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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 16 janvier 2007

112e séance de la session ordinaire 2006-2007


présidence de M. Yves Bur,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Protection juridique des majeurs

Discussion, après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs (nos 3462, 3557).

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, vous examinez aujourd’hui le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs qui s’inscrit dans la vaste entreprise de rénovation du code civil menée par le Gouvernement. Le bicentenaire de ce code a, en effet, montré qu’il devait être modernisé et adapté aux besoins et aux attentes de nos concitoyens et aux évolutions contemporaines. Après la réforme du droit du divorce et celle de la filiation, la loi du 23 juin 2006 a rénové notre droit des successions et libéralités.

Aujourd’hui, j’ai l’honneur de vous présenter le dernier état de cette réforme d’ensemble de notre droit de la famille. Le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs en constitue une étape particulièrement importante. Elle est attendue de longue date par nos concitoyens les plus fragiles, par leurs familles et par l'ensemble des professionnels concernés.

Depuis une dizaine d'années, la modification des régimes de protection des majeurs a fait l’objet d’études et de rapports importants qui ont dénoncé les dysfonctionnements et les dérives du système actuel. En effet, les lois en vigueur, qui datent de 1966 et 1968, ne permettent plus de protéger correctement nos concitoyens les plus fragiles. Ces textes ont été conçus pour s'appliquer à quelques milliers d'individus alors qu’ils concernent aujourd’hui plus de 700 000 personnes, soit plus de 1 % de la population. Si le rythme actuel se poursuit, ils pourraient être un million en 2010.

Cet accroissement s’explique pour partie par l’allongement de l'espérance de vie, mais aussi par une meilleure prise en compte du handicap par les pouvoirs publics, ainsi qu’en témoigne la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Par ailleurs, l’approche moderne – plus ouverte – de la maladie mentale a favorisé le développement de thérapeutiques permettant aux malades de vivre dans la cité, tout en bénéficiant d’un suivi psychiatrique et tout en étant protégés dans leur vie civile.

Cette augmentation du nombre de personnes placées sous protection judiciaire résulte également d’un détournement progressif de l’objet de la loi, sous la pression des phénomènes de précarité et d’exclusion. De nombreuses mesures judiciaires sont en effet aujourd’hui prononcées pour des considérations essentiellement sociales, qui ne justifient en rien la diminution ou la suppression de la capacité juridique des personnes.

Or la protection des personnes vulnérables exige que la mise en œuvre de mesures privatives de droits ne soit envisagée par le juge qu’en ultime recours, et que la restriction des droits qui en résulte soit strictement limitée à ce qui est nécessaire. Enfin, elle doit être adaptée, respectueuse de la personne, exercée et contrôlée avec les meilleures garanties. Notre droit doit être modifié en conséquence.

Il s’agit d’une réforme à la fois civile, sociale et financière. Je vais vous présenter le volet civil du dispositif tandis que mon collègue Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, vous en présentera le volet social et financier.

La réforme du droit civil de la protection des majeurs repose sur une nouvelle approche, plus respectueuse, du droit des personnes. Elle poursuit trois objectifs essentiels : recentrer la protection juridique sur les personnes atteintes d'une réelle altération de leurs facultés ; renforcer et mieux définir les droits et la protection de ces personnes ; enfin, professionnaliser les intervenants extérieurs à la famille qui exercent la protection juridique.

Le premier objectif consiste à garantir que la mise en œuvre d’une mesure de protection juridique sera strictement limitée aux personnes qui en ont besoin. Le texte confère aux principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité de la protection juridique une force normative et générale, permettant ainsi à ces principes affirmés par la loi de 1968 de retrouver toute leur efficience. Je l'ai déjà évoqué, une part importante des personnes placées sous curatelle ou sous tutelle ne présentent pas de déficience, mais sont en situation de détresse sociale et économique.

Avec la réforme, le placement sous un régime de protection juridique, en ce qu’il porte atteinte aux libertés et restreint les droits, sera soumis à une double condition : d’une part, l’altération des facultés personnelles de l’intéressé aura été médicalement constatée de façon précise et circonstanciée par un médecin expert ; d’autre part, le juge devra vérifier qu’il n'existe aucun autre mécanisme plus léger et moins attentatoire permettant d’assurer une protection suffisante.

Cette protection juridique ne s’appliquera donc plus aux personnes qui se mettent en danger par leur inaptitude à gérer seules les prestations dont elles bénéficient ou qui se trouvent en situation de grande précarité. Bien évidemment, ces personnes pourront bénéficier d’une aide spécifique, notamment pour surmonter leurs difficultés financières, mais elles n’auront pas besoin d’être assistées ou représentées pour l’accomplissement des actes de la vie civile. Dès lors, pour ces personnes désocialisées, deux mécanismes sont supprimés : la tutelle aux prestations sociales versées pour les adultes ainsi que la curatelle pour les cas de « prodigalité, intempérance ou oisiveté ».

Un nouveau dispositif, spécifiquement adapté aux personnes en situation de vulnérabilité sociale et qui associe les départements et l'autorité judiciaire, s’y substituera. Il s’agit d’un dispositif graduel et progressif, à dimension éducative et sociale, qui comportera deux volets : l’un, administratif, sera mis en œuvre par les conseils généraux en collaboration avec la personne intéressée ; l’autre, judiciaire, plus contraignant, ne pourra être sanctionné ou actionné qu’en cas d’échec de l’action préalable du département.

Le département pourra ainsi, dans un premier temps, mettre en œuvre une mesure comportant une aide à la gestion des revenus et un accompagnement social personnalisé. Pour cela, un contrat sera conclu entre la personne concernée et le président du conseil général, pour une durée de six mois renouvelables. Ce contrat sera établi en tenant compte de la situation sociale, familiale, médicale, financière de l’intéressé ainsi que de ses conditions d’habitat. Il comportera des engagements réciproques en fonction de la nature du parcours d’insertion envisagé.

Aux termes de ce contrat, le département pourra notamment proposer des actions permettant l’accès au logement, l’amélioration de l’habitat ou l’accès aux soins. La personne bénéficiant de cet accompagnement social pourra autoriser le président du conseil général à percevoir et à gérer pour son compte tout ou partie des prestations sociales devant lui revenir, en les affectant en priorité au paiement du loyer et des charges locatives en cours.

En cas de refus ou d’échec du contrat d’accompagnement, le président du conseil général aura la faculté de solliciter du juge d’instance l’autorisation de percevoir certaines prestations sociales, afin d’assurer le paiement du loyer et de garantir le maintien dans les lieux de la personne concernée. Il s’agit là d’une mesure majeure de la réforme, car elle vise à préserver le logement dont la perte, vous le savez, est l’un des principaux facteurs d’exclusion.

Si cette mesure se révèle insuffisante, les services sociaux compétents adresseront un rapport circonstancié au procureur de la République qui appréciera, en fonction des circonstances, s’il y a lieu de saisir le juge des tutelles pour qu’il ordonne une mesure judiciaire de gestion budgétaire et d’accompagnement social. Cette mesure judiciaire n’entraînera en elle-même aucune incapacité juridique. Elle aura uniquement pour effet de priver la personne du droit de gérer elle-même ses prestations sociales. Bien évidemment, des garanties sont prévues. Ainsi, la gestion du mandataire de protection sera contrôlée et la mesure ne pourra être prononcée que pour une durée maximum de deux ans. L’objectif attendu de cette mesure d'accompagnement social est de rendre à la personne son autonomie financière et de lui permettre ainsi de reprendre en main sa vie économique et sociale.

Dans la même logique consistant à limiter le champ de la protection juridique et donc de l’effectivité du principe de nécessité, le juge ne pourra plus se saisir d’office sur le simple signalement d’un tiers, intervenant social ou professionnel médical. Cette pratique, qui concerne plus de la moitié des mesures de protection, est à l’origine de nombreuses dérives, même si elles peuvent être animées par des intentions louables. À l’issue de la réforme, seuls pourront saisir le juge les membres de la famille, une personne résidant avec le majeur ou le procureur, après avoir éventuellement ordonné une évaluation médico-sociale de l’intéressé. Il s’agit ainsi de permettre que les solutions alternatives à la tutelle soient sérieusement examinées. De la sorte, la réforme remet au cœur du dispositif le principe de nécessité

Elle renforce également le principe de subsidiarité. Il existe, en effet, pour protéger une personne vulnérable, des solutions juridiques moins contraignantes et moins attentatoires aux droits de la personne. Certains de ces moyens sont indépendants de toute intervention judiciaire : la procuration, le mandat de protection future, l'accompagnement social. D’autres outils requièrent l’intervention du juge : ce dernier devra désormais vérifier si ces techniques juridiques moins restrictives de droits peuvent être adaptées à la personne à protéger. Il en est ainsi de la sauvegarde de justice qui pourra être utilisée pour un besoin ponctuel, ou des règles d’habilitation propres aux régimes matrimoniaux qui permettent la désignation d’un époux pour représenter son conjoint lorsque celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté à la suite d’un accident ou d’une maladie.

En outre, la subsidiarité implique qu’avant de recourir à la collectivité publique, on se tourne vers la famille. Confrontées les premières à la vulnérabilité d’un de leurs membres, elles en assument et organisent le plus souvent la protection.

C’est donc à juste titre que bon nombre d’entre elles revendiquent d’être davantage associées aux procédures judiciaires, d’en être informées et d’y être impliquées.

Au total, la réforme redonne à la famille sa place légitime.

D’abord, parce que la famille est concernée au premier chef par la protection d’un proche indépendamment de toute intervention judiciaire : par exemple, les procurations sont généralement données aux enfants. Ensuite, parce que si une mesure judiciaire est nécessaire, on cherchera en priorité à la confier à un membre de la famille. Enfin, la réforme organise le rôle et la place de la famille dans le processus judiciaire en clarifiant les droits qui sont reconnus à ses membres. Je pense en particulier au droit d’être consulté au moment de la mise en œuvre de la mesure et d’être informé de son déroulement.

Le deuxième objectif du projet de loi m’amène au cœur de la réforme : la personne est placée au centre du régime de protection.

Notre droit est en effet insuffisamment adapté à la spécificité des besoins des personnes vulnérables. Entre la liberté civile, trop exigeante pour les plus fragiles d’entre nous, et l’incapacité attachée aux mesures judiciaires, il est temps de prévoir un dispositif civil simple, librement choisi et circonscrit, donc personnalisé. C’est ce que propose la réforme, en donnant à chacun le pouvoir d’organiser lui-même sa protection future.

M. Jean-Yves Hugon. Très bien !

M. le garde des sceaux. Elle introduit ainsi dans le code civil le mandat de protection future. Ce dispositif, inspiré des droits allemand et québécois, est entièrement nouveau en France. Il symbolise l’importance qui est donnée à la volonté de la personne vulnérable. Il permettra à chaque majeur d’anticiper l’organisation de sa propre protection en désignant un tiers de son choix pour veiller sur sa personne et ses intérêts le jour où il ne le pourra plus.

Une personne pourra ainsi choisir un membre de sa famille ou un proche, ou désigner une personne morale agréée, pour gérer ses affaires et s’occuper d’elle le jour où elle n’aura plus les capacités pour le faire. Le mandat fixera la mission et l’éventuelle rémunération du mandataire et définira l’étendue de ses pouvoirs. Cette volonté de la personne s’imposera à tous, y compris au juge éventuellement saisi, qui devra en tenir compte.

Ce mandat de protection future pourra être établi par acte sous seing privé ou par acte notarié. La forme choisie entraînera des effets différents en matière patrimoniale : le mandat notarié permettra une protection juridique très étendue et pourra couvrir les actes de disposition du patrimoine, sous le contrôle du notaire ; le mandat sous seing privé donnera au mandataire les pouvoirs d’un administrateur légal sous contrôle judiciaire et sera limité aux actes conservatoires ou de gestion courante. En aucun cas, et quelle que soit la forme du mandat, les dispositions relatives à la protection personnelle ne pourront déroger aux règles de la protection judiciaire.

M. Jean-Yves Hugon. Enfin !

M. le garde des sceaux. Le mandat de protection future sera mis en œuvre lorsque l’altération des facultés aura été constatée. Pour cela, le mandataire produira au greffier en chef du tribunal d’instance le certificat médical constatant l’altération des facultés du mandant. À l’issue de cette formalité, le mandataire pourra représenter le mandant dans tous les actes prévus par le mandat. Aucune intervention du juge ne sera nécessaire.

Il n’y aura pas lieu à prendre de mesures de publicité du mandat. En effet, ce mandat de protection future créé un régime de représentation, mais sans entraîner l’incapacité de celui qui est représenté. Il fonctionnera comme une procuration générale donnée par une personne à un tiers sans que cette personne soit privée de l’ensemble de ses droits, que ce soit dans les actes de gestion patrimoniale ou dans ceux touchant à sa propre protection.

M. Jean-Yves Hugon. C’est très important.

M. le garde des sceaux. En conséquence, les tiers, dès qu’ils seront concernés, seront avisés acte par acte de l’existence du mandat, sur présentation du document par le mandataire. En cas de difficulté de mise en œuvre ou dans l’exécution du mandat, tout intéressé pourra saisir le juge des tutelles.

La réforme prévoit également que les parents d’un enfant handicapé pourront passer un tel mandat pour organiser la protection de leur enfant le jour où ils ne seront plus en état de l’assumer eux-mêmes. Grâce à ce nouvel instrument juridique fondé sur la volonté individuelle des parents, on pourra éviter l’ouverture d’une tutelle judiciaire privative de droits et la famille demeurera le lieu naturel de la protection et de l’accompagnement de la personne malade ou handicapée.

Pour répondre aux insuffisances de notre droit dans la prise en compte de la spécificité des besoins de nos concitoyens les plus fragiles, la réforme affirme également le principe de protection de la personne, et non plus seulement de son patrimoine.

Ce principe se déclinera, en premier lieu, dans le déroulement de la procédure judiciaire, qui aura un caractère pleinement contradictoire. La mesure de protection juridique ne pourra être ordonnée par le juge qu’après l’audition de la personne concernée, qui pourra être assistée d’un avocat ou accompagnée de toute personne de son choix.

L’audience sera le temps fort de la procédure. Elle permettra à la personne d’être, dans toute la mesure de ses facultés, actrice des décisions qui seront prises. Ainsi, le juge devra l’informer, sous une forme appropriée à son état, des décisions envisagées, afin qu’elle puisse exprimer ses sentiments, notamment sur le choix de la personne chargée de protéger ses intérêts, l’organisation de son mode de vie ou sa prise en charge médicale.

Par ailleurs, toute personne pourra choisir préalablement celui ou celle qui serait nommé tuteur ou curateur au cas où elle ne serait plus en mesure d’exercer ses droits et de défendre ses intérêts. Cette faculté sera ouverte aux parents d’un enfant handicapé majeur. Le choix s’imposera au juge, sauf s’il s’avère contraire à l’intérêt de la personne.

Et lorsque le majeur n’aura pas pris de dispositions spécifiques, sa famille et ses proches seront privilégiés, puisque le juge devra en principe désigner la personne vivant avec lui ou, à défaut, un membre de la famille ou un proche entretenant avec le majeur des liens étroits et stables.

La protection de la personne trouvera aussi son sens dans l’exigence de proportionnalité imposée au juge : celui-ci devra choisir et définir la mesure de protection strictement proportionnée à la vulnérabilité et aux besoins de la personne, et pleinement adaptée à sa situation. La réforme a pour ambition de protéger les personnes en diminuant le moins possible leur liberté et en permettant un régime de protection « sur mesure ». Il s’agit de rendre possible une protection individualisée pour chacun et d’éviter ainsi une tutelle judiciaire uniforme pour tous.

Cette protection de la personne s’imposera dans la mission du tuteur, qu’il s’agisse d’un membre de la famille ou d’un professionnel. La personne protégée prendra seule, dans la mesure où son état le permet, les décisions personnelles la concernant, notamment en matière de santé, de logement ou de relations avec ses proches. Le tuteur devra l’informer et la soutenir, et lui expliquer les décisions qu’il est amené à prendre. Il cherchera à l’associer, dans la mesure de ses capacités, à la gestion de ses intérêts.

Ainsi, une personne protégée ne pourra plus se voir imposer par des tiers un type de prise en charge thérapeutique, le lieu de sa résidence ou le choix de ses fréquentations. En cas de conflit, le juge pourra être saisi et décidera après audition de la personne concernée, et exclusivement en considération de son intérêt.

Enfin, les modalités de contrôle de l’exécution de la mesure seront réorganisées et renforcées.

Tout d’abord, les mesures devront être révisées tous les cinq ans.

M. Jean-Yves Hugon. Autre disposition très importante.

M. le garde des sceaux. Ainsi, la personne protégée ne pourra plus rester des années sous un régime de protection qui n’est plus justifié ou qui est devenu inadapté du fait de l’évolution de son état de santé ou de l’implication plus importante de son entourage.

Les modalités du contrôle annuel, en particulier des comptes de gestion, seront personnalisées et adaptées à la situation de chaque dossier : le juge tiendra compte de la consistance du patrimoine, du montant des revenus mais aussi de la situation familiale de la personne protégée et de ses projets si elle les exprime. Il pourra aussi organiser les modalités par lesquelles il sera rendu compte des actes et actions effectués pour le compte de la personne protégée par les tuteurs et curateurs et liés à la protection de la personne même du majeur.

