sont les débutants de la création d’entreprise. Pour répondre à votre question, ce sont près de 250 000 entreprises qui en bénéficieront. La disposition figurera dans le projet de loi qui sera soumis au conseil des ministres le 17 janvier prochain et qui sera ensuite soumis en première lecture au Sénat, à l’initiative de Jean-Louis Borloo. Ces dispositions seront donc mises en œuvre très rapidement.

Vous avez également souligné que nous avons franchi le seuil du million d’entreprises créées. C’est une vraie rupture avec ce qui a prévalu entre 1997 et 2002, période pendant laquelle la France était à la remorque de l’Union européenne, en matière de création d’entreprises. Nous avons modifié considérablement cet environnement, ce qui donne aujourd’hui de bons résultats en matière de création d’emplois.

M. Maxime Gremetz. Pas en Picardie !

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Au moment où certains, du haut de la muraille de Chine, critiquent les entreprises qui se battent sur les marchés les plus difficiles, nous encourageons, nous, les Français qui ont décidé d’entreprendre avec bravoure…

M. Maxime Gremetz. Avec bravitude ! (Sourires.)

M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. …pour le plus grand bénéfice de l’emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

prix de l’énergie

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour le groupe socialiste.

M. Alain Néri. Monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, le coût de l’énergie pèse de plus en plus lourd dans le budget des familles. Les récentes et importantes augmentations du prix du gaz, de l’électricité et du fioul alourdissent considérablement les charges de chauffage, qui deviennent insupportables pour beaucoup de ménages.

De même, le coût des déplacements du domicile au travail pèse lourdement sur les ressources des ménages, puisque toute augmentation du prix du baril de pétrole est répercutée immédiatement sur le prix des carburants à la pompe, ce qui entraîne de très fortes hausses.

M. Guy Teissier. Et alors ?

M. Alain Néri. Malgré nos demandes insistantes, vous avez refusé de rétablir la TIPP flottante, qui aurait permis de modérer ces augmentations injustifiées. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Lucien Degauchy. Les régions sont bien contentes d’encaisser les augmentations !

M. Alain Néri. À l’automne 2005, vous aviez promis devant la représentation nationale que toute chute du prix du pétrole serait répercutée sur les prix à la pompe dans un délai de deux à trois jours.

Mme Martine David. Encore et toujours des promesses !

M. Alain Néri. Depuis la semaine dernière, le prix du baril de pétrole brut a chuté sous la barre des 55 dollars, son niveau le plus bas depuis juin 2005. Mais les automobilistes constatent amèrement qu’ils ne profitent en aucune façon de cette baisse, les prix des carburants à la pompe n’ayant nullement diminué depuis plusieurs jours.

Au contraire, si l’on en croit le site ouvert par le ministère des finances, le 2 janvier, qui indique les prix pratiqués dans 8 000 stations-service en France, le prix du super 95 restait hier à 1,15 euro le litre, atteignant même 1,30 euro à Paris. Pire, et c’est un comble, les prix communiqués par les sociétés pétrolières montrent que le super 95 a augmenté de 0,87 % au cours de la première semaine de janvier, alors que le pétrole brut baissait de 8,46 %.

Alors, monsieur le ministre, après la stupéfaction et l’indignation, c’est la colère qui gagne nos concitoyens. Une fois de plus, vous ne tenez pas vos promesses. Comment pouvez-vous nous expliquer et expliquer aux Français que, lorsque le pétrole brut augmente, le prix à la pompe monte immédiatement, alors que, lorsque le prix du pétrole brut baisse, il n’y a aucune baisse à la pompe ? (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. C’est la TIPP des socialistes !

M. le président. Posez votre question, monsieur Néri !

M. Alain Néri. Quelles mesures concrètes et rapides allez-vous enfin prendre pour mettre fin à cette situation illogique, incompréhensible, et à cette injustice intolérable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Vous m’interrogez, monsieur le député, sur le prix du pétrole et de l’essence. Comme tous nos concitoyens, nous y sommes très attentifs.

M. Augustin Bonrepaux. Mais vous ne faites rien !

M. le ministre délégué à l’industrie. L’année 2006 a été particulièrement pénible, puisque le pétrole a connu des sommets, le prix du baril étant monté jusqu’à plus de 70 dollars. Il est revenu, en ce moment, à près de 55 dollars.

M. Augustin Bonrepaux. Répondez à la question !

M. le ministre délégué à l’industrie. Avant le 1er janvier, je pouvais vous répondre très simplement que la baisse était répercutée sur le prix à la pompe. Depuis cette date – peut-être ne le savez-vous pas –, les conseils régionaux touchent une partie de la taxe sur le pétrole. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.– Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Et, dans leur quasi-totalité, les conseils régionaux socialistes ont appliqué deux centimes de hausse au super. Adressez-vous donc à vos amis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

réforme de la protection de l'enfance

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse, pour le groupe de l’UMP.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, deux enfants décèdent encore chaque semaine dans notre pays, victimes de mauvais traitements infligés au sein même de leur famille. Nous avons tous en mémoire le procès d’Angers et ces quarante-cinq enfants victimes d’un réseau pédophile. Singulier par son ampleur, le drame d’Angers ne doit pas occulter la réalité préoccupante de la maltraitance ordinaire. Si le nombre des enfants maltraités se stabilise aujourd’hui autour de 20 000 par an, ils sont 250 000 à faire l’objet d’une mesure de protection, et ce nombre ne cesse de s’accroître. Comment de telles situations peuvent-elles encore se nouer alors que notre politique familiale est enviée dans le monde entier ?

En 2005, la mission d’information sur la famille, dont notre collègue socialiste Patrick Bloche était le président et dont j’étais le rapporteur, s’est longuement penchée sur cette situation. Nous avons découvert que, si, dans 95 % des cas, les mécanismes de soutien familial et social jouaient pleinement leur rôle, ils se révélaient inadaptés dans les situations les plus graves, celles où des parents maltraitants choisissent des stratégies d’évitement des services sociaux. Dans la plupart des cas, des personnes savaient. Pas tout, bien sûr, mais elles avaient des éléments d’information préoccupants : un accouchement à domicile, des absences scolaires répétées, des soupçons médicaux. Or elles ne se sont jamais parlé. Les pièces du puzzle n’ont donc jamais été assemblées, car les différents professionnels de l’enfance, respectant leurs procédures, ne se rencontrent pas. Ainsi, les services de la protection de l’enfance ou les services judiciaires interviennent souvent trop tard.

À l’unanimité, droite et gauche confondues, nous avons formulé, en juin 2005, cinquante propositions, dont le projet de loi que vous nous présenterez dans l’hémicycle cet après-midi, monsieur le ministre, s’est largement inspiré : mener une véritable politique de prévention, améliorer l’efficacité du signalement des enfants en danger, clarifier les conditions d’intervention des conseils généraux et de la justice, moderniser et diversifier les réponses pour mieux prendre en charge les enfants et leurs familles.

Ce projet de loi est un texte exemplaire, fruit d’un long cheminement et d’une véritable concertation avec tous les acteurs concernés à travers le pays. Pouvez-vous nous dévoiler le contenu de ce projet (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) si nécessaire et si attendu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Madame la députée Valérie Pecresse, oui, j’ai voulu cette réforme de la protection de l’enfance, en tenant le plus grand compte de vos propositions et après avoir organisé une concertation approfondie avec tous les acteurs – qu’il s’agisse des associations, dans tous les départements, ou de l’ensemble des professionnels –, car il n’est pas normal que, aujourd’hui, dans notre pays, tant d’enfants souffrent encore, en secret et en silence, sans que personne ne s’en aperçoive et n’intervienne.

Cette réforme portera sur trois axes. Premièrement, la prévention : il n’est pas normal que l’on n’en fasse pas, ou si peu, dans notre pays, alors que les situations difficiles pourraient être détectées très tôt, avant même la naissance, à l’occasion de l’examen du quatrième mois de grossesse par exemple.

Deuxièmement, le signalement. La maîtresse d’école est en effet souvent désemparée face à des enfants violents ou, au contraire, totalement inhibés. Elle a donc besoin d’aide, car elle ne peut prendre seule une décision qui peut être lourde de conséquences pour les parents, si elle se trompe, ou pour l’enfant, si elle n’agit pas. Il faut donc mettre en place, dans chaque département, une cellule de signalement composée d’experts, de médecins et de psychologues, qui connaissent ce type de situations et peuvent décider d’intervenir. Il faut également que les professionnels partagent les informations qu’ils détiennent, dans le respect du secret professionnel bien entendu. Il ne s’agit pas de mettre ces informations sur la place publique : c’est la condition d’un travail en confiance avec les parents.

Enfin, il faut sortir de cette situation binaire qui ne laisse d’autre choix que de retirer l’enfant à sa famille, avec les traumatismes que cela provoque, ou de l’y maintenir, avec les risques que cela peut comporter pour lui. Nous allons donc diversifier les modes d’action en faveur des enfants en difficulté.

Cette réforme a été votée par le Sénat sans aucune opposition. Je souhaite qu’il en aille de même à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

prix du carburant

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth, pour le groupe de l’UMP.

M. Éric Woerth. Monsieur le ministre délégué à l’industrie, je crois en la vertu de la répétition. En effet, le problème que je souhaite aborder a déjà été évoqué tout à l’heure. Ma question sera donc très brève – peut-être sera-ce la question la plus courte de la législature.

Le prix du baril de pétrole baisse depuis de nombreux mois, mais celui de l’essence à la pompe, lui, ne baisse pas. Pourriez-vous nous en expliquer à nouveau les raisons et nous dire quand le prix de l’essence baissera ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Merci de votre concision, monsieur Woerth.

La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vais compléter la réponse que j’ai donnée tout à l’heure. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La constatation d’Éric Woerth est juste. L’année dernière, le prix du baril de pétrole a atteint des sommets, à plus de 70 dollars. Il s’établit aujourd’hui à 55 dollars. En outre, le pétrole étant payé en dollar et l’euro ayant augmenté par rapport à celui-ci, nous bénéficions davantage encore de cette baisse. Si l’on compare cette évolution avec celle du prix de l’essence, on s’aperçoit que, l’année dernière, le prix du super a atteint jusqu’à 1,35 euro et qu’il s’établit aujourd’hui aux environs de 1,16 euro. La baisse est donc effective et réelle.

Si la baisse progressive du prix du baril de pétrole que l’on observe actuellement – de 57 dollars à 56, puis à 55 – ne se traduit pas immédiatement à la pompe, elle est bien répercutée sur le prix de l’essence. Au reste, les baisses sont répercutées dans des délais beaucoup plus brefs que les hausses, ainsi que nous l’avons demandé aux pétroliers et aux distributeurs. La baisse qui est intervenue depuis la fin de l’année dernière – sauf dans le cas particulier de certaines régions que j’ai citées tout à l’heure – sera de nouveau observable à la pompe dans les jours qui viennent. Cela est certain.

J’ajoute que les consommateurs peuvent désormais consulter un site Internet qui leur fournit l’ensemble des informations sur le niveau des prix à la pompe. Ce site est consulté quotidiennement par plus de 100 000 personnes qui, avant de faire le plein, regardent où l’essence est la moins chère dans leur région.

Non seulement la baisse des cours est répercutée, mais nous donnons aux consommateurs les moyens d’en tirer le meilleur parti là où ils habitent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Yves Bur.)

PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Réforme de la protection de l’enfance

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, réformant la protection de l’enfance (nos 3184, 3256).

La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi s’attaque à une réalité que nous ne pouvons ignorer. Cette réalité, c’est la souffrance de dizaines de milliers d’enfant, victimes de négligence, d’indifférence, de manque d’affection. Des enfants victimes aussi de violences morales et psychiques, d’humiliations, de brimades. Des enfants, enfin, qui sont la proie de conflits aigus entre adultes et qui subissent les conséquences de rapports familiaux dégradés. Cette souffrance silencieuse, parfois non détectée malgré l’importance des dispositifs de prévention existants, est intolérable.

La loi de 1989 a permis de lutter plus efficacement contre la maltraitance. Aujourd’hui, nous devons aller plus loin. Notre projet de loi est porteur d’une ambition. Cette ambition, c’est de garantir à chaque enfant les meilleures conditions pour s’épanouir et pour grandir ; c’est de permettre à chaque enfant de trouver des repères pour se développer sur le plan physique, intellectuel, moral, affectif et social.

J’ai souhaité que cette réforme s’appuie sur la concertation la plus large avec les professionnels, les associations, les élus. C’est maintenant le cas depuis un an. J’ai rencontré un grand nombre d’acteurs de la protection de l’enfance ; j’ai beaucoup consulté ; j’ai rencontré de nombreux présidents de conseil général, des experts, des représentants d’organisations professionnelles, des responsables d’associations, ainsi que des signataires de « l’appel des cent ».

J’ai reçu plusieurs rapports parlementaires. Je citerai d’abord celui de la mission d’information sur la famille, présidée par M. Patrick Bloche, un rapport intitulé « L’enfant d’abord », dont Mme Valérie Pecresse a bien voulu être la rapporteure. Ce rapport a inspiré mon action, et vous retrouverez plusieurs de ses propositions dans ce projet de loi.

Je me suis déplacé à de nombreuses reprises à la rencontre des acteurs de terrain, je suis allé dans les établissements. J’ai organisé des journées thématiques et réuni un comité national qui a largement guidé mes réflexions. Enfin, j’ai invité les présidents de conseil général à organiser dans leur département un débat sur la protection de l’enfance. Pendant plusieurs mois, ces débats ont rassemblé des centaines de personnes d’horizons très divers : magistrats, élus, travailleurs sociaux, experts, responsables associatifs, éducateurs, médecins, pédopsychiatres, psychologues, et caetera. J’ai moi-même pris part à plusieurs de ces débats.

Ces débats, ainsi que les multiples contributions que j’ai reçues, notamment des grandes associations, les nombreux échanges ont permis de constater l’émergence d’un consensus fort sur la nécessité d’agir et sur les actions à mettre en œuvre.

Je tiens à saluer l’engagement des départements. Leur intervention, depuis les lois de décentralisation, a permis d’améliorer notre dispositif de protection de l’enfance. Chaque année, les départements lui consacrent ainsi la première part de leur budget, soit plus de cinq milliards d’euros. Aujourd’hui, 270 000 enfants sont pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance des départements, auxquels collaborent plus de 150 000 professionnels.

Je tiens à saluer l’implication croissante des communes, des centres communaux d’action sociale qui, par leurs actions de prévention de proximité, concourent également à la protection de l’enfance.

Je tiens à saluer aussi le travail des associations qui apportent une large part à la protection de l’enfance, les milliers de professionnels, et tous les bénévoles qui s’engagent auprès des enfants.

Le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui résulte du consensus qui a émergé au cours de cette concertation sur les bonnes pratiques professionnelles auprès des enfants et de leurs familles.

Notre dispositif de protection de l’enfance est construit sur des bases saines et solides. Pourtant des faiblesses, des dysfonctionnements existent. L’organisation de notre dispositif ne permet pas toujours d’aider au mieux les enfants qui souffrent, d’anticiper les souffrances. Il faut y remédier.

Pour les enfants, pour leurs familles, pour notre société, nous devons agir dans trois directions : renforcer la prévention, afin de venir en aide aux enfants et à leurs parents le plus tôt possible ; organiser le dispositif d’alerte et de signalement, pour détecter, évaluer et traiter plus efficacement les situations de danger ; diversifier, enfin, les modes de prise en charge, afin de les adapter aux besoins de chaque enfant.

Notre premier levier d’action consiste d’abord à renforcer la prévention. C’est l’objet du titre Ier du présent projet de loi.

La prévention est aujourd’hui le parent pauvre de notre dispositif. Il n’est pas normal que seulement 4 % des cinq milliards consacrés par les départements chaque année à la protection de l’enfance, soit 200 millions, soient dédiés à la prévention. Curieusement, la loi était jusqu’à présent muette sur ce point. Je vous propose d’inscrire dans notre droit que la prévention fait partie des missions de la protection de l’enfance.

Par ailleurs, il nous faut porter notre effort de prévention sur des moments clés. Plus on interviendra tôt, plus on pourra être efficace. Je pense aux étapes cruciales de la grossesse, de la naissance et de la petite enfance.

Mon objectif est de multiplier les points de contact entre l’enfant, sa famille et les professionnels pour prévenir les difficultés et soutenir les familles avant que la situation ne se détériore.

Je souhaite faire de la protection maternelle infantile un acteur pivot de la prévention. Nous devons rendre systématique l’entretien au quatrième mois de grossesse et organiser le suivi qui en découle pour les femmes enceintes qui rencontrent des difficultés. Car c’est un moment clé pour détecter d’éventuelles fragilités, l’inquiétude, voire la détresse, l’isolement, la précarité, des relations conflictuelles au sein du couple. Il faut accompagner les femmes enceintes et les futurs pères qui se trouvent dans ces situations, les aider à préparer dans de meilleures conditions l’accueil de l’enfant à naître.

Le séjour à la maternité et les premiers jours de vie de l’enfant sont également cruciaux pour le lien entre la mère et son enfant. Je souhaite, là encore, qu’un contact systématique ait lieu dès la maternité entre les parents et les professionnels de la protection maternelle et infantile, en liaison avec les professionnels de la maternité, notamment les sages-femmes.

Cette rencontre à la maternité permettra d'identifier les situations difficiles, celles qui n'ont pas été détectées pendant la grossesse. Je pense, par exemple, aux femmes qui se retrouvent seules pour accueillir le nouveau-né. Je pense aussi aux femmes dont la grossesse n'a pas été bien, voire pas du tout, suivie. Je pense à celles qui souffrent de problèmes d'ordre psychologique, voire d’ordre psychiatrique. Ce sont autant de situations de fragilité qui peuvent entraver l'installation du lien entre la mère et son enfant au moment le plus décisif et, par conséquent, compromettre pour l'avenir une relation sereine et de qualité.

Le retour de la maternité doit aussi être l'objet de toute notre attention. Il faut que la PMI propose désormais systématiquement à la jeune maman de venir la voir à domicile, ainsi que cela se pratique dans d’autres pays, comme la Suède, et depuis très longtemps. Cette visite sera assurée automatiquement lorsque, durant la grossesse ou lors du séjour à la maternité, des difficultés particulières auront été identifiées.

D'autres moments clés doivent être identifiés pour une prévention efficace en faveur du jeune enfant. La majorité des enfants sont suivis régulièrement par un généraliste, un pédiatre voire par la protection maternelle et infantile. Cependant, près de la moitié échappe au bilan médical du 24mois, pourtant obligatoire, près de 10 % d'entre eux – soit plus de 70 000 enfants pour chaque classe d’âge – ne bénéficient d'aucun suivi médical. Il faut veiller à ce que cette obligation soit respectée.

Pat ailleurs, l'école est le lieu propice pour assurer une prévention générale. C'est aussi le lieu pour détecter les risques de danger pour l'enfant. Le bilan effectué à trois ou à quatre ans à l'école maternelle est une occasion de repérer des problèmes de santé mais aussi des situations familiales problématiques. Aujourd'hui, ce bilan n'est pas obligatoire et moins de la moitié des enfants seulement en bénéficient. Il vous est proposé de le rendre systématique pour tous les enfants de cet âge.

Dans la même logique, je veux aussi que la visite médicale de la sixième année soit assurée à l'école pour tous les enfants. Elle est déjà obligatoire. Pourtant, on constate que 25 % des enfants n’en bénéficient toujours pas. Il nous faut donc atteindre 100 % de résultats d'ici à trois ans.

Le Sénat, dans ce même objectif de prévention générale à des moments clés, a introduit un bilan de santé à la douzième année, et je m'en félicite. Je sais que votre commission et votre rapporteur souhaitent aller plus loin encore. Je tiens à faire part de la disponibilité du Gouvernement pour aller dans ce sens.

Le deuxième volet du projet de loi porte sur l'organisation du dispositif d'alerte et de signalement. La priorité, c'est de mieux détecter et de mieux évaluer les situations de danger. Aujourd'hui, l'organisation du signalement varie selon les départements. Elle est parfois insuffisamment claire pour les professionnels et pour les simples citoyens, et, quelquefois, pas assez efficiente, connue ou reconnue.

J'ai constaté l'isolement des professionnels, et en particulier des enseignants, tourmentés par des interrogations, des inquiétudes sur des situations d'enfants, ne sachant que faire ni à qui en parler. Bien souvent, ces professionnels ont à choisir entre se taire, au risque de laisser passer des situations qui appellent une intervention urgente, ou déclencher une procédure judiciaire au risque de se tromper, avec des conséquences parfois très graves et traumatisantes pour les familles. Ce délicat équilibre entre le respect de l'intimité des familles et la réactivité indispensable pour protéger l'enfant doit être préservé.

C'est pourquoi, le projet de loi propose la création dans chaque département d'une cellule d'alerte et de signalement à l’attention des professionnels, qui écoute et conseille, qui assure une expertise de premier niveau grâce à une équipe pluridisciplinaire et qui est garante du traitement des informations dites préoccupantes. Cette cellule existe déjà dans certains départements, où elle a fait la preuve de sa pertinence. Je souhaite qu'elle soit généralisée à l'ensemble du territoire.

Il faut aussi qu'une évaluation collégiale des situations permette de croiser les regards et les analyses pour prendre la meilleure décision pour l'enfant, chacun apportant sa pièce du puzzle pour avoir une image complète de la réalité, qui fait encore trop souvent défaut. Cela suppose le partage des informations. Des informations préoccupantes sur la situation de l'enfant peuvent en effet être détenues par plusieurs professionnels. Dans l'intérêt même de l'enfant, nous devons autoriser le partage de ces informations. Mais nous devons l'autoriser uniquement entre professionnels tenus au secret professionnel, afin de mieux évaluer les situations et de mieux protéger les enfants. Le secret professionnel est en effet gage de confiance et de coopération entre les parents et les professionnels. Il faut donc préserver le secret tout en l'aménageant, dans l’intérêt même de l’infant car l’intérêt supérieur de ce dernier est l’alpha et l’oméga de cette réforme.

Le signalement pose la question de l'articulation entre l'autorité sociale et l'autorité judiciaire. C'est un point central. C’est une question complexe. Il faut préciser les critères du signalement à la justice pour que celle-ci soit saisie toutes les fois que c'est nécessaire, et seulement quand c'est nécessaire. Lorsque l'enfant peut être protégé dans le cadre de la protection de l'enfance, c'est-à-dire avec l'accord des parents, pour qu'un accompagnement soit mis en place, cette solution doit être privilégiée. La protection sociale doit prévaloir parce qu'il est toujours préférable que l'enfant vive sous le toit familial quand son intérêt est préservé, que sa sécurité est garantie, et que le travail social s'effectue de manière efficace, avec l'adhésion des parents.

Le recours à la justice doit être réservé aux cas où le pouvoir contraignant du juge est indispensable pour protéger l’enfant. C’est le cas lorsque la protection sociale mise en œuvre s'avère insuffisante, lorsque le danger est d'une telle gravité qu'il met l'enfant en péril et que la justice doit intervenir très vite, et lorsque les parents refusent toute coopération avec l'aide sociale à l'enfance alors qu’elle est nécessaire, ou qu'il est impossible d'évaluer la situation, faute d’une coopération suffisante des parents.

