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N° 2228

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 avril 2005.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête
relative à l'
impact dans l'alimentation et sur la santé
des
denrées traitées par radiations ionisantes,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Yves COCHET, Mme Martine BILLARD
et M. Noël MAMÈRE

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le traitement par radiations ionisantes des denrées destinées à l'alimentation humaine ou animale est réglementé en France depuis 1970. Ce procédé est utilisé notamment pour détruire les organismes pathogènes contenus dans ces denrées ou pour prolonger leur durée de conservation. L'Union européenne, dans le souci de favoriser la libre circulation des marchandises, a harmonisé les réglementations européennes par le biais de deux directives (1999/2/CE et 1999/3/CE du 22 février 1999).

Ces directives ont été transposées en droit français par le décret n° 2001-1097 du 16 novembre 2001, qui impose notamment l'étiquetage et le contrôle des denrées irradiées. Son article 7 stipule que pour tout produit alimentaire irradié ou tout ingrédient alimentaire irradié d'un aliment composé, la mention « traité par rayonnements ionisants » ou « traité par ionisation » doit figurer sur l'étiquetage. Les conditions d'irradiation des denrées sont également précisément encadrées.

L'arrêté du 20 août 2002 relatif aux denrées et ingrédients alimentaires traités par ionisation dresse la liste des denrées et ingrédients dont l'irradiation est autorisée en France. Cette liste est plus large que la liste autorisée dans l'Union européenne, mais peut néanmoins laisser croire que la part des ingrédients irradiés dans l'alimentation humaine et animale est marginale.

Depuis la mise en application de la directive européenne relative au rapprochement des législations des Etats membres sur les denrées et ingrédients alimentaires irradiés, la réglementation française sur les denrées irradiées semble donc, d'une manière générale, suffisante à première vue. Et pourtant une étude plus attentive des pratiques industrielles et commerciales démontre que de nombreux doutes subsistent.

Nous nous interrogeons en premier lieu sur le non-respect des obligations d'étiquetage. Celui-ci a été constaté à plusieurs niveaux : au niveau des entreprises établies en France mais également concernant des denrées alimentaires en provenance de pays qui autorisent l'irradiation d'une quantité beaucoup plus importante d'aliments.

Ainsi la Commission européenne signale, dans son rapport sur le traitement des denrées alimentaires par irradiation pour l'année 2002, qu'il est apparu que « certaines entreprises qui sont établies en France et qui appliquent le traitement par irradiation ne satisfont pas aux dispositions en matière d'étiquetage des denrées et ingrédients alimentaires ». Ces entreprises auraient du perdre leur agrément. Les autorités françaises leur ont simplement « rappelé » ces dispositions. Aujourd'hui, les informations manquent encore quant au respect par les entreprises françaises des ces dispositions.

Le seul moyen efficace de faire respecter la législation est de mettre en place des contrôles réguliers et d'un véritable programme d'analyses de produits irradiés illégalement. Les méthodes d'analyse et de détection des aliments irradiés existent, elles sont très fiables. Il n'existe donc pas d'obstacle technique à la mise en place d'un programme de contrôle.

La France, en 2002, a agréé un laboratoire privé chargé d'effectuer des enquêtes ciblées afin de vérifier si des denrées alimentaires ont été irradiées et/ou correctement étiquetées. Seuls quatre échantillons ont été analysés selon la méthode EN1788 : (de la poudre d'oignons provenant des Indes et de l'Egypte, des champignons provenant des pays de l'Europe de l'Est et de la poudre d'ail provenant de Chine). Par comparaison, près de 3 400 échantillons ont été analysés en Allemagne, et plus de 800 aux Pays-Bas.

Ces contrôles sont donc nettement insuffisants en France, alors que l'on constate ailleurs en Europe des analyses régulières effectuées sur des échantillons prélevés en supermarché.

C'est d'autant plus préoccupant que des analyses faites par nos voisins européens montrent que des produits non autorisés en Europe se retrouvent malgré tout commercialisés.

