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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 22 février 2007

148e séance de la session ordinaire 2006-2007

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CHRISTOPHE LAGARDE

1. Convention sur la sécurité des navires de pêche. – Vote sur un projet de loi (nos 3039, 3680)

2. Convention sur la coopération interterritoriale. – Vote sur un projet de loi (nos 3194, 3662)

3. Accord France-Mexique sur le protocole de Kyoto. – Vote sur un projet de loi (nos 3274, 3663)

4. Accord entre la France et le Maroc sur le statut de leurs forces. – Vote sur un projet de loi (nos 3276, 3664)

5. Accord France-Chypre sur la sécurité intérieure. – Vote sur un projet de loi (nos 3429, 3666)

6. Convention sur l'Union internationale des télécommunications. – Vote sur un projet de loi (nos 3463, 3667)

7. Convention sur le contrat de transport de marchandises en navigation intérieure. – Vote sur un projet de loi (nos 3560, 3668)

8. Traité relatif au Corps européen. – Vote sur un projet de loi (nos 3562, 3679)

9. Protocole additionnel au traité portant statut de l’Eurofor. – Vote sur un projet de loi (nos 3563, 3669)

10. Accord sur les fusées-sondes. – Vote sur un projet de loi (nos 3561, 3690)

11. Accord euro-méditerranéen sur les services aériens. – Vote sur un projet de loi (nos 3731, 3746)

12. Protocole additionnel à la convention sur le traitement automatisé des données à caractère personnel. – Vote sur un projet de loi (nos 3564, 3744)

13. Accord France-Russie sur la destruction de stocks d'armes chimiques. – Vote sur un projet de loi (nos 3620, 3745)

14. Formation et responsabilité des magistrats. – Transmission et discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 3733)

M. Philippe Houillon, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice.

discussion générale

M. André Vallini,

Mme Muguette Jacquaint,

M. Jérôme Bignon.

Clôture de la discussion générale.

texte de la commission mixte paritaire

M. le président.

vote sur l’ensemble

Adoption de l’ensemble du texte de la commission mixte paritaire.

15. Équilibre et procédure pénale. – Transmission et discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 3734)

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission mixte paritaire.

texte de la commission mixte paritaire

M. le président.

vote sur l’ensemble

Adoption de l’ensemble du texte de la commission mixte paritaire.

16. Protection juridique des majeurs. – Transmission et discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 3749)

M. Émile Blessig, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice.

discussion générale

Mme Muguette Jacquaint,

MM. Patrick Delnatte,

Alain Vidalies.

Clôture de la discussion générale.

texte de la commission mixte paritaire

M. le président.

vote sur l’ensemble

Adoption de l’ensemble du texte de la commission mixte paritaire.

17. Ordre du jour de la prochaine séance


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CHRISTOPHE LAGARDE,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

M. le président. En raison de l’absence du représentant du Gouvernement, je vais suspendre la séance pour cinq minutes.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à neuf heures trente, est reprise à neuf heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

L’ordre du jour appelle le vote, selon la procédure d’examen simplifiée, sur treize projets de loi autorisant l’approbation d’accords internationaux.

Conformément à l’article 107 du règlement, je vais mettre successivement aux voix chacun de ces textes.

1

Convention sur la sécurité
des navires de pêche

Vote sur un projet de loi

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi autorisant l’adhésion au protocole relatif à la convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche (nos 3039, 3680).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

2

convention sur la coopération interterritoriale

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du protocole n° 2 à la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif à la coopération interterritoriale (nos 3194, 3662).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

3

accord france – Mexique
sur le protocole de Kyoto

Vote sur un projet de loi

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et les États-Unis du Mexique sur le mécanisme de développement propre dans le cadre du protocole de Kyoto (nos 3274, 3663).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

4

accord entre la France et le maroc
sur le statut de leurs forces

Vote sur un projet de loi

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc relatif au statut de leurs forces (nos 3276, 3664).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

5

accord France – chypre
sur la sécurité intérieure

Vote sur un projet de loi

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation d’un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (nos 3429, 3666).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

6

convention sur l’union internationale des télécommunications

Vote sur un projet de loi

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation des amendements à la constitution et à la convention de l’Union internationale des télécommunications (nos 3463, 3667).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

7

convention sur le contrat de transport de marchandises
en navigation intérieure

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention de Budapest relative au contrat de transport de marchandises en navigation intérieure (CMNI) (nos 3560, 3668).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

8

traité relatif au corps européen

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité relatif au Corps européen et au statut de son Quartier général entre la République française, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume de Belgique, le Royaume d’Espagne et le Grand Duché de Luxembourg (nos 3562, 3679).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

9

protocole additionnel au traité portant statut de l’eurofor

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole additionnel au traité entre la République française, le Royaume d’Espagne, la République italienne et la République portugaise portant statut de l’EUROFOR (nos 3563, 3669).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

10

accord sur les fusées-sondes

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre l’Agence spatiale européenne et certains de ses États membres concernant le lancement de fusées-sondes et de ballons (nos 3561, 3690).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

11

accord euro-méditerranéen
sur les services aériens

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l’accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (nos 3731, 3746).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

12

protocole additionnel à la convention sur le traitement automatisé
des données à caractère personnel

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, concernant les autorités de contrôle et les flux transfrontières de données (nos 3564, 3744).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

13

accord France – russie
sur la destruction de stocks
d’armes chimiques

Vote sur un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation d’un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à une coopération en matière de destruction des stocks d’armes chimiques en Fédération de Russie (nos 3620, 3745).

(L’article unique du projet de loi est adopté.)

14

formation et responsabilité
des magistrats

Transmission et discussion du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 22 février 2007.

« Monsieur le président,

« Conformément à l’article 45, alinéa 3, de la Constitution, j’ai l’honneur de vous demander de soumettre à l’Assemblée nationale, pour approbation, le texte proposé par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l’assurance de ma haute considération. »

En conséquence, l’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 3733).

La parole est à M. le rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Philippe Houillon, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer définitivement sur le projet de loi modifiant le statut de la magistrature. Ce texte a été sensiblement enrichi par les deux assemblées, passant de onze à trente-six articles.

L’Assemblée nationale a adopté plusieurs articles additionnels, essentiellement destinés à favoriser l’ouverture de la magistrature et à clarifier son régime disciplinaire.

Ainsi, pour diversifier le recrutement, l’Assemblée nationale a souhaité relever la proportion maximale des magistrats recrutés sur titre ou par intégration directe au corps judiciaire. Dans le même esprit, elle a souhaité ouvrir le détachement judiciaire à un nombre accru de fonctionnaires.

Pour adapter la formation aux attentes des justiciables, elle a décidé de rétablir une obligation de formation continue, de porter de deux à six mois la durée du stage effectué par les auditeurs de justice en cabinet d’avocat et d’instituer une mobilité statutaire de deux ans, période pendant laquelle les magistrats devront exercer une autre activité professionnelle, dans le secteur public ou dans le secteur privé.

Pour améliorer la lisibilité des devoirs des magistrats, l’Assemblée a confié au CSM le soin de publier un recueil de leurs obligations déontologiques.

Enfin, une mission a été confiée au Médiateur de la République pour examiner les plaintes des justiciables.

Le Sénat a approuvé globalement les mesures adoptées par l’Assemblée, et leur a apporté plusieurs compléments utiles.

Le Sénat a tout d’abord rééquilibré les procédures de recrutement au profit des futurs magistrats. Ainsi, la commission d’avancement devra dorénavant motiver tout avis défavorable à l’intégration directe dans le corps judiciaire ou au recrutement d’un magistrat à titre temporaire. De même, lorsque le jury de classement a émis des réserves sur l’exercice de certaines fonctions judiciaires par un magistrat, ce dernier pourra faire verser à son dossier ses propres observations.

Pour simplifier ces procédures, le Sénat a supprimé la présélection des candidats aux fonctions de magistrat à titre temporaire par les assemblées générales des magistrats du siège des cours d’appel.

En outre, il a décidé qu’en cas de comportement pathologique d’un magistrat, le garde des sceaux décidant de sa suspension devrait saisir non plus les actuels comités médicaux départementaux, mais un nouveau comité national, qui sera plus spécialisé et certainement plus rapide.

Enfin, le Sénat a soumis le départ des magistrats dans le secteur public au respect des règles de déontologie qui s’imposent aux fonctionnaires.

Sur les vingt-trois articles qui restaient en discussion lors de la commission mixte paritaire subsistaient cinq points de divergence sur lesquels nous devions trancher.

S’agissant, en premier lieu, de la définition de la faute disciplinaire, le Sénat avait prévu que, pour pouvoir être sanctionnée, la violation des règles de procédure devait avoir été constatée par une décision de justice devenue définitive, et non plus, comme le prévoyait la rédaction du Gouvernement, commise dans le cadre d’une instance close par une décision de justice devenue définitive.

Le Sénat avait considéré que permettre au CSM de sanctionner un magistrat pour une violation qui n’aurait pas été constatée par une décision de justice reviendrait à porter atteinte à l’autorité de la chose jugée et à l’indépendance de la justice.

La rédaction du Sénat avait l’inconvénient de restreindre sensiblement la portée de la définition de la faute disciplinaire : les actes juridictionnels n’ayant fait l’objet d’aucun recours auraient par définition été exclus de toute poursuite disciplinaire ; l’impunité des magistrats dont les manquements ne sont pas détectés par le juge d’appel ou de cassation aurait été garantie.

Cette définition aurait même été en retrait par rapport à la jurisprudence actuelle du CSM et du Conseil d’État qui acceptent de mettre en cause l’autorité de la chose définitivement jugée lorsque le juge a de façon grossière et systématique outrepassé sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine. Si la rédaction du Sénat avait été maintenue, un tel abus de pouvoir qui n’aurait pas été constaté par le juge d’appel ou de cassation n’aurait pas pu être sanctionné par le juge disciplinaire.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission mixte paritaire a préféré rétablir la rédaction que le Gouvernement avait proposé à l’Assemblée en première lecture.

Notre deuxième point de divergence portait sur la procédure d’examen des plaintes des justiciables.

Le Sénat avait en effet confié l’examen de ces plaintes à une commission ad hoc, dénommée « commission d’examen des réclamations », composée d’anciens membres du CSM désignés par le garde des sceaux et d’une personne qualifiée désignée conjointement par le Premier président et le Procureur général de la Cour de cassation. Cette commission aurait été chargée d’ordonner soit le classement de la plainte, soit sa transmission au garde des sceaux.