Nous aurons ainsi un dispositif d'alerte et de signalement cohérent et efficace, bien identifié, le même partout en France, pour lequel le président du conseil général jouera pleinement son rôle de chef de file de la protection de l'enfance. Ce rôle lui est reconnu depuis vingt-deux ans par la décentralisation et lui permet de disposer de moyens déjà très importants. Cette collectivité locale est la seule à bénéficier d’une telle expérience et de tels moyens.

Enfin, le troisième axe du projet de loi vise à diversifier les modes de prise en charge des enfants, afin d'offrir des solutions adaptées aux besoins de chacun d'eux. La loi doit autoriser de nouveaux modes de prise en charge souples et adaptés qui permettent de dépasser l'alternative exclusive entre placement et maintien à domicile, dans laquelle on s’enferme trop souvent. Diversifier les modes de prise en charge permettra de graduer les réponses selon les besoins de l'enfant et selon l'évolution de sa situation familiale,

Parmi les modes de prise en charge qui vous sont proposés, je tiens à mettre en avant certains d'entre eux. Tout d’abord, l'accueil de jour, qui vise à assurer à l'enfant un suivi éducatif en dehors du domicile familial, tout en associant, autant que possible, ses parents, sa famille. Ensuite, l’accueil périodique, qui doit permettre, quand c'est dans l'intérêt de l'enfant, d'alterner des périodes de maintien à domicile et des périodes d'accueil hors du domicile habituel ; il sera utile notamment dans les périodes de crise familiale pour préserver l'enfant qui retournera chez lui lorsque les tensions familiales seront apaisées. Enfin, l'accueil mixte, à la fois éducatif et thérapeutique, qui tend à assurer une réponse plus adaptée aux enfants souffrant de troubles psychologiques graves pour lesquels un accueil traditionnel est inapproprié.

La loi doit aussi autoriser l'accueil d'urgence des adolescents qui fuguent. Car, même s'ils ne sont pas en danger chez eux, en fuguant, ils se retrouvent à la rue et s'exposent à tous les risques. Je crois nécessaire de pouvoir les accueillir en un lieu sûr, qui les mette à l'abri pour un temps relativement bref – au maximum soixante-douze heures –, un temps qui sera employé à faire le point, à tenter de renouer des liens avec leur famille, sans qu'il s'agisse juridiquement d'une admission à l'aide sociale à l'enfance. Les parents et le procureur de la République, dans le cadre de la défense des libertés individuelles, en seront bien évidemment informés.

Enfin, certaines difficultés de l'enfant résultent de ses conditions de vie sous le toit familial, notamment du fait d'une gestion inadaptée du budget familial. Un accompagnement social et budgétaire peut être nécessaire pour améliorer la situation, II s'agit d'une nouvelle prestation qui sera proposée dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance au titre de la prévention pour accompagner les familles qui rencontrent de telles difficultés et mettent ainsi en péril la bientraitance de l’enfant parce qu’elles ne savent pas gérer leur budget et répartir sur l’ensemble d’un mois les dépenses pour l’alimentation de leurs enfants. Cet accompagnement devra être assuré par des professionnels formés à cet effet : des conseillères en économie sociale et familiale dont c'est le métier, mais aussi des travailleurs sociaux, notamment les anciennes travailleuses familiales qu’on appelle aujourd’hui techniciennes d'intervention sociale et familiale dont il faut souligner le rôle essentiel en matière de prévention parce qu’elles partagent l’intimité des familles. Ces professionnelles interviennent, en effet, au sein même des familles, en soutien aux parents pour que les difficultés et les tensions familiales s'apaisent au moment des devoirs, de la préparation des repas, de la toilette des enfants, lors de tous ces actes quotidiens qui peuvent être l'occasion de tensions entre les parents et les enfants.

Le projet de loi qui vous est soumis conforte le rôle du président du conseil général en tant que chef de file et réfèrent de la protection de l'enfance. Ce rôle est fondamental pour assurer une plus grande continuité et une plus grande cohérence de la prise en charge de l'enfant dans le temps. Bien sûr, le président du conseil général ne porte pas seul la responsabilité de la protection de l'enfance. Le maire a également un rôle important à jouer. Cependant, l'État doit aussi prendre sa part : je pense à la justice tout particulièrement, notamment aux juges des enfants et à la protection judiciaire de la jeunesse, mais aussi à l'éducation nationale et aux politiques de cohésion sociale. À cet égard, la mise en place d'observatoires départementaux de la protection de l'enfance prévue par le projet de loi sera un outil essentiel pour harmoniser les interventions des différents acteurs.

Enfin, nous savons que la loi à elle seule ne suffira pas à réformer notre dispositif, bien des aspects relevant des procédures et des pratiques. C'est pourquoi, parallèlement à l'élaboration du présent texte, j'ai réuni, depuis le mois de mai dernier, quinze groupes de travail, composés d'élus, de professionnels, de représentants d'associations et d'experts, venus de toute la France et réunissant l’ensemble des compétences et des expériences nécessaires.

J'ai également mis en place sur internet un forum de discussion ouvert à tous pour permettre des contributions, l'expression des points de vue et les échanges. Cette concertation permet aujourd'hui l'élaboration de guides nationaux d'accompagnement de la réforme. Ces guides vont permettre de favoriser la mise en œuvre de la loi, en expliquant les objectifs, son esprit, ses dispositions, et aussi en recommandant des pratiques adaptées à partir des initiatives et des expériences connues et évaluées. Ces guides traitent de cinq thèmes : la prévention et la bien-traitance de l'enfant et de l'adolescent ; l'accompagnement et l'intervention au domicile ; le dispositif d'alerte et de signalement ; l'accueil de l'enfant confié en établissement ou en famille d'accueil ; enfin, les missions et le fonctionnement de l'observatoire départemental de la protection de l'enfance.

Les professionnels de l’enfance pourront disposer de ces guides dans le courant du mois d’avril. Ainsi, et c’est toute sa particularité, ce texte est élaboré par les professionnels eux-mêmes et nombre de ses dispositions émanent de ces professionnels.

Si la mise en œuvre d’une loi repose généralement sur la parution de décrets et d’arrêtés, c’est le consensus entre tous les professionnels autour des meilleures pratiques qui permettra d’appliquer les principes contenus dans ce texte. Élus, experts, professionnels, associations participent activement à son élaboration depuis plus d’un an. Ils seront des relais précieux sur le terrain et aideront à l’application d’une réforme qu’ils attendent depuis longtemps et à laquelle ils ont été très largement associés. À eux de la faire vivre ! Je souhaite qu’ils se réunissent à nouveau au mois d’octobre dans le cadre d’assises nationales de la protection de l’enfance, comme celles qui se sont tenues à Angers en 2006 – les premières –, en partenariat avec l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, cette réforme ambitieuse veut être à la hauteur des espoirs qui se sont exprimés et de la mobilisation sans précédent qui a eu lieu ces derniers mois parmi les professionnels de la protection de l’enfance, les associations et les bénévoles, et enfin à la hauteur des enjeux que représente pour notre société la protection des enfants et des adolescents. J’attends beaucoup de nos échanges et des travaux de votre assemblée pour réussir cette réforme. Il nous faudra compter sur l’engagement et la responsabilité de tous.

Mais au-delà de ce projet de loi et de notre action, ce sont les professionnels qui auront désormais entre leurs mains des outils communs pour améliorer la protection des enfants. C’est pourquoi toute mon attention se tourne vers eux car la réussite de la réforme dépendra d’eux, du dialogue qu’ils peuvent nouer entre eux, du soutien mutuel qu’ils s’apportent, de la qualité des formations qu’ils peuvent suivre tout au long de leur vie, avec pour référence les guides d’accompagnement.

Au-delà de ce texte, de la mobilisation des moyens au titre de la solidarité, c’est aussi aux parents que je veux lancer un appel, car c’est à eux que revient la responsabilité principale de faire grandir leurs enfants, de les protéger et de veiller à leur bien être. Or, ils sont parfois moins préparés que leurs aînés à assumer ce rôle.

Beaucoup d’entre eux, nous le savons, sont particulièrement exposés aux difficultés de la vie : difficultés économiques et sociales, bien sûr, mais aussi difficultés liées aux transformations et parfois à l’éclatement de la cellule familiale, qui a subi tant de coups de boutoir au cours des dernières décennies. Sans compter tout ce qui peut parfois transformer le désir d’enfant, si naturel, en volonté de possession plutôt qu’en don de soi. Tel est le nœud de beaucoup de difficultés dans l’élaboration du lien si précieux qui existe entre parents et enfants, quand l’égoïsme des parents nourrit la frustration, et la frustration la violence.

Personne n’est jamais sûr de pouvoir être un bon parent, mais ce projet de loi rappelle une exigence fondamentale : l’intérêt de l’enfant – un intérêt bien compris, qui suppose l’exercice d’une autorité parentale juste et rassurante – doit être la première préoccupation des parents.

M. Jacques-Alain Bénisti. Très juste !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Ce n’est pas à la société d’élever les enfants. Elle doit seulement être là pour les secourir, le plus tôt et le plus efficacement possible, quand les adultes se montrent défaillants.

Cette articulation entre la nécessaire responsabilité des parents et les missions de la protection de l’enfance est au cœur des défis qu’il nous faut relever. De ce point de vue, je suis convaincu que cette réforme permettra d’atteindre un meilleur équilibre. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Mme Valérie Pecresse, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est exemplaire en ce qu’il est le résultat d’un long cheminement et d’une réelle concertation avec tous les acteurs concernés, sur l’ensemble de notre territoire. Il n’est pas une réponse ad hoc, dans l’urgence, à un événement lourdement médiatisé, même si des drames de la maltraitance sont venus confirmer, ces derniers mois, ce que les informations relayées par les professionnels de terrain dénonçaient depuis longtemps, à savoir l’existence de nombreuses failles dans notre système de protection de l’enfance.

L’élaboration du projet de loi a été précédée pendant plus d’un an par l’organisation de nombreux débats dans les départements avec les acteurs de terrain, par des journées thématiques à l’échelon national et par les premières assises nationales de la protection de l’enfance, qui se sont tenues à Angers les 10 et 11 avril 2006. De nombreux rapports ont également enrichi le texte qui est soumis à notre examen. Je salue en particulier le travail de la mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant.

M. Pierre-Louis Fagniez et M. Jean-Marie Geveaux. Très bien !

Mme Valérie Pecresse, rapporteure. Créée par notre assemblée à l’initiative du président Jean-Louis Debré, la mission a mené pendant près d’un an sans tabou une réflexion approfondie sur l’évolution de la famille, avec comme fil conducteur l’intérêt de l’enfant. Je salue son président Patrick Bloche et tous ceux de ses membres qui sont présents aujourd’hui. La mission a formulé de nombreuses propositions, notamment sur la protection de l’enfance en danger, dont la rédaction du projet de loi tient largement compte.

Au delà de la détection précoce de la maltraitance, nous devons contribuer à promouvoir le développement harmonieux des enfants, ce que certains spécialistes nomment la « bientraitance », et tenter d’apporter des réponses à des situations délicates telle celle des enfants algériens ou marocains orphelins, recueillis par des familles françaises selon la procédure de la « kafala » et qui sont dépourvus sur notre territoire de toute protection juridique.

Tirant la leçon du diagnostic établi à l’issue de cette longue concertation, le projet de loi, sans bouleverser l’équilibre existant, poursuit trois objectifs auxquels j’adhère pleinement : d’abord, rendre plus efficace, sous le pilotage des départements, le signalement des enfants en danger ; ensuite, diversifier les modes d’accueil des enfants afin de s’adapter à leurs besoins et à ceux de leur famille ; enfin, promouvoir une prévention précoce. Sur ce dernier point, il ne s’agit pas de doter la société de nouveaux outils pour repérer et neutraliser des comportements potentiellement déviants, mais de prévenir les troubles du développement de l’enfant afin de prendre en charge le plus tôt possible sa souffrance selon des moyens adaptés.

La commission des affaires culturelles a approuvé ces trois objectifs et considéré que ce projet de loi devrait permettre de les atteindre. De son côté, le Sénat a adopté le projet de loi en première lecture le 21 juin dernier, sans bouleverser l’équilibre du texte mais en y apportant quelques correctifs appréciables. Il a notamment amélioré les retours d’informations entre l’autorité judiciaire, le conseil général et tous les acteurs de la protection de l’enfance et prévu, avec l’adoption d’un amendement du Gouvernement, la compensation intégrale des charges financières nouvelles pour les départements.

M. François Rochebloine. Heureusement !

Mme Valérie Pecresse, rapporteure. En revanche, il faudra réexaminer certaines dispositions qu’il a introduites, notamment celle qui limite l’intervention de l’aide sociale à l’enfance aux jeunes majeurs ayant été suivis par ce service au cours de leur minorité.

Compte tenu de la complexité du problème de l’intervention publique dans la vie des familles, l’État doit veiller à la cohérence des actions entreprises et parler d’une seule voix.

Cela signifie d’abord qu’il doit rester le pilote de la politique de protection de l’enfance. Certes, ce projet de loi fait des conseils généraux les principaux opérateurs et coordinateurs de la protection de l’enfance, mais l’État doit rester le garant de l’égalité des citoyens face aux dispositifs d’aide sociale à l’enfance qui vont être mis en place. De plus, il reste titulaire de certaines compétences qui sont des rouages essentiels d’une protection de l’enfance efficace : services de la justice, de la police, de la médecine scolaire et structures de soins de pédopsychiatrie. L’État est donc à la fois acteur et arbitre, même si la décentralisation et la clarification des compétences sont un gage de proximité et d’efficacité.

L’État doit ensuite veiller scrupuleusement à l’articulation du présent texte avec d’autres mesures, récentes ou en cours d’adoption, concernant l’accompagnement parental. La loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006 a ainsi créé un contrat de responsabilité parentale, dont le non-respect peut entraîner des sanctions. Ce contrat devra être clairement distingué des mesures d’aide sociale à l’enfance du type action éducative à domicile, qui ne peut être mise en place sans l’accord des parents, ou de la nouvelle mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale qui permettra la prise en charge précoce des familles.

Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance a, quant à lui, institué un conseil pour les droits et les devoirs des familles. Réuni par le maire, il a pour mission d’adresser aux familles des recommandations destinées à prévenir des comportements susceptibles de mettre l’enfant en danger ou de causer des troubles pour autrui, alors que, dans le présent projet, le risque de danger fonde la compétence du président du conseil général à intervenir auprès des mineurs concernés.

Le présent projet prévoit que les personnes qui concourent à la politique de protection de l’enfance transmettent au président du conseil général toute information préoccupante sur un mineur, alors que, dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance, cette transmission n’intervient que lorsqu’un accompagnement parental a été mis en place sur la proposition du maire. Un risque réel de chevauchement de compétences et d’incompréhension des familles apparaît, au moment où tous les efforts doivent converger pour donner au système un maximum de lisibilité et d’efficacité.

Il est vrai que les deux textes ont des finalités différentes : le texte sur la prévention de la délinquance vise avant tout à prévenir les troubles à l’ordre public, alors que le présent projet est centré sur une meilleure détection de l’enfance en danger. Mais dans la réalité, ce seront souvent les mêmes jeunes qui seront en danger, au sens de la législation sur la protection de l’enfance, et en voie de marginalisation, selon les critères du texte sur la prévention de la délinquance.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Non, je ne crois pas.

Mme Valérie Pecresse, rapporteure. Cette difficulté de coordination des dispositifs ne pourra être surmontée que grâce à un vrai travail d’explication tant auprès des travailleurs sociaux que des familles, après le vote de ces deux textes. Je sais que les ministères concernés auront à cœur d’accomplir ce travail de pédagogie afin que les dispositifs ne puissent être confondus.

Enfin, l’État doit fournir un réel effort financier pour accompagner les mesures préconisées. Il faut agir pour rénover la médecine scolaire et l’encadrement psychosocial dans les écoles, ainsi que pour réduire les très fortes disparités de moyens des services de protection maternelle et infantile suivant les départements. La pénurie de pédopsychiatres hospitaliers et d’équipes pluridisciplinaires formées à la prise en charge des pathologies mentales spécifiques aux jeunes enfants fait gravement obstacle au diagnostic et à la prise en charge précoce de ces troubles.

M. Jacques-Alain Bénisti. Absolument !

Mme Valérie Pecresse, rapporteure. Il était temps d’agir, monsieur le ministre. La dernière loi sur la protection de l’enfance date en effet de 1989. Surtout, le dernier rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger montre que le nombre d’enfants de moins de dix-huit ans bénéficiant d’au moins une mesure de protection de l’enfance était, à la fin de l’année 2004, de 241 131 en France métropolitaine, en augmentation de 2,5 % par rapport à l’année précédente. Si l’on inclut les départements d’outre-mer, ce nombre s’élève à 253 539 enfants. Le nombre de jeunes majeurs de dix-huit à vingt-et-un ans bénéficiant d’au moins une mesure était à la même époque de 21 418, en augmentation de 6,6 %.

Sur l’ensemble des mesures recensées en 2004, 49 % sont des actions éducatives au sein des familles et 51 % des mesures de placement dans des foyers ou des familles d’accueil. À côté de ces mesures traditionnelles, l’Observatoire national de l’enfance en danger a observé le développement, dans certains départements, d’actions novatrices qui tentent d’échapper à l’alternative placement ou action éducative dans la famille. Ce sont ces mesures innovantes – telles que les relais parentaux, qui prennent en charge les fratries lorsque les parents traversent une période difficile, ou l’accueil de jour pour les enfants qui, bien que présentant certains troubles, peuvent rentrer le soir chez eux – que ce projet de loi s’efforce de généraliser.

De son côté, l’Observatoire décentralisé de l’action sociale, dans un rapport rendu public le 19 décembre, fait état de 97 000 enfants ayant fait l’objet d’une procédure de signalement adressée aux conseils généraux en 2005, ce qui représente une augmentation de 2 % par rapport à 2004, qui elle-même faisait suite à une hausse de 7 %. Les nouveaux signalements correspondent pour 80 % à des situations à risque et pour 20 % à des situations de maltraitance effective pour négligences lourdes ou violences physiques ou psychologiques. Pour l’ODAS, les situations à risques ou de maltraitances avérées sont davantage corrélées à l’isolement social des familles qu’à la pauvreté. Les carences éducatives, les conflits de couple et les problèmes psychopathologiques des parents, souvent en rapport avec l’alcool ou d’autres drogues, sont également des facteurs de risques pour l’éducation, la santé et la sécurité des enfants.

L'ODAS souligne l'urgence de développer des actions d'aide à la parentalité et d'accompagnement des familles. Vous en avez largement parlé, monsieur le ministre.

En réponse à cette situation, la réforme de la protection de l'enfance propose de renforcer la prévention, de mieux organiser le signalement des enfants en danger, en distinguant ce qui relève de la protection administrative et ce qui relève de la protection judiciaire, et de diversifier les modes de prise en charge des enfants et des familles en difficulté.

Le conseil général sera conforté dans son rôle de chef de file de la protection de l'enfance dans le département et il disposera de nouveaux outils pour mieux coordonner l'action des multiples professionnels qui concourent à la protection de l'enfance.

L'un des objectifs recherchés est de réduire la part de l'intervention judiciaire et de la réserver aux cas les plus graves.

Pour parvenir à inverser la tendance constatée ces dernières années d'une judiciarisation des signalements, encore faut-il que les professionnels en contact avec les enfants et qui sont amenés à détecter des cas de maltraitance ou de carences éducatives soient convaincus que les services de l'aide sociale à l'enfance seront suffisamment efficaces pour prendre en charge rapidement ces enfants.

Voilà bien l'enjeu de cette réforme, car si les services de la protection de l'enfance n'arrivent pas à coordonner efficacement l'ensemble des travailleurs sociaux qui concourent à la protection de l'enfance, le recours systématique à la justice se poursuivra.

J'en arrive à l'examen un peu plus détaillé des dispositions du projet de loi.

D’abord, les dispositions concernant le renforcement de la prévention.

Les articles 1er et 2 du projet de loi clarifient les missions de la protection de l'enfance et étendent les compétences des services de la protection maternelle et infantile pour renforcer la prévention.

L'article 1er introduit au début du code de l'action sociale et des familles un article qui définit les missions de la protection de l'enfance. Le Gouvernement a souhaité donner une définition législative de la protection de l'enfance pour souligner les différentes dimensions de cette politique qui ne doit pas être comprise dans le sens restrictif de politique de prévention de la maltraitance.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Absolument !

Mme Valérie Pecresse, rapporteure. Le nouvel article L. 112-3 du code de l'action sociale et des familles donne ainsi à la politique de protection de l'enfance une triple dimension de prévention des difficultés familiales, d'accompagnement des familles et de prise en charge des enfants, lorsqu'ils doivent être soustraits à leur milieu familial, à temps complet ou partiel.

L'article 2 élargit les missions de la protection de l'enfance à la prévention des risques de danger pour l'enfant, alors que, jusqu'à présent, les missions de l'aide sociale à l’enfance étaient limitées à la prise en charge des enfants maltraités. Cet article permet une harmonisation des dispositions du code civil et du code de l'action sociale et des familles sur l'assistance éducative, le code civil faisant déjà référence à la notion plus large de « mineur en danger ».

Concernant la prévention, le projet de loi étend les missions des services de protection maternelle et infantile en prévoyant un entretien psychosocial au quatrième mois de la grossesse pour détecter d'éventuels troubles de l'attachement chez la mère et les situations de grande précarité sociale. À la suite de cet entretien, si des difficultés sont détectées, un accompagnement social spécifique sera organisé par les services de PMI.

Le projet prévoit aussi des visites à domicile pour faciliter le retour à la maison après l’accouchement, un bilan de santé systématique pour tous les enfants à l'entrée à la maternelle – entre trois et quatre ans –, des actions de prévention pour la détection des troubles psychologiques et de l'apprentissage.

Le projet de loi renforce aussi la prévention médico-sociale pour les enfants scolarisés en prévoyant des bilans de santé obligatoires au cours desquels les troubles du langage et de l'apprentissage pourront être détectés.

Cet aspect du texte a suscité bien des polémiques car il figurait, à l'origine, dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance et comportait une rédaction faisant référence à la détection précoce des troubles du comportement. Cette terminologie ne figure plus dans le projet de loi.

Pour ma part, j'ai présenté à la commission des affaires culturelles, qui l'a adopté, un amendement prévoyant que ces bilans de santé seraient effectués au cours des sixième, neuvième, douzième et quinzième années de l'enfant, mais qu'ils ne seraient pas tous réalisés par la médecine scolaire, les parents pouvant recourir à un médecin libéral. Une montée en charge progressive de l'obligation de suivi médical a été prévue, les pouvoirs publics disposant de six ans à compter de la publication de la loi pour parvenir à couvrir 100 % des enfants scolarisés.

Je suis heureuse que cet amendement, nécessaire pour permettre une vraie politique de suivi sanitaire préventif des enfants et des adolescents, qui est aujourd’hui particulièrement lacunaire dans notre pays, ait été cosigné par mes collègues du parti socialiste, du parti communiste et de l’UDF. C’est un soutien à la hauteur de l’enjeu.

J’en viens maintenant aux dispositions relatives à l’amélioration de la détection des enfants en danger.

