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No  2227
ASSEMBLÉE  NATIONALE
CONSTITUTION  DU  4  OCTOBRE  1958
DOUZIÈME  LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 avril 2005.
D É C L A R A T I O N
D U G O U V E R N E M E N T

sur le référendum portant sur le projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe,

par M. Jean-Pierre RAFFARIN,
Premier ministre.

                    Monsieur le président,
                    Mesdames, messieurs les députés rassemblés,
        Je suis très heureux de vous présenter aujourd’hui, pour la première fois, en application de l’article 11 de la Constitution, un projet de loi avant qu’il soit soumis au vote des Françaises et des Français. C’est la première fois, en effet, qu’il est fait application de cette nouvelle procédure depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995 qui a été voulue par le Président de la République.
        Cette nouvelle pratique se situe dans la continuité de notre tradition républicaine voulue par le général de Gaulle dès les débuts de la Ve République. Elle montre qu’il n’y a pas de concurrence entre la représentation du peuple par le Parlement et le référendum. La voie parlementaire et la voie référendaire ne s’opposent pas, elles se complètent.
        Ce référendum est un moment de vérité car l’Europe ne peut avancer qu’avec les citoyens.
        Je vous le rappelle, ce traité ne révise pas les traités existants ; il s’y substitue. C’est l’article IV-437 du projet de traité constitutionnel. Pour cette raison, le texte qui sera soumis aux Français le 29 mai prochain et qui vous est présenté aujourd’hui comporte une question : « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ? »
        Ce référendum est le dixième référendum national de la Ve République et le troisième consacré dans notre pays à une question européenne.
        Le premier référendum concernait le premier élargissement de la Communauté économique européenne. Le 23 avril 1972, les Français se sont prononcés à une large majorité en faveur du passage de l’Europe des Six à l’Europe des Neuf. Ils ont ratifié l’entrée de trois nouveaux États dans la Communauté : le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark. Le taux d’abstention avait été alors de près de 40 %, taux jugé bien élevé à l’époque. Hélas ! ce record a été battu depuis.
        Le deuxième référendum a eu lieu vingt ans plus tard, le 20 septembre 1992. Il s’agissait d’approuver le traité établissant l’Union européenne et prévoyant la mise en place de la monnaie unique qui ne s’appelait pas encore l’euro. Ce référendum donna lieu à une campagne passionnée et argumentée. Le résultat positif fut acquis avec une marge étroite. Ses conséquences pour les Français en sont pourtant durables, concrètes et quotidiennes.
        L’euro est aujourd’hui une réalité, la zone euro un espace qui protège les deux tiers de notre commerce extérieur, la parité entre l’euro et le dollar ne concernant qu’un tiers de notre commerce extérieur. La zone euro nous protège aussi de tous ceux qui seraient tentés par des dévaluations compétitives.
        De ces deux consultations je retiens trois leçons : il faut s’opposer à l’abstention, il faut combattre la confusion, il faut un vrai débat et faire preuve de conviction.
        Il faut d’abord s’opposer à l’abstention.
        Le référendum est l’expression la plus directe et la plus élevée de la souveraineté populaire. Il est un moment unique de la vie démocratique, puisque c’est aux Françaises et aux Français eux-mêmes qu’il appartient de trancher, en arbitre ultime.
        Pour cette raison, mesdames, messieurs les députés, il vous incombe en tant qu’élus de la nation, comme il incombe aux élus locaux ainsi qu’aux membres du Gouvernement, de rappeler aux Françaises et aux Français qu’ils doivent participer à ce référendum. On ne peut à la fois dénoncer le déficit démocratique de l’Europe et se dérober au référendum sur une question qui met en jeu l’organisation démocratique de l’Europe et l’engagement européen de la France.
        Le pronostic, nécessairement incertain du résultat de cette consultation, engage la responsabilité de chacune et de chacun. L’indifférence ressemblerait à de l’insouciance.
        Il faut aussi combattre la confusion.
        Un référendum sur l’Europe n’est pas un plébiscite. Il n’est pas, il ne peut devenir ni une motion de confiance ni une motion de censure.
        La réponse à la question posée – le oui ou le non – n’appartient ni aux uns ni aux autres, mais au peuple.
