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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 200

Réunion du mardi 20 février 2007 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller,

Président,

I. Examen du rapport d'information de MM. Jérôme Lambert et Jacques Myard sur la politique industrielle européenne

M. Jacques Myard, rapporteur, a souligné le grand intérêt qu'il avait trouvé dans la préparation du rapport et estimé qu'il s'agissait d'un rapport d'étape sur un concept en voie de mûrissement. La politique industrielle est un sujet de coopération européenne, sur lequel la Commission et les États interviennent. La réflexion européenne et française sur cette question doit se poursuivre.

L'industrie joue un rôle essentiel dans l'économie : elle emploie 34 millions de personnes dans l'Union européenne à 25, représente 75 % des exportations et 80 % des dépenses de recherche et développement.

La notion de politique industrielle désigne deux conceptions différentes :

- une conception volontariste et sectorielle, qui a été prédominante en France dans les années 1960. Il est important de rappeler que la plupart des grands succès industriels français actuels sont le fruit de cette politique industrielle volontariste, par exemple dans le nucléaire, le spatial et l'agroalimentaire ;

- une conception horizontale, la politique industrielle reposant alors avant tout sur le libre fonctionnement des marchés, permettant le développement de ce que les anglo-saxons nomment un « level playing field », c'est-à-dire des conditions de jeu égales pour les entreprises, agissant sans entraves.

Il existe aujourd'hui des signes inquiétants de désindustrialisation.

La plupart des pays industrialisés connaissent un recul important de l'emploi industriel. En Allemagne, le nombre de personnes employées dans l'industrie est passé de 9 millions dans les années 1970 à 5,7 millions aujourd'hui. En France, la part de l'emploi industriel dans l'emploi total était de 19,5 % en 1990 et de seulement 14,8 % en 2004. Si l'on observe l'évolution depuis 1995 de l'indice INSEE de la production industrielle en France, on constate que celui-ci a progressé de 4,5 % jusqu'en 2000, mais qu'il stagne depuis.

Une partie de la désindustrialisation peut être expliquée par un mouvement d'externalisation des services. En effet, de plus en plus souvent, les entreprises industrielles se recentrent sur leur activité principale et transfèrent vers des prestataires externes des services autrefois intégrés dans leur organisation.

Il serait cependant faux de penser que la désindustrialisation peut être compensée par une spécialisation dans les services, comme l'a exprimé à Londres le ministre « shadow » conservateur pour l'énergie, la science et la technologie. La disparition de l'industrie manufacturière entraînerait obligatoirement celle du savoir-faire industriel et, par conséquent, des services qui lui sont attachés.

La mondialisation et la concurrence des pays émergents aggravent la désindustrialisation, notamment à travers les délocalisations. La mesure de leurs conséquences sur l'emploi est difficile et fait l'objet de polémiques. On peut cependant citer une étude de MM. Patrick Aubert et Patrick Sillard de l'INSEE, publiée en juin 2005, qui estime qu'environ 95 000 emplois industriels auraient été supprimés en France et délocalisés à l'étranger entre 1995 et 2001, soit en moyenne 13 500 chaque année. Le rapport d'information de M. Jean Arthuis, Président de la commission des finances du Sénat sur la globalisation de l'économie et les délocalisations d'activités et d'emplois, publié en 2005 inclut les résultats d'une étude réalisée à la demande du Sénat qui considère que 202 000 emplois de services devraient être perdus au cours de la période 2006-2010 du fait des délocalisations.

Le rapporteur a ensuite souligné le cadre contraignant de la politique de concurrence communautaire.

Il existe au plan communautaire un déséquilibre important entre la politique industrielle et la politique de concurrence. Dès le Traité de Rome, la politique de concurrence a été définie comme une politique commune, avec un ensemble de règles strictes et des pouvoirs propres importants de la Commission. La politique industrielle, qui repose avant tout sur la compétence des États, doit respecter ce cadre et elle est d'autant plus contrainte que la Commission fait souvent une application dogmatique des règles de concurrence.

Comme le dispose l'article 3 du traité instituant la Communauté européenne, la Communauté établit un « régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun ».

Les règles elles-mêmes sont fixées dans l'article 81 relatif aux ententes, dans l'article 82 sur l'abus de position dominante, dans le règlement 139/2004 du 20 janvier 2004 relatif aux concentrations, qui a certes assoupli le système par rapport au règlement initial de 1989, et enfin dans les articles 87 à 89 pour les aides d'État.

L'article 89 du Traité prévoit que le Conseil peut prendre des mesures d'application des articles 87 et 88 du traité et fixe notamment les conditions d'application de l'article 88, paragraphe 3, et les catégories d'aides qui sont dispensées de cette procédure. Le Conseil est en fait rarement intervenu dans ce domaine et la Commission a progressivement exercé un pouvoir quasi législatif; au moyen notamment de communications ou de lignes directrices visant à fixer le cadre dans lequel certains types d'aides pouvaient être octroyées par les États.

C'est notamment le cas pour les aides à la recherche et au développement, les aides aux PME, les aides pour l'emploi et la formation et les aides pour la protection de l'environnement. En outre, une exemption à la procédure de notification préalable à la Commission est prévue pour certaines catégories d'aides de faible importance (aides « de minimis »).

Le 7 juin 2004, la Commission a adopté un plan d'action exposant les principes qui vont guider la réforme des règles et procédures relatives aux aides d'État au cours de la période 2005-2009. Elle souhaite notamment une réduction globale du volume des aides, ce qui pose problème au regard des conditions de concurrence mondiale, notamment par rapport aux États-Unis.

En matière de concentrations, l'appréciation du marché pertinent par la Commission est souvent contestable, ce qui aboutit à une vision particulièrement stricte de la concurrence, qui s'est manifestée par exemple dans les décisions sur les concentrations entre Schneider et Legrand, entre Sanofi-Synthélabo et Aventis ou plus récemment entre Suez et GDF.

