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N° 1134

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 octobre 2003.

PROPOSITION DE LOI

tendant à créer un « contrat expérience » pour faciliter

la réinsertion sociale des chômeurs de longue durée.

(renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale, dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Jean ROATTA et Philippe DOUSTE-BLAZY

Députés.

Travail et emploi.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au cours de la décennie à venir, un phénomène, sans précédent va frapper de plein fouet l'économie française : plus de 5 millions de salariés s'apprêtent à mettre un terme à leur carrière, en entreprise ou dans l'administration, pour faire valoir leur droit à la retraite.

Malgré cela, paradoxalement, nous subissons et risquons de continuer à subir une terrible flambée du nombre des travailleurs expérimentés chômeurs de longue durée.

Parmi les domaines d'activité les plus touchés, on observe le secteur de la banque, où l'âge moyen des salariés est de 44,5 ans : il enregistrera à lui seul 70 000 départs entre 2005 et 2010 ; dans la prochaine décennie, deux postes de cadres sur cinq seront à remplacer. Cette hémorragie de personnel touchera également l'industrie, l'immobilier, le BTP, les services aux particuliers, autant d'activités où les plus de 50 ans représentent déjà plus de 20 % des effectifs, selon une étude récente de la DARES.

Or, avec un âge moyen des salariés s'élevant à 38,5 ans, les entreprises françaises ont à faire face à d'inquiétantes évolutions de leur pyramide des âges. Ces statistiques devraient les alarmer, mais curieusement, à l'exception des plus grandes sociétés, elles n'ont pas encore pris en compte la véritable ampleur du problème.

Malheureusement, non seulement l'arrêt prématuré des carrières a un coût important pour la société française mais il représente également un véritable gaspillage de talents.

Pour mettre un terme à ce gâchis, le gouvernement s'efforce de trouver des solutions novatrices, après s'être courageusement engagé dans une salutaire politique de réforme et de sauvegarde du système français de retraite par répartition. Désormais, au terme des délais prévus par la réforme, soit en 2020, pour pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein, que l'on travaille au sein d'une entreprise privée ou dans un organisme public, il faudra avoir exercé une activité professionnelle pendant 42 années.

De nos jours, en France, le taux d'activité des plus de 55 ans est l'un des plus bas d'Europe. Or, réussir à faire augmenter ce taux est l'une des conditions de succès de la réforme des retraites mise en route par Monsieur le Ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, François Fillon.

D'autres pays développés se sont engagés dans cette voie. Ainsi en Finlande, c'est une grande campagne de mobilisation nationale, dans le contexte d'une démographie extrêmement déclinante, qui a fait remonter le taux d'activité des plus de 55 ans à près de 43 %. En France, malheureusement, alors que le chômage n'est pas encore stabilisé, les travailleurs expérimentés, quinquagénaires et autres, sont incités à quitter leur emploi.

Le combat contre les départs anticipés ne se livrera pas sans résistance. Inverser la tendance va exiger, aussi bien auprès des employeurs que des salariés, un long travail de communication, de persuasion, un effort d'incitation ; une mission certes ardue mais qui s'annonce extrêmement nécessaire pour la collectivité.

En effet, la France possède l'un des plus faibles taux d'activité des 55-59 ans en Europe ; ils ne sont que 54 % à occuper un emploi dans notre pays, contre 63,5 % en moyenne dans l'Union européenne, 71 % au Royaume-Uni et 80 % en Suède. Entre 60 et 64 ans, près de 70 % des Français étaient actifs en 1970 ; en 1983, cette proportion est tombée à 35 %, puis elle s'est stabilisée autour de 17 % dans le milieu des années 1990 pour tomber à 15 % seulement en 1999, ce qui fait du taux d'activité des 60-64 ans en France, l'un des plus bas des pays de l'OCDE.