        La réponse que nous demandons à chaque Français, c’est une réponse libre, indépendante des considérations partisanes et des échéances électorales. La réponse que nous demandons à chaque Français s’attache à la question posée, à toute la question. La réponse que nous demandons aux Français ne vaut pas seulement pour aujourd’hui ; elle vaut pour leurs enfants, pour l’avenir. Elle décidera la règle du jeu pour l’action que voudront mener en Europe tous nos successeurs.
        Avec ce nouvel élargissement, il fallait évidemment de nouvelles règles. Le traité n’est pas un discours politique, pas un choix politique, c’est un « discours de la méthode ». Notre Constitution nationale nous a permis, dans le temps, de conduire des politiques bien différentes les unes des autres.
        La Constitution est une méthode. Elle n’engage pas tous les choix politiques. Mais elle apporte à la construction européenne les moyens de l’efficacité, les moyens de l’organisation démocratique.
        Enfin, nous avons besoin d’un vrai débat. Ce référendum sera l’occasion de parler partout en France d’Europe ainsi que de la France. Dans ce débat, chacun doit pouvoir s’exprimer sur ce qu’il attend de l’Europe et des nouvelles règles d’organisation pour les choix politiques d’avenir que notre pays fera en Europe.
        La campagne est organisée sur deux plans : celui de l’explication et celui de la conviction.
        La campagne d’explication d’abord. Son organisation relève de la responsabilité du Gouvernement sous l’autorité du Président de la République. Chaque Français va recevoir le texte du traité établissant une Constitution pour l’Europe ainsi que le texte du projet de loi référendaire autorisant le Président de la République à ratifier ce traité.
        Comme tout projet de loi qui vous est soumis, ce texte est précédé d’un exposé des motifs qui explique l’objet et la portée du texte sur lequel les Français sont appelés à se prononcer. Ainsi que l’a indiqué tout à l’heure le ministre de l’intérieur, l’envoi de ces documents à chaque Français se fait sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
        La campagne de conviction est déjà engagée. Chacun pourra faire son choix. Le « oui » et le « non » sont également respectables. C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de garantir un financement public de la campagne référendaire, dont la répartition obéit à des critères objectifs.
        Au terme de cette campagne, personne ne pourra dire qu’il n’a pas été informé, qu’il n’a pas été en mesure de déposer dans l’urne son bulletin de vote de manière libre et éclairée, bref d’exprimer un vote responsable.
        J’entends dans le pays des pronostics incertains sur l’adhésion des Français au projet européen.
        J’entends dire que cinquante ans de vie commune depuis la création de la Communauté en 1957 auraient sédimenté des malentendus, des incompréhensions, voire des rancœurs.
        J’entends des rumeurs de divorce entre le peuple de France et l’idée européenne.
        J’entends parfois aussi l’isolement présenté comme une liberté alors que l’histoire nous a appris que l’isolement était toujours porteur de dépendance.
        Ces rumeurs ne sont pas surprenantes. Rappelez-vous l’étroitesse de la victoire du « oui » au référendum sur le traité de Maastricht !
        Puisqu’il est « ouvert », le référendum du 29 mai doit être le moment de parler ouvertement de notre ambition pour l’Europe, sans tabou mais sans mensonge.
        Je le dis devant vous, mesdames, messieurs les députés, je le dis aux Français par votre intermédiaire : nous avons besoin de l’Europe.
        Mais nous avons aussi besoin d’affirmer un désir d’Europe. Nous ne ferons pas progresser l’Europe dans la direction que nous voulons si nous n’avons pas un véritable désir d’Europe. C’est à nous de décider, par ce référendum, si nous voulons approfondir et poursuivre notre vie commune européenne et lui donner un nouveau sens.
        C’est en adoptant la Constitution pour l’Europe que de nombreux Françaises et Français pourront combler l’écart entre leur idéal de l’Europe et l’Europe qu’ils n’aiment guère, celle qu’ils craignent, celle qu’ils jugent parfois procédurale, bureaucratique, menaçante ou imparfaite. Au fond, refuser le traité c’est conserver l’imparfait.
        En adoptant la Constitution, la France reste à l’avant-garde de l’Europe que nous voulons.