Ce dispositif présentait plusieurs inconvénients :

La commission d’examen des plaintes n’aurait été compétente qu’à l’égard des magistrats du siège ;

Du fait de leurs modalités de désignation, les membres de cette commission n’auraient pas eu l’indépendance suffisante pour examiner le bien-fondé des plaintes ;

La commission n’aurait disposé d’aucun des pouvoirs que l’Assemblée nationale prévoyait de confier au Médiateur : elle n’aurait pu ni interroger les chefs de cour ni demander au garde des sceaux de diligenter une enquête.

La commission mixte paritaire a donc rétabli le dispositif de l’Assemblée nationale en confiant au Médiateur le soin d’examiner les plaintes des justiciables. Néanmoins, pour tenir compte des observations du Sénat, le filtre par un parlementaire a été supprimé, et une commission a été placée auprès du Médiateur afin de l’assister dans l’examen des plaintes.

M. Jérôme Bignon. C’est une bonne réforme !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Troisièmement, le Sénat avait décidé de raccourcir de six à cinq mois la durée du stage que les auditeurs de justice devront effectuer dans un cabinet d’avocat. Un tel choix était contestable, d’abord parce que, devant l’Assemblée, le Gouvernement avait considéré que six mois était une bonne durée, ensuite parce que ce stage doit être suffisamment long pour permettre une pleine compréhension du fonctionnement de la profession d’avocat et des situations individuelles, parfois tragiques. Il s’agit notamment de faire toucher du doigt aux futurs magistrats ce que sont les droits de la défense. Je vous rappelle que le rapport de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau avait préconisé de porter cette durée à un an, et que la commission des lois de l’Assemblée, pour éviter un allongement excessif de la scolarité des auditeurs de justice, avait proposé de la raccourcir à huit mois, avant que le ministre ne parvienne à nous convaincre de la réduire encore à six mois. Les dispositions adoptées par la commission mixte paritaire correspondent donc à celles que le garde des sceaux avait préconisées devant l’Assemblée.

Quatrièmement, le Sénat avait décidé que la durée minimale de la mobilité statutaire des magistrats, que nous avions fixée à deux ans en nous inspirant des règles applicables aux fonctionnaires recrutés par la voie de l’ENA, pourrait être d’un an seulement. Je n’étais pas convaincu que cela s’inscrive dans la logique de notre réforme, car les magistrats qui gagneraient le plus à s’ouvrir sur d’autres activités professionnelles s’en tiendront probablement à la durée minimale. Toutefois, pour tenir compte des contraintes de gestion des ressources humaines, la commission mixte paritaire a choisi de maintenir cette durée plus réduite, l’essentiel étant que tous les magistrats découvrent un autre métier au cours de leur carrière.

Cinquièmement et enfin, bien qu’il s’agisse d’une question moins centrale dans la réforme qui nous est proposée, la commission mixte paritaire a décidé de revenir sur l’extension, voulue par les sénateurs, du détachement judiciaire aux agents de direction des organismes de sécurité sociale recrutés par la voie de l’École nationale supérieure de sécurité sociale. En effet, ces agents n’ont pas la qualité de fonctionnaire, ce qui rendrait inopérantes un grand nombre de règles statutaires les concernant, par exemple en matière de discipline ou de procédure de réintégration.

Je me félicite du caractère très constructif de nos débats, qui nous a permis de parvenir à un texte commun, même sur les questions où les choix des deux assemblées semblaient inconciliables. Certes, cette réforme ne répond pas entièrement à l’attente créée par les travaux de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, notamment en ce qui concerne la responsabilité des magistrats. Mais je reste convaincu qu’il s’agit d’une étape décisive et importante. Une réforme plus ambitieuse devra être conduite au cours de la prochaine législature.

Je vous invite donc à adopter dès aujourd’hui le projet de loi qui nous est soumis, parce qu’il comporte indéniablement des avancées importantes sur la voie d’une justice plus efficace, plus ouverte sur le monde et plus respectueuse des droits de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, rappelons-nous l’émotion ressentie par chacun d’entre nous à la suite de l’acquittement des accusés d’Outreau. Rappelons-nous leur rencontre avec le Premier Ministre, les excuses que j’ai présentées au nom de l’institution judiciaire et l’engagement du Président de la République de tout faire pour que pareil scandale ne puisse pas se reproduire. Rappelons-nous aussi le travail exemplaire accompli par votre commission d’enquête et le formidable engouement pour les questions de justice qu’elle a suscité auprès des Français. Nous ne pouvions laisser tout cela sans suite et reporter à plus tard une réforme attendue par tous.

C’est pourquoi, aujourd’hui, je suis fier de présenter devant la représentation nationale des textes respectant l’engagement que nous avons pris devant les Français de tout faire, malgré la proximité des échéances électorales, pour éviter qu’une nouvelle affaire d’Outreau ne se reproduise.

Contrairement à ce qui a pu être dit par certains, aucune des questions posées par cette affaire n’a été éludée, qu’il s’agisse de la solitude du juge d’instruction, de la durée excessive de la détention provisoire ou du caractère insuffisamment contradictoire de l’instruction. C’est pourquoi je ne peux que me féliciter de l’accord intervenu en commission mixte paritaire.

La solitude plus que bicentenaire du juge d’instruction, qui a parfois été la source de dysfonctionnements judiciaires, aura vécu lorsque, conformément aux propositions de votre commission d’enquête, l’instruction deviendra collégiale. Le texte adopté par la commission mixte paritaire prévoit que cette collégialité entrera en vigueur dans un délai de trois ans.

Elle sera précédée par la création des pôles de l’instruction, qui permettront le renforcement de la co-saisine et constitueront ainsi la première étape de la réforme, en donnant aux juges d’instruction l’habitude du travail en équipe. À cet égard, la solution retenue par la commission mixte paritaire pour favoriser la co-signature des ordonnances de règlement, en permettant l’appel de ces ordonnances si elles n’ont pas été signées par les juges co-saisis, sans rendre pour autant cette co-signature obligatoire, me paraît tout à fait appropriée. Elle permet d’éviter tout risque de blocage, tout en incitant fortement les juges co-saisis à se mettre d’accord et à co-signer l’ordonnance de règlement.

La limitation de la détention provisoire résultera tant du meilleur encadrement des critères de placement en détention et de la suppression du critère de l’ordre public en matière correctionnelle, que de la publicité du débat contradictoire, qui en constituera désormais le principe. Elle résultera enfin de l’institution d’une audience publique de contrôle devant la chambre de l’instruction, notamment à la demande de la personne détenue, qui pourra intervenir trois mois après le début de la détention, comme l’a proposé l’Assemblée nationale, puis tous les six mois, et qui permettra d’examiner de façon approfondie tous les aspects du dossier.

Ces dispositions très importantes et très utiles pour assurer un véritable contrôle des instructions seront immédiatement applicables : dès la publication de la loi, les personnes détenues depuis au moins trois mois pourront demander que leur affaire soit examinée par la chambre de l’instruction.

Enfin, le renforcement des droits des parties résultera de l’enregistrement des interrogatoires en matière criminelle – qui aurait dit, il y a un an, qu’une telle mesure serait possible ? – des personnes gardées à vue ou mises en examen, ces enregistrements pouvant être consultés en cas de contestation. Il résultera également de la possibilité de critiquer à intervalles réguliers une mise en examen, et du renforcement du contradictoire en matière d’expertises et de règlement des informations.

Sur ces différents points, l’Assemblée nationale tout d’abord, le Sénat ensuite, puis la commission mixte paritaire ont amélioré, complété ou précisé le projet initial dans un esprit constructif et pragmatique.

L’affaire d’Outreau a également mis en lumière la nécessité de réformer le recrutement, la formation et la responsabilité des magistrats.

Diversifier le recrutement des magistrats est une nécessité qui répond à la fois à l’évolution de la société française, dont toutes les composantes doivent être présentes au sein de la magistrature, et à l’intérêt d’y regrouper les expériences professionnelles les plus diverses et donc les plus enrichissantes. C’est la raison pour laquelle je me réjouis que l’Assemblée nationale ait décidé de relever le plafond du nombre de candidats issus des concours complémentaires ou souhaitant bénéficier des dispositions relatives à l’intégration directe dans la magistrature.

Mais la seule diversification de l’origine professionnelle des magistrats ne suffirait pas à garantir aux Français une justice de qualité. La formation des magistrats est en effet au cœur de nos préoccupations : c’est le moment où peuvent être détectés et écartés certains comportements incompatibles avec la fonction de juger. C’est pourquoi l’obligation d’effectuer le stage juridictionnel, qui était imposée seulement à une partie des élèves magistrats, est étendue à l’ensemble des candidats à la magistrature. Il s’agit d’un stage probatoire dont la sanction est claire : s’il ne réussit pas à démontrer qu’il possède les qualités indispensables à l’exercice des fonctions judiciaires, le candidat ne pourra être admis à ces fonctions.

La formation des auditeurs de justice a été enrichie de l’obligation d’effectuer un stage d’une durée minimale de six mois auprès d’un barreau ou comme collaborateur d’un avocat inscrit au barreau.

La formation continue des magistrats sera elle aussi tournée vers les réalités de la société française, puisque est désormais instituée pour eux une mobilité statutaire s’ils veulent accéder aux emplois d’encadrement les plus importants, les fonctions hors hiérarchie. Cette mobilité, d’une durée maximale de deux ans, pourra être effectuée au sein d’une entreprise privée ou publique, auprès d’une institution ou d’un service de l’Union européenne. Là encore, c’est un gage d’ouverture et de connaissance des réalités quotidiennes que nous donnons à nos compatriotes.

Le régime disciplinaire des magistrats, qui date de 1958, méritait d’être adapté aux exigences de la société française contemporaine. Nous avons réussi à le rénover, sans pour autant mettre en danger l’indépendance de la magistrature, à laquelle je suis profondément attaché. La première évolution, et peut-être la plus symbolique, est la création d’une nouvelle faute disciplinaire, sanctionnant la violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties. Nous avons également élargi la gamme des sanctions disciplinaires, pour en créer une nouvelle : l’interdiction d’exercer des fonctions à juge unique pour une durée maximale de cinq ans.