La principale innovation de ce texte est de créer une cellule départementale de signalement sous la responsabilité du président du conseil général. Cette cellule sera un lieu de recueil et d'évaluation des informations faisant état d’une situation de danger pour tel ou tel enfant. Tout professionnel en contact avec des enfants pourra transmettre des informations préoccupantes sur un enfant, et ces informations seront évaluées et éventuellement recoupées avec d'autres informations sur le même enfant. L'objectif recherché est de parvenir enfin à un décloisonnement des services sociaux, qui possèdent chacun une information partielle, laquelle n'est souvent pas suffisamment probante pour déclencher une mesure de protection de l'enfant.

La cellule de signalement, qui regroupera des professionnels des services de l'aide sociale à l’enfance, de la justice et de l'État, procédera à l'évaluation des informations transmises et déterminera si la situation de l'enfant relève plutôt d'une mesure d'assistance administrative par les services de l'ASE ou si un signalement au procureur de la République doit être effectué.

Pour parvenir à une expertise collégiale et pluridisciplinaire de la situation des enfants en danger, l'article 7 du projet de loi organise un secret professionnel partagé entre tous les acteurs de la protection de l'enfance, eux-mêmes soumis au secret professionnel.

Le texte précise que le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale ou le tuteur seront préalablement informés de ce partage d'informations, sauf si cette information risque de nuire à l'enfant.

Ce mécanisme de secret professionnel partagé brise un tabou, mais il a été élaboré en tenant compte des attentes des professionnels de la protection de l'enfance. Il est strictement délimité et ne vise que des professionnels eux-mêmes soumis au secret professionnel. Le mécanisme instauré dans le cadre du projet de loi sur la prévention de la délinquance a été, lui, beaucoup plus contesté par les travailleurs sociaux, car sa finalité est moins précisément définie et le partage d'informations confidentielles qu’il prévoit s'opère entre professionnels et élus, qui n’étaient pas, au départ, tous soumis au secret professionnel.

Le projet de loi apporte aussi une clarification entre ce qui doit relever de la protection judiciaire et ce qui peut relever de la protection administrative. Nous voulons que la justice ne soit saisie que dans les cas où son intervention est strictement nécessaire.

L'article 5 propose une nouvelle rédaction de l'article L. 226-4 qui concerne la saisine de l'autorité judiciaire par le président du conseil général. La nouvelle rédaction fait l'énumération des cas dans lesquels la protection administrative doit céder le pas à la protection judiciaire. Pour qu'il y ait obligation de saisir le parquet, il faut non seulement que le mineur soit en danger au sens de l'article 375 du code civil, mais que, en plus, les services administratifs aient échoué ou soient manifestement voués à l'échec dans les actions entreprises pour réduire le risque.

Sur ma proposition, la commission a adopté un amendement clarifiant les cas de saisine obligatoire du parquet. Cet amendement distingue trois cas : le danger grave et manifeste où les solutions sociales ne permettent pas de remédier à la situation ; la situation de danger lorsque les mesures administratives de protection ont échoué ; enfin, la situation de risque associée au refus des familles de coopérer.

L'un des objectifs du projet de loi étant de coordonner les interventions administratives et judiciaires en matière de protection de l'enfance, le texte organise des procédures permettant au président du conseil général d'être informé par la justice des suites données aux saisines directes du parquet.

Afin de disposer d'informations plus précises sur l'enfance en danger, l'article 8 du projet de loi institue un observatoire de la protection de l'enfance dans chaque département, qui travaillera en liaison avec l'Observatoire national de l'enfance en danger, l’ONED.

J’examinerai maintenant les dispositions concernant la diversification des modes de prise en charge des familles et des enfants.

Le code de l'action sociale et des familles prévoit une stricte alternative entre l'assistance éducative à domicile et le placement de l'enfant, alors qu'il est indispensable que l'aide sociale à l'enfance dispose d'une gamme différenciée de mesures éducatives pour accompagner les parents dans leurs difficultés éducatives en même temps que d'établissements d'accueil pour mettre les enfants à l'abri d'un milieu familial jugé dangereux. De nombreux départements ont expérimenté de nouvelles formes de placement, que le projet de loi permet de généraliser.

Les articles 9 et 13 du projet de loi donnent une base légale à la diversification déjà mise en place sous forme expérimentale des modes d'accueil. C'est ainsi que l'article 13 offre une gamme de modes de prises en charge plus souples et adaptées à chaque situation. C'est le cas de l'accueil pour la journée d'un enfant, dans un lieu proche de son domicile, en accord avec ses parents. Il en va de même de l'accueil temporaire, en fonction des besoins de l'enfant, par exemple le week-end. Mais cet article permet aussi d’autoriser l'accueil d'urgence, pendant 72 heures, d'un mineur lors d'une crise familiale, sans pour cela engager une procédure d'assistance éducative par l'ASE.

L'article 13 donne aussi une base légale aux visites dites « médiatisées », qui existaient jusqu'à présent grâce aux initiatives de certaines associations.

Il s'agit de l'exercice du droit de visite des parents prononcé par le juge. La visite doit se dérouler dans un contexte sécurisant pour l'enfant, en présence de professionnels et en respectant un protocole défini ; elle doit également être préparée avec l'enfant. Il faut saluer l'initiative de votre administration, monsieur le ministre, qui prévoit de publier un guide des visites médiatisées pour en définir clairement les modalités.

Le projet de loi met aussi en place une nouvelle forme d'accompagnement des familles en instituant un « accompagnement en économie sociale et familiale » qui vise à aider les familles à mieux gérer leur budget. Si cette mesure administrative ne réussit pas et que la famille ne gère pas les prestations familiales dans l'intérêt des enfants, le juge des enfants pourra être saisi pour prononcer « une mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial ».

Cette mesure judiciaire, qui est introduite dans le code civil dans la partie relative aux mesures d'assistance éducative, se substituera à la tutelle aux prestations familiales aujourd'hui codifiée à l'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale.

Le projet de loi cherche aussi à améliorer le suivi des enfants qui sont séparés de leurs parents et à garantir leur sécurité.

L'article 10 du projet de loi prévoit ainsi que les services ou les établissements chargés de la prise en charge du mineur devront effectuer un bilan annuel de la situation de l'enfant pour vérifier que le mode de placement est bien adapté à la situation de l'enfant, ce bilan ne devant pas se substituer au rapport remis au juge des enfants par le service d'aide sociale à l'enfance dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative qu'il a ordonnée.

L'article 14 du projet de loi impose aux établissements qui accueillent des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance de s'organiser en unités de vie distinctes, la répartition des enfants devant être réalisée en fonction des motifs ayant conduit au placement, afin de séparer les enfants « victimes » des enfants « violents » ayant commis des actes de délinquance.

Cet article a été motivé par des événements récents d'actes graves de violence entre pensionnaires, qui ont révélé qu'au sein d'un même établissement pouvaient être accueillis la victime d'abus sexuels et son agresseur, lui-même mineur. De même, des enfants accueillis ont été victimes, au sein de leur établissement, d'agressions provoquées par d'autres enfants.

Cependant, cette notion « d'unités de vie distinctes » est à la fois floue et contraignante et risque d'entraîner des difficultés d'application importante pour les établissements. J’ajoute que la dangerosité d’un mineur pour lui-même et pour ses camarades n’est pas nécessairement liée au motif de son placement : un enfant maltraité peut être lui-même très violent, et un enfant délinquant peut devenir victime ou souffre-douleur.

C’est pourquoi j’ai proposé à la commission, qui l’a adopté, un amendement qui réécrit cette règle, en clarifiant les objectifs qui doivent être poursuivis et en laissant les établissements responsables de leur mise en œuvre. Il prévoit que les établissements s'organisent de manière à garantir la sécurité des enfants qui y sont accueillis.

J'en arrive au financement de la réforme avec l'article 17 du projet de loi qui crée un fonds de financement de la protection de l'enfance pour compenser intégralement les charges nouvelles pour les départements.

Le Gouvernement a évalué le coût de la mise en œuvre du projet de loi et des nécessaires mesures d'accompagnement de la réforme à 150 millions d'euros, au terme de sa montée en charge prévue sur trois ans, dont 115 millions d'euros à financer par les conseils généraux. Dans le contexte financier difficile que connaissent les départements, avec l'explosion des dépenses de RMI et la montée en charge rapide de la nouvelle prestation de compensation du handicap, il est indispensable de donner aux départements les moyens de mettre en œuvre cette réforme très attendue sans avoir à alourdir la fiscalité locale.

Les nouvelles missions de prévention sociale confiées aux services de PMI, qui sont de loin les plus coûteuses du projet, sont assimilables à des extensions de compétence pour les départements et doivent, à ce titre, être obligatoirement compensées, conformément aux dispositions de l'article 72-2 de la Constitution.

Le fonds de financement de la protection de l’enfance, créé au sein de la Caisse nationale d'allocations familiales, devrait être alimenté par des ressources provenant de la solidarité nationale, l'État versant une participation annuelle dont le montant sera arrêté en loi de finances, mais aussi par une contribution de la CNAF dont le montant sera arrêté en loi de financement de la sécurité sociale – 30 millions d’euros ont été prévus par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.

Des entretiens récents avec des responsables de la CNAF et de l'Assemblée des départements de France m'ont conduite à déposer des amendements précisant certains aspects du fonctionnement de ce fonds, notamment la composition du comité de gestion qui sera chargé de l'administrer et les critères de répartition des crédits, qui doivent être définis de manière claire et transparente pour répondre aux besoins réels des enfants sur le terrain.

On ne peut donc globalement que se réjouir de la mise en place prochaine de l’ensemble de ces dispositions, qui sont urgentes et très attendues. Il y a lieu également de se féliciter de ce que le projet de loi ne confonde pas prévention et prédiction, et s’efforce d’apporter aux familles, dans le respect de leur vie privée, toute l’aide dont elles peuvent avoir besoin pour préserver, en dépit des aléas de la vie et autant qu’il est possible, le bien-être et l’équilibre de leurs enfants.

J’ai cependant relevé dans le projet de loi quelques lacunes que je m’efforcerai de combler en présentant plusieurs amendements au cours du débat. Il s’agit tout d’abord d’étendre les compétences du défenseur des enfants en proposant quelques modifications de la loi du 6 mars 2000 qui l’a institué. Il serait en particulier légitime que le défenseur soit consulté sur tout projet de loi comportant une incidence en matière de droits de l’enfant. Il peut également être utile de faciliter, dans certains cas, sa saisine directe par les professionnels de la protection de l’enfance.

Je souhaite également apporter un début de réponse à la situation des enfants confiés en kafala à des adultes de nationalité française par des États de droit coranique, en donnant aux familles qui ont accueilli ces enfants et qui en assument la charge la possibilité de demander une adoption simple à défaut d’adoption plénière.

Enfin, 3 millions d’enfants vivent actuellement avec un seul de leurs deux parents. Il faut également amorcer la prise en compte du parent social qui vit avec l’un des parents légaux de ces enfants mais ne dispose d’aucun droit, pas même pour faire face aux actes usuels de la vie de ces enfants. Je proposerai donc un amendement organisant une délégation de responsabilité parentale pour les actes de la vie courante.

Enfin, il est indispensable de lutter plus efficacement contre la diffusion d’images pédopornographiques sur internet en modernisant le code pénal en ce sens.

Je crois, mes chers collègues, avoir ainsi résumé l’essentiel du travail qui nous attend. Je tiens encore une fois à saluer tous les professionnels et tous les acteurs concernés par la protection de l’enfance pour l’ampleur de la réflexion qui a abouti à notre débat d’aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, les inégalités sociales existent dès la naissance et leur impact initial marque toute la vie d’une personne. En juillet dernier, les membres de notre commission ont manifesté un intérêt très vif pour le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui. En effet, se fondant sur l’analyse d’une situation qui s’est complexifiée avec le temps, il tient compte des suggestions de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, présidée par Patrick Bloche, telles qu’elles ont été consignées dans le rapport rédigé, au début de l’année dernière, par Valérie Pecresse. Il en résulte un texte précis, concret, qui entre dans le vif du sujet. Je vous félicite, monsieur le ministre, d’avoir réussi à l’inscrire à l’ordre de notre assemblée avant la fin de la législature.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Grâce à vous !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Le médico-social est bien présent dans ce texte. Dans « médico-social », il y a « médical », et, à cet égard, la place que le projet de loi accorde aux services médicaux de la protection maternelle et infantile et à la médecine scolaire est très significative, qu’il s’agisse du renforcement du suivi des femmes enceintes, de l’entretien au quatrième mois de grossesse ou du suivi à domicile et en consultation en période postnatale − point extrêmement important pour ceux qui savent les difficultés rencontrées par certaines familles ; qu’il s’agisse du dépistage précoce des troubles d’ordre physique, psychologique, sensoriel et de l’apprentissage, avec la réalisation d’un bilan, à l’âge de trois ou quatre ans, à l’école maternelle, ou des visites médicales obligatoires, tout au long la vie scolaire. La commission a renforcé cette mesure introduite par le Sénat en proposant que ces visites aient lieu aux âges de six, neuf, douze et quinze ans, et qu’elles puissent être effectuées par le médecin traitant.

Clarifier les compétences, renforcer les dispositifs d’alerte, diversifier les modes d’intervention, c’est aussi apporter une réponse à une situation qui touche directement à la dignité de la personne humaine. Ne sous-estimons pas l’état des lieux : dans son rapport 2005, l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée met en évidence une forte hausse des défauts de soins médicaux. En effet, l’an dernier, on a dénombré 97 000 enfants maltraités ou en danger, soit quelque 10 % du million estimé d’enfants vivant dans la pauvreté. Aujourd’hui, au début du xxie siècle, les conseils généraux signalent que le nombre des alertes pour maltraitance d’enfant est passé de 19 000 à 20 000. Cette augmentation s’explique par de graves négligences. Les défauts de soins médicaux ou alimentaires croissent de 15 %, les violences psychologiques font un bond de 52 %.

Le nombre d’enfants battus ou agressés sexuellement baisse légèrement : toutefois, les alertes concernent encore 6 400 enfants frappés et 4 300 enfants agressés sexuellement. Ces chiffres font froid dans le dos : ils nous interpellent et nous questionnent brutalement sur ce que nous avons fait, sur ce que nous faisons, quelle que soit notre appartenance politique, pour ces petites victimes, ici, dans nos départements ou dans nos villes. L’honneur du politique est de protéger les membres les plus fragiles de notre société. Qui est plus fragile qu’un enfant ?

Reste la dimension sociétale de la protection de l’enfance, qui est à la fois universelle et presque biologique. À propos de la dimension universelle, on peut penser aux paroles que le pape a prononcées lors de la messe de Noël 2006 à Rome et qui résonnent encore.

Mme Patricia Adam. Pas ici !

M. Jean-Marc Roubaud. Et la laïcité !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. « L’enfant de Bethléem oriente notre regard vers tous les enfants qui, dans le monde, souffrent. »

Mais la dimension biologique est également importante. Interrogeons-nous, mes chers collègues, sur les sentiments qu’inspire à chacun d’entre nous la maltraitance d’un enfant. Pourquoi éprouvons-nous autant d’émotion et de tristesse, voire d’anxiété, de malaise, de culpabilité, de remords, dès que nous avons connaissance d’une affaire impliquant des enfants ? Pourquoi ces réactions parfois exacerbées, disproportionnées ? Ce n’est ni de la sensiblerie ni de la « mièvritude ». (Sourires.) C’est tout simplement qu’il s’agit de nous, de chacun d’entre nous et de l’ensemble des individus qui forment la société d’aujourd’hui. Il s’agit de nos enfants, et des enfants de nos enfants, ceux qui connaîtront le xxiie siècle. Les courtes molécules chimiques, que nous appelons des gènes, traversent le temps et sont transmises à 50 % par les cellules germinales, le gamète mâle du père et le gamète femelle de la mère.

M. Jean-Marie Geveaux. Ça devient trop savant !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. À chaque génération, ils se mélangent par moitié, si bien que, après quatre ou cinq générations, les caractéristiques d’un individu se sont diluées dans un nouvel ensemble d’individus, qui donne tout son sens à la notion de société, et toute sa force à la celle de fraternité. C’est l’explication du sentiment que nous éprouvons, sur tous les bancs, car ces enfants sont un peu nous. Ce que nous faisons pour eux, c’est un peu pour nous que nous le faisons, pour nos descendants. En améliorant la protection de l’enfance, c’est la société de demain que nous protégeons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Leteurtre.

M. Claude Leteurtre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi réformant la protection de l’enfance, dont nous entamons la discussion, a fait l’objet d’un relatif consensus lors de son examen en première lecture par la Haute assemblée. Sans doute en sera-t-il de même ici. Comment pourrait-il en être autrement dès lors que ce texte s’articule autour des trois axes que sont l’amélioration des procédures de signalement des enfants en danger, la diversification des modes de prise en charge pour mieux adapter les réponses en fonction du degré de dangerosité auquel le mineur est confronté et le renforcement des politiques de prévention en matière de protection de l’enfance ?

Sur ces trois points, mais aussi sur l’affirmation du rôle de chef de file qui, en la matière, est dévolu aux départements, l’UDF n’a aucune opposition à formuler, bien au contraire. Je souhaite donc vous faire part, dans le cadre de la discussion générale, de quelques réflexions qui me paraissent utiles.

Le Sénat a tenté de définir la protection de l’enfance dans l’article 1er du projet de loi. Cette tentative, pour intéressante qu’elle soit, ne me semble pas satisfaisante, car elle fait référence aux parents plutôt qu’à l’enfant lui-même. C’est une définition a contrario. Elle peut laisser penser qu’un enfant ne rencontre des problèmes que dans le cas où ses parents se trouvent confrontés eux-mêmes à des difficultés dans « l’exercice de leurs responsabilités éducatives ». D’autre part, cet article 1er, tel qu’il nous est proposé par le Sénat, souffre de l’absence de définition de la « carence éducative ».

Ce constat rejoint une deuxième préoccupation, qui concerne ce que je qualifierai de « risque normatif ». À la lecture de cet article, je m’interroge : ne s’agit-il pas là d’une volonté, plus ou moins avouée, d’uniformisation des comportements ? C’est un trait caractéristique de nos sociétés contemporaines que de vouloir faire entrer tout le monde dans des petites cases qui définiraient une sorte de conformisme social dont il serait impossible de sortir. Ou, plutôt, la société est tentée de considérer comme anormaux tous ceux qui n’entrent pas dans les cases qu’elle a elle-même définies. J’ai déjà eu l’occasion de faire part de cette réflexion à notre assemblée à l’occasion de la discussion du texte réformant la loi de 1975 sur le handicap.

La norme, sous tous ses aspects, prend de plus en plus de place dans notre société. Le tout sécuritaire, le principe de précaution en sont quelques exemples : hors la norme, point de salut ! Or c’est bien ce que l’on retrouve à l’article 1er du projet, où il est question de l’« équilibre » de l’enfant. On s’est bien gardé de donner une définition du mot, car on sait qu’il est multiforme : physique, mental, économique, social et bien d’autres choses encore. On nous parle ailleurs de « bien-traitance ». Je ne vois là que des mots que l’on répète pour tenter de se donner bonne conscience, au risque de dissimuler une réalité extrêmement complexe.

Si je m’attache à cet aspect particulier des choses, c’est parce qu’il sous-tend l’ensemble du texte. On prévoit ainsi de vérifier à intervalles réguliers la normalité de l’enfant, de l’adolescent, du jeune adulte. Déjà, à l’instigation du ministère et sans aucun véritable fondement légal, les règlements départementaux des écoles exigent un « certificat d’aptitude à la vie scolaire » pour toute inscription en maternelle d’un enfant de moins de six ans. J’ai interrogé l’ordre des médecins, qui m’a répondu qu’aucune consigne n’avait été donnée à ce sujet aux médecins généralistes, que les critères permettant de statuer sur cette aptitude à la vie scolaire n’avaient pas été définis. Aussi les médecins consultés par les parents se contentent-ils de délivrer un certificat de non-contre-indication à la vie scolaire, ce qui n’est pas du tout la même chose. Il n’en reste pas moins que ces certificats sont une première tentative de normaliser les comportements infantiles.

Force est d’ailleurs de constater que nous ne disposons pas de statistiques fiables sur la population des mineurs concernés par des situations de danger. Dans son dernier rapport annuel, en date de décembre 2006, l’Observatoire national de l’enfance en danger écrit : « Les sources de données existantes ne permettent pas la connaissance précise de la population des enfants en danger en France. » Il en était de même lors de l’examen de la loi sur le handicap. C’est bien la preuve que les cases dans lesquelles on voudrait faire rentrer certains de nos concitoyens, considérés comme hors normes, ne sont pas adaptées à tous les cas − et c’est heureux.

Je crains que l'exemple donné par la CNSA, qui, en une seule année, a réussi à imposer ses grilles de lecture concernant le handicap, ne serve à tous ceux qui, par facilité, seront tentés de faire de même avec les mineurs en difficulté. Nous aurons alors des grilles d'évaluation qu'il suffira de remplir et dont les « plus » et les « moins » donneront un total en deçà duquel les mineurs seront ou non dans la norme. La complexité d'un individu, en particulier celle d'un enfant en période de structuration mentale, peut-elle se juger à l'aune de ces « plus » et de ces « moins » qui seront attribués comme les bons et les mauvais points jadis ? N'y a-t-il pas là un risque de marginalisation précoce de l'enfant qui le marquera à jamais, la société s'arrogeant ainsi le droit de décider ceux qui sont « médico-socialement » les bons et les mauvais ?

Pour ce qui est par ailleurs de la notion de secret partagé, l'information doit naturellement circuler dans les meilleures conditions possibles entre tous les acteurs qui rencontrent l'enfant. L'éducation nationale a, dans ce domaine, un rôle primordial à jouer. Quotidiennement en contact avec les enfants, elle doit être la première à pouvoir identifier des symptômes de mal-être. C'est bien sûr elle aussi qui est la mieux placée pour suivre l'évolution d'un enfant qui fait l’objet de mesures socio-éducative.

L'éducation nationale doit être à tous les stades un partenaire à part entière, très étroitement associé. Un moyen serait à cet égard de prévoir une obligation de contractualisation entre l'inspection académique et le département, afin de formaliser, par exemple, les conditions et les moyens de l'alerte.

Je suis bien évidemment favorable à un renforcement de la protection de l'enfance. Cependant, la rédaction du texte montre bien la vraie difficulté qu'il y a à définir des normes comportementales dans une société démocratique où la liberté de conscience de chaque individu, fût-il un enfant, est la première des exigences.

Quant aux moyens, quels seront-ils ? Qui les gérera et sur quels critères ? Prenons l'exemple de la médecine scolaire. À l’évidence, le médecin traitant ne dispose pas forcément des compétences et du temps nécessaires pour aborder une symptomatologie de maltraitance. Il risque de passer à côté, tant celle-ci peut être asymptomatique et n’être seulement visible que par des spécialistes spécifiquement formés dans cette intention. C'est bien là le rôle du médecin scolaire. Nous connaissons tous des exemples d’enfants de quatre ou cinq ans dont on découvre très tardivement la surdité. Un médecin généraliste et un médecin scolaire ne font pas le même métier. Or – faut-il encore le répéter ? – la médecine scolaire est le parent pauvre – et c'est un euphémisme – de l'éducation nationale.

Les médecins scolaires, dans une belle unanimité, ont refusé, lors des transferts aux départements des personnels administratifs et techniques des collèges, d'être eux-mêmes transférés. Le projet de loi nous démontre à l'envi que c'était une grave erreur.