Le dogmatisme de la Commission se manifeste aussi dans la politique du marché intérieur. Ainsi, dans le domaine des marchés publics, la Commission refuse d'accéder à la demande française, tendant à la négociation d'une dérogation dans le cadre de l'accord de l'OMC sur les marchés publics, afin de réserver une part de ces marchés aux PME.

Par ailleurs, la Commission a présenté en septembre 2004 un Livre vert sur les marchés publics de défense, dans lequel elle affirmait sa volonté de renforcer la concurrence. Le 7 décembre 2006, elle a adopté une communication interprétative sur l'application de l'article 296 du traité. Cet article prévoit que les États membres peuvent prendre les mesures qu'ils estiment nécessaires à la protection de leurs intérêts essentiels de sécurité en matière de production ou de commerce d'armements. La Commission a l'intention d'adopter avant la fin 2007 une proposition de directive pour les cas où la dérogation prévue à l'article 296 ne serait pas applicable. Les industriels de l'aérospatiale rencontrés ont exprimé de vives inquiétudes sur cette question et il faut veiller à ce que la Commission ne remette pas en cause par ce biais l'article 296.

Enfin, le rapporteur a indiqué que le rapport comportait un encadré sur les menaces qui pèsent actuellement sur le PMU, du fait de la mise en demeure adressée par la Commission à la France et à d'autres États membres en octobre 2006 sur leurs dispositions nationales restreignant la fourniture de services de jeux d'argent. Il a précisé qu'en tant que maire de Maisons-Laffitte, il s'intéressait particulièrement à cette question et que, ce faisant, la Commission méconnaissait, pour le PMU, une politique cohérente menée par l'État français depuis de nombreuses décennies et qui constitue une véritable stratégie économique et industrielle au sens noble du terme.

Cette politique repose sur le principe que l'intégralité du résultat financier du PMU est versée aux sociétés de courses constituées sous forme d'associations et affecté au financement de la filière hippique.

La Commission agit sous la pression des bookmakers britanniques, alors que l'organisation des courses et des paris au Royaume-Uni est très différente de la nôtre.

En dépit des contraintes du dogme, les États ont conservé des politiques nationales.

En Allemagne, le terme de « politique industrielle » est employé avec prudence et l'accent est mis sur le libre fonctionnement des marchés, le rôle de l'État devant se limiter à la garantie de conditions-cadres favorables à la compétitivité de l'industrie, au plan juridique, fiscal ou budgétaire, tout en veillant à ce que les centres de recherche et de décision restent en Allemagne (politique du « Standort Deutschland », « site-Allemagne »).

Cependant, l'Allemagne mène une importante politique de soutien aux PME et en matière d'innovation, le gouvernement a adopté en 2006 l'initiative « High Tech Strategie », qui prévoit un financement public de 15 milliards d'euros sur 4 ans dans 17 domaines d'innovation prioritaires, définis en lien avec les industriels et les organismes de recherche.

Plusieurs mesures ont été récemment lancées en faveur du capital-risque. Ainsi, les autorités ont créé un fonds de soutien à la création d'entreprises de haute technologie, le « High Tech Gründerfonds ». La Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), établissement financier public sous tutelle du ministère de l'économie, a accordé en 2006 1,6 milliard d'euros de crédits aux PME d'innovation, à travers leurs propres banques.

Enfin, dans le domaine de l'aéronautique, il faut citer l'exemple de la ville de Hambourg et du Land de Bavière qui ont récemment pris des participations directes au capital d'EADS, dont le groupe Daimler Chrysler souhaite se désengager.

Au Royaume-Uni, bien que le concept de politique industrielle suscite une profonde méfiance, les politiques publiques ne sont pas absentes.

Il faut d'abord souligner qu'avec 1,78 % de son PIB consacré à la R&D en 2004 contre 2,15 % en France, 2,5% en Allemagne et 2,59 % aux États-Unis, le Royaume-Uni est le pays du G5 qui investit le moins dans la R&D. Le Royaume-Uni a lancé en 2004 une « stratégie nationale pour la technologie » chargée en particulier d'encourager les transferts de connaissance entre l'université et l'entreprise et d'identifier - avec le secteur privé - les technologies porteuses de développements intéressants sur le plan industriel.

Le Royaume-Uni mène aussi différentes actions en faveur des PME. Il existe notamment plusieurs dispositifs destinés à faciliter le financement des PME : plusieurs fonds, et diverses mesures fiscales, visent à aider les entreprises à financer leur développement en facilitant l'accès au capital risque.

Enfin, l'action de l'État concerne aussi le développement international des entreprises. L'agence chargée du développement international des entreprises, UK Trade and Industry (UKTI) est dotée de moyens relativement importants : 100 millions de livres de crédits d'intervention annuels, pour un réseau d'environ 700 personnes au Royaume-Uni et 1600 à l'étranger, pour attirer des investisseurs étrangers et aider les entreprises à vendre à l'étranger.

Dans le cadre de cette agence a été créée en décembre 2004 l'Asia task Force, composée de 24 personnalités issues du monde industriel et universitaire. Celle-ci a pour but d'identifier les défis auxquels doivent faire face les entreprises britanniques en Asie, de mieux faire connaître les opportunités et de développer une stratégie cohérente.

Enfin, si la nationalité du capital des entreprises n'est pas un sujet de débat, le fait que l'activité économique se situe au Royaume-Uni importe. La localisation des centres technologiques fait également l'objet d'une vigilance particulière. Le transfert du siège de Shell aux Pays-Bas et l'hypothèse d'un départ de BAE Systems aux États-Unis, le groupe réorientant ses activités vers le marché américain, suscitent cependant des préoccupations.