L’éventuelle sanction d’un magistrat n’est cependant que l’issue d’un processus que nos concitoyens estiment long et difficilement compréhensible. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité confier au Médiateur de la République la lourde de tâche de recueillir les réclamations émanant de toute personne physique ou morale estimant, à l’occasion d’une affaire le concernant, que le comportement d’un magistrat est susceptible de constituer une faute disciplinaire.

Le Sénat avait retiré cette compétence au Médiateur pour la confier à une commission des réclamations, placée auprès du garde des sceaux. La commission mixte paritaire a choisi de faire coexister ces deux organes, en plaçant la commission non plus sous l’autorité du garde des sceaux, mais sous celle du Médiateur, qui retrouve ainsi les compétences que l’Assemblée lui avait confiées.

Ce texte permet de préserver une innovation essentielle à mes yeux, qui consistait à donner aux Français un interlocuteur unique et facilement identifiable pour traiter des affaires de discipline des magistrats. Le Médiateur, qui pourra être saisi directement, disposera de la possibilité de demander au garde des sceaux d’entamer des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un magistrat dont le comportement constituerait une faute. La réponse du ministre devra être motivée, et pourra faire l’objet d’une publication dans le rapport du Médiateur.

Voilà, brièvement résumés, les apports essentiels des deux projets que vous êtes appelés à adopter définitivement aujourd’hui. Je remercie, une nouvelle fois, votre commission des lois, notamment son président, M. Philippe Houillon, et ses rapporteurs, M. Guy Geoffroy et M. Xavier de Roux, dont le remarquable travail a permis d’améliorer les textes proposés. Je puis vous assurer que je veillerai à ce qu’ils soient effectivement mis en œuvre par les juridictions, notamment en prenant dans les toutes prochaines semaines les dispositions réglementaires qui permettront d’appliquer et compléteront les différents articles de ces lois.

Tout en n’étant sans doute qu’une première étape, la réforme que vous allez adopter prévoit des avancées très significatives en reprenant, de façon totale ou partielle, l’essentiel des propositions législatives de la commission d’enquête parlementaire.

Ces mesures importantes ne sont anecdotiques que pour ceux qui ne connaissent pas la justice au quotidien. Le terme de « réformette » que j’ai entendu ça et là n’émane souvent pas de ces professionnels de la justice que sont les avocats, les magistrats ou les policiers, mais bien de ceux qui, dans tous les domaines, regrettent le « grand soir ». Ils refusent de voir les avancées essentielles effectuées tant en ce qui concerne notre procédure pénale ou notre organisation judiciaire qu’en matière de formation et de responsabilité des magistrats.

Pourtant, ces avancées sont réelles. Peut-on affirmer honnêtement que l’enregistrement des gardes à vue, même limité à la matière criminelle, la mise en place des pôles de l’instruction, première étape vers la collégialité, ou la mise en œuvre d’un contrôle extérieur des dysfonctionnements de l’institution judiciaire par le Médiateur de la République ne sont pas des mesures fondamentales ? Je ne le crois pas, et je suis sûr qu’avec le temps, sinon à court terme, cette réforme apparaîtra comme une avancée importante pour les droits de la défense et ceux du justiciable.

Nous savons également que nous devons poursuivre nos efforts pour permettre à l’institution judiciaire de disposer de locaux et de personnels permettant d’accueillir dans les meilleures conditions les Français qui ont recours à la justice. Nous devons également tout faire pour que celle-ci soit rendue plus effective, que les décisions prononcées soient exécutées rapidement et que les recours, quand ils existent, fassent l’objet d’un examen dans un délai acceptable.

C’est pourquoi, vous l’aurez compris, j’appelle de mes vœux le vote d’une nouvelle loi d’orientation et de programmation pour la justice, pour les cinq prochaines années. La justice, je l’ai dit, est un bien commun. Mais les dysfonctionnements révélés à l’occasion de l’affaire d’Outreau nous ont rappelé qu’elle ne peut se contenter de mots ou de bonnes intentions. Il fallait des décisions ; nous les avons prises. Il fallait des moyens ; nous les avons engagés et la prochaine majorité devra continuer à le faire.

C’est parce que nous nous convaincrons que la lutte pour une justice de qualité est un combat incessant que nous pourrons enfin donner aux Français celle à laquelle ils aspirent : une justice humaine, efficace et respectueuse des droits de chacun. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Vallini.

M. André Vallini. Pour ma part, je n’ai jamais parlé de « réformette », monsieur le garde des sceaux. En revanche, j’ai indiqué à plusieurs reprises – et je le redis ce matin – que vos réformes, si elles comportent des avancées significatives, demeurent insuffisantes et partielles. La majorité est dans son rôle lorsqu’elle voit la bouteille à moitié pleine. Je m’attacherai donc à la voir à moitié vide. (Sourires.)

En ce qui concerne la collégialité, il est vrai que le Sénat a ramené le délai de cinq à trois ans, mais trois ans, c’est long et, d’ici là, il faudra réformer la carte judiciaire, car ces deux réformes sont indissociables. Or vous avez eu le courage de dire, notamment devant la commission d’enquête, que vous étiez sceptique, perplexe, dubitatif quant à la réforme de la carte judiciaire, que vous n’y croyiez pas.

S’agissant des pôles de l’instruction, je n’aurai pas la cruauté de rappeler ce qu’en ont dit des députés de l’UMP, qui les ont notamment qualifiés d’usines à gaz.

M. le garde des sceaux. C’est pourtant moins compliqué que la collégialité !

M. André Vallini. En matière de détention provisoire, le texte comporte des avancées, que M. Houillon et vous-même avez rappelées, mais elles sont, là encore, insuffisantes. La principale lacune réside dans l’absence de délais butoirs, devant être impérativement respectés, en matière criminelle comme en matière correctionnelle. La suppression du critère de trouble à l’ordre public est une bonne chose, et le Sénat est d’ailleurs allé plus loin que les députés de la majorité sur ce point. Mais nous estimons que ce critère doit être également supprimé en matière criminelle, car il s’agit d’un critère fourre-tout, qui autorise tous les abus en matière de détention provisoire.

Autre avancée très importante, monsieur le garde des sceaux – voyez comme je suis positif –, l’enregistrement des gardes à vue, qui était réclamé depuis longtemps par les avocats. Mais pourquoi ne pas avoir également prévu la présence de l’avocat lors des interrogatoires de garde à vue ? On reste au milieu du gué, et c’est dommage.

M. le garde des sceaux. Tout le monde n’est pas d’accord,…

M. André Vallini. Je ne fais qu’exprimer les souhaits du groupe socialiste.

M. le garde des sceaux. …y compris à gauche !

M. André Vallini. S’agissant de la responsabilité des magistrats, la CMP a retenu une définition de la faute qui mélange les propositions de l’Assemblée nationale et celles du Sénat. Cette définition est la suivante : « Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d’une instance close par une décision de justice devenue définitive. » Cette définition est-elle plus claire que celles qui avaient été retenues par l’Assemblée nationale et par le Sénat ? Est-elle plus protectrice des magistrats ou des justiciables ? Je l’ignore, mais il me semble que lorsque l’accès au CSM aura été élargi – par la voie du Médiateur, je vais y revenir – et lorsque sa composition aura été modifiée – par une réforme qui devra intervenir après les prochaines échéances électorales –, sa jurisprudence permettra d’encadrer et d’affiner la notion, difficile à cerner, de faute disciplinaire.

M. le garde des sceaux. C’est déjà le cas !

M. André Vallini. Oui, mais pas suffisamment et le CSM subit beaucoup de reproches, qui ne sont d’ailleurs pas toujours justifiés. En tout état de cause, sa saisine et sa composition doivent être réformées et modernisées.

S’agissant de la saisine du CSM, précisément, je reconnais que ma position a évolué sur le rôle confié au Médiateur. Lorsque nous en avons parlé au sein de la commission d’enquête, notamment avec Philippe Houillon et Guy Geoffroy, j’étais réticent. Mais, face aux craintes des magistrats, qui redoutent d’être rendus responsables à raison de leurs décisions juridictionnelles, il m’a semblé que la saisine du Médiateur, qui est chargé de remédier aux dysfonctionnements des services publics, était de nature à les rassurer, en leur montrant qu’il s’agissait bien de répondre des dysfonctionnements du service public de la justice. Depuis la réunion de la commission mixte paritaire au Sénat, je pense même qu’il faut permettre aux justiciables de saisir directement le CSM, moyennant l’instauration d’une commission chargée de filtrer les requêtes afin d’éviter les saisines abusives. Philippe Houillon m’a dit que cette réforme aurait nécessité de réviser la Constitution. Je n’en suis pas certain, car la Constitution ne prévoit rien en ce qui concerne la saisine du CSM. Quand bien même eût-il fallu une loi constitutionnelle, celle-ci aurait pu être soumise au Congrès qui s’est réuni lundi dernier. La proximité des élections, monsieur le garde des sceaux, n’a pas empêché de convoquer le Congrès pour qu’il vote trois projets de loi constitutionnelle : on aurait donc pu lui en soumettre un quatrième.

Encore une fois, je reconnais des avancées, que ce soit en matière de droits de la défense ou de renforcement du principe du contradictoire. Ancien avocat – comme vous, monsieur le rapporteur –, je partage votre satisfaction, mais j’estime que ces avancées sont insuffisantes.

Pour terminer, je rappellerai l’ambiance qui régnait il y a un an. Au mois de janvier, la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau avait auditionné les acquittés et, au mois de février, le juge Burgaud. Nous travaillions jour et nuit sous le regard de millions de Français passionnés, que nous avons intéressés au fonctionnement de leur justice et auxquels nous avons montré que le Parlement pouvait être utile. Aujourd’hui, sur 577 députés – qui, l’an dernier, se réjouissaient des retombées positives des travaux de la commission d’enquête dans leurs circonscriptions –, 10 députés sont présents dans l’hémicycle, dont seulement 3 des 30 membres de la commission d’enquête : les deux rapporteurs, Philippe Houillon et Guy Geoffroy, et moi-même. C’est dire si vos réformes ont déçu, monsieur le garde des sceaux.