Mme Patricia Adam. Tout à fait !

M. Claude Leteurtre. Les départements ont en effet une expérience inégalable de la PMI et ils restent, avec leurs services sociaux, les spécialistes de la protection de l'enfance. À partir du moment où le présent texte leur reconnaît le rôle de leader dans la protection des mineurs, il serait ridicule de ne pas en tirer les conséquences en leur transférant la compétence de la médecine scolaire. Tel est d’ailleurs l’objet d'un amendement que nous avons déposé, car il faut en finir avec cette mauvaise querelle. Vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, seulement 75 % des enfants ayant atteint l'âge de six ans bénéficient de la visite médicale scolaire inscrite dans la loi. À l’évidence, les départements feront mieux ; ils ont largement démontré qu'ils savaient assumer les responsabilités qui leur étaient confiées.

Un tel transfert de la médecine scolaire serait, de plus, accompagné d’un transfert des ressources. Ne serait-ce pas la solution pour éviter le montage complexe que vous nous proposez pour compenser les charges liées aux nouvelles missions que le texte confie déjà aux départements ?

Certes, le projet propose d'améliorer le dispositif de protection de l'enfance en permettant une meilleure connexion entre les différents acteurs, mais la manière dont ceux-ci seront associés aux décisions du président du conseil général reste floue. Il convient de ne pas limiter le travail des associations impliquées au seul partage de l'information, mais de les associer véritablement à la mise en œuvre du dispositif.

Il convient également de veiller à ce que celui-ci n’aboutisse pas à une dépossession des responsabilités parentales ; tel est l'objet de l’un de nos amendements. La structure familiale doit être protégée et associée, dans la mesure du possible, à la mise en place du dispositif, afin que l'enfant conserve les liens familiaux qui le structurent.

Enfin, du fait de la difficulté d'appréciation que revêt la notion d'enfance en danger, une formation professionnelle tournée vers la compréhension de cet état multiforme devrait être dispensée à tous les professionnels chargés de la protection de l’enfance, principalement aux juges.

Dans le domaine de la protection de l'enfance, de multiples acteurs interviennent. Toutefois, les principaux restent ceux qui peuvent, ce qui est parfois difficile, détecter véritablement la souffrance de l'enfant. Dans ce domaine, nous parlons bien de protection, celle que nous devons à une catégorie de citoyens plus vulnérable que les autres. Or elle n'a de sens que si elle est intègre bien la prévention, donc la détection.

Le texte se donne les moyens d'assurer cette prévention grâce aux procédures qu'il propose d'instituer ou de perfectionner. Cependant, il ne sera efficace sur le terrain que s'il est appliqué de façon pragmatique et avec des moyens suffisants. Il faut éviter une formalisation trop stricte des procédures entre les acteurs, et laisser une grande place à la souplesse dans les relations. N'oublions jamais qu'il faut faire simple et rester ouvert, tout spécialement dans ce domaine de l'humain.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, je me félicite que nous examinions enfin ce texte tant attendu, après son passage au Sénat.

La protection de l'enfance et de l'adolescence concerne, directement ou indirectement, environ 10 % de la population française. En 2004, 263 000 enfants ont été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, dont 100 000 en action éducative à domicile et 150 000 en structures d’accueil.

Les compétences en matière de protection de l'enfance relèvent, depuis 1986, des conseils généraux qui y consacrent des sommes importantes, en constante évolution. Ils exercent cette mission par l'intermédiaire de personnels qualifiés au sein d'équipes pluridisciplinaires et accordent des aides financières, pour l'éducation de leurs enfants, aux parents en difficulté. Néanmoins, ainsi qu’on l’a déjà rappelé, la maltraitance, donc la souffrance de milliers d’enfants, reste encore une dramatique réalité.

Face à cette situation, des décisions ont été prises au niveau national. La protection de l'enfance a en effet connu des avancées dans la lutte contre la maltraitance, qu’il s’agisse des modalités d'interventions, plus respectueuses des droits des personnes, ou des différentes formes de soutien aux parents. Pourtant, les réalisations les plus innovantes n'ont pas été généralisées, car elles se heurtent à des difficultés d'origines diverses. Certes, le dispositif de protection de l'enfance a, depuis deux ans, été modifié par petites touches sur le plan législatif, mais sans vision d'ensemble. Son efficacité opérationnelle est à présent remise en cause par la médiatisation des affaires de maltraitance. Des événements malheureusement graves pouvant aller jusqu'à la mort d’enfants, ont conduit l'opinion publique et les médias à se poser la même question : Comment cela peut-il arriver en 2006 dans un pays comme la France ?

Les professionnels et les associations impliqués dans la protection de l'enfance sont les premiers à souhaiter des évolutions, en particulier dans le domaine de la prévention qui reste le parent pauvre du texte. Les derniers rapports officiels – ceux de Pierre Naves, de Bruno Catala, de Claude Roméo, de Jean-Pierre Deschamps, de Louis de Broissia, de Philippe Nogrix – ainsi que les enquêtes de l'IGAS et le rapport 2004 de la défenseure des enfants, ont ouvert des pistes de travail et avancé des améliorations possibles.

Au-delà des recommandations des experts, je tiens à rappeler ce contexte qui devrait guider tout législateur : la dégradation des conditions de vie des familles – difficultés économiques, insuffisance de logements, mouvements migratoires, difficultés d'insertion professionnelle des jeunes – vient percuter le dispositif de protection de l'enfance. En Seine-Saint-Denis, où l’on compte 51 000 RMIstes et plus de 100 000 chômeurs, trois femmes sur quatre ont un emploi à temps partiel et 40 % de la population vivent avec moins de 745 euros par mois. Cette situation sociale gravissime est d'ailleurs rattrapée par l'actualité avec la mobilisation contre la précarité dont sont victimes dans notre pays des millions de familles, donc des enfants.

Toutes les solidarités sont mises à mal. Pour améliorer la protection de l'enfance, l'urgence est, selon nous, à la réduction de la maltraitance sociale, qui est un facteur aggravant de danger pour les enfants. Je pense, par exemple, à cette femme enceinte de six mois, expulsée de son logement, et qui vit aujourd'hui avec ses deux enfants dans une chambre d'hôtel de neuf mètres carrés. Comment, dans ces conditions, avoir une vie familiale sereine ? Un tel exemple, monsieur le ministre, pose à nouveau la question de l’interdiction des expulsions locatives.

Que l’on ne me fasse pas dire pour autant que la pauvreté engendre en elle-même le danger pour un enfant. Cependant, elle en accroît les risques et en développe les facteurs. On ne peut aborder la question de la protection de l'enfance ni proposer des améliorations au système si l’on oublie ces réalités sociales.

Je souhaite également que des mesures significatives soient prises en faveur des femmes victimes de violences conjugales, dont on connaît aujourd’hui les conséquences sur les enfants.

De même, conformément aux recommandations du rapport L'enfance volée. Les mineurs victimes des sectes, je soutiendrai certains des amendements tendant à protéger les enfants contre toutes les formes de violences infligées par les sectes.

J’en viens à un autre problème préoccupant, absent de votre projet de loi bien que la défenseure des enfants le dénonce depuis deux ans. Il s’agit de la situation de certains enfants étrangers présents sur notre sol, qu'ils y soient seuls ou en famille, de parents demandeurs d'asile, en situation régulière ou non. Ils sont parfois les victimes de passeurs qui les ont introduits en France au mépris de leurs droits. Nous avons déposé des amendements afin d'apporter des solutions à ce problème inconcevable dans notre démocratie, car, je le répète, il s’agit avant tout d’enfants.

Au troisième rang des plaintes adressées à la défenseure des enfants, viennent les conflits avec l'institution scolaire, où pèsent de plus en plus les difficultés d'intégration des enfants handicapés. À cet égard, des dizaines de milliers d'enfants continuent de souffrir en France d'un véritable déni de leurs droits, soit que l'école ordinaire reste très peu préparée à les accueillir, soit que les établissements spécialisés fassent cruellement défaut. Combien d'enseignants, à qui la loi demande à présent d'accueillir les enfants handicapés, ont-ils reçu une formation qui les y prépare ? Combien demandent à recevoir une telle formation, sans être pour autant toujours entendus ?

Votre projet de loi prétend avoir pour objectif de fournir aux professionnels du domaine social, médico-social et éducatif de nouveaux moyens. Ainsi, l'entretien avec la future mère au quatrième mois de grossesse sera systématisé et les parents seront mis en contact avec la protection maternelle et infantile dès la maternité. La visite de la PMI sera donc proposée systématiquement à la jeune mère.

C'est bien, mais pensez-vous, monsieur le ministre, que cette disposition pourra être appliquée, compte tenu de la situation des services de protection maternelle et infantile dans notre pays ? Selon une étude du centre national de la fonction publique territoriale de 2001, 50 % des médecins territoriaux partiront à la retraite d'ici à 20l2, dont 75 % à 80 % exercent dans le secteur de la PMI. Il y a une pénurie de médecins travaillant dans ce domaine du fait du déficit de praticiens dans les spécialités indispensables à la PMI, d’une faiblesse de la rémunération et d’un statut peu favorable des médecins territoriaux, alors que des missions nouvelles ont été dévolues ces dernières années aux départements, notamment aux services de PMI.

Il existe d’ailleurs de grandes disparités entre départements dans l'application des normes relatives aux différents métiers exercés au sein des PMI. Les praticiens remarquent même une dégradation de l'universalité des missions, les collectivités opérant des choix au cas par cas en fonction de leurs moyens.

Vous proposez d'organiser des bilans réguliers aux moments essentiels du développement de l'enfant, à la maternelle pour les enfants de trois et quatre ans, puis à l’entrée en primaire pour les enfants de six ans. Des moyens supplémentaires seront-ils consacrés à la médecine scolaire ? Dans son deuxième rapport annuel, l'observatoire national de l'enfance en danger regrette le manque de moyens accordés à la médecine et à la psychologie scolaires pour dépister des troubles éventuels, dans le cadre de la loi sur la protection de l'enfance.

Ce même rapport indique également qu'il est dommageable que l'école élémentaire ne soit pas systématiquement dotée en personnel médical, car les médecins et infirmières scolaires « ne parviennent pas à assurer toutes les tâches dont ils ont la responsabilité ». Le rapport souligne d'ailleurs que ceux-ci ne peuvent effectuer que 85 % des bilans de santé obligatoires à six ans dans l'enseignement public.

Conformément à la convention internationale des droits de l'enfant, l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer dans toutes les décisions le concernant. Pourtant, ce texte entretient la confusion entre enfance en danger et délinquance.

J’ai été, madame la rapporteure, très attentive à l’information que vous avez donnée tout à l’heure : vous avez indiqué que l'alinéa 13 de l'article 1er, introduit par le Sénat, prônait une détection implicite très précoce des « troubles comportementaux » chez l'enfant, censés annoncer un parcours vers la délinquance. En réalité, on protège avant tout l’enfant en difficulté qui risque de devenir un délinquant. Je suis satisfaite d’apprendre de notre rapporteure qu’il est envisagé d’y revenir, mais nous défendrons tout de même un amendement tendant à garantir le retrait de cette disposition.

Par ailleurs, ce texte tend à organiser le recueil et la transmission d'informations relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité et la moralité sont en danger, mais sans définir clairement le sens de ce danger. Avant de me prononcer, je souhaite obtenir davantage de précisions sur la notion d’informations préoccupantes. À rebours de vos propositions, dont certaines sont encore imprécises et sujettes à caution, afin de permettre un diagnostic partagé des situations individuelles et des prises de décisions – administratives et judiciaires – cohérentes, comprises par les parents, les enfants et les professionnels, nous demandons que la loi définisse clairement le danger, en établissant des référentiels pouvant servir de base aux évaluations et aux décisions.

Le projet de loi propose en outre de créer, au sein de chaque département, une cellule pluridisciplinaire de recueil des signalements, de conseil, d'expertise, d'évaluation et de traitement des informations préoccupantes. Nous souhaitons apporter des garanties en sécurisant la transmission des informations couvertes par le secret professionnel et en obtenant la participation des associations de protection de l'enfance au dispositif.

Au stade de la mise en œuvre, ce projet privilégie aussi les administrations départementales. Pourtant, le désengagement constant de l'État dans l’exercice des compétences à destination des plus vulnérables de nos concitoyens renforce l'incertitude quant à la mise en œuvre de cette mission partagée. Je ne demande pas un État qui contrôle tout, ni un retour sur la décentralisation, mais encore faut-il que la décentralisation des responsabilités soit accompagnée de moyens financiers. Il est indispensable que l'État donne des orientations, assure la solidarité et garantisse une bonne coordination entre les différentes institutions intervenant sur le territoire national dans le champ de la protection de l'enfance.

Enfin, ce texte pousse à contractualiser le plus possible l'intervention avec les familles. Il vise à institutionnaliser l’accompagnement des familles rencontrant des difficultés pour gérer leur budget. Quand les prestations sociales sont mal employées, le juge des enfants pourra ainsi ordonner qu'elles soient versées à une personne qualifiée, dite « déléguée aux prestations familiales ».

Au lieu d'imposer une approche aussi répressive, il nous semble indispensable que des personnes qualifiées et bien formées travaillent avec les parents, afin qu'ils puissent redevenir acteurs de l'éducation de leurs enfants. C’est ce qu’a rappelé la CAF, et je m’en félicite. Si l'on veut vraiment aider les familles, il faut comprendre pourquoi elles en sont arrivées là. Cela demande du temps et beaucoup d'écoute pour créer la confiance. Dans l'esprit de nombreux parents, l'impression que l'on risque de leur voler leurs enfants reste très présente. Elle est le résultat de la longue histoire de la DDASS, fondée sur un fort contrôle social, et elle explique pour une bonne part les stratégies de résistance de nombreuses familles face aux services.

Nous proposerons donc de supprimer cet article de contrôle social, dans la mesure où les conseillers en économie sociale et familiale existent déjà, mais sans moyens suffisants pour exercer leurs missions, et où le remplacement du titre de conseiller en celui de délégué ne réglera pas la question budgétaire. Les députés communistes et républicains proposent donc de remplacer cet article par une disposition supprimant le contrat de responsabilité parentale mis en place par la loi pour l'égalité des chances du 31 mars 2006.

La résurgence d'un familialisme fondé sur les droits et les responsabilités parentales, l'impératif de rationaliser les coûts du social, l'apologie de la proximité, le sentiment d'insécurité, dont on connaît l’instrumentalisation politique, ont bien évidemment contribué à modifier la représentation des dangers encourus par les enfants et la nature des réponses à y apporter. Nous attendons certes les mesures que prendra le Gouvernement et le sort qu’il réservera à nos amendements, mais, pour nous, il importe avant tout de renforcer la prévention.

Compte tenu des incertitudes qui persistent et de la possibilité de voir revenir certains amendements défendus lors de l’examen du texte sur la prévention de la délinquance, le groupe communiste et républicain attendra la fin des débats pour décider de son vote et, à ce stade, il s’abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicain et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Aurillac.

Mme Martine Aurillac. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, en un temps où la vie politique ne nous donne pas toujours l'occasion de respirer l'air des hauteurs, il est réconfortant de constater que le bon fonctionnement de nos institutions et une collaboration exemplaire entre le Gouvernement et le Parlement ont permis d'aborder, dans une atmosphère qui devrait rester consensuelle, un important problème de société : celui de la protection de l'enfance.

M. Pierre-Louis Fagniez. Très bien !

Mme Martine Aurillac. Mon intervention se teinte d'une émotion particulière, quelques mois après deux nouveaux crimes odieux qui ont frappé deux très jeunes enfants, endeuillé leurs familles et fortement marqué l'opinion publique.

Aujourd’hui, l'enfant, dans une société où le sens du devoir a régressé, où les solidarités familiales se sont malheureusement distendues, où l'hédonisme individualiste prévaut trop souvent, a besoin de plus de protection. Il nous faut admettre, comme vous l'avez reconnu, monsieur le ministre, que des dizaines de milliers d'enfants souffrent en silence, de maltraitance physique ou morale, de négligence, d'indifférence ou d'humiliations, de brimades ou de violences, le tout constituant un abandon de fait que, trop souvent, le voisinage, voire l'école et les services sociaux, peinent à diagnostiquer. Le président Dubernard a cité à cet égard des chiffres éloquents et les statistiques publiées dans le rapport sur le nombre des enfants maltraités ou en danger sont édifiants. Je tiens d’ailleurs à féliciter les auteurs de cette publication.

En tant que membre de la mission d'information sur la famille et les droits des enfants, présidée par M. Patrick Bloche et dont Mme Valérie Pécresse était rapporteure, je ne puis que confirmer votre appréciation élogieuse du travail effectué par cette mission et rappeler le caractère très étendu de ses auditions de spécialistes confirmés, des autorités morales et religieuses et des représentants des associations familiales, lesquels exprimaient la vision de cette majorité – qu’on dit habituellement silencieuse – des familles qui, pour n'avoir pas baissé les bras, n'en sont que plus soucieuses des enfants délaissés.

Il n'est pas étonnant, compte tenu des circonstances de l'élaboration de votre projet de loi, lequel reprend nombre de nos propositions, que nous en approuvions largement le dispositif en trois volets : la prévention, avec des bilans obligatoires, l'amélioration du signalement, en renforçant le rôle de chef de file du conseil général et, enfin, la diversification des modes de prise en charge, entre lesquels se répartissent plusieurs mesures très concrètes.

Ce que j'apprécie particulièrement dans ce dispositif, c'est d'abord qu'il procède d'une très large concertation, notamment avec les départements ; ensuite il s'efforce de maintenir les liens familiaux, même quand les familles paraissent avoir démissionné, en renforçant les moyens de soutien et d'accompagnement à la parentalité et les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents qui œuvrent sur le terrain, au plus près des familles. De même, le rôle, souvent fort utile, des grands-parents, est réaffirmé.

Le Sénat et notre commission ont encore apporté d'autres précisions, dans leur ensemble opportunes : l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses droits sont solennellement réaffirmés, un entretien plus approfondi est prévu au quatrième mois de grossesse, ainsi que des visites médicales obligatoires tous les trois ans jusqu'aux quinze ans de l’enfant. Par ailleurs, le juge devra s'assurer du droit de l'enfant à être entendu en justice. Est également organisé un meilleur partage des informations par les observatoires départementaux en liaison avec l'observatoire national. Est aussi précisée la possibilité de créer, si besoin est, des unités de vie distinctes au sein des établissements d'accueil pour les moins de vingt et un ans, ainsi que les modalités de fonctionnement du fonds national de la protection de l'enfance, en incluant des critères nationaux. Enfin, certains amendements tendent à accroître la vigilance dans le contrôle de certains organismes d’enseignement à distance.

Notre mission d’information – et c'est important – a aussi souhaité introduire dans notre droit une délégation de responsabilité parentale pour les – très nombreux – couples recomposés élevant des enfants. Il s'agit de donner, avec, bien sûr, l'accord des deux parents, une place au parent « social » pour les actes de la vie courante, ce qui reste d'ailleurs à préciser. Il importe en effet, pour ces familles, de faciliter le déroulement de la vie quotidienne de ces enfants, sans pour autant remettre en cause notre modèle familial. Je connais, monsieur le ministre, vos réserves à ce sujet, et je peux les comprendre. Cependant il s'agit de l'intérêt de l'enfant et non de convenances personnelles pour les parents ; c'est la raison pour laquelle je soutiens, à titre personnel, un amendement à ce sujet.

De plus, il est prévu, à juste titre, de rendre un rapport tous les trois ans sur l'application de la convention internationale des droits de l'enfant, ainsi que de créer, enfin, la délégation parlementaire aux droits de l'enfant, dont le principe a été voté en 2003.

J’ai conscience des responsabilités accrues que la nouvelle loi fait peser au premier chef sur les parents, mais aussi sur le corps médical, les enseignants, les services sociaux départementaux et l’autorité judiciaire. Malgré leurs finalités différentes, encore que complémentaires, une synergie entre intervenants institutionnels est indispensable. À cet égard, l’article 7 du projet, modifiant l’article L. 221-6 du code de l’action sociale et des familles va dans le bon sens en prévoyant en quelque sorte le partage du secret professionnel entre des services jusqu’ici trop souvent séparés par des cloisons étanches.

En définitive, c’est aussi la qualité des femmes et des hommes engagés dans cette tâche, dont dépend largement l’avenir de notre société, qui fera la réussite de ce projet. La concertation très large que vous annoncez, monsieur le ministre, pour sa mise en œuvre et son application, augure bien de l’avenir et le groupe UMP votera très volontiers ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, nous sommes nombreux à nous réjouir d’examiner enfin ce projet de loi, car nous avons tous tout fait pour qu’il en soit ainsi. Ce texte, attendu non seulement par les départements, mais aussi par les associations de protection de l’enfance, les professionnels de l’enfance – travailleurs sociaux, juges ou médecins – fait suite à plusieurs travaux qu’ils avaient menés et à la réflexion approfondie de la mission d’information sur la famille et le droit des enfants, dont beaucoup d’entre nous présents cet après-midi ont fait partie.

Certaines de ses recommandations ont été suivies et nous nous en félicitons. La principale consiste à confier aux conseils généraux la centralisation des informations sur les enfants en danger, grâce à une cellule unique de signalement, facilement repérable par le public. Nous ne pouvons que souscrire à une telle mesure.

Les travaux se sont déroulés dans un climat constructif et nous souhaitons donc poursuivre dans les mêmes conditions, s’agissant en particulier de l’examen des amendements, dans l'intérêt des enfants et de leur famille, même si des désaccords s'expriment, monsieur le ministre, en particulier sur les aspects budgétaires. Si 30 millions figurent bien dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour financer les mesures de ce texte, rien n’est prévu en revanche dans le budget de l’État pour la protection de l’enfance.

La discussion de ce projet de loi vient malheureusement – mais vous n’en êtes en rien responsable, monsieur le ministre – après celle du projet relatif à la prévention de la délinquance, largement contesté non seulement dans cette assemblée mais aussi par l'ensemble des associations de protection de l'enfance et également, il faut le souligner, par l'Association des maires de France et le groupement d’intérêt public Enfance maltraitée qui, lors de sa dernière assemblée générale, s'est exprimé contre ce texte. La connaissance très concrète du terrain de l'ensemble des élus, de gauche comme de droite, explique leur désaccord avec ce texte opportuniste et dangereux. Espérons seulement qu’il n’entre jamais en application. Les prochaines élections en décideront.

J’en reviens donc au projet qui nous occupe, à propos duquel de nombreux amendements, cosignés par les différents groupes, ont été discutés de manière constructive. Il est vrai que le travail mené pendant un an par la mission d'information grâce à Valérie Pecresse et Patrick Bloche – qu’il faut remercier – y a très largement contribué.

Comme nos collègues sénateurs, nous soutenons le dispositif instituant un secret professionnel partagé, mais préservant la confidentialité de certaines informations, car nous savons que la relation de confiance entre usagers et travailleurs sociaux est le socle et le garant d'un travail social de qualité, respectueux de l'individu. De la même façon, nous approuvons la volonté de diversifier l'offre des mesures de protection, incluant l'accueil séquentiel ou périodique, et validant des expérimentations telles que le placement éducatif à domicile.