A partir de règles différentes, les États-Unis ont développé un système très complet pour encourager leur industrie. Malgré un discours très libéral, beaucoup d'aides existent.

Les États-Unis mènent en premier lieu une puissante politique de recherche et développement, même si différents interlocuteurs ont souligné des insuffisances, notamment un déficit important d'ingénieurs.

Le Président Bush a annoncé le 31 janvier 2006, dans son discours sur l'état de l'Union, l'initiative pour la compétitivité américaine, l'American Competitiveness Initiative. Sans augmenter le budget global de la recherche et développement, la Maison Blanche propose de doubler, sur une période de 10 ans, l'investissement en R&D des principales agences fédérales ayant des programmes en sciences physiques et ingénierie.

Les États-Unis ont aussi de multiples actions en faveur du transfert de technologies, à travers différentes agences fédérales, mais aussi à travers les universités. Le rapporteur a indiqué qu'il s'était rendu à l'université du Maryland, qui a créé un institut entièrement consacré au transfert de technologies, et qui mène des actions très intéressantes d'éducation à l'entreprenariat.

La loi Bayh-Dole adoptée en 1980 constitue un instrument important car elle dispose que les PME, les universités et les organisations à but non lucratif sont autorisées à déposer en leur nom des brevets pour les résultats des recherches qu'elles auraient effectuées sur financement fédéral (ou cofinancement).

Il existe également un fort soutien aux PME, notamment à travers les différents programmes de la Small Business Administration (SBA), qui est une agence indépendante du gouvernement fédéral dont la mission principale est l'aide aux PME. Le Small Business Act établit un objectif global à atteindre ou à dépasser pour les marchés fédéraux attribués à des petites entreprises, objectif exprimé en pourcentage du montant total annuel de ces marchés, et fixé actuellement à 23 %.

De multiples aides directes à l'industrie existent au niveau subfédéral. Par exemple, le groupe EADS pourrait profiter de ce type d'aides. EADS et son partenaire américain, Northrop Grumman, ont ainsi sélectionné, après un véritable processus de mise en concurrence, le site de Mobile en Alabama comme étant le lieu d'une éventuelle implantation industrielle aux États-Unis s'ils devaient être retenus pour la fourniture d'avions ravitailleurs à l'US Air force. Le montant total des aides atteindrait plus de 100 millions de dollars, avec des pénalités en cas de non respect des engagements en matière d'emplois. Il ne serait pas possible d'accorder de telles aides avec les règles de concurrence communautaires.

Les États-Unis ont recours à des instruments défensifs de politique commerciale. La procédure antidumping de l'OMC est la plus utilisée, puisque 250 à 300 mesures antidumping sont aujourd'hui actives.

La loi Exon-Florio de 1988 définit le régime de contrôle des investissements étrangers et donne au Président la possibilité de décider de restrictions, si la sécurité nationale est menacée. Ces dispositions sont appliquées par le comité des investissements étrangers aux États-Unis (Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS), présidé par le secrétaire au Trésor.

Cependant, il est fort probable que ce mécanisme soit réformé, à la suite des polémiques ayant suivi l'approbation par le CFIUS, le 17 janvier 2006, du transfert de la gestion de 6 ports américains résultant du rachat de la société de droit britannique Peninsular and Oriental (P&O), par le groupe Dubaï DP World.

La rapidité et le manque de sérieux avec lesquels le CFIUS aurait validé cette transaction ont provoqué de vives critiques au Congrès, chez les Démocrates comme chez les Républicains. Dubaï DP World a renoncé à prendre en charge l'exploitation des ports américains mais la réforme du CFIUS est toujours à l'ordre du jour.

Enfin, des règles très strictes existent en matière d'accès aux marchés publics de défense. Les entreprises européennes qui obtiennent des contrats doivent créer des filiales de droit américain, dirigées exclusivement par des Américains, et les services qui participent aux activités dans le domaine de la défense sont isolés du reste de l'entreprise, de façon à créer des « boîtes noires », d'où les informations ne peuvent pas sortir.

Pour la France, le rapporteur a indiqué qu'il ne reviendrait pas en détail sur les différents instruments, et a simplement cité l'Agence nationale de la recherche, l'Agence de l'innovation industrielle, les pôles de compétitivité, Oséo, le statut de jeune entreprise innovante et le programme PME innovation, ainsi que le décret du 30 décembre 2005 sur la réglementation des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques.

Une certaine prise de conscience a eu lieu au niveau communautaire. Ainsi, le commissaire Günter Verheugen, rencontré à Bruxelles par les rapporteurs, a estimé que la politique industrielle n'était plus un « gros mot ». La Commission en effet publié successivement trois communications sur la politique industrielle en 2002, 2003 et 2004. La communication du 5 octobre 2005 « Un cadre politique pour renforcer l'industrie manufacturière de l'Union européenne vers une approche intégrée de la politique industrielle » se fonde sur une analyse de 27 secteurs industriels et introduit sept initiatives sectorielles et sept initiatives horizontales.

La conception communautaire de la politique industrielle est d'ordre horizontal. Il s'agit de favoriser la compétitivité des entreprises par des conditions-cadres favorables.

Cette amélioration des conditions-cadres est recherchée à travers l'initiative « Mieux légiférer » qui a trois volets : retirer ou modifier des propositions engagées dans le processus législatif, simplifier la législation existante et améliorer la qualité des propositions législatives, par l'utilisation systématique de l'analyse d'impact et de la consultation publique dans l'élaboration des nouvelles propositions législatives. Malgré ces ambitions, les conséquences des réglementations sur la compétitivité industrielle ne sont pas toujours suffisamment prises en compte par la Commission, comme l'a illustré le débat sur la proposition de règlement Reach relative aux substances chimiques, qui a été modifiée en profondeur par le Conseil et le Parlement européen, de façon à réduire l'impact négatif sur les entreprises.

