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N° 906

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur les causes économiques et financières de la disparitition d'AIR LIB

Président

M. Patrick OLLIER

Rapporteur

M. Charles de COURSON

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

(4ème partie)

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Entreprises

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
Début des auditions

Mardi 29 avril :

- MM. Luc Marty et Pierre Sardet, cabinet Mazars et Guérard

- M. Noël Forgeard, directeur exécutif d'Airbus et M. Claude Brandès, directeur financier d'Airbus

- M. Jean-Cyril Spinetta, président-directeur général d'Air France

Mercredi 30 avril :

- Me Yves Léonzi, avocat de la SAS Holco et d'Air Lib

- M. Christian Paris, pilote de ligne

Suite des auditions

Audition de MM. Luc Marty et Pierre Sardet,
cabinet Mazars et Guérard

Procès-verbal de la séance du mardi 29 avril 2003

Présidence de M. Xavier de Roux, Vice-président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Messieurs, nous avons souhaité vous entendre car vous êtes les auteurs des deux rapports, tous les deux commandés par le ministère des finances ; le premier, remis en février 2002, portait sur la situation de la trésorerie d'Air Lib, le second, remis en juillet 2002, sur la situation financière du groupe Holco.

Vous témoignez devant nous après que M. Corbet a accepté de vous délier de la clause de confidentialité.

Après un exposé introductif d'une dizaine de minutes, votre audition se poursuivra sous forme de questions et réponses.

M. Pierre SARDET : M. Marty, associé du cabinet, a mené cette mission en collaboration avec plusieurs associés et des équipes de collaborateurs. Je n'ai pas moi-même participé à la mission elle-même, mais j'ai procédé à ce que l'on appelle la revue indépendante, c'est-à-dire la revue de l'approche et la revue sur les travaux réalisés et à la conclusion, sur la base de la documentation réunie au fil du temps.

Je propose que M. Marty décrive rapidement les deux missions que nous avons réalisées, les appels d'offres auxquels nous avons répondu, la manière dont nous avons conduit ces missions, puis les conclusions et les constats auxquels nous sommes arrivés.

M. Luc MARTY : Nous avons réalisé deux missions successives pour le compte du ministère de l'économie et des finances, en particulier pour le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI).

La première mission résultait d'un appel d'offres auquel nous avons répondu et qui avait pour objet à la fois d'établir une situation de trésorerie, de valider un plan prévisionnel de trésorerie à douze mois et, dans le cadre d'une revue mensuelle, d'effectuer un suivi mensuel de l'évolution de la trésorerie d'AOM-Air Liberté pour l'ensemble de l'année 2002.

La deuxième mission, intervenue au mois de juillet, fait également suite à un appel d'offres du ministère de l'Economie et des Finances par lequel deux questions de nature très différente étaient posées. Il s'agissait de savoir quelles étaient les conditions d'exploitation par AOM-Air Liberté de ses différentes lignes et la répartition des résultats analytiques entre les différentes activités de la société d'exploitation AOM-Air Liberté, puis d'analyser la situation et les relations financières existant entre la société Holco et ses sociétés filiales, notamment celles qui n'étaient pas dans le périmètre direct de la société d'exploitation AOM-Air Liberté.

Ces deux interventions ont été réalisées conformément au cahier des charges, dans des délais assez brefs, et ont donné systématiquement lieu à un prérapport rendu en cours de mission et à un rapport définitif remis au ministère de l'économie et des finances et aux différents ministères participant à cet appel d'offres. En effet, le ministère des transports était également intéressé par les conclusions auxquelles nous pouvions aboutir.

Ce premier rapport a été effectué dans le cadre d'un appel d'offres diligenté pour lequel nous avons fait une proposition le 1er février, laquelle a été retenue. L'objet précis de l'appel d'offres était le suivant : «Etablir une situation de trésorerie de la société d'exploitation AOM-Air Liberté, valider le plan prévisionnel de trésorerie à douze mois et, dans le cadre d'une intervention mensuelle, effectuer le suivi mensuel de la trésorerie de ladite société.»

Nous avons démarré nos travaux le 5 février 2002 dans les locaux de la société d'exploitation AOM-Air Liberté. Nous avons rendu nos premières conclusions d'étape auprès du CIRI le 12 février, puis notre rapport définitif le 19 février 2002.

M. le Président : Saviez-vous que cela pouvait être lié à l'octroi d'un prêt FDES ?

M. Luc MARTY : C'était explicite. Notre intervention a été réalisée par une équipe de six collaborateurs, tous très expérimentés, et a représenté un volume global d'intervention de plus de trente-trois « jours/homme ». Cette mission a eu pour objet de valider les informations communiquées par la société d'exploitation AOM-Air Liberté au ministère, documentation qui sous-tendait la demande de versement de la deuxième tranche du prêt FDES octroyée par le ministère de l'économie et des finances à la société.

M. le Président : Le prêt avait donc déjà été octroyé.

M. Luc MARTY : Le versement de la première tranche avait déjà été effectué. Notre intervention se comprenait dans le cadre des démarches préparatoires et de validation pour savoir si la deuxième tranche devait être versée à la société. Nous sommes intervenus auprès de la société d'exploitation AOM-Air Liberté, c'est-à-dire MM. Corbet et Personne, les différents services d'exploitation de trésorerie et Me Léonzi, avocat de la société.

Nos travaux ont eu pour objet de nous assurer des différents aspects suivants :

- que la situation de trésorerie, à la date de notre intervention, était bien compréhensible et cernable avec suffisamment de précisions,

- que les outils prévisionnels mis en oeuvre par la société, qui étaient de deux natures à savoir un business plan pour 2002 et 2003, pouvaient être validés par l'évolution de la trésorerie quotidienne. Celle-ci était suivie par les différents services de la société d'exploitation, en particulier le service trésorerie qui était en première ligne dans le cadre de l'organisation de cette société.

Nos travaux ont eu pour objet de nous assurer de la cohérence et de la vraisemblance de chacune des informations contenues dans ce prévisionnel de trésorerie quotidien. La société avait développé un suivi de trésorerie jour par jour, pour les trois mois suivant le jour de notre intervention, et avait ensuite développé son business plan qui permettait de fixer le cadre de ce qu'il devait pouvoir être possible pour l'année 2002.

Compte tenu de l'effectif de nos collaborateurs affectés à ces travaux, nos travaux ont visé à analyser poste par poste la nature des recettes et des dépenses qui devaient être engagées par la société d'exploitation, dans le cadre de son exploitation, et à en valider la cohérence par rapport aux données extra-comptables dont nous pouvions disposer.

M. le Président : Les outils comptables de la société vous paraissaient-ils de bonne qualité ?

M. Luc MARTY : La comptabilité au jour le jour était tenue, mais elle n'était pas utilisable avec suffisamment de fiabilité pour pouvoir apprécier l'évolution de la trésorerie.

M. le Rapporteur : Vous êtes l'un et l'autre expert-comptable. Vous avez effectué le premier audit sur la période du 5 février au 19 février 2002. Vous indiquez dans l'introduction du rapport : «La société n'avait pas arrêté de situation comptable au 31 décembre 2001. Nos travaux ont eu pour objectif de déterminer, au mieux des informations disponibles, certains des soldes comptables en vue d'appréhender les hypothèses d'évolution du BFR retenues par la société. Nous n'avons pas procédé à un audit des comptes de la société.» A travers ce que vous avez vu, y avait-il un système comptable fiable ?

M. Luc MARTY : Il y avait une comptabilité, un service comptable, un chef comptable et une équipe chargée de l'enregistrement des opérations courantes. La société d'exploitation clôture ses comptes, selon le rythme des compagnies aériennes, non pas au 31 décembre, mais fin mars. Il n'y avait donc pas d'arrêté comptable obligatoire au 31 décembre.

Il n'avait pas été organisé, dans la société, d'arrêté de situation intermédiaire. Les comptes permettaient d'avoir une certaine information, mais ils n'étaient pas suffisamment à jour, compte tenu de la complexité des opérations traduites que représente l'exploitation d'une compagnie aérienne, pour être considérés comme suffisamment utilisables pour pouvoir réaliser nos travaux.

M. le Rapporteur : Je repose ma question. L'état du système comptable, tel que vous l'avez découvert en février, traduisait-il une gestion comptable normale ? Par exemple, avez-vous consulté le grand-livre ?

M. Luc MARTY : Nous avons consulté le système comptable informatisé, nous n'avons pas édité un grand-livre.

M. le Rapporteur : Vous n'avez même pas demandé la sortie du grand-livre...

M. Luc MARTY : C'était un volume d'informations qui ne nous permettait pas de répondre à l'objet de notre mission.

M. le Rapporteur : Cela vous aurait quand même permis, sur certains comptes importants, sur les comptes clients, par exemple, de voir si les créances clients étaient correctement enregistrées. Ce sont des questions de base.

Vous êtes-vous posé la question de la fiabilité du système comptable ? Les prévisions de trésorerie sont un dérivé des prévisions comptables. Sans système comptable fiable, vous ne pouvez pas faire de prévision de trésorerie.

M. Luc MARTY : Nous nous sommes posé la question de la fiabilité de la comptabilité. Nous avons conclu que ce n'était pas à partir de la comptabilité que nous parviendrions à répondre à la demande du CIRI. Les prévisions ne reposent pas uniquement, et loin s'en faut, sur les données comptables de l'entreprise.

Il faut savoir que la société d'exploitation AOM-Air Liberté était une société relativement peu organisée ou désorganisée, suite aux modalités de reprise des différentes sociétés du groupe antérieur. L'organisation de chacun des services était en cours au moment de notre intervention. Par conséquent, seules les données de trésorerie étaient véritablement suivies et s'avéraient être véritablement pertinentes pour la réalisation de notre mission.

M. le Rapporteur : Estimez-vous que le rapport que vous avez fourni est fondé sur des données fiables ?

M. Luc MARTY : Il est fondé sur des données cohérentes et vraisemblables, et sur des données d'exploitation fournies par les business plan qui nous sont apparus utilisables et donnant une image suffisamment précise de l'évolution prévisionnelle de la trésorerie.

Mme Arlette GROSSKOST : Avez-vous vérifié la balance fournisseurs ou clients poste par poste et si ces créances étaient bel et bien existantes ?

M. Luc MARTY : Oui, nous avons vérifié les créances clients de manière à pouvoir apprécier la date à laquelle ces créances étaient recouvrables. Nous en avons tiré les conclusions qui n'étaient peut-être pas celles que souhaitait ou pouvait en tirer la société d'exploitation. Nous avons examiné les balances fournisseurs de manière à apprécier quelles étaient, d'après l'état de la comptabilité le jour où nous sommes intervenus, les dettes de la société.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que l'on peut établir des prévisions sérieuses et fines en l'espace de sept jours, dont un week-end, c'est-à-dire cinq jours, pour le prérapport, et de nouveau cinq jours pour le rapport définitif ? Considérez-vous qu'avec six personnes, en deux fois cinq jours, il est possible de sortir des données fiables ? Je voudrais quand même lire aux membres de la commission les conclusions de votre rapport : «Sur la base des hypothèses d'exploitation et de financement décrites ci-avant, la trésorerie prévisionnelle d'Air Lib apparaît assurée jusqu'à fin mars 2002. Dès début avril 2002, Air Lib ne devrait plus être en mesure de faire face à ses échéances.»

Vous indiquez ensuite que la réduction des effectifs du personnel navigant technique paraît incontournable : «Air Lib ne dispose cependant pas de la possibilité de mettre en oeuvre un plan social. Il faudra donc recourir à des départs négociés.» Financés comment, on ne le sait pas !

M. le Président : L'élément important est que vous constatez qu'à compter du mois d'avril, la société ne pourra plus faire face à ses engagements.

M. Luc MARTY : Dans des conditions normales d'exploitation, sous réserve de la mise en oeuvre ou non du GIE fiscal qui constituait un des éléments clés de la poursuite de son exploitation, tant aux yeux de la société que de ses partenaires.

M. le Rapporteur : Ce que j'ai lu, c'est en tenant compte de deux hypothèses, engageant des fonds publics : le versement de la deuxième tranche du prêt FDES et la mise en oeuvre du GIE fiscal. Vous aviez établi le GIE fiscal à une trentaine de millions d'euros.

M. Luc MARTY : C'étaient les évaluations faites par le banquier conseil.

M. le Rapporteur : Cela signifie que cela faisait deux mois et demi de moins sur la date à partir de laquelle la société ne pouvait plus assumer ses échéances. En effet, dans vos prévisions, vous dites page 4 : (Lecture) « Il est tenu compte de l'octroi de financements complémentaires qui sont pour l'essentiel :

« - le versement de la deuxième tranche du prêt FDES,

« - la mise en place d'un GIE fiscal,

« - le remboursement par les administrateurs judiciaires (ou par les salariés) des sommes dues au titre des congés payés acquis antérieurement à la reprise. »

Mme Arlette GROSSKOST : Au-delà de la concomitance de ces deux conditions, je voudrais que vous confirmiez que votre mission n'a porté que sur la deuxième tranche. En aucun cas, vous n'avez vérifié des données qui pourraient justifier le versement de la première tranche.

M. Luc MARTY : Cela ne nous a pas été demandé.

Dans le cadre de notre intervention, six collaborateurs ont travaillé pour un total de trente-trois « journées/homme ». Dans le contexte de la société d'exploitation AOM-Air Liberté, compte tenu de l'intensité des échanges que nous avons eus avec les différents services d'exploitation et de trésorerie de la société, cela nous permettait de répondre avec suffisamment de fiabilité à la mission qui nous avait été confiée.

M. le Président : Cela n'est pas mis en cause. Venons-en aux conclusions. Deux questions se posent : d'une part, les conclusions de votre premier rapport, d'autre part le suivi de la trésorerie que vous deviez effectuer.