M. Patrick Delnatte. Oh !

M. André Vallini. C’est peut-être injuste…

M. le garde des sceaux. On vous verra à l’œuvre !

M. Philippe Houillon, rapporteur de la commission mixte paritaire. Ne soyez pas défaitiste, monsieur le ministre !

M. André Vallini. Convenez que j’essaie d’être objectif : je reconnais que les critiques adressées à vos réformes ont été parfois excessives. Mais je ne peux pas dire pour autant que ces réformes sont satisfaisantes et qu’elles suscitent l’enthousiasme des milieux judiciaires, des magistrats comme des avocats.

Pour terminer, je veux vous lire la conclusion d’une lettre, intitulée « La charte des acquittés d’Outreau. Réformons la justice », que les acquittés d’Outreau ont adressée aux membres de la commission d’enquête :

« Malgré l'émotion et l'unanimité provoquée par l'affaire d'Outreau, malgré les travaux exemplaires de la commission d'enquête parlementaire, aucun projet sérieux de réforme de notre système judiciaire n'a été mis en œuvre de façon à être débattu et voté d'ici la fin de la présente législature.

« Cette réforme devra être au cœur de la prochaine législature et donc faire l'objet d'une attention toute particulière de la part du futur Président de la République, qui est en France celui qui fixe les orientations du Gouvernement et sans l'impulsion duquel aucune réforme d'ampleur n'est possible.

« Les acquittés de l'affaire d'Outreau souhaitent en conséquence recueillir l'engagement public sur l'honneur de chacun des candidats déclarés à l'élection présidentielle d'engager la réforme de modernisation de la justice, sur la base des travaux de la commission d'enquête parlementaire d'Outreau et de mettre en œuvre ses quatre-vingts propositions.

Signé : Karine Duchochois, Alain Marécaux, Pierre Martel, Christian Godard, Odile Polveche, Roselyne Godard, Daniel Legrand père, Daniel Legrand fils, Franck Lavier, Sandrine Lavier, Dominique Wiel, Thierry Dausque, David Brunet et Lydia Mourman, au nom de son frère François Mourman. »

Je compte sur chacune et chacun d’entre vous, mes chers collègues, pour convaincre son candidat de mettre en œuvre les quatre-vingts propositions de la commission d’enquête. Dans cette attente, le groupe socialiste s’abstiendra sur cette réforme qui, encore une fois, comporte des avancées importantes, mais insuffisantes.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens à préciser que, comme celle de mon collègue Michel Vaxès en première lecture, mon intervention vaut pour les deux projets de loi présentés par le garde des sceaux, car nous entendons porter une appréciation sur l'ensemble de la réforme de la justice.

En ce dernier jour des débats parlementaires de la XIIe législature, notre assemblée doit donc se prononcer sur deux projets de loi qui, selon le garde des sceaux, seraient une réforme pragmatique de notre procédure pénale, ainsi que de la formation et du régime disciplinaire des magistrats. Plutôt que de pragmatique, je préférerais qualifier cette réforme de précipitée. Comme tout travail effectué dans la précipitation, le résultat est décevant. Au lieu de promouvoir une réforme à la hauteur des attentes des Français et de notre justice, vous avez préféré jouer la montre. Ce pari, vous l'avez gagné in extremis au détriment des intérêts de la justice de notre pays.

Certes, comme le disent Antoine Garapon et Denis Salas dans leur essai intitulé Les Nouvelles sorcières de Salem : « Une réforme de la procédure, aussi audacieuse soit-elle, n'épuisera pas l'ordre du jour fixé par l'affaire d'Outreau, qui dépasse l'institution judiciaire ». Cette affaire a été en effet l'expression d'une crise multiforme, qui affecte notre société dans son ensemble.


Elle a été, notamment, le fruit d’un populisme pénal et des excès liberticides qui l’accompagnent. Cependant, les causes des dysfonctionnements de la justice révélés par l’affaire dite d’Outreau appelaient une réforme à la hauteur du scandale qui a ému le pays.

Sans conteste, celle-ci ne l’est pas. Elle aurait dû en effet se traduire par des droits mieux garantis, notamment ceux qui s’attachent au respect de la présomption d’innocence, mais aussi par la garantie d’une défense de qualité au service de tous, et enfin par des moyens donnés aux magistrats d’assumer dans les meilleures conditions leurs fonctions d’instruire et de juger. Les propositions formulées par la commission d’enquête tendaient à atteindre cet objectif, même si elles étaient parfois trop timides et passaient sous silence des réformes pourtant nécessaires – je pense surtout à l’absence de proposition pour la défense des plus démunis. La traduction législative des 80 propositions de la commission aurait tout de même constitué une réforme appréciée, malheureusement les textes qui nous sont soumis n’en reprennent qu’une vingtaine.

Ces propositions vont, il est vrai, dans le bon sens. Nous pourrions même nous prendre à espérer qu’elles marquent la fin de l’expansion du populisme pénal et qu’elles traduisent une prise de conscience des méfaits d’une politique liberticide. Espoir vite déçu, puisque dans quelques heures sera adopté par la majorité le projet de loi de M. Sarkozy sur la délinquance. Permettez que je revienne sur les principales dispositions de chacun de ces deux projets de loi, du moins sur celles qui méritent que nous y revenions à l’heure de leur vote définitif.

En ce qui concerne, d’abord, le projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et la responsabilité des magistrats, nous apprécions les efforts faits – nous l’avions dit lors de la première lecture de ce texte – en vue de rééquilibrer l’importance respective des différentes voies d’accès à la magistrature judiciaire au profit des candidats bénéficiant déjà d’une autre expérience professionnelle dans le domaine juridique. Ces efforts restent toutefois insuffisants pour garantir une véritable diversification du recrutement qui permettrait de pallier l’uniformité sociale et culturelle de la magistrature. Nous continuons également de regretter la mise en place d’une nouvelle sanction disciplinaire consistant en l’interdiction d’exercer des fonctions à juge unique. Elle a pour effet de dévaloriser la collégialité, qui a au contraire besoin d’être renforcée, comme le prouvent les travaux de la commission d’enquête.

Bien que le second projet de loi, relatif à la procédure pénale, contienne des dispositions que nous jugeons positives, il n’emporte pas non plus notre adhésion. D’abord parce qu’il ne tend pas à assurer le caractère exceptionnel de la détention provisoire, même si le Sénat a, en partie, modifié l’article 3 dans le sens que nous souhaitions. Les sénateurs ont en effet adopté un amendement qui supprime le critère de placement en détention provisoire fondé sur le trouble exceptionnel à l’ordre public en matière correctionnelle. Cet amendement, que nous avions proposé en première lecture, avait alors été repoussé par notre assemblée. Si nous nous réjouissons que les sénateurs et vous soyez revenus sur votre position lors de la commission mixte paritaire pour limiter le recours à la détention provisoire fondé sur le trouble à l’ordre public aux seules affaires criminelles, nous regrettons que vous ne soyez pas allés encore plus loin en réduisant les durées de détention provisoire et en revenant sur les dispositifs des lois Perben I et Perben II, qui favorisent le recours à la détention provisoire. Rappelons que la détention provisoire restera comme le vrai scandale de l’affaire d’Outreau.

Les sénateurs avaient adopté un autre amendement que nous vous avions également suggéré et que vous aviez repoussé. Il rendait obligatoire la cosignature de l’avis de fin d’information et de l’ordonnance de règlement par le ou les juges d’instruction cosaisis. Cette modification s’imposait si l’objectif était de tendre vers plus de collégialité, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas, puisque la commission mixte paritaire a décidé de substituer à cette obligation de cosignature une simple faculté assortie de la possibilité pour les parties d’interjeter appel de l’ordonnance de règlement lorsque celle-ci n’a pas été cosignée. Telles sont, rapidement exposées, les appréciations que nous portons sur les dispositions de ces deux projets de loi.

Notre déception tient essentiellement aux silences de ces textes. Ce sont d’ailleurs ces absences qui empêchent de donner à l’ensemble des modifications proposées le nom de réforme. Une réforme digne de ce nom et à la hauteur des enjeux ne serait pas passée à côté d’une refonte de notre carte judiciaire. Une véritable réforme n’aurait pas non plus ignoré la question de l’organisation de la police judiciaire. Elle se serait attaquée à l’organisation et à la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Elle aurait eu le courage d’aborder la question de l’indépendance du parquet. Enfin, elle aurait fait de la défense des plus démunis un de ses piliers centraux.

Le temps ne me permet pas de développer chacun de ces points. Je me contenterai donc, à regret, d’insister seulement sur les deux dernières questions, à commencer par celle de l’indépendance du parquet. Celui-ci ne peut en effet rester totalement soumis au pouvoir exécutif, même s’il doit demeurer lié à la chancellerie afin de garantir une bonne conduite de la politique pénale de la nation. C’est pourquoi nous préconisons de garantir l’indépendance du statut personnel du parquetier en le distinguant de son statut fonctionnel. De même, il serait indispensable de supprimer toute possibilité d’instructions particulières du garde des sceaux.

Enfin, je terminerai par la question de la défense des plus démunis, qui me tient particulièrement à cœur. Il est en effet inacceptable que la défense ne soit pas la même pour tous dans notre pays, d’autant que le projet de loi relatif à la procédure pénale a pour objet de renforcer la dimension contradictoire du procès. L’accès au droit et à la justice est un droit fondamental du citoyen, fût-il le plus démuni, et c’est à notre société de le garantir. La défense pénale est une question qui ne peut plus être regardée sous le seul angle de l’intérêt privé. Parce qu’elle est un droit de l’homme, elle doit être appréhendée sous celui de l’intérêt public inhérent à l’existence même de la justice. C’est pourquoi nous estimons qu’une réforme judiciaire se doit d’être porteuse d’une modification de l’organisation de l’aide juridictionnelle qui, de surcroît, traverse une crise sans précédent.

Parce que nous aurions souhaité, avec nos concitoyens et les acteurs de la justice, que le Gouvernement nous présente une véritable réforme, parce qu’il reste tant à faire pour notre justice, les députés communistes et républicains ont décidé de s’abstenir sur ces deux projets de loi.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme M. Vallini et Mme Jacquaint, je m’exprimerai sur les deux textes.

