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N° 2957

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 mars 2006.

PROPOSITION DE LOI

tendant à renforcer le contrôle des provocations
à la
discrimination, à la haine ou à la violence,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. François GROSDIDIER, Jean-Claude ABRIOUX, Jean AUCLAIR, Patrick BEAUDOUIN, Jean-Louis BERNARD, André BERTHOL, Jean-Michel BERTRAND,
Mme Véronique BESSE, MM. Jean-Yves BESSELAT, Jean-Marie BINETRUY, Étienne BLANC, Bruno BOURG-BROC, Philippe BRIAND, Bernard CARAYON, Antoine CARRÉ, Roland CHASSAIN, Philippe COCHET, Louis COSYNS, Édouard COURTIAL, Yves COUSSAIN, Charles COVA, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Bernard DEFLESSELLES, Lucien DEGAUCHY, Bernard DEPIERRE, Léonce DEPREZ, Jean-Jacques DESCAMPS, Michel DIEFENBACHER, Jacques DOMERGUE, Philippe DUBOURG, Gérard DUBRAC, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Jean-Michel FERRAND, Mme Arlette FRANCO, MM. Jean-Jacques GAULTIER, Franck GILARD, Charles-Ange GINESY, Louis GUÉDON, Jean-Claude GUIBAL, François GUILLAUME, Gérard HAMEL, Michel HEINRICH, Michel HERBILLON, Pierre HÉRIAUD, Francis HILLMEYER, Denis JACQUAT, Édouard JACQUE, Mme Maryse JOISSAINS-MASINI, MM. Pierre LANG, Thierry LAZARO, Jean-Marc LEFRANC, Marc LE FUR, Lionnel LUCA, Richard MALLIÉ, Alain MARLEIX, Alain MARSAUD, Jean MARSAUDON, Mme Henriette MARTINEZ, MM. Christian MÉNARD, Gilbert MEYER, Jean-Claude MIGNON, Pierre MORANGE, Mme Nadine MORANO,
MM. Étienne MOURRUT, Jacques MYARD, Jean-Pierre NICOLAS, Jean-Marc NUDANT, Mme Josette PONS, MM. Didier QUENTIN, Michel RAISON, Éric RAOULT, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Jacques REMILLER, Jérôme RIVIÈRE, Jean ROATTA, Camille de ROCCA SERRA, Jean-Marie ROLLAND, Jean-Marc ROUBAUD, Michel ROUMEGOUX, Francis SAINT-LÉGER, André SCHNEIDER, Daniel SPAGNOU, Mme Michèle TABAROT, M. Michel TERROT, Mme Irène THARIN, MM. Léon VACHET, François-Xavier VILLAIN, Philippe VITEL et Michel VOISIN

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un chanteur de RAP nommé « Monsieur R », diffuse sur son site officiel un clip haineux et subversif d'une chanson intitulée : « FranSSe », assimilant la France et les citoyens au IIIe Reich et ses troupes d'extermination. Si le clip de « Monsieur R » n'est pas diffusé à la télévision, son disque est en vente libre dans les grandes enseignes. Alors que le sentiment anti-occidental est tristement au cœur de l'actualité, la Fnac n'hésite pas à le classer dans les « coups de cœur » musicaux !

Dans son clip, L'autorité Française est représentée par « Monsieur R » en gendarme ridiculisé. La France est symbolisée par deux femmes européennes totalement nues : une blonde et une brune aux allures d'actrices pornographiques se disputent le drapeau français et le transforment en un accessoire d'exhibition, rampant sur le capot d'une voiture. Des scènes X cryptées apparaissent dans le clip, au son du refrain : « La France est une garce, n'oublie pas de la baiser jusqu'à l'épuiser, comme une salope il faut la traiter, mec ! ». Simultanément, de jeunes caricatures urbaines adressent aux deux femmes sensées représenter la France et ses citoyens des gestes sans ambiguïté. « Monsieur R », en plus de comparer la décolonisation avec la politique d'Adolf Hitler, accable l'État français de tous les maux, manipulant les images des forces militaires françaises en Côte d'Ivoire pour leurs donner des accents de répression sanguinaire. Au refrain s'ajoutent d'autres paroles inacceptables comme : « La France est une de ces putes de mères qui t'a enfanté » ou bien « Moi je pisse sur Napoléon et leur Général De Gaulle ».

« Monsieur R » introduit et conclue la chanson sur une précision qui tente de nous faire accepter l'inacceptable : « Quand j'parle de la France, je ne parle pas du peuple Français mais des dirigeants de l'État Français [écrit en majuscule en référence à Vichy]... ».