L'Union européenne mène aussi une politique de recherche et développement, à travers les programmes-cadres de recherche et développement.

Le rapporteur a estimé qu'on était encore loin d'une véritable politique industrielle européenne mais qu'il existait des évolutions positives.

M. Jérôme Lambert, rapporteur, a présenté les propositions du rapport.

Il convient tout d'abord d'assurer des conditions-cadres favorables à l'industrie.

Cette dimension horizontale de la politique industrielle fait l'objet d'un consensus chez l'ensemble des personnes rencontrées, tant en France qu'à l'étranger.

Il importe en particulier :

- d'avoir une fiscalité favorable à l'investissement et à l'entreprise ; le rapporteur a estimé qu'il devait s'agir d'encourager le réinvestissement des bénéfices dans les entreprises ;

- de poursuivre le travail de simplification des procédures administratives auxquelles sont soumises les entreprises ; il serait à cet égard souhaitable de créer en France un « guichet unique » permettant de coordonner toutes les aides aux entreprises, et parallèlement de simplifier ces aides ; cette proposition n'est pas nouvelle mais peine à être mise en œuvre ;

- d'accroître l'effort en faveur de l'éducation et de la formation, ainsi que les liens entre les entreprises et les universités ;

- d'avoir une politique de change non pénalisante pour les exportations. Les entreprises européennes subissent actuellement les conséquences de la surévaluation de l'euro par rapport au dollar.

Il faut en second lieu renforcer l'effort en faveur de la recherche et de l'innovation.

L'objectif de 3 % du PIB consacrés à la recherche, fixé par la stratégie de Lisbonne, doit être poursuivi, notamment par la hausse des financements publics.

Les crédits d'impôts sont particulièrement adaptés pour encourager la recherche des entreprises, encore insuffisante en France.

Le regroupement en pôles des différents acteurs de l'innovation (entreprises, universités et centres de recherche) est un modèle dont le succès est prouvé, notamment aux États-Unis et l'encouragement des pôles de compétitivité doit se poursuivre, même si leur nombre semble trop élevé et si des synergies sont nécessaires.

L'État doit participer au capital d'un certain nombre d'entreprises, lorsque les intérêts nationaux sont en jeu.

Cette participation permettrait d'éviter, dans des secteurs industriels stratégiques, la perte de compétences technologiques essentielles.

Il est souhaitable de réviser le cadre de la politique de concurrence.

Un rééquilibrage des pouvoirs en matière de contrôle des concentrations est nécessaire. Il serait souhaitable d'introduire un mécanisme d'appel devant le Conseil des décisions prises par la Commission en matière de concentrations.

Un tel mécanisme n'exclurait pas le contrôle du juge communautaire. Il permettrait d'équilibrer les pouvoirs actuellement très forts de la Commission et d'éviter que certaines décisions soient annulées par les juridictions communautaires plusieurs années après qu'elles ont été prises, lorsqu'il est trop tard pour que les opérations de concentrations envisagées puissent encore avoir lieu.

Il faut noter que cette possibilité existe dans le domaine des aides d'État. Elle est inscrite dans l'article 88.2 du Traité CE, qui prévoit que le Conseil peut décider à l'unanimité d'autoriser une aide, si des circonstances exceptionnelles le justifient. Son usage est cependant resté très limité.

Il conviendrait également d'assouplir le régime des aides d'État. Le règlement du Conseil du 7 mai 1998 autorise la Commission à exempter certaines aides. Il serait souhaitable que ces possibilités soient mieux exploitées dans l'intérêt de l'industrie, à travers les lignes directrices adoptées par la Commission.

Il faudrait enfin permettre la prise en compte de la politique industrielle par la politique de concurrence. Cette prise en compte pourrait reposer sur l'introduction d'une clause relative à la politique industrielle dans le chapitre du Traité relatif aux règles de concurrence, afin que l'application des nécessaires règles de concurrence soit tempérée par la non moins nécessaire politique industrielle. L'actuel article 157 du Traité, introduit par le Traité de Maastricht, reflète une conception horizontale de la politique industrielle, qui peut être qualifiée de politique d'environnement compétitif et ne permet pas un équilibre avec les règles de concurrence.

Il est par ailleurs souhaitable de renforcer l'accès des PME aux marchés publics. Il convient de continuer à soutenir l'initiative française, afin que dans le cadre de la renégociation de l'accord de l'OMC sur les marchés publics, l'Union européenne bénéficie d'une dérogation lui permettant de réserver une part de ces marchés aux PME, à l'image du Small Business Act des États-Unis.

Il faut être vigilant quant au maintien du régime dérogatoire de l'article 296 du traité en matière d'armements. Il importe de s'opposer à l'intention de la Commission d'adopter cette année une proposition de directive sur les marchés publics de défense. Ce secteur hautement sensible doit relever de l'appréciation souveraine des États membres, pour des raisons de sécurité.

Le maintien du régime actuel n'exclut pas de soutenir le développement de coopérations européennes.

Il est également nécessaire de développer l'intelligence économique.

Dans une économie mondialisée, les enjeux liés à la maîtrise et à la protection de l'information stratégique sont fondamentaux.

La politique d'intelligence économique fait partie intégrante de la politique industrielle et ses objectifs devraient être mieux pris en compte, par les acteurs publics comme par les entreprises. Il convient de se débarrasser d'une certaine naïveté française à cet égard car nos concurrents mondiaux, en premier lieu la Chine, ont des stratégies très élaborées dans ce domaine.

Il faudrait enfin intégrer une réflexion sur la politique industrielle dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

Cette réflexion comparative devrait permettre d'avoir une vision plus juste des conditions de concurrence au plan mondial, et pourrait inspirer les négociations relatives à la clarification de l'accord sur les subventions, ainsi que celles sur la baisse des tarifs douaniers sur les produits industriels.