La marche vers « l’état de justice » décrit par Jules Romains est une très longue marche. Si nous pouvons comprendre la déception des acquittés d’Outreau, liée à l’immense souffrance qu’ils ont endurée, et que n’ont pu faire disparaître ni les excuses qu’ils ont reçues, ni le comportement chaleureux qui leur a été témoigné, force est de reconnaître qu’aucune réforme n’aurait pu effacer cette souffrance. Je m’adresse à eux avec beaucoup de compassion, de respect et d’amitié : tant qu’il y aura un innocent en prison, nous serons tous malheureux. Chaque année, mille personnes placées en détention provisoire bénéficient d’un non-lieu ou d’un acquittement. Un long travail reste donc à accomplir, non seulement dans les textes, mais aussi pour modifier notre mode de pensée et notre comportement par rapport à ce problème. Le travail effectué par les magistrats et les avocats, par tous ceux qui œuvrent pour que justice soit rendue aux victimes de crimes ou de délits, doit être aussi juste que peut l’être une œuvre humaine.

Je me tourne vers nos collègues de l’opposition qui, tout en prenant acte de ce qui est bon dans le projet proposé par M. le garde des sceaux, disent regretter que nous ne soyons pas allés assez loin. Je me souviens d’avoir entendu hier soir, lors de l’adoption du projet de loi relatif au droit au logement opposable, le même reproche exprimé sur les mêmes bancs.

M. le garde des sceaux. Il faudrait déjà savoir ce qu’ils entendent par « aller plus loin » !

M. Guy Geoffroy. Faire quelque chose, c’est déjà aller plus loin !

M. Jérôme Bignon. Certes, on peut toujours faire mieux, mais comment ne pas se féliciter lorsqu’un pas est fait dans la bonne direction ? Ce texte constitue une réponse pragmatique et rapide – nous n’avons pas attendu la mise en place d’une nouvelle majorité pour procéder à une refonte totale du droit – et une avancée incontestable, tant sur la question de la responsabilité des magistrats que sur celle de la procédure pénale. Il devrait à ce titre satisfaire tous ceux qui ont souffert ou souffrent encore des conséquences d’injustices ou de fautes commises par des magistrats.

Je ne vais pas procéder à une nouvelle énumération des mesures de ce texte, et me contenterai d’en évoquer quelques-unes parmi les plus importantes. Je me félicite des mesures visant à faire en sorte que la formation des magistrats soit la plus adaptée possible aux importantes fonctions et responsabilités qu’ils auront à exercer. Cela vaut non seulement sur le plan technique, mais aussi sur celui des relations humaines, notamment avec les autres auxiliaires de justice. Le rapporteur a à juste titre insisté sur l’importance de prévoir un stage professionnel d’une durée suffisante. La commission a adopté une position de synthèse sur la faute disciplinaire des magistrats qui constitue un progrès, même si nous aurons certainement l’occasion de revenir sur cette question dans quelque temps.

À titre personnel, je ne suis pas très enthousiaste à l’égard du compromis adopté par la commission mixte paritaire, aboutissant à faire assister le Médiateur de la République par une commission – une solution que l’on pourrait désigner, de façon un peu triviale, par l’expression « fromage et dessert ».

M. Philippe Houillon, rapporteur. C’est effectivement une expression un peu triviale !

M. Jérôme Bignon. La commission mixte paritaire montre ici ses limites. Puisque la Constitution donne le dernier mot à notre assemblée, il me semble que nous aurions intérêt, lorsque nous avons de fortes convictions, à défendre celles-ci jusqu’au bout, plutôt que de chercher un compromis à tout prix. En l’occurrence, celui auquel nous avons abouti, et auquel le contexte de fin de session n’est peut-être pas étranger, n’est guère convaincant.

Le Médiateur de la République bénéficie d’une bonne image dans l’opinion publique, et la facilité de la procédure pour le saisir correspondait bien à l’attente de nos concitoyens. La nouvelle machine mise en place – cela ne remet pas en cause bien sûr la respectabilité de ceux qui interviendront – ne me paraît donc pas très satisfaisante sur le plan intellectuel.

S’agissant de la responsabilité des magistrats, le texte de la commission mixte paritaire comporte des avancées significatives. Ainsi l’accord trouvé avec le Sénat sur le délai d’entrée en vigueur de la collégialité va dans le bon sens. Il va falloir trouver les moyens de le mettre en place mais l’incitation est forte. Quant à la possibilité pour une des deux parties d’interjeter appel s’il n’y a pas cosignature de l’ordonnance par les deux juges, je n’ai absolument pas compris le système. J’ai même voté contre, comme notre collègue sénateur Robert Badinter. Nous étions sur la même ligne s’agissant de ce point juridique. Mais je me range à l’avis de la majorité.

S’agissant de la détention provisoire, je pense comme Mme Jacquaint que la rédaction du Sénat est pertinente. Nous pouvons donc nous réjouir que l’Assemblée s’y soit ralliée.

S’agissant du recours à un avocat à la Cour de cassation, l’idée qu’en permettant aux justiciables de faire les recours eux-mêmes ou de les faire rédiger par un avocat au barreau, ils seraient mieux défendus, est un très mauvais argument à mes yeux. Étant encore praticien de temps à autre, je me garderais bien de rédiger moi-même un pourvoi sur un problème qui me concernerait. On est souvent pour soi-même le plus mauvais conseil. Mieux vaut donc aller voir des spécialistes. Le Sénat et l’Assemblée ayant senti sans doute que ce point pourrait évoluer ont choisi de remettre le sujet sur le métier. Nous aurons ainsi l’occasion d’approfondir la réflexion.

Monsieur le garde des sceaux, le groupe UMP votera toutes ces avancées importantes qui vont dans la bonne direction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.

Ce texte ne fait l’objet d’aucun amendement.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole dans les explications de vote ?...

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi organique, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L'ensemble du projet de loi organique est adopté.)

15

équilibre de la procédure pénale

Transmission et discussion
du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 22 février 2007.

« Monsieur le président,

« Conformément à l’article 45, alinéa 3, de la Constitution, j’ai l’honneur de vous demander de soumettre à l’Assemblée nationale, pour approbation, le texte proposé par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l’assurance de ma haute considération. »

En conséquence, l’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 3734).

La parole est à M. le rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec ce deuxième texte, nous mettons un terme, non pas à cette réforme de la justice qui était, et reste, tant attendue après l’accablante affaire d’Outreau, mais à la première étape de ce long, patient et déterminé travail législatif que nous devions mettre sur le métier comme nous nous y étions engagés.

Les différences entre nous sont à la fois évidentes et mineures. L’essentiel était de prendre acte de manière consensuelle – et nous l’avons fait – de l’ensemble de la problématique. L’essentiel était d’essayer de déterminer avec la meilleure bonne foi ce qui ne pouvait pas ne pas être fait. Mais il importait aussi de ne pas insulter l’avenir, en ne mettant en place aucune disposition empêchant le législateur de la prochaine législature d’intervenir à son tour pour compléter le dispositif. Quel est le bilan ? Compte tenu des engagements contradictoires que nous devions prendre et tenir, nous pouvons considérer, en toute humilité mais avec une certaine dose de fierté cependant, que la représentation nationale ne s’en sort pas si mal que cela.

S’agissant de la réforme de la procédure pénale, nous savions tous, les membres de la commission d’Outreau et l’ensemble des parlementaires, que nous aurions à traiter plusieurs sujets extrêmement sensibles : la solitude du juge, le drame de la détention provisoire, les conditions de garde à vue et d’audition dans le cabinet du juge d’instruction. Quelles ont été les propositions du Gouvernement ? Qu’avons-nous fait ? Quelles mesures le Sénat a-t-il ajoutées ? Qu’allons-nous adopter au terme de cette commission mixte paritaire ? Beaucoup plus que ne le pensent certains.

Rappelons tout d’abord que si la commission d’enquête a fait effectivement un peu plus de quatre-vingts propositions, seule une trentaine d’entre elles – 32 exactement – sont de nature législative. Les 22 mesures que nous avons prises doivent donc être appréciées à partir de ces proportions. Au terme de nos travaux, les deux tiers des propositions de la commission d’enquête auront finalement été retenues, travaillées, améliorées puis votées. Ce n’est pas négligeable. Ce bilan nous permet d’être à la fois humbles et sereins par rapport à l’avenir.

Concernant la solitude du juge, le débat, ici même et surtout au sein de la commission des lois, a été très vif et finalement très porteur. Dans un premier temps, pour envoyer un signal au Gouvernement, la commission avait mis à bas le dispositif initial des pôles de l’instruction et de la cosaisine. C’était pour aller plus loin. Nous devons donc être fiers d’avoir fait considérablement avancer le sujet avec le Gouvernement. En actant dans la loi la création de la collégialité de l’instruction, dans des conditions encore plus contraignantes qu’à l’issue de la première lecture, nous avons agi pour remédier à la solitude du juge.

S’agissant des conditions de garde à vue et d’audition dans le cabinet du juge d’instruction, nous avons également beaucoup progressé. Grâce au Sénat, les droits liés à la présomption d’innocence seront encore mieux reconnus. Il était bon, en effet, de limiter autant que faire se peut les manœuvres potentiellement dilatoires par rapport aux « impossibilités » d’enregistrement audiovisuel des gardes à vue et des auditions dans le cabinet du juge d’instruction. En ma qualité de rapporteur de l’Assemblée, j’ai donc souhaité qu’on adopte le dispositif proposé par le Sénat.

Comme l’a dit Jérôme Bignon, nous avons eu également un dialogue avec nos collègues sénateurs sur des mesures qui, si elles ne sont pas très directement liées à l’affaire d’Outreau, n’en sont pas moins importantes. Elles montrent qu’aucune porte n’est fermée pour demain.

Alors, quel texte sort de la CMP ? Quels sont les éléments sur lesquels nous avons dû nous mettre d’accord, sans aucune difficulté majeure, du reste ? S’agissant de la collégialité, nous avions retenu le principe de la mettre en vigueur après avoir réinstauré le dispositif des pôles de l’instruction et de la cosaisine non pas au bout de cinq ans mais le premier jour de la cinquième année, c’est-à-dire au bout de quatre ans. Nos amis sénateurs avaient décidé de fixer ce délai à deux ans – le premier jour de la troisième année suivant l’entrée en vigueur de la loi. Au nom de l’Assemblée, j’ai proposé à la CMP de retenir cette contrainte supplémentaire. Ce n’est pas négligeable.