Mais « Monsieur R » est loin d'être le seul. De nombreux autres chanteurs ou groupes de musique incitent sans ambiguïté au racisme, à la haine et à la violence dans leurs chansons. On notera que ces incitations ne sont plus uniquement orientée contre les français (« céfrancs » ou « gouers ») définis par un critère juridique mais aussi contre les blancs (« faces de craies », « gringos », « navets », « toubabs », « babtous »...) répondant à un critère purement racial.

Le groupe 113

Extrait de leurs chansons :

« J'crie tout haut : J'baise votre nation (en parlant de la France)
L'uniforme bleu, depuis tout p'tit nous haïssons
On remballe et on leur pète leur fion
(à propos des policiers)
Faut pas qu'y ait une bavure ou dans la ville ça va péter,
Du commissaire au stagiaire : tous détestés !
À la moindre occasion, dès qu'tu l'peux, faut les baise
(à propos des policiers)
Bats les couilles les porcs qui représentent l'ordre en France »
.

Le groupe Sniper

Extrait de « Nique le système » :

« Niquer l'systeme, ils auront le feu car ils ont semé la haine,
Qu'on les brûle, qu'on les pende ou qu'on les jette dans la Seine,
Elle cherche à brûler nos racines,
(les racines africaines)
Mais ya des soldats, des vrais guerriers dans l'ghetto »
.

Extraits de « J'aime pas » :

« J'aime pas ce pays la France et le latin, son système son barratin (...) ».

Extraits de « La France » :

« Pour mission exterminer les ministres et les fachos
La France est une garce et on s'est fait trahir
On nique la France sous une tendance de musique populaire
Les frères sont armés jusqu'aux dents, tous prêts à faire la guerre (...) »
.

Salif :

« Allez-y, lâchez les pitts,
Cassez les vitres, quoi
Rien à foutre, d'façon en face c'est des flics
C'est U.N.I.T.Y., renoi, rebeu, babtou, tway
Mais si on veut contrôler Paris, tu sais que ça sera tous ensemble
Ca y est les pitts sont lâchés (...)
Les keufs sont lynchés, enfin, ça soulage,
Faut que Paris crame (...)
Poitiers brûle et cette fois-ci, pas de Charles Martel
On vous élimine, puisque que c'est trop tard
La France pète. J'espère que t'as capté le concept »
.

Ministère Amer

Extrait de « Flirt avec le meurtre » :

« J'aimerais voir brûler Panam au napalm sous les flammes façon Vietnam
Tandis que ceux de ton espèce galopent
Ou 24 heures par jour et 7 jours par semaine
J'ai envie de dégainer sur des faces de craies
(face de craie = homme blanc)
Dommage (...) que ta mère ne t'ait rien dit sur ce putain de pays
(à propos de la France)
Me retirer ma carte d'identité, avec laquelle je me suis plusieurs fois torché »
.

Smala

Extrait de « meurtre légal » :

« Quand le macro prend le micro, c'est pour niquer la France Guerre raciale, guerre fatale œil pour œil dent pour dent organisation radicale, par tous les moyens il faut leur niquer leurs mères Gouers (Français) c'est toi qui perds... Flippent pour ta femme tes enfants pour ta race... on s'est installé ici c'est vous qu'on va mettre dehors ».

Extrait « Du miel les abeilles » :

« La France est un pays de putes ».

Expression Direkt

Extrait de « Au Mike j'kicke » :

« Ma bite tu peux l'astiquer ! Les arabes et les noirs vont tout niquer (...) ».

Fabe

Extrait de « L'impertinent » :

« C'est physique, biologique au bleu, blanc, rouge j'suis allergique
Je leur en fait baver, ces navets. J'peux les braver, la vie est une manif, la France une vitre et moi le pavé »
.

Ménage à 3 :

« J'parle aux boys Cé-fran (français) 98 la 3e guerre se passe maintenant
J'les saigne, faut qu'y m'craignent
On rosse les gringos
(blancs) du front
Faut... Calotter Jean Marie et Debré, envoyer le GIA
(Groupe Islamique Armé) ».

Lunatic :

Extraits de « Violence/délinquance » :

« J'aime voir des CRS morts
J'aime les pin-pon, suivis d'explosions et des pompiers
Un jour j'te souris, Un jour j'te crève
J'perds mon temps à m'dire qu'j'finirais bien par leur tirer d'ssus.
Lunatic dans la violence incite »
.

Extraits de « Temps mort » :

« Allah à Toi seul l'homme doit toute son adoration, les vrais savent,
On a pas oublié, l'or que le pape porte au cou est celui qui nous a été pillé.
Allo c'est B2O encore en chien d'chiennes, les hyènes ressentent la tumeur et moi j'suis d'humeur palestinienne.
Qui veut la paix, prépare la guerre, j'te rappelle.
...vote pour emmener les porcs à la morgue,
Eh négro ! C'est l'heure d'manger,
Brûler leur sperme en échantillons, souder leurs chattes
J'suis pas le bienvenue, mais j'suis là, (...), j'suis venu manger et chier là.
Quand j'vois la France les jambes écartées j'l'encule sans huile.
Z'ont dévalisé l'Afrique... J'vais piller la France
Tu m'dis "la France un pays libre" (...) attends-toi à bouffer du calibre.
J'rève de loger dans la tête d'un flic une balle de GLOCK »
.