M. Luc MARTY : Nous avons effectué un suivi mensuel de trésorerie qui a donné lieu à la remise du rapport tous les 7 de chaque mois pour février, mars, avril, mai, juin et juillet, rapport transmis au ministère de l'économie et des finances qui était notre mandant. Ces rapports avaient pour but de s'assurer des conditions dans lesquelles l'exploitation se poursuivait et mettre en évidence l'éventuelle amélioration des conditions d'exploitation de la société.

M. le Président : Avez-vous constaté une amélioration des conditions d'exploitation ou, au contraire, une date de cessation de paiement de la société ?

M. Luc MARTY : Nous avons pu constater que la société, pour pouvoir faire face à ses échéances, a mis en oeuvre des dispositifs et négocié avec certains de ses créanciers en vue de reporter un certain nombre d'échéances. Dans l'évolution des modalités d'exploitation de la société, il faut rappeler qu'à la date de notre première intervention en février 2002, le produit Air Lib Express n'était pas encore mis en œuvre et qu'il l'a été aux alentours du 15 mars 2002.

Cette mise en œuvre a eu une incidence assez importante sur l'un des éléments clés de l'exploitation d'une société aérienne, à savoir le taux de remplissage des avions. Nous avons pu constater et faire un rapport sur l'objet que cette augmentation des taux de remplissage des avions n'apportait pas les ressources en trésorerie attendues par la société, dans les délais qu'elle avait prévus.

M. le Président : Soyons clairs. Vous constatiez mois après mois que l'entreprise avait de plus en plus de difficultés à dégager des ressources pour faire face au service de la dette.

M. Luc MARTY : Absolument.

M. le Président : Qu'avez-vous dit à votre client, le CIRI, sur cette situation, de manière officieuse, sans que cela paraisse dans les rapports ?

M. Luc MARTY : Tout au long de la période de notre intervention, est restée en suspens et en espoir la mise en oeuvre du GIE fiscal dont le bénéfice en trésorerie pour la société d'exploitation AOM-Air Liberté était d'un montant variable, selon les hypothèses développées par le conseil et l'avancement des négociations avec les différentes parties prenantes à ce GIE : Airbus, Air France, la société d'exploitation AOM-Air Liberté, Indosuez, le Crédit Agricole et l'Etat. Cet élément pouvait du jour au lendemain modifier significativement les conditions de l'exploitation.

M. le Président : Etiez-vous associés à la discussion sur la mise en oeuvre du GIE fiscal ?

M. Luc MARTY : Pas du tout. Nous n'étions informés des avancements tous les mois que lors de notre intervention.

M. le Président : Par qui étiez-vous informés ?

M. Luc MARTY : Par la société d'exploitation.

M. le Président : Saviez-vous quels étaient les obstacles qui s'opposaient à la création de ce GIE fiscal ?

M. Luc MARTY : Je ne les connais pas tous. A notre connaissance, ils ont été divers. Il y a eu plusieurs phases de négociation entre Airbus, Air France et Air Lib, puis il y a eu la difficulté quant au placement de la partie fiscale de ce GIE.

M. le Président : Quelle était la difficulté de ce placement ?

M. Luc MARTY : Nous n'avons malheureusement pas beaucoup de détails sur cette question. Tout ce que nous avons eu comme information, c'est qu'après que les négociations avec Air France, Airbus, le Crédit agricole ont pu aboutir sur un cadre vraisemblable d'intervention de chacune des parties, il est apparu que ce placement fiscal n'avait pas été organisé par la banque conseil qui était la banque Arjil.

M. le Président : Arjil n'avait pas cherché la sortie.

M. Luc MARTY : Je ne peux pas vous dire si l'explication qui nous a été fournie est bien la bonne. Nous n'étions absolument pas associés à ces discussions.

M. le Rapporteur : Sur la période mars-avril-mai-juin, avez-vous constaté des dérives par rapport à vos prévisions initiales contenues dans votre rapport remis le 19 février ?

M. Luc MARTY : Il y avait des évolutions de différentes natures. Globalement, je ne crois pas que l'on puisse parler de dérives. Il y avait des décaissements prévus dans un certain nombre de cas, en particulier ce GIE fiscal qui en était un des éléments les plus importants puisqu'il se traduisait par des encaissements ou des décaissements significatifs, au regard des flux de trésorerie de la société. La prise en compte de ces différents décaissements a évolué dans le temps.

De la même manière, la société n'a cessé, tout au long de ces six mois, de négocier avec ses mainteneurs, ses leaseurs et l'ensemble de ses partenaires, des modifications des conditions contractuelles de manière à transformer, ce qui à l'origine pouvait être considéré comme étant une dette exigible, en un abandon des prétentions des partenaires ou en une réduction ou un étalement de leur dette.

M. le Rapporteur : Vous faites une prévision de trésorerie, puis chaque mois, l'Etat vous demande de vérifier que cela se déroule conformément au plan. Que constatez-vous du point de vue des recettes et des dépenses ?

M. Luc MARTY : Nous avons constaté des écarts avec les prévisions.

M. le Rapporteur : Dans quel sens ?

M. Luc MARTY : Nous avons constaté des écarts positifs et négatifs selon les mois et la nature des opérations. L'entreprise, avec la mise en place du GIE fiscal, pensait être en mesure de faire un certain nombre d'opérations, en particulier de réduction de coûts de personnel, qui devaient lui permettre de sortir de la situation de grave difficulté dans laquelle elle était au premier trimestre 2003. Ces réductions n'ayant pas pu être mises en œuvre, nous avons constaté que globalement l'évolution de la trésorerie n'a pas été favorable.

M. le Rapporteur : Qu'en est-il des recettes ?

M. Luc MARTY : Les recettes ont également connu une évolution importante puisqu'en février, il était prévu une exploitation dans un certain cadre, laquelle a connu des évolutions notamment l'arrêt de la ligne Paris-Papeete. La décision d'arrêt de cette ligne, génératrice de coûts importants, a été prise postérieurement à notre intervention de février 2002. En masse globale, les recettes ont été moins importantes que prévu, mais en termes d'incidence sur la trésorerie, l'arrêt de certaines lignes ou le développement de certains produits n'a pas été forcément de nature à venir peser sur la trésorerie d'ensemble.

M. le Rapporteur : Nous allons passer aux questions concernant votre deuxième rapport, remis le 15 juillet 2002. Je rappelle que ce deuxième audit avait un objectif plus large, car il portait sur le groupe. A votre connaissance, l'organigramme, présenté page 4 de votre rapport d'audit, est-il complet ?

M. Luc MARTY : Il n'intègre pas toutes les filiales de la société Air Lib.

M. le Rapporteur : Pourquoi ?

M. Luc MARTY : Certaines sociétés, qui ne sont pas reprises ici, sont des sociétés sur lesquelles soit Air Lib n'avait pas la direction, ou des sociétés qui n'avaient pas d'incidence directe sur l'exploitation des sociétés.

M. le Rapporteur : Avez-vous vérifié qu'elles n'avaient pas d'incidence ?

Est-ce une déclaration de l'entreprise ou l'avez-vous vérifié ? M. Corbet a déclaré qu'il avait onze filiales. Dans l'organigramme que vous avez présenté page 4 de votre rapport, n'en figurent que six. Par exemple, Air Lib Finances n'apparaît pas. Connaissiez-vous, à l'époque, lors de la rédaction du rapport, l'existence de cette filiale ?

M. Luc MARTY : Nous la connaissions. Il en est fait mention dans notre premier rapport en page 32.

M. le Rapporteur : Mais pas dans le deuxième.

M. Luc MARTY : Mais pas dans le deuxième. D'après ce qui nous a été communiqué et ce que nous avons pu constater, c'était une société qui n'avait pour objet que de porter deux contrats de crédit-bail relatifs à deux avions MD83, Air Lib supportant l'intégralité d'une charge en trésorerie de ces deux avions. Mais cette société est presque transparente, au plan économique en tout cas.

M. le Rapporteur : Qu'en est-il des quatre autres sociétés ?

M. Luc MARTY : Les quatre autres sociétés sont la société Alyzair qui n'avait plus d'activité et ne constituait plus un risque en termes de trésorerie pour AOM-Air Liberté. Il y avait les sociétés SAP et SAAS sur lesquelles le groupe Holco n'avait pas la direction, même s'il était majoritaire dans le capital de ces sociétés. Enfin, la société Logitair était une société d'exploitation technique de la billetterie émise par Air Lib sur laquelle le groupe Holco n'avait pas de main mise. Elle avait une autonomie de gestion, de fonctionnement et de trésorerie.

M. le Rapporteur : Dans votre rapport d'audit remis le 15 juillet, vous notez que les pièces concernant Mermoz ne vous ont pas été communiquées. Vous indiquez que la justification d'avance en capital, soit une douzaine de millions d'euros, vous avait été apportée et qu'il s'agissait de provisions pour l'entretien des avions. Confirmez-vous ces indications ?

M. Luc MARTY : Je voudrais revenir sur un point qui peut paraître un point de détail. Nous n'avons pas réalisé un audit de la société Mermoz, ni de la société Holco Lux, ni même de la société Holco. Nous avons analysé les données qui nous étaient fournies par la société, volontairement, mais sans avoir ni le temps ni les moyens de faire ce qui serait un audit, c'est-à-dire qui inclut une confirmation d'informations auprès des tiers par circularisation.

Nos travaux ont été réalisés sur la base des données qui nous ont été fournies. Pour chacune des sociétés, il est mentionné dans notre rapport la date à laquelle ces données étaient à jour.

M. le Rapporteur : Le transfert de 12,2 millions d'euros de provision pour entretien des avions transférés, d'Holco vers la société Mermoz, alors qu'il y avait une grave crise de trésorerie de la société d'exploitation, vous est-il apparu comme un processus normal ?

M. Luc MARTY : Il ne nous appartenait pas de qualifier la nature des opérations faites par le groupe Holco. Il nous appartenait d'en rapporter la teneur et c'est ce que nous avons fait dans notre rapport.

M. le Rapporteur : Certes, mais avez-vous vérifié que ces 12,2 millions d'euros étaient au moins représentatifs de provisions normales ? Vous a-t-on présenté des explications techniques et comptables sur la base desquelles on calcule les provisions pour l'entretien des avions ?

M. Luc MARTY : Ce n'est pas ainsi que le problème se présentait. Il nous a été présenté une société qui a été capitalisée volontairement par le groupe Holco à hauteur de 12,2 millions d'euros. Etait en discussion, au moment où nous sommes intervenus, entre la société, ses techniciens et ses commissaires aux comptes, le montant de provisions qui devait être constaté dans les comptes de la société Holco, à la date de son arrêté comptable.

M. le Rapporteur : C'est quand même une somme non négligeable. Il me semble que c'est bien dans votre mission d'essayer d'évaluer la pertinence de cette provision. Vous déclarez, dans votre rapport : « Selon Allen et Overy, (avocats spécialisés en droit aérien) la capitalisation a été fixée à hauteur des provisions pour maintenance se rattachant aux avions en pleine propriété, repris dans le cadre du plan de cession. Le bilan d'ouverture de la Coopérative Mermoz intégrera la reprise de ces réserves évaluées à 13,7 millions d'euros (part Mermoz), en date du 1er août 2001. Le montant des reprises est en cours de validation par le commissaire aux comptes d'Air Lib en vue d'assurer la séparation entre ce qui est à la charge d'Air Lib et ce qui revient à Mermoz.»

C'était quand même un point important puisque vous en faites mention dans votre rapport. Ma question est très précise : avez-vous vérifié le correct calcul de cette provision ?

M. Luc MARTY : Elle n'était pas déterminée au moment de notre intervention. Il était donc difficile d'en calculer le montant.

M. le Rapporteur : L'apport de la holding Holco à sa filiale Mermoz existait. Vous aviez le montant puisque qu'il est indiqué dans votre rapport.

M. Luc MARTY : Mais rien ne permet de faire un lien direct entre le montant du capital et le montant de la provision.

M. le Rapporteur : Bien sûr que si, puisque vous évoquez que la justification de cette capitalisation était que cela soit fixé à hauteur des provisions pour maintenance. Vous le dites explicitement dans votre rapport. Cela ne vous a-t-il pas interpellé ?

M. Pierre SARDET : Il s'agit d'une justification donnée par la société. De plus, nous n'avions pas les éléments nous-mêmes, et il ne rentrait pas dans l'objet de notre mission de vérifier ce calcul.

M. le Rapporteur : Dans la mesure où, dans votre mission, il y avait un essai de réflexion sur les comptes consolidés, l'une des tâches d'un auditeur est de vérifier que les provisions sont correctement calculées.

M. Pierre SARDET : Ce n'était pas un audit, mais nous avons pensé qu'il était souhaitable de donner cette information au ministère, sans pouvoir la qualifier précisément. Si, en revanche, vous me demandez, en tant que technicien, si nous aurions adopté le même traitement comptable, je n'en suis pas certain.

M. le Rapporteur : Merci de cette déclaration.

Etiez-vous au courant d'un versement effectué ou à venir par Mermoz pour le compte d'Holco au profit du cabinet Plegler et Blach pour un montant de 9,14 millions d'euros, en vue d'assurer le financement du contentieux avec Swissair ou Swiss ? En contrepartie de ce versement, une dette vis-à-vis de Mermoz était inscrite dans les comptes de Holco SAS au 31 mars 2002. Etiez-vous au courant de cette affaire qui a donc prélevé 9,14 millions d'euros ? En termes clairs, on a versé au cabinet Plegler et Blach 9,14 millions d'euros d'honoraires pour défendre les intérêts du groupe en prélevant sur la trésorerie.

M. Pierre SARDET : Avez-vous la date du versement ?

M. le Rapporteur : Oui. C'est au plus tard au 31 mars 2002 que cela a été régularisé, mais il semblerait que cela a été versé avant. Pour le moment, je n'ai pas la date, mais je devrais l'avoir sous peu. Répondez-moi simplement par oui ou non si vous étiez au courant de cette affaire ?