Même si le texte ne prévoit pas – peut-être par impossibilité – la traduction juridique de la « coéducation » avec la famille, la proposition faite par notre commission de placer l'intérêt supérieur de l'enfant comme guide à toute décision – en particulier dans les questions relatives aux délégations d'autorité parentale – devrait permettre aux juges de prendre les décisions adéquates et nécessaires à un projet de vie stable et sécurisant pour l'enfant, tout en préservant les liens familiaux. Le rapport de Mme Versini, défenseure des enfants, recommande également d’aller dans ce sens.

Une période d'observation et d'expérimentation sera nécessaire pour compléter le texte sur l’importante question de l'autorité parentale. Notre droit de la famille privilégie encore trop la filiation biologique et néglige l'attachement nécessaire au bon développement affectif de l'enfant. Je tiens à remercier la fédération des pupilles – qui mieux qu’eux savent de quoi il retourne ? – pour m’avoir suggéré certains amendements tendant à rappeler et à préciser les concepts.

De la même façon, j'espère que nous pourrons voter des amendements pour définir les termes suivants : projet de vie, intérêt supérieur de l'enfant, principe de l'attachement. Il appartient en effet au législateur, en nommant l'éthique, de donner sens aux textes de loi et, de ce fait, aux décisions prises par les professionnels en charge de les appliquer.

Je ne peux cependant aborder l’examen de ce projet sans rappeler, comme d’autres l’ont fait, le contexte dans lequel il intervient, à savoir une progression de 7 % en 2004 du nombre d'enfants signalés – tendance qui ne se dément pas, d’après les chiffres provisoires dont nous disposons pour 2005 et 2006 – et le doublement, au minimum, entre 1984 et 2004, des dépenses consacrées à la protection de l’enfance et à la prévention par les départements.

Vous avez tout à l’heure dénoncé leur insuffisance dans ce secteur, monsieur le ministre. À tort, à mon avis, dans la mesure où les concours figurent sans doute ailleurs que dans les budgets de la protection de l’enfance. Je pense notamment aux réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents – les REAAP –, à la politique de la ville, aux contrats éducatifs locaux, aux contrats enfance-jeunesse, et j’en oublie sûrement. Une analyse plus fine permettrait de le démontrer.

Nous le savons, notre système de protection de l'enfance, tant au niveau social, législatif que juridictionnel, doit évoluer, car la famille, comme la société, ont considérablement changé depuis vingt ans. Le rapport de l'ODAS souligne que la carence éducative est citée dans 50 % des signalements alors que les conflits de couple et de séparation interviennent pour 30 % d’entre eux.

La précarité économique ne constitue donc pas à elle seule un facteur de danger, mais, cumulée à l'isolement social, à l'absence de repères, au repli sur soi, à l'inoccupation des parents, elle aggrave le risque. C'est ce qui explique la surreprésentation des familles monoparentales et justifie la nécessité de développer, à côté des démarches individuelles qui reviennent au travail social, des démarches collectives de soutien à la parentalité, couplées à une politique volontariste d'insertion économique tournée vers les publics les plus fragilisés.

De plus, les cas de maltraitance progressent, ainsi, particulièrement, que le nombre d’enfants qui subissent des violences physiques. Il faut y voir le reflet de l’évolution des relations sociales dans une société déstabilisée, en perte de repères et de projets, dans laquelle, pourtant, tout individu devrait normalement trouver sa place, tant économiquement que socialement. Pour donner plus de sens et davantage de poids aux politiques de prévention, il faut s’attaquer aux causes environnementales du territoire de vie des familles.

Une politique ambitieuse de protection de l'enfance doit avant tout s'appuyer sur la prévention et agir à trois niveaux : premièrement, sur le développement social, c'est-à-dire très en amont ; deuxièmement, sur la prévention qui passe par le repérage des situations et des zones à risques ; troisièmement, sur la protection en précisant la procédure et les outils utilisés.

En ce sens, le texte ne répond que partiellement au problème. Bien qu'il apporte des améliorations à la PMI en augmentant le nombre des consultations obligatoires, il ne propose de progrès ni dans la décentralisation ni dans les moyens financiers accordés aux missions de prévention exercées désormais majoritairement par les communes et les conseils généraux, à cause du désengagement de l'État et des caisses d’allocations familiales. Je pense aux diminutions des budgets pour les contrats éducatifs locaux, annoncées dernièrement, et au dénuement de la pédopsychiatrie, des politiques de la jeunesse et de la protection judiciaire de la jeunesse.

Il faut, pour protéger l’enfance, une politique familiale et éducative qui soit volontariste, audacieuse et courageuse. Les premières mesures devraient être les suivantes.

Il faut d’abord donner aux maires la compétence du développement social local, seul moyen de garantir la mobilisation des différents acteurs sur un même territoire, en particulier pour les questions relatives à l'accueil du jeune enfant et à la parentalité.

Il convient ensuite de territorialiser le travail social en l’impliquant dans la vie des quartiers par des partenariats entre les villes et les conseils généraux ; de territorialiser aussi l'observation des signalements, pour pouvoir intervenir de manière ciblée en partenariat avec l'ensemble des acteurs, parmi lesquels l’État, qui doit jouer un rôle important par le biais de ses directions départementales, surtout celle de l’éducation nationale.

Il est également indispensable de réinvestir l'école – seul lieu où tous les enfants sont accueillis – en renforçant la présence d'éducateurs, et de rapprocher, comme le suggérait mon collègue de l’UDF, non seulement les services de santé scolaire de la PMI, mais aussi le service social scolaire de ceux de l'action sociale des conseils généraux, comme les spécialistes, unanimes, le demandent.

Il faudrait encore désigner un référent de l'action sociale par famille, qui soit le coordinateur et le garant de la continuité et de la cohérence des décisions prises.

Enfin, nous devrions surtout soutenir et développer les moyens de l'éducation populaire, pour rompre avec l'isolement social, qui est la cause essentielle de la majorité des interventions. Là aussi, l’État doit jouer son rôle.

Ces cinq points renvoient à la question sociale que le Gouvernement a ignorée depuis le début de la législature et qu'il fait mine de découvrir à la veille des élections, alors qu’il a, depuis cinq ans, supprimé de nombreux dispositifs, comme les emplois jeunes, réduit les moyens accordés aux associations de terrain, diminué les possibilités d'intervention dans les actions de développement social par l’intermédiaire des CAF. L’État s'est défaussé de ses missions sur les collectivités locales et leur fiscalité.

Enfin, je souhaite saisir l’occasion de ce débat pour aborder quelques points qui ne figurent pas dans le texte initial, mais sur lesquels il faut avancer.

Je veux d'abord appeler votre attention, après la décision particulièrement grave prise par la Cour de cassation le 10 octobre dernier sur les amendements relatifs à la kafala. Il s’agit d’une question qu’il convient de résoudre en urgence et qui concerne 300 enfants. Ce dispositif, en vigueur dans certains pays musulmans, permet que des enfants soient confiés à des tiers chargés de leur éducation, mais fait obstacle au prononcé d'une adoption simple en France. En effet, l'adoption reste prohibée par le droit des pays d'origine de ces enfants et les conventions bilatérales les liant à la France. Il en résulte que ces enfants ne peuvent jouir des droits reconnus aux enfants adoptifs et que les personnes qui en assurent l'éducation et subviennent à leurs besoins ne peuvent non plus disposer des prérogatives d'autorité parentale.

Soulignons, par ailleurs, que la kafala concerne parfois des enfants français ; les positions prises à leur sujet par certaines juridictions sont alors encore plus inadmissibles. En tant que ressortissants français, ils doivent se voir appliquer les règles de notre droit, celles d’un État laïc. Notre proposition vise donc à rendre possible l'adoption simple des enfants sous kafala, ou, à défaut, à aligner leurs droits et ceux des personnes auxquelles ils sont confiés sur ceux des enfants et des adoptants ayant accompli les formalités d'une adoption simple. La Belgique a récemment délibéré en ce sens sans pour autant compromettre ses relations diplomatiques, en particulier avec l’Algérie.

Un autre problème, voisin du précédent, concerne la reconnaissance du rôle des personnes assurant l'éducation d'un enfant sans en être les parents biologiques ou sans pouvoir en être les parents adoptifs. Je rappelle, à ce propos, que 1,6 million d’enfants vivent dans des familles recomposées et 30 000 dans des familles homoparentales. Abordée dans le cadre d'autres débats, cette question appelle la nécessaire évolution du droit de la famille vers la reconnaissance du rôle des conjoints du parent isolé, y compris lorsqu’il s’agit de personnes de même sexe, reconnaissance qui est dans l'intérêt même de l'enfant lorsque l'existence de liens affectifs est avérée. La rapporteure des enfants s’est également exprimée à ce sujet.

La question du droit à l'éducation et du droit à vivre en famille des enfants étrangers scolarisés sur notre territoire ne saurait non plus être passée sous silence, du fait de sa dimension humaine. En effet, d'un point de vue strictement humain, on ne saurait séparer ces enfants de leurs parents ou les contraindre à un retour forcé dans le pays d'origine de ces derniers, lequel leur est souvent inconnu.

Je tiens, pour finir, à aborder un autre dossier, qui devra être traité avant la fin de la présente législature et au sujet duquel ce texte est l'occasion de réaliser des avancées consensuelles : il s’agit des dangers que les sectes représentent pour les mineurs.

À ce sujet, le récent rapport de la commission d'enquête parlementaire a souligné l'urgence de certaines évolutions de notre législation, comme, notamment, la reconnaissance d'un droit des ascendants à intervenir dans l'éducation de l'enfant lorsque son intérêt le commande. Sachons être cohérents en tirant les conséquences du constat d'urgence de la commission d'enquête et en traduisant en actes, dès à présent, les principales propositions de ce rapport, afin de protéger ces enfants et leurs familles. Je laisse le soin à d’autres parlementaires de s’exprimer plus longuement sur le sujet.

C'est donc de façon responsable et positive que nous abordons l'examen de ce texte. Toutefois, vous ne nous empêcherez pas de penser que la meilleure protection de l'enfance est celle qui s'inscrit dans un projet de société qui privilégie l'être humain dans un environnement social et économique juste et équilibré, où chacun des niveaux de l’Etat décentralisé doit s’exprimer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, tardif, contradictoire, aléatoire, insuffisant, tels sont les adjectifs qui viennent spontanément à l’esprit pour qualifier un projet de loi que l’Assemblée nationale commence enfin à examiner.

Une texte tardif, tout d’abord : en effet, après la rapporteure du projet de loi, qui fut également celle de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, créée à l’initiative du président Jean-Louis Debré – de nombreux collègues ici présents en ont fait partie –, je tiens à rappeler que c’est dès juin 2005 – il y a donc déjà un an et demi – que nous avons présenté à l’unanimité près d’une cinquantaine de propositions de réforme du système de la protection de l’enfance.

L’appel des cent a, quant à lui, été lancé en septembre de la même année, à l’initiative du président du tribunal des enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczweig, et du directeur de l’aide sociale à l’enfance de Seine-Saint-Denis, Claude Roméo, en vue d’inciter les pouvoirs publics à engager un grand débat national sur la protection de l’enfance avant de présenter une réforme législative.

Par ailleurs, les conseils généraux de la région Île-de-France ont demandé l’adoption d’une grande loi-cadre réaffirmant les principes fondamentaux de la protection de l’enfance, notamment le rôle parental, le primat de l’éducatif et l’intérêt de l’enfant, tandis que le rapport de 2005 de la défenseure des enfants pointait les inégalités entre les départements et le manque de cohérence et de clarté des dispositifs.

Il convient enfin de souligner que l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de ce projet de loi a été maintes fois reportée : depuis son vote en première lecture par le Sénat en mai 2006 et son examen en commission à l’ Assemblée nationale en juillet dernier, cette discussion a malheureusement été retardée par l’examen en première lecture du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.

Un texte contradictoire, ensuite : en effet comment ne pas rappeler que notre assemblée a été conduite à examiner trois textes qui se télescopent et, de fait, se contredisent sur plusieurs points en ce qui concerne la famille et les enfants : la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, qui a institué le contrat de responsabilité parentale, le projet de loi, que je viens de citer, relatif à la prévention de la délinquance et le texte en discussion.

Un texte aléatoire, aussi, très aléatoire, même, s’agissant du dispositif de financement retenu par le Gouvernement, notamment en ce qui concerne la compensation des charges transférées aux départements. Si tous les moyens nécessaires ne sont pas mis en œuvre afin de permettre l’application effective de la future loi, celle-ci ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau, un simple texte d’affichage, c’est toute la faiblesse de son article 17 qui crée, en fait, un financement fictif de la réforme de la protection de l’enfance.

Étant donné le peu de temps qui m’est imparti dans le cadre de la discussion générale, j’ai pensé qu’il me revenait de restituer ce qu’avaient été tout à la fois les réflexions, le travail et le cheminement de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants.

Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, si la mission a consacré une part importante de ses travaux à la protection de l'enfance, c’est qu’il s’agit d’un sujet sensible. Les drames qui ont été portés, encore récemment, sur la place publique montrent que les dangers qui pèsent sur les enfants sont loin d'avoir disparu. Une mission parlementaire sur la famille et les droits des enfants devait s'emparer du sujet ; c’est ce que nous avons fait. Les enfants sont en effet des êtres vulnérables dans leur corps comme dans leur esprit, et ils doivent être à ce titre protégés. C’est du reste un droit garanti par la Convention internationale des droits de l'enfant, dont chaque État doit assurer le respect. La violence infligée aux mineurs, quelle qu'en soit la forme, défigure notre société.

Nous avons évoqué lors d’une table ronde – vous vous en souvenez sans doute, mes chers collègues – l'affaire de Drancy. Le 4 août 2004, quatre enfants pieds nus, sales et mal vêtus ont été repérés dans la rue. Après deux heures de négociation avec les parents, la police nationale est parvenue à entrer dans le domicile, pour découvrir un enfant âgé de treize mois qui ne pesait que quatre kilos et vivait au milieu de détritus sur une banquette éventrée. Cette famille était pourtant connue des services sociaux, notamment de la protection maternelle et infantile, dont les bureaux étaient à moins de cinquante mètres du domicile. Toutefois, aucune visite n’avait jamais été rendue à cette famille et les différents signalements n'avaient pas permis de donner l'alerte.

Ensemble, nous avons tenté de comprendre pourquoi, en dépit des quelque 5,5 milliards d'euros dépensés chaque année pour protéger les enfants, des situations comme celle de Drancy existent encore. Il y en a beaucoup d’autres comme en témoigne la tragédie d’Angers. Nous nous sommes alors attachés à mettre à plat l'ensemble du dispositif, depuis les mesures de prévention et de détection jusqu'à la manière dont les mineurs sont pris en charge.

S'agissant de la prévention et de la détection des enfants en danger, nous avons tenté de répondre à trois questions. Première question : à partir de quel âge et selon quelles modalités faut-il commencer les mesures de prévention et de détection ? Deuxième question : comment faire partager les informations entre les différentes professions chargées de suivre les enfants ? Troisième et dernière question : comment mieux suivre les familles, notamment celles qui, en développant une stratégie d'évitement des services sociaux, échappent aux dispositifs prévus ?

Ces différentes questions nous ont conduits à proposer des mesures visant à anticiper et à renforcer le signalement. Il convient notamment de mieux impliquer les enseignants, lesquels, en dehors des parents, sont les adultes le plus en contact avec les enfants. Notre avons également conclu à la nécessité de mieux faire respecter les visites médicales obligatoires, lesquelles sont un moyen sûr de détecter les mineurs maltraités ou en danger. Nous espérons aller un peu plus loin en ce sens à la faveur de l’examen des articles du projet de loi.

En ce qui concerne la manière dont les enfants, une fois qu'ils sont détectés, sont pris en charge, nous avons recherché les moyens de mieux articuler l'intervention du juge et celle des conseils généraux – deux des principaux acteurs dans la protection de l’enfance –, afin de mettre fin à la prééminence des signalements judiciaires.

En outre, lorsque l’enfant ne peut pas rester dans sa famille, il est essentiel pour lui d’être accueilli dans des conditions permettant d'assurer son développement. Nous avons dénoncé avec raison ce qu’on appelle l’idéologie du lien familial, sur laquelle repose encore notre conception de la protection de l’enfance, et nous avons préconisé, dans l’intérêt même de l’enfant, un recours plus fréquent à une famille d’accueil. Ainsi que Patricia Adam l’a rappelé à l’instant, la dimension biologique de la filiation ne saurait être en effet privilégiée de manière disproportionnée, car elle n’est pas, en tant que telle, une garantie de sécurité pour l’enfant et l’existence de liens biologiques entre l’enfant et les adultes qui l’élèvent n’a jamais été l’assurance d’une bonne éducation. Nous avons donc examiné la manière dont le dispositif de placement des enfants organise une suppléance parentale, afin de vérifier si la stabilité affective du mineur est assurée.

Le cloisonnement entre les différentes administrations compétentes semble la principale faille du système. En superposant différents niveaux de compétence, l'organisation issue de la décentralisation est particulièrement complexe, ce qui nuit à la sûreté du dispositif, notamment à la continuité du suivi des enfants. Nous avons donc cherché les moyens de clarifier l'organisation de la protection de l’enfance, afin d’en améliorer l'efficacité, en visant notamment la responsabilité particulière des présidents des conseils généraux en la matière.

Nous nous sommes également attachés à vérifier que notre pays respecte la Convention internationale des droits de l’enfant. C'est un point dont s’était déjà saisie la commission d'enquête présidée par Laurent Fabius en 1998, et qui demeure d'actualité. Cette convention comprend en effet des dispositions essentielles à la protection des mineurs dont l'application par la France mériterait d'être améliorée. Cette question nous a donc conduits à examiner la place que notre droit réserve à la parole de l'enfant devant le juge, ainsi que la situation particulière des mineurs étrangers isolés.

Alors que la dernière grande loi sur la protection de l’enfance a été promulguée en 1989, aujourd'hui, en France – comme l’a rappelé Valérie Pecresse –, près de deux enfants décèdent encore chaque semaine de maltraitance et les cas d’enfants en situation de danger augmentent. Nous sommes conscients que la réforme de la protection de l’enfance soulève des questions difficiles, parce qu’elle met en jeu des principes fondamentaux de notre droit, notamment la défense des libertés individuelles et le respect du secret professionnel – lequel doit être mieux partagé pour permettre une véritable réforme de la protection de l’enfance.

Nous avons donc tenté de trouver un équilibre entre le droit des familles à l’intimité et la nécessité de prendre en considération l’intérêt de l’enfant. Il faut mettre en place un dispositif qui permette de contrôler la famille sans la stigmatiser, d’accueillir les enfants dans une stabilité affective et psychique, tout en organisant des allers et retours chez leurs parents, et de les protéger tout en aidant les parents à exercer leurs compétences propres. C’est le sens des propositions que notre mission a unanimement adoptées il y a un an et demi : il était temps, en effet, de donner aux familles et aux acteurs de la protection de l’enfance un signal fort. C’est pourquoi les députés du groupe socialiste regrettent qu’un grand nombre des propositions de la mission n’aient pas été reprises dans le cadre du présent projet de loi.

Alors qu’il fait suite aux travaux de la mission, à la publication de plusieurs rapports et à la mobilisation des professionnels, force est de constater, monsieur le ministre, que ce texte n’est pas à la hauteur des attentes qu’il a suscitées. Il s’apparente plus en effet à une réponse d’urgence à la médiatisation de plusieurs affaires récentes qu’à une véritable loi-cadre pour la protection de l’enfance en danger et le soutien aux familles.

Je précise « aux familles », car je pense, et ce sera ma conclusion, à toutes les familles, mêmes celles que certains, ici, se refusent à reconnaître comme telles. En effet, le bien être de l’enfant dépend avant tout de l’attention et de l’amour qu’il reçoit, quelle que soit l’orientation sexuelle des adultes qui l’élèvent et quelle que soit la façon dont a été conçu l’enfant. C’est cet environnement stable qui favorise peu à peu son épanouissement, lui permet de trouver ses repères et, finalement, de prendre sa place dans la société.

Espérons que l’examen des articles donnera, grâce au vote de nombreux amendements, tout son sens à ce qui est présenté comme une réforme de la protection de l’enfance. Dans le cas contraire, au printemps prochain, une alternance politique le permettra sans doute. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Tabarot.

Mme Michèle Tabarot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, chers collègues, depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics ont fait de la protection de l’enfance une priorité. Malgré ces efforts, nous sommes forcés d’admettre que nous ne parvenons toujours pas à garantir à tous les mineurs en danger une réponse rapide et adaptée à leur situation.

L'actualité nous apporte malheureusement bien trop d'exemples tragiques d'enfants en danger que l’on n'a pas retirés suffisamment tôt de leurs familles, de jeunes maltraités qui ont subi, au sein même des lieux d’accueil, des traumatismes encore plus graves que ceux vécus auparavant. Je pense qu’à l’évocation de cette réalité, de sinistres faits nous reviennent en mémoire.

L’objet de mon propos n’est pas de critiquer un système qui a permis d’aider tant d’enfants en difficulté.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Très bien !

Mme Michèle Tabarot. Notre dispositif de protection de l'enfance est bon, mais il est perfectible. Il faut prendre acte de nos faiblesses pour tendre vers plus de réactivité et, peut-être, plus d'humanité. Sans revenir sur le contenu de cette réforme, je souhaite insister sur deux points.

Tout d'abord, dans le cadre de ma mission de rapporteure pour avis du budget de la protection judiciaire de la jeunesse, j'ai tenu à visiter plusieurs foyers. J'ai alors été frappée de constater que, dans un même établissement, pouvaient cohabiter des mineurs délinquants et des mineurs victimes. Il est aisé d'imaginer les conséquences éventuelles de cette situation sur un enfant déjà fragilisé, placé au contact de jeunes potentiellement violents. Ce n'est en tout cas pas de cette manière que nous pouvons lui garantir les meilleures conditions de reconstruction personnelle.

Je me réjouis, pour cette raison, que le projet de loi prévoie la constitution d'unités de vie distinctes en fonction du projet éducatif de chaque enfant. Il faut cependant aller plus loin. Nous devons préciser clairement dans la loi que ces unités de vie doivent être constituées en fonction du vécu de chaque enfant, victime ou délinquant. Je défendrai un amendement en ce sens.

Le second point sur lequel je souhaite intervenir est le prononcé judiciaire d’abandon, décision qui permet d’offrir à un enfant maltraité une chance de trouver une nouvelle famille. En effet, du prononcé d’abandon découle la possibilité d’être admis en qualité de pupille de l’État, donc d’être adopté. L’article 350 du code civil limite l’introduction de la demande de prononcé d'abandon à la personne, à l’établissement ou au service social qui a recueilli l’enfant. Or cette demande peut se révéler délicate à formuler, notamment pour un particulier.

Aussi faut-il que le président du conseil général puisse, en se fondant sur le rapport annuel qui lui est remis pour chaque mineur, saisir directement le juge d’une demande en déclaration d’abandon, lorsqu’il lui apparaît que les parents se sont manifestement désintéressés de leur enfant. Je défendrai également un amendement sur ce point.

Ce texte est équilibré. Je souhaite qu’il s’enrichisse de nos débats sans que les avancées qu’il contient soient remises en cause. En effet, parmi les évolutions proposées, je retiens qu’une plus grande place sera accordée à la parole de l’enfant, grâce au renforcement de la prévention, au développement de lieux d’écoute, grâce aussi à la reconnaissance de son droit à être entendu dans les affaires de justice le concernant.