En conclusion, le rapporteur a estimé que l'Europe était en guerre économique et qu'il fallait rechercher une politique de « gagnant-gagnant », afin que les perdants d'aujourd'hui ne nous le fassent pas payer plus tard. Il convient également d'éviter l'angélisme et de se protéger pour ne pas être perdants.

Le Président Pierre Lequiller, soulignant, comme l'a indiqué M. Jacques Myard, qu'il s'agissait d'un rapport d'étape, a jugé important qu'il puisse être communiqué à M. Günter Verheugen, vice-président de la Commission, en charge des entreprises et de l'industrie. Tout en faisant observer que, sur certaines des conclusions, il émettait des réserves, il a rappelé que, dans le cadre des travaux de la Convention sur le traité constitutionnel européen, il avait préconisé, avec M. Michel Barnier, d'inclure une référence à la politique industrielle dans les dispositions du traité relatives à la concurrence. A cet égard, il a estimé qu'il était excessif de soutenir que la Commission était hostile à toute intervention de l'État.

Se référant aux propos tenus sur l'euro, le Président Pierre Lequiller a insisté sur la nécessité d'éviter toute critique excessive, analogue à celle qui avait déjà été émise, lorsque l'euro était faible. Il a considéré que l'euro avait permis de supprimer les dévaluations compétitives et qu'à long terme, il pourrait devenir une monnaie de réserve, susceptible de remplacer le dollar.

En outre, il a souligné qu'en dépit de la prétendue surévaluation de l'euro par rapport au dollar, l'Allemagne était le premier exportateur mondial.

M. Jacques Myard, rapporteur, a indiqué que tel n'était pas l'objet de la critique qu'il avait formulée. En ce qui concerne l'Allemagne, il a fait valoir que cette dernière avait maintenu de fortes positions dans certains secteurs industriels, qui ont bénéficié d'une accumulation d'un capital technologique depuis plus d'un siècle. En outre, l'Allemagne a, depuis une quinzaine d'années déjà, décidé d'accroître ses exportations vers les pays émergents.

Le Président Pierre Lequiller s'est déclaré réservé quant à la possibilité d'ériger le Conseil en instance d'appel des décisions prises par la Commission en matière de concurrence. Il a estimé qu'il convenait de maintenir le monopole de l'application des règles au profit de la Commission et qu'une telle réforme lui paraissait contraire à l'esprit et à la lettre des traités. Il a également noté qu'une telle réforme posait la question des modalités du vote selon lequel le Conseil serait appelé à se prononcer.

M. Jacques Myard, rapporteur, a rappelé que cette proposition était justifiée, à ses yeux, par le fait que certaines décisions en matière de concurrence ne faisaient plus seulement appel à une appréciation de nature juridique, mais relevaient aussi de l'opportunité économique, pour l'examen de laquelle il a craint que le juge ne dispose pas de critères propres à lui permettre de mesurer l'impact économique de certaines opérations industrielles. M Jacques Myard a tenu à préciser que l'appel devant le Conseil ne revêtirait pas de caractère automatique, soulignant que, de façon générale, la Commission a pris des décisions dont il a tenu à saluer la qualité, bien que dans certains cas - comme dans l'affaire Schneider-Legrand ou encore Péchiney-Alcan -, une trop grande rigidité ait pu lui être reprochée. A ses yeux, la réforme proposée ne constitue qu'une piste qui mériterait d'être approfondie.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que le problème évoqué par M. Jacques Myard méritait d'être posé, d'autant que, comme les rapporteurs l'ont rappelé, plusieurs modifications importantes étaient intervenues depuis 2004. Il a estimé en outre qu'il importait de ne pas négliger l'efficacité du système actuel, lequel a conduit la Commission à prononcer de lourdes condamnations, notamment à l'encontre d'entreprises américaines.

Le Président Pierre Lequiller a ensuite fait part de son accord sur le renforcement de la participation des PME aux marchés publics, mesure qui rejoint une proposition adoptée par l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Daniel Garrigue.

Par ailleurs, il s'est déclaré favorable à l'émergence d'une politique européenne en matière de sécurité et de défense, faisant observer que, sur ce point, le traité constitutionnel aurait permis d'accomplir des progrès importants. Il a observé que le code de conduite de l'Agence européenne de défense (AED) constituait un instrument concourant au renforcement d'une politique européenne dans ce domaine. Il a également soutenu l'idée du maintien d'un régime dérogatoire de l'article 296 du traité en matière d'armements, tout en remarquant qu'en matière de défense, c'est grâce à une coopération intergouvernementale sous la maîtrise des États membres en Conseil qui doit être organisée efficacement que progressait l'idée de l'Europe de la défense.

En conclusion, il a déclaré avoir voulu émettre des remarques constructives et nuancées.

M. Jacques Myard, rapporteur, évoquant la question de la défense, a fait observer que la Grande-Bretagne avait décidé de se focaliser sur le marché américain, comme le montre l'exemple de BAE Systems, qui a choisi de se réorienter vers les États-Unis pour être mieux en mesure de remporter des marchés. Il a insisté sur la nécessité de maintenir le régime dérogatoire de l'article 296 du traité, lequel à ses yeux permet de prévenir le risque d'une disparition de l'industrie européenne. Il a déclaré que, compte tenu des interrelations qui existent entre l'Union et les États membres, une coordination très étroite devrait s'établir en matière de politique industrielle entre les États et l'Union.

Le Président Pierre Lequiller, s'associant à cette observation de M. Jacques Myard, a, de nouveau, souligné la nécessité de développer une coopération intergouvernementale sans laquelle, selon lui, l'Europe ne pourrait s'affirmer face aux États-Unis dans le domaine de la défense.