En effet, la loi sera publiée très prochainement, et les pôles de l’instruction seront créés très rapidement par décret. La cosaisine interviendra dans un an. C’est la première étape, et elle sera déterminante si elle est bien mise en œuvre, sur le chemin de la véritable collégialité qui prendra une année de plus. Elle sera mise en place dans les conditions que nous avons souhaitées au sein de la commission d’enquête puisque j’ai veillé, en votre nom, à faire en sorte que la CMP revienne sur les dispositions restrictives, qui consistaient finalement à amoindrir considérablement la portée de la collégialité. Le prochain gouvernement aura donc du pain sur la planche pour donner les moyens de mettre concrètement en œuvre cette collégialité dès le premier jour de la troisième année. Nous pouvons être assurés qu’elle fonctionnera comme nous l’avons voulue, avec le moins possible de juge unique, et sur la base du dialogue et des regards croisés, afin que l’affaire d’Outreau ou d’autres ne se reproduisent plus.

S’agissant de la cosaisine, nos collègues sénateurs avaient souhaité, anticipant probablement sur la nécessité de favoriser ce regard croisé, rendre non pas possible mais obligatoire la cosignature. Le débat en CMP a été particulièrement riche sur ce point. Nous sommes finalement parvenus, non pas à un mi-parcours transactionnel insatisfaisant, mais à une étape importante compte tenu du fait que la situation ne durera qu’un an. Obliger à la cosignature, c’est contraindre à l’accord alors que, par définition, deux juges peuvent très bien ne pas être d’accord et que la décision peut être difficile à prendre. Or il faut clore l’enquête. L’ordonnance de règlement doit être prise. En matière criminelle, le problème est résolu. En matière correctionnelle, il sera possible pour les parties de faire appel de l’ordonnance de règlement lorsque les deux juges n’auront pas signé le texte. Cette avancée va dans le sens de la collégialité et doit être saluée.

Le dernier point sur lequel nous avons dû trouver un accord, et il est dans l’esprit de ce que nous souhaitions ici, porte sur le nouvel article 15 quinquies et le recours obligatoire à l’avocat à la Cour de cassation évoqué par Jérôme Bignon il y a quelques instants.

Nous avons estimé plus sage de donner un temps supplémentaire à la réflexion. Certes, l’inspiration de Guy Canivet était très pertinente – on connaît son talent pour proposer des mesures utiles – mais nous avons souhaité que cette question puisse être approfondie. Notre assemblée devra sans doute y revenir au cours de la prochaine législature et voter des dispositions importantes en la matière.

Avant de clore mon propos, je voudrais dire aux membres de la commission d’enquête et à tous ceux qui ont participé à ses travaux combien nous sommes redevables au président André Vallini et au rapporteur Philippe Houillon pour la qualité de leur animation et la profonde humanité dont ils ont fait preuve. Nous pouvons leur dire notre gratitude, car leur efficacité a fait beaucoup pour l’image du Parlement. En tant que membre de la commission, je voulais leur dire devant vous que je suis fier d’avoir travaillé à leurs côtés. Les Français retiendront de cette XIIe législature un certain nombre de mesures positives : celle-ci est probablement l’une des plus importantes.

Je m’adresse maintenant au garde des sceaux. Votre tâche, monsieur le ministre, nous en sommes conscients, a été difficile. Faisant fi de vos idées sur la justice et de vos projets pour cette fin de législature, vous avez eu l’intelligence de patienter en attendant que notre commission d’enquête achève ses travaux, ce qui n’était pas simple, et vous avez fait preuve d’une grande perspicacité en expliquant à un groupe de parlementaires exigeants ce qui pouvait et surtout ce qui devait être fait, sans attendre la fin de la législature ni insulter l’avenir.

Au nom de la commission des lois, je tiens à témoigner de votre volonté et de votre respect du travail de la commission d’enquête, de son exigence et de la manière dont la commission des lois l’a prise en charge. De notre collaboration avec les sénateurs et de l’harmonie qui a régné au sein de la commission mixte paritaire est né un texte qui va accompagner la loi organique. Ce texte important fait honneur à la représentation nationale et au Parlement, et il nous permet de garder la tête haute car nous n’avons pas trahi les acquittés d’Outreau ; au contraire, nous les avons écoutés. Nous espérons que les parlementaires qui vont nous succéder leur témoigneront le même respect et qu’ils poursuivront la nécessaire réforme de la justice.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, votre rapporteur vous demande de voter, de la manière la plus unanime possible, le texte de ce projet de loi tel qu’il ressort des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Vallini. Très bien !

M. le président. Les deux orateurs inscrits dans la discussion générale, M. Vallini et M. Bignon, ne souhaitent pas intervenir, pas plus que M. le garde des sceaux.

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.

Ce texte ne fait l’objet d’aucun amendement.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole dans les explication de vote ?...

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

Mme Muguette Jacquaint. Le groupe des député-e-s communistes et républicains s’abstient !

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

16

PROTECTION JURIDIQUE DES MAJEURS

Transmission et discussion
du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 22 février 2007.

« Monsieur le président,

« Conformément à l’article 45, alinéa 3, de la Constitution, j’ai l’honneur de vous demander de soumettre à l’Assemblée nationale, pour approbation, le texte proposé par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l’assurance de ma haute considération. »

En conséquence, l’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 3749).

La parole est à M. le rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Émile Blessig, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en ces dernières heures de la XIIe législature, c’est un rapporteur à la fois fier et satisfait qui s’exprime à la tribune de notre assemblée.

Fier, je le suis assurément parce que nous nous apprêtons à adopter définitivement une réforme importante, attendue depuis plus de quinze ans, ce qui ne semblait nullement acquis il y a trois mois à peine.

Satisfait, je le suis tout autant car les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat et les débats de la commission mixte paritaire ont, je le crois sincèrement, amélioré substantiellement un texte qui comportait déjà de véritables avancées pour les personnes vulnérables de notre pays.

Lors de nos débats dans cet hémicycle, en janvier dernier, nous nous sommes attachés à renforcer les droits des personnes protégées. Ce souci nous a conduits à mieux encadrer les conditions d’ouverture des mesures en permettant notamment à une personne qui entretient des liens durables et stables avec le majeur protégé d’en prendre l’initiative, et en exigeant au moins une révision de la décision du juge avant que ce dernier ne prononce une tutelle ou une curatelle pour une durée indéterminée.

Nous nous sommes également attachés à renforcer la protection des personnes protégées. Ces dernières pourront désormais entretenir librement des relations personnelles avec des tiers et être visitées ou hébergées par ceux-ci. Nous avons aussi précisé les modalités pratiques de mise en œuvre du mandat de protection future, en prévoyant notamment l’obligation de recourir à deux notaires pour sa conclusion sous forme d’acte authentique.

De même, l’Assemblée nationale s’est intéressée de près aux dispositions relatives au volet social de la réforme. Je rappelle que nous avons longuement débattu sur le champ des mesures d’accompagnement social personnalisé et d’accompagnement judiciaire pour décider finalement que les considérations pratiques de la mise en place de ces nouveaux instruments devaient prendre le pas sur les principes juridiques sous-jacents à la réforme, notamment la disparition des mesures de protection pour intempérance, oisiveté ou prodigalité.

Dans le même état d’esprit, nous avons supprimé l’instauration d’un recours sur succession à l’encontre d’un majeur protégé aux ressources insuffisantes pour couvrir sa propre prise en charge, par souci de cohérence avec l’affirmation, dans la loi de 2004, du droit à la compensation du handicap.

Nous nous sommes enfin évertués, d’une part, à limiter les risques de conflits d’intérêts entre préposés d’établissements sociaux et médico-sociaux chargés de gérer les mesures de protection juridique et leur hiérarchie administrative, et, d’autre part, à clarifier les règles de financement du dispositif.

Je crois pouvoir dire que la qualité de nos débats s’est reflétée dans le consensus auquel nous sommes parvenus, l’opposition choisissant tantôt l’abstention, tantôt le vote favorable. Ce texte méritait un climat constructif, et je suis heureux de dire que nous ne nous en sommes jamais départis.

Le Sénat, bien évidemment, a lui aussi marqué le texte de son empreinte. Il a conforté bon nombre de dispositions déjà améliorées par l’Assemblée en première lecture, notamment celles destinées à renforcer la sécurité juridique du mandat de protection future ou les garanties d’indépendance des préposés d’établissements sociaux et médico-sociaux.

Il a également enrichi le projet de loi de quelques articles de fond importants, comme celui portant affiliation des gérants de tutelle privés à la sécurité sociale au titre des professions libérales, qui fut une heureuse initiative.

Des divergences avec notre assemblée sont néanmoins apparues sur cinq points principaux.

Le premier d’entre eux est la suppression de l’exigence de deux notaires pour établir un mandat de protection future.

Une autre divergence portait sur le retour à la version initiale du projet de loi s’agissant du champ des ressources prises en compte pour la mise en œuvre des mesures d’accompagnement social et judiciaire.

Quant à l’instauration de la possibilité pour des mandataires judiciaires à la protection des majeurs de constituer une fiducie pour le patrimoine des personnes dont ils ont la charge, elle constituait une première exception aux principes posés par la loi instituant la fiducie, huit jours à peine après son vote conforme par l’Assemblée nationale.

Le rétablissement du recours de l’État, des départements et de la sécurité sociale sur la succession des personnes protégées dont les revenus ne permettent pas de financer la mesure dont elles bénéficient aurait eu pour effet, quant à lui, de pénaliser les familles des personnes âgées ou des retraités percevant uniquement le minimum vieillesse, ainsi que les familles de personnes handicapées.

Enfin, la suppression des dispositions sur le droit pour les tuteurs familiaux d’obtenir une information destinée à les aider à exercer leur mission aurait rendu muet le projet de loi sur une catégorie de tuteurs qui représente pourtant plus de la moitié des personnes exerçant une mesure de protection juridique, alors même que cette catégorie est certainement la plus démunie devant ses responsabilités.

La commission mixte paritaire a statué sur ces désaccords et elle a trouvé, me semble-t-il, un équilibre intéressant.