M. Pierre SARDET : Si un versement a eu lieu, il serait passé par Holco SA.

M. le Rapporteur : Non. En fait, c'est une affaire très curieuse. C'est Holco qui a engagé la dépense, mais comme ils ne pouvaient pas la payer, ils l'ont fait payer par Mermoz sur les 20 millions d'euros disponibles. Ils ont payé pour le compte de la holding. En tant qu'experts-comptables, une telle opération vous paraît-elle tout à fait normale ?

(Les auditionnés se concertent.)

M. le Rapporteur : La réponse est simple : étiez-vous, oui ou non, au courant de cette affaire ?

M. Luc MARTY : Non.

M. le Rapporteur : Je passe à la question suivante. Vous avez remis une version intermédiaire du deuxième rapport dans lequel figurent des informations nominatives sur les rémunérations de dirigeants d'Holco et sur les honoraires versés à différents cabinets. Quelle appréciation portez-vous sur ces sommes ?

(Sourires des deux personnes auditionnées.)

M. Luc MARTY : Dans la version préparatoire de notre rapport, nous avions donné des mentions nominatives qui ont été masquées dans la version définitive à la demande du ministère, compte tenu du fait que M. Corbet souhaitait communiquer tout ou partie de nos rapports à la représentation du personnel. Il leur est apparu, et nous en étions d'accord, qu'il n'était pas opportun de présenter des données nominatives.

M. le Rapporteur : Vous avez donc accepté le retrait ?

M. Pierre SARDET : Le ministère était parfaitement informé de ces données nominatives.

M. le Rapporteur : Enfin, le secrétaire général du CIRI l'était, puisqu'il l'a déclaré sous serment à votre place, il y a quelques jours. Vous avez donc accepté le retrait de ces informations.

M. Luc MARTY : De même que les participants à nos réunions préparatoires. Nous avons effectivement retiré ces données nominatives qui n'apportaient pas grand-chose en tant que tel à la conclusion sur la situation financière de Holco à la date à laquelle nous intervenions, qui était quand même la question principale qui nous était posée.

M. le Rapporteur : Je répète ma question : quelle appréciation portez-vous sur ces sommes ? Je vais être très précis. Dans le rapport intermédiaire, vous avez indiqué la rémunération du président d'Holco. D'après vos responsabilités en tant qu'experts-comptables, ceci vous parait-il normal, notamment la prime qu'il se verse de plus de 800 000 euros, un mois après son arrivée à la tête d'Holco ? Ces données figurent dans la version non expurgée.

M. Luc MARTY : C'est une prime qui a été versée non seulement à M. Corbet mais, pour des montants moindres, aux coauteurs du projet de reprise Holco/Air Lib. Cette prime est d'un montant tout à fait considérable, au regard de la rémunération postérieure des intéressés. Elle constitue en quelque sorte une prime de succès, au fait d'avoir réussi la reprise des actifs d'AOM par la société d'exploitation AOM-Air Liberté et la poursuite de l'exploitation et de l'activité avec l'effectif que vous connaissez.

M. le Rapporteur : Vous ne l'avez pas fait figurer dans votre rapport, mais connaissez-vous la date à laquelle il s'est octroyé à lui-même cette prime, puisque c'est lui qui se l'ait octroyée ?

M. Luc MARTY : Tout à fait. Nous avons eu connaissance de la date. Elle n'est pas mentionnée et je n'en ai pas mémoire.

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous de la période à laquelle il se l'ait versée ?

M. Luc MARTY : De mémoire, c'est dans les semaines qui suivent la reprise effective.

M. le Rapporteur : Tout à fait. Vous ne l'avez pas signalé dans votre rapport, c'est-à-dire que dès son arrivée, il commence par s'octroyer une prime qui, dans votre rapport, est de 762 000 euros. D'après les données comptables que je suis allé vérifier moi-même dans les comptes de la société Holco, elle s'élevait à 855 904 euros. Je suppose que vous aviez les montants nets de cotisations et nous les montants bruts. Cet octroi de prime ne vous a-t-il pas étonné ?

(Pas de réponse.)

M. le Rapporteur : D'après votre expérience professionnelle, est-ce quelque chose de très commun ?

M. Luc MARTY : Non, je ne dirai pas cela. Le libellé de cette prime est, de mémoire, une prime de bienvenue.

M. le Rapporteur : Tout à fait. Le libellé est « golden hello », traduction littérale : «un bonjour doré» !

(Pas de réponse des personnes auditionnées.)

M. le Rapporteur : Cela ne vous trouble-t-il pas ? Dans cette mission, vous êtes payés par le contribuable français pour savoir ce qui se passe. Alors que vous auriez pu refuser, vous acceptez le retrait de ces informations de votre rapport. De plus, dans le rapport, puisque nous en avons les deux versions, vous ne faites aucun commentaire sur cette situation.

M. Luc MARTY : Je ne suis pas certain que nous aurions pu refuser le retrait de ces informations puisque notre mandant nous le demandait dans un cadre très précis.

M. Pierre SARDET : M. Corbet aurait pu s'opposer à la diffusion de cette information.

M. le Rapporteur : Pourquoi cela ? Ce n'est pas M. Corbet qui vous payait.

M. Pierre SARDET : M. Corbet, donc l'entreprise en SAS, était propriétaire des informations et pouvait s'opposer à leur divulgation, même si nous étions payés par l'Etat.

M. le Rapporteur : La prolongation du prêt du FDES, qui était de six mois initialement, était conditionnée à la réalisation de votre audit. La décision que pouvait prendre le gouvernement était fondée sur cet audit.

M. Pierre SARDET : Il y a un débat technique sur le problème du secret professionnel auquel nous sommes assez régulièrement confrontés dans le cadre d'audits d'acquisitions, qui dépasse très largement le problème d'Holco. Il s'agit de savoir qui est propriétaire des informations et si l'auditeur contractuel, ce qui est notre cas, peut diffuser ces informations sans l'accord exprès du détenteur de l'information. Il y a un vrai débat que nous ne savons pas résoudre.

M. le Président : En tout état de cause, le CIRI avait eu connaissance de la première version non expurgée du rapport. Ces faits ont donc été portés à la connaissance du CIRI.

M. le Rapporteur : Vous découvrez, dans les honoraires, que le premier par ordre d'importance concerne les honoraires touchés par la CIBC pour un montant de 8,335 millions d'euros. Avez-vous un commentaire à faire sur cette découverte ?

M. Luc MARTY : C'est une somme pour laquelle nous avons essayé d'avoir une explication détaillée, pour laquelle nous avons eu des échanges importants avec Me Léonzi, avocat de la société, pour laquelle nous n'avons que des éléments partiels de justification. Nous en avons d'ailleurs fait mention au CIRI.

M. le Rapporteur : Par écrit ou par oral ?

M. Luc MARTY : Au cours de nos réunions de comptes rendus oraux.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne l'avez-vous pas écrit dans votre rapport ?

M. Luc MARTY : Parce que nous ne disposions pas de suffisamment d'informations pour pouvoir apprécier si ces versements étaient effectivement fondés ou pas.

M. le Rapporteur : Quels sont les éléments partiels que vous avez obtenus, mais dont vous n'avez pas fait état dans la version écrite de votre rapport ?

M. Luc MARTY : Il s'agissait de contrats entre la société Holco et la banque CIBC en vue de parvenir à un certain nombre de financements, de levées de fonds.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu connaissance de cette facture de 7,315 millions de dollars ?

(Circulation du document. Ils acquiescent.)

M. le Rapporteur : Il est fait mention d'une lettre d'engagement du 11 juillet 2001. Avez-vous eu cette lettre ?

M. Pierre SARDET : Oui, je l'ai ici dans mes documents. (Transmission de la lettre pour photocopie à l'huissier.)

M. le Rapporteur : Dans vos recherches, est-ce le seul document que vous ayez eu comme justification de cette pièce comptable ?

M. Luc MARTY : Nous avons aussi deux échanges avec Me Léonzi. Sur la base de la facture et du contrat, nous avons cherché à comprendre le lien qui pouvait être fait entre les deux documents et nous avons demandé un certain nombre d'explications complémentaires à Me Léonzi.

M. le Rapporteur : Que vous avez eues ?

M. Luc MARTY : Auxquelles il a tenté de répondre par un courrier du 12 juillet 2002.

M. le Rapporteur : Estimez-vous ses réponses satisfaisantes ?

M. Luc MARTY : Elles permettent de comprendre un certain nombre d'éléments de calcul des mentions portées sur la facture. Elles ne répondent pas totalement -et là c'est une appréciation personnelle- à l'interrogation qui prévaut sur les montants.

M. le Rapporteur : Avez-vous fait état de vos conclusions, au moins par oral, aux représentants de l'Etat ?

M. Luc MARTY : Oui. Les montants étaient tels qu'il n'était pas possible de passer à côté de ces éléments.

M. le Rapporteur : Concernant le cabinet Léonzi, il est indiqué dans votre rapport que celui-ci a touché 3,146 millions d'euros pour la période sous revue qui, de mémoire, est de huit mois.

Pour information des membres de la commission, le cabinet Léonzi a touché au total 5,3 millions d'euros, qui comprend la période que vous avez contrôlée jusqu'au dépôt de bilan. Avez-vous pu consulter les factures et demander des explications sur le montant de ces honoraires ? Avez-vous porté une appréciation sur leur niveau et les pièces justificatives ?

M. Luc MARTY : Nous avons eu communication du détail intégral des factures émises par Me Léonzi. Nous avons pu analyser, mois par mois, la nature des versements qui lui étaient faits. Nous avons pu apprécier la nature variable de ces versements.

Dans l'ensemble du montant, est intervenu un « success fee » dont je n'ai plus le montant en tête, versé au moment de l'homologation du plan de cession, puis un certain nombre de paiements effectués tout au long de la période pour un nombre de dossiers assez importants et pour lesquels les montants ne nous ont pas parus comme étant aberrants, au regard des travaux qui devaient avoir été réalisés dans chacun des dossiers.

M. le Rapporteur : Cela vous paraît donc normal.

M. Luc MARTY : Au-delà du « success fee » sur lequel on peut s'interroger à la fois quant au montant et au fondement - mais c'est une pratique relativement habituelle dans ce type d'intervention -, les montants facturés tout au long de la période, au titre des prestations effectuées par Me Léonzi qui intervenait dans un vaste champ des relations juridiques du groupe Holco avec ses partenaires, nous sont apparus comme compréhensibles.

M. le Président : Combien avait-il de collaborateurs sur cette affaire ?

M. Luc MARTY : A ma connaissance, il y avait au moins un collaborateur à temps plein dont j'ai oublié le nom, mais qui est mentionné dans un courrier, me semble-t-il. J'ai pu le voir de manière très récurrente dans les locaux mêmes de la société d'exploitation AOM Air Liberté. Hormis cette personne, je ne saurais vous dire combien de collaborateurs de l'étude travaillaient sur ces dossiers.

M. le Rapporteur : Vous êtes-vous renseignés au préalable sur le nombre de collaborateurs du cabinet ?

M. Luc MARTY : Non.

M. le Rapporteur : Dans ce cas, comment pouvez-vous porter une telle appréciation ? S'il n'y avait qu'une personne ou une personne et demie à plein temps sur cette affaire, considérez-vous logique de rémunérer 3,1 millions d'euros pour une période de huit mois, qui est la période sous revue ?

M. Luc MARTY : Il faudrait, pour que l'analyse soit complète, retirer de ce montant la partie « success fee » qui, par nature, ne correspond pas à des honoraires.

M. le Rapporteur : Certes, mais rappelez-nous de combien elle était ?

M. Luc MARTY : Je n'en ai pas mémoire, mais je pourrai vous le retrouver.

M. le Président : Avez-vous en tête le coût horaire d'une heure d'avocat sur la place de Paris ?

M. Pierre SARDET : C'est variable selon la compétence et le niveau de l'intervenant, mais en moyenne, sur ce type d'activité, un avocat facture assez fréquemment entre 2 et 300 euros de l'heure.

M. le Rapporteur : Quand vous faites une division, combien d'heures trouvez-vous hors « success fee » ?

(Pas de réponse.)

M. le Rapporteur : Avez-vous fait ce calcul tout à fait primaire ?

(Pas de réponse.)

M. le Rapporteur : Le montant est de 3,146 millions d'euros. Après en avoir soustrait le « success fee », vous divisez le montant restant par 300 euros. Avez-vous fait ce calcul ?

M. Luc MARTY : Il faudrait reprendre chacune des factures et chacune des prestations. Il n'est pas exclu que, dans les factures, aient été intégrées les prestations de correspondants dans un certain nombre de cas. C'est un calcul qui, fait purement arithmétiquement, me semble présenter des risques.

M. le Rapporteur : Vous êtes experts-comptables. Je me suis livré au même travail que vous-mêmes. J'ai pris un certain nombre de factures. Les avez-vous exhaustivement examinées ? Je vous donne un exemple.

(L'huissier transmet un document aux personnes auditionnées.)

M. le Rapporteur : Etes-vous habitués à des factures ainsi libellées ?

M. Pierre SARDET : Malheureusement, monsieur le Rapporteur, c'est assez fréquent chez les avocats.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire qu'il n'y a même pas un nombre d'heures d'intervention...

M. Pierre SARDET : Pas nécessairement.

M. le Rapporteur : Vous venez de répondre que l'ordre de grandeur d'une heure pour un avocat est de 300 euros. Si vous divisez ces factures qui arrivaient par rafales par 300 euros, vous trouvez un nombre d'heures phénoménal.

M. Pierre SARDET : 300 euros en taux moyen. Certaines sommités du barreau sont payées entre 1 000 à 2 000 euros de l'heure.