Nous avons l’opportunité d'affirmer toute l’importance que revêt pour notre législation le grand principe de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe de droit international qui a guidé beaucoup de nos choix par le passé et qui, je le souhaite, continuera d’éclairer durablement nos travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, chers collègues, il est en effet très important de se préoccuper de la protection de l'enfance. Vous l’avez tous constaté : nous sommes d’accord pour nous soucier de l’amélioration des dispositifs existants dont Mme Tabarot a justement souligné qu’ils étaient perfectibles.

Toutefois, quand on veut protéger l’enfance, on devrait immédiatement comprendre qu’il s’agit de tous les enfants, sans aucune distinction d'origine ethnique ou sociale, ce qui ne signifie pas que l’on ne doit pas proposer des traitements différenciés en fonction des raisons qui les ont amenés à être protégés. Il faut donc, et c’est un peu le sens de la Convention des droits de l’enfant, parler d’un enfant universel.

Or quand je lis votre projet, monsieur le ministre, je demeure préoccupé. Certaines catégories d’enfants dont la maltraitance est, sinon visible, du moins bien connue sont oubliées. M. Bloche les a cités : mineurs étrangers isolés et mineurs victimes d’emprise sectaire. Nous avons abordé ce dernier sujet plus récemment, notamment dans le cadre d’une commission d’enquête dont je salue les membres ici présents. Quelque 80 000 enfants se trouvent tout de même dans des conditions extrêmement difficiles quand bien même elles peuvent varier puisque tous ces enfants ne subissent pas un degré de maltraitance identique. Reste que la situation doit être examinée de près.

Dans la mesure où nous avons rendu notre rapport au président de l’Assemblée nationale le 20 décembre, il n’était pas question que vos travaux puissent en inclure immédiatement les résultats. Nous n’en avons pas moins proposé un certain nombre d’amendements, Mme Adam et moi-même, par exemple, concernant les victimes de l’emprise sectaire qui nous préoccupent beaucoup. D’autres amendements – et c’est suffisamment rare pour être souligné – ont été cosignés par des députés de bords politiques opposés.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. C’est vrai !

M. Serge Blisko. Ainsi Mme Pécresse et M. Bloche, M. Vuilque et M. Fenech – respectivement rapporteur et président de la commission d’enquête – ont-ils présenté des amendements communs.

Pour en revenir aux mineurs dépourvus de représentant légal et arrivés en France en risquant souvent leur vie – rappelez-vous les épisodes dramatiques de ces enfants qu’on a retrouvés gelés dans les trains d’atterrissage des avions –, tous, même si, heureusement, ils n’emploient pas systématiquement des moyens extrêmes, ont un point commun. En effet, ils arrivent en général des pays les plus pauvres, parfois en guerre avec l’étranger ou en guerre civile. Provenant de camps de réfugiés, ils connaissent l’errance et l’absence de prises en charge et se retrouvent en situation d'extrême fragilité. J’ajoute, même si cela est parfois difficile à leur faire dire, qu’ils ont vécu des situations de maltraitance extrême et ces mineurs ne viennent pas seulement parfois de très loin d’un point de vue géographique ; ils reviennent souvent aussi de très loin en termes de vécu et de souffrance.

Leur nombre n'est pas précisément connu et l’on ne peut obtenir que des estimations. Il n’est pas question, dans un contexte si difficile, de reprocher à la majorité de ne pas connaître les données avec précision, mais l’on pourrait tout de même demander la centralisation de l’enregistrement national de la population des mineurs isolés, par exemple à la PJJ. Nous ne disposons en effet que des chiffres des mineurs en zone d’attente et de ceux des demandeurs d’asile, alors que des enfants, que nous pouvons voir dans nos villes et nos villages, restent dépourvus de statut et leur extrême vulnérabilité ne les met pas à l’abri de grands dangers. Autrefois, ils se trouvaient pour l’essentiel dans la seule région Île-de-France ; désormais, leur présence se diffuse dans l’ensemble du territoire.

Or il n’existe pas de dispositif spécifique pour les mineurs isolés. Je rappelle qu’en 2000 nous avions nommé des administrateurs ad hoc. Il s’agissait d’une très bonne mesure mais nous devons aller plus loin. Le lieu d’accueil et d’orientation, le LAO, mis à part, nous n’avons pas aujourd’hui de dispositifs très efficaces et les carences sont souvent palliées par des associations dans le cadre d’initiatives locales – que je salue –, dépourvues cependant de coordination entre elles et dépourvues, bien sûr, de moyens. Nous devons absolument réfléchir à la création de dispositifs d’hébergement d’urgence sécurisés, à même de mettre ces enfants à l’abri, en particulier, des filières mafieuses et de tous ceux qui voudraient les exploiter.

Par ailleurs, nous devons faire prévaloir le principe de présomption de minorité dans l'attente d'investigations ultérieures. La validité scientifique de l’expertise souvent demandée par les juges ou par les procureurs – veuillez m’excuser – n'est pas du tout établie. Un examen de radiologie osseuse présente une marge d'erreur pouvant excéder dix-huit mois. Cette marge d’imprécision est trop grande quand il s’agit de savoir si l’on a affaire à un mineur ou à majeur. On ne peut donc admettre que l'arbitraire scientifique décide du sort d’un jeune.

Il me faudrait un peu plus de temps – je constate qu’il file – pour vous parler de la nécessaire affirmation du principe de non-refoulement de ces mineurs, de leur prise en charge, de la nécessité d’une mesure de tutelle de droit commun. Ce ne sont que des mesures rapides de protection de l’enfance, mais elles sont malheureusement absentes de votre projet.

Je termine – beaucoup d’amendements s’y rapporteront – par les enfants victimes des sectes.

Cette question ne peut que susciter le consensus de notre assemblée car les propositions contenues dans le rapport de la commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs, ont toutes été votées à l’unanimité. Le titre de ce rapport est un peu long mais seules comptent ses conclusions et je salue à cet égard le travail du président et du rapporteur.

Grâce à la publication de ces travaux très sérieux, menés six mois durant et s’appuyant sur de nombreuses auditions, l’Assemblée se rend désormais compte du danger réel encouru par ces enfants. Même si beaucoup d’entre nous avaient une claire idée de la nature de l’emprise sectaire, ils ont été effarés par l’audition de certains témoignages, ceux des victimes aussi bien que ceux des professionnels, trop peu nombreux malheureusement, qu’il s’agisse des psychologues, des pédopsychiatres, des travailleurs sociaux ou des juges pour enfants. Ainsi Mme Jougla, psychologue, a déclaré : « Chaque enfant qui est dans une secte est un enfant en danger, que cette secte soit coercitive ou non. Les maltraitances psychiques sont toujours existantes », même si, bien évidemment, certaines sectes n’ont pas recours à la maltraitance physique.

Des membres de la commission d’enquête se sont rendus dans les Pyrénées-Orientales pour étudier une secte nommée Tabitha's Place. Je vous livre quelques extraits tirés du rapport qui concernent l’histoire de trois enfants emmenés par leurs parents au sein de cette secte et qui y sont restés presque cinq ans : « Un point essentiel est l'obéissance, qui est demandée aux enfants au premier commandement. Si l'enfant ne fait pas ce que vous lui demandez dans la seconde, et dès la première fois que vous le lui demandez, une correction physique doit lui être donnée. On vous donne une baguette en osier, très flexible – et cela, mes chers collègues, se passe dans la France d’aujourd’hui ! – La correction doit avoir l'effet escompté, et doit faire mal. On va également demander à l'enfant, progressivement, de bien recevoir sa correction, c'est-à-dire de ne pas pleurer, de ne pas se rebeller, jusqu'à arriver à un point où il va demander lui-même sa correction s'il a mauvaise conscience ». Je garde cette expression de « mauvaise conscience » en mémoire, prononcée par ce couple brisé par ce qu’il a fait subir pendant plus de quatre ans dans cette secte.

Peu à peu – poursuit le rapport –, on va lui apprendre ce qui est bien et ce qui est mal, et s'il a dépassé les limites que vous lui avez fixées – qu’il s’agisse de rire ou de saluer sa mère quand on passe avec le groupe des autres enfants –, il va se dénoncer lui-même : " J'ai une mauvaise conscience, j'ai besoin d'être corrigé. " Seule la correction à la baguette peut lui rendre une bonne conscience », dixit cette secte que nos collègues parlementaires ont visitée en compagnie d’un inspecteur de l’éducation nationale.

Je finis par les propos d’un jeune homme, ancien adepte des Témoins de Jéhovah. À l’âge de vingt-quatre ans, il présente « cette particularité d’avoir passé les vingt-deux premières années de sa vie parmi les Témoins de Jéhovah » puisqu’il en est sorti il y a deux ans – il est né Témoin de Jéhovah, de parents Témoins de Jéhovah et il a été élevé au sein de ce mouvement. Il a calculé qu'un enfant de primaire devait ainsi consacrer à la secte – dont l’action, on le sait, s’exerce surtout en fin de semaine – quasiment vingt-trois heures par semaine à l’étude, à la prière et au prosélytisme.

Voilà ce que vivent aujourd’hui certains enfants de ce pays, des citoyens en devenir auxquels renvoie le titre de notre rapport, L’enfance volée. À ce propos, j’ai regretté qu’il ne soit pas fait mention de certains amendements. Je conviens, madame la rapporteure, que vous n’ayez pas eu le temps d’en prendre connaissance : votre rapport a été remis le 20 décembre et les amendements ont été déposés le 7 janvier. Je vous demande néanmoins, à vous et au Gouvernement, de consentir un effort pour que leur adoption donne un signe d’espoir à ces familles et aux associations qui se battent avec des moyens souvent insuffisants et accomplissent un travail de terrain considérable pour essayer de soustraire ces mineurs aux sectes.

Toutes les personnes auditionnées, professionnels de santé, anciens adeptes, familles et amis, ont témoigné de leur souffrance extrême. L’État ne doit pas se désengager, quelles que soient les difficultés et même si certains ministères estiment aujourd’hui que nous sommes imprécis. Il nous faut donner le signe que notre pays est résolument engagé contre les sectes.

Enfants étrangers isolés et enfants prisonniers des sectes méritent notre attention. Nous devons apporter à ces jeunes victimes toute l’aide nécessaire. Honorons nos engagements d’élus en leur faveur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Delnatte.

M. Patrick Delnatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, deux enfants meurent chaque semaine de mauvais traitements infligés au sein de leur milieu familial. Cette réalité, comme toute maltraitance faite aux enfants, est inacceptable. On juge de l’excellence d’une société à la façon dont elle s’occupe de ses enfants, tout comme des personnes âgées et des personnes handicapées.

Sur cette problématique de la protection de l’enfant, notre assemblée a mené un travail approfondi au sein de la mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant présidée par M. Patrick Bloche. L’excellent rapport de Mme Valérie Pecresse a fortement inspiré le projet de loi proposé par le Gouvernement et déjà examiné par le Sénat. Plus de 85 % des propositions relatives à la protection de l’enfance formulées dans ce rapport ont été reprises dans le texte examiné aujourd’hui.

Parallèlement, le Gouvernement a mené une large concertation avec les différents acteurs, en particulier les départements, directement responsables de la mise en œuvre de cette politique.

Un constat s’impose : le dispositif législatif de la protection de l’enfance issu de la loi de 1989 est aujourd’hui inadapté. Son champ d’application, trop étroit, ne correspond plus aux évolutions de la société. De plus, un premier bilan empirique de la décentralisation dans ce domaine témoigne de dysfonctionnements et de disparités importantes entre les départements, difficilement acceptables dans notre République.

Plusieurs textes examinés récemment par notre assemblée concernent l’enfance et l’adolescence, en particulier le projet sur la prévention de la délinquance des mineurs. La logique aurait voulu que nous examinions en premier le projet de loi réformant la protection de l’enfant, comme cela a été le cas au Sénat. Cela aurait évité, chez nous, des polémiques inutiles.

Force est de constater que le passage à l’acte de délinquance chez un mineur est souvent lié à un passé d’enfant victime. La chronique judiciaire des faits de sévices sexuels causés par les adolescents et les adultes conduit au triste constat que, fréquemment, les auteurs ont été eux-mêmes des enfants victimes de maltraitance sexuelle.

Tous ces textes trouvent leur cohérence dans l’articulation de trois principes innovants qui, je le pense sincèrement, font consensus : la nécessité de traiter les problèmes le plus en amont possible, ce à quoi les progrès de la pédopsychiatrie nous incitent fortement ; celle de partager l’information, qui implique que l’on ménage une évolution vers un secret professionnel partagé dans le respect des déontologies professionnelles ; celle de coordonner l’accompagnement et le traitement, en raison de la diversité institutionnelle des intervenants : les familles, l’État dans ses fonctions régaliennes et éducatives, les collectivités, les associations et les professionnels.

Ces principes inspirent très largement le texte que nous examinons. Ils s’articulent autour de deux impératifs : la structure familiale reste le cadre naturel d’éducation de l’enfant et l’aide à apporter aux parents pour qu’ils assument leur rôle prime sur toute autre mesure ; toutefois, en cas de défaillance de la famille, il est essentiel que les pouvoirs publics puissent prendre le relais, dans l’intérêt de l’enfant et en se déprenant des habitudes et des préjugés, car il s’agit de faire du sur-mesure.

Il y a donc tout un travail à conduire sur les innovations et les bonnes pratiques. Il est heureux, à cet égard, que des départements aient déjà développé des pratiques innovantes. Vous avez bien voulu, madame la rapporteure, citer le département du Nord, dont une partie importante de la population est en situation de fragilité et de difficulté. Des initiatives et des pratiques nouvelles qu’il a lancées trouvent dans ce texte toute leur justification, en même temps que la sécurité de la loi.

J’apprécie aussi votre initiative d’inscrire dans ce projet de loi le texte de la proposition de loi de MM. Barrot et Paillé, votée à l’unanimité et que j’avais eu l’honneur de rapporter, instituant une délégation parlementaire aux droits de l’enfant. Ce texte était en panne au Sénat ; j’espère maintenant que la disposition franchira l’obstacle de la CMP.

Je pense que nous sommes nombreux dans cette assemblée à avoir de bonnes raisons de voter avec conviction ce projet de loi. Il conforte le principe qui inspire toute notre législation sur les droits de la personne et de la famille : l’intérêt de l’enfant. Dans les situations les plus difficiles, c’est bien là le meilleur message d’espérance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Lilian Zanchi.

M. Lilian Zanchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, dans le cadre de la discussion générale, il importe que nous nous interrogions sur les enjeux de société auxquels ce projet de loi réformant la protection de l’enfance doit répondre.

Dans notre pays, 270 000 enfants sont actuellement pris en charge du fait d’une situation de danger. Ces dix dernières années, 80 000 nouveaux cas ont été signalés en moyenne tous les ans. On constate toutefois une évolution inquiétante des signalements à l’aide sociale à l’enfance. Depuis 2000, nous sommes passés de 83 800 à 95 000, selon les chiffres de l’ODAS, soit 11 200 cas de plus.

Toutefois de quels enfants parlons-nous ? Des mineurs âgés de moins de vingt et un ans ; des enfants maltraités, c’est-à-dire de ceux qui sont victimes de violences, de quelque nature qu’elles soient ; enfin, des enfants en risque de maltraitance : ceux qui « connaissent des conditions d’existence mettant en danger leur santé, leur sécurité, leur moralité, leur éducation ou leur entretien, sans pour autant être malmenés ».

Permettez-moi de m’arrêter un instant sur ces définitions, car nous touchons là le fond du problème auquel nous devons apporter des réponses claires.

S’agissant des enfants maltraités, les enquêtes de victimation nous révèlent que 12,2 % des mineurs sont victimes d’actes de violences, ce qui en fait la tranche d’âge la plus victimisée. Nous sommes bien loin de la traduction statistique de la réalité telle qu’elle est fournie par l’enregistrement des plaintes et les signalements à l’ASE.

Les enfants en risque de maltraitance sont en nombre croissant : 65 500 en 2000, 76 000 en 2004, soit 10 500 de plus sur les 11 200 cas de signalement. Si les enfants confrontés à la maltraitance sont aujourd'hui nombreux, très nombreux aussi sont ceux qui sont exposés aux situations de danger créées par leur environnement familial ou extra-familial.

Face à cette situation préoccupante, vous souhaitez, avec votre projet de loi, ne pas seulement répondre à la maltraitance, mais en organiser la prévention très en amont par des mesures d’accompagnement tant des parents que des enfants. Nous partageons cette philosophie, puisque vous réintégrez ainsi un des fondements de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante : la démarche éducative doit être privilégiée par rapport à la démarche répressive, étant entendu qu’un mineur délinquant est aussi un mineur en souffrance.

Plus encore, l’axe central du projet de loi n’est pas, selon Mme la rapporteure, « de doter la société de nouveaux outils d’encadrement des familles défaillantes, ni de punir leurs carences éducatives, mais plutôt de contribuer à ce que toutes les familles puissent remplir leurs devoirs éducatifs ». « Par cette loi, ajoute-t-elle, la société ne cherche pas à se doter de nouveaux outils pour repérer au plus tôt des comportements déviants. ».

Vous nous avez dit dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, que la prévention est contenue dans la protection. Permettez-moi donc de vous interroger, vous et Mme la rapporteure, sur ce que vous pensez des dispositifs prévus dans la loi relative à la prévention de la délinquance. Sont-ils cohérents avec vos intentions et vos propositions telles que ce texte les traduit ?

Le conseil pour les droits et les devoirs des familles, présidé par le maire, n’est-il pas cet encadrement des familles défaillantes que vous ne souhaitez pas ? Quel sens donnez-vous à l’accompagnement parental, qui consiste en un suivi individualisé au travers d’actions de conseil et de soutien à la fonction parentale ? N’est-ce pas un outil de contrôle des familles par le maire, en raison, notamment, de la délivrance d’une attestation comportant l’engagement solennel des parents à se conformer aux obligations liées à l’exercice de l’autorité parentale ?

Le fichier des données à caractère personnel que peut mettre en place le maire – liste des enfants scolarisés, montant des prestations familiales, absentéisme scolaire et avertissements adressés aux personnes responsables de l’enfant par l’inspecteur d’académie – n’est-il pas, selon les termes mêmes du ministre de l’intérieur, un outil pour repérer au plus tôt des comportements déviants ?

Et que pensez-vous de la possibilité donnée aux conseils généraux de mettre à la disposition des communes et des communautés urbaines, par convention, les services des départements correspondant à tout ou partie de leurs compétences dans le domaine social, alors que vous-mêmes renforcez le rôle du conseil général, qui devient, dans votre projet, une collectivité chef de file ?

Que pensez-vous enfin de l’obligation faite aux parents d’accomplir à leur frais un stage de responsabilité parentale ? N’est-ce pas, là encore, un outil destiné à punir les carences éducatives des parents, ce que vous ne souhaitez pas si l’on en croit le rapport ?

Je pourrais poursuivre la démonstration : le projet de loi sur la prévention – dont le contenu, au demeurant, contredit le titre – s’inscrit en totale opposition avec ce que votre projet de loi a de pertinent. Force est de constater que la politique de votre gouvernement n’a eu de cesse de stigmatiser les jeunes, n’envisageant qu’une seule solution : la répression.

Il nous faudra donc, pour répondre aux questions de l’enfance et de la jeunesse de notre pays, poser les bases d’une refonte totale des politiques que vous avez engagées ou que vous essayez de mettre en place en fin de mandature pour nous faire croire que vous agissez. Nous devrons mener une politique qui englobe la totalité de la sphère de l’enfance, de la prévention primaire à l’insertion professionnelle, en passant par la santé, l’éducation, la formation et la lutte contre la délinquance et la maltraitance ; une politique efficace qui permette à la jeunesse de notre pays de construire un vrai projet de vie ; une politique qui englobe prévention et protection, en clarifiant le rôle des villes et des conseils généraux dans ces domaines et en affirmant la nécessaire place de l’État afin d’assurer la cohérence et la complémentarité des actions engagées.

C’est tout cela qu’il aurait fallu proposer. Les observatoires départementaux et l’observatoire national de l’enfance en danger se révéleront insuffisants si l’on n’étend pas la compétence du comité interministériel de la prévention à la protection de l’enfance. On aura pu attendre une telle disposition de votre texte !

Votre projet, monsieur le ministre, mobilise certes les professionnels et les élus, mais il n’est pas à la hauteur des défis que nous devons relever. Ce n’est donc qu’un préambule à la véritable loi-cadre que nous devrons mettre en chantier pour la prévention et la protection de l’enfance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

(Mme Hélène Mignon remplace M. Yves Bur au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,
vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite d’abord féliciter le Gouvernement d’avoir tenu à ce que la question de la protection de l’enfance soit débattue au Parlement avant la fin de la législature. Trop de drames ont montré que, malgré des dispositions légales très protectrices, la mobilisation de moyens importants et l’engagement des partenaires – notamment des travailleurs sociaux –, des lacunes subsistent. Il fallait y remédier.

Je salue également la méthode employée : pas de tapage médiatique, mais une démarche à la fois sérieuse et discrète, faite de phases de réflexion, de consultation et de proposition. Elle a permis d’aboutir au texte que nous examinons aujourd’hui, à la fois simple et opérationnel.

Je limiterai mon propos à deux observations.

La première concerne la procédure de signalement, qu’il était important d’adapter. Il existe malheureusement mille façons pour un enfant d’être en difficulté, et la réponse binaire jusqu’ici proposée par la loi – le juge ou rien – était à la fois simpliste et brutale. La création d’une cellule pluridisciplinaire, chargée à la fois de recueillir les signalements et de proposer les solutions, me paraît relever du bon sens : une évaluation collégiale est toujours plus sûre qu’une appréciation solitaire ; une réponse graduée est souvent plus adaptée que l’engagement d’une procédure judiciaire.

Ma seconde observation porte sur le rôle, une nouvelle fois affirmé, du président du conseil général comme chef de file dans la mise en œuvre des politiques d’action sociale. De fait, depuis l’engagement de la décentralisation, les départements ont acquis, en matière sociale, un savoir-faire incontestable, grâce à leur proximité avec le terrain et à l’importance des moyens qu’ils ont su engager au fil du temps. Ainsi dans mon petit département du Lot-et-Garonne, les effectifs des travailleurs sociaux ont augmenté de près de 50 % en vingt ans, passant de 140 à 200. Ce savoir-faire a d’ailleurs été acquis grâce notamment aux travailleurs sociaux, dont l’engagement est quotidien et auxquels il faut rendre un hommage appuyé.

Pour autant, je me dois d’exprimer un regret et une inquiétude.

Le regret, c’est que la médecine scolaire n’ait pas encore rejoint le giron des départements.

M. Yves Bur. Très juste !

M. Michel Diefenbacher. Il s’agit non pas d’agrandir à tout prix le pré carré du président du conseil général, mais de reconnaître que les médecins scolaires jouent un rôle essentiel dans la détection des souffrances et que la coordination avec les travailleurs sociaux serait plus étroite et plus constante si les uns et les autres relevaient de la même autorité. Personne n’a oublié les débats idéologiques que cette question avait suscités lors de la discussion de l’Acte II de la décentralisation. Je comprends, monsieur le ministre, que vous n’ayez pas souhaité les raviver à l’occasion de la préparation d’un texte qui tire en partie sa force du consensus qu’il suscite. Toutefois cette question reste ouverte et il faudra bien la traiter un jour.