La Commission européenne, toujours dans son rapport 2002, note en effet que quatre Etats membres (Royaume-Uni, Irlande, Allemagne et Pays-Bas) ont effectué des contrôles sur des compléments alimentaires et ont découvert que 29,4 % des produits contrôlés avaient été irradiés. Le traitement de ces produits par radiations ionisantes n'étant pas autorisé dans l'UE, la Commission indique dans son rapport qu'elle s'attend donc à ce que le nombre de contrôles effectués sur ces produits augmente dans tous les Etats membres et que les compléments alimentaires irradiés soient retirés du marché communautaire.

En principe, l'Europe n'accepte d'importer des produits ayant subi une irradiation dans le pays de départ que si elle a agréé l'installation technique dans ce pays. Mais peu ont demandé cet agrément européen. En France, le décret n° 2001-1097 du 16 novembre 2001 dispose dans son article 8 que l'importation de denrées ayant subi un traitement d'ionisation dans un pays non membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen est subordonnée au respect de ce même décret et aux obligations imposées par l'Union européenne.

Pourtant, la technique est très utilisée aux Etats-Unis et se développe dans les grands pays du Sud, comme le Brésil, l'Afrique du Sud, la Thaïlande ou encore les Philippines. Elle concerne un spectre de denrées beaucoup plus large que celui toléré en France : viande de bœuf, poisson, fruits et légumes frais, etc. Et le Codex alimentarius, instance de référence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a rendu en juillet 2003 un avis favorable à l'irradiation de tous les aliments, à n'importe quelle dose (suivant en cela la dernière norme de l'OMS, qui ne mentionne plus la limite des 10 kGy, en vigueur dans l'UE). Cela signifie que même des aliments pour lesquels les effets de l'irradiation sur la santé n'ont jamais été testés peuvent être irradiés. L'Europe risque d'être attaquée devant l'OMC en raison de sa législation restrictive.

Nous sommes donc, du fait des contrôles insuffisants, confrontés à un double problème :

- Un déficit d'étiquetage des produits et par conséquent une sous-information du consommateur sur un sujet qui touche directement à sa santé, à sa vie quotidienne, et dont il n'a qu'une connaissance très partielle ;

- Une méconnaissance de la part réelle des denrées irradiées commercialisées en France.

Face aux pressions de l'OMC pour ouvrir nos marchés à une importation plus massive de ce type d'alimentation, il nous apparaît fondamental de nous interroger en second lieu sur l'impact qu'il peut avoir sur la santé humaine et animale.

Des études sont réalisées depuis les années 50 pour déterminer l'innocuité de ce procédé. En principe, un aliment traité par irradiation n'est pas radioactif, l'énergie des rayonnements utilisés n'étant pas suffisante. Par contre, le bombardement radioactif subi par les aliments entraîne un bouleversement de la structure intime de ceux-ci, et c'est ce bouleversement qu'il faut étudier. On peut toutefois noter que les doses que l'on appelle « faibles » et « moyennes » dans le cadre de l'irradiation des aliments représentent de 200 à 2 000 fois les doses mortelles pour l'homme (5Gray(Gy)).

L'Union européenne et la France se sont principalement fondées sur le comité d'experts mixte FAO/AIEA/OMS pour élaborer leur législation. Réuni dès 1961, ce comité a notamment rendu des conclusions en 1980, déclarant que « l'irradiation de toute denrée alimentaire jusqu'à une dose moyenne de 10 kGy ne présente aucun risque d'ordre toxicologique. Par conséquent l'examen toxicologique des aliments ainsi traités n'est plus nécessaire ». Des normes ont été adoptées en 1983 par le Codex Alimentarius. En 1999, l'OMS conclut sur la base de plusieurs rapports que l'irradiation peut s'appliquer à « tout produit alimentaire, à quelque dose que ce soit ». Pour l'Union européenne, le Comité Scientifique de l'alimentation humaine s'est fondé sur ces conclusions dans son avis du 3 juillet 2002 pour affirmer l'innocuité de ces produits. Des références y sont également faites en France par le CSAH (Comité scientifique de l'alimentation humaine, le CNA (Conseil national de l'Alimentation) ou encore l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) pour rendre des avis favorables à l'utilisation de radiations ionisantes.