        Sur aucun point, mesdames, messieurs les députés, on ne peut prétendre que le nouveau traité serait moins bon que les règles actuelles.
        Les Français veulent une Europe qui ait une âme : la Constitution est porteuse de valeurs, elle consacre la charte des droits fondamentaux.
        Pour la première fois, les Français retrouveront dans le traité les droits auxquels ils ont été si attachés au cours de l’histoire, auxquels ils sont attachés depuis la Déclaration de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 – c’est l’article I-9 du projet de traité constitutionnel. C’est peut-être le premier traité de « l’homme européen » décrit tout récemment par Jorge Semprun et Dominique de Villepin.
        Les Français veulent une Europe qui ait un visage : le Conseil européen aura un président stable dont le mandat pourra aller jusqu’à cinq ans. Pour la première fois, les Européens auront face à eux une autorité politique qui pourra défendre son autorité face à l’administration et aux organisations technocratiques, une autorité politique qui assumera toute la responsabilité politique des décisions de l’Union, en vertu de l’article I-22.
        Les Français veulent une Europe qui soit un modèle social. Cette Constitution se donne pour objectifs le plein emploi, la justice sociale et le progrès social. Je vous renvoie à l’article I-3. Elle reconnaît l’importance des services publics sur tout le territoire à l’article II-96.
        Elle reconnaît aussi le rôle des partenaires sociaux dans l’article I-48. Pour la première fois, le Conseil européen de printemps sera précédé par un sommet tripartite : Conseil, Commission et partenaires sociaux.
        Les Français veulent une Europe qui soit à leur écoute. Pour la première fois, cette Constitution s’ouvre à la société civile aux termes de l’article I-47.
        L’article I-11 donne aux Parlements nationaux le pouvoir de contrôler le respect du principe de subsidiarité et l’article I-47 innove puisqu’il introduit le droit d’initiative populaire, le droit de pétition.
        Les Français veulent une Europe qui soit écoutée et respectée sur la scène mondiale, une Europe qui les protège des désordres de la mondialisation, une Europe qui crée entre les États membres une solidarité de sécurité, comme le prévoit l’article I-43. Elle aura son ministre des affaires étrangères en vertu de l’article I-28 et renforcera sa défense commune dans le cadre de l’article I-12.
        L’Europe unie se fera mieux entendre et la voix de la France y sera renforcée.
        Cette Constitution européenne, c’est l’Europe que les Français veulent : une Europe de la paix et de la sécurité, une Europe porteuse de valeurs, fidèle à l’humanisme français, une Europe de progrès et de croissance, et une Europe pour laquelle le « voisinage » n’est pas nécessairement l’adhésion, comme le prévoit l’article I-57. La Constitution européenne ouvre le champ des possibles. C’est pourquoi le référendum n’est pas partisan. Il offre à l’Europe un choix entre une ouverture sur l’avenir et les blocages du présent.
        Nouveau traité, nouvelle Europe. Dire oui à la nouvelle Europe, c’est avant tout dire oui à la France car le non affaiblirait la France. La France a besoin d’un oui pour défendre les intérêts des Françaises et des Français. Les Français ont besoin, en effet, que la France soit forte.
        J’ai confiance dans le vote des Français. J’ai dit que ce référendum était le troisième référendum européen. Il ne sera peut-être pas le dernier : les Français seront de nouveau consultés pour arrêter les frontières de l’Europe, pour débattre des éventuels élargissements de l’Union, issus de futures négociations.
        La date du 29 mai sera un moment de vérité, comme chaque fois que la parole est donnée au peuple. Elle donne corps à une Europe plus démocratique et elle perpétue notre tradition républicaine du référendum.
        C’est donc une certaine idée de la démocratie européenne qui est en jeu, et c’est pour cela que je demande aux Français de voter le 29 mai, d’aller dans leur bureau de vote pour remplir leur première mission qui est de voter, et ensuite de voter oui à la question que le Président de la République leur a personnellement et collectivement posée. La France a besoin de l’Europe, mais l’Europe a besoin du « oui » de la France.

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N° 2227 – Déclaration du Gouvernement sur le référendum portant sur le projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe