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N° 2914

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 février 2006.

PROPOSITION DE LOI

relative à la négociation de plans de gestion prévisionnelle
des
départs à la retraite contre embauches
et tendant à favoriser l'
emploi des jeunes,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Frédéric DUTOIT, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET,
MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Mme Jacqueline FRAYSSE,
MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE,
Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1)

Députés.

(1) Constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France, comme nombre de ses voisins européens, entre dans la période de départs à la retraite massifs des générations nées après 1945, celles du baby-boom. Déjà, entre 2001 et 2005, 500 000 postes ont été libérés chaque année suite à une fin de carrière. Ce mouvement démographique, qui n'est pas sans influence sur la légère décrue des chiffres officiels du chômage au cours des six derniers mois, devrait s'accentuer encore pour atteindre un rythme annuel moyen de 600 000 départs de l'emploi entre 2005 et 2015, selon une étude conjointe de la DARES et du Commissariat général du Plan. Ces derniers soulignent que « pour la première fois depuis les années soixante-dix, les personnes sortant de l'emploi en fin de vie active quitteront autant, voire plus de postes qu'il n'y aura d'emplois recherchés par les jeunes arrivant du système éducatif ».

Il existe ainsi une opportunité historique de recruter des centaines de milliers de personnes et de réduire significativement le chômage, particulièrement chez les jeunes, tout en régénérant les capacités de travail et d'innovation des entreprises. Ce n'est pourtant pas l'orientation choisie par le MEDEF. Le patronat, avec la complicité active du gouvernement, entend profiter de l'occasion pour continuer à réduire - en silence - les effectifs et pour déstructurer le salariat en embauchant exclusivement sous des formes de contrats de travail durablement précaires, à l'image du Contrat nouvelles embauches (CNE) et du Contrat première embauche (CPE). À titre d'exemple, EDF a déjà opté pour cette orientation. La direction vient d'annoncer qu'un départ n'équivaudrait pas à une embauche, seulement un départ sur quatre sera remplacé dans les deux prochaines années détruisant ainsi 6 000 postes. France Télécom s'inscrit dans une démarche similaire. Idem pour Arcelor et la suppression de 1 500 postes par an de la même façon. Globalement, les entreprises comptent bien profiter des départs massifs à la retraite pour supprimer des emplois. Une enquête réalisée l'an dernier par l'institut Cegos révèle que 36 % des DRH projettent de répondre au phénomène démographique par une suppression des effectifs.

Par mimétisme libéral, la majorité UMP assigne à l'État ce même double objectif de rationnement de l'emploi et de démantèlement des statuts.

La DARES et le Plan tirent la sonnette d'alarme : « La baisse de l'emploi dans certains métiers atténuera l'effet des départs de l'emploi des générations du baby-boom », en particulier dans l'industrie, le secrétariat et la vente. Les députés communistes et républicains refusent un tel scénario qui, une nouvelle fois, conduit à sacrifier l'avenir de notre pays et de sa jeunesse au nom d'intérêts financiers prédateurs et à courte vue. C'est pourquoi, ils proposent deux mesures efficaces pour que la vague de départs en retraite et la poursuite des gains de productivité dans les entreprises débouchent sur des embauches stables et de qualité, en particulier chez les jeunes.

En premier lieu, il s'agit d'instaurer une négociation obligatoire avec les syndicats et les élus des salariés sur les remplacements des postes libérés par le renouvellement de génération. La cause de l'emploi et le rajeunissement des ressources humaines des entreprises sont des affaires trop sérieuses pour être abandonnées entre les seules mains de directions aveuglées par les critères de profitabilité exigés par des actionnaires dont la seule motivation est de confisquer les gains de productivité. Le débat doit non seulement être organisé, mais aussi aboutir à des résultats. Aussi, il convient d'ouvrir des négociations dans chaque entreprise sur les conditions des remplacements des départs à la retraite. Les auteurs de la proposition de loi entendent que dans chaque entreprise de plus de 10 salariés une négociation s'ouvre pour qu'elles se dotent d'un plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches devant être conclu par un accord majoritaire. L'absence d'accord conclu avec des organisations représentant la majorité du personnel pourrait être sanctionnée, au terme d'une procédure de saisine de l'inspection du travail, par une majoration de l'impôt sur les sociétés (article 1).

En second lieu, il convient de mettre un frein au développement d'un mode de gestion du personnel qui consiste à esquiver l'embauche en contrat de travail par le recours abusif au stage. Des dizaines de milliers de jeunes, souvent des étudiants déjà diplômés, sont victimes de ces périodes de formation pratique fictives qui ne sont que des recrutements au rabais, au mépris des droits légitimes au salaire, aux acquis conventionnels et à la protection sociale. Nous proposons donc, par un encadrement légal du statut de stagiaire, d'ouvrir la voie à la requalification en contrat de travail de ces conventions de stage de circonstance, dénuées de fondements pédagogiques. Cette réforme aurait naturellement des effets préventifs au moment même où le phénomène des départs en retraite impose aux entreprises de prévoir, peu ou prou, des remplacements (article 2).

La proposition de loi que nous soumettons à l'approbation de l'Assemblée nationale ne vise pas à créer à l'attention des jeunes un nouveau contrat de travail spécifique, un de ces nombreux dispositifs assortis de droits réduits pour le salarié et de subventions pour l'employeur dont l'efficacité contre le chômage et la précarité demeure, à ce jour, plus qu'incertaine. L'objectif est de replacer le droit constitutionnel à l'emploi, pour tous et pour les jeunes, au cœur des priorités de toutes les entreprises et administrations.

Il s'agit bien de peser les premiers jalons d'un système de sécurité-emploi-formation qui représenterait la conquête sociale de notre temps.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

I. - Dans la deuxième phrase de l'article L. 132-27 du code du travail, après les mots « prévisions annuelles ou pluriannuelles d'emploi établies dans l'entreprise », sont insérés les mots « y compris la gestion prévisionnelle des départs à la retraite et les conditions de remplacement par des embauches ».

II. - Après l'article L. 432-4-1 du code du travail, il est inséré un article L. 432-4-1 bis ainsi rédigé :

« Art. L. 432-4-1 bis. - I. - Chaque année, dans les entreprises d'au moins onze salariés, le chef d'entreprise informe le comité d'entreprise, ou à défaut les délégués du personnel, de la gestion prévisionnelle des départs à la retraite et en conséquence de l'évolution des effectifs à ce titre.

« À cette occasion, le chef d'entreprise est tenu de communiquer au comité d'entreprise, ou à défaut aux délégués du personnel, le nombre de salariés qui seront en droit de demander le bénéfice de leur départ à la retraite ou qui pourraient y être mis d'office dans les trois prochaines années et de présenter un plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches.

« Lorsque le comité d'entreprise, ou à défaut les délégués du personnel, a connaissance de faits susceptibles de caractériser une dissimulation de cette information en vue de la non présentation de ce plan, il peut décider de saisir l'inspecteur du travail afin que celui-ci effectue les constatations qu'il estime utiles.

« Sans préjudice des compétences qu'il détient en vertu des articles L. 611-1 et L. 611-10, l'inspecteur du travail adresse à l'employeur le rapport de ses constatations. L'employeur communique ce rapport au comité d'entreprise, ou à défaut aux délégués du personnel, en même temps que sa réponse motivée aux constatations de l'inspecteur du travail dans laquelle il précise, en tant que de besoin, les moyens qu'il met en œuvre dans le cadre du plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches.

« II. - Le plan mentionné au I doit présenter les moyens mis en œuvre pour assurer le remplacement des salariés partant à la retraite devant donner lieu à une ou plusieurs embauches. Cette ou ces embauches doivent intervenir dans les trois mois suivant le départ à la retraite. Elles sont réalisées sous la forme d'un contrat à durée indéterminée. Elles ne peuvent prendre la forme de contrat nouvelles embauches, de contrat première embauche, de contrat initiative emploi, ni de contrat d'insertion - revenu minimum d'activité.

« Ces embauches sont ouvertes à tous les demandeurs d'emploi, une attention particulière devant être portée aux demandes émanant de jeunes âgés de moins de 26 ans.

« III. - Le plan mentionné au I est soumis au comité d'entreprise, ou à défaut aux délégués du personnel. Sa validité est subordonnée, par dérogation aux dispositions de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, à un accord d'entreprise ou de groupe, signé par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections du comité d'entreprise de l'entreprise ou du groupe considéré, ou à défaut des délégués du personnel.

« IV. - En l'absence d'accord sur le plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches, l'entreprise est assujettie à une contribution sur l'impôt sur les sociétés prévue aux articles 235 ter ZA bis et 1668 B bis du code général des impôts dans des conditions fixées par décret. »

III. - le code général des impôts est ainsi modifié :

1° Après l'article 235 ter ZA, il est inséré un article 235 ter ZA bis ainsi rédigé :

« Art. 235 ter ZA bis. - I. - À compter du 1er janvier 2006, pour les exercices clos ou la période d'imposition arrêtée conformément au deuxième alinéa de l'article 37, les personnes morales sont assujetties à une contribution égale à 10 % de l'impôt sur les sociétés calculé sur leurs résultats imposables aux taux mentionnés aux I et IV de l'article 219 pour celles ne satisfaisant pas à l'obligation de présentation du plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches prévu à l'article L. 432-4-1 bis du code du travail.

« II. - Pour les personnes mentionnées au I qui sont placées sous le régime prévu à l'article 223 A, la contribution est due par la société mère. Elle est assise sur l'impôt sur les sociétés afférent au résultat d'ensemble et à la plus-value nette d'ensemble définis aux articles 223 B et 223 D.

« III. - Pour les personnes mentionnées au I qui sont placées sous le régime prévu à l'article 209 quinquies, la contribution est calculée d'après le montant de l'impôt sur les sociétés, déterminé selon les modalités prévues au I, qui aurait été dû en l'absence d'application de ce régime. Elle n'est ni imputable ni remboursable.