M. le Rapporteur : Certes, mais pouvons-nous considérer que Me Léonzi est une sommité du barreau ?

M. Luc MARTY : Je ne sais pas. Je ne porterai pas de jugement sur Me Léonzi.

M. le Rapporteur : Oui, mais votre collègue vient de nous affirmer qu'il a fait cette vérification et qu'il estime que ces honoraires étaient tout à fait corrects. Je vous rappelle que le cabinet Léonzi a touché 5,3 millions d'euros entre le 1er août 2001 et le dépôt de bilan en février 2003, c'est-à-dire en vingt et un mois. Cela vous paraît-il normal ? Confirmez-vous les propos que vous avez tenus tout à l'heure ?

M. Luc MARTY : Je me limiterai à apprécier les factures que nous avons pu étudier et qui sont reprises pour 3,146 millions d'euros dans notre document. Ce montant intègre un « success fee » dont je n'ai plus le montant en tête, mais qui est de quelques centaines de milliers d'euros.

M. le Rapporteur : Cela faisait quand même très cher de l'heure, par rapport aux 300 euros évoqués.

M. Luc MARTY : Ces factures, qui portent sur un grand nombre de sujets dans le cadre des relations juridiques et contractuelles entre la société AOM-Air Liberté, Holco et ses différents partenaires, ne nous ont pas semblé présenter d'anomalies flagrantes, pour autant que l'on accepte l'idée qu'un avocat puisse se faire rémunérer au « success fee ». C'est une pratique courante dans ce type de contexte.

M. le Rapporteur : Vous êtes-vous posé la question de ce que représentait le chiffre d'affaires de ce cabinet fait avec Holco par rapport à l'ensemble des honoraires ?

M. Luc MARTY : Nous n'avions pas d'éléments d'appréciation. Il nous est apparu qu'Holco devait constituer l'un de ses principaux clients.

M. le Rapporteur : Avez-vous demandé à Me Léonzi le pourcentage de ses honoraires faits avec Holco ?

M. Luc MARTY : Cela ne faisait pas partie de notre mission. Nous n'avions pas à analyser la comptabilité analytique du cabinet Léonzi. En ce qui concerne les facturations du cabinet Léonzi, je ne doute pas que, comme tout avocat, Me Léonzi soit en mesure d'en justifier quart d'heure par quart d'heure.

M. le Rapporteur : Certainement. Nous l'interrogerons là-dessus.

M. le Rapporteur : Selon votre rapport, la banque Arjil, qui a été chargée d'essayer de monter le GIE fiscal, a touché 800 000 euros. Avez-vous vérifié le bien-fondé de ces honoraires ?

M. Luc MARTY : Là encore, c'est une rémunération qui est celle d'un banquier conseil dans le cadre d'une intervention qui était en cours au moment où nous sommes intervenus, vraisemblablement presque simultanément à la reprise d'AOM-Air Liberté. En effet, cette question de GIE fiscal portait sur le refinancement de deux appareils qui avaient été pour partie préfinancés par Swissair, avant la faillite d'AOM-Air Liberté.

M. le Rapporteur : Avez-vous demandé des pièces comptables lorsque vous avez fait votre audit ?

M. Luc MARTY : Nous avons demandé les pièces comptables.

M. le Rapporteur : Cela vous a-t-il paru correct ?

M. Luc MARTY : Il n'était pas possible d'apprécier la nature exacte et le volume d'intervention, sachant que ce versement était un acompte.

M. le Rapporteur : De 300 000 euros sur 800 000.

M. le Président : Nous sommes arrivés au terme de cette audition. Je vous remercie pour vos informations.

Audition de M. Noël Forgeard et M. Claude Brandes,
directeur exécutif et directeur financier d'Airbus

Procès-verbal de la séance du mardi 29 avril 2003

Présidence de M. Xavier de Roux, vice-président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : La commission a souhaité vous entendre car votre société a été en négociation avec la compagnie Air Lib, puis avec le groupe IMCA pour l'achat d'appareils qui étaient censés permettre à la compagnie Air Lib d'adapter sa flotte à son plan d'affaires et de diminuer ses coûts d'exploitation. Pourriez-vous nous exposer brièvement ces deux épisodes de négociations ?

M. Noël FORGEARD : J'ai souhaité aujourd'hui me faire accompagner de M. Claude Brandes, car je n'ai eu moi-même que peu de contacts directs avec les représentants d'Air Lib et d'IMCA. J'ai dû rencontrer le président Jean-Charles Corbet, pour la première fois, au cours du deuxième semestre 2001 et je n'ai eu avec lui que quelques réunions dont la dernière doit se situer en juin 2002. En effet, le caractère vain de ces réunions m'avait poussé à l'orienter vers d'autres collaborateurs de notre société.

M. le Président : Pourquoi le caractère vain ?

M. Noël FORGEARD : Parce que nous disions beaucoup de choses qui n'étaient guère suivies d'effets. Ces réunions auraient donc été très consommatrices de temps et d'énergie. J'ai rapidement vu que le président Corbet avait des ambitions qui allaient probablement au-delà des possibilités de sa société.

M. le Président : Vous parlez là de la phase avec M. Corbet.

M. Noël FORGEARD : Tout à fait. Je voudrais dire également, parce que cela me paraît être une remarque liminaire importante, que finalement toutes ces réunions, tant avec Air Lib qu'avec IMCA, ont été totalement platoniques puisqu'elles n'ont abouti à rien, dans aucun domaine, ni signature de quelque contrat que ce soit, ni transfert de fonds dans un sens ou dans l'autre, entre Airbus et ces sociétés.

Pour entrer dans le détail, les relations d'Airbus avec l'une des racines du futur groupe AOM-Air Liberté ont commencé avec la signature, en juillet 1998, d'un contrat de location de deux appareils A340-200 par AOM auprès d'Airbus. Il s'agissait pour eux de remplacer des DC10 vieillissants.

Après le rachat des compagnies AOM et Air Liberté, le groupe Swissair a confirmé qu'il souhaitait poursuivre ces relations. Sa filiale, Flightlease, a alors commandé quatre appareils A340-300, un modèle plus récent, dans le but de les louer à AOM. Deux de ces avions étaient livrables à la fin de l'année 2000 et les deux autres à la fin 2001. En fait, seuls les deux premiers appareils, c'est-à-dire ceux livrables à la fin de l'année 2000, ont été livrés à AOM car, par la suite, Flightlease, filiale d'achat du groupe Swissair, a fait défaut, ce qui a conduit à l'annulation du contrat de vente des deux derniers A340-300.

Cependant, la nouvelle compagnie Air Lib confirmait avoir besoin de ces avions. Dès novembre 2001, des discussions ont été entreprises avec la direction d'Holco qui confirmait la volonté de disposer des A340. Nous sommes, à partir de là, entrés dans une longue période de discussions qui s'est étendue de novembre 2001 à juillet 2002 pour la vente des A340-300 à Air Lib.

Il y avait une motivation de la part d'Air Lib et de notre part, puisque nous avions ces deux appareils qui pesaient sur nos stocks et qui n'étaient pas placés. Nous avons fini par formuler une offre ultime, que je me rappelle avoir personnellement approuvée, sinon dans ses détails, du moins quant à son niveau, un prix extrêmement attractif pour ce type d'avion.

M. le Président : De quel ordre est cette décote ?

M. Noël FORGEARD : Cela dépend de la configuration de l'appareil, mais 100 millions de dollars n'est pas un prix déraisonnable pour un A340.

M. le Président : Pourquoi une telle décote ?

M. Noël FORGEARD : Parce que nous avions les appareils en stock et qu'aucun client n'était prêt à les prendre. D'autre part, nous avions en caisse les acomptes reçus de Flightlease à hauteur de 27 millions de dollars par avion. Ces acomptes nous étant définitivement acquis - ce point aura son importance pour la suite - au terme du contrat que nous avions avec Flightlease, nous pouvions donc considérer que la recette que nous aurions sur ces avions était le le prix qu'Air Lib aurait dû payer plus les 27 millions de dollars reçus de Flightlease.

Nous étions allés assez loin dans cette discussion avec Air Lib, au point d'ailleurs de faire quelques concessions dans d'autres domaines. Il y avait des impayés sur le contrat de location des A340-200 que j'ai cités au début. Nous les avions remis pour essayer de régler l'affaire. Ensuite, la disparition subite de Swissair a privé Air Lib de l'injection de capitaux qu'ils attendaient, c'est-à-dire les 400 millions de francs cités à plusieurs reprises. Je ne sais absolument pas si ce montant est exact ou pas. Les conseillers financiers d'Holco ont imaginé que l'achat des A340 à Airbus pourrait en fait contribuer à boucher le trou financier d'Air Lib.

M. le Président : Qui étaient les conseillers financiers d'Holco qui apparaissaient dans la négociation ?

M. Claude BRANDES : Essentiellement la banque Arjil, ainsi que le conseiller juridique qui avait piloté l'opération de reprise d'AOM-Air Lib, le cabinet Léonzi.

M. le Président : Selon vous, la transaction pouvait-elle éventuellement contribuer à boucher le trou financier d'Air Lib ?

M. Noël FORGEARD : Cela peut sembler paradoxal puisqu'un achat se traduit plutôt par un décaissement et non pas par un encaissement. L'idée était de créer une structure de lease fiscal, basé sur l'article 39-CA du code des impôts. Holco nous aurait acheté les avions au prix attractif dont nous avons parlé précédemment, les aurait revendus au vrai prix de marché - disons 100 millions - à la structure de lease fiscal qui les aurait financés par des apports de capital et de dette auprès de partenaires financiers.

On est entré dans une période de plusieurs mois dans laquelle il y a eu plusieurs partenaires financiers putatifs. Au final, l'affaire n'a jamais pu se monter.

M. le Président : Qui avez-vous vu en termes de partenaires financiers ?

M. Noël FORGEARD : Il y a eu le Crédit agricole à la fois en tant qu'arrangeur et prêteur.

M. Claude BRANDES : Il y a eu PKAirfinance , une filiale du groupe General Electric et un partenaire fondamental dans l'opération qui était Air France.

M. le Président : Quel était le rôle d'Air France dans l'affaire ?

M. Claude BRANDES : Le rôle d'Air France consistait à reprendre les avions dans l'hypothèse où, pendant la durée initiale du financement, c'est-à-dire huit ans et huit mois, Air Lib n'aurait pas survécu. C'est une garantie qui permettait en particulier d'assurer aux apporteurs de capitaux que les bénéfices fiscaux qu'ils retiraient de la structure mise en place ne seraient pas remis en cause par l'administration fiscale. C'était un point d'ancrage fondamental. C'est une des raisons pour lesquelles l'opération ne s'est pas réalisée en juin, comme on le supposait.

M. le Président : C'est à cause d'Air France.

M. Claude BRANDES : C'est une des raisons. Il y a trois intervenants dans l'opération : les apporteurs de capitaux ou investisseurs, les prêteurs et Air France qui était le liant et qui devait donner confiance à la fois aux investisseurs et aux prêteurs. On ne peut pas imputer la responsabilité de l'échec sur le A340-300 à l'un ou l'autre, mais force est de constater qu'à fin juin 2002, l'opération ne se mettait pas en place.

M. le Président : Les prêteurs étaient Crédit Agricole Indosuez.

M. Claude BRANDES : Au départ, mais par la suite, le Crédit agricole a eu des exigences telles que l'opération ne pouvait se monter. Un autre prêteur, la société PK Airfinance, filiale du groupe General Electric, est intervenue jusqu'à son renoncement fin juin 2002.

M. le Président : Qui était l'investisseur ?

M. Claude BRANDES : Il n'y a jamais eu d'investisseur.

M. le Rapporteur : Vous qui avez une grande pratique de ces montages, comment vous expliquez-vous, alors que vous aviez fait un effort considérable -  -, qu'ils n'aient jamais réussi à monter ce GIE fiscal ?

M. Noël FORGEARD : Il s'agissait de financer l'avion au prix de 100 millions et non au prix consenti à Holco.

M. le Rapporteur : Oui, mais il y avait la garantie d'Air France.

M. Claude BRANDES : La garantie d'Air France n'était pas inconditionnelle. L'objectif, pour rassurer tout le monde, aurait été qu'Air France, dès l'instant où Air Lib disparaissait d'une manière ou d'une autre, reprenne du jour au lendemain les avions et à un loyer qui soit acceptable.

Les discussions du premier semestre 2002 ont porté sur les conditions de reprise des avions par Air France. Comme vous pouvez l'imaginer, Air France avait des difficultés à la fois sur le loyer et les conditions de reprise des avions. Quel que soit le financement et quels que soient les avantages qui peuvent être consentis par un client, que ce soit sur le prix de l'avion ou sur le bénéfice fiscal, c'est le client qui est fondamental dans l'appréciation du risque. Or Air Lib, même pendant la première année de l'année 2002, n'a jamais suscité une confiance telle que soit les investisseurs, soit les prêteurs étaient prêts à monter dans l'opération.

M. le Rapporteur : Sans trahir des secrets commerciaux, le prix des A340 achetés sur la même période par Air France était-il inférieur ou supérieur à 100 millions de dollars ?

M. Claude BRANDES : Le prix consenti à Air France pour l'achat de ses avions était plus proche de 100 millions que celui consenti à Air Lib.

M. le Rapporteur : Vous aviez donc fait un effort tout à fait exceptionnel.

M. Claude BRANDES : Malgré cet effort exceptionnel sur le prix, le financement n'était pas là. Il est important de savoir que, dans un financement aéronautique, l'actif, c'est-à-dire l'avion, joue un rôle fondamental. Or on aurait pu supposer que soit des investisseurs, soit des prêteurs, guère confiants dans l'avenir d'Air Lib, auraient été davantage confiants dans le prix de l'avion qu'ils pouvaient récupérer en cas de défaut. Toutefois, tous les prêteurs et investisseurs approchés se sont focalisés sur la situation d'Air Lib et les conditions dans lesquelles, éventuellement, ces avions seraient repris par Air France.