M. Daniel Garrigue a souligné combien nous nous trouvons désormais dans un monde en compétition. Le vrai problème de l'Europe tient au fait qu'elle n'a pas de stratégie face à la mondialisation. Le premier élément de l'intelligence économique, c'est de définir les enjeux ; or l'Europe n'a pas défini les siens, que ce soit en matière de recherche, de technologies ou de défense. Il est frappant de constater la réalité du « complexe militaro-industriel » dans de grands pays tels que les États-Unis et la Chine, et l'absence d'une telle interaction en Europe. Le premier objectif de l'Union européenne devrait être d'une part de définir ses enjeux, et d'autre part de mettre des financements et des instruments à leur service. Face à des prises de contrôle opérées par des entreprises de pays tiers telles que celles auxquelles on assiste dans la sidérurgie avec les opérations menées par des entreprises indiennes, l'Europe ne saurait rester inactive et il faut pouvoir réagir, même si c'est aux dépens du strict respect des règles de concurrence. L'Europe est dépourvue non seulement des instruments nécessaires mais même de la nécessaire réflexion préalable. Ce serait à la Commission de mener cette réflexion.

Dans certains cas, il n'y a en Europe pas assez de concurrence - c'est le cas notamment pour les PME - et il convient, sur le sujet de l'introduction d'un « Small Business Act », d'agir pour obtenir le soutien par les autres États de la position de la France. Dans d'autres cas, à l'inverse, il y a trop de concurrence : dans certaines situations, il n'est pas pertinent de raisonner uniquement à l'échelle du marché européen, et la Commission devrait parfois accepter des concentrations qui sont nécessaires pour affronter la concurrence à l'échelle mondiale. En d'autres termes, s'il est bon de « casser » certaines concentrations qui ne sont pas stratégiques et qui risquent de se faire au détriment des consommateurs, pour d'autres concentrations qui permettraient d'atteindre une taille critique au niveau mondial, une réflexion doit être engagée.

S'agissant de l'OMC, M. Daniel Garrigue a déploré le manque de vision stratégique dont l'Europe fait preuve. Il faut s'interroger sur le point de savoir ce que l'on peut imposer aux industries européennes, jusqu'où il est possible d'aller. La question s'est ainsi posée par exemple lors des négociations sur le projet Reach, ce qui a amené le Président Jacques Chirac, le Chancelier Gerhard Schröder et le Premier ministre Tony Blair à alerter la Commission sur les menaces que le projet faisait peser sur l'industrie européenne. Il faut également observer ce que font les pays tiers pour déterminer quelles réglementations et quelles taxes l'Europe pourrait imposer à ces pays ; or sur cette question non plus, l'Europe n'a pas de vraie démarche.

M. Jacques Myard, rapporteur, a souscrit aux propos de M. Daniel Garrigue. Il a souligné qu'actuellement la politique industrielle n'est abordée, dans le traité, avec l'article 157, que sous l'angle de la compétitivité et non pas sous l'angle de la stratégie industrielle. Il serait donc nécessaire d'opérer un rééquilibrage.

M. Jacques Myard s'est défendu de vouloir introduire le Conseil dans le système judiciaire, mais a insisté pour que soit reconnue la nature politique du problème des concentrations.

Les textes relatifs à la concurrence remontent à 1958. A l'époque, il était légitime d'aller à l'encontre du « chauvinisme économique » né des industries de guerre, et la Commission s'y est efforcée avec raison. Mais aujourd'hui, le contexte est totalement différent, et, pour faire face à des pays tels que la Chine et l'Inde, il est impératif d'adopter une autre politique, une politique réaliste.

L'objectif est de conserver en Europe une industrie manufacturière. A cet égard, les chiffres sont inquiétants. Il est exact de dire que la Chine devient non pas « l'usine du monde » mais « l'usine pour le monde », lorsqu'on voit notamment des entreprises françaises qui s'y installent.

Le Président Pierre Lequiller a proposé aux membres de la Délégation d'autoriser la publication du rapport d'information, les propositions étant présentées par les deux rapporteurs en leur nom personnel. Il a souligné l'intérêt du travail comparatif mené par les rapporteurs. Il a conclu le débat en soulignant la nécessité d'une politique industrielle pour l'Europe, à la fois avec une fiscalité qui permette d'être compétitif au niveau mondial et d'encourager l'investissement, et une défense de l'industrie européenne, soit par le biais des traités, soit de manière pragmatique.

II. Examen du rapport d'information de M. Jean-Marie Sermier sur la réforme de l'Organisation commune du marché des fruits et légumes

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur, a rappelé que l'Assemblée nationale est saisie d'un projet de réforme d'organisation commune des marchés (OCM) dans le secteur des fruits et légumes que la Présidence allemande de l'Union européenne ambitionne de faire adopter d'ici juin 2007.

Le rapporteur a rappelé que l'OCM actuelle repose sur trois mécanismes : des programmes opérationnels, financés pour moitié par le budget européen et pour moitié par les producteurs eux-mêmes, permettant aux organisations de producteurs d'améliorer la commercialisation et la qualité de leurs produits ; des aides pour les fruits et légumes destinés à la transformation et un dispositif de retrait, destiné à stabiliser les cours en cas d'excédents de production.

Le rapporteur a estimé, dans un premier temps, que les fruits et légumes sont un secteur stratégique mais fragile.

Bien qu'il ne représente que 3,1 % du budget agricole européen, ce secteur est, en valeur, le plus important d'Europe. Dans certaines régions, la place qu'il occupe est d'ailleurs considérable : la part de la production de fruits et légumes dans la production agricole totale était, entre 2001 et 2003, de 42 % en Provence, Alpes et Côte d'Azur.

Par ailleurs, la contribution de ce secteur à l'emploi, en particulier à l'emploi peu qualifié, est également considérable.

Enfin, sa contribution à la santé publique est tout aussi capitale, en particulier pour la lutte contre l'obésité.

