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N° 289
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 octobre 2002.

PROPOSITION DE LOI
sur l'insécurité juridique du contribuable.
(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par M. Lionnel LUCA,
Député.

Administration.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Différents facteurs sont sources d'insécurité :
- la mutabilité de la norme fiscale (exemple : en 1990, il y a eu environ cent soixante modifications législatives ou réglementaires des CGI et LPF);
- recours trop fréquents aux lois rétroactives ;
- recours au système des avis du Conseil d'Etat par les juridictions administratives inférieures, ce qui conduit à des détournements de procédure : ainsi, l'administration peut faire triompher un point de vue erroné avant même qu'il y ait chose jugée;
- recours aux lois de validation dans le seul but de faire échec à une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée et ainsi le point de vue de l'administration normalement dépourvue de toute valeur juridique se trouve ainsi pourvu d'une force législative.
Ainsi, comme l'écrit le Conseil d'Etat dans un rapport publié en 1995 sur la sécurité juridique : « par un étrange paradoxe, plus on croit traquer le fraudeur, plus on incite à la fraude... la loi dont on change à chaque saison, la loi jetable n'est pas respectable ».
Rappel : la rétroactivité en matière fiscale peut revêtir différentes formes :
- application de la loi de finances à l'année en cours en matière d'impôts IS et IR. Ainsi, la règle n'est pas comme au début de la période d'imposition;
- l'abrogation anticipée d'une exonération;
- la validation d'actes administratifs;
- la validation explicite de dispositions législatives de l'application par l'administration a été jugée illégale. Ainsi, l'administration prend une loi d'application;
- la validation implicite de dispositions législatives illégalement codifiées ;
- la validation législative de règlement d'actes de procédure ou d'imposition ;
- les lois interprétatives.
L'invocabilité de circulaires et instructions administratives (art. 1er, décret du 28 novembre 1983, et surtout art. L. 80-A du LPF).
En droit fiscal, cet article L. 80-A du LPF permet à un ministre des Finances, voire un sous-chef de bureau de son ministère de modifier la loi fiscale votée par le Parlement en signant une circulaire, une instruction, en répondant à la question d'un parlementaire publiée au Journal officiel, à la condition cependant que les textes soient plus favorables que le texte de loi pour le contribuable!
Or, en réalité, dans les faits, cette condition n'est pas respectée et permet de facto à l'administration de changer de doctrine par de multiples moyens souvent sans que le texte de loi ou le texte ministériel se réfère implicitement au texte initial.
En résumé, puisque par elle-même la doctrine fiscale ne permet pas la garantie, la sécurité juridique des contribuables (le juge de l'impôt pouvant adopter une interprétation des textes différents de celle de l'administration et celle-ci pouvant elle-même remettre sa propre interprétation de la norme fiscale).
Ces mécanismes sont, d'une part :
- article 1er du décret du 28 novembre 1983;
- article L. 80-A LPF.
L'article 1er du décret du 28 novembre 1983 a un champ d'application restreint en matière fiscale et des conditions et modalités d'application plus restrictives que l'article L. 80-A LPF permettent au contribuable de connaître a priori le sens que l'administration entend donner aux dispositions fiscales. Cependant, la situation du contribuable demeure précaire en cas de revirement de cette doctrine administrative et s'expose par conséquent à des risques de redressement fiscal.
Il faut donc procurer aux contribuables une nouvelle garantie contre les changements d'interprétation susceptible d'adopter la doctrine administrative.
La constitutionnalité de cet article L. 80-A a souvent été mise en cause en ce qu'il porte atteinte au principe d'égalité des citoyens devant l'impôt et au principe de l'égalité de l'impôt.
Cette question n'ayant pas été encore tranchée par les instances juridictionnelles compétentes, il s'agit d'améliorer la garantie instituée par l'article 80-A du LPF.
Or, les changements de doctrine par l'administration fiscale présentent une difficulté qui a deux origines :
- la multitude des sources de cette doctrine ;
- la multitude des modalités, la combinaison de ces éléments entraîne des difficultés pour le commun des contribuables qui est source d'insécurité (ex : un contribuable qui se prévaut contre l'administration de l'une de ces interprétations donnée dans l'une de ces bases doctrinales se voit opposer une interprétation différente et plus récente provenant d'une autre source doctrinale alors même que la seconde source de doctrine administrative ne fait ni explicitement ni implicitement référence soit au texte législatif ou réglementaire interprété, soit au texte à la doctrine [par exemple : un contribuable qui se prévaut d'une interprétation récente figurant dans la documentation de base opposable à l'administration pourra se voir quelque trois mois plus tard opposer une doctrine différente résultant d'une réponse ministérielle à un parlementaire alors même que cette réponse ne faisait en rien référence au(x) texte(s) législatif ou réglementaire originel ou à la précédente interprétation de l'administration]).
Les solutions a priori envisageables consistent à rassembler et codifier les sources de doctrine administrative.
Ceci conduit à informer par un système normalisé dans chaque source de doctrine qu'une interprétation administrative antérieure est modifiée par référence au texte interprété et au texte interprétatif.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
L'article L. 80-A du livre des procédures fiscales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«Tout changement de doctrine administrative entrant dans le champ d'application des dispositions du présent article et qui n'aura pas été porté à la connaissance des administrés dans les conditions et modalités qui assurent à celui-ci simultanément la référence du texte originel interprété et de l'ancien texte interprétatif ne pourra en aucun cas être opposé par l'administration au contribuable.»

Proposition de loi n° 289 de M. Lionnel Luca sur l'insécurité juridique du contribuable


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