Pourtant les avis de ce comité d'experts sont pour le moins sujets à caution. En 1961, il avait relevé neuf questions-clés à résoudre avant de pouvoir déclarer les aliments irradiés comme sains. Mais sous la pression de l'AIEA, l'OMS a ignoré l'agenda de recherche initialement adopté. L'implication de l'AIEA, juge et partie dans ce comité, insinue le doute quant à l'impartialité de ses avis. Nous rappelons que l'AIEA s'est vue confier, depuis 1959, la responsabilité première pour la recherche sur les applications pratiques de l'énergie atomique à des fins pacifiques. Elle ne reconnaît comme victimes de la catastrophe de Tchernobyl que les 32 morts consécutifs à l'explosion et se refuse à considérer les cancers de la thyroïde parmi les populations exposées. Ces éléments ne font que corroborer ce doute.

Ceci est d'autant plus préoccupant que d'autres analyses, menées par des laboratoires indépendants ou des institutions moins directement concernés par le développement de l'irradiation des aliments, sont beaucoup moins rassurantes.

Dès les années 60, des études américaines ont mis en évidence des problèmes de santé sur des animaux nourris avec des aliments irradiés. Ainsi en 1968, l'US Government Printing Office a publié des résultats montrant une réduction de la durée de vie et de la fertilité chez les rats, une diminution du taux de globules rouges chez des chiens et des rats, un accroissement de l'incidence du cancer chez les rats, une réduction de la capacité de conversion alimentaire des souris et des chiens. D'autres études cette même année ont démontré la diminution de la durée de vie et une mortalité accrue de souris nourries avec une farine irradiée par rapport à une groupe témoin nourri avec une farine non irradiée (ainsi qu'une augmentation de l'incidence du cancer) ; la même expérience sur des rats a généré des lésions intestinales graves, et sur des poules une baisse de la production d'œufs et une mortalité accrue des embryons (Bugyaki, L., A. R. Deschreider, J. Moutschen, M. Moutschen-Dahmen, A. Thijs and A. Lafontaine, « Do irradiated foodstuffs have a radiometric effect? II. Trials with mice fed wheat meal irradiated at 5 Mrad », Atompraxis14 : 112-118, 1968 (pour les trois expériences)).

L'OMS elle-même a cité en 1977 des études à charge décrivant des aberrations génétiques chez certaines espèces animales, des dommages génétiques ou encore des modifications de la taille des ovaires chez les rongeurs nourris avec des pommes de terre irradiées.

Plus récemment, en 2002, une étude scientifique a été publiée par plusieurs laboratoires français et allemands relevant d'instituts tels que le CNRS ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). L'étude a porté sur des molécules 2-alkylcyclobutanone (2-acb), produites par l'ionisation des aliments contenant des matières grasses. Les chercheurs ont montré que la 2-acb était toxique pour les bactéries et pour les cellules humaines et stimulait les tumeurs cancéreuses de rats. (Burnouf D., Delincée H., Hartwig A., Marchioni E., Miesch M., Raul F., et Werner D., « Etude toxicologique transfrontalière destinée à évaluer le risque encouru lors de la consommation d'aliments gras ionisés/ Rapport final », 2001). Selon Dominique Burnouf, de l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg (CNRS) : « Il s'agit d'études en laboratoire qu'on ne peut extrapoler à l'homme [...] Il faudrait poursuivre d'autres études. Mais les financements nécessaires manquent. » (Le Monde, édition du 5 mars 2005).