Cependant, ce secteur souffre de cinq facteurs de fragilité : sa diversité, la concurrence exercée par les pays tiers, la faiblesse de la préférence communautaire, la sensibilité aux aléas climatiques et aux variations de l'offre et de la demande, la pression exercée par la grande distribution et la grande faiblesse de l'organisation de la production qui explique, très largement, le rapport de force existant en faveur des grandes surfaces.

En outre, le cadre réglementaire actuel a échoué dans sa mission d'organisation de la production. L'aide versée au titre des programmes opérationnels, actuellement plafonnée à 4,1 % de la valeur de la production commercialisée par les organisations de producteurs n'a pas incité au regroupement de l'offre. La Cour des comptes européenne a porté un jugement sévère sur le dispositif en vigueur.

Abordant le projet de réforme présenté par la Commission, le rapporteur a estimé qu'il comporte des aspects positifs mais qu'en revanche, il se montre décevant sur la gestion des crises et problématique en ce qui concerne l'intégration du secteur des fruits et légumes dans le régime de paiement unique.

Les propositions sur le rôle des organisations de producteurs et l'assouplissement de leurs règles de fonctionnement, ainsi que celles concernant la promotion et la protection de l'environnement, constituent le volet le plus satisfaisant de la réforme.

A l'inverse, les moyens dévolus à la gestion des crises sont nettement insuffisants : la Commission a manqué l'occasion de créer un fonds spécifique de gestion des crises, distinct des programmes opérationnels et adossé à l'OCM. Or de plus en plus de responsables considèrent que les dispositifs assurantiels, qui garantissent les revenus des agriculteurs, sont le domaine d'avenir des politiques agricoles, notamment au regard des règles de l'OMC.

Certes, avec la proposition de la Commission, une gestion des crises pourra être organisée dans le cadre de la nouvelle OCM, mais elle devra se faire au détriment des actions aujourd'hui financées par les programmes opérationnels. En outre, la proposition de la Commission fait reposer la gestion des crises sur les seules organisations des producteurs, sans prévoir d'y associer les producteurs indépendants, alors qu'une gestion de crise qui ne couvre que 50 % de la production est vouée à l'échec.

Le rapporteur a jugé par ailleurs que l'intégration du secteur des fruits et légumes dans le régime de paiement unique est très problématique pour deux raisons principales. D'une part, cette réforme remet en cause l'accord de Luxembourg du 26 juin 2003 qui exclut précisément les fruits et légumes des droits à paiement unique. En effet, permettre aux producteurs des grandes cultures d'utiliser leurs droits à paiement pour produire des fruits et légumes reviendrait à créer une distorsion de concurrence entre eux et les petits maraîchers, qui, dans de telles conditions, ne pourront pas survivre. D'autre part, la proposition de découplage des aides aux produits transformés à base de fruits et légumes aura des répercussions économiques sur des productions fragiles, car elles pourront être délaissées au profit de productions plus rentables. C'est ainsi que, dans le cas du pruneau d'Agen, le découplage conduirait à une réduction de la production et par conséquent à la fermeture des unités de séchage.

Par ailleurs, le projet de réforme ne comprend aucune référence au maintien nécessaire de la préférence communautaire pour le secteur des fruits et légumes. Or rien n'empêche l'Europe de réaffirmer son attachement à une protection tarifaire adaptée de ces productions.

Le rapporteur a abordé le dernier point de son exposé en détaillant ses dix propositions :

- relever le plafond de la contribution communautaire à la valeur de la production commercialisée des organisations de producteurs de 4,1 % à 6 % ;

- rendre l'aide accordée au titre des programmes opérationnels plus efficace ;

- créer un fonds dédié à la gestion des crises, financé sur des enveloppes nationales alimentée par le point de modulation prévu par l'accord de Luxembourg ;

- rendre l'application des dispositifs de gestion de crise obligatoire afin de couvrir les producteurs indépendants ;

- étudier la faisabilité d'une dérogation aux règles de concurrence pour permettre aux producteurs de fruits et légumes d'anticiper l'inadéquation entre l'offre et la demande et de planifier ainsi les volumes mis sur le marché. L'objectif n'est pas de fausser la concurrence par la conclusion d'un accord interprofessionnel sur les prix, mais d'informer les producteurs sur l'évolution du marché et d'adapter leur offre en conséquence. D'autre part, cette capacité d'analyse et d'anticipation permettrait d'éviter le recours à la gestion de crise. Il est en effet beaucoup plus sage d'éviter la crise que de devoir en essuyer le prix, qui se traduit par des pertes économiques pour les producteurs et de la dépense publique ;

- respecter l'accord de Luxembourg en n'intégrant pas le secteur des fruits et légumes dans le régime de paiement unique ;

- prévoir un dispositif de « découplage-recouplage » de l'aide aux produits destinés à la transformation pour les plus fragiles d'entre eux, comme le pruneau ;

- « professionnaliser » le secteur des fruits et légumes par la création de registres des producteurs et d'un cahier des charges européen ;

- faire référence au maintien de la préférence communautaire et prévoir un déclenchement automatique de la cause de sauvegarde spéciale ;

- maintenir l'obligation d'indiquer l'origine du produit.

M. Jérôme Lambert a souscrit aux propositions du rapporteur et souligné que, selon lui, les règles de la concurrence ne pouvaient pas être intégralement appliquées dans le domaine agricole, compte tenu de son caractère vital pour l'humanité. Des organisations de marché peuvent et doivent donc être mises en place, d'autant que l'indépendance alimentaire de nos sociétés constitue l'un des éléments de notre indépendance politique.