Le troisième grand axe de cette réforme est la réorganisation totale des conditions d’activité des tuteurs et curateurs extérieurs à la famille.

Ainsi que je l’ai évoqué, les familles ne peuvent pas toujours être présentes ou disponibles pour assumer la protection de leurs proches affaiblis par l’âge ou la maladie. Les modes de vie des ménages et les configurations familiales évoluent et se diversifient. L’éloignement et l’éclatement des familles sont une réalité qui s’impose au juge et l’amène souvent à recourir à des tiers, qu’ils soient associatifs, qu’ils travaillent dans un cadre institutionnel ou qu’ils exercent seuls, en libéral.

Notre société se doit donc d’organiser l’activité de ces personnes qui prennent en charge la protection de nos concitoyens. Or, le régime des gérants de tutelle, mandataires spéciaux, tuteurs d’État ou encore préposés à la tutelle, est aujourd’hui hétérogène, incohérent et injuste.

La nouvelle profession de « mandataire judiciaire à la protection des majeurs » regroupera tous les intervenants extérieurs à la famille – personnes physiques ou morales – qui exercent à titre habituel les missions de protection juridique. Ceux-ci obéiront désormais à des règles communes organisant leur formation et leur compétence, leur évaluation et leur contrôle, leur responsabilité et leur rémunération.

Ainsi, la réforme inclut l’ensemble de l’activité tutélaire dans le droit commun de l’action sociale et médico-sociale, et soumet ces professionnels à des procédures d’agrément ou d’autorisation selon qu’ils exerceront à titre individuel ou dans un cadre associatif ou institutionnel. Elle instaure des conditions précises et strictes d’accès à l’activité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Dans la même logique, le contrôle de la gestion du professionnel sera amélioré, notamment par la production obligatoire dans le rapport de gestion de relevés bancaires annuels de l’ensemble des comptes de la personne protégée, le secret bancaire ne pouvant être opposé ni à la personne chargée de la protection, ni au greffier en chef sollicitant l’établissement financier. En outre, la pratique des comptes pivots, qui permet au gérant de tutelle de regrouper sur un compte à son nom tous les avoirs des personnes dont il assure la tutelle et de percevoir les intérêts générés par ce compte, sera prohibée. Les mêmes règles s’appliqueront lorsque la personne chargée de la protection est un membre de la famille ou un proche. Toutefois, en l’absence de patrimoine, le juge pourra la dispenser d’établir un compte de gestion.

Enfin, le financement des mesures prises en charge par les professionnels, actuellement disparate et incohérent, sera harmonisé de manière à être équitable tant pour les majeurs concernés que pour les professionnels. Un financement public viendra compléter la rémunération du tuteur si les ressources de la personne protégée ne lui permettent pas d’en assumer le coût. Mais, sur les volets sociaux et financiers de la réforme, Philippe Bas vous donnera dans un instant les éléments de précision nécessaires à une parfaite compréhension.

Mesdames et messieurs les députés, au terme de mon propos, permettez-moi de remercier à nouveau votre commission des lois, et en particulier son président, M. Philippe Houillon, et son rapporteur, M. Émile Blessig. C’est un excellent travail que vous avez mené, monsieur le rapporteur, à la fois rigoureux et très constructif. Il va permettre à ces débats d’apporter de réelles améliorations au projet de loi. Mes félicitations vont aussi à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, même si son travail relève plus de la compétence de mon collègue et ami Philippe Bas.

Nous partageons le souci commun de rénover le droit de la famille, attentifs aux évolutions de notre société ainsi qu’aux attentes de nos concitoyens et respectueux des principes et des valeurs qui fondent le code civil.

Cette réforme marquera une étape historique dans la construction d’un droit moderne et adapté aux besoins de nos concitoyens les plus fragiles. Car le niveau de civilisation et d’humanité d’une société se juge à la manière dont elle respecte et soutient les plus vulnérables parmi les siens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens à remercier à mon tour le rapporteur de la commission saisie au fond et le rapporteur de la commission saisie pour avis pour la qualité de leur travail, dont j’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt. Je suis certain que les réflexions préalables des deux commissions nous permettront d’enrichir notablement le texte qui vous est présenté.

Cette réforme, préparée avec M. le garde des sceaux, ministre de la justice, mon collègue et ami Pascal Clément, est attendue depuis longtemps par les associations et les familles. Elle a fait l’objet d’un grand nombre de consultations et d’échanges avec l’ensemble des acteurs et partenaires du secteur tutélaire.

C'est une réforme de grande importance, sociale autant que judiciaire.

Une telle réforme est nécessaire, car aujourd'hui, faute d'instruments mieux adaptés, la tutelle est trop souvent utilisée à des fins sociales. Parce qu’elle est privative de droits, sans alternative et pratiquement jamais révoquée, il faut la réserver à des situations d'altération grave et permanente des facultés mentales, et aussi mieux encadrer son exercice.

Du fait des dérives actuelles et de la progression de la maladie d'Alzheimer, le nombre de majeurs protégés est en augmentation constante depuis plusieurs années. De 1992 à 2005, il a augmenté de 13 % par an en moyenne. Aujourd'hui en France, près de 700 000 personnes sont ainsi placées sous tutelle ou curatelle et, si rien n'est fait, elles pourraient être 1 million en 2010.

À travers cette réforme, le Gouvernement prend trois engagements : créer et développer des alternatives à la tutelle ; adapter la protection des personnes à l'évolution de leurs capacités en créant un véritable parcours d'autonomie ; apporter des garanties nouvelles pour les personnes comme pour les familles. Pour mettre en œuvre ces engagements, il a pour exigence fondamentale d’assurer le financement de la réforme sans pénaliser les départements, car ils seront les principaux acteurs de la réforme. Le garde des sceaux y a particulièrement veillé. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le garde des sceaux. C’est sûr !

M. Maxime Gremetz. Voilà qui m’étonnerait !

Mme Patricia Adam. On verra !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. À l’euro près, sans doute ?

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Il est indispensable de créer et développer des alternatives à la tutelle pour les personnes dont les facultés mentales ne sont pas durablement altérées. Plus du tiers des bénéficiaires de tutelles aux prestations sociales adultes sont concernés. Ces personnes sont souvent des « blessés de la vie », comme on dit aujourd’hui, touchées par la maladie ou la dépression, frappées par le chômage ou la précarité. Ne parvenant plus à gérer leur budget, à payer leur loyer, à faire face aux dépenses de la vie courante, elles risquent de tomber dans l'errance, de compromettre leur santé, de mettre leur vie en danger. Pour ces personnes, dont les difficultés sociales sont aujourd'hui à l'origine de la mise sous tutelle, nous allons créer une mesure d'accompagnement social personnalisé,…

Mme Patricia Adam. Limitée dans le temps !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. …qui prendra la forme d'un contrat passé avec le président du conseil général et comportera une aide à la gestion des prestations sociales et un accompagnement social personnalisé. Nous préviendrons ainsi l'ouverture de mesures judiciaires. Si toutefois une telle mesure doit être envisagée, nous voulons que ce soit systématiquement sur la base d'un rapport circonstancié par lequel le président du conseil général informera le juge de la situation de la personne et des mesures qui ont déjà été prises.

Grâce à la réforme, nous voulons permettre un parcours progressif allant des mesures les moins contraignantes aux mesures les plus contraignantes. Nous voulons, non pas un seul dispositif pour tous, mais une solution pour chacun, adaptée à sa situation, à son histoire et à ses possibilités d'évolution. Dans cette même logique, les familles et les personnes concernées seront associées et entendues à chaque étape. Hier, une personne qui se retrouvait sous tutelle à cause de ses difficultés sociales et financières n'avait plus voix au chapitre. Désormais, elle sera accompagnée, écoutée, responsabilisée aussi, ce qui lui permettra, à terme, de retrouver son indépendance, car la solidarité passe aussi par la responsabilité de celui qui en bénéficie.

Le deuxième engagement que nous prenons est d’adapter la protection de chaque personne à l'évolution de ses capacités en créant un véritable parcours vers l'autonomie. Bien sûr, il faut d'abord protéger les intérêts de la personne et sa sécurité – c'est le sens du placement sous protection judiciaire. Mais nous devons aussi prendre en considération ses droits légitimes et garantir, autant que possible, l'exercice de ses libertés. Un statut très protecteur comme la tutelle n'encourage pas la personne protégée à évoluer pour assumer de nouveau les responsabilités qui sont celles de tout un chacun. Nous voulons faire le pari de la confiance à chaque fois que ce sera possible. Le projet de loi que nous vous proposons permet à toute personne dont la situation évolue favorablement de retrouver l'exercice de ses droits. Pour cela, nous voulons déployer tout un éventail de mesures, allant de l'accompagnement social à la tutelle, et, dans certains cas, de la tutelle à l'autonomie.

La mesure d'accompagnement social personnalisé, je l'ai dit, constitue le premier niveau d'accompagnement. Si elle échoue, une mesure plus contraignante pourra être décidée : l'assistance judiciaire. Ce n'est plus un contrat mais une mesure d'autorité visant à donner une dernière chance à l'action sociale, cette fois sous le contrôle du juge. C'est alors un tiers qui gérera les prestations sociales de la personne protégée, mais elle conservera ses droits civiques et ses droits sur son patrimoine. Enfin, la curatelle et la tutelle seront désormais réservées aux personnes les plus vulnérables, celles qui souffrent d’une altération le plus souvent définitive de leurs facultés mentales.

À chaque étape de ces procédures, les familles et les personnes concernées seront associées. À chaque étape, le majeur protégé pourra renouer avec l'autonomie s'il en démontre les capacités, car sa situation sera réexaminée périodiquement.

Je veux m'arrêter, à mon tour, sur un dispositif très innovant, qui me tient particulièrement à cœur, celui du mandat de protection future. Là encore, nous privilégions le contrat. Grâce à ce contrat, chacun d'entre nous pourra désormais prévoir et organiser sa prise en charge en cas d'altération mentale. Je pense, par exemple, à la maladie d'Alzheimer, dont le nombre de cas augmente malheureusement avec les progrès de la longévité. Toute personne pourra choisir celui ou celle qui prendra soin d'elle et de ses biens le jour où ses facultés viendraient à être altérées par cette maladie ou une maladie analogue. Je pense aussi aux parents d'un enfant handicapé majeur, qui se demandent toujours avec angoisse qui s'occupera de leur enfant s'ils viennent à disparaître ou s'ils ne sont plus en mesure d'assumer sa prise en charge. Grâce à ce mandat, ils pourront désigner celui ou celle qui prendra soin de leur enfant après eux.

Le troisième engagement pris par le Gouvernement est d’apporter des garanties nouvelles aux familles comme aux personnes protégées. Les familles prennent directement en charge plus de la moitié des tutelles. Je veux rendre hommage à ce bel exemple de solidarité, qui appelle de la part de tous – associations et acteurs sociaux – aide et soutien. Sans les familles, nous ne pourrions pas assumer la responsabilité des personnes les plus vulnérables. Le Gouvernement accueillera donc favorablement les propositions de votre commission destinées à aider les familles en charge d'une tutelle.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Lorsqu'elles ne sont pas assurées par les familles, les tutelles sont aujourd’hui confiées à des associations tutélaires, à des mandataires ou aux établissements qui accueillent des personnes sous tutelle. Si ces intervenants s'acquittent généralement avec dévouement de leurs responsabilités, trop d'abus ou de négligences sont encore constatés. Aussi, nous avons voulu mieux encadrer et mieux former les mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Si l’on ne doit pas réduire une profession à quelques dérives, celles-ci existent et chaque nouveau cas est un cas de trop. C'est pourquoi nous avons décidé de professionnaliser la fonction de mandataire et de renforcer les contrôles. Un certificat national de compétence sera créé et le mandataire devra être inscrit sur une liste tenue par le préfet après avis favorable du procureur de la République. L'État assumera la responsabilité pleine et entière des contrôles.

Voilà pour les engagements que nous nous proposons de prendre à travers ce texte. J'en viens maintenant à notre exigence d’assurer le financement de la réforme sans pénaliser les départements, qui seront les principaux acteurs des changements à venir. Ils constituent, en effet, l'échelon de proximité qui garantit l'efficacité de notre politique sociale. Cette réforme conforte leurs missions actuelles. Je sais que certains départements craignent que cette réforme n’alourdisse leurs dépenses.

M. Serge Blisko. Rassurez-les, monsieur le ministre !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Je veux en effet, monsieur le député, dissiper les inquiétudes qui ont pu naître.

M. Alain Vidalies. Chat échaudé craint l’eau froide !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. D'abord, je tiens à vous dire que, par ce projet de loi, l'État prend un engagement fort vis-à-vis des départements.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Il était tout aussi fort pour le RMI !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Il assumera dorénavant la charge financière des tutelles des bénéficiaires des prestations sociales des départements, par exemple le RMI. Jusqu'à présent, ces dépenses étaient intégralement supportées par les conseils généraux. En 2009, les départements économiseront ainsi 77 millions d'euros et, en 2013, plus de 92 millions d'euros seront pris en charge par l'État. Si les départements assument une charge nouvelle avec les mesures d'accompagnement social personnalisé, ces dépenses ne pourront excéder les économies qu'ils réaliseront grâce à l'effort de l'État. La commission des lois a présenté un amendement pour que cela soit tout à fait clair, et je tiens à l’en remercier. Le Gouvernement y donnera un avis favorable.

M. Maxime Gremetz. Enfin une bonne nouvelle !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Nous avons aussi prévu que la réforme s'appliquera intégralement au 1er janvier 2009. Les départements ont dû absorber beaucoup de nouvelles missions au cours des dernières années et je veux leur permettre de bien s'organiser en leur donnant le temps de maîtriser les nouveaux instruments. Pour autant, les dispositions qui n'affectent pas la charge de travail des départements seront immédiatement mises en œuvre, qu’il s’agisse de la professionnalisation des mandataires, du renforcement des contrôles ou du nouveau mandat de protection future, que j'avais annoncé lors de la conférence de la famille 2006. Nous ne pouvons pas faire attendre les familles plus longtemps.

Nous avons également voulu laisser aux départements la liberté de s'organiser. Pour appliquer les mesures d'accompagnement personnalisé, ils pourront soit s'appuyer sur leur service d'action sociale, soit faire appel à des associations. Ce sera alors le même réseau d'associations qu'aujourd'hui qui continuera d'assurer le suivi des personnes protégées et assumera cet accompagnement social.

La réforme doit permettre de diviser par deux le rythme d'augmentation du nombre de mesures judiciaires. Si nous n'avions rien fait, leur nombre aurait augmenté de près de 37 % entre 2009 et 2013. Grâce à la réforme, l’augmentation devrait n’être que de 16 %, ce qui devrait réduire d'autant le coût de ces mesures pour les départements. C'est l'inaction qui aurait été la solution la plus coûteuse pour les départements.

Cette réforme est une réforme de citoyenneté. Elle s'inspire des mêmes principes que la loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la citoyenneté et la participation des personnes handicapées : s'intéresser d'abord aux possibilités de chaque personne plutôt qu’à sa vulnérabilité, à son handicap, à ses difficultés, l'aider à progresser et à développer ses aptitudes, en tenant compte de ses difficultés et de ses incapacités, bien sûr, mais sans ériger autour d'elle un mur qui l’enferme dans un statut d'incapacité.

C'est donc bien à une véritable révolution des esprits que cette réforme invite, à un pari sur l'homme, sur ses capacités, sur sa dignité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration de la République.

M. Émile Blessig, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration de la République. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après des années de rapports, d'études, de concertations et de discussions, ce texte portant réforme de la protection juridique des majeurs vient enfin devant notre assemblée. Il était très attendu par les intéressés et leurs familles, mais aussi bien au-delà. En effet, compte tenu des évolutions sociétales, chaque famille est potentiellement concernée par le phénomène.

En conséquence, je me réjouis de l’examen du texte par notre assemblée, et je voudrais remercier le président Accoyer, qui s'est personnellement engagé, afin que ce projet de loi puisse être inscrit à l'ordre du jour. De plus, l'urgence ayant été prononcée, la réforme sera adoptée d'ici à la fin de la présente législature, ce qui est évidemment primordial pour sa mise en œuvre.

Le dispositif français de protection des majeurs vulnérables repose sur un socle législatif vieux de plus de trente-cinq ans et dont l'inadaptation a entraîné des dérives et des abus. La conjugaison des évolutions démographiques et sociologiques rend ce dispositif inadapté aux situations contemporaines.

Le constat initial a été dressé dès 1998 dans le rapport conjoint fait par l'inspection générale des finances, celle des services judiciaires et celle des affaires sociales. Récemment, le rapport du Conseil économique et social de septembre 2006 a apporté une approche complémentaire et utile à la réforme.

Le vieillissement démographique, les handicaps physiques et mentaux et les ravages de la maladie d'Alzheimer entraînent une augmentation accélérée du nombre de personnes susceptibles de relever d'une mesure de protection juridique.

La conception traditionnelle de la famille a cédé la place à de multiples configurations. Les solidarités naturelles familiales, qui restent dominantes, laissent une large place à d'autres types de solidarités organisées.

Dans ce double contexte, la réforme s'impose, et trois inquiétudes majeures sont à son origine : l'évolution quantitative – 700 000 personnes placées sous protection juridique en 2006, un million en 2010 si rien n'est fait –, un dispositif coûteux – 420 millions d'euros en 2006 –, un dispositif peu efficace, voire inefficace sur le plan des contrôles.