La réflexion « j'suis d'humeur palestinienne » de Lunatic reflète, comme l'humour de Dieudonné, la tentation antisémite dans ce racisme anti-blanc et anti-occidentale. On glisse de l'antisémitisme implicite à l'antisémitisme explicite avec le rappeur répondant au pseudonyme de « fils de pute » interprétant une chanson intitulée « J'aime pas les juifs » et diffusée sur internet. Dans cette idéologie racialisant la lutte des classes, à l'échelle de la planète et de l'histoire de l'humanité, les « arabes » et les « noirs » sont le prolétariat, les « blancs » sont la bourgeoisie. Les « juifs » sont en quelque sorte des « super blancs » par extension planétaire du conflit israélo-palestinien.

Ces messages, reçus par des jeunes en rupture et en quête de repères, peuvent légitimer chez eux au mieux l'incivilité, au pire le terrorisme.

D'une manière générale, il convient de souligner que depuis 2002, en exécution des priorités gouvernementales définies, plusieurs circulaires d'action publique ont invité les magistrats des parquets généraux et des parquets à veiller à la fermeté et la célérité des réponses judiciaires apportées aux infractions motivées par les différentes formes de discriminations. En outre, la loi du 9 mars 2004 dite Perben II a facilité la répression de certaines infractions énoncées par la loi de 1881 sur la liberté de la presse, et notamment la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à caractère raciste ou religieux et ou les injures à caractère racial et ce, en augmentant de 3 mois à 1 an le délai de prescription de l'action publique.

La loi, telle qu'elle est écrite, devrait être suffisante mais elle mérite d'être d'avantage précisée. En effet, le juge semble ne pas la suivre à la lettre puisque les groupes mis en cause sont systématiquement relaxés ou condamnés à des peines symboliques, voir même jamais assignés en justice par le Ministère public. Des associations de protection contre le racisme qui pourraient se porter partie civile, restent passives face au racisme anti-blanc. Le MRAP cautionne même ces chanteurs sous prétexte d'exprimer une détresse sociale. Alors que si les individus visés dans ces paroles avaient été des personnes de minorités visibles, ces mêmes associations auraient porté plainte. Toute sorte de racisme est condamnable, il n'en existe pas de plus légitimes que d'autres. Le racisme n'est pas simplement le fait d'une majorité envers des minorités, il peut aussi venir d'une minorité envers une majorité. Quelque soit leurs formes, les racismes s'entretiennent mutuellement créant un climat de haine.

Manifestement, l'application de la loi se heurte à deux tabous :

- celui du racisme d'une minorité vers une autre ou vers une majorité, alors qu'il est considéré d'abord comme provenant d'une majorité sociale, religieuse ou ethnique à l'encontre d'une minorité,

- celui de l'alibi de la liberté de création artistique qui jusqu'à maintenant exonère les auteurs d'incitations au racisme comme si une parole chantée ne pouvait pas être aussi dévastatrice qu'une parole écrite ou parlée.

Cette proposition de loi lève ces tabous et précise que la loi réglementant la liberté de la presse et, notamment, condamnant le racisme, ne souffre pas d'exception.

Il convient d'apporter plus d'effectivité à la loi pour que le juge s'inscrive dans le respect de la lettre du texte. Le support de la forme artistique (chanson, écrit, parole, image...) ne peut, en aucun cas, constituer une circonstance atténuante. Le principe de la liberté d'expression, aussi fondamental soit-il, ne peut légitimer des propos qui portent une telle atteinte aux principes de la Démocratie, de la République française et de la personne humaine. La haine et le racisme véhiculés dans certaines chansons doivent donc être sanctionnés plus efficacement même si les effets parfois dévastateurs ne sont pas toujours immédiats.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :

1° Le premier alinéa de l'article 23 est ainsi rédigé :

« Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des chansons, soit par des écrits imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposées au grand public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet. L'éventuelle forme artistique ou musicale de ce type d'action ne saurait exonérer ni atténuer la responsabilité de son auteur ou de ses auteurs. »

2° Le huitième alinéa de l'article 24 est ainsi rédigé :

« Ceux qui par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, qu'il soit minoritaire ou majoritaire, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement. »

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-121026-9
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2957 - Proposition de loi tendant à renforcer le contrôle des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence (M. François Grosdidier)


© Assemblée nationale
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