A ces considérations s'ajoutent des éléments communément admis qui doivent également être pris en compte :

- Les signes typiques d'altération des aliments sont presque imperceptibles pour le consommateur dans les aliments irradiés. Pourtant, pour les fruits notamment, le processus naturel de décomposition se poursuit. Le consommateur peut donc être induit en erreur.

- L'équilibre de la microflore (dans les aliments sains) peut être modifié par les radiations. Des microorganismes résistants peuvent se développer davantage et proliférer puisque ses « concurrents » ont été éliminés. Cela entraîne la possibilité d'un développement, de manière imprévisible, de germes pathogènes.

- Si l'irradiation élimine les bactéries, elle ne fait pas pour autant disparaître les toxines produites au stade initial de la contamination éventuelle d'un aliment. Or l'irradiation permet donc le non-respect des règles d'hygiène en vigueur. Des aliments contaminés par des toxines peuvent donc se retrouver dans le commerce, alors que l'AFSSA, dans son avis du 16 mars 2001, indique que « le procédé d'ionisation ne doit en aucun cas se substituer au respect des bonnes pratiques hygiéniques de fabrication des denrées alimentaires ».

- L'irradiation produit des radicaux libres, notamment d'OH- et d'H+, réputés cancérigènes. Ils sont instables et très réactifs. En se recombinant et en réagissant avec l'oxygène dissout, ces radicaux libres donnent naissance au peroxyde d'hydrogène (eau oxygénée) dont la toxicité est démontrée.

- L'irradiation entraîne la destruction de vitamines (dans une mesure dépendant de la dose, du type d'aliment, etc.), et surtout des vitamines B1, C, A et E.

La France est, en Europe, le pays qui dispose de la liste la plus longue d'aliments autorisés à l'irradiation. Alors que la liste de l'Union européenne peut être qualifiée de « limitative » (catégorie des « épices, herbes aromatiques séchées et condiments végétaux »), la France autorise l'irradiation de produits aussi courants que l'ail, les oignons, les légumes et fruits secs, les flocons et germes de céréales, ou encore la volaille et les crevettes. C'est d'autant plus problématique que l'on retrouve dans cette liste des aliments contenant des matières grasses, qui sont donc concernés par l'incertitude sur l'effet des cyclobutanones sur la santé humaine. Il est intéressant, enfin, de signaler le vote consultatif du Parlement européen en décembre 2002, qui s'est opposé à l'extension de la liste européenne des produits alimentaires autorisés à l'irradiation.

La législation européenne précise qu'il faut une « nécessité technologique » pour traiter certaines denrées par irradiation. Peut-on réellement affirmer que cette nécessité technologique existe ? L'AFSSA ne voit pas d'objection à l'irradiation en précisant que les aliments concernés ne « constituent pas la source principale de nutriment dans le régime alimentaire français ». Face aux incertitudes dues au défaut d'étiquetage et aux velléités de l'OMC d'ouvrir le marché, peut-on garantir que les proportions de denrées irradiées sont, et vont rester, marginales et peut-on être sûrs de l'innocuité pour la santé de ces denrées ?

Alors que la Charte de l'Environnement vient d'être intégrée dans notre Constitution, nous devons appliquer le principe de précaution et nous assurer que la diffusion de cette technique n'aura pas de conséquences graves et irréversibles sur la santé humaine et animale.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d'enquête de trente membres relative à l'impact dans l'alimentation et sur la santé des denrées irradiées.

Elle devra notamment :

- examiner le respect de la réglementation concernant l'étiquetage, la production et l'importation ;

- déterminer la place réelle de ces denrées dans le régime alimentaire français et l'impact sur ce même régime que pourrait impliquer une ouverture du marché aux denrées importées de pays tiers à l'Union européenne ;

- évaluer les risques pour la santé humaine et animale de leur consommation.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119107-8
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2228 - Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête relative à l'impact dans l'alimentation et sur la santé des denrées traitées par radiations ionisantes (M. Yves Cochet)


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