Mes chers collègues, le niveau de civilisation d'une société se mesurant et se jugeant à travers la manière dont elle respecte et soutient les plus vulnérables parmi les siens, cette réforme est à mettre au crédit de notre démocratie et de la législature.

Les interventions du M. le garde des sceaux et de M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ont permis d’exposer clairement l'intérêt et le contenu de la réforme, tant dans son volet juridique que dans son volet social.

Dans le cadre de cette discussion générale, il m’appartient, en qualité de rapporteur de la commission des lois, de rendre compte de l'examen du texte par cette dernière.

Pour analyser la réforme, la commission des lois a cherché à mettre en œuvre une grille de lecture s'organisant autour des questions suivantes.

Premièrement, la priorité de la personne est-elle bien la finalité des dispositions soumises à notre examen ?

Deuxièmement, la protection de la personne est-elle bien organisée dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine ?

Troisièmement, l'autonomie de la personne protégée est-elle, autant que faire se peut, favorisée ?

Enfin, comment le devoir des familles et de la collectivité, dans la mise en œuvre de la protection de la personne protégée, est-il rappelé et concilié ?

La commission des lois a procédé à une discussion approfondie et constructive. Elle a adopté le texte dans son ensemble. Bien entendu, certains points durs ont été relevés et ont donné lieu à discussion. L'Assemblée aura à en débattre. Ils portent principalement sur les questions suivantes : l'organisation et le fonctionnement du conseil de famille, avec la présence obligatoire ou non du juge – article 457 du code civil –, les modalités de résidence du majeur protégé – article 443 du code civil –, les modalités de convocation et d'assistance de la personne protégée devant le juge – article 432 du code civil –, l'agrément et la composition de la liste des personnes habilitées à exercer les fonctions de mandataire de justice à la protection des majeurs – article L. 426-1 du code de l'action sociale et des familles.

D’autres questions ont été soulevées : l'obligation faite aux établissements sociaux et médico-sociaux de confier la mesure de protection à l'un de leurs préposés – article 14 du projet de loi –, les modalités de mise en œuvre du mandat de protection future, qu'il soit notarié ou sous seing privé – articles 477 à 494 du code civil.

Sur le plan financier, la commission des lois et la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ont chacune supprimé le recours sur successions – article 9 du projet de loi. Pour ce qui est des rapports avec les conseils généraux, la commission a, dans le volet social de la réforme, voté le principe d'une clause de revoyure annuelle, sous forme de rapport au Parlement, de 2010 à 2015, pour suivre la mise en place de la compensation financière par l’État, dont le principe figure dans le texte.

Mes chers collègues, j’ai pu constater, lors des auditions et des rapports préparatoires au présent débat, l'accueil globalement très favorable de ce texte de la part des familles, des associations et des professionnels. Je tiens aussi à souligner l'excellent climat dans lequel se sont déroulés les travaux de la commission des lois. Je suis convaincu que nos travaux permettront sur certains points d'améliorer encore cette réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il aura fallu quinze ans pour que nous puissions enfin nous retrouver aujourd'hui pour traiter le sujet des tutelles et curatelles, et, plus largement, la protection juridique des majeurs. On peut être saisi de vertige en observant tous les efforts qu'il aura fallu déployer pour parvenir enfin à inscrire ce texte à l’ordre du jour.

C'est le Président de la République Jacques Chirac qui, le premier, en 1995, avait soulevé ce problème. Jacques Toubon avait commencé à travailler sur le sujet. Puis, en 1997, la nouvelle garde des sceaux Élisabeth Guigou, reprit le travail, mais très rapidement, la réforme commença à battre de l’aile. Technique habituelle dans notre cher pays : on commanda des rapports !

Tout d'abord en 1998, une commission interministérielle d'experts remit un premier rapport, jugé trop favorable.

Un deuxième rapport fut commandé en 2000 : le rapport Favard, qui permit d'enterrer le projet de réforme.

Dès 2002, notre assemblée, avec en tête notre collège Émile Blessig, expert reconnu de ces questions, a souhaité voir aboutir le sujet. Nous étions plusieurs, sur tous les bancs de cet hémicycle, à voir arriver avec inquiétude la fin de la législature. Je dois ici remercier solennellement le président Houillon et le président Dubernard, qui ne peut malheureusement pas être avec nous, ce soir, en raison d'un cas de force majeure et qui m’a demandé de bien vouloir l’excuser. Ils nous ont appuyés pour que cette réforme avance avec détermination et efficacité.

Je dois également vous remercier, messieurs les ministres, pour votre écoute et la volonté politique dont vous avez fait preuve afin que ce débat puisse enfin avoir lieu. Il a fallu notamment conduire des négociations difficiles avec les conseils généraux, que vous avez menées à bien avec détermination. Il aurait été inacceptable que ce sujet reste en panne en raison de négociations de marchands de tapis, où chacun se serait déchargé de la question sur l'autre. (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Non ! Pas avec les présidents de conseils généraux !

M. le garde des sceaux. Allons ! On s’égare !

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Certes, ce sujet n'est pas médiatique. Il ne fait pas partie des grands débats sur la réforme de la protection sociale ou de la procédure pénale. Nous avons à faire à l'un de ces débats de société trop longtemps méconnus. Et pourtant, il y a là des souffrances cachées, des familles qui ont subi des mesures difficiles, des problèmes de vie quotidienne délicats, des professionnels qui ont dû faire un travail compliqué. Il était décidément temps que l'Assemblée se saisisse du sujet. Les défis à venir sont d'ampleur.

D'ores et déjà, plus de 700 000 personnes sont placées en tutelle et curatelle et on peut s'attendre à un doublement dans les années à venir sous l'impact de deux effets : d'une part, la maladie d'Alzheimer qui constitue un drame pour les familles touchées est de plus en plus fréquente ; d'autre part, les personnes en situation de détresse sociale sont de plus en plus nombreuses à être placées sous un régime de protection juridique.

Les mises sous tutelle ou sous curatelle étaient devenues un moyen de réguler la pauvreté, un outil de gestion de la France d'en bas silencieuse.

Or, notre système de tutelle et de curatelle était plus tourné vers le XIXsiècle que vers le XXIe siècle. Il portait encore l'empreinte de Baudelaire, placé sous tutelle le 10 août 1844, alors qu'il n'avait que vingt-trois ans, et qui ne se remettra jamais de cette mort civile.

Oui ! être placé sous tutelle pouvait être une chose terrible, vécue comme une trahison ou, pire, une injustice. La réforme de 1968 avait tenté d'apporter des améliorations. La gestion des biens de personnes en difficulté était supposée permettre d'améliorer leur quotidien et n'était plus une fin en soi. Mais notre système héritier de cette réforme souffrait de défauts majeurs.

Il était tout d'abord inhumain. Les familles étaient rarement entendues. Les tutelles et curatelles – simples ou renforcées – fonctionnaient trop souvent sur le mode de l'infantilisation. Des archaïsmes désarçonnants subsistaient, comme la stigmatisation des incapables pour cause de prodigalité, d'intempérance ou d'oisiveté.

Ce système était ensuite inadapté, car le panel de mesures disponibles s'appliquait avec une égale brutalité à des publics très différents. La tutelle et la curatelle étaient un aller sans retour, une petite mort civile sans rémission et sans possibilité d'adaptation aux besoins de la personne.

Il était enfin inefficace. Il n'y avait pas de pilote dans l'avion ! Le système des tutelles et des curatelles était à bout de souffle, et rien ne permettait de se prémunir véritablement contre d'éventuelles escroqueries.

Oui ! ce sujet est bien – il faut le reconnaître – un des scandales de la République.

Je veux ici rendre un hommage solennel à tous les acteurs qui, pendant ces années, par leur dévouement et leur conscience professionnelle, ont permis, malgré des conditions de travail très difficiles, de faire tourner le système.

Je pense d'abord aux associations et aux gérants de tutelles, qui ont, dans leur très grande majorité, assuré un travail sourcilleux, en tentant de concilier au mieux les intérêts des majeurs et la bonne gestion des ressources financières. Cela exige du professionnalisme, tant la paperasse peut être asphyxiante. Il faut à la fois être un généraliste et un spécialiste. Il faut du tact et, en même temps, de la fermeté. Ce ne sont pas des métiers faciles même si au bout du compte, on peut éprouver la satisfaction d'avoir accompagné des personnes qui étaient perdues.

Je pense ensuite aux assistants et assistantes sociales qui ont fait un remarquable travail d'accompagnement. Il s'agit d'un suivi souterrain, trop souvent ignoré et insuffisamment valorisé. Ce travail est pourtant fondamental pour mettre un peu d'humanité et d'écoute dans un dispositif qui en manquait. La réussite à venir de la réforme reposera beaucoup sur leurs épaules.

Je pense enfin aux juges des tutelles et aux équipes des greffes, qui, dans des conditions de travail insensées, ont porté à bout de bras le système, en veillant à prévenir les risques d'escroquerie majeurs. Noyés sous les dossiers, ils devaient développer toute leur énergie, pour éviter de faire « un travail à la chaîne » et pour assurer le mieux possible un minimum de contrôle.

C'est à ces problèmes que le projet de loi propose d'apporter une réponse.

Je ne reviendrai pas sur les aspects principaux du texte, qui ont déjà été exposés. La commission des affaires sociales a été saisie pour avis pour le titre II, et c'est sur les apports de notre commission au texte que je voudrais insister, ainsi que sur quelques questions qui subsistent et que notre débat permettra, je l’espère, d'éclairer.

La commission a centré son travail sur trois questions : l’humanisation du dispositif, la simplification des procédures et la valorisation des acteurs.

S’agissant de l’humanisation, notre apport principal consiste à préconiser la suppression du recours sur succession, prévu dans le texte. Toute l’évolution de notre droit social vise depuis une dizaine d’années à supprimer ce type de mesures difficilement applicables, inefficaces et, surtout, inhumaines pour les familles.

M. Serge Blisko. Inhumaines ?

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Nous avons d’autres interrogations sur lesquelles nous serons amenés à débattre. Pourquoi limiter dans le temps la durée de la MAJ, mesure d’assistance judiciaire ? Que fera-t-on en cas d’échec ?

Par ailleurs, que faire des revenus d’activité ? Trop souvent l’aller-retour entre minima sociaux et revenus d’activité complique le suivi des personnes qui méritent pourtant de faire l’objet de mesures de protection. Maxime Gremetz a déposé un amendement à ce sujet.

S’agissant de la simplification, la commission des affaires sociales a proposé de clarifier un grand nombre de procédures : durée des mesures, clarification des pouvoirs du président du conseil général, obligation pesant sur les établissements d’hébergement de personnes âgées. Ces amendements ont pour objet d’éviter de se perdre dans des méandres trop complexes.

Quant aux mandataires judiciaires, nous avons voulu valoriser et reconnaître leur travail. Ils pourront prêter serment devant les juges des tutelles. Leur rémunération devrait mieux prendre en compte la réalité de leur charge de travail si les amendements de la commission sur ce point sont adoptés. Nous tenons aussi à préserver la diversité des mandataires – gérants privés, associations, organisations de sécurité sociale. En un mot, il s’agit de mieux valoriser le travail de ces acteurs de terrain.

Protéger les plus fragiles de notre société, tel est l’objet de la réforme qui nous est proposée. Notre parlement peut être fier de la tâche à laquelle nous sommes aujourd’hui invités. Quoi de plus noble, en effet, que d’accompagner, préserver et aider à vivre ceux qui sont fragilisés par un handicap physique, l’affaiblissement de leurs facultés mentales ou leur grand âge ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Leteurtre, premier orateur inscrit.

M. Claude Leteurtre. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi réformant la protection juridique des majeurs est un texte très attendu. Il y a bientôt quarante ans que ce régime n'a pas été modifié alors que notre société a profondément évolué. Je remercie à cet égard le rapporteur Laurent Wauquiez de ses pertinents rappels historiques. Cette évolution a, en particulier, conduit à utiliser les modes de protection des majeurs dans le cadre de mesures d'accompagnement social. À l'évidence, tel n'était pas le but du législateur en 1968.

À l'origine, le dispositif avait été prévu pour quelques milliers de personnes. Elles sont aujourd'hui 700 000 à être placées sous un régime de protection juridique et elles seront plus d'un million en 2010 en raison de l'allongement de la durée de vie moyenne de la population. La multiplication de maladies invalidantes, l'augmentation très importante de l'espérance de vie des personnes en situation de handicap mental et l'apparition de nouvelles formes de pauvreté ont accru la fraction de la population française susceptible de se voir appliquer de telles mesures de protection.

Progressivement, la loi de 1968 s'est éloignée de sa finalité. De plus, depuis 1992, son coût en est devenu exorbitant alors que le nombre de mesures prononcées était multiplié par quatre, les crédits des tutelles et curatelles étaient, quant à eux, multipliés par six. Enfin, de nombreuses personnes se voient privées de l'exercice de leurs droits pour des motifs non médicaux mais sociaux. Pour autant, ces derniers ne sont que rarement résolus par les dispositifs de protection des majeurs, car les dispositifs ne sont pas adaptés à ces situations que l'on pourrait qualifier de « danger social ».

Aussi, les fonctions du tuteur ont été profondément bouleversées. La plupart du temps, le tuteur était, il y a quarante ans, un membre de la famille. Aujourd'hui, il est le plus souvent un professionnel spécialisé sur lequel les tribunaux exercent un contrôle de moins en moins approfondi, faute de moyens. Pour toutes ces raisons, la loi de 1968, dont chacun reconnaît les qualités originelles, n'est plus adaptée aux réalités de notre société.

Quels sont les impératifs de la réforme de la protection des majeurs ? Tout d'abord, tracer une ligne de partage entre les mesures de protection juridique et celles d'un traitement social de la personne. Ensuite, poser les jalons d'une nouvelle approche du droit des personnes. Enfin, harmoniser et organiser les conditions d'exercice des intervenants extérieurs à la famille chargés des mesures de protection. Sur ces trois points, le projet de loi, soumis à notre examen, comporte de réelles avancées.

La tutelle aux prestations sociales adultes, qui concerne près de 60 000 personnes, se voit remplacée par de nouvelles dispositions : « une mesure d'accompagnement personnalisé » figurera dans un nouveau titre du livre II du code de l'action sociale et des familles. Cette aide à la gestion des prestations sociales s'appuie sur un accompagnement social personnalisé. Elle se traduira par une contractualisation entre l'intéressé et le conseil général. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette mesure dont l'intitulé permet de sortir du schéma d'incapacité juridique associé à la notion de tutelle. Le rôle assigné au département dans ce domaine permettra également une meilleure mise en œuvre du dispositif avec la prise en compte de données relatives à la personne concernée.

Une nouvelle mesure, qui vient s'insérer au sein du système de protection des majeurs, permettra de mettre en place un dispositif de gestion budgétaire et d'accompagnement social de la personne sans entraîner pour autant son incapacité juridique. C’est une bonne chose.

Le troisième volet visant à créer une mesure de protection future permet également une véritable adaptation de notre droit aux nouvelles réalités sociales. La population vieillissant et l'espérance de vie s'allongeant, nous savons que demain, le véritable enjeu de notre système solidaire sera celui de la perte d'autonomie. Cette perte d'autonomie, nous le savons bien aujourd'hui, n'est pas que physique. Elle est souvent, et malheureusement, une perte d'autonomie mentale qui ne permet plus à la personne d'exprimer clairement sa volonté, laquelle devient progressivement inapte à se suffire à elle-même. Or, cette perte d'autonomie doit pouvoir être appréhendée et anticipée afin d'en réguler au mieux les effets.

L’une des avancées majeures réside dans la possibilité offerte aux parents d'un enfant en situation de handicap d'organiser à l'avance la protection juridique de cet enfant lorsqu’il deviendra majeur, en désignant la ou les personnes qui seront chargées de sa protection et en établissant les clauses du mandat lequel permettra indéniablement une meilleure prise en compte des droits et de la volonté de la personne vulnérable. De même, la possibilité introduite par la réforme de nommer plusieurs tuteurs et curateurs est bienvenue. Elle répond au souci souvent exprimé, en particulier par les parents d'enfants en situation de handicap mental, de pouvoir continuer à s'occuper conjointement de leur enfant devenu majeur.

Cet ensemble de dispositions devrait permettre de séparer clairement ce qui relève de la protection juridique de ce qui relève de l'accompagnement social. C'est la condition indispensable à l’application de ce projet de loi. L’évolution de notre droit doit porter sur ce point précis.

Pourtant, le véritable problème réside dans la faiblesse des moyens des tribunaux. Si le projet de réforme qui nous est proposé n'est pas, sur le fond, contestable, il reste que les moyens assignés à sa mise en œuvre ne sont pas suffisants. Les greffes sont engorgés et les juges ne peuvent assumer eux-mêmes la vérification des comptes de gestion. Ne serait-il pas opportun d'instaurer dans les tribunaux des personnels auxiliaires chargés de la mise en œuvre de cette obligation légale ?

Certes, la mesure d'accompagnement personnalisé permettra d'alléger une part de la charge des tribunaux, mais elle sera largement compensée par l'obligation de la réévaluation des dispositifs de protection, qui constitue une excellente disposition. Nous souhaitons donc des réponses sur les moyens.