M. le Rapporteur : Vous avez indiqué qu'Air France était intéressé, mais dans quelles conditions précisément.

M. Claude BRANDES : Du côté d'Air France, il y a eu trois obstacles essentiels. Le premier, c'est que, dès le départ, Air France a indiqué clairement qu'à l'expiration initiale du financement, ils n'achèteraient pas les avions. Nous avions une structure fiscale faite sur treize ans et la période initiale était de huit ans et huit mois. Or, à la fin de cette période, les prêteurs s'attendaient à ce qu'Air France achète l'avion. Si Air France n'achetait pas l'avion, cela signifiait que les prêteurs récupéraient l'avion et devaient le vendre sur le marché. Dans une période post-11 septembre, c'est une situation que les prêteurs n'aimaient pas trop.

Le deuxième obstacle était le montant du loyer. Air France ne souhaitait pas payer davantage que 500 000 dollars par mois, hors les réserves de maintenance pour faire en sorte que l'avion soit correctement entretenu. Au regard d'un tel chiffre, lorsqu'on essaie d'amortir la dette, on s'aperçoit que, et ce compte tenu de l'attitude des prêteurs, l'on ne parviendrait pas à boucler la partie dette de l'opération. D'où une autre difficulté : qui allait prendre en charge cette partie dette qui n'était pas apportée ou que les prêteurs ne souhaitaient pas apporter ?

Le troisième obstacle était les conditions de reprise de l'avion par Air France. Les questions suivantes se posaient : dans quelles conditions la compagnie Air France accepterait-elle de reprendre les avions ? Comment les avions devraient-ils être entretenus par Air Lib ? Air France aurait-elle un droit de regard sur les conditions de l'entretien ? Dans l'hypothèse où l'avion ne serait pas transféré à Air France dans des conditions satisfaisantes, qui paierait les frais et au bout de combien de temps Air France serait amenée à récupérer ces avions ? Si la période entre Air Lib et Air France est d'un mois, tout le monde peut le supporter, mais au-delà, Air France continuant à payer des loyers, elle n'y retrouverait pas son compte.

M. le Rapporteur : Cela dure plusieurs mois et, au final, vous vendez à Air Tahiti Nui.

M. Noël FORGEARD : C'est là que le mot «vain», que j'ai utilisé tout à l'heure, apparaît. Au mois de juin 2002, j'ai commencé, en tant que patron d'Airbus, à m'énerver parce que j'avais toujours ces avions en stock et que je voyais bien que les discussions ne menaient nulle part.

Je crois que c'est à cette époque que nous avons signifié à Air Lib qu'il pouvait toujours acheter les avions, mais que nous ne les réservions plus. Air Lib pouvait les prendre sous réserve que personne d'autre ne les ait pris entre-temps. Puis l'affaire avec Air Tahiti s'est nouée et les avions ont été, à notre grande satisfaction, vendus à cette compagnie en août.

M. le Rapporteur : A quel prix les avez-vous vendus ?

M. Claude BRANDES : A un prix équivalent à celui d'Air Lib .

M. le Rapporteur : Les acomptes versés par Swissair, puis transférés suite à la décision du tribunal, vous étaient-ils acquis ?

M. Noël FORGEARD : Le contrat qui liait le groupe Airbus à Swissair est tout à fait explicite en cas de défaillance de l'acheteur. Les acomptes sont acquis au fabricant. Je peux vous expliquer le pourquoi de cette pratique très générale dans les contrats d'avion.

Quand un acheteur fait défaut, le fabricant doit supporter l'avion en stock pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, et surtout le reconfigurer. On n'imagine pas à quel point un avion comporte des éléments spécifiques à un client. Les avions sont de plus en plus faits sur mesure. La cabine, voire certains des systèmes, sont totalement spécifiques. Puis il y a des frais de remarketing. C'est la raison pour laquelle les acomptes sont acquis au fabricant si l'acheteur fait défaut.

M. le Rapporteur : Peut-on dire qu'en définitive Airbus s'en est bien tiré ? En effet, vous avez touché les 27 millions d'acompte que vous avez pu placer en attendant, plus le prix payé par Air Tahiti, c'est-à-dire que grosso modo, vous avez vendu ces avions au prix moyen que vous les vendez habituellement et que, pour Air Tahiti, cela a été une opération très intéressante. Peut-on dire cela ?

M. Claude BRANDES : Je ne le pense pas.

M. le Rapporteur : In fine, vous ne pensez pas que cela a été une bonne affaire pour Airbus.

M. Claude BRANDES : N'oublions pas que ces avions étaient disponibles depuis le mois d'octobre 2001 et qu'ils n'ont quitté le parking d'Airbus qu'à la fin de l'année 2002. Nous espérions une recette sur ces avions dès octobre 2001.

M. le Rapporteur : Même en considérant que vous avez supporté un coût de financement à 4,5 ou 5 % à l'époque, sur 100 millions, cela fait cinq millions. Certes, il y avait les coûts de transformation. De quel ordre ont-ils été pour cette opération ?

M. Claude BRANDES : Dans ce cas particulier, ils ont été de 7 ou 8 millions de dollars.

M. le Rapporteur : Vous vous êtes quand même bien sortis de cette affaire.

M. Noël FORGEARD : Certes, mais alors que nous aurions pu espérer une recette de 100 millions de dollars à la fin 2001. En l'occurrence, c'est plutôt une transaction qui se situe, pour nous, dans les 85 millions de dollars.

M. le Président : Pour en revenir au coeur de l'affaire qui nous concerne et qui est le financement d'Air Lib, avez-vous eu le sentiment d'une pression des pouvoirs publics pour arriver à ce marché ?

M. le Rapporteur : Avez-vous subi des pressions sur cette affaire ou avez-vous été totalement libres ?

M. Noël FORGEARD : Nous avons subi, de la part du ministre des Transports de l'époque, M. Jean-Claude Gayssot, des invitations à essayer de conclure cette affaire. M. Jean-Claude Gayssot, qui a été un excellent ministre de l'aéronautique, voulait en l'espèce trouver une solution pour une compagnie qui comportait des emplois. De même que ses successeurs plus tard, il essayait en toute bonne foi de trouver une solution.

Comme ce surfinancement des avions était un élément de solution, il nous y encourageait. Néanmoins, il était démuni car il ne pouvait pas convaincre les investisseurs défaillants.

M. le Rapporteur : Le ministre vous a-t-il appelé en personne ou cela s'est-il passé au niveau de votre directeur de cabinet ou votre directeur financier ?

M. Noël FORGEARD : Je ne pense pas que M. Gayssot m'ait appelé directement. En revanche, je lui rendais visite environ trois fois par an pour faire un tour d'horizon sur Airbus, car nous avons beaucoup de relations d'affaires avec le Ministère, en particulier les avances remboursables pour le développement des Airbus. Nous avons certainement, à une occasion ou une autre, évoqué cette question avec M. Gayssot. Je n'en ai pas de souvenir précis.

M. le Rapporteur : Il n'y a donc pas eu de marché avec un écrit.

M. Noël FORGEARD : Pas du tout.

M. le Rapporteur : Les pressions n'ont pas été très fortes.

M. Noël FORGEARD : Non, d'ailleurs s'il m'avait été demandé de vendre l'avion 60 millions, j'aurais refusé.

M. le Président : Je souhaiterais étendre la question. Avez-vous eu le sentiment du rôle que jouait l'Etat dans le montage de ce marché ou avez-vous eu le sentiment que c'était plutôt une affaire très privée entre le Crédit agricole, Air France et les autres partenaires ?

M. Noël FORGEARD : Je parle sous le contrôle de M. Brandes. J'ai eu le sentiment que l'équipe d'Air Lib était très désemparée. Elle faisait le tour de Paris pour trouver une solution. Elle recueillait de bonnes paroles dans les cabinets des ministres. Elle essayait de monter son tour de table financier sans y parvenir. Il a dû y avoir quelques coups de fil entre Bercy, le ministère des Transports et les investisseurs potentiels, mais tout cela n'a jamais vraiment convergé.

M. le Rapporteur : Vous avez dit tout à l'heure avoir eu quelques contacts avec M. Corbet, puis avoir confié l'affaire à votre directeur financier. Vous avez laissé entendre que ces relations n'aboutiraient à rien. Hélas, la suite l'a prouvé, mais quels sont les éléments qui vous avaient amené à cette conclusion ?

M. Claude BRANDES : Dès l'instant où la structure fiscale, qui était la condition indispensable à l'opération, ne voyait pas le jour, que les prêteurs n'étaient pas légion -du moins ceux qui existaient ont disparu assez rapidement- et qu'il n'y avait pas d'investisseur, il n'y avait strictement aucune perspective de mise en oeuvre de l'opération.

Il est important de souligner que, certes, Airbus a fait de gros efforts sur les prix, mais sans la mise en oeuvre de la structure fiscale, l'opération pour Air Lib ne présentait aucun intérêt.

M. le Rapporteur : Aviez-vous demandé des éléments financiers sur la situation du groupe Holco et de sa filiale, la société d'exploitation Air Lib, pour conseiller votre président avant qu'il ne prenne sa décision ?

M. Claude BRANDES : Oui, nous avons eu des contacts très larges et non pas seulement limités au président d'Holco et les responsables d'Air Lib. Nous avions donc une idée très précise de ce qu'était la situation financière d'Air Lib. Il est évident que, dès l'instant où notre intervention dans l'opération se limitait à la vente de l'avion, même si nous avons eu peu à peu d'autres engagements financiers, nous n'avions aucune raison particulière d'aller plus avant dans l'analyse de la situation financière d'Holco.

M. le Rapporteur : La compagnie Air Lib vous avait-elle remis des documents financiers sur sa situation et ses perspectives ?

M. Claude BRANDES : Non pas officiellement.

M. le Rapporteur : Avez-vous négocié avec le groupe Holco ou la société d'exploitation ?

M. Claude BRANDES : Les partenaires à la table des discussions étaient le président Corbet, qui présidait à la fois Holco et Air Lib, le directeur financier d'Air Lib et le conseiller financier de la banque Arjil chargée de trouver un investisseur et de convaincre Bercy d'accepter une structure dérogatoire par rapport à ce qui se fait dans ce domaine.

M. le Rapporteur : Qui était le responsable à la banque Arjil de ce dossier ?

M. Claude BRANDES : Il y avait trois personnes dont un partenaire d'Arjil M. Jean-François Court. Cette personne, qui connaissait bien les arcanes de Bercy, a été l'un des éléments clés pour négocier avec l'administration fiscale.

M. le Rapporteur : Dans vos négociations avec la plupart des compagnies, est-ce courant d'avoir une banque d'affaires type banque Arjil ?

M. Noël FORGEARD : Pas du tout. Cela n'arrive jamais. Dans ce cas précis, la négociation était très particulière puisqu'il s'agissait accessoirement de vendre des avions, mais surtout du point de vue des acheteurs, de trouver un financement.

M. le Rapporteur : La commission versée à la banque Arjil pour essayer de trouver un financement s'élève à 800 000 euros. Est-ce quelque chose qui vous étonne, vu les pratiques du milieu ?

M. Noël FORGEARD : Non.

M. le Rapporteur : Bien qu'il soit exceptionnel d'avoir une banque d'affaires qui aide à trouver un mode de financement.

M. Noël FORGEARD : Il n'est pas exceptionnel qu'une banque d'affaires aide à trouver un financement, mais il est rare qu'une banque d'affaires soit associée à une transaction commerciale. Toutefois, je ne vois rien de très étonnant à ce qu'Holco et Air Lib aient pris une banque d'affaires, même si l'intervention de la banque Arjil, me semble-t-il, portait surtout sur le GIE fiscal et la recherche d'un investisseur.

Pour éviter toute zone obscure, la banque Arjil se trouve être, par une pure coïncidence, une filiale du groupe Lagardère qui est l'un des actionnaires de référence du groupe EADS, dont Airbus est elle-même filiale. Mais c'est une coïncidence totale, à moins que les dirigeants d'Air Lib Holco aient fait le raisonnement que cela pourrait aider. Toutefois, à ma connaissance, il n'y a eu à aucun moment de contacts directs ou sans témoin entre nous et la banque Arjil.

M. le Rapporteur : Avez-vous pu savoir la raison pour laquelle ils avaient pris la banque Arjil ?

M. Claude BRANDES : Je crois que la banque Arjil a dû intervenir dans la reprise par Holco, donc M. Corbet, de la mouvance Air Liberté AOM. Je pense que les contacts se sont noués à ce moment-là.

M. le Rapporteur : Il y avait une autre banque canadienne, mais c'est surtout la banque Arjil qui a été largement rémunérée à cette fin.

M. Claude BRANDES : La CIBC est la banque canadienne qui, au demeurant était sur le point de se retirer du financement aéronautique, a été approchée dans l'opération A340-300 afin d'apporter de la dette, mais qui n'a pas hésité longtemps avant de faire savoir qu'elle n'était pas intéressée par l'opération.

M. le Président : C'est un point important pour nous parce que cela fixe le cadre. Ainsi la CIBC n'a manifesté aucun intérêt à la création du GIE fiscal.

M. le Rapporteur : Les avez-vous vus assister à des réunions ?

M. Claude BRANDES : Une seule fois.

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous de la personne qui était présente ? N'était-ce pas un dénommé David Mongeau ?

(Ils répondent par la négative au nom de David Mongeau.)

M. Claude BRANDES : Les personnes qui participaient aux réunions étaient des représentants de la banque à Londres.

M. le Rapporteur : Oui, mais ce sont des représentants de la banque à Londres qui sont venus conseiller Holco.

La deuxième partie de notre entretien concerne les négociations engagées par IMCA, fin 2002 début 2003, pour l'achat d'appareils neufs. Quel a été votre rôle dans ces discussions et ces négociations, et les propositions exactes formulées par M. de Vlieger ? Comment se sont déroulées les négociations et pourquoi n'ont-elles pas abouti ?