M. Daniel Garrigue a interrogé le rapporteur sur les possibilités de structurer une organisation de l'offre, trop souvent encore atomisée et reposant sur des appellations compartimentées. A côté de l'aspect production, il ne faut d'ailleurs pas oublier la transformation et le secteur agroalimentaire, qui constituent un débouché important. Ce secteur doit aussi être organisé pour éviter des situations telles que celle constatée en Espagne où l'investissement dans la transformation des tomates a provoqué un déséquilibre sur le marché européen et même sur le marché espagnol.

M. Didier Quentin s'est demandé s'il était possible de mieux prendre en compte le phénomène des travailleurs saisonniers.

En réponse à ces différents intervenants, le rapporteur a apporté les éléments suivants :

- la sécurité alimentaire est une préoccupation essentielle et les producteurs européens veillent à appliquer des normes strictes, notamment les producteurs de pommes, qui ne sont pas forcément respectées chez nos concurrents extracommunautaires ;

- les organisations de producteurs ne regroupent que 40 à 50 % de la production totale, ce qui peut poser problème lors de la survenance de crise, puisque les mesures structurelles ne sont alors financées que par la moitié des agents concernés. Il faudrait donc mettre en place un dispositif plus contraignant qui pourrait consister dans l'établissement d'une carte professionnelle et d'un fichier des producteurs, ce qui autoriserait une meilleure répartition des charges ;

- l'exemple des pruneaux d'Agen était une illustration de la nécessité de prendre en compte le secteur agroalimentaire. Il faut faire attention néanmoins car - comme le montre l'exemple des tomates - la transformation peut être découplée de la production ;

- le dernier élargissement favorise le recrutement de travailleurs saisonniers issus des nouveaux États membres, ce qui résoudra une partie des difficultés rencontrées en ce domaine. Il faut s'attacher toutefois à utiliser cette activité pour aider à l'insertion d'une partie de notre population peu qualifiée.

A l'issue de ce débat, la Délégation a approuvé les conclusions suivantes :

« La Délégation pour l'Union européenne,

Vu la proposition de règlement du Conseil établissant des règles spécifiques pour le secteur des fruits et légumes et modifiant certains règlements (COM [2007] 17 du 24 janvier 2007/n° E 3448),

1. Rappelle que l'organisation commune des marchés (OCM) dans le secteur des fruits et légumes encadre une production qui occupe une place importante dans l'économie de plusieurs régions de l'Union européenne et joue un rôle essentiel dans l'amélioration de la santé des citoyens ;

2. Se félicite que les organisations de producteurs figurent au centre du projet de réforme et que certaines souplesses de fonctionnement soient prévues, notamment l'augmentation du cofinancement communautaire en cas de fusion ou d'association d'organisations de producteurs et la possibilité d'étendre aux producteurs indépendants certaines règles de mise sur le marché et de protection de l'environnement ;

3. Estime toutefois nécessaire de relever le plafonnement du soutien communautaire apporté aux organisations de producteurs de 4,1 % à 6 % de leur chiffre d'affaires pour ne pas limiter la capacité d'action des groupements les plus performants. En contrepartie, conformément aux recommandations contenues dans le rapport spécial n° 8/2006 de la Cour des comptes européenne, l'aide accordée au titre des programmes opérationnels devrait être rendue plus simple et plus efficace, en clarifiant les critères d'éligibilité et en reconsidérant les nombreux objectifs poursuivis par ces mêmes programmes ;

4. Juge que les propositions relatives à la gestion des crises de marché sont doublement injustes : d'une part, les crédits affectés à ce volet de l'OCM seront prélevés sur les programmes mis en œuvre par les organisations de producteurs, ce qui va réduire leur capacité à mener des actions structurelles ; d'autre part, il n'est pas prévu d'en faire bénéficier les producteurs indépendants. Par conséquent, il est préconisé :

- de créer un fonds dédié à la gestion des crises, financé sur des enveloppes nationales alimentées par le point de modulation que l'accord de Luxembourg de juin 2003 prévoit d'affecter à ce type de politique ;

- de mettre en œuvre, dans ces enveloppes, des instruments variés comme les retraits, la récolte en vert, la promotion et la contribution aux primes d'assurance et aux frais administratifs de la création de caisses de péréquation ;

- de rendre obligatoires les dispositifs de crise, qui doivent être gérés par des comités de bassin de production, associant la partie organisée et la partie indépendante de la production, afin de couvrir l'ensemble des producteurs ;

- d'étudier la faisabilité d'une dérogation aux règles de la concurrence pour permettre aux producteurs d'échanger des informations sur l'adéquation entre l'offre et la demande et de planifier ainsi les volumes mis sur le marché ;

5. S'oppose à l'intégration des fruits et légumes dans le régime de paiement unique, car, outre qu'elle induit une distorsion de concurrence entre les producteurs touchant des droits à prime et les autres, elle est contraire à l'accord de Luxembourg ; soutient, en ce qui concerne le découplage de l'aide aux produits destinés à la transformation, la possibilité de mettre en place, pour éviter, dans certaines zones, les abandons de production et la fermeture des industries de transformation, une aide à la surface, comportant l'obligation, pour le producteur, de négocier un contrat avec le transformateur ;

6. Soutient le principe d'une professionnalisation du secteur des fruits et légumes, ce qui implique de créer des registres recensant le nombre exact le producteurs ayant le statut d'agriculteurs et de définir, au niveau européen, un cahier des charges dans les domaines de la qualité et de l'environnement, afin d'harmoniser, sans créer de nouvelles normes, des obligations qui, aujourd'hui, varient d'un État membre à l'autre ;

7. Demande l'inclusion, dans le règlement, d'une référence à la préférence communautaire, qui, pour les fruits et légumes, repose sur le maintien du système du prix d'entrée et du contingentement des importations et la mise en œuvre, le cas échéant, de la clause de sauvegarde spéciale, dont les critères doivent être revus pour être déclenchée de façon automatique en cas d'augmentation des volumes importés ou de baisse des prix européens. »