Le projet de loi entend également faire de l'établissement médico-social un mandataire à la protection juridique des majeurs au même titre que les associations tutélaires. Cette proposition est certainement le fruit d'une réflexion sur les évolutions des modes de prise en charge des malades et des personnes âgées dépendantes, notamment au sein d'établissements sociaux et médico-sociaux. Elle vient étendre à ces derniers, par analogie avec les gérants de tutelles hospitaliers, des compétences en matière de protection juridique. Cette disposition me paraît dangereuse parce qu’elle permet à l’établissement hébergeur, de devenir également le tuteur de la personne vulnérable. Or, il y a un risque de confusion des genres qui peut être tout à fait contraire aux intérêts de la personne à protéger.

De même, le projet prévoit la récupération, sur la succession de l'adulte protégé, des frais avancés au titre de la tutelle. Je partage à cet égard l’avis de Laurent Wauquiez. C'est là une disposition qui me semble en totale contradiction avec la loi du 11 février 2005, qui fait de la protection juridique une composante à part entière du droit à compensation des conséquences du handicap.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Claude Leteurtre. Nous avons déposé un amendement visant à préciser, pour être en cohérence avec la loi sur le handicap, que les personnes titulaires de l'AAH ne seront pas concernées par cette récupération.

Nous examinions la semaine dernière le projet de loi visant à réformer la protection des mineurs. Il s'agissait, comme aujourd'hui, d'adapter notre droit aux situations de ceux d'entre nous que la vie a fragilisés. C'est bien là le premier des devoirs de toute société démocratique et solidaire. Mais il faut également prendre garde aux mots que nous utilisons. Certains peuvent parfois blesser. C'est ainsi qu'il serait temps de mettre fin à la notion d’« incapable » par laquelle on qualifie les majeurs faisant l'objet de mesures de protection. On me répondra qu’il s’agit d’un terme juridique englobant des situations précises et définies, et qui se retrouve dans de multiples textes de notre corpus juridique. Et alors ? Rien ne nous empêche d'en changer. Il revient au législateur de mettre notre droit en cohérence avec l'évolution de la société et de l’adapter aux réalités d’aujourd’hui. Le langage étant au cœur des évolutions sociales, une adaptation terminologique nous paraît indispensable. Parlons plutôt d'inaptitude, terme générique et sans connotation péjorative.

De même, faut-il garder l’expression « insanité d'esprit » ? Je sais bien qu’elle est correcte, mais dans le langage courant, le mot « insanité » n'a pas une connotation franchement positive !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. C’est vrai.

M. Claude Leteurtre. Pourquoi ne pas parler d'altération des facultés mentales puisque c'est bien de cela qu'il s'agit ? Si nous pouvions établir des textes de loi lisibles et compréhensibles par nos concitoyens, et non réservés aux seuls professionnels du droit, nous ferions un grand pas en avant vers une démocratie plus authentique.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. En effet !

M. Claude Leteurtre. L'UDF, vous l'aurez compris, aborde la discussion de ce texte avec un a priori favorable.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Très bien !

M. Claude Leteurtre. Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, vous qui vous apprêtez à encore mieux les connaître, que les Normands sont sensibles au concret !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Il n’est pas encore élu !

M. Claude Leteurtre. C’est pourquoi nous voulons avoir toutes assurances sur les moyens financiers qui seront consacrés à sa mise en œuvre sur le terrain. Nous souhaitons également avoir la certitude que les charges financières qui en découleront pour les départements seront intégralement compensées. À cet égard, je n’ai pas été totalement convaincu, je l’avoue. En tout état de cause, c'est à cette condition seulement que nous voterons ce texte.


Toutes les associations qui se sont battues pour voir aboutir cette réforme attendent du concret, en particulier dans une période où ne manquent pas de fleurir les promesses…

Un autre point me paraît devoir être souligné. C'est celui de l'avenir du système de protection des majeurs en situation de danger social, comme je le disais. Les dispositions les concernant dans ce projet de loi se révéleront très vite insuffisantes. Des outils existent déjà comme le suivi social des RMIstes ou la faillite personnelle. Toutefois, ces dispositions ne forment pas un ensemble encore suffisamment cohérent. Nous devrons réfléchir aux modalités de prise en charge de mesures d'assistance sociale sur le long terme qui contribueront à créer de nouveaux métiers et nécessiteront de nouvelles formations.

L'évolution des nouvelles formes de pauvreté nous contraindra d’innover car de plus en plus de personnes auront besoin d'un accompagnement social de longue durée. Ce projet de loi, de ce point de vue, n'est malheureusement qu'une étape. Mais c’est un bon début. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, chers collègues, je dois dire que je suis un peu déçu par le calme qui règne ce soir. (Sourires.) Mais cela ne m’empêche pas, contrairement à l’orateur précédent, d’éprouver une grande satisfaction à intervenir sur ce texte très important, attendu depuis de nombreuses années.

Il faut dire que l'actuelle loi sur la protection juridique des majeurs, rédigée il y a plus de trente ans pour quelques milliers de personnes, concerne aujourd'hui directement plus de 1 % des Français – soit 700 000 personnes et bientôt un million – pour la plupart fragilisées par leur grand âge, un handicap physique ou la perte de leurs facultés mentales, sans compter les inquiétudes de plusieurs millions de personnes, si l’on prend en compte les familles. Ce qu'il faut surtout retenir de cette évolution, c'est que cette population s’accroît de 4 % chaque année et qu’elle est appelée à progresser encore plus vite à l'avenir, compte tenu du vieillissement démographique.

Au-delà des données, nous devons avoir à l’esprit que cette augmentation du nombre de personnes placées sous protection judiciaire résulte aussi de l’application d’une loi progressivement détournée de son objet, sous la pression de la montée du chômage, de la précarité et de l'exclusion. De nombreuses mesures judiciaires prononcées s’appuient sur des considérations essentiellement sociales, qui ne justifient en rien la réduction ou la suppression de la capacité juridique des personnes. Votre politique de régression sociale y est certainement pour quelque chose !

De nombreux rapports officiels ont mis en évidence les dysfonctionnements et les dérives de notre système de protection des majeurs vulnérables. Rien d'étonnant lorsque l'on connaît certains chiffres et je vais en citer un qu’aucun orateur n’a jusqu’à présent évoqué.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Je vois ce dont vous voulez parler.

M. Maxime Gremetz. Vous êtes jeune, vous êtes impatient, je vous comprends, monsieur le rapporteur pour avis, mais n’allez pas si vite. Aujourd'hui, il n’existe que quatre-vingts juges des tutelles en équivalents temps plein. Au moins, j’aurai apporté quelque chose au débat !

M. le président. Mais vous apportez toujours quelque chose au débat, monsieur Gremetz ! (Sourires.)

M. Maxime Gremetz. Merci, monsieur le président !

Les gérants de tutelle n'ont ni statut ni rémunération clairement définis, les tribunaux sont débordés, les psychiatres et les gérontologues chargés d'évaluer l'état mental de la personne sont en nombre insuffisant et les magistrats ne sont pas en mesure de contrôler efficacement la gestion des comptes.

Il n'est guère étonnant, dans ces conditions, de voir prospérer – parlons clair et parlons vrai – les cas de maltraitance et les abus tutélaires, régulièrement dénoncés par les familles et les associations. Notre système est « indigne d'une démocratie judiciaire moderne », estime l'un des avocats de l'Association française contre les abus tutélaires, Gilles Portejoie.

Pour être enfin en accord avec les grands principes fondamentaux propres à nos valeurs républicaines et démocratiques, la protection des personnes vulnérables exige, d'une part, que la mise en œuvre de mesures privatives de droits ne soit envisagée par le juge que comme ultime solution et, d'autre part, que la restriction des droits qui en résulte soit limitée au strict nécessaire. Enfin, elle doit être adaptée et respectueuse de la personne, mais aussi exercée et contrôlée avec les meilleures garanties.

En toute logique, la réforme proposée, à la fois civile, sociale et financière, obéit à quatre idées fortes : réaffirmer les principes fondamentaux de la protection ; placer la personne au centre de la protection ; rénover l'activité des tuteurs professionnels ; instaurer un dispositif social de protection en amont de l'intervention judiciaire.

Le projet contient de nombreuses innovations attendues par les associations, avec lesquelles nous travaillons depuis longtemps. Nous avons d’ailleurs élaboré nos amendements avec elles et avec les familles concernées. Nous ne nous contentons pas en effet de travailler dans notre coin, nous savons qu’il est important de consulter ceux qui connaissent le mieux ces problèmes et ils nous apportent beaucoup.

Si ce texte, servi par des ambitions louables, ne va parfois pas assez loin pour en permettre une réalisation effective et pérenne, les travaux en commission – je tiens à le souligner car ce n’est pas si courant – laissent espérer une amélioration sensible des dispositions proposées.

En premier lieu, je salue – et je pense que nous sommes unanimes sur ce point – l'abandon du terme « incapable » pour désigner les personnes sous tutelle ou curatelle.

M. Claude Leteurtre. C’est une bonne chose !

M. Maxime Gremetz. Dans le même esprit, je proposerai que le terme « capable » soit lui aussi modifié afin d'aller jusqu'au bout de ce changement sémantique si indispensable pour la dignité des personnes concernées. En effet, s’il y a des personnes « capables », c’est qu’il y en a d’« incapables ». Pour moi qui ai été à l’école primaire, c’est de la simple logique. Mais peut-être que pour des grands professeurs comme vous, cela paraît plus dialectique, même si c’est un mode de pensée que je connais aussi, vous le savez bien. (Sourires.)

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Surtout la dialectique révolutionnaire !

M. Maxime Gremetz. Les départements, qui assumeront dorénavant la charge de la mesure d'accompagnement social personnalisé seront appelés à jouer un rôle majeur dans la réforme. L'Assemblée des départements de France s'est d’ailleurs inquiétée à juste titre de l'absence de garanties en matière de compensation financière. M. le ministre nous dira qu’il ne faut pas parler de gros sous quand il s’agit de personnes handicapées. En attendant, les gros sous, il faut bien qu’ils sortent de quelque part. Et nous estimons que vous demandez un peu trop souvent aux collectivités locales, déjà prises à la gorge, de payer, ce qui vous permet de vous vanter en toute tranquillité d’avoir réduit les impôts. Il faut quand même savoir qui va payer car tout cela a un coût.

Nous saluons sans réserve la consécration de la protection de la personne des majeurs dans le cadre d’un mandat confié à un tuteur ou un curateur ainsi que la possibilité pour des parents de désigner l'éventuel futur tuteur ou curateur de leur enfant majeur handicapé et l’harmonisation des règles de fonctionnement des services de tutelles.

Reste que les personnes handicapées mentales et leurs familles attendent plus que jamais que la spécificité de leur handicap soit reconnue par le législateur. Nous demandons en particulier que cette réforme leur accorde une protection mettant concrètement en œuvre le droit à compensation des conséquences du handicap, tel qu’il est prévu dans la loi relative au handicap de février 2005.

Rappelons que les principes de notre droit ont fait de la mise en œuvre des mesures de protection juridique une des composantes du droit à compensation du handicap. Cette évolution traduit parfaitement l'idée que la mise en place d’une mesure de protection ne doit pas priver une personne handicapée mentale de ses droits, mais lui permettre de prendre des risques, grâce à la protection assurée par le tuteur ou le curateur.

Aussi espérons-nous une suppression de la non-prise en charge du coût du certificat médical établi par un médecin spécialiste inscrit sur la liste du procureur. À notre sens, cela fait partie du droit à compensation. Nous proposons que le certificat médical du médecin de l'équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées puisse se substituer à celui requis pour l'ouverture d'une mesure de protection juridique. Non seulement cela permettra une mise en conformité avec notre droit, mais cela évitera certaines dérives, je vais m'en expliquer en citant un exemple.

Marie-Hélène Isern-Real, avocate parisienne spécialisée dans le droit des personnes, expliquait récemment dans un hebdomadaire – que je ne citerai pas, car je ne veux pas faire de publicité : « c'est vrai que je me méfie beaucoup de certains médecins qui sont pourtant toujours inscrits sur les listes des tribunaux. Une fois sur deux, je fais faire des contre-expertises. ». Elle raconte ainsi le cas d'une femme venue dans son cabinet pour lui faire part de sa crainte de voir sa propre fille parvenir à la mettre sous tutelle. « Je lui ai dit que je ne pouvais rien faire pour l'instant, mais que, surtout, elle m'appelle au moindre problème ».

Deux ans plus tard, cette femme, alors âgée de soixante-dix ans, doit être transportée à l’hôpital car elle souffre d'une crise aiguë d'arthrose. Complètement abattue par le traitement, elle reçoit la visite de sa fille, accompagnée d'un médecin qui constatera que la patiente – et pour cause ! – « ne jouit pas de toutes ses facultés mentales ».

Je cite toujours la même avocate : « À l’aide de ce certificat, la fille a demandé la mise sous tutelle de sa mère. Remise, celle-ci m'a tout de suite appelée. J'ai fait faire une contre-expertise et la procédure a été interrompue ». Passer par la maison départementale du handicap aurait permis de gagner beaucoup de temps. J’ai pris cet exemple car il n’est pas si isolé qu’on peut le croire.

De même, nous demandons que la participation de la personne handicapée au financement de sa mesure de protection rendue nécessaire par son handicap soit calculée en référence au dispositif prévu pour la prestation de compensation du handicap.

Ainsi, les frais de tutelle avancés par les collectivités publiques ne doivent absolument pas faire l'objet d'un recours en récupération comme pour la prestation de compensation, à la fois pour des raisons morales et financières. Comme le rapporteur, nous avons déposé un amendement qui vise à corriger cette disposition dont l'esprit a été accueilli favorablement par la commission.

La loi renforce la place de la famille dans le dispositif de protection juridique et nous nous en félicitons.

Je veux appeler votre attention sur le fait que les tuteurs familiaux sont, le plus souvent, seuls face à leurs responsabilités, sans aide organisée. C'est pourquoi, il nous semble indispensable que puisse être mis en place sur tout le territoire un dispositif d'aide aux tuteurs familiaux assorti d'un financement pérenne.

La reconnaissance d'un véritable statut des professionnels des associations tutélaires passe par des mesures de qualification et de formation reconnues. Or le projet reste vague et ne prévoit pas de réel diplôme. Pourtant, cette mesure volontariste et complète que nous proposons permettrait une homogénéisation des pratiques professionnelles.

Par ailleurs, les différents travaux d'élaboration de la réforme prévoyaient un dispositif permettant d’améliorer la connaissance du juge sur la situation de la personne pour qui une mesure de protection a été demandée. Les associations proposent, à juste titre, que cette évaluation médico-sociale prenne la forme d'un bilan global de la personne à protéger – bilan familial, social, médical et financier. Il nous semble que le « rapport circonstancié » prévu dans le projet de loi est largement insuffisant.

La place et le rôle du juge dans ce texte méritent toute notre attention. Si la présence judiciaire est renforcée dans certains cas, comme la révision des mesures par le juge des tutelles tous les cinq ans, dans d'autres on voit le juge s'effacer. Par exemple, il serait possible d'exonérer le tuteur de l’obligation de rendre des comptes de gestion. Dans un autre cas, il serait possible de nommer un président issu du conseil de famille faisant office de juge. Heureusement, les travaux en commission ont permis de remédier à cette situation.

En conclusion, le projet de loi entend faire de l'établissement médico-social, par analogie avec les gérants de tutelle hospitaliers, un mandataire à la protection juridique des majeurs au même titre que les associations tutélaires. Nous proposons, comme d’autres collègues, des amendements visant à lever toutes les interrogations suscitées par cette disposition.

Nous ne voulons plus, au nom de la protection des plus faibles, qu’une vieille dame soit dépouillée de ses économies, qu'elle voie sa propriété vendue sans percevoir le produit de la transaction, ou qu’on lui dérobe meubles, bijoux et objets si chers à ses souvenirs. Nous ne voulons plus voir des handicapés mentaux dont les comptes bancaires fondent comme neige au soleil, ni des enfants qui font mettre leurs parents sous tutelle, pour mieux dilapider le patrimoine familial. Certes, ces cas sont peu nombreux, mais ils existent. Aussi devons-nous prendre des mesures pour les éviter.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Maxime Gremetz. La tutelle est une question sociale et éthique. Je tiens à saluer l'esprit consensuel qui a animé les débats en commission.

Le groupe des député-e-s communistes et républicains déploiera toute son énergie et toute sa force de conviction – et vous savez que nous n’en manquons pas…

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. C’est vrai, et elle est grande !

M. Maxime Gremetz. …surtout la nuit (Sourires) –, afin de donner à ce texte qui va dans le bon sens toute la portée que mérite un tel sujet. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Delnatte.

M. Patrick Delnatte. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le dispositif de protection juridique des majeurs repose sur un socle législatif vieux de près de quarante ans. 700 000 personnes sont concernées par une tutelle ou une curatelle et 68 000 mesures nouvelles sont prononcées chaque année par les juges d'instance. C'est donc une population importante qui est concernée. Mais la société a évolué, qui rend le dispositif désuet et inadapté aux situations contemporaines. Le projet de loi qui nous est soumis ne propose pas de révolutionner les textes en vigueur, mais de les rénover complètement.

Quelques grands constats expliquent cette nécessité. L'espérance de vie augmente, y compris celle des personnes handicapées, et le nombre de personnes âgées, voire très âgées, s'accroît. En 2004, une personne sur dix avait soixante-quinze ans ou plus, soit deux fois plus qu'en 1962, et ce phénomène va s'accentuer. La conception traditionnelle de la famille évolue en multipliant les configurations : familles monoparentales, séparations, familles recomposées. La mobilité, conséquence du marché de l'emploi, favorise l'éclatement géographique des familles. Enfin, les situations des personnes ayant besoin d'une protection se sont diversifiées et complexifiées, en raison des politiques de la psychiatrie, de l'insertion des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion des personnes en difficulté.