M. Noël FORGEARD : Pour l'exhaustivité des débats, entre la phase dont on vient de parler et celle que nous allons aborder, il y a eu encore quelques tentatives avortées de lease fiscal d'autres avions que des A340-300. Par exemple, nous avons essayé avec un A330 d'Air Louxor que nous avions en stock et que nous appelons dans notre jargon une «queue blanche», avec des A320 d'occasion de la compagnie australienne Ansett qui étaient restés sur les bras des Agences de Crédit Export. Nous avons cherché tous les avions sur lesquels des prix très bas pouvaient être consentis afin d'aider à la mise en place d'une structure fiscale qui aurait aidé à résoudre leur problème de financement. Rien de tout cela n'a marché.

M. Claude BRANDES : Concernant les avions d'occasion, la propriété n'était pas celle d'Airbus. Ces avions appartenaient aux Agences de Crédit Export, donc aux gouvernements européens. Par ailleurs, il y avait un problème de principe juridique qui se posait dans la mesure où une structure fiscale, telle que nous l'avons rapidement évoquée, ne peut fonctionner que pour des avions neufs et non pas des avions d'occasion.

M. Alain GOURIOU : De manière générale, dans quel délai la société Airbus est-elle capable de fournir un achat qui peut s'avérer urgent ? Avez-vous des avions en stock ?

M. Noël FORGEARD : Nous ne fabriquons les avions que sur commande. Il peut arriver, et c'était le cas de cet avion d'Air Louxor, que l'acheteur fasse défaut. Nous avons donc un avion en stock que nous essayons de revendre.

En ce qui concerne les avions d'occasion, nous en avons effectivement une flotte. A cet égard, nous avons une activité que l'on appelle d'«asset management». Ce sont des avions dont, pour une raison ou une autre, nous avons dû financer la vente et donc que nous louons. Ils peuvent revenir chez nous auquel cas nous les replaçons ailleurs.

M. Alain GOURIOU : Combien d'unités avez-vous dans cette flotte d'occasion ?

M. Noël FORGEARD : Plusieurs dizaines d'avions, mais essentiellement des avions de génération ancienne, des A310 de différents types, des A300, beaucoup plus que des avions modernes.

M. Claude BRANDES : Il faut distinguer deux choses dans l'«asset management».

Ce sont tous les avions sur lesquels Airbus, d'une manière ou d'une autre, a pris un engagement financier. Cela ne signifie pas que ces avions sont disponibles à la revente. Ils sont chez les clients, mais il y a un engagement financier qu'Airbus suit de manière attentive.

La deuxième catégorie, ce sont ces mêmes avions sur lesquels nous avons effectué un financement. En cas de défaut de la compagnie, nous récupérons ces avions. C'est ce type d'avion qui est recommercialisé par la structure «asset management».

M. le Rapporteur : Quel a été votre rôle dans ces négociations qui n'ont pas abouti ?

M. Noël FORGEARD : Fin 2002, il a commencé à être verbalement question d'un achat d'avions neufs de la famille A320. En tant que président d'Airbus, je suis obligé de sélectionner mes priorités, mais quand j'ai su qu'il s'agissait d'un achat d'avions neufs, je m'en suis totalement désintéressé car, connaissant le fond du problème d'Air Lib qui était de trouver du cash, il était par construction évident qu'un achat d'avions neufs ne pouvait pas permettre de générer du cash puisqu'il n'y avait pas de possibilité de réaliser une plus-value. Je me suis dit que cette affaire allait nous faire perdre encore plus de temps que la précédente.

Je ne me suis pas opposé aux contacts des équipes d'Airbus avec les responsables d'IMCA. Dans un courrier du 23 janvier 2003, IMCA a déclaré son intention d'acquérir dix-sept plus douze appareils de type A320.

M. le Président : Qui était IMCA en l'occurrence ?

M. Claude BRANDES : Erik de Vlieger.

M. le Rapporteur : C'est le groupe familial.

M. Claude BRANDES : Il a été accompagné, dans ces discussions, de M. Corbet.

M. le Rapporteur : Pour être précis, est-ce une lettre d'une commande ferme ?

M. Noël FORGEARD : Non, c'est une déclaration d'intention de négociation.

M. Claude BRANDES : Il demande à Airbus de faire une proposition pour l'achat de ces appareils : dix-sept fermes et douze options.

M. Noël FORGEARD : Il y a eu ces contacts avec une proposition en février. Pour ma part, je continuais à me demander où nous allions. Cet investisseur semblait être court en fonds pour renflouer l'entreprise. Je me demandais jusqu'où il voulait aller, jusqu'au moment où j'ai compris que le but de l'opération était, de leur point de vue, d'obtenir d'Airbus l'injection d'environ 50 millions de dollars dans Air Lib, au motif totalement fallacieux que les 54 millions que nous avions reçus en acompte de Flightlease sur les A340 étaient en quelque sorte la propriété d'Air Lib et devaient leur être rendus.

Quand j'ai pris conscience de cela, j'ai compris le pourquoi de cette initiative absurde. Il n'était évidemment pas question de rendre les 50 millions, puisqu'ils nous étaient acquis par suite du défaut de Flightlease. Pour notre part, nous n'avions strictement rien à voir dans le contentieux entre Air Lib et Swissair. La réponse était connue d'avance, c'était totalement non.

Il y a eu toute une période assez longue et très paradoxale où IMCA déclarait vouloir acheter des avions. Nous leur montrions les acomptes et leur demandions s'ils étaient prêts à les payer. Leur réponse était non et que c'était nous qui leur devions de l'argent. Ils réclamaient les 50 millions de dollars. En fait, ce qu'ils voulaient, c'était que nous injections 50 millions de dollars de fonds frais dans Air Lib, en échange d'une vague promesse d'acheter un jour des Airbus.

M. le Président : Avez-vous reçu, de la part d'IMCA, d'autres documents que cette lettre d'intention ?

M. le Rapporteur : Il n'y a eu que cette lettre, qui est une lettre d'intention et qui n'a jamais débouché sur autre chose.

M. Claude BRANDES : Ce n'est même pas une lettre d'intention, mais une lettre de consultation.

M. le Président : Cela n'a jamais été plus loin que cela ?

M. Noël FORGEARD : Non.

M. le Rapporteur : Avez-vous négocié avec M. de Vlieger en personne ?

M. Claude BRANDES : Oui.

M. le Rapporteur : Quel sentiment vous a donné M. de Vlieger au regard du dossier dont nous avons la charge ? L'avez-vous senti très intéressé par la reprise d'Air Lib ?

M. Claude BRANDES : Il voyait dans Air Lib une opportunité dans le marché aéronautique. Air Lib s'était engagé, par le biais d'une de ses divisions, Air Lib Express, à faire du « bas prix ». M. de Vlieger y a vu en l'occurrence une opportunité, compte tenu du fait qu'Air Lib avait des créneaux très importants.

La deuxième motivation était aussi de rentabiliser des investissements engagés par ailleurs par M. de Vlieger. A titre d'exemple, M. de Vlieger a acheté un aéroport dans la région de Düsseldorf. Lors des premiers contacts que nous avons eus avec lui, il nous indiquait qu'il y aurait deux centres de départ, l'un Paris, l'autre Düsseldorf.

Il y avait, ce qui est logique de la part d'investisseurs pour entrer dans l'opération, d'une part, une opportunité avec le marché français -Air Lib Express-, d'autre part, un moyen de rentabiliser ses premières approches dans le marché aéronautique.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu, à ce moment-là, des contacts avec les autorités politiques, le ministère des Finances ou de l'Equipement, ou les cabinets ? Y a-t-il eu des pressions de quelle que nature que ce soit ?

M. Claude BRANDES : Pour nous, c'était une opération purement commerciale. Si un client est intéressé à acheter des avions, nous sommes amenés à répondre et à discuter. Mais l'obstacle fondamental dans cette opération était l'aspect financier. Autant dans la première partie de l'opération, c'est-à-dire les A340, l'avion était là et il était possible de générer de la trésorerie, autant dans le cadre des A319, non seulement il n'était pas possible de générer de la trésorerie parce que les avions étaient livrables en 2004 ou 2005, donc les structures fiscales ne pouvaient avoir de sens qu'à ce moment-là, mais en plus il fallait qu'IMCA ou Air Lib paie les acomptes qui n'étaient pas négligeables.

M. le Rapporteur : Avez-vous fait l'objet de contacts ou de pressions de la part des cabinets ?

M. Noël FORGEARD : Nous avons eu des contacts avec les cabinets du ministre des Transports, du secrétaire d'Etat aux transports, M. Bussereau, et avec de hauts fonctionnaires légitimement concernés à tenter de sauver Air Lib d'un désastre et d'explorer à fond cette ultime piste. Avec la difficulté suivante : quand on n'est pas dans ces types de métier, on peut avoir des difficultés à comprendre que certaines choses ne peuvent pas marcher par construction. Pour ma part, je l'avais vu tout de suite.

M. le Rapporteur : Quelles étaient les demandes : une réduction sur les prix, aucun versement d'acompte, etc. ?

M. Noël FORGEARD : Non, cela n'a jamais été aussi précis que cela. On nous a certes demandé une réduction sur les prix, mais admettons même que nous ayons fait une grosse réduction sur les prix, cela aurait généré un delta absolument minime par rapport à celui de l'affaire A340. Jamais cela n'aurait été suffisant pour renflouer la trésorerie.

M. le Rapporteur : Combien vaut un A320 ?

M. Noël FORGEARD : Le prix moyen est de 40 millions.

M. Alain GOURIOU : M. de Vlieger n'était peut-être pas un client traditionnel des fabricants d'avions puisque son intention, en rentrant dans la participation d'Air Lib, était précisément d'orienter son groupe dans cette nouvelle activité.

M. Claude BRANDES : L'une des filiales d'IMCA avait approché Airbus pour obtenir quelques informations sur les avions, mais ce n'était pas IMCA en direct, comme cela a été le cas à un moment donné.

M. Alain GOURIOU : IMCA vous avait-il donc déjà contacté avant même ces premiers contacts dans le cadre de l'action Air Lib ?

M. Claude BRANDES : Oui, mais pas M. de Vlieger directement. C'était une filiale d'IMCA.

M. Alain GOURIOU : Il m'a semblé lire, dans une correspondance adressée par M. de Vlieger aux salariés d'Air Lib, que l'une des raisons de l'échec de son entrée en participation a été le refus d'Airbus de pratiquer des prix identiques à ceux qui auraient été pratiqués pour une compagnie à bas coût.

M. Noël FORGEARD : Je ne connais pas ce document. Mais il est possible qu'il ait utilisé cet argument.

M. Alain GOURIOU : Je l'ai vu de mes propres yeux. Selon vous, il n'y a donc pas eu, entre vous, de référence à des prix qui auraient été pratiqués à EasyJet ou Ryanair, etc.

M. Claude BRANDES : La référence a été catégoriquement refusée. Il n'était pas envisageable, d'une part, d'aller divulguer des questions commerciales qui tiennent à la relation directe entre un client et un fournisseur. D'autre part, il est évident que, dans la négociation avec IMCA, d'autres éléments devaient entrer en considération.

M. Noël FORGEARD : Supposons un instant que nous nous soyons engagés dans une discussion de réduction de prix pour ces avions.

M. Alain GOURIOU : Cela peut vous arriver avec d'autres compagnies.

M. Noël FORGEARD : Tout à fait. De toute façon, nous aurions buté sur un élément incontournable qui était la volonté claire de M. de Vlieger de ne pas sortir d'argent, mais d'en recevoir de notre part. Il était, de toute façon, hors de question pour lui de payer le moindre acompte, et toute réunion comportait invariablement la référence aux 50 millions de dollars. Les avions n'étaient qu'un prétexte, il n'avait aucun souci de comprendre ce qu'était un avion, quels seraient l'aménagement de la cabine, la densité, l'écartement des sièges... Cela prouve qu'il n'avait aucune intention probablement d'exploiter à court terme des avions.

M. Alain GOURIOU : Pourquoi avait-il alors choisi ces chiffres précis : dix-sept commandes fermes plus douze options ?

M. Claude BRANDES : La flotte d'Air Lib comportait un certain nombre d'avions McDonnell Douglas. M. de Vlieger était parvenu à la conclusion, qui était déjà celle de M. Corbet, qu'un jour ou l'autre, il faudrait remplacer ces avions. C'est le chiffre magique auquel s'ajoutaient de nouvelles dessertes que M. de Vlieger souhaitait introduire.

M. Alain GOURIOU : Les 50 millions de dollars qu'il vous réclamait ne pouvaient, de toute évidence, représenter un acompte sérieux par rapport à la commande qu'il envisageait.

M. le Rapporteur : Cette commande représentait environ 700 millions de dollars.

M. Alain GOURIOU : Il considérait les 50 millions de dollars comme un avoir qu'il aurait eu auprès d'Airbus.

M. Noël FORGEARD : Lors de nos discussions, il ne considérait pas ces 50 millions de dollars comme un acompte, il espérait bel et bien les récupérer en cash et sur-le-champ.

M. le Président : Pour résumer, les parties au contrat étaient totalement différentes, puisque c'était la filiale de leasing de Swissair qui avait contracté avec vous.

M. le Rapporteur : Avez-vous des déclarations à faire sur M. Corbet, son sérieux, sa capacité de gestion, suite aux différents contacts que vous avez eus avec lui ?