Nos débats m’ont notamment convaincu de la nécessité d’en rester à l’exigence d’un seul notaire pour la conclusion d’un mandat de protection future sous forme d’acte authentique. La profession des notaires obéit en effet à des règles déontologiques strictes, et je reconnais qu’un notaire qui se trouverait devant une situation de manipulation manifeste de la volonté d’une personne vulnérable – mais pas encore incapable – par quelqu’un de son entourage devrait se récuser, sous peine d’encourir de sévères sanctions. Dans ces conditions, la solution retenue par la commission mixte paritaire me convient, même si je ne regrette nullement d’avoir suscité un débat qui n’avait d’autre but que de préserver au mieux les intérêts du mandant dans un conflit d’intérêts éventuel mais spécifique.

La question du champ des mesures d’accompagnement social et judiciaire a, elle aussi, été tranchée, la commission préférant la proposition du Sénat, qui cantonne aux seules prestations sociales perçues les ressources pouvant faire l’objet d’une aide à la gestion ou d’une affectation décidée par le juge. Nos échanges ont révélé la persistance de deux logiques : l’une s’en tenant au respect de la liberté des personnes concernées à jouir de leurs ressources alors même qu’elles ne sont pas sous mesure de protection, l’autre privilégiant la pratique des travailleurs sociaux et des juges. Personnellement, je pense que si nous n’en étions pas restés aux seules prestations sociales, la réforme aurait perdu en lisibilité et en cohérence conceptuelle. C’est la raison pour laquelle je souscris aux conclusions de la commission mixte paritaire.

Celle-ci a également supprimé l’instauration de la fiducie pour les personnes protégées. Le rapporteur du texte au Sénat a posé, j’en conviens, une véritable question à laquelle j’invite vos services à réfléchir, monsieur le garde des sceaux. L’Assemblée nationale elle-même, lors de l’examen de la proposition de loi instituant la fiducie, s’était interrogée sur la pertinence d’une restriction du procédé aux seules personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés.

Il n’en demeure pas moins que l’initiative du Sénat n’avait sans doute pas sa place dans le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs. Surtout, elle nous est apparue lacunaire, notamment quant aux droits patrimoniaux de la personne protégée, qui auraient été garantis par des stipulations contractuelles et non plus par la loi. Cette disposition, contraire à l’esprit de notre texte, aurait certainement posé plus de problèmes qu’elle n’en aurait résolu.

En ce qui concerne le recours sur succession des majeurs n’ayant pu payer leur propre protection juridique, la commission mixte paritaire s’est finalement rangée à l’avis de tous ceux qui se sont montrés sceptiques quant à l’utilité et la pertinence d’une telle disposition. Le produit financier de ce type de recours était estimé à 10 millions d'euros, mais le coût des procédures de recouvrement relativisait considérablement cette estimation. La voix de la raison – du moins je le pense – l’a emporté au sein de la commission mixte paritaire, qui a supprimé cette disposition contestée.

Enfin, la commission mixte paritaire a rétabli le droit des tuteurs familiaux de bénéficier d’une information pour l’exercice de leurs responsabilités, considérant qu’il eût été paradoxal, dans une réforme qui conserve un rôle essentiel et central à la famille, de ne pas prévoir des mesures en faveur de cette dernière. Cela nous est apparu d’autant plus incontournable que le Sénat, il faut bien le reconnaître, avait adopté un certain nombre d’articles additionnels sans grand rapport avec l’objet du projet de loi et risquant, par conséquent, d’en brouiller le message.

Au total, je suis convaincu que les députés et les sénateurs de la commission mixte paritaire ont réussi à élaborer un bon texte, utile pour les majeurs protégés et leurs familles, applicable par les juges et les mandataires judiciaires de la protection des majeurs. La tâche, dans les délais impartis, n’était pas aisée, mais nous sommes parvenus à la mener à bien. C’est donc avec une certaine émotion que j’affirme aujourd’hui, au nom de l’Assemblée nationale, que nous avons le sentiment du devoir accompli.

Compte tenu de la satisfaction dont je viens de vous faire part, mes chers collègues, je ne peux que vous inviter à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire que je viens de vous présenter à grands traits. Ce faisant, vous vous associerez à ce que j’oserai appeler une grande réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, c’est avec une très grande satisfaction que je vois aboutir la réforme de la protection juridique des majeurs. Attendue depuis très longtemps par les familles et les professionnels engagés dans la protection des personnes vulnérables, cette loi parachève l’importante rénovation du droit civil familial entreprise par le Gouvernement au cours de cette législature.

Je souhaite remercier tout particulièrement votre assemblée, qui a apporté au texte du Gouvernement des améliorations notables. Vous avez ajouté des précisions qui améliorent encore les droits de la personne protégée et définissent mieux les devoirs des acteurs de la protection. Par votre action, l’esprit de cette réforme, qui a reçu un large assentiment au-delà de tout clivage politique, a été préservé et renforcé.

Vous le savez, cette réforme consacre les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité qui s’imposent à toute mesure judiciaire de protection.

Elle s’attache à protéger la personne et non plus seulement son patrimoine. Dans cette optique, la loi rend au consentement de la personne protégée toute sa place, et à sa volonté toute sa force.

Ce texte restitue aux familles leur place légitime dans la protection de leurs proches. Il redéfinit le rôle et les pouvoirs du juge dans le sens d’une protection plus individualisée et mieux adaptée aux besoins spécifiques de la personne. À cet égard, je me félicite que la commission mixte paritaire ait circonscrit les dispenses d’audition de la personne protégée par le juge des tutelles : l’équilibre est ainsi maintenu entre la nécessité pour le juge de connaître les volontés de la personne protégée et les limites posées par son état de santé.

La réforme renforce par ailleurs le contrôle de l’exercice des mesures. Dans cette optique, l’activité des tuteurs professionnels est réorganisée, et son financement totalement remanié, ce qui met un terme à l’incohérence et à l’iniquité du dispositif actuel.

Cette réforme permet par ailleurs à chacun d’entre nous d’anticiper l’organisation de sa protection pour l’avenir, grâce à l’une des innovations essentielles de la loi : le mandat de protection future. Attribut de notre liberté civile, ce nouvel instrument juridique est à la fois ouvert et encadré, et s’inscrit pleinement dans la modernisation de notre droit.

Nous avions souhaité la liberté de choix entre un mandat sous seing privé et un mandat notarié, et, dans sa grande sagesse, votre assemblée a maintenu cette dualité adaptée à la diversité des aspirations de nos concitoyens.

Sur ce point, la commission mixte paritaire a renoncé à imposer que le mandat notarié soit établi en présence de deux notaires. Je crois que la compétence et la rigueur de ces professionnels permettent de confier à un seul notaire l’établissement de ce nouvel instrument juridique.

Je me félicite enfin que cette même commission ait décidé d’écarter la modification du code de la santé publique. Il est en effet plus sage et plus cohérent que le débat soulevé par cet amendement soit repris lors de la révision des lois de bioéthique, prévue en 2009.

Mesdames et messieurs les députés, je voudrais remercier à nouveau votre commission des lois, et en particulier son président, M. Philippe Houillon, et son rapporteur, M. Émile Blessig, ainsi que M. Wauquiez, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

Votre assemblée et le Gouvernement poursuivaient un même objectif : adapter notre droit aux évolutions sociales et démographiques contemporaines, en respectant les valeurs et les principes qui nous rassemblent. Cette réforme marquera, j’en suis sûr, une étape historique dans la construction d’un droit moderne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’esprit consensuel et constructif qui a animé nos débats concernant la réforme de la protection juridique des majeurs. Certains de nos amendements ont été adoptés, et je m’en félicite.

Ce projet renforce les droits des personnes protégées : c’est ce qu’il y a de plus important.

Il introduit un dispositif innovant attendu par de nombreuses familles : le mandat de protection future. Toute personne pourra désigner, pour le jour où elle ne pourrait plus veiller seule à ses intérêts, un ou plusieurs mandataires chargés de la représenter.

L’instauration d’un dispositif d’intervention graduée va aussi dans le bon sens. Le principe de subsidiarité doit en effet s’appliquer : la mise en place d’un régime d’accompagnement social spécifique permettra à toute personne en détresse sociale de bénéficier d’une aide à la gestion budgétaire, sans que cela entraîne pour autant son incapacité juridique.

Cette réforme pragmatique et inspirée par le bon sens distingue nettement la protection judiciaire et l’accompagnement social. Elle applique les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité de la mesure. Elle place la personne au centre du dispositif et renforce les droits de la personne protégée.

La protection de la personne se manifeste aussi bien dans la définition des personnes autorisées à demander l’ouverture d’une mesure judiciaire de protection que dans le choix du protecteur.

La pratique abusive du « compte-pivot » deviendra illégale ; ce compte reçoit l’ensemble des rémunérations perçues par les adultes sous tutelle, les dépenses de chacun y étant imputées au fur et à mesure. La méthode a servi à des gérants de tutelle à se faire de la trésorerie, voire à détourner de l’argent en jouant sur la complexité de tenue des comptes. La profession de gérant de tutelle deviendra réglementée, avec honoraires unifiés, formation indispensable, contrôle des DRASS.

La cohabitation, la communauté de vie, devient le critère majeur pour être requérant, alors qu’il fallait, jusqu’à présent, faire partie de la famille. Cette adaptation du droit aux mœurs est une bonne chose.

Pour conclure, cette réforme des tutelles devrait rendre à de nombreuses personnes la liberté de disposer de leurs revenus et de leur patrimoine ; celles-ci seront aidées et accompagnées lorsqu’elles n’ont pas les moyens intellectuels ou mentaux de le faire dans le respect de leur sécurité et de leur avenir.

Il reste à espérer que les départements, qui ont obtenu le report au 1er janvier 2009 de la mise en œuvre de la mesure d’accompagnement social, dégageront les moyens humains et financiers nécessaires à un réel accompagnement, respectueux de la personne et de sa volonté exprimée. Conformément au principe applicable au transfert de compétences vers les collectivités locales, les charges nouvelles liées à l’accompagnement social personnalisé seront d’ailleurs intégralement compensées par l’État, et soyez sûr, monsieur le ministre, que nous y veillerons. Mais, pour une fois, et c’est tout de même rare, de nombreuses inquiétudes ont été levées concernant le sujet épineux du financement de votre politique.

Certes, ce projet de loi est visiblement imprégné d’un souci d’économie financière pour l’État, mais l’allégement du régime de protection juridique redonnera une autonomie sous contrôle à des personnes encore réduites à un dangereux et liberticide « tout ou rien ».

Conscient des progrès incontestables apportés par ce texte, le groupe communiste et républicain le votera.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois et M. Émile Blessig, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Delnatte.