Si la réforme maintient les principes fondateurs de la loi de 1968, à savoir la nécessité, la subsidiarité et la proportionnalité des mesures de protection, elle place désormais la personne au centre du dispositif en prenant mieux en compte ses intérêts. Cela passe par la recherche de l'adhésion du majeur au régime de protection qui lui est appliqué, par l'individualisation de la mesure en fonction de son degré de capacité et par le respect de sa volonté lorsque c’est possible.

Des travaux importants et des expérimentations ont permis de préparer ce projet de réforme, et je remercie le Président de la République et le Gouvernement d'avoir répondu à l'appel pressant des parlementaires en conduisant cette réforme dans le calendrier contraint d'une fin de législature. Les élus que nous sommes observent des dysfonctionnements, voire des abus, qui provoquent une grande souffrance et un sentiment de honte. Heureusement, il s'agit d'exceptions et il faut rendre hommage à la grande majorité des bénévoles et professionnels impliqués dans la protection juridique et sociale des majeurs. Ils trouveront dans la réforme de nouvelles motivations et de nouveaux outils pour mener à bien leur mission.

Si tous les objectifs de cette réforme font l’objet d’un large consensus, certaines questions, qui ont fait débat au sein des commissions, devraient trouver une réponse que je souhaite efficace dans l'examen du texte. J'en cite quelques-unes.

L’absence de tarifs pour les certificats médicaux délivrés par les médecins spécialisés pose de graves difficultés,…

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. C’est vrai !

M. Patrick Delnatte. …d’autant que la réforme fait davantage appel à ces certificats. Il serait nécessaire de prévoir un plafond d'honoraires fixé par décret en Conseil d’État.

Par ailleurs, élu d'un département frontalier, je constate depuis de nombreuses années que la Belgique accueille beaucoup de personnes handicapées, enfants et adultes. Or les familles et les associations craignent que le système actuel d'accompagnement s'interrompe en cas de déménagement à l’étranger. Je rappelle que la France a signé, mais pas encore ratifié, la convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes qui prévoit expressément la mise en place d'autorités centrales chargées en particulier de la coordination et de l’échange d'informations.

Autre problème, celui de la limitation de la mesure d'assistance judiciaire aux seules prestations sociales. La mesure à prendre ne devrait dépendre que du besoin de protection et non de la nature des ressources…

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. C’est fondamental !

M. Patrick Delnatte. …car on risque de continuer à assister à des demandes de modification au gré des changements de la nature des ressources.

Enfin, le projet de réforme laisse une véritable place à la famille dans le dispositif de protection juridique. La réforme accroît l'importance de la charge de tuteur ou de curateur et, corrélativement, les responsabilités encourues à ce titre. Je me félicite donc que la commission propose d'inscrire dans la loi le principe de l'aide aux tuteurs familiaux. La nouvelle profession des mandataires judiciaires à la protection des majeurs pourrait sans doute jouer un rôle intéressant dans ce domaine.

Permettez-moi de formuler une proposition de simplification. Si la dénomination « mandataire judiciaire à la protection des majeurs » est bien adaptée juridiquement, elle paraît bien lourde, voire technocratique et elle risque de se transformer rapidement en un sigle de plus et pas très heureux. Ne pourrait-on pas la remplacer par l’expression « protecteur judiciaire » qui me paraît plus simple ? Par exemple, en Allemagne, le terme Betreuer est l’expression unique pour ce type de fonction.

Pour finir, je m’interroge sur la procédure judiciaire. Les recours contre les décisions rendues par le juge des tutelles sont portés devant le tribunal de grande instance, pour des raisons historiques je crois. On ne retrouve cette règle dans aucun autre domaine civil, et notamment en matière familiale, tous les appels étant portés devant la cour d'appel. Celle-ci est d'ailleurs compétente en matière de tutelles aux prestations sociales adultes, comme elle l'est pour les tutelles aux prestations sociales enfants et pour l'assistance éducative. Monsieur le garde des sceaux, peut-être y aurait-il là matière à une réforme future.

Mes chers collèges, le groupe UMP votera avec conviction ce projet de réforme tant attendu par tous. Il fait suite aux textes importants adoptés par la majorité au cours de cette législature, en matière de droit de la personne et à la famille : dévolution du nom de famille, accueil et protection de l'enfance, divorce, solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, bioéthique, égalité des droits et des chances, participation et citoyenneté des personnes handicapées, droits des malades et fin de vie, adoption, prévention et répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, successions et libéralités, contrôle de la validité des mariages, protection de l'enfance. Toutes ces réformes ont été faites avec pragmatisme, sans céder aux effets de mode ou à l'aventurisme, en gardant à notre droit et à notre vie sociale tous ses repères essentiels.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Patrick Delnatte. Les Français l'ont bien compris. Le Gouvernement et sa majorité ont su mener une politique familiale efficace pour accompagner leurs désirs d'enfants.

Certes, des problèmes subsistent, des difficultés sociales fragilisent ces nouveaux équilibres. Mais les résultats sont là. En 2006, pour la première fois depuis bien longtemps, la France renouvelle ses générations. C'est le signe d'une société qui retrouve confiance en elle-même et dans son avenir.

Cette situation, mes chers collègues, nous pouvons tous nous en réjouir, mais surtout en féliciter nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Très bonne intervention !

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs est enfin soumis au vote de l’Assemblée nationale. Rarement un texte aura été aussi attendu par les familles, les professionnels et les associations. Rarement nous aurons laissé subsister l’application d’un droit que tout le monde reconnaissait comme inadapté et surtout détourné de ses objectifs d’origine.

Ce projet de loi si souvent annoncé était devenu en quelque sorte l’Arlésienne du droit de la famille. Je rappelle que, dès 1986, les ministres de la justice et des affaires sociales organisaient une table ronde sur l’indispensable réforme de la tutelle d’État. En 1996, le garde des sceaux annonçait le dépôt imminent d’un projet de réforme. Puis, à la suite d’un scandale révélant des détournements, une triple inspection générale fut organisée et déboucha sur la création d’un groupe de travail présidé par Jean Favard, dont le rapport, déposé en avril 2000, aura finalement attendu près de sept ans avant d’être traduit en un projet de loi.

Ce cheminement chaotique révèle les interrogations qui, aujourd’hui encore, pèsent sur notre réflexion.

La première concerne la connaissance de la population visée par les mesures de protection. Certes, nous savons que leur nombre augmente très fortement et qu’elles concernent aujourd’hui 800 000 personnes. Le chiffre de 1 million de personnes en 2010 est régulièrement avancé. Mais, en réalité, sur les conséquences de la réforme, notamment sur le nombre de personnes qui relèveront désormais de la mesure d’accompagnement social dont la compétence est attribuée exclusivement aux départements, les estimations varient, selon les interlocuteurs, dans une très forte proportion.

C’est l’un des problèmes auxquels se heurte la réforme : nous ne connaissons pas exactement le nombre de personnes concernées. On parle de centaines de milliers de dossiers qui, de facto, se retrouveront sous la responsabilité du conseil général et ne relèveront plus d’un dispositif de protection juridique. Voilà qui pose un sérieux problème quant à l’objectivité ou à la réalité des estimations financières. Celles-ci dépendront évidemment du nombre de personnes concernées, dont je rappelle que le calcul est très variable.

M. Serge Blisko. Eh oui !

M. Alain Vidalies. La deuxième interrogation, qui n’a pas encore été évoquée, concerne le secret médical, dont le respect constitue à la fois un impératif et une difficulté. Je pense particulièrement au contenu du rapport que le président du conseil général devra adresser au procureur de la République, après l’éventuel échec de la mesure d’accompagnement social.

La troisième incertitude vise le rôle des parquets après la réforme. La saisine d’office du juge des tutelles est supprimée, et nous approuvons cette mesure qui rendra par ailleurs notre droit positif compatible avec la convention européenne des droits de l’homme. Mais, jusqu’à aujourd’hui, les parquets sont, disons-le, totalement absents des procédures en cours. On peut se demander comment, demain, ceux qui ne rassemblent que deux ou trois magistrats pourront assurer le suivi de plusieurs milliers de dossiers. Le problème se pose, d’autant que c’est souvent dans les départements ruraux, dont la population est âgée et qui rassemblent le plus grand nombre de personnes protégées, que l’effectif des parquetiers est le plus réduit.

La quatrième interrogation concerne le rôle des familles. Certes, nous approuvons votre décision de le privilégier. Encore faut-il se garder d’une vision angélique des mécanismes de solidarité familiale. Songeons que le chiffre de 54 % des mesures résultant de l’autosaisine du juge d’instance cache souvent, en réalité, le refus des familles d’apparaître comme ayant été à l’initiative de la procédure. Gardons aussi à l’esprit le fait que les détournements au détriment de personnes protégées sont parfois l’œuvre de membres de la famille.

Ces interrogations subsistent. Elles expliquent probablement les hésitations du Gouvernement à inscrire enfin ce projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée, à quelques semaines seulement de la fin de la législature.

Ce texte, dont nous approuvons l’orientation générale, mérite d’être amélioré, au-delà du travail remarquable du rapporteur de la commission des lois, que je tiens à saluer.

La création du mandat de protection future est une innovation essentielle, qui s’inscrit dans la continuité de la réforme du droit des successions, en privilégiant le respect de la volonté individuelle. Dès lors que le risque de perdre demain notre autonomie du fait de la dégradation de notre état physique ou intellectuel nous concerne tous, la possibilité pour chacun de choisir le mandataire chargé de le représenter est une vraie avancée au titre des libertés individuelles.

C’est une décision grave, lourde de conséquences, et qui doit pouvoir être portée à la connaissance des tiers. Or, même limité aux actes d’administration, le contrat sous seing privé ne répond à aucune de ces exigences et générera à coup sûr de nombreux contentieux, qui viendront ternir la portée de la réforme. À vrai dire, nous ne comprenons toujours pas pourquoi cette option figure dans le texte et nous souhaitons tout simplement supprimer le recours au contrat sous seing privé pour le mandat de protection future.

M. Serge Blisko. Il est beaucoup trop dangereux !

M. Alain Vidalies. Nous souhaitons que les personnes concernées puissent bénéficier, au stade de l’audition, de la présence systématique d’un avocat. En la matière, le risque d’erreurs ou d’abus de droit est certes limité, mais leurs conséquences seraient dramatiques. Dès lors, la présence d’un avocat nous paraît indispensable pour garantir les droits des personnes vulnérables.

Nous sommes également très attentifs au respect des droits de la personne, notamment au maintien de l’accès au compte bancaire personnel. La pratique du compte pivot était peut-être un passage obligé, mais aujourd’hui les progrès technologiques permettent à la fois le respect du droit au maintien du compte individuel et la gestion au quotidien par le mandataire de justice. Nous souhaitons que tous les organismes bancaires puissent garantir l’accès à ce système déjà expérimenté dans certains départements.

Enfin, nous serons extrêmement attentifs à ce que soit élaboré un véritable statut des mandataires judiciaires qui, à notre avis, doivent relever d’une procédure unique et nationale. Leur professionnalisation, au moyen d’une certification nationale, doit être un objectif majeur.

Nous approuvons le choix principal de séparer les mesures d’accompagnement social, d’une part, et de protection juridique, de l’autre. Aujourd’hui, le département est naturellement l’échelon de gestion de l’aide sociale et de l’accompagnement aux personnes. Mais soyons conscients que les missions actuellement dévolues au conseil général au titre de l’APA ou du RMI sont de nature assez différente de celles qui seront issues de la présente loi. Les personnels chargés de cette nouvelle mission devront probablement posséder une qualification spécifique. D’où la nécessité de recruter des conseillers en économie sociale et familiale.

Le Gouvernement nous assure que cette nouvelle charge sera intégralement compensée aux départements. Nous sommes habitués à ce type de déclarations. Malheureusement, les expériences récentes, notamment en matière de RMI, nous laissent très sceptiques. Puisque la réforme repose sur le transfert aux départements du suivi de centaines de milliers de personnes, il est regrettable que le Gouvernement ne soit pas parvenu à un accord avec les conseils généraux, qui seront pourtant des acteurs déterminants pour la faire réussir. Or je rappelle que, dans une délibération en date du 5 septembre 2006, le bureau de l’Assemblée des départements de France estime incontestable, dans sa finalité, la nécessité de conduire une réforme de la protection juridique des majeurs. Il s’étonne néanmoins du désengagement significatif de l’État, qui se traduit par un transfert de mesures judiciaires vers des mesures administratives dorénavant financées et gérées par les conseils généraux.

Pour cette raison, à cause de ce travail au fond inachevé avec les conseils généraux, le groupe socialiste s’abstiendra sur ce texte, tout en participant de manière constructive à ce débat si important sur la place du citoyen vulnérable dans la société de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, dont on vient, à juste titre, de souligner l’excellence, mes chers collègues, je me suis battu, ainsi que d’autres, pour que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de nos travaux et puisse entrer ainsi dans notre droit objectif. Je me réjouis que nous y soyons parvenus. Je vous avais interpellé à ce sujet, monsieur le garde des sceaux. Les choses ont abouti et j’en suis heureux. Je salue également le travail accompli par M. Accoyer, président de notre groupe, qui s’est personnellement battu pour cette cause.

Même si, en cette fin de session, nous examinons de manière parfois précipitée un certain nombre de textes, j’ai la conviction que celui-ci restera à notre actif dans le bilan de la législature, peut-être plus que d’autres, qui bénéficient pourtant d’une audience médiatique bien supérieure.

Pourquoi tenions-nous à ce texte ? Parce qu’il achève un édifice cohérent en faveur du monde du handicap, dont la loi de 2005 – M. Bas l’a rappelé – fut le point d’orgue. Mais aussi parce que mon expérience du terrain m’a convaincu de la nécessité de légiférer.

Je citerai quelques exemples très concrets de cette expérience. Je pense à ce vieux monsieur qui sent ses forces le quitter et qui s’inquiète de l’avenir de son fils handicapé de naissance, dont il avait jusqu’à présent la tutelle. Je pense à ce mari qui doit envisager la mise sous tutelle de sa femme, l’amour de sa vie, atteinte de la maladie d’Alzheimer. J’ai à l’esprit, enfin, ces enfants confrontés au déclin physique et psychique de leurs parents, qui naguère incarnaient pour eux l’autorité et la stabilité.

Confrontés à ces témoignages, nous mesurons, nous élus, la noblesse de notre tâche, puisque nos concitoyens font de nous les confidents de leur détresse ; nous mesurons aussi la petitesse et la médiocrité de notre condition, puisque nos capacités d’action sont faibles et insuffisantes. J’ai écouté le témoignage de personnes sous tutelle ou sous curatelle, qui ont le sentiment de n’être jamais entendues. J’ai écouté ces gens qui s’estiment parfois enfermés à perpétuité dans des formes juridiques qu’ils jugent asphyxiantes. J’ai écouté le témoignage de familles qui ont appris par hasard que leurs ascendants étaient mis sous tutelle. C’est la réalité. D’autres que moi pourraient en témoigner.

J’ai écouté également le témoignage de ces professionnels de la tutelle, qui se dévouent sans compter et qui m’ont convaincu que celle-ci était bien souvent utilisée, voire dévoyée, pour résoudre des problèmes sociaux réels, mais auxquels elle est inadaptée ou disproportionnée.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. C’est juste.

M. Marc Le Fur. Je souscris totalement aux objectifs du texte. Parmi eux figure la dignité de la personne humaine protégée, qui a le droit d’être entendue et pour qui nous créons un droit à la réversibilité : aucune mesure la concernant ne saurait, en effet, être définitive. Des examens sont absolument indispensables. Nous avons prévu des délais de deux ou cinq ans en fonction de la nature des protections, mais toute décision doit être réversible.

La dignité, c’est aussi la faculté désormais donnée à tout un chacun d’anticiper, grâce au mandat de protection future, qui représente un vrai progrès de société. Les parents d’un enfant handicapé pourront l’utiliser pour organiser à l’avance la protection juridique de leur enfant devenu majeur. Cet élément essentiel permettra dès aujourd’hui de rassurer bien des familles.

À côté de la personne humaine, le texte place également la famille au centre de son dispositif. Elle est le protecteur naturel. Il n’est pas normal que près de la moitié des mesures de protection soient confiées à des organismes tiers, étrangers à la famille. Celle-ci doit, en tout état de cause, être informée, entendue et, dans toute la mesure du possible, associée aux décisions.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Oui, c’est important.

M. Marc Le Fur. Les tiers ont leur rôle et, dans la majorité des cas, ils l’assument très correctement, qu’il s’agisse d’associations ou de tuteurs indépendants. J’ai découvert cette profession avec beaucoup d’intérêt et j’ai pu mesurer le sérieux de ceux qui l’exercent. Je souscris donc pleinement à la volonté de M. Vidalies de les faire reconnaître non seulement dans l’aire du TGI, mais aussi, sinon de manière nationale, au niveau de la cour d’appel, de façon que leur travail soit plus efficace et qu’ils n’aient pas chaque fois à solliciter l’accord des parquets pour exercer leur métier.