« IV. -  Les sociétés d'investissements immobiliers cotées visées au I de l'article 208 C et leurs filiales détenues à 95 % au moins, directement ou indirectement, de manière continue au cours de l'exercice ne sont pas assujetties à la présente contribution sur les plus-values imposées en application du IV de l'article 219.

« V. - Les crédits d'impôt de toute nature ainsi que la créance visée à l'article 220 quinquies et l'imposition forfaitaire annuelle mentionnée à l'article 223 septies ne sont pas imputables sur la contribution.

« VI. - La contribution est établie et contrôlée comme l'impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions.

« VII. - Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret. »

2° Après l'article 1668 B, il est inséré un article 1668 B bis ainsi rédigé :

« Art. 1668 B bis. - I. - La contribution mentionnée à l'article 235 ter ZA bis est recouvrée comme l'impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions.

« II. - Elle est payée spontanément au comptable de la direction générale des impôts, au plus tard à la date prévue au 2 de l'article 1668 pour le versement du solde de liquidation de l'impôt sur les sociétés.

« III. - Pour les exercices arrêtés au cours des mois de mars à décembre ou pour la période d'imposition mentionnée au I de l'article 235 ter ZA bis, la contribution donne lieu, au préalable, à un versement anticipé à la date prévue pour le paiement du dernier acompte d'impôt sur les sociétés, avant la clôture dudit exercice ou la fin de ladite période ; la somme due est alors égale à 10 % du montant de l'impôt sur les sociétés calculé sur les résultats de l'exercice ou de la période qui précède, imposables aux taux mentionnés au I de l'article 219.

« Le versement anticipé mentionné au premier alinéa est arrondi à l'euro le plus proche. La fraction d'euro égale à 0,50 est comptée pour 1.

« Lorsque la somme due au titre d'un exercice ou d'une période d'imposition en application du premier alinéa est supérieure à la contribution dont l'entreprise prévoit qu'elle sera finalement redevable au titre de ce même exercice ou de cette même période, l'entreprise peut réduire ce versement à concurrence de l'excédent estimé.

« IV. - Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret. »

Article 2

I. - La convention de stage, signée par l'employeur, le futur stagiaire et l'établissement scolaire ou universitaire, comporte un terme fixé avec précision dès sa signature. Cette durée ne peut être supérieure à trois mois sur l'année scolaire de référence sauf pour les formations de certaines professions spécifiques déterminées par décret.

II. - La convention de stage ne peut être conclue dans les cas suivants :

1° Remplacement d'un salarié en cas d'absence, de suspension de son contrat de travail ou de licenciement,

2° Exécution d'une tâche régulière de l'entreprise correspondant à un poste de travail,

3° Occupation d'un emploi à caractère saisonnier ou accroissement temporaire d'activité de l'entreprise.

III. - Toute convention de stage conclue en méconnaissance des dispositions visées au II, constitue un contrat de travail à durée indéterminée au sens de l'article L. 121-1 du code du travail.

Lorsqu'un conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de requalification du stage en contrat de travail, l'affaire est portée directement devant le bureau de jugement qui doit statuer au fond dans le délai d'un mois suivant sa saisine. La décision du conseil de prud'hommes est exécutoire de droit à titre provisoire. Si le tribunal fait droit à la demande du stagiaire et requalifie le stage, il doit, en sus, lui accorder, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

IV. - La convention de stage ne peut être renouvelée qu'une fois pour le même stagiaire dans la même entreprise ou administration. Les conditions de renouvellement sont stipulées dans la convention ou font l'objet d'un avenant à la convention soumise au stagiaire et à l'établissement d'enseignement avant le terme initialement prévu.

V. - L'employeur est tenu d'adresser une déclaration préalable à l'inspection du travail qui dispose d'un délai de 8 jours pour s'y opposer dans des conditions définies par décret.

Cette déclaration, à laquelle est joint un exemplaire de la convention de stage, comporte la durée du travail et de la formation, le nom et la qualification du tuteur et les documents attestant que l'employeur est à jour du versement de ses cotisations et contributions sociales.

VI. - Lorsque la constatation de la validité de la convention devant un tribunal donne lieu à une requalification en contrat de travail, et qu'il est démontré que le contrôle du suivi pédagogique n'a pas été effectif, le représentant de l'établissement d'enseignement, signataire de la convention de stage, est puni des sanctions prévues à l'article L. 152-3 du code du travail.

VII. - Dans les douze mois suivant la publication de la présente loi, et après consultation des partenaires sociaux, le Gouvernement présente au Parlement un projet de loi étendant ces dispositions à la fonction publique.

VIII. - Dans les six mois après la publication de la présente loi, le gouvernement engage une négociation avec les partenaies sociaux, en vue de la conclusion d'un accord national interprofessionnel, sur l'élaboration d'une charte d'accueil des stagiaires intégrant les principes de la loi n°  du relative à la lutte contre le recours abusif aux conventions de stages comme substitut à des contrats de travail et à la revalorisation du statut de stagiaire.

Cette charte comporte un plan d'accueil annuel obligatoire des stagiaires dans l'entreprise.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119987-7
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2914 - Proposition de loi de M. Frédéric Dutoit relative à la négociation de plans de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches et tendant à favoriser l'emploi des jeunes


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