M. Claude BRANDES : Nous avons toujours entretenu des relations extrêmement cordiales avec M. Corbet. Lors de nos discussions, j'ai toujours eu l'impression d'un homme sincère et confronté à un problème insurmontable, c'est-à-dire son problème financier. La preuve de sa bonne volonté est que, pour les A340, quand nous ne sommes pas parvenus à trouver les prêteurs au niveau qui nous semblait souhaitable, il a accepté de rétrocéder une partie du bénéfice fiscal qui devait aller dans la trésorerie d'Air Lib pour participer à l'opération de montage financier. J'ai eu cette impression d'un homme sincère.

M. Noël FORGEARD : M. Corbet avait une bonne réputation de pilote à Air France. C'est un homme d'un charisme personnel certain, mais dépassé par la technicité de tous ces dossiers, entouré d'experts, de pseudo-experts ou de conseillers qui ont dû d'ailleurs lui faire bâtir cette nébuleuse.

M. le Rapporteur : Avez-vous beaucoup fréquenté Me Léonzi ?

M. Claude BRANDES : Pour ma part, je l'ai rencontré, mais pas dans le cadre de la négociation. Lors de la première négociation sur les A340, il y a eu une courte visite au cabinet Léonzi, mais par la suite, nous ne l'avons plus vu dans l'opération.

M. le Président : Je vous remercie pour toutes ces informations.

Audition de MM. Jean-Cyril Spinetta, président-directeur général d'Air France et Guy Tardieu, directeur de cabinet

Procès-verbal de la séance du mardi 29 avril 2003

Présidence de M. Xavier de Roux, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : La commission d'enquête a souhaité vous entendre car il lui est apparu nécessaire d'éclairer les relations que la société que vous présidez et la compagnie Air Lib ont pu nouer. En effet, certains des cadres dirigeants de la compagnie Air Lib étaient issus de la compagnie Air France et l'on a pu s'interroger sur le rôle d'Air France dans le projet de reprise d'AOM Air Liberté par M. Jean-Charles Corbet.

Plus généralement, on peut s'interroger sur le degré et la nature de la concurrence qui existait entre vos deux compagnies. Etaient-elles concurrentes, compte tenu des offres commerciales d'Air Lib, ou complémentaires dans la mesure où Air Lib occupait un créneau et protégeait Air France de la concurrence possible de compagnies à bas coûts ?

Je vous donne la parole pour un exposé introductif d'une dizaine de minutes, puis votre audition se poursuivra par un échange de questions et réponses.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Si l'on veut comprendre la situation créée en janvier-février de l'année 2001, il convient de se remémorer les relations entre Air France et les entreprises AOM, Air Littoral et Air Liberté dans cette période donnée jusqu'à la décision du tribunal de commerce fin juillet 2001 concernant la cession d'Air Liberté.

Je n'évoquerai que la période que j'ai personnellement connue en tant que président de la compagnie Air France. Au printemps 1998, le consortium de réalisation, le CDR, qui gère les actifs contestés ou contestables du Crédit Lyonnais et qui a reçu, parmi ces actifs, les participations détenues par Altus au sein de la compagnie AOM, décide de réaliser ces actifs. Air France est candidat et inscrit sur la « short list ». Nous allons jusqu'à la « dataroom », puis décidons de ne pas donner suite et ne pas faire d'offre de reprise dans la compagnie Air Outre-mer, laquelle est vendue par le consortium de réalisation à la compagnie Swissair.

M. le Président : Pourquoi n'allez-vous pas plus loin ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Nous n'allons pas plus loin pour deux raisons. La première est qu'allant jusqu'à la « dataroom », nous avons une vue assez exacte de ce qu'est la situation économique et financière d'AOM : elle est pire que mauvaise, elle est catastrophique. C'est une situation nette négative de l'ordre de 500 millions de francs.

La deuxième raison est que je considère qu'à l'époque, Air France a d'autres priorités, après une fusion avec Air Inter qui n'est pas achevée, que celle de se lancer dans une seconde opération avec AOM.

M. le Président : Il nous a été rapporté que vous auriez renoncé à l'achat d'AOM sur intervention de la DGCCRF qui vous aurait fait savoir que cela aurait porté atteinte à la concurrence.

M. Jean-Cyril SPINETTA : C'est vrai s'agissant d'Air Liberté, mais pas pour AOM.

Nous sommes au printemps 1998. Swissair a racheté successivement AOM, puis Air Littoral et puis Air Liberté. En ce qui concerne AOM, nous allons jusqu'à la « dataroom » puis décidons de ne pas faire d'offre. A ma connaissance, seule la compagnie Swissair fait une offre et se voit attribuer AOM pour un prix de cession dont j'ai oublié le montant.

Le deuxième élément est la cession d'Air Littoral par son actionnaire majoritaire, Michel Seydoux, à l'automne 1998. A l'époque, est candidate au rachat d'Air Littoral la compagnie Brit Air, laquelle est une société indépendante dont la chambre de commerce et d'industrie de Morlaix, avec d'autres investisseurs, est l'actionnaire de référence. A l'époque, Brit Air, qui travaille en franchise avec Air France mais qui est indépendante au point de vue capitalistique, décide de se porter candidate à l'acquisition d'Air Littoral.

J'ai moi-même rencontré M. Michel Seydoux pour l'informer que, dans le cadre du contrat de franchise que nous avions avec Brit Air, nous souhaitions continuer à développer et Brit Air et Air Littoral, si l'actionnaire, M. Seydoux, faisait le choix de Brit Air.

En septembre 1998, l'affaire parait conclue entre Brit Air et Air Littoral. Puis une offre de Swissair, plus attractive sans doute, est formulée et, en une après-midi, la société Swissair rachète Air Littoral.

Le troisième élément est la compagnie Air Liberté, détenue pour l'essentiel par la société British Airways. Après avoir enregistré des pertes considérables sur TAT, puis sur Air Liberté, M. Rob Ayling, directeur général de British Airways à l'époque, décide de vendre Air Liberté. M. Rod Eddington succédera à M. Rob Ayling.

S'agissant de cette vente d'Air Liberté, nous savons que Swissair sera à nouveau candidat. Air France décide d'être également candidat. Une première orientation est donnée dans un comité stratégique qui a lieu le 3 mars 2000. Le comité stratégique, qui dépend du conseil d'administration, réunit un certain nombre des membres du conseil et donne un accord de principe. Le conseil d'administration, qui prend la décision de faire une offre, se tient le 15 mars 2000.

Je plaide personnellement pour qu'une offre soit faite à British Airways, mais qu'elle soit assortie d'une clause conditionnelle concernant la position qui serait prise par les autorités de la concurrence. Nous savons déjà à l'époque, après une étude juridique, que les autorités de la concurrence sont françaises et non pas européennes, en application des règles européennes en matière de partage des compétences entre les Etats, les gouvernements, et Bruxelles.

Comme nous ne savons pas quelle peut être cette position des autorités de la concurrence, nous intégrons dans notre offre, formulée après ce conseil d'administration du 15 mars, une clause de conditionnalité sous réserve de la décision des autorités de concurrence et des contreparties qu'elles pourraient demander. Les Anglais nous font savoir que, dans l'autre offre qu'ils ont reçue et que nous savons venir de Swissair, il n'y a pas de clause de conditionnalité. Par conséquent, indépendamment même des problèmes de prix offerts par les uns et les autres, notre offre sera forcément moins attractive pour le conseil d'administration de British Airways puisque pas totalement certaine.

Nous décidons d'interroger, à titre officieux, les autorités de la concurrence française, la DGCCRF. Ayant eu des éléments de réponse officieux, je réunis un conseil d'administration extraordinaire, le 23 mars 2000. Nous avions même fait l'hypothèse, lorsque nous avions formulé cette offre de reprise d'Air Liberté, d'une restitution de 25 % des « slots » (autorisations d'atterrissage et de décollage à Orly), soit quatorze paires de slots. Les réponses qui nous seront données officieusement par la DGCCRF seront qu'il nous faut envisager, au minimum, une restitution de 50 %.

M. le Président : Lorsque vous dites que des réponses vous seront données «officieusement par la DGCCRF», s'agit-il de Jérôme Gallo ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : A l'époque, pour autant que je m'en souvienne, les règles en matière d'autorisations sont les suivantes : les ministres des finances et des transports signent un arrêté autorisant ou non. C'est la DGCCRF qui instruit le dossier, mais le ministre n'est pas tenu de consulter le conseil de la concurrence et, s'il le consulte, il n'est pas tenu de suivre son avis. Nous sommes dans la période où il n'est pas tenu de consulter le conseil.

Des contacts sont pris. C'est un sujet sur lequel et le ministère de l'économie et des finances et le ministère des transports sont totalement informés du projet d'Air France. L'actionnaire consulte donc la DGCCRF lors de réunions auxquelles je n'ai personnellement pas participé. Cela se fait au niveau de Matignon qui participe à des réunions pour étudier, avec la direction de l'aviation civile et la DGCCRF, comment se pose cette question de concurrence. Le retour qui nous est fait est que, selon la DGCCRF, il n'est pas possible d'envisager une restitution de slots inférieure à 50 % du portefeuille de slots détenus par Air Liberté.

M. le Président : C'est une réponse technique et non pas politique.

M. Jean-Cyril SPINETTA : C'est une réponse technique. J'apprends, juste avant le conseil d'administration extraordinaire du 23 mars 2000 que j'ai convoqué, que le ministère des finances suivra scrupuleusement les indications données par la DGCCRF.

M. le Président : Quelle était la position du ministre de l'équipement ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Pour autant que je m'en souvienne, elle était plus volontariste. Quant à la position du ministère des finances, elle consistait à dire qu'ils suivraient scrupuleusement la position des services instructeurs. Le ministre des finances de l'époque était M. Christian Sautter.

M. Gilbert GANTIER : Pour ce qui est de l'attribution des « slots », est-ce tout à fait discrétionnaire du ministre ? Par ailleurs, quand il a été question de vendre AOM, y a-t-il eu un problème de« slots » ? Lors de la première opération, vous a-t-on demandé de reprendre l'ensemble des « slots » d'AOM ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Lors de la première opération, nous ne nous sommes pas posé la question, puisque très vite nous avions décidé de ne pas faire d'offre. C'est donc un sujet que nous n'avons pas examiné. Si nous l'avions examiné, nous aurions probablement étudié attentivement la jurisprudence bruxelloise en matière aérienne, puisqu'il n'y a pas de jurisprudence française. Je n'ai pas connaissance de décisions significatives des autorités françaises de la concurrence en matière de concurrence aérienne. La seule référence est bruxelloise.

Il nous semblait que la jurisprudence bruxelloise aurait, dans un cas équivalent, demandé la restitution d'environ 25 % des « slots » et non pas de 50 %. Cela étant, c'est simplement une impression. Comme l'étude n'a pas été faite à l'époque sur AOM, je ne peux pas répondre précisément à la question.

L'ordre du jour du conseil d'administration extraordinaire du 23 mars 2000 ne comportait que ce point. Je recommande alors personnellement au conseil, qui me suit à l'unanimité, de maintenir la clause conditionnelle, sous réserve de la décision des autorités de la concurrence, puisque nous savons que cette décision risque d'être rude en termes de restitution de « slots ». Par ailleurs, j'annonce au conseil d'administration de l'époque que nous avons perdu et qu'Air Liberté sera racheté par Swissair et non par Air France.

Le 31 mars, les Anglais annoncent que la cession est réalisée en faveur de Swissair.

M. le Président : La décision du conseil d'administration d'Air France du 23 mars, dans la situation où se trouvaient les offres, revient à dire non.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait. Le délibéré de ce conseil d'administration extraordinaire est très clair. S'y expriment nombre de personnalités, dont MM. Jean-François Dehecq, M. Christophe Blanchard-Dignac, Francis Mer. Tous s'accordent pour dire qu'il n'y a pas d'autre décision raisonnable que celle-ci de la part du management de l'entreprise et de son conseil d'administration. Certains ont déploré à l'époque que la rigueur d'analyse de la DGCCRF conduise à cette décision.

M. le Président : C'est assez intéressant dans le fonctionnement de l'Etat. L'actionnaire, qui est l'Etat, vous suit et vous informe qu'en réalité, la réponse est non, sans pour autant que vous ayez exploré jusqu'au bout la piste du droit de la concurrence. En effet, tout le monde sait à l'époque que l'avis de la DGCCRF ne lie pas le ministre des finances et que ce dernier, pour des raisons de politique supérieure, peut prendre une décision contraire à celle de la DGCCRF.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Nous plaidons qu'une restitution de 25 % des «slots» est raisonnable et que, dans une telle hypothèse, on peut concevoir un plan d'affaires d'Air France et d'Air Liberté permettant de donner un contenu économique à cette reprise. Dès le conseil d'administration du 23 mars, nous savons que nous avons perdu.

M. le Président : Il s'agit quand même d'une étude de marché complexe. Quels sont vos contacts avec la DGCCRF ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : A l'époque, je n'ai pas de contacts directs avec la DGCCRF. Cela se passe via la direction générale de l'aviation civile (DGAC).

Il me semble, ce qui pourrait expliquer cette situation très surprenante sur le marché intérieur français, que les autorités de la concurrence nationale et européenne à Bruxelles n'ont jamais voulu intégrer l'effet TGV à leur raisonnement sur le transport aérien. Tout ce dossier compliqué sur lequel vous vous penchez aujourd'hui vient, du point de vue des régulateurs français et européens, d'un refus de considérer les réalités qui sont les suivantes.

Sur la plupart des lignes au départ de Paris, la France a choisi un système de concurrence intermodale entre le train et l'avion. Lorsque ce marché est concurrencé par le TGV, ce qui est le cas pour la plupart des grandes lignes, il n'y a pas d'espace de marché pour un autre opérateur aérien. En effet, le « low cost » s'appelle le TGV et lorsque le « low cost » est installé, il offre une efficacité en termes de ponctualité, de dessertes et de tarifs proposés. Entre le groupe Air France et le « low cost » qu'est le TGV, il n'y a pas d'espace pour un autre opérateur traditionnel, comme avaient eu l'ambition de l'être Air Liberté, AOM, Air Lib. C'est mon analyse.