J’ai constaté aussi parfois que les familles étaient absentes ou défaillantes, voire refusaient d’exercer la tutelle par crainte de susciter au sein d’une fratrie des difficultés liées à son exercice par l’un de ses membres.

Mais la famille doit bien évidemment rester au centre du dispositif, quand elle se voit confier la tutelle, bien évidemment, mais aussi quand ce n’est pas le cas, parce qu’elle continue à exister, à participer à la vie de la personne protégée. Quand la tutelle lui est confiée, la famille doit être accompagnée – d’autres que moi l’on dit –, l’effort de formation et d’information doit être poursuivi. Il s’agit parfois de former à des éléments juridiques élémentaires, mais essentiels si l’on veut exercer correctement cette mission au niveau de la famille.

En conclusion, je dirai que nous avons levé les ultimes incertitudes. Pour celles concernant les finances des conseils généraux, je reconnais, messieurs les ministres, que vous m’avez totalement convaincu.

M. Serge Blisko. C’est rapide !

M. Marc Le Fur. Quant à celles touchant à la reprise sur succession, je crois que nous allons ensemble les lever.

J’ai malgré tout une question à poser concernant la situation des préposés à la tutelle dans les hôpitaux. Je suis conscient du travail qu’ils accomplissent. Toutefois, leur situation pose un problème de principe : l’hôpital étant l’hébergeant, et donc le créancier, la personne issue de l’administration hospitalière qui exerce la tutelle n’est-elle pas juge et partie ? Les fonctions non financières de cette tutelle ne sont-elles pas négligées, alors même que nous les plaçons au cœur de notre dispositif législatif ? Je souhaiterais avoir des précisions en réponse à cette question qui ne me semble pas négligeable.

Mais là n’est pas le plus important : le texte est bon ; il est concret, utile et, pour l’essentiel, consensuel. Tout est donc pour le mieux. Mes chers collègues, nous avions passé un très beau dimanche ; nous avons passé également un très bon mardi. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Et le lundi, alors ? (Sourires.)

M. Alain Vidalies. La référence au dimanche était peut-être de trop, monsieur Le Fur ! Faut-il appeler le Premier ministre pour lui demander ce qu’il en pense ?

M. le président. La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je suis un peu désarçonné par cette référence au dimanche : tel qui rit un dimanche peut pleurer un autre dimanche ! (Sourires.) Mais nous continuons à nous féliciter du consensus qui s’est exprimé sur les principes et sur l’intérêt de la démarche, intérêt souligné par nos rapporteurs, que je voudrais remercier pour la teneur très concrète de leurs interventions. Chacun s’accorde aujourd'hui sur la nécessité de légiférer et sur l’urgence de la réforme. Certes, monsieur Wauquiez, la réflexion a duré, mais vous êtes un peu sévère : le débat a pris du temps parce qu’il y a eu, dans des lieux d’ailleurs très différents, des prises en considération, des propositions, des notaires d’un côté, de l’inspection des services judiciaires de l’autre – je mélange à dessein et je ne fais pas de chronologie. Cela montre que ce projet de loi très attendu touche à la vie et à l’organisation sociale dans beaucoup de domaines, et il est extrêmement intéressant de voir comment ce projet a été préparé à partir de différents points de vue. Peut-être nous reste-t-il peu de temps, puisque nous sommes le 16 janvier et que la session doit se terminer dans six semaines, mais en tout cas, je ne crois pas que le temps – trop long sans doute : je suis d’accord avec vous, monsieur le rapporteur pour avis – qui a précédé cet examen ait été inutile. Il a permis de détecter un certain nombre de difficultés auxquelles nous allons revenir tout au long de la discussion, très fournie et très riche, article par article. Finalement, le seul reproche que je puisse faire à ce texte, c’est d’être très riche alors que le temps qui nous est imparti ne nous permettra peut-être pas d’aller au fond du débat.

Vous l’avez dit les uns et les autres : la perspective d’avoir un million de personnes sous protection juridique d’ici à 2010, l’augmentation annuelle de 8 % – on en rêverait pour la croissance économique – du nombre des mesures de protection indiquent assez que le dispositif était totalement dépassé, les juges de tutelle et les greffiers en chef se trouvant noyés sous le nombre des dossiers. On a déjà distingué, je n’y reviendrai donc pas, les personnes atteintes par le vieillissement ou la maladie d’Alzheimer de toutes celles qui perdent pied après un accident de la vie, une perte d’emploi ou de logement, une séparation familiale, une détresse sociale plus complexe. Nous connaissons tous – M. Le Fur a eu raison d’y insister – dans nos permanences, sur le terrain, ces situations où finalement le psychologique le dispute au social. Il est vrai qu’il était important d’y voir clair.

Je ne m‘attarderai pas sur l’insuffisance des moyens actuels, avec quatre-vingts juges équivalents temps plein préposés aux tutelles. Mais vous nous en avez promis en commission, monsieur le garde des sceaux, vingt-neuf de plus. C’est très bien.

Je veux rendre hommage, comme tous les députés du groupe socialiste, à tous ceux qui, à tous les échelons de cette chaîne de responsabilité – travailleurs sociaux, juges, greffiers, familles souvent accaparées par la lourdeur de la tâche, associations – se sont attachés à faire en sorte, dans des conditions difficiles et avec une insuffisance de moyens, que ces 700 000 majeurs protégés bénéficient d’un service qui, aujourd’hui, doit être repensé. À ce propos, je suis d’accord avec Maxime Gremetz : l’expression « incapable majeur » est à bannir. Elle est non seulement très dépréciative, mais en plus très archaïque.

L'objectif premier, nous l’avons dit, est de replacer le majeur protégé au centre du dispositif en respectant avant tout les droits de la personne. Je rappelle ce que disait le très important rapport Favard de mai 2000 : « On ne saurait se contenter de la seule consécration par la Cour de cassation, le 18 avril 1989, du principe selon lequel "les régimes civils d'incapacité ont pour objet, d'une façon générale, de pourvoir à la protection de la personne et des biens de l'incapable" » – à cette époque, on disait encore « incapable ». Il est évident qu’il faut aujourd’hui bien avoir à l’esprit qu’il y a, d’une part, la personne, et, d’autre part, la gestion des biens. Comme le sait M. Blessig, très souvent, ces biens sont fort réduits, ce n’est pas grand-chose : une allocation adulte handicapé, des droits futurs sur un bout de maison. Encore faut-il que, même si ces comptes sont petits, l’examen et le suivi des comptes soient le plus rigoureux possible.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Serge Blisko. De ce point de vue, nous avons émis quelques réserves sur une simplification abusive s’agissant des petits revenus. Nous convenons qu’aujourd’hui, avec l’informatique et des logiciels de comptabilité simples, on pourrait expliquer, en particulier aux tuteurs familiaux, comment tenir des comptes ; mais il ne saurait y avoir un traitement différent pour les petits comptes et pour les fortunes plus importantes – heureusement plus rares et qu’il faut bien évidemment surveiller de très près.

Il ne faut pas oublier non plus la dimension humaine de cette protection et ne pas négliger la perte des droits et des libertés qui en résulte. Nous savons tous que les situations sont complexes et quelquefois délicates. Je pense en particulier à l’éveil à une vie sentimentale, voire à une vie sexuelle, de jeunes majeurs protégés. Dans les institutions, ce problème qui était caché, nié, jamais évoqué il y a trente ans, est aujourd’hui au cœur de la réflexion. Celle-ci donne lieu, en particulier avec la contraception, avec le recours, qu’on aimerait le moins fréquent possible, à l’IVG ou à l’interruption médicale de grossesse, à beaucoup de discussion, à beaucoup de déchirements. Notre devoir de parlementaire est aussi d’aider les professionnels, dans le cadre de la loi, à faire en sorte que ces décisions humainement difficiles soient prises dans les meilleures conditions possibles pour les majeurs protégés, qui sont d’abord des citoyens même s’ils sont très vulnérables et n’ont pas toutes les capacités possédées par la moyenne de nos concitoyens.

De ce point de vue, le réexamen périodique, fixé à cinq ans par le projet de loi, des mesures de tutelle et de curatelle était une nécessité. La réversibilité est une notion fondamentale, mes chers collègues, car il n’est pas aujourd’hui de situation qui, un jour ou l’autre, ne puisse être au moins stabilisée. Et les progrès de la médecine sont tels que nous ne pouvons pas légiférer en ignorant que même des maladies graves, invalidantes, incapacitantes, pourraient demain s’améliorer. Ne serait-ce que pour cette raison, il faut être prudent. De plus, la clause dite de « revoyure » au bout de cinq ans permet justement de faire le point et de ne pas laisser les choses perdurer de façon mécanique,…

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Serge Blisko. …au fil de l’eau, ce qui ne serait pas convenable.

Nous avons des points d’accord concernant le principe de proportionnalité de la mesure de protection – M. le garde des sceaux en a parlé : subsidiarité et proportionnalité, mesures correspondant à un échelon dans la hiérarchie des normes juridiques, c’est essentiel.

Mais il nous reste tout de même quelques états d’âme – M. le rapporteur le sait bien – s’agissant de la tutelle aux prestations sociales adultes régie par la loi du 18 octobre 1966. Cette tutelle devient une mesure d’assistance judiciaire dans le projet de loi. Nous pensons, nous, que l’extension des mesures d’assistance judiciaire à des ressources autres que les prestations sociales serait souhaitable, autrement on compliquerait le phénomène et on rendrait illisible un dispositif qui est de l’ordre de la simplification. Il faut absolument élargir l’assiette à partir de laquelle les futurs mandataires vont pouvoir travailler.

Dernier point : on s’est interrogé sur la limitation à quatre ans des mesures d’assistance judiciaire. Pour le coup, nous pensons que c’est un peu rapide : doit-on décider aussi vite que l’échec est acquis et placer la personne sous curatelle, risquant ainsi d’annihiler l’ensemble des progrès accomplis pendant les quatre années précédentes ?

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. Serge Blisko. Le retour en arrière serait évidemment contreproductif et irait à l’inverse de notre objectif qui, je le rappelle, est la marche vers l’autonomie des personnes. C'est clairement le fil conducteur. Nous souhaitons que les personnes, en particulier celles qui ne sont pas atteintes d’une affection irréversible, puissent être guidées vers plus d’autonomie. Bien évidemment, et nous en sommes d’accord, la mesure la plus souple doit toujours être privilégiée.

Par ailleurs, certains nous ont mis en garde : le contrôle des tuteurs et des curateurs doit être renforcé. Nous savons bien que ces mises en garde correspondent à la réalité et sont justifiées, mais le renforcement du contrôle suppose la professionnalisation et la formation de ceux qui vont s’engager dans cette future profession, ainsi que l’aide et le conseil aux tuteurs familiaux. L’Association nationale des juges d’instance, qui suit cela de très près, nous disait qu’il fallait éviter que le cabinet du juge d’instance ne soit toujours le lieu de rendez-vous. Parfois, hélas – M. le garde des sceaux le sait bien –, il ne se trouve pas dans un bâtiment des plus amènes. Je ne parle pas des mairies d’arrondissement de Paris, où les tribunaux d’instance sont souvent situés dans des cadres prestigieux, mais il en est d’autres, parfois très éloignés, mal implantés en termes de carte départementale, qui obligent à de grands déplacements, d’autres encore qui ne sont pas à la hauteur, et quelques-uns qui sont noyés dans des cours d’appel ou dans des TGI, ce qui en rend l’aspect un peu oppressant, alors que c’est déjà un tel traumatisme d’aller voir un juge pour parler d’un membre de sa famille sous curatelle ou sous tutelle.

Il serait souhaitable que, dans les maisons de justice et du droit, s’installent des associations, des structures de conseil, des groupes de parole. Nous ne cessons de créer des lieux de médiation, et ce n’est pas inutile parce que la société devient complexe. Ces maisons de la justice et du droit, que votre département ministériel suit avec beaucoup d’attention, pourraient être un cadre intéressant pour la formation et l’accompagnement des familles.

M. le garde des sceaux. Tout à fait !

M. Serge Blisko. On pourrait aussi créer une plate-forme, un numéro vert peut-être, pour répondre à leurs questions. Tout le monde n’est pas un spécialiste du droit, et bien des familles accomplissent leur mission avec beaucoup de bonne volonté, mais en ayant bien conscience qu’elles peuvent à tout moment commettre une erreur. Il faut donc les aider.

Dernier point sur lequel nous nous sommes interrogés, et sur lequel nous avons peut-être trouvé une solution : la question des médecins traitants. Permettez-moi de faire appel à mon expérience personnelle de médecin généraliste pour souligner que nous ne sommes pas toujours très bien outillés : d’abord parce que nous sommes de moins en moins nombreux, ensuite parce que ce n’est pas évident de dire au terme d’un examen médical ce qu’une personne est capable de faire, ce que l’on peut lui demander, donc de déterminer s’il faut plutôt une mise sous tutelle ou une mise sous curatelle. Les capacités d’expertise des médecins généralistes ne sont pas toujours suffisantes, leurs connaissances peuvent être incomplètes en ce domaine, sans parler des cas où ils sont soumis à des pressions contradictoires entre différents membres de la famille, quand ce n’est pas entre celle-ci et la personne elle-même. Les exemples cités par M. Le Fur et M. Gremetz montrent que les médecins sont parfois mal à l’aise dans ces situations.

Une expertise est nécessaire, dont le coût est d’ailleurs considérable : on a parlé de 200 euros. On a évoqué les médecins spécialisés, consultants ou référents dans les maisons départementales du handicap : eux seraient à même, quitte à consulter le médecin traitant, de mener à bien l’expertise – car c’est bien d’une expertise qu’il s’agit, et non d’un certificat. Cette solution nous permettrait sans doute d’éviter un certain nombre de dérives.

En matière de protection des majeurs vulnérables, le législateur doit concilier deux lignes de réflexion.

La première est notre obligation de protéger des personnes qui n'ont pas la capacité, à un moment de leur vie ou définitivement, de gérer leurs ressources, leurs biens, d’accomplir leurs actes civils ou tout simplement les actes de la vie quotidienne. La protection passe par une limitation de leur liberté, qu’il faut leur expliquer : je ne reviens pas à ce que disait M. Vidalies au sujet de la nécessaire présence de l’avocat.

La seconde ligne de réflexion a trait à ce qui doit toujours motiver notre action de législateur : comme les juges, nous avons d’abord à protéger les libertés individuelles. L'équilibre est souvent difficile à trouver. Je crois, monsieur le garde des sceaux, que l’Association des juges d’instance, dont nous avons entendu les représentants, est tout à fait consciente de cette tension entre la protection de la liberté et celle des personnes majeures, et qu’elle en tient grand compte. Notre point de repère doit toujours être l'obligation de placer la personne au centre du dispositif mis en œuvre pour assurer sa protection. L'individualisation des mesures, leur proportionnalité, la révision de celles-ci chaque fois que c’est nécessaire, l'accompagnement des familles ou encore la formation et le contrôle des tuteurs répondent à cet objectif. Sous réserve de nos débats ultérieurs et de la prise en compte des problèmes que nous soulèverons avec nos amendements, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le garde des sceaux. Pourquoi ne pas le voter ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Guibal.

M. Jean-Claude Guibal. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, chers collègues, les textes qui régissent la protection des majeurs vulnérables ne correspondent plus à l’état de notre société. Il fallait donc les réformer : c’est ce à quoi s’applique enfin, et à mon sens de façon pertinente, le projet de loi qui nous est présenté.

Le dispositif mis en place par les lois de 1966 et de 1968 avait été conçu, on l’a rappelé, pour quelques milliers de personnes. Il s'applique aujourd'hui à plus de 700 000 individus, soit à plus de 1 % de la population française. Demain, c'est-à-dire aux environs de 2010, il concernera, du fait de la croissance démographique, de l'allongement de la durée de la vie et de la multiplication des pathologies qui, telle la maladie d'Alzheimer, accompagnent le grand âge, plus d'un million de Français.

De surcroît, l'application de ces textes a entraîné des dérives qui les ont détournés de leur finalité originelle. Indépendamment des abus – que les précédentes interventions ont soulignés – suscités par l'appât du gain et que l'insuffisance des effectifs des juges de tutelle, qui ne sont que quatre-vingts, ne permettait pas de réprimer, ces textes, et en particulier la loi de 1968, ont été de plus en plus utilisés pour faire face aux problèmes nés de la pauvreté et de l'exclusion. Il en est résulté une explosion du nombre de personnes placées sous protection juridique, explosion d'autant plus choquante que la mise sous tutelle réduit, quand elle ne les supprime pas, les libertés fondamentales de la personne.

Une réforme s'imposait donc afin, selon les termes de l’exposé des motifs du projet de loi, de « recentrer le dispositif de protection juridique sur les personnes réellement atteintes d’une altération de leurs facultés personnelles tout en améliorant leur prise en charge, notamment en étendant la protection à leur personne même et non plus seulement au patrimoine, et en personnalisant le contenu des mesures ». C'est bien ce à quoi s'attache le texte qui nous est proposé, dont l’intérêt est double. D'une part, il permet de faire la distinction entre les personnes qui souffrent d'altération mentale ou physique et celles qui relèvent de l'intervention des services d'action sociale des conseils généraux ou des associations agréées. D'autre part, en assurant l'accompagnement de la personne mise sous tutelle, le projet de loi remet celle-ci au centre du dispositif, ce qui constitue à mes yeux – et puisque je dois m’exprimer en cinq minutes – son principal mérite.