Mon inquiétude porte sur les charges que, dans leur ensemble, les politiques sociales font désormais peser sur les budgets départementaux.

M. Augustin Bonrepaux. C’est bien vrai !

M. Michel Diefenbacher. Dans mon petit département de 300 000 habitants, les dépenses sociales brutes ont plus que doublé depuis 2001,…

Mme Patricia Adam. Eh oui !

M. Michel Diefenbacher. …passant de 67 millions d’euros à 145 millions. Si l’on déduit de ces montants l’ensemble des compensations financières apportées par l’État et par les recettes d’aide sociale, la charge nette a augmenté de 65 %, progressant de 57 millions d’euros à 94 millions.

Mme Patricia Adam. Eh oui ! Ce n’est pas nous qui le disons !

M. Alain Néri. Il ne faut pas s’étonner de l’augmentation de la fiscalité locale !

M. Michel Diefenbacher. Cette charge supplémentaire représente quarante points de fiscalité.

M. Alain Néri. Voilà !

M. Michel Diefenbacher. J’ai souhaité citer cet exemple pour montrer que la pérennité de l’effort de solidarité, dont personne ne conteste la légitimité, nécessite impérativement, non seulement une compensation systématique des charges nouvelles, mais aussi une politique vigoureuse de péréquation des ressources des collectivités et de contrôle de la dépense. Même si l’impact budgétaire de la réforme proposée reste très limité et que la compensation est assurée, ce point devait être rappelé.

Quels que soient les dispositifs prévus pour la compensation financière, soyons convaincus qu’il n’y a pas d’antinomie entre la rigueur de la gestion et la générosité de l’action sociale, que même l’une ne va pas sans l’autre. Seule la rigueur de la gestion permettra d’ancrer dans la durée la pérennité de l’action sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Madame la présidente, monsieur le ministre, je tiens à féliciter Mme la rapporteure de la qualité de son travail, ainsi que notre collègue Patrick Bloche. Ce projet de loi réformant la protection de l’enfance aborde en effet un sujet essentiel pour notre pays : la préparation de l’avenir de nos enfants, auxquels nous devons permettre de développer harmonieusement leur personnalité et garantir un égal accès à l’éducation et à la formation pour qu’ils deviennent des hommes et des citoyens. Je pense toutefois que ce projet de loi aurait pu être meilleur s’il avait associé un peu plus étroitement les ministères de l’éducation nationale, de la santé et de la justice, car il recouvre tous ces domaines.

Chacun sait, ou devrait savoir, que les premières années de la vie sont déterminantes dans la construction de l’individu, tant de sa personnalité que de son intelligence. En cas de difficulté, il faut donc intervenir très rapidement. Pour être le plus efficace possible, il convient de mettre en œuvre un dépistage précoce, associant les familles, les enseignants et tous les autres acteurs de l’encadrement social.

Un autre facteur essentiel de difficulté pour l’enfant tient à son environnement socioéconomique. Dans ce domaine, il est illusoire de parler d’égalité des chances. C’est justement parce que celle-ci n’existe pas que les pouvoirs publics doivent y contribuer par une véritable politique d’égalisation des chances.

Vous avez certainement lu, monsieur le ministre, Les héritiers, un vieux livre de Bourdieu et Passeron. Les auteurs y affirmaient à juste titre – ne voyez rien là de polémique –, qu’on aurait beau faire, on n’empêcherait pas que les enfants de M. Brejnev aient de meilleures conditions d’éducation que ceux du batelier de la Volga. (Sourires.) Pour faire bonne mesure, aux États-Unis, on considérait les Indiens Osage comme de parfaits ahuris ayant le QI le plus faible de tout le pays, jusqu’au jour où du pétrole fut découvert dans leur réserve : par miracle, leur QI s’est élevé à mesure que les ressources issues du pétrole augmentaient !

L’environnement socioéconomique est si essentiel que l’école et les services médicosociaux doivent absolument en compenser les carences. Nous avons aussi le devoir d’accompagner les familles qui, malgré leur bonne volonté, ne réussissent pas toujours dans leur mission d’éducation. Il me revient à l’esprit le magnifique refrain d’Yves Duteil : « Prendre un enfant par la main et lui montrer le chemin ». Si, à travers ce projet de loi, nous pouvions mener à bien cette mission, nous aurions accompli une démarche sociale qui honorerait la représentation nationale.

Monsieur le ministre, ce texte nous paraît bon sur de nombreux points, mais il aurait mieux valu le discuter avant le projet de loi sur la prévention de la délinquance. Il me semble que vous partagez notre point de vue, madame la rapporteure. Cela aurait évité des polémiques inutiles.

M. Yves Bur. C’est bien vrai !

M. Alain Néri. Nous aurions pu également éviter un éventuel télescopage avec le texte relatif à l’égalité des chances, qui prévoit un contrat de responsabilité parentale.

Beaucoup de remarques que je partage ont déjà été formulées. Compte tenu du peu de temps dont je dispose, j’insisterai surtout sur les difficultés financières auxquelles nous risquons d’être confrontés. Chacun a d’ailleurs constater qu’il ne s’agit pas d’un sujet de polémique puisque même M. Diefenbacher a fait part de ses craintes à ce sujet. S’il a déjà des difficultés dans un département de 300 000 habitants, qu’en sera-t-il pour moi qui suis vice-président du conseil général chargé des affaires sociales, dans un département de 600 000 habitants ? Je risque d’en rencontrer deux fois plus !

Le sujet n’est, certes, pas celui d’aujourd’hui, mais je souhaite élargir la réflexion sur la conduite de la décentralisation et lancer un appel à l’État.

Certes la plupart d’entre nous sont de fervents défenseurs de la décentralisation. Depuis 1981, elle a fait son chemin et les réticences ont fait place à l’intérêt bien compris. Néanmoins, nous n’arriverons à en faire un véritable outil de proximité et d’amélioration de nos actions en direction de nos concitoyens que si les compétences des différents acteurs sont clairement définies, ainsi que les moyens financiers qui leur sont accordés. J’engage le Gouvernement d’aujourd’hui et celui de demain – que, j’espère, nous conduirons (Sourires) –…

M. Augustin Bonrepaux. Cela ne fait aucun doute !

M. Alain Néri. …à définir clairement les compétences régaliennes de l’État, à les assumer, et à définir celles des conseils généraux et des conseils régionaux. Il faut en finir avec les financements croisés auxquels plus personne ne comprend rien !

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Néri.

M. Alain Néri. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous rassuriez sur les transferts financiers qui accompagneront les transferts de compétences aux départements. Ceux-ci jouent déjà un rôle essentiel dans la solidarité puisque c’est l’une de leurs compétences de base. Les conseils généraux s’impliquent en effet déjà fortement dans la politique de la PMI et de l’ASE.

Au moment où la CAF se désengage des contrats éducatifs locaux et où les moyens alloués à la pédopsychiatrie sont en baisse, je vous lance un appel au secours : nous avons la volonté de conduire une véritable politique de soutien à l’enfance en danger, mais garantissez-nous que les conseils généraux disposeront des 115 millions d’euros indispensables pour mener à bien leur action,…

Mme la présidente. Monsieur Néri !

M. Alain Néri. …dites-nous qu’un véritable transfert de crédits accompagnera ce transfert de charge que nous acceptons volontiers. Sur un sujet aussi rassembleur, nous ne voudrions pas que s’engage une polémique et être accusés de mauvaise gestion départementale en ayant été contraints, faute de moyens, d’augmenter les impôts locaux pour mettre en œuvre ce projet de loi porteur de nombreuses avancées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bur.

M. Yves Bur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi traite d’une réalité parmi les plus douloureuses de notre société : les violences de toute nature faites aux enfants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 270 000 enfants sont pris en charge aujourd’hui par les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance.

Après le temps fort de la mission d’information sur le droit de la famille et les droits des enfants, dont le rapport proposé par notre rapporteure Valérie Pecresse a été adopté à l’unanimité, il est heureux, monsieur le ministre, que vous nous proposiez d’actualiser les dispositifs de protection de l’enfance. Face à ce phénomène de société qui constitue une véritable régression sociale – car il ne s’agit pas de cas isolés, mais d’une tendance lourde –, nous devons être plus réactifs et plus efficaces. Nous devons répondre à la souffrance intolérable d’enfants mis en danger par des adultes, par des parents indignes ou inconscients de leurs responsabilités.

L’accroissement très sensible des situations à risque me paraît particulièrement préoccupant.

Ainsi, dans le département du Bas-Rhin, le nombre d'enfants placés sous la protection du département est passé en six ans de 4 000 à 6 000. Une telle évolution souligne l'impérieuse nécessité de promouvoir des dispositifs de prévention plus attentifs, ce qui est l'un des axes forts de ce projet de loi pour limiter le nombre de situations en devenir et protéger ainsi les enfants.

Renforcer le dépistage précoce exige d'abord de redéfinir les missions de la protection maternelle et infantile pour l'orienter davantage vers une approche médico-sociale, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui, car, trop souvent, ces professionnels se réfugient derrière leurs missions réglementaires au détriment d'une action globale de prévention et d'action, y compris dans leurs relations avec les communes. Il serait à cet égard très utile d'actualiser le cadre réglementaire définissant les missions de la PMI.

Renforcer la prévention précoce, c'est affirmer davantage la présence de la PMI au sein même des maternités pour mettre en place l'accompagnement adéquat si des difficultés apparaissent dans la construction du lien mère-enfant. Une telle présence ne peut reposer sur les seules relations personnelles qui existent ou n'existent pas entre les intervenants de la PMI et des maternités ; des conventions doivent institutionnaliser cette intervention préventive dans les maternités publiques comme privées. Nous devons en particulier réfléchir aux moyens d'inclure le père dans ces démarches préventives pré et post-natales, car le père est souvent le grand absent de nos actions institutionnelles.

Je veux souligner les bonnes intentions de votre projet, notamment en ce qui concerne le rôle de la médecine scolaire, en proposant de multiplier les rendez-vous des élèves avec la médecine scolaire et en élargissant le contenu du suivi, en particulier aux aspects liés à la santé psychique.

Ce qui me préoccupe, et préoccupe aussi les services de protection dans mon département, c'est la multiplicité des interventions institutionnelles, qui resteront toujours un facteur d'inefficacité dans la prévention comme dans la prise en charge ; les élus locaux le constatent régulièrement.

Pour ma part, je pense que nous faisons encore preuve de frilosité. Il serait grand temps de tourner le dos aux petits corporatismes pour obtenir encore davantage de cohérence autour de la santé et de la protection des enfants à l'école. C'est la raison pour laquelle je milite, comme d’autres collègues, pour l'intégration de la médecine scolaire dans une protection maternelle infantile et scolaire élargie qui serait beaucoup mieux articulée avec le service de protection de l'enfance comme avec l'action sociale de proximité.

Dans une telle approche, c'est bien l'efficacité de l'action publique autour de l'enfant, à ses différents âges, et dans son contexte familial et social, qui serait au cœur d'une nouvelle cohérence centrée sur l'usager – l’enfant en l’occurrence –, et non freinée par des revendications liées aux statuts et non aux objectifs de l'action sociale.

Il faut de plus optimiser les moyens des départements en mutualisant davantage ces moyens avec d’autres secteurs, notamment ceux de la pédopsychiatrie.

Cela me conduit à indiquer, à l'instar de Pierre Méhaignerie, que, avant de solliciter comme toujours des moyens supplémentaires, il est indispensable d’optimiser les moyens existants, mais par trop dispersés, pour leur donner davantage d'efficacité. L'expérience nous montre que la fuite en avant financière n'est pas une garantie suffisante pour renforcer l’efficacité de l'action publique, laquelle doit d'abord être mieux organisée et mieux évaluée.

En espérant que ces quelques remarques contribueront à faire mieux encore, je souhaite que la prise de conscience collective visant à améliorer la protection des enfants dans ce pays soit largement partagée.

En effet, face aux difficultés croissantes rencontrées par un nombre toujours plus grand de parents ou de mères isolées pour avoir une vraie conscience des exigences de leur mission parentale, je ne sais pas si l'action publique, aussi efficace qu’elle puisse devenir, suffira à pallier cette dégradation inquiétante du comportement des familles et des parents. Il nous faudra faire preuve de constance et d'une volonté politique déterminée pour accorder à cette question sociétale toute la priorité requise.

En effet, il est insupportable de lire dans le regard d'un enfant, d'un tout petit enfant sans défense, toute la détresse d'un petit être qui souffre dans sa chair, qui ne comprend pas ce qui lui arrive, de voir ses yeux apeurés et hagards qui nous demandent de lui épargner le calvaire d'une enfance, d'une innocence qu'on lui arrache et qui le marquera au plus profond de son être. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Mallié.

M. Richard Mallié. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut le nier, la famille de 2007 n'a plus rien à voir avec celle qui existait il y a vingt ou trente ans. Qu'elle soit recomposée ou monoparentale, la cellule familiale est aujourd'hui bien souvent éclatée, fragilisée. Il suffit pour cela de rappeler qu'actuellement, un mariage sur trois, voire un sur deux à Paris, se solde par un divorce.

Que l'on regrette ou condamne cet état de fait n'est pas la question. Nous sommes ici face à une évolution sociologique importante et il faut en prendre acte. Toutefois, nous ne pouvons rester inactifs face à cette évolution et nous avons le devoir d'adapter notre législation, comme le fonctionnement de certaines de nos institutions, à cette nouvelle donne. En effet, si la famille d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle qu'ont connue nos parents, les besoins de nos enfants, eux, n'ont pas changé, bien au contraire ! Je dirais même qu'aujourd'hui plus qu'hier, nos enfants ont besoin de structuration, de repères et de protection.

Je ne peux donc que vous féliciter, monsieur le ministre, d'avoir eu le courage de nous présenter ce texte, qui va créer les aménagements juridiques nécessaires à une meilleure protection de nos enfants.

La protection de nos enfants ne peut plus se cantonner à une sphère de prévention contre les mauvais traitements, comme le prévoyait le dispositif législatif issu de la loi du 10 juillet 1989. Certes, le chemin à parcourir en matière de lutte contre les maltraitances infantiles reste long et sinueux. N'oublions pas, en effet, qu'en ce début de XXIe siècle, chaque semaine, deux enfants continuent à succomber aux mauvais traitements infligés dans le cadre de leur cellule familiale. Cependant ce champ d'action ne peut plus être le seul, car les menaces qui pèsent aujourd'hui sur nos chérubins ne sont plus seulement d'ordre physique ; elles sont également psychiques.

À titre d'exemple, si l'internet est une formidable révolution, cet outil peut également présenter de graves dangers s'il est mal utilisé, notamment pour les plus jeunes. Il devient donc urgent d'encadrer son usage. En la matière, j'ai apporté mon soutien à un amendement de M. Bruno Gilles, qui vise à obliger les fournisseurs d'accès à internet à proposer gratuitement à toutes les familles françaises un logiciel de filtrage efficace à destination des plus jeunes.

Je tenais également à vous faire part de toute ma satisfaction, monsieur le ministre, quant à la place que ce texte entend donner à la parole de l'enfant dans le cadre des procédures de divorce. Je connais particulièrement ce sujet et les failles que présentait notre droit en ce domaine. En mai 2004, j'avais déjà déposé une proposition de loi visant à rendre obligatoire l'audition de l'enfant âgé d'au moins sept ans dans toute procédure le concernant. Cette mesure permettra à bien des enfants de pouvoir enfin exprimer leur ressenti profond face au juge, loin des tiraillements dont ils peuvent être victimes au quotidien. Dans les procédures de divorce, s'il est bien une parole qu'il faut respecter et écouter, c'est celle de l'enfant.

S’agissant des procédures de divorce, il aurait été bon que ce texte se penche également sur la question de la garde alternée. La possibilité de mettre en place une résidence en alternance est, en effet, une décision que les magistrats ne prennent que trop rarement. Pourtant, c'est une solution particulièrement propice à l'équilibre des enfants. En effet, comme je l’ai déjà souligné, dans notre société aux contours de plus en plus flous, les jeunes ont plus que jamais besoin de structuration, de repères forts pour se construire et s'épanouir. La présence du père et de la mère dans leur quotidien fait partie de ce processus de structuration essentiel.

La voie de la résidence en alternance a été ouverte par l'adoption de la loi du 4 mars 2002. Malheureusement, l'application de ce texte n'a jamais été véritablement effective. En effet, il a été remarqué que, d'une manière générale, le parent qui s'opposait à cette solution obtenait gain de cause. Les statistiques sont d'ailleurs là pour le prouver. La dernière étude du ministère de la justice sur le sujet montre en effet qu'en cas de désaccord, le juge rejette la modalité de l'alternance dans 75 % des décisions définitives, et deux fois sur trois pour les décisions provisoires.

Cette posture de conflit n'est toutefois pas conforme à l'intérêt de l'enfant. Il semblerait donc opportun de renverser la charge de la preuve et de prévoir la résidence en alternance dès lors que l'un au moins des deux parents en formule la demande. Ainsi, c'est au parent qui souhaiterait s'opposer à ce mode de garde qu'il appartiendrait de justifier sa position. J'avais d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens en avril 2004. Cette solution me semble être la plus conforme à la préservation de l'intérêt de l'enfant.

En effet c'est bien de ça qu'il s'agit : protéger nos enfants et éviter, une fois de plus, qu’ils ne deviennent une véritable monnaie d'échange, un nouvel enjeu de tractation entre les deux parents.

Enfin, dans le cadre de leur formation, nos magistrats ne sont pas assez sensibilisés aux conflits de famille, pas assez armés pour trancher rapidement et le plus justement possible, ces situations douloureuses. Pourtant, des solutions existent. À titre d'exemple, les confronter au retour d'expérience de pères ou mères de familles ayant vécu l'épisode délicat d'un conflit familial permettrait de les sensibiliser davantage aux affaires qu'ils auront à juger. Le président d'une association de ma circonscription, « l'enfant a des droits », a notamment déposé, sur les conseils du garde des sceaux, un mémoire à ce sujet auprès du directeur de l'École nationale de la magistrature. Malheureusement, depuis plus de deux ans et malgré de multiples interventions, cette démarche est toujours lettre morte ; je le regrette.

Si les chantiers à entreprendre en matière de protection de l'enfance demeurent donc nombreux, on ne peut toutefois qu'accueillir favorablement ce projet de loi qui permet déjà de formidables avancées en ce domaine.

Je suis tout particulièrement attaché aux questions relatives aux droits des enfants. Les nombreux travaux parlementaires auxquels j’ai participé sur le sujet le prouvent. Mon implication est celle d'un élu, celle d’un maire d'une commune de 12 000 habitants que j'ai été pendant treize ans, mais aussi celle d'un père de trois enfants, qui ne peut définitivement pas rester insensible à ce genre de problématique. Si la vie a préservé mes enfants de conflits familiaux douloureux, c'est malheureusement loin d'être le cas de tous les petits Français. C'est donc en leur nom qu'il me semble important, aujourd'hui, d'adopter ce texte qui viendra en aide à nombre d'entre eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

(M. Yves Bur remplace Mme Hélène Mignon au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, dernier orateur inscrit.

M. Georges Fenech. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, il me revient effectivement de clore cette discussion générale.

Le texte sur la protection de l’enfance qui nous est soumis, était très attendu par tous les acteurs de la protection de l’enfance, qu’ils soient élus ou magistrats, par les services sociaux, par les associations et par les parents eux-mêmes. Il répond en outre aux objectifs fixés par la Convention internationale sur les droits de l’enfant de l’ONU du 20 novembre 1989, dont la France est signataire depuis 1990.

Ces mesures étaient nécessaires. Elles clarifieront et compléteront utilement les dispositifs existants, en renforçant également les moyens budgétaires et humains.

Compte tenu du temps limité qui m’est imparti, je cantonnerai mon intervention à la question douloureuse des enfants victimes de l’emprise sectaire, car ils ne bénéficient pas encore de toute la protection des pouvoirs publics qu’ils sont en droit d’attendre. Cette question a déjà été évoquée dans le cadre de cette discussion par plusieurs de mes collègues siégeant sur tous les bancs de cette assemblée.

Je vous rappelle à ce sujet, monsieur le ministre, que l’Assemblée nationale a voté, à l’unanimité, le 26 juin 2006 une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé mentale et physique des mineurs. J’en ai assuré la présidence, tandis que la fonction de rapporteur était dévolue à M. Philippe Vuilque, député du groupe socialiste.

Le rapport a été publié le 19 décembre 2006. Les conclusions qui se dégagent de ces travaux ont permis à la commission d’enquête de dresser unanimement un double constat : d’une part, les enfants constituent une proie de plus en plus facile pour les sectes ; d’autre part, l’engagement des pouvoirs publics contre l’influence des dérives sectaires sur les enfants doit être renforcé.

M. Serge Blisko. Absolument !

M. Georges Fenech. Je sais parfaitement, monsieur le ministre, que votre texte ne concerne pas le phénomène sectaire, mais les enfants victimes des mouvements à caractère sectaire constituent aussi une réalité, dont il faut tenir compte.

Les amendements que j’ai déposés s’inscrivent dans cette logique, dans l’esprit qui est le vôtre et celui de votre projet. Je les défendrai avec force lors de l’examen des articles, car je n’ai pas eu tout le loisir de développer en commission, compte tenu du temps qui m’était imparti, tous les arguments que je souhaitais évoquer.

Oui, monsieur le ministre, je proposerai à l’Assemblée nationale pour donner corps législatif à une partie des cinquante propositions que nous avons formulées, vingt et un amendements à votre projet de loi.

Au préalable, je veux insister sur trois sujets qui me paraissent cruciaux pour mieux garantir la protection d’une population particulièrement vulnérable.

Le premier est la santé des mineurs, plus précisément les contrôles médicaux des enfants en âge scolaire non scolarisés.

Force est de constater que les enfants instruits dans les familles ou dans un établissement privé hors contrat ne bénéficient pas de la même protection médicale et des mêmes contrôles médicaux obligatoires dès l’âge de six ans comme les autres enfants scolarisés. Je proposerai donc de les inclure dans le code de la santé publique comme bénéficiaires de ce contrôle médical obligatoire au même titre que les autres enfants de la République.

Ensuite, sans remettre en cause la liberté d’enseignement dans les familles, notre commission a considéré qu’il fallait justifier d’une cause légitime pour priver l’enfant des avantages d’une scolarisation dans un établissement public ou privé. Nous avons proposé des critères objectifs comme l’état de santé, le handicap, le déplacement de la famille ou toute autre raison réelle ou sérieuse. Je sais que cette proposition soulève des difficultés et inquiète certaines familles. Je rappelle que d’autres pays européens, à l’instar de l’Allemagne, rendent obligatoire la scolarisation des enfants. C’est le gage, pensons-nous, d’une éducation de qualité, d’une ouverture d’esprit de l’enfant pour lui permettre de devenir, au contact des autres, un citoyen libre et éclairé au sens de la Convention internationale des droits de l’enfant. C’est du reste cet engagement qu’utilisent les sectes pour enfermer socialement les enfants.

À tout le moins, si ce dispositif vous paraît aller à l’encontre d’un principe constitutionnel, il importe au minimum d’inscrire explicitement dans la loi ce qu’une ancienne et pérenne jurisprudence a établi. J’y reviendrai au cours de la discussion de l’article concerné.