En trente ans, dans la catégorie d'âge des 55 et 59 ans, la proportion d'hommes actifs est passée de 83 % à 68 %. L'abaissement de l'âge de la retraite explique pour une part cette réduction des taux d'activité aux âges élevés. La montée du chômage observée dans de nombreux pays industrialisés au cours des trente dernières années a contribué à l'amplifier.

En effet, bien que la dégradation du marché du travail ait touché l'ensemble des travailleurs, elle a particulièrement affecté l'emploi des salariés âgés. Depuis la fin des années 1970, nombre d'entre eux ont cessé de travailler bien avant de pouvoir liquider leurs droits à la retraite.

Pour les entreprises, le départ des salariés âgés est souvent considéré comme une solution permettant une restructuration des modes de production, un allégement de la masse salariale et un rajeunissement de la pyramide des âges, à un coût relativement faible du fait de l'importance de son financement par la collectivité. Les salariés y voient un moyen de sortir de la vie active à des conditions financièrement convenables, de se prémunir des risques de fin de carrière, après une vie au travail commencée souvent tôt et dans des conditions parfois pénibles. L'Etat a longtemps considéré les dispositifs de départ en retraite anticipée des salariés comme un moyen de lutte contre le chômage, jusqu'à ce que leur coût et les incertitudes portant sur le financement des systèmes des retraites ne le conduisent au début des années 1990 à réviser sa position. La création de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE), en 1995, qui relevait encore explicitement d'une logique de « préretraite contre embauches » montre cependant que la tentation d'exclure de l'activité les salariés âgés les plus vulnérables demeure, dès lors que le taux de chômage reste à un niveau élevé.

De surcroît, autrefois, les chômeurs de plus de 55 ans inscrit à l'ANPE n'étaient pas astreints à une obligation stricte de recherche active d'emploi. La réforme de la convention UNEDIC de décembre ne permet plus à un chômeur de 55 ans de rester au chômage plus de deux ans sans obérer sa retraite, ce qui incite les travailleurs expérimentés chômeurs de longue durée à rechercher du travail. Un autre problème reste sans solution : la persistance des employeurs à s'inscrire dans la pensée qu'il existe une pénurie de postes susceptibles d'être confiés à des travailleurs expérimentés chômeurs de longue durée.

Certains chefs d'entreprises expliquent aussi que la « contribution Delalande », qui renchérit le coût du licenciement des personnes de plus de 55 ans dans le dessein de mieux assurer leur protection, a des effets pervers : en effet, les entreprises jugent parfois plus intéressant de licencier ces personnes avant qu'elles aient atteint la limite d'âge pour prévenir le coût trop élevé d'un licenciement ultérieur.

Les plus de 50 ans, jugés par les employeurs comme trop vieux, trop chers, et trop peu malléables, sont quasiment mis à l'écart du monde du travail et condamnés au chômage de longue durée.

En France, l'ancienneté moyenne au chômage en mars 2000 était de 23,3 mois pour les chômeurs âgés de plus de 50 ans, alors qu'elle était de 15,8 mois pour l'ensemble des chômeurs. De fait, 62 % des chômeurs de 50 ans étaient au chômage depuis plus d'un an en mars 2000 alors que le chômage de longue durée ne touchait que 40 % des chômeurs entre 25 et 50 ans.

Ainsi, au-delà de 50 ans, en particulier pour les salariés du secteur privé, s'ouvre une période sensible au cours de laquelle le risque potentiel de sombrer dans une durable et profonde précarité à la suite d'un incident de parcours professionnel s'accroît de manière exponentielle.

Ce danger est d'autant plus redoutable, qu'une fois au chômage, il est bien difficile pour un quinquagénaire de retrouver le chemin de l'emploi tant le poids des préjugés et la crainte de coûts salariaux élevés rebutent les employeurs potentiels.

Pourtant des solutions existent pour que les entreprises tirent parti de l'activité des quinquagénaires, dont l'expérience, les compétences et la maîtrise des instruments de travail, permettent bien souvent une meilleure réactivité face à des situations difficiles.