Trois mesures illustrent cette préoccupation de placer la personne au centre du dispositif.

D’abord, le « mandat de protection future » permet à chacun de choisir préalablement celui ou celle qui serait nommé tuteur ou curateur au cas où l’on ne serait plus en mesure d'exercer ses droits et de défendre ses intérêts. La volonté de la personne est ainsi prise en compte, à tout le moins quand elle est encore en mesure de l’exprimer.

Ensuite, les droits de la personne vulnérable sont renforcés car la mesure de protection juridique ne pourra être ordonnée par le juge qu'après que celui-ci aura auditionné la personne concernée.

Enfin, dans le même esprit de respect de la personne, la mesure de protection ne pourra être prise que pour une période maximum de cinq ans, selon le principe de réversibilité, et ne pourra être renouvelée par le juge que selon les mêmes formes.

Autant il peut parfois nous sembler que certains textes sont superfétatoires et qu’ils encombrent inutilement notre arsenal législatif, autant celui-ci est bienvenu : il tient compte de l'évolution de notre société et apporte, dans un domaine où le respect de la dignité de la personne est essentiel, des réponses claires, équilibrées et proportionnées. C’est vous dire qu’après qu’il aura été précisé et enrichi par nos débats, je voterai pour son adoption. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Robin-Rodrigo.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, chers collègues, notre dispositif de protection des majeurs repose, pour l'essentiel, sur deux piliers législatifs : la loi du 3 janvier 1968, inscrite dans le code civil, et celle du 18 octobre 1966, qui relève du code de la sécurité sociale.

Quarante ans après l'adoption de ces deux lois, force est de constater que le système de protection des majeurs vulnérables est devenu inadapté. La population visée par ces mesures s'est profondément modifiée. L'allongement de la durée de vie, la précarité et l'exclusion pèsent de plus en plus sur le dispositif de protection. L'évolution de la prise en charge de la maladie psychiatrique a eu pour conséquence de mettre sous protection des personnes qui, jusqu’alors, ne le nécessitaient pas. La fragilité, la précarité et l'exclusion appellent plutôt une aide ou un accompagnement social qu'une protection juridique.

De nombreux rapports ont dénoncé les dysfonctionnements et les dérives du système de protection des majeurs vulnérables. Plus de 700 000 personnes sont aujourd’hui concernées par les mesures de protection, alors que notre pays ne compte que 80 juges des tutelles en équivalents temps plein. Les gérants des tutelles n'ont ni statut ni rémunération clairement définis. Les tribunaux sont débordés, les psychiatres et les gérontologues sont en nombre insuffisant et les magistrats ne sont pas en mesure de contrôler efficacement la gestion des comptes. Surtout, les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité posés par la loi du 3 janvier 1969 ne sont plus, aujourd’hui, strictement respectés. Il n'est guère étonnant, dans ces conditions, de voir prospérer les cas de maltraitance et les abus tutélaires régulièrement dénoncés par les familles et les associations.

La protection des personnes constitue l'un des éléments structurants de notre société, et elle doit s'adapter à ses évolutions pour aider les personnes les plus fragiles à faire face aux aléas de la vie, dans le respect de leur dignité et de leur autonomie de vie.

Cependant, l'application effective de cette réforme aussi ambitieuse que nécessaire dépendra de la capacité à mobiliser les moyens qu'elle exige. Cette réforme concerne l'avenir et la vie de 1 % de la population française – 2,2 % de la population dans mon département des Hautes-Pyrénées.

Les interrogations exprimées tant par les départements que par ceux qui soulignent l'insuffisance des moyens humains, sont légitimes. C'est la raison pour laquelle j'insiste, messieurs les ministres, pour que vous nous précisiez quel sera l'accompagnement financier : quelle que soit la nature de la mesure, il est en effet important de poser des règles homogènes, aussi bien pour la rémunération des gestionnaires que pour le niveau de participation demandé aux personnes protégées. Le choix du délégué à la tutelle et du type de mesure gagnera ainsi en neutralité.

Aujourd'hui, on évalue le coût des mesures de tutelle et de curatelle à environ 400 millions d'euros par an. Cette évaluation atteindrait dans cinq ans 600 millions d'euros. Face à de tels montants, il est légitime de souligner les inquiétudes des conseils généraux car, malgré les promesses des gouvernements Raffarin et de Villepin, force est de constater que les lois de décentralisation de 2004 n'ont pas été compensées « à l’euro près », loin s’en faut.

M. Alain Vidalies. Voilà la vérité !

M. Serge Blisko. Et c’est bien le drame !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. On peut donc légitimement s'interroger sur le coût de 35 millions d’euros par an que vous avez annoncé, monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale, au congrès des notaires. Cette somme est contestée par l’Assemblée des départements de France, et elle s’avère déjà insuffisante.

La deuxième interrogation concerne les moyens humains mis à la disposition de la justice, mais aussi des DDASS. Nous le savons tous, la solidarité a un coût. Elle nécessite des investissements lourds, un effort soutenu de formation initiale et continue, et surtout une revalorisation des métiers. L'attractivité des nouveaux métiers d'aide à la personne, le maintien des structures sur l'ensemble du territoire, imposent des lignes budgétaires pérennes.

La troisième interrogation a trait à l'important volet réglementaire. En effet, les dispositions réglementaires qui devront accompagner la réforme portent sur des aspects essentiels. Il faut donc qu'elles soient adoptées dans des délais rapides. Plusieurs instances préconisent que les modalités de financement de la formation des mandataires de protection soient fixées par décret.

De même, il est souhaitable que le montant de la dotation globale versée aux associations tienne compte du coût de ces formations. Celles-ci doivent bien entendu être qualifiantes et déboucher sur de vrais diplômes délivrés par des organismes agréés ou des écoles telles que l'École nationale de la santé publique ou l'École nationale de la magistrature. Reste une lacune importante : le texte ne prévoit aucune mesure de soutien, d’accompagnement de formation pour les tuteurs familiaux, pourtant largement majoritaires.

Enfin, j'exprimerai à mon tour le souhait de voir se créer un observatoire national qui aurait pour vocation de recenser l'ensemble des personnes placées sous protection juridique par type de mesure. Cet outil permettrait à l'État de disposer d’un recensement exhaustif de la population des majeurs protégés.

Je terminerai en affirmant que notre système de protection des majeurs doit avoir pour seule finalité l’intérêt de la personne protégée. Il doit avant tout être organisé et mis en œuvre dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine, en favorisant autant que possible l'autonomie de la personne protégée.

Vous le voyez, messieurs les ministres, quelques améliorations sont nécessaires et vous ne m’avez malheureusement pas encore convaincue au sujet du financement. (M. le garde des sceaux et M. le ministre délégué à la sécurité sociale jouent à se désigner réciproquement.) Vous vous renvoyez la balle : c’est bien ce dont je soupçonnais ce gouvernement ! Mettez-vous d’accord avant la fin des débats pour trouver les financements nécessaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L'Huissier.


M. Pierre Morel-A-L'Huissier
. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il était temps que le législateur fasse preuve de discernement pour ceux qui en ont moins. Le régime de protection des majeurs vulnérables repose en effet sur un socle législatif vieux de plus de trente ans. C’est un dispositif poussiéreux qui n'a pas su s'adapter aux évolutions et aux nouveaux maux de notre société – vieillissement de la population, maladie d'Alzheimer et précarité sociale – et qui a conduit en pratique à des dérives notoires, ne faisant plus la distinction entre public fragile, vulnérable ou incapable, et transformant des accidents de la vie en allers sans retour. C’est un système devenu par ailleurs trop coûteux : près de 380 millions d’euros en 2005, soit une augmentation de 200 % depuis 2001.

Il était donc temps de retrouver le bon sens, et je salue ici le courage dont vous avez fait montre, messieurs les ministres, en menant à bien cette réforme promise et très attendue par les professionnels – juges, tuteurs, curateurs et experts médicaux – comme par les 700 000 personnes placées sous un régime de protection juridique et par leurs proches. Ces personnes seront en effet un million, demain, à avoir besoin d'un accompagnement individualisé, plus professionnalisé et qui redonne à la famille toute sa place.

Messieurs les ministres, le texte que vous nous proposez vient limiter la curatelle ou la tutelle aux seules personnes dont les facultés mentales ou physiques sont réellement atteintes du fait de leur âge, de leur handicap ou de leur état psychiatrique : leur accompagnement n'en sera que mieux pris en charge, compte tenu du manque de moyens humains et matériels inhérent au dispositif actuel. Quant aux personnes dont la vulnérabilité résulte de difficultés sociales ou économiques, elles seront prises en charge par les départements, via des mesures d'accompagnement social personnalisées.

Si l'on peut se réjouir que cette distinction soit ainsi formulée, il me semble nécessaire d’insister sur le fait que la protection des incapables majeurs ne saurait se dispenser de moyens supplémentaires. Faut-il rappeler, en effet, pour bien appréhender la situation d'urgence dans laquelle nous nous trouvons, qu'en 2003 quelque 600 000 tutelles et curatelles étaient suivies, en équivalents temps plein, par quatre-vingts juges seulement ?

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. C’est vrai.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Faut-il préciser que, déjà, de nombreux services de la DDASS se sont désengagés récemment auprès des associations tutélaires ?

De même, il faudra donner aux départements les moyens – humains et financiers – d'assumer ces nouvelles responsabilités. La décentralisation a vu beaucoup de charges s'ajouter aux missions traditionnelles des conseils généraux qui, s'ils sont égaux en devoirs, ne le sont pas devant le prélèvement de l'impôt. Messieurs les ministres, vous le savez, les ressources propres des petits départements, et notamment en zone rurale comme en Lozère ou en Haute-Loire, ne sont pas extensibles. J'attends donc que des crédits soient inscrits en face de ces nouveaux transferts de compétence.

Cela dit, il est vrai que celles et ceux qui sont en grande difficulté sociale méritent une réelle attention plutôt qu'une vie par procuration. Alcooliques, toxicomanes, surendettés, divorcés… la précarité, ponctuelle ou prolongée, a conduit certains à être privés de tout ou partie de leurs capacités juridiques, sans même que leurs facultés mentales soient altérées. Il s'agissait surtout d'empêcher les plus démunis de tomber dans le gouffre sans fond de la pauvreté. Cependant, cette interprétation ex nihilo de la loi de 1968 a engendré de nombreuses dérives et nourri une jurisprudence abondante. Nous ne saurions blâmer des juges qui expédient les dossiers, faute de temps, d'effectifs et de moyens. Nous ne saurions blâmer des tuteurs ayant en charge des centaines de dossiers et qui ne sont pas préparés à affronter la détresse humaine, même si certains, malheureusement, en on fait leur fonds de commerce.

Il fallait donc mieux encadrer le dispositif et mieux armer le juge pour contrôler la gestion des biens des personnes protégées. Désormais, ce dernier, qui sera assisté dans sa mission par le procureur de la République, ne pourra plus se saisir d'office. Il devra ainsi chercher, dans chaque cas, à éviter, dans la mesure du possible, la mise sous protection juridique. Cette dernière sera d'ailleurs limitée dans le temps et graduée, si elle s'avère toutefois nécessaire. De plus, la situation de chaque majeur considéré comme incapable sera réexaminée tous les cinq ans.

Je constate aussi que la famille est replacée au cœur de cette réforme. C'était indispensable. Dans une société où les liens se délitent, il était important de réaffirmer le rôle des proches. De surcroît, de nombreuses familles souffraient de ne pas être davantage associées aux procédures judiciaires. Elles le seront. La tutelle familiale sera encouragée, et je souhaite qu’elle puisse être accompagnée.

Ayant été confronté à cette problématique en tant qu’avocat ainsi qu’à titre personnel, je souhaiterais aussi qu’une analyse approfondie de la situation familiale soit effectuée avant toute décision de protection, et que la personne majeure protégée puisse bénéficier d’un véritable accompagnement administratif, juridique et matériel, mais également, quand cela est nécessaire, psychologique.

La professionnalisation de la fonction tutélaire est justement le meilleur rempart contre une judiciarisation excessive du droit des tutelles qui pourrait, à terme, rendre ingérable toute protection juridique des majeurs incapables. Elle est aussi indispensable pour que toute la confiance soit restaurée entre les tuteurs, leurs protégés et leurs proches. Les professionnels sont en effet victimes de discrédit et de méfiance, alors même que leur métier nécessite une grande générosité d'âme et qu'on ne s'improvise pas tuteur.

Néanmoins, la responsabilité des organes tutélaires sera désormais engagée. Ils seront considérés, selon l'article 5, comme responsables des dommages résultant d'une faute quelconque commise dans l'exercice de leurs fonctions. Par ailleurs, ces nouveaux « mandataires judiciaires de protection des majeurs » seront soumis à des procédures d'agrément. Ils devront ainsi remplir des conditions de moralité, d'âge et d'expérience. Je souhaite que ces mesures soient complétées par des programmes de formation spécifiques pour permettre aux associations tutélaires d’offrir des services de qualité et afin que soient clairement établies leurs compétences.

Parce que notre Gouvernement, messieurs les ministres, a eu le courage d'apporter de la clarté dans ce dispositif et de rendre leur dignité à nombre de majeurs incapables, je soutiendrai votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Vernaudon.

Mme Béatrice Vernaudon. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, chers collègues, jusqu’en Polynésie la protection juridique des majeurs a été détournée de sa finalité et a entraîné une restriction injustifiée des droits des personnes concernées. En fait, dans le but louable de protéger des majeurs – le plus souvent de personnes atteintes d'un handicap mental -, l’organisme gestionnaire des régimes de protection sociale, les services administratifs ou bancaires ont institutionnalisé le recours à la mesure de tutelle, sans réaliser les conséquences juridiques en termes de suppression des droits civils et civiques des personnes. Ce sont des atteintes à leur dignité.

Il y a près de 250 000 habitants en Polynésie. Les tribunaux y gèrent actuellement 1 568 dossiers de majeurs protégés, dont 1 147 sous tutelle. Il y a deux ans, devant les difficultés rencontrées par les familles vis-à-vis de leurs majeurs protégés, des travailleurs sociaux ont créé une association, Tutelger, qui gère exclusivement la tutelle aux prestations sociales de 337 personnes, pour moitié placées en familles d'accueil. L'allocation majeur handicapé en Polynésie est de 500 à 750 euros, selon le degré de dépendance et les ressources. À l'opposé, seuls cinquante majeurs protégés dont le patrimoine dépasse 80 000 euros sont confiés à des gérants de tutelle privés.

En voulant se couvrir par une décision judiciaire pour verser à un tiers, généralement membre de la famille, l’allocation – plus rarement le minimum vieillesse ou la retraite – on enferme définitivement la personne concernée dans le statut d'incapable.

Il n'est pas non plus superflu d'évoquer le coût pour nos tribunaux des enquêtes sociales et des expertises psychiatriques préalables à toute décision de protection.

Je salue donc tous ceux qui, depuis plusieurs années, se sont élevés contre cette situation et ont plaidé pour une réforme en profondeur de ce dispositif. Je salue également votre détermination, monsieur le garde des sceaux et monsieur le ministre de la famille, à faire voter et publier cette loi avant la fin de notre mandature.

Cependant, pour permettre à Mayotte, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française – chacune dotée d'un statut différent – de bénéficier des progrès humains, sociaux et techniques que comporte cette réforme, nous allons, à l'article 24 de la loi, autoriser le Gouvernement à étendre et adapter par voie d'ordonnance, avant le 1er février 2009, les mesures relevant du domaine législatif. Puis le Parlement devra ratifier cette ordonnance. Il s'agit là pour le ministre de l'outre-mer, en partenariat avec vos ministères respectifs, d'un exercice juridique difficile et complexe, qui s'apparente, dit-on, au métier de dentellière.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis. Du Puy ! (Sourires.)

Mme Béatrice Vernaudon. Sept codes sont concernés par la réforme. Deux d’entre eux relèvent de la compétence de l’État : le code civil et le code de l’organisation judiciaire ; les cinq autres relèvent de la compétence des autorités locales : le code de l’action sociale et des familles, le code de la santé publique, le code des assurances, le code de la sécurité sociale et le code de procédure civile.

Non seulement il faut scrupuleusement respecter les domaines de compétences respectifs entre l'État et chacune des collectivités et s'assurer de la cohérence de l'imbrication des différentes réglementations, mais il faut en plus les adapter à un contexte géographique, social, culturel et administratif spécifique. Autant dire que l'exercice relève de l'exploit. Il a déjà rebuté bien des fonctionnaires. J'en veux pour preuve les deux décrets nécessaires à l'application du statut des pupilles de l'État, étendu en 2000, qui nous permettraient enfin de mettre en œuvre la loi sur l'adoption : à ce jour, ils n'ont toujours pas été publiés.

C’est bien de cette question, à nouveau posée par le projet de loi, que je voulais vous entretenir, messieurs les ministres. Il est important en effet de respecter notre appartenance pleine mais particulière à la République française, et de permettre, d'autre part, le même progrès social et humain à nos populations ultramarines.

Or, ces derniers mois, dans les domaines qui nous intéressent, nous avons fait progresser la prévention et la répression des violences conjugales, la prévention de la délinquance, la protection de l'enfance et, aujourd'hui, la protection juridique des majeurs. Toutes ces lois ont en commun, à des degrés différents, de modifier le code de l'action sociale et des familles, socle de notre organisation législative et administrative en la matière.