Le temps me faisant défaut pour développer ces différents points, je vais à l’essentiel.

C’est cet enfermement social dû à la liberté sans contrôle d’enseignement dans les familles que notre commission d’enquête a pu constater en se déplaçant dans les Pyrénées-Atlantiques pour visiter la communauté Tabitha’s Place. Sous le prétexte de la liberté d’enseignement dans les familles, nous avons découvert dix-huit enfants en âge scolaire totalement hors du temps et entièrement coupés de la réalité sociale.

Je vous pose la question, monsieur le ministre : est-il normal, au nom de la liberté d’enseignement dans les familles, de priver un enfant de toutes les autres libertés fondamentales, reconnues par la Convention internationale des droits de l’enfant ?

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Évidemment non !

M. Georges Fenech. La représentation nationale ne peut pas évacuer cette question sous prétexte de respect d’une liberté inscrite dans la Constitution et non précisée par nos textes.

Je propose également d’enrichir la loi About-Picard votée à l’unanimité sur l’abus de vulnérabilité en incriminant l’enfermement social.

Je suggérerai enfin de donner le droit aux grands-parents, au même titre que les parents, de pouvoir saisir le juge des enfants en cas de situation de danger, d’autant que les deux parents peuvent appartenir à un mouvement à caractère sectaire. Je regrette que la commission ait rejeté ce dispositif, mais je suis convaincu que nous finirons par l’adopter.

Je ne doute pas, monsieur le ministre, mers chers collègues, que vous serez sensibles à la situation dramatique que vivent environ 60 000 à 80 000 enfants dans notre pays, en accueillant favorablement mes amendements. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs, je tiens à vous remercier les uns et les autres pour la qualité de cette discussion générale qui fait honneur à la représentation nationale sur une question qui appelle de notre part beaucoup de responsabilité et une conscience aiguë non seulement des difficultés auxquelles de nombreux enfants de notre pays sont confrontés, mais aussi des difficultés que rencontrent leurs parents. Il s’agit non pas, en effet, d’opposer les parents aux enfants, mais de faire en sorte, dans toute la mesure du possible, que la cellule familiale puisse fonctionner harmonieusement.

Je veux remercier en particulier Mme Valérie Pecresse d’avoir accepté la charge de rapporter ce projet de loi. Je salue également l’excellent travail qu’elle a accompli au sein de la mission sur la famille dont elle a été la rapporteure et à laquelle beaucoup d’entre vous ont participé sous la présidence de M. Bloche.

Avec beaucoup d’autres, M. Delnatte s’est réjoui que de nombreuses propositions de cette mission soient reprises dans le texte que le Gouvernement a l’honneur de vous présenter. Tel est effectivement le cas, car les propositions de cette mission rejoignaient très largement, grâce à l’ampleur des auditions auxquelles elle a procédé, les constats, les analyses et les attentes des professionnels, des associations et des responsables de l’aide sociale à l’enfance.

Au-delà de la lutte contre la maltraitance, vous souhaitez, madame la rapporteure, promouvoir la « bien-traitance » des enfants. Telle est bien notre intention dans ce projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui. C’est en effet, par-delà les cas pathologiques les plus douloureux, ceux qui donnent lieu aux souffrances fort bien décrites par M. Bur au cours de son intervention, que se situe l’ambition de cette réforme.

Vous avez également, madame la rapporteure, posé la question de l’articulation entre le projet de loi de protection de l’enfance et celui relatif à la prévention de la délinquance. Cette interrogation a été reprise par un certain nombre d’orateurs qui se sont succédé à la tribune. Pour ma part, je suis très satisfait de la qualité du travail que nous avons accompli avec le ministre d’État, ministre de l’intérieur, pour que les deux textes soient complémentaires.

Le projet sur la protection de l’enfance poursuit un objectif : la protection des enfants. Le texte sur la prévention de la délinquance vient compléter notre politique de lutte contre l’insécurité en ajoutant un volet préventif au volet répressif que nous avons su développer avec efficacité au cours des années récentes sous l’impulsion du ministre de l’intérieur.

L’objet des deux textes est, certes, très différent : l’un vise à protéger la société contre les risques d’insécurité liée à la délinquance en la prévenant mieux ; l’autre tend à protéger les enfants contre des risques générés par la société elle-même, des risques dont la famille peut être porteuse alors qu’elle devrait être le lieu de l’épanouissement et de la protection de chaque enfant.

Si les objets sont différents, il y a néanmoins des points de recouvrement.

En effet le texte sur la prévention de la délinquance comporte ainsi un certain nombre de dispositions organisant le travail social autour du maire et permettant de mieux coordonner les interventions sociales des départements, des centres communaux d’action sociale et des caisses d’allocations familiales, ce qui est indispensable. Vous vous rappelez sans doute que j’ai personnellement défendu ces dispositions que je crois bienvenues pour l’organisation du travail social en France et respectueuses de la nécessité de préserver le secret professionnel. Nous avons prévu le partage de certaines informations, dans des conditions strictement encadrées, lorsque l’intérêt de l’intervention sociale l’exigeait et dans le but de rendre l’action plus efficace.

Cependant ce texte sur la protection de l’enfance ne s’inscrit pas dans cette optique de dispositions de coordination du travail social. En effet il comprend des dispositions particulières en raison de la nécessité de prévoir des précautions spécifiques en ce qui concerne la protection de l’enfance. Cela correspondait non seulement à ma volonté mais aussi à celle de tous les intervenants consultés : les départements, les professionnels de l’aide sociale à l’enfance et l’ensemble des associations qui ont participé à la préparation de ce projet de loi.

Puisque vous avez évoqué – M. Mallié et plusieurs autres parlementaires – la question de l’internet et des risques pour les enfants, je souligne que la France se veut exemplaire dans ce domaine.

Dès la fin de l’année dernière, j’ai ainsi conclu – la France est le seul pays à l’avoir fait – avec les fournisseurs d’accès un accord qui a été mis en œuvre à partir du mois d’avril 2006. Il prévoit qu’un logiciel de filtrage gratuit et efficace soit systématiquement proposé à l’internaute, au moment de l’installation d’un kit de connexion à l’internet. Tous les internautes français peuvent aujourd’hui se doter de ce logiciel qui assure une protection supérieure à ce qui existe dans les autres pays européens, lesquels, du reste, ont commencé à s’inspirer de ce modèle français dans le but de mieux protéger leurs enfants.

Vous avez également évoqué, madame la rapporteure, la question de la kafala, question délicate dont nous avons eu l’occasion de nous entretenir et que vous avez étudiée au sein de la mission famille de votre assemblée.

Je comprends fort bien que la réalité à laquelle nous sommes confrontés appelle des corrections. Néanmoins je dois souligner aussi qu’il nous faut bien approfondir cette question en tenant compte des rapports entre la législation nationale et celle des pays d’origine pour être efficaces. Il s’agit d’un problème que nous ne pouvons, malheureusement, traiter de manière isolée, car il faut prendre en compte les relations que nous avons à développer – et qui sont bonnes – avec les gouvernements de ces pays, au premier rang desquels je cite le Maroc et l’Algérie.

M. le président Dubernard s’est exprimé, comme toujours, mais plus encore s’agissant d’une question d’une telle sensibilité, avec une humanité à laquelle je tiens à rendre hommage comme à sa conscience très aiguë de notre responsabilité collective dans la chaîne des générations. Il est vrai que nous avons pu mesurer l’absence de soins intolérable pour un grand nombre d’enfants de notre pays : près de 100 000 avez-vous dit, citant les chiffres de l’ODAS. C’est une réalité à laquelle le Gouvernement a voulu répondre en facilitant l’accès aux soins des familles. Ainsi nous avons prévu, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 – et je vous remercie d’avoir soutenu ce texte – de faciliter l’accès aux aides permettant l’acquisition d’une bonne mutuelle par les familles les plus démunies dont le revenu ne leur permet pas de bénéficier de la couverture maladie universelle. Près d’un million de personnes supplémentaires bénéficieront, grâce à la disposition que vous avez adoptée, d’une meilleure couverture de santé. C’est un élément important que je tenais à rappeler.

Madame Adam, vous avez exprimé votre désaccord sur les aspects financiers de ce projet de loi.

Mme Patricia Adam. Je n’ai pas été la seule !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. J’allais le dire ! Cette question a, en effet, été soulevée par plusieurs intervenants sur tous les bancs : M. Bloche, M. Néri, mais aussi M. Diefenbacher et M. Bur qui se sont également exprimés à ce sujet, mais pas toujours dans les mêmes termes.

La responsabilité de la protection de l’enfance incombe aux départements depuis vingt-deux ans. Il est parfaitement exact qu’un certain nombre d’entre eux ont déjà pris des dispositions qui leur permettront d’appliquer la loi sans grande difficulté parce qu’ils ont pris de l’avance sur le travail législatif. En revanche d’autres départements n’ont pas été aussi actifs pour des raisons qui leur appartiennent et qui peuvent tenir à leurs propres difficultés financières.

Avant de songer à augmenter les moyens des départements, M. Bur nous a invités à réfléchir à une optimisation des moyens qu’ils consacrent déjà à la protection de l’enfance.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Il a raison ! Et pas seulement dans ce domaine !

Mme Muguette Jacquaint. Mais il ne faut pas pénaliser ceux qui l’ont déjà fait !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. L’on peut être à la fois un ardent défenseur d’une réforme ambitieuse de la protection de l’enfance et, pour autant, être attentif à l’équilibre des finances publiques.

Il faut apporter une réponse à ce débat qui a été bien posé : les départements consacrent aujourd’hui 5 milliards à la protection de l’enfance, premier poste de dépenses des départements. L’investissement est considérable.

Il est vrai aussi que la réforme que je vous propose n’est pas une réforme de moyens. Il s’agit d’une réforme d’organisation, qui pose des règles de référence pour que ceux qui sont en queue de peloton dans le domaine de la protection de l’enfance rejoignent ceux qui sont en tête. Ces règles n’ont pas pour vocation d’entraîner de lourdes dépenses supplémentaires. Au regard des 5 milliards d’euros déjà engagés, j’évalue l’effort que les départements auront à consentir à 115 millions d’euros supplémentaires, à l’issue d’une montée en régime de la réforme sur trois ans. À cela s’ajoutera un effort de 35 millions plus particulièrement destiné à la médecine scolaire et aux services sociaux des collèges et des lycées.

Si j’ai voulu qu’une étude de l’impact financier de la réforme soit menée avant qu’elle ne vous soit présentée – ce qui est assez rare, permettez-moi de le souligner – c’est avant tout par acquit de conscience car 150 millions d’euros sur 5 milliards d’euros ne représentent guère que l’épaisseur d’un trait. En fait j’ai voulu éviter de mettre en difficulté les départements, qui supportent aujourd’hui des charges et des responsabilités très lourdes ; je pense à l’APA, créée sans que les financements nécessaires aient été prévus (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Eh oui !

M. Alain Néri. Et le RMI ?

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. S’agissant du RMI, le transfert des compétences a été intégralement financé et je défie qui que ce soit de soutenir le contraire. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Alain Néri. Nous vous prenons au mot !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Le ministre a raison !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Telle n’est pas la question dont nous avons à débattre aujourd’hui.

M. Alain Néri. C’est vous qui la soulevez !

M. le président. Laissez poursuivre le ministre !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Je me suis donc montré soucieux de l’équilibre financier des départements.

M. Alain Néri. M. Diefenbacher n’aurait donc rien compris !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. En effet, c’est une réelle préoccupation pour notre gouvernement, à l’inverse d’autres gouvernements qui l’ont précédé ; je vous le dis en toute franchise.

Notre réforme n’est donc pas une réforme de moyens ;…

M. Alain Néri. En effet, c’est une réforme sans moyens !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. …c’est une réforme d’organisation.

Comment va-t-on procéder ?

Comme je n’ai pas voulu me voir reprocher par les présidents de conseil général de ne pas leur fournir les moyens nécessaires, j’ai fait un geste en leur direction. Ainsi que vous aurez l’occasion de le constater lors de la discussion des articles, il a été prévu de créer un fonds, alimenté à la fois par l’État et par la Caisse nationale d’allocations familiales (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)

M. Alain Néri. Elle n’a plus de sous !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. …dont la vocation est d’aider les familles à assumer leurs responsabilités à l’égard des enfants, notamment à travers les réseaux d’aides aux parents et les techniciens d’intervention sociale et familiale.

Aujourd’hui, les familles attendent davantage de services et ma politique est de développer de tels services qui trouvent leur juste place dans cette réforme de la protection de l’enfance.

M. Alain Néri. Les contrats enfance sont en diminution !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Puisque la question budgétaire a été posée, il importe de la ramener à une juste proportion.

Nous faisons notre devoir, sans entraîner pour les départements des charges supplémentaires qu’ils ne pourraient pas supporter. L’initiative politique que j’ai prise n’est pas le moins du monde dictée par une contrainte constitutionnelle, car il s’agit non pas de transférer de nouvelles compétences, mais de faciliter l’exercice de compétences que les départements assument depuis vingt-deux ans déjà.

M. Claude Leteurtre s’est inquiété d’un danger normatif. Pour ma part, quand j’entends le récit de drames comme ceux évoqués tout au long de l’après-midi, je m’inquiète de l’absence de règles là où il en faudrait. Je regrette que, aujourd’hui, l’on puisse s’abriter derrière ce manque, dans le travail social mené auprès des familles et des enfants, pour ne pas communiquer à d’autres professionnels, soumis au secret, des informations déterminantes pour mettre au jour les difficultés d’un enfant qui, faute d’avoir été détectées, ne peuvent être traitées.

Dans certains cas, des règles sont nécessaires. J’ai essayé de les limiter au strict minimum. Néanmoins, après avoir entendu les professionnels, les présidents de conseil régional, les magistrats, les médecins, les associations, j’ai pensé qu’il était indispensable de fixer la norme, comme c’est le devoir du législateur de le faire, afin que puissent être évitées des tragédies comme celles qui ont malheureusement fait la une de l’actualité au cours des dernières années. Ne restons pas les mains dans les poches, ne nous contentons pas d’initiatives disparates et sans cohérence. Prenons les devants en fixant des règles pour améliorer la qualité de la protection de l’enfant dans notre pays.

Ce texte offre des garanties pour tous les enfants de France, sans volonté aucune de marginaliser ou de stigmatiser certains. Il entend, au contraire, faire en sorte que ceux qui sont en marge puissent rejoindre le lot commun, retrouver à l’intérieur de leur famille les conditions d’un bon développement et prendre leur place aux côtés des autres enfants, à l’école, dans les centres de loisir, dans la vie sociale. La marginalisation précoce touche les enfants victimes de maltraitances, qui ne sont pas suivis alors qu’ils en auraient besoin. Nous voulons mettre fin à cela en les aidant et non en les stigmatisant, comme l’a prétendu un autre orateur.

J’ai été heureux d’entendre M. Patrick Delnatte souligner combien il était important d’aider les parents à assumer pleinement leur rôle. Beaucoup d’entre eux sont en effet dépassés par la responsabilité qui leur incombe d’élever leurs propres enfants. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai souhaité, dans le budget pour 2007, que soient doublées les aides de l’État aux réseaux d’aide à la parentalité, les fameux REAP. À cet égard, la mission famille a bien fait d’insister sur ce point, qui me paraît extrêmement important.

Madame Jacquaint, je tiens d’abord à vous remercier d’avoir, d’entrée de jeu, annoncé l’abstention du groupe communiste que je perçois comme une non-opposition au texte présenté. Merci aussi d’avoir souligné que cette intention d’abstention précédait les débats, ce qui me laisse espérer qu’elle se transformera, à leur issue, en vote positif.

Mme Muguette Jacquaint. N’allons pas trop loin !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Le groupe socialiste du Sénat ne s’est-il pas prononcé pour une « abstention positive », autrement dit un vote positif qu’il n’a pas osé assumer ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Néri. Ne nous cherchez pas !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Madame la députée, je salue l’ouverture d’esprit dont vous avez fait preuve et je dois dire que je partage beaucoup de vos constatations.

Vous avez insisté sur les disparités de situation entre les départements. Sachez que c’est une inquiétude que je partage : le présent texte a précisément pour but de les réduire. Beaucoup de départements sont en avance ; certains autres sont en retard et il s’agit, à travers cette réforme, de fixer un seuil que tous doivent atteindre. Au-delà du projet proprement dit, je souhaite que les guides de bonnes pratiques élaborés par les professionnels eux-mêmes à partir des meilleurs exemples – j’évoquerai certains projets concernant l’entretien ou la lutte contre la maltraitance – contribuent à uniformiser les pratiques de protection sur l’ensemble de notre pays et sans remettre en cause une décentralisation qui, loin d’avoir démérité, a porté d’excellents fruits en matière de protection de l’enfance.

S’agissant de la médecine scolaire, je veux rendre hommage à Gilles de Robien qui a su, en s’impliquant personnellement dans l’élaboration de cette réforme, prendre en compte l’exigence du renforcement de ce secteur. Un programme de recrutement d’infirmières scolaires, au rôle si important, a déjà été mis en place sur trois années. Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine et cette réforme contribuera à faire avancer les choses car elle prévoit un certain nombre d’examens médicaux qui nécessitent le recrutement de médecins scolaires.

Certains d’entre vous ont regretté que, à l’occasion des nouvelles lois de décentralisation adoptées sous cette législature, la PMI et la médecine scolaire n’aient pas été réunifiées. Effectivement, c’est une question que l’on aurait pu se poser et qui est liée à une longue histoire.

Au début des années quatre-vingt, la majorité de l’époque a décroché la médecine scolaire des directions départementales de l’action sanitaire et sociale et, à l’occasion des transferts de compétences liées à la décentralisation, la PMI, auparavant liée à la médecine scolaire, est passée aux départements tandis que cette dernière est restée dépendante de l’État. Cela a constitué une erreur et il faudra un jour reconsidérer cette situation. Je vais donc dans le sens qu’ont indiqué certains intervenants au cours de cette discussion générale.

Quant à vous, madame Adam, vous avez souligné, comme Alain Néri, les difficultés rencontrées par la pédopsychiatrie en France. Je ne vais pas les nier mais, aujourd’hui, le plan « Santé mentale » permet de remonter la pente. Il était temps ! Des sessions interrégionales ont été mises en place en 2006 et reconduites en 2007 : elles dispensent des formations permettant de diffuser auprès des médecins un référentiel de repérage précoce des troubles des enfants et des adolescents.

Nous avons également développé des conventions avec les maisons des adolescents que nous avons créées, à la suite de la conférence de la famille de 2004. Soixante-quinze seront construites en cinq ans et se verront octroyer 4,4 millions d’euros. En outre, 24 millions d’euros supplémentaires seront alloués, pour la période 2005-2008, à la pédopsychiatrie. La Seine-Saint-Denis, dont les besoins étaient particulièrement importants, bénéficiera de deux hôpitaux de jour et de services dédiés aux soins psychiatriques.

Nous avons également prévu d’expérimenter de nouveaux types d’établissement. Lors de mes déplacements, j’ai pu prendre acte du constat dressé par les éducateurs, confrontés à un profond changement, depuis quinze ans, de la population dont ils ont la charge. Ils sont débordés par les difficultés causées par des enfants exagérément inhibés ou violents, qu’ils ne parviennent même plus à scolariser ou à faire grandir au sein d’un établissement dans de bonnes conditions. Nous allons mettre en place de véritables établissements médico-sociaux, avec une prise en charge psychiatrique beaucoup plus consistante que celle actuellement offerte dans les établissements d’aide sociale à l’enfance.

Monsieur Néri, vous avez suggéré que la justice et l’éducation nationale soient associées à une telle réforme. Figurez-vous que nous y avons pensé avant vous. Elles ont pris une part très active à l’élaboration de ce texte, qui a été rédigé en plein accord avec elles. La fixation de la ligne de partage entre ce qui relève du juge et ce qui relève du président du conseil général a donné lieu à un travail très important, qui nous a permis, notamment grâce à un amendement de Mme la rapporteure, de parvenir à une définition que je crois claire. Cela évitera de saisir la justice alors qu’un traitement administratif serait suffisant et de s’obstiner dans un traitement administratif quand une mesure d’autorité, prise par le juge, s’impose.

M. Mallié a souligné la fragilité de la cellule familiale.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Cela lui ressemble tellement ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Je lui donne acte de cette observation, que nous faisons tous, mais ce constat nous impose d’aider les parents avant toute chose, même s’il ne faut pas non plus s’obstiner à vouloir maintenir dans une cellule familiale dangereuse pour lui un enfant qui devrait être protégé en quittant la cellule familiale.

M. Mallié a également mentionné les difficultés que soulève l’internet. Je crois avoir déjà répondu à propos d’une question qui m’avait été posée par un autre orateur.

Je tiens enfin à répondre à M. Fenech.

J’ai personnellement pris connaissance du rapport de la mission que vous avez présidée, monsieur Fenech. Il s’agit d’un excellent rapport, d’un rapport qui fera date, et c’est avec une grande ouverture d’esprit que le Gouvernement examinera l’ensemble des amendements que vous avez présentés.

Toutefois, il ne serait pas de bonne législation de nous précipiter dans ce travail. Vous avez mené une réflexion très approfondie, qui est d’ailleurs partagée sur tous les bancs à l’intérieur de la mission. Je souhaite avancer dans la direction que vous avez indiquée, sans déséquilibrer le texte que je présente aujourd’hui à l’Assemblée nationale, mais en prenant tout de même en compte la lutte contre les sectes dans la mesure où elles affectent les enfants et les mettent en danger ; nous en débattrons à l’occasion de l’examen des articles de ce projet de loi.

Ce texte a été adopté par le Sénat au mois de juin dernier. Il est débattu devant vous aujourd’hui, 9 janvier. Il doit revenir devant le Sénat le 16 ou le 17 février, c'est-à-dire à l’extrême fin de la session parlementaire.

Mme Patricia Adam. Ce sera juste !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Je tiens à vous préciser, parce que je sens bien que les uns et les autres nous sommes soucieux que cette réforme puisse aboutir et entrer en vigueur, que les débats vont être courts.

J’ajoute que, au moment où ce texte a commencé son long chemin législatif au sein du Parlement, l’urgence n’a pas été déclarée. Il n’est donc malheureusement pas possible d’envisager d’accélérer la discussion de ce texte en réunissant une commission mixte paritaire, éventualité que l’un d’entre vous a évoquée, avant que chaque assemblée ne se soit prononcée deux fois sur le texte, ce qui suppose qu’au retour du Sénat, le texte revienne devant vous et qu’ensuite seulement on réunisse une commission mixte paritaire.

Je suis naturellement conscient que l’Assemblée nationale doit pouvoir améliorer notablement ce texte et je suis très ouvert à l’ensemble des amendements que vous avez présentés. Nombre d’entre eux amélioreront cette réforme et permettront de démontrer la qualité du travail législatif. Toutefois je souhaite également que nous puissions aboutir à un vote conforme au Sénat. Bien entendu, cela crée pour le Gouvernement un certain nombre de contraintes, mais je suis sûr que, les uns et les autres, vous comprenez cette attitude, car vous partagez avec moi le souci que ce texte puisse être définitivement adopté au cours de la présente session. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heure trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 3184, adopté par le Sénat, réformant la protection de l’enfance :

Rapport, n° 3256, de Mme Valérie Pecresse, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,