La nécessité de garder les personnes expérimentées en poste le plus longtemps possible conduit les entreprises à innover pour améliorer les conditions de travail, en particulier dans l'industrie, où des efforts d'ergonomie sont accomplis pour adapter les postes de travail, l'organisation et les horaires aux possibilités de chacun.

Il nous faut passer du cercle vicieux du chômage de longue durée pour les personnels expérimentés au cercle vertueux du vieillissement actif comme l'ont fait, avec succès, nos voisins et partenaires européens, néerlandais et finlandais qui sont passés d'une logique d'indemnisation à des systèmes d'incitation.

Le relèvement du taux d'activité des plus de 50 ans passe par une politique soutenue et volontariste d'entretien des compétences et de l'employabilité des plus de 40 ans. Il faut souligner, à cet égard, qu'il existe en Europe une corrélation forte entre les niveaux d'emploi des plus de 50 ans et les efforts de formation et de requalification entrepris en direction de ces salariés.

Serions-nous seuls incapables, en Europe, de développer un système de formation professionnelle continu susceptible d'accompagner une généralisation de l'ergonomie qui permette à nos chômeurs de longue durée expérimentés de terminer une longue carrière à l'abri de la précarité, de la misère, du chômage ?

Tous ces constats conduisent à penser qu'il est nécessaire de mettre en place les « contrats expérience », comme ont été mis en place « les emplois-jeunes ». Ces contrats accordent à l'employeur de travailleurs expérimentés une exonération totale des cotisations patronales au cours des deux premières années du contrat, une exonération de 50 % lors de la troisième et de la quatrième année et une exonération de 30 % à partir de la cinquième année et ce jusqu'au terme des activités professionnelles du salarié au sein de l'entreprise. Ce dispositif sera uniquement et strictement applicable aux travailleurs expérimentés, quinquagénaires et plus, en chômage de longue durée et bénéficiant d'une création de poste pour leur nouvel emploi.

Cette mise en œuvre d'une active politique incitative se montrera sûrement salvatrice pour l'économie française qui aura bientôt besoin de maintenir en activité une main d'œuvre qualifiée et qui doit, par conséquent, éviter de dissiper les talents qu'elle possède en rejetant les travailleurs expérimentés chômeurs de longue durée. Elle permettra aussi d'aider les quinquagénaires au chômage, à réintégrer la vie professionnelle, les employeurs n'étant plus dissuadés des les recruter par des charges salariales trop lourdes.

Certes, il existe déjà des mesures en faveur des travailleurs expérimentés chômeurs de longue durée désireux de reprendre une activité professionnelle, puisque ils ont accès à des dispositifs de réinsertion comme le contrat initiative-emploi (C.I.E.), le contrat emploi solidarité (C.E.S.) et le contrat emploi consolidé (C.E.C.) ; toutefois, les résultats de ces dispositifs demeurent insuffisants au regard de la tâche qu'il convient d'entreprendre.

Aussi, convient-il de s'inscrire rapidement dans un effort d'adaptation de notre législation aux réalités de notre temps pour qu'autour d'un projet de société plus ambitieux soient définis les horizons d'une société française remodelée, tournée vers l'avenir et capable de répondre aux légitimes et explicites objectifs de Monsieur Jacques CHIRAC, Président de la République, dont l'action au quotidien nous montre la voie à emprunter. Nous devons travailler avec détermination et conviction pour résorber les dissensions sociales, assurer une meilleure cohésion intergénérationnelle et forger une nouvelle société française plus équilibrée.

Pour atteindre ces objectifs, après avoir assuré la sauvegarde du système français de retraite par répartition, il convient de s'attaquer à une autre fêlure qui altère le bon fonctionnement de notre société : la perte d'identité et de considération de nos travailleurs expérimentés, broyés par la redoutable machine du renouvellement des générations au sein des entreprises, et renvoyés dans le monde improbable du chômage, voire vers les terribles abysses d'une profonde misère.

Car le travail est seul fondateur de la dignité humaine et du respect de soi-même dans une société où le chômage peut, à tort, être assimilé à de l'oisiveté ou de l'incapacité.