Or une telle codification n'existe pas encore en Polynésie. Le chantier est ouvert depuis plusieurs années, mais il peine à aboutir à cause, précisément, de ces partages et de ces imbrications de compétences. La bonne gestion de ce chantier juridique et professionnel, voire financier, suppose que nos spécialistes respectifs travaillent en complémentarité à partir d'une vision et d'une méthode partagées. Ils pourraient également contribuer à l'évolution de la convention État-pays relative aux actions de solidarité, dont la renégociation est en cours. Ces financements de l'État, consacrés exclusivement à notre régime de solidarité territoriale, permettent en effet de développer les programmes d'action sociale et les moyens de leur mise en œuvre.

Le champ à adapter est suffisamment vaste aujourd'hui pour ne plus perdre de temps et adopter la bonne méthode. Celle que je propose est l’envoi sur place d'une mission commune composée d'un représentant de l'IGASS, d'un représentant des services de l'outre-mer et d'un représentant de la justice, pour identifier, avec les responsables locaux, la nature, l'ampleur et la méthode de ce vaste chantier, qui consiste à aider la Polynésie à finaliser son code de l'action sociale et des familles, tout en préparant l'ossature des différentes ordonnances qui viendront, pour les lois nouvelles que j'ai rappelées, étendre et adapter les mesures législatives.

Cette approche est innovante mais, au terme de mon premier mandat de député, j'ai la conviction que c'est ainsi et ensemble que nous ferons évoluer harmonieusement, comme en métropole, nos cadres juridiques et techniques nécessaires pour améliorer la vie des personnes les plus vulnérables et des familles.

Je voterai ce texte de loi attendu, mais je souhaiterais, messieurs les ministres, que vous me précisiez si vous adhérez à cette démarche et comment nous pourrions l'initier sans attendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, dernier orateur inscrit.

M. Sébastien Huyghe. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous discutons ce soir répond dans son ensemble aux préoccupations de nos concitoyens.

Durant les quarante dernières années, la notion d'incapacité a beaucoup évolué. Elle n'est plus seulement le résultat d'une altération des facultés mentales chez une personne majeure, elle revêt aussi des formes plus larvées, liées à des conditions de vie économiques et sociales précaires, conduisant à la marginalisation de certains individus. Elle peut être enfin le symptôme d'une espérance de vie largement prolongée, dont il convient évidemment de se réjouir, mais qui parfois se traduit par une déficience des facultés intellectuelles.

Le projet de loi a fort bien pris en compte cette évolution sociologique en étendant la règle graduée de l'incapacité et en proposant une gamme de protections encore plus affinée, visant à apporter la réponse juridique la plus adaptée à telle ou telle situation. Le meilleur exemple en est la proposition d'une mesure d'assistance judiciaire, qui protège sans diminuer vraiment la capacité de l'individu.

Cet effort de rénovation législative doit s'accompagner d'une meilleure prise en compte de la personne, qui ne doit jamais être extérieure au système de protection, mais en être au contraire partie prenante. Le projet de loi intègre cette dimension en développant deux axes forts : la prise en compte de la volonté de la personne et le souci de ne pas créer une législation discriminante.

La prise en compte de la volonté de la personne, tout d’abord, comporte un double niveau de réflexion et d'expression. La personne protégée ou à protéger doit l'être dans son intégrité physique et morale, bien entendu, mais aussi dans la manifestation de sa volonté.

Sur le plan formel, le choix d'un vocabulaire adapté doit être systématiquement privilégié. Parlons de personnes protégées et oublions la notion même d'incapacité qui apporte souvent une souffrance supplémentaire à l'entourage familial.

Sur le fond, la recherche, dans ce projet, d'un véritable statut de la personne, souvent exprimée en termes voilés, doit être mieux affirmée. Ce statut personnel ne peut être exactement identifié que s'il se définit par opposition au statut patrimonial. Si ce dernier induit une présomption d'incapacité, le statut personnel doit à l'inverse, chaque fois que possible, induire une présomption de capacité. Il serait bon que nous le disions clairement. Il appartiendra au juge, dans des situations aggravées, de moduler cette capacité, si nécessaire, par des règles d'assistance, voire de représentation. Ce statut personnel doit également être lisible. Il apparaît alors nécessaire de regrouper en un même lieu toutes les dispositions relatives aux pouvoirs réels de la personne sur son mode de vie, sa santé, son intégration sociale, ou bien encore sa citoyenneté.

Respecter la personne, c'est aussi respecter sa volonté, en lui permettant notamment d'anticiper l'altération de ses facultés mentales et d’organiser une mesure de protection personnalisée.

À cet égard, l'intégration dans notre droit du mandat de protection future est une disposition phare dont il y a lieu de se féliciter. La possibilité donnée aux parents de désigner eux-mêmes un mandataire pour leur enfant majeur, lorsqu'il est hors d'état de manifester sa volonté, va dans le même sens.

Nous sommes sensibles à la promotion d'un droit volontaire, c'est-à-dire la création, par la volonté de l'individu, de règles juridiques librement consenties. Ce droit volontaire participe à la mise en place d'un droit juste, personnalisé, compréhensible, par opposition à la loi, qu'il faut cantonner à une vocation générale, définissant exclusivement le cadre juridique d'une situation donnée. En même temps, ce droit volontaire permet, autant qu'il est possible, de « déjudiciariser » la matière, en sollicitant moins le juge pour des actes ponctuels et répétitifs

La loi doit toutefois faire l'effort de repenser systématiquement l'intervention du juge dans le développement de ce droit volontaire. Il ne s'agit pas tant de recourir moins au juge que d’y recourir mieux. À cet effet, la mise en jeu du mandat de protection future, qui pose en d'autres termes la question de son opposabilité, doit faire l'objet d'un examen attentif, organisant le moyen de prévenir le contentieux par une notification préalable de son déclenchement.

Cette attention à la personne doit être un souci permanent, lequel témoigne d'une autre réflexion tout aussi forte, celle procédant de la volonté de ne pas créer une législation discriminante à l'égard des personnes que la loi a le devoir de protéger. Cette volonté s'inscrit dans le droit fil de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il s'agit de protéger, non de singulariser ou de discriminer les personnes dont les facultés mentales se sont altérées. Cela doit se traduire par un accès juridique égal aux différents actes patrimoniaux. Ce n'est pas le cas actuellement dans le droit positif français, et le projet de loi, tel qu'il nous est présenté, corrige quelque peu ce défaut. Il aurait cependant pu aller plus loin.

Une personne protégée doit pouvoir accéder aux donations de toute nature et en faveur de toute personne, souscrire, modifier ou racheter une assurance-vie, changer de façon simple de régime matrimonial. Ces actes patrimoniaux particuliers ne doivent pas être redoutés, car ils seront toujours accomplis sous un contrôle judiciaire préalable et strict, qui évitera les déviances et les abus.

Envisager cette possibilité participera à l'essor d'un droit de composition volontaire, multipliant les alternatives patrimoniales et les possibilités d'assistance. Les modes de protection se déclineront alors sous diverses formes, susceptibles de répondre précisément aux besoins juridiques des personnes vulnérables. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Je remercie l’ensemble des orateurs d’avoir souligné l’urgence de cette modification législative. Il ressort en effet des différentes interventions que nous aurions dû modifier la loi depuis longtemps déjà. Cette réforme est attendue et sera, je le pense, réussie. J’ai écouté les uns et les autres avec la plus grande attention et j’ai constaté, avec Philippe Bas, que personne n’avait remis en cause le dispositif prévu.

Maxime Gremetz a rappelé les insuffisances et les dérives du système actuel. La réforme proposée par le Gouvernement répond aux trois points qu’il a soulignés : affirmation du principe de subsidiarité ; consécration de la protection de la personne ; création d’un statut unifié pour les mandataires et renforcement des contrôles à leur égard.

S’agissant des moyens dégagés pour l’application de cette réforme, je le dis à M. Gremetz ainsi qu’à tous les membres de cette assemblée, le ministère de la justice va créer trente postes équivalents temps plein de magistrats et cinquante postes de greffiers – M. Blisko s’était, lui aussi, interrogé à ce sujet.

Monsieur Delnatte, vous avez évoqué l’importante question de la cessation de la mesure de protection pour les personnes résidant à l’étranger. Je puis vous rassurer : les personnes qui sont hébergées ou soignées à l’étranger sans avoir transféré leur résidence habituelle en France – ce qui est majoritairement le cas – continueront à être suivies par un juge français. Cette question fera plus globalement l’objet de travaux que la France compte entreprendre dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.

Vous vous êtes également interrogé sur les recours contre les décisions des juges des tutelles : s’ils sont examinés par les tribunaux de grande instance et non par les cours d’appel, c’est pour répondre à un souci de proximité et il n’est pas envisagé de revenir sur cette règle.

Monsieur Vidalies, vous vous êtes félicité de la disparition de la saisine d’office du juge des tutelles. Il s’agit d’un des points essentiels de la réforme, qui subordonne la saisine du juge à une requête accompagnée d’un certificat médical attestant l’altération des facultés mentales de la personne concernée. Seront ainsi évités de nombreux abus ou l’ouverture de mesures non justifiées.

Vous avez également prôné la suppression du mandat de protection future sous seing privé, lequel est nécessairement limité aux actes de gestion, contrairement au mandat notarié, qui s’étend aux actes de disposition. J’aurai l’occasion d’y revenir au cours du débat, mais les deux formes de mandat répondent à des besoins différents et doivent, selon moi, être conservées. Pourquoi ne pas faire confiance aux familles et suspecter a priori les actes sous seing privé ?

Monsieur le Fur, vous avez souligné l’importance du rôle de la famille dans la protection des proches. Il s’agit en effet d’un devoir essentiel à l’égard de ses ascendants, dont le projet de loi a souhaité tirer les conséquences en prévoyant que les curateurs et les tuteurs seraient choisis en priorité parmi les membres de la famille.

Monsieur Blisko, vous avez rappelé la nécessité d’un accompagnement ou d’une formation des familles dans l’exercice des missions de tutelle ou de curatelle. Vous avez notamment évoqué la possibilité pour les associations de mettre en place des actions dans le cadre des maisons de la justice et du droit. Cette idée me semble très pertinente et je veillerai à ce que ce type de dispositif se développe.

Monsieur Guibal, vous avez souligné l’importance du mandat de protection future. Il s’agit en effet d’une disposition essentielle du projet de loi, qui permettra de désigner à l’avance la personne que l’on charge pour l’avenir de la défense de ses intérêts, et ce, en dehors de toute mesure judiciaire.

Madame Robin-Rodrigo, j’ai mentionné précédemment le renforcement des effectifs de magistrats et de greffiers qui permettront de mettre en œuvre cette réforme dans de bonnes conditions. Je puis vous assurer que tous les décrets seront pris en temps utile pour assurer le succès de cette réforme. Quant aux éléments que vous avez interprétés comme étant contradictoires, Philippe Bas ne manquera pas d’expliquer tout à l’heure les économies que feront d’un côté les départements et qui leur permettront de dégager le financement de l’autre partie de cette réforme. Mais je lui laisse ce soin car cela relève de sa responsabilité.

Monsieur Morel-A-L’Huissier, vous avez rappelé la nécessité de mettre un terme aux dérives du dispositif actuel qui conduisait à mettre sous protection juridique des personnes en situation de précarité sociale. La suppression des curatelles pour prodigalité ou intempérance et des tutelles aux prestations sociales adultes permettra au juge de se consacrer pleinement aux personnes qui en ont réellement besoin et qui nécessitent un accompagnement suite à une altération de leurs facultés mentales.

Madame Vernaudon, je puis vous assurer que tout sera fait pour que ce texte, tant sur le volet civil, d’application immédiate, que sur le volet social, soit mis en œuvre en Polynésie avant le 1er janvier 2009.

Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les réponses que je souhaitais vous apporter. Je laisse maintenant la parole à M. Philippe Bas.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Je remercie tout d’abord le rapporteur, M. Blessig, pour son intervention. C’est en effet le respect de la dignité des personnes, la réaffirmation des droits des familles, mais aussi de leurs devoirs envers les personnes en grande difficulté du fait de l’altération de leurs facultés mentales, qui motivent ce texte. Vous avez eu raison de le souligner, le dispositif actuel n’étant pas assez efficace en matière de contrôle, il fallait le renforcer : c’est l’un des objets essentiels du texte. Nous examinerons divers amendements et j’ai d’ores et déjà pris position sur certains d’entre eux lors de mon exposé liminaire. Il importe de prévoir une liste de personnes habilitées ayant reçu les qualifications nécessaires. Il est également important, comme vous le proposez, d’introduire une clause de revoyure en 2010-2015 pour apprécier, en fonction des situations réelles, les charges des départements et procéder à des ajustements si nécessaire.

Monsieur Wauquiez, vous avez souligné la nécessité d’une concertation préalable avec les conseils généraux. Elle a bien eu lieu, elle a été approfondie et a permis de dégager un accord sur les données chiffrées, ce qui nous a facilité la tâche pour vous présenter ce projet ce soir.

Nous avons des défis importants à relever, comme celui de la maladie d’Alzheimer. Vous avez eu raison de le rappeler : même si cette réforme permet de réserver les tutelles et les curatelles aux cas pour lesquels ces mesures de protection ont été initialement créées, le nombre grandissant de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer soumet le régime des tutelles et des curatelles à des tensions qui ne feront que s’accroître et qui justifient encore davantage la réforme qui vous est proposée.

Vous avez souligné que le dispositif actuel était inhumain en raison de la place trop faible accordée aux familles. Désormais, celles-ci seront associées aux décisions, même lorsqu’elles n’auront pas à exercer elles-mêmes la mesure de tutelle, ce qui est le cas aujourd’hui pour 50 % des personnes protégées.

M. Vidalies a souligné tout l’intérêt de la mesure d’accompagnement social, tout en s’inquiétant du coût du nouveau dispositif pour les départements – inquiétude partagée par Mme Robin-Rodrigo, au contraire de M. le Fur qui s’est déclaré rassuré par les garanties financières proposées. La réforme, j’y insiste, entraînera une économie pour les départements : d’ici à 2009, ils auront économisé, dans leur ensemble, près de 77 millions d’euros. En effet, alors que jusqu’à présent la collectivité servant la prestation finançait le coût de la mesure de tutelle prise pour gérer cette prestation, nous proposons que l’État se substitue au département pour le prendre en charge. D’où les 77 millions d’euros d’économies, qui atteindront même 92 millions d’ici à 2012, selon les estimations réalisées avec l’Assemblée des départements de France. Comme l’a dit M. Blessig, ces chiffres ne sont que des prévisions, par nature approximatives et soumises à des aléas. C’est donc bien volontiers que nous accepterons, comme le demande la commission des lois, des dispositions permettant de vérifier que ces économies sont réelles.

Car il est exact qu’en contrepartie, les départements devront assumer la charge de la mesure d’accompagnement social et budgétaire de personnes jusque-là prises en charge par l’État au titre de la tutelle ou de la curatelle. Nous estimons que le coût supplémentaire pour les départements sera neutralisé par les économies réalisées. Dans le cas contraire, l’État s’engage à le compenser.

Je remercie M. Delnatte et M. Le Fur d’avoir souligné la grande cohérence entre ce projet et la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Dans les deux cas, nous faisons le pari que toute personne, quels que soient ses difficultés ou son handicap, a en elle les ressources nécessaires pour s’accomplir en dépassant ses propres limites, et qu’elle peut, grâce à la solidarité de tous, trouver sa place dans la société. Avec la réforme des tutelles et la mesure d’accompagnement social et budgétaire proposées dans ce texte, nous voulons permettre à des personnes enfermées durablement – parfois à vie – dans un régime de protection juridique de recouvrer la plénitude de leurs droits de citoyen.

Vous demandez, monsieur Blisko, que la protection soit la même quelle que soit la taille du patrimoine. Je ne peux qu’être pleinement d’accord. Vous avez également souligné, comme M. Guibal, l’importance de la réversibilité des mesures de protection. Des personnes qui n’ont fait que traverser une période difficile de leur existence ne sauraient être enfermées à vie dans un régime de protection judiciaire, d’autant que cela ne les aide pas à reprendre le dessus. Il est donc important que l’on ne soit pas, en quelque sorte, condamné à subir un tel régime.

Il est par ailleurs exact, monsieur Blisko, que la formation et l’accompagnement des familles chargées de la tutelle sont très importants. Notre réforme a d’ailleurs l’ambition de les favoriser.

Madame Vernaudon, je vous assure, après M. Clément, que nous souhaitons commencer rapidement le travail de transposition à la Polynésie et aux autres collectivités d’outre-mer. Il ne faut pas perdre de temps. Une mission commune de l’IGAS et des ministères de la justice et de l’outre-mer est une bonne idée, et je suis d’accord pour vous apporter toute l’aide nécessaire afin d’adapter votre code de l’action sociale.

Monsieur Huyghe, vous vous êtes inquiété du caractère éventuellement discriminatoire de la législation, mais vous avez pu constater qu’il n’en est rien en prenant connaissance du texte. Pour reprendre votre heureuse formule, il s’agit de protéger et non de marginaliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Mercredi 17 janvier 2007, à neuf heures trente, première séance publique :

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant diverses dispositions intéressant la Banque de France, n° 3382 :

Rapport, n° 3464, de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, n° 3462 :

Rapport, n° 3557, de M. Émile Blessig, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République,

Avis, n° 3556, de M. Laurent Wauquiez, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 17 janvier 2007, à zéro heure trente-cinq.)