M. Patrick Delnatte. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’adoption ce matin des conclusions de la CMP met un point final parlementaire à la réforme de la protection juridique des majeurs. Oui, il s’agit bien d’une réforme ardemment souhaitée, longuement réfléchie et concertée, rapidement adoptée.

Pour mener à bien ces travaux parlementaires, nous avons toujours eu présent à l’esprit le triple enjeu que notre expérience de parlementaires a fait remonter : le vieillissement de la société ; la plus grande vulnérabilité sociale des personnes dans notre société contemporaine ; l’attente des familles souvent éclatées et éloignées, mais qui veulent être mieux informées et plus écoutées.

Pour répondre à ce triple enjeu, vous nous avez proposé, monsieur le garde des sceaux, avec votre collègue Philippe Bas, trois objectifs qui devaient faire entrer notre droit dans une logique plus moderne et plus respectueuse des personnes : recentrer la protection juridique sur ceux qui sont atteints d’une réelle altération de leurs facultés ; renforcer et mieux définir leurs droits et leur protection ; professionnaliser les intervenants extérieurs à la famille qui exercent la protection juridique.

Le débat parlementaire s’est complexifié par les ajouts des uns et des autres : Gouvernement, Assemblée, Sénat, rendus plus urgents par la fin de la législature.

Je tiens à rendre hommage à notre rapporteur, Émile Blessig, qui, malgré un calendrier très contraint, a su garder le cap et faire un excellent travail législatif, comme la longue CMP de mardi dernier a pu encore en témoigner.

M. Guy Geoffroy. C’est vrai !

M. Patrick Delnatte. Avec l’aide des services de la commission des lois, un travail important de précision, de correction, de coordination, en particulier avec la loi de protection de l’enfance, a pu être mené à bien.

Les divergences qui subsistaient entre le Sénat et l’Assemblée ont été réglées en restant dans la logique du projet de loi, pour éviter de retomber dans les errements du passé. Cette logique est un équilibre entre le respect des normes juridiques du contrôle et la prise en compte de la valeur sociale de l’accompagnement. Par ailleurs, nous avons tiré les conséquences de la novation du droit à compensation du handicap, inscrit dans notre législation, en supprimant le recours à récupération des frais de tutelle sur les donations et successions de majeurs sous protection. Enfin, nous avons maintenu le soutien aux tuteurs familiaux, qui conforte la place de la famille dans cette réforme.

Aussi le groupe UMP est-il heureux d’exprimer son approbation sur les conclusions de la CMP.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pendant cette législature, le Gouvernement et sa majorité – l’opposition y ayant aussi pris toute sa part – ont profondément rénové notre droit et fondé de nouveaux droits dans des textes relatifs au droit de la personne : enfance, personnes âgées, personnes handicapées, malades en fin de vie, victimes de violences au sein du couple.

Nous avons entrepris la même rénovation du droit de la famille : divorce, filiation, succession et libéralités, aujourd’hui protection juridique des majeurs. Nous avons recherché un nouvel équilibre entre l’autonomie de la personne et son épanouissement dans une cellule familiale mieux reconnue par la société, et toujours dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Mes chers collègues, ce travail législatif et social a été utile à nos concitoyens et à notre société. Il est à l’honneur de ceux qui y ont contribué, mais nous devons le poursuivre en gardant le cap. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après son examen par le Sénat, le projet de loi nous semblait avoir bénéficié de quelques améliorations. Ainsi, la durée de la période de renouvellement éventuel de la mesure de protection a pu être déterminée grâce à un amendement que nous avions défendu ici même en première lecture, mais qui n’avait pas été retenu. De même, nous nous félicitons que le Sénat ait créé un fichier national des services et des personnes physiques ayant fait l’objet d’un retrait d’agrément : c’est une excellente initiative.

À l’opposé, le Sénat avait supprimé la possibilité d’étendre la mesure d’assistance judiciaire à tout ou partie des ressources du majeur dès lors que la seule gestion des prestations sociales n’est pas suffisante pour assurer sa santé et sa sécurité. Le débat a repris en commission mixte paritaire et c’est la solution préconisée par le Sénat qui a été retenue, bien que nous ayons été plusieurs, sur tous les bancs, à défendre une formulation différente. En ne retenant pas cette possibilité d’étendre au-delà des seules prestations sociales l’assiette de cette mesure, nous nous privons, d’une certaine façon, de son efficacité. Je regrette donc que la vision très restrictive du Sénat ait été homologuée par la commission mixte paritaire, malgré les efforts que M. Gautier et moi-même avons déployés pour tenter de faire accepter une autre solution.

Le plus singulier, dans les travaux du Sénat, a été l’introduction de la fiducie dans le dispositif. Lors du récent débat sur la création de la fiducie, on avait bien expliqué à l’Assemblée nationale que cette institution ne concernait que les personnes morales et aucunement les personnes physiques : or, huit jours ne s’étaient pas écoulés qu’à la faveur de la réforme de la protection juridique des majeurs, on étendait la fiducie aux personnes physiques ! C’était pour le moins étonnant. Je suis heureux que la commission mixte paritaire ait écarté cette initiative.

Dans l’ensemble, le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire est acceptable et respecte les avancées du texte. Depuis longtemps, trop longtemps, la réforme était attendue : elle aboutit aujourd’hui , ce dont on ne peut que se réjouir. Cependant, sur le fond, trois objections subsistent, que nous avions déjà formulées en première lecture.

La première touche à la portée exacte du texte. Avions-nous, lorsque nous avons délibéré, une parfaite connaissance des populations qui seraient concernées ? De la réponse à cette question dépend l’avenir de la réforme : quelles sont, parmi les populations aujourd’hui soumises à un système de protection, celles qui, demain, relèveront de la mesure d’accompagnement social et celles qui resteront dans le champ des mesures judiciaires stricto sensu ? En réalité, nul n’est capable de le dire. Je n’en fais le reproche à personne, car je ne doute pas que tout cela ne soit très compliqué, mais il subsiste une très importante marge d’incertitude, y compris en matière de financement. On ne sait pas ce qui va se passer au juste et on ignore quelles seront exactement les populations que le département devra prendre en charge dans le cadre de la mesure d’accompagnement social.

La deuxième réticence que nous avions déjà formulée concerne le mandat de protection future, dans sa forme sous seing privé. Nous étions très satisfaits de la création du mandat de protection future qui, compte tenu du vieillissement de la population, représente pour chacun d’entre nous une mesure de liberté individuelle majeure. Mais nous nous interrogeons sur l’existence, à côté du mandat conclu par acte notarié, d’un mandat sous seing privé. Certes, le Sénat a prévu quelques barrières de protection supplémentaire, mais les praticiens du droit peuvent imaginer que c’est cet aspect de la loi qui, demain, sera sujet à contentieux et encombrera les tribunaux. Malgré les précisions qu’ont apportées certains amendements, les contestations sur la portée du mandat et les conditions dans lesquelles la personne aura signé seront toujours possibles, et l’on risque d’engager des procédures d’annulation de l’acte pour vice du consentement. Certes, la portée du mandat sous seing privé est moindre que celle de l’acte notarié, puisqu’il vise principalement des actes d’administration, mais je répète que cette initiative ne paraît pas très opportune.

Enfin, il faut évoquer la question du financement de la réforme. Je vous rappelle ici, comme je l’avais fait en première lecture, le contenu de la délibération du bureau de l’Assemblée des départements de France : il « estime incontestable dans sa finalité la nécessité de conduire une réforme de la protection juridique des majeurs ; s’étonne néanmoins du désengagement significatif de l’État, se traduisant par un transfert de mesures judiciaires vers des mesures administratives dorénavant financées et gérées par les conseils généraux ». Le Gouvernement n’a pas eu le temps − ou n’a pas pris la peine − de parvenir à un accord avec les départements, alors que le transfert de la prise en compte d’une partie de cette population vers les départements se situe au cœur de la réforme.

J’ajoute, à mon grand regret, que je ne peux passer sous silence des initiatives législatives qui n’ont rien à voir avec ce texte et s’apparentent à des cavaliers législatifs ajoutés à l’initiative du Gouvernement. Ce matin, tout le monde en a respectueusement ignoré l’existence : je suis désolé de venir ternir ce consensus.

M. le garde des sceaux. C’est l’intérêt général.

M. Alain Vidalies. Non, ce n’est pas l’intérêt général, monsieur le ministre. Il faut respecter les procédures législatives. Que viennent faire dans cette loi les articles relatifs au transfert de la tenue du registre du commerce et des sociétés, à la création de l’arbitrage dans le droit public, aux conditions d’exercice du métier de commissaire-priseur ou encore aux conditions d’accès des huissiers dans les parties communes des immeubles collectifs ? Ils y ont pourtant été introduits par des amendements déposés au Sénat, sans respect pour l’objet du texte, et vous le savez parfaitement, monsieur le ministre. Sans faire de mauvaises manières, je soutiens que ces procédures-là ne résisteront pas à l’examen par le Conseil constitutionnel, puisque c’est de façon délibérée que le Gouvernement a violé les principes que, normalement, le Conseil impose, en faisant voter, en deuxième lecture au Sénat, des amendements portant des dispositions parfaitement étrangères au texte d’origine. Je suis au regret de dire que nous nous réservons de saisir le Conseil constitutionnel : en la matière, l’opposition ne fait que son travail.

En définitive, comme en première lecture, le groupe socialiste s’abstiendra dans le vote sur l’ensemble du texte. Je tiens cependant, pour conclure, à saluer la qualité des travaux de la commission des lois, et plus particulièrement de notre rapporteur, M. Émile Blessig. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.

Ce texte ne fait l’objet d’aucun amendement.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole dans les explications de vote ?...

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

17

ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. À quinze heures, deuxième séance publique :

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 3683, réformant la protection de l’enfance :

Rapport, n° 3687, de Mme Valérie Pecresse, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ;

Discussion de la proposition de loi, n° 3607, adoptée par le Sénat, relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur :

Rapport, n° 3688, de M. Jean-Pierre Door, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ;

Texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur :

Rapport, n° 3684, de M. Emmanuel Hamelin ;

Texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance :

Rapport, n° 3736, de M. Philippe Houillon ; 

Éventuellement, discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi instituant le droit opposable au logement et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale  

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures vingt-cinq.)