En conclusion, il apparaît nécessaire de permettre aux personnes de plus de cinquante ans confrontées aux difficultés d'un chômage de longue durée de retrouver un emploi. Telle est la mission dévolue au nouveau « Contrat expérience ».

Il vous est donc demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Afin de faciliter l'insertion professionnelle durable des demandeurs d'emploi expérimentés de longue durée, âgés de cinquante ans et plus, personnes qui, du fait de leur âge, rencontrent des difficultés particulières d'accès à l'emploi, l'Etat peut conclure avec des employeurs des conventions ouvrant droit au bénéfice de contrats de travail dénommés contrats expérience.

Les durées d'inscription comme demandeur d'emploi, exigées pour accéder au dispositif du contrat expérience, sont prolongées des périodes de stages de formation et des périodes pendant lesquelles les intéressés ont bénéficié d'un contrat de travail en application des articles L. 322-4-7, L. 322-4-8-1 ou L. 322-4-16 du Code du Travail, ou des périodes d'indisponibilité dues à une maladie, une maternité ou un accident du travail.

Les contrats expérience peuvent être des contrats de travail à temps partiel. En ce qui concerne les personnes handicapées contraintes à des horaires limités pour des raisons médicales, il n'existe pas de durée minimale.

Les contrats expérience donnent droit à une aide de l'Etat qui se présente sous la forme d'une exonération totale des cotisations patronales au cours des deux premières années de contrat, d'une exonération de 50 % des cotisations patronales lors de la troisième et de la quatrième année de contrat et d'une exonération de 30 % des cotisations patronales à partir de la cinquième année de contrat et ce jusqu'au terme des activités professionnelles du salarié au sein de l'entreprise, et plus précisément de son départ à la retraite.

Les conventions visées au premier alinéa peuvent prévoir un accompagnement dans l'emploi, une aide à la formation liée à l'activité de l'entreprise ainsi qu'une aide au tutorat. Aucune convention ne peut être conclue pour une embauche bénéficiant d'une autre aide à l'emploi.

Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article.

Article 2

Un contrat expérience peut être conclu par tout employeur défini aux articles L. 351-4 et L. 351-12 (3° et 4°) du Code du Travail, à l'exception des particuliers employeurs, ainsi que par les employeurs de pêche maritime non couverts par lesdits articles.

Aucun contrat expérience ne peut être conclu par un établissement ayant procédé à un licenciement économique dans les douze mois précédant la date d'effet de ce contrat.

La convention ne peut pas être conclue lorsque l'embauche résulte du licenciement d'un salarié sous contrat à durée indéterminée. Le contrat expérience ne pouvant être conclu que pour satisfaire aux nécessités d'une création de poste.

S'il apparaît que l'embauche a eu pour conséquence un tel licenciement, la convention peut être dénoncée par l'Etat. La dénonciation emporte obligation pour l'employeur de rembourser le montant de l'exonération.

Article 3

Les contrats expérience sont des contrats de travail à durée indéterminée.

Ils ne peuvent revêtir la forme de contrats de travail temporaire régis par l'article L. 124-2 du Code du Travail.

Ils sont passés par écrit et font l'objet d'un dépôt auprès des services du ministère chargé de l'emploi.

Article 4

Jusqu'à l'expiration d'une période de deux ans à compter de la date d'embauche les bénéficiaires des contrats expérience ne sont pas pris en compte dans le calcul de l'effectif du personnel des entreprises dont ils relèvent pour l'application à ces entreprises des dispositions législatives et réglementaires qui se réfèrent à une condition d'effectif minimum de salariés, exception faite de celles qui concernent la tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE

11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0.75 €

ISBN : 2-11-118038-6

ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale

4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N°1134-Proposition de loi de MM. Jean Roatta et Philippe Douste-Blazy tendant à créer un « contrat expérience » pour faciliter la réinsertion sociale des chômeurs de longue durée.


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