L'erreur, dans le raisonnement des autorités de concurrence sur ce sujet, tant au niveau européen qu'au niveau français, est leur refus de considérer qu'une concurrence intermodale peut être une concurrence réelle et bénéfique pour le consommateur. Les Français ayant choisi ce mode de concurrence depuis des décennies, dès lors, les règles de concurrence élaborées dans des pays ou des univers où le TGV n'existe pas ou moins qu'en France, doivent être adaptées pour tenir compte de la réalité française.

M. le Président : Pour en revenir à Air Liberté, la compagnie rentre dans le giron de Swissair.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Déjà à l'époque, l'entreprise est dans une situation pire que mauvaise. L'entreprise, qui est en situation de fonds propres très fortement négative, s'apprête sur l'exercice à annoncer environ 300 millions de francs de perte.

Après cet épisode conseil d'administration et conseil d'administration extraordinaire, Air France sait qu'il n'est autorisé à racheter ni AOM ni Air Liberté. Nous décidons donc de nous concentrer, en termes d'acquisition, sur des compagnies régionales. Au début de l'année 2000 et dans le courant de l'année 2001, nous achetons Brit Air, Regional Airlines, Flandre Air et Proteus qui sont des opérateurs régionaux avec lesquels nous travaillons. Nous avons toujours la crainte que ces mêmes opérateurs soient progressivement achetés par Swissair et que Swissair constitue, sur le territoire français, une force de frappe qui pourrait nous inquiéter. C'est quelque chose dont nous souhaitons nous protéger.

Lors d'un conseil d'administration, le 22 ou 23 novembre 2000, une crise interne s'ouvre au groupe Swissair. Cette stratégie, qualifiée par les dirigeants de Swissair eux-mêmes comme la « stratégie du chasseur », commence à être remise en cause, compte tenu des mauvais résultats économiques et financiers de l'entreprise. Cette stratégie consistait à acheter tout ce qu'il était possible d'acheter en France, en Allemagne, en Espagne, au Portugal et en Italie, dans le domaine du transport aérien mais aussi du « catering », d'où une mobilisation considérable de capitaux.

A l'occasion de ce conseil d'administration, le président de Swissair de l'époque se trouve sur la sellette. Les banques, qui jusqu'ici l'ont fidèlement soutenu, vont certes continuer à le soutenir, mais avec moins d'enthousiasme. Il est tenu de présenter à son conseil un plan de retour à l'équilibre, justifiant tous les investissements faits précédemment.

Début ou fin janvier 2001, le président de Swissair, M. Philippe Bruggisser, remercié par le conseil d'administration, est remplacé par M. Moritz Suter, lequel est président d'une filiale régionale de Swissair, Crossair, installée à Bâle. Lorsqu'il prend ses fonctions début février 2001, il me contacte immédiatement. Nous nous connaissons parce que nous avons eu à travailler ensemble lorsque j'étais président d'Air Inter et lui-même président de Crossair. Nous nous rencontrons à Paris début février 2001.

Il me dit son intention de céder toutes les entreprises françaises qui viennent d'être achetées six mois auparavant par le groupe, c'est-à-dire Air Littoral, AOM et Air Liberté. Sans entrer dans le détail, il a le sentiment qu'un véritable sinistre économique et financier est en cours de préparation pour le groupe Swissair. Lorsqu'il me demande si je pourrais être intéressé, je lui réponds que je ne peux l'être compte tenu de ce qui a été dit quelques mois auparavant en matière de concurrence. Il le regrette car cela aurait pu constituer une piste pour nos deux sociétés. Ensuite lorsqu'il me fait part de son souhait de nommer M. Marc Rochet en qualité de président de la nouvelle entité, il me demande quelle est la nature de mes rapports avec M. Rochet. Je lui réponds que nos rapports sont excellents et que son choix me paraît opportun du fait que M. Rochet est connu comme étant un des rares grands professionnels dans le secteur du transport aérien.

S'ouvre ensuite une période compliquée au sein du groupe Swissair où se succèdent rapidement des présidents. Après M. Suter qui démissionne, est nommé un président qui ne reste qu'environ une semaine. Puis est nommé M. Mario Corti, directeur financier de Nestlé, qui était au conseil d'administration de Swissair. M. Corti demande à me voir en avril et me pose la même question que M. Suter. Je lui fais la même réponse, à savoir que c'est impossible. Il me demande ce que je pense de M. Rochet, que lui ne connaît pas. Je lui fais la même réponse qu'à M. Suter.

M. Rochet écrit assez rapidement à Air France pour demander, sur les départements d'Outre-mer, Antilles et La Réunion, à bénéficier d'un partage de codes avec Air France. J'ai l'occasion de répondre le 23 mai à M. Rochet, président d'AOM Air Liberté, que sous réserve de la possibilité qui nous serait offerte par les autorités de la concurrence, j'envisage de répondre positivement à la demande qu'il m'exprime.

Au cours d'un point d'information sur la situation en France à l'ordre du jour du conseil d'administration d'Air France du 29 mai, j'évoque cette demande formulée par M. Rochet. A cet égard, j'indique au conseil d'administration d'Air France que, sous réserve de parvenir à un accord sur les modalités du «code share», qu'il me semble qu'Air France doit répondre de manière positive à la demande de M. Marc Rochet.

Une lettre, adressée à M. Marc Rochet, est signée le 1er juin 2001 par le directeur général exécutif d'Air France pour lui confirmer, de manière officielle, que nous envisageons d'accepter de pratiquer un partage de codes sur les départements d'Outre-mer avec la future société Air Liberté ou AOM, après que le tribunal de commerce aura désigné les repreneurs.

J'ai l'occasion d'évoquer de nouveau ce sujet, lors du conseil d'administration d'Air France du 26 juin 2001, pour indiquer, après information au conseil, que nous avons répondu de manière positive. Nous écrivons ensuite à un premier repreneur qui est la société FIDEI. Cette dernière nous demande si nous accepterons de « code sharer », si elle est désignée comme repreneur par le tribunal de commerce. Nous lui répondons par écrit de manière positive le 25 juin 2001.

M. Corbet nous écrit à son tour pour s'assurer qu'il pourra faire état, auprès du tribunal de commerce de Créteil, de la possibilité de « code sharer » avec nous sur les départements d'Outre-mer. Nous lui répondons de manière positive, dans les mêmes termes et les mêmes conditions qu'à la société FIDEI et qu'à M. Rochet, par deux courriers en date des 12 et 19 juillet 2001.

M. le Président : Connaissiez-vous M. Rochet ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Très bien. Lorsqu'il était chef de l'escale d'Orly à Air Inter, je ne le connaissais pas. Ensuite, quand M. Lapautre a succédé comme président à M. Antoine Veil, il a fait venir M. Rochet à UTA où, après divers postes, il lui a confié la présidence de la société Aéromaritime. C'est une société que M. Lapautre avait tenté de mettre en place à la fin des années 80 ou au début des années 90.

Lorsque, au début des années 90, M. Seydoux décide de vendre UTA et les 35 % qu'il possède dans Air Inter au groupe Air France, M. Rochet reste un court moment à UTA. Lorsque je suis nommé président d'Air Inter, je lui propose le poste de directeur général de l'exploitation d'Air Inter, qu'il refuse au motif qu'il a d'autres projets dont celui de devenir président d'AOM. Cette compagnie a déjà subi une première faillite, laquelle est le résultat d'un épisode un peu oublié.

Pour mémoire, au départ, la concurrence s'est établie sur les lignes intérieures françaises, notamment la ligne Paris-Nice au début de l'année 1991, dans une formule qui associait la société Minerve à la société AOM et dans laquelle le Club Méditerranée, M. Trigano, avait acheté une partie du capital et avait donc quelques intérêts financiers. Cela s'est assez rapidement terminé par un désastre économique et financier. C'est à ce moment-là qu'Altus a repris les actifs et a désigné M. Rochet comme président de la nouvelle société après qu'il l'a reprise.

Par la suite, nous nous sommes rencontrés fréquemment du fait que nous étions concurrents sur le marché intérieur français. Après mon départ d'Air Inter, nous avons continué à nous voir une ou deux fois par an, pour évoquer la situation du transport aérien français. Lors de mon retour à Air France, j'ai eu quelques contacts renouvelés avec M. Rochet.

Lorsqu'en mars 2000, au moment de la vente par British Airways, nous formons le projet de reprise d'Air Lib, M. Rochet, alors président d'Air Liberté, est plutôt en faveur du projet de rachat par Air France plutôt que par Swissair. En tant que manager, il n'a certes pas à s'impliquer dans une décision d'actionnaires, mais il n'a jamais caché qu'il pensait que la reprise par Air France était meilleure que la reprise par Swissair. Pour répondre à votre question, je connais donc très bien M. Marc Rochet.

Quant à M. Corbet, je le connaissais bien aussi car il était président du syndicat national des pilotes de ligne, syndicat de pilotes majoritaire à Air France. En avril 2001, il me dit avoir été sollicité par le leader du SNPL d'Air Liberté, M. Immediato, qui l'aurait incité à formuler une offre de reprise et à se porter candidat avec d'autres, auprès du tribunal de commerce.

A l'époque, je l'ai plutôt dissuadé de se lancer dans cette aventure qui me paraissait assez audacieuse, mais il a décidé de donner suite à son projet. Par rapport à ce projet, je lui ai dit que ce projet ne me concernait pas et je lui ai conseillé de rencontrer les conciliateurs désignés pour lui expliquer la procédure à suivre pour formuler son offre. J'ai prévenu, à l'époque, et Marc Rochet et M. René Lapautre, respectivement président de la société et président du conseil de surveillance, qu'un pilote d'Air France, que je connaissais puisqu'il avait des responsabilités syndicales, voudrait formaliser une offre et que le plus simple serait qu'ils se rencontrent. Cette réunion, dont je suis incapable de vous donner la date, a lieu avec M. Rochet et peut-être M. Lapautre. Quelques temps plus tard, je rencontre M. Rochet et, sachant qu'il a rencontré M. Corbet, je lui demande si je dois tenter de dissuader M. Corbet de continuer dans ce projet. M. Rochet me répond par la négative et m'indique que, comme ils n'ont aucune offre possible, il ne s'agit pas de dissuader un candidat potentiel.

M. le Président : M. Rochet voulait-il faire une offre à ce moment-là ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Non, pas encore. La première offre qui se manifeste est celle de la société FIDEI. Nous avons écrit, le 25 juin 2001, à M. Lambert de ladite société pour l'informer que nous avions donné un accord sur le « code share », de la même façon que nous l'avions accordé à M. Rochet, car quel que soit le candidat désigné par le tribunal de commerce, nous appliquerions les mêmes règles.

Je n'ai plus les dates en tête, car j'ai suivi ce dossier d'assez loin, sauf sur les aspects sur lesquels Air France était interrogé. Je crois me souvenir que, peu de temps après le 14 juillet, tout le monde était plus ou moins convaincu que c'était la société FIDEI qui allait l'emporter, puis M. Rochet a formulé une offre, mais après le 14 juillet 2001. L'offre de M. Corbet se manifeste et se concrétise à peu près au même moment. Le tribunal de commerce de Créteil a à juger entre une offre de M. Rochet, une offre de M. Corbet et Holco et peut-être une offre de la société FIDEI.

M. le Président : Appuyez-vous l'offre de M. Rochet ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Je n'appuie aucune des offres. Dans trois lettres successives, l'une à M. Rochet, le 1er juin 2001, l'autre à FIDEI le 25 juin 2001 et la dernière à M. Corbet le 12 juillet 2001, je me suis exprimé exactement dans les mêmes termes, à savoir qu'avec le repreneur désigné par le tribunal de commerce, nous ferions un partage des codes lesquels étaient annexés aux différentes lettres, dans le cadre du plan qu'ils nous avaient transmis et qui exprimait des retraits d'activité sur le trafic domestique et les départements d'Outre-mer.

L'affaire du « code share » nous intéressait pour deux raisons. La première est qu'elle nous permettait de rationaliser nos activités en mettant à Roissy des avions de plus petite capacité, où la demande est moins forte qu'à Orly. Ces avions d'Air Liberté, qui deviendra Air Lib, étaient soit des DC10, soit des A340, de 245 à 300 sièges. Cela nous permettait de concentrer sur Orly l'ensemble de notre flotte 747-200 et 300 (plus de cinq cents sièges), là où la demande s'exprime le plus fortement.

Par rapport à une situation dans laquelle nous n'avions aucun avantage ou désavantage à ce qu'Air Liberté continue ou s'arrête, il y avait le problème social, mais dont nous n'étions pas comptables. En revanche, j'avais une inquiétude très forte. Nous sommes en juillet 2001. En l'absence d'un plan de cession de reprise décidé par le tribunal de commerce, nous allons nous retrouver avec une liquidation d'entreprise au pire des moments de l'année qui est celui des pointes et hyperpointes sur les départements d'Outre-mer. Ma crainte est d'être dans une situation où nous ne serions pas en mesure d'assurer, par nos moyens propres, les dessertes. C'était avant le 11 septembre, quand la conjoncture était encore très porteuse. Comme il n'y avait aucun affrètement possible, je craignais que nous nous trouvions, face à une situation extraordinairement difficile, avec une rupture brutale sur la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion au pire des moments, avec une première pointe en juillet et août, et une seconde fin août-début septembre, dans l'incapacité de l'assurer, avec des risques de manifestations assez violentes et un aéroport bloqué.

M. le Président : Je suppose que le ministre des transports partageait vos craintes. Mais est-il intervenu auprès de vous sur cette question précise d'assurer les capacités de transport ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait. Il me pose la question, mais nous n'avions pas les moyens en interne de dégager les avions qui nous permettaient de faire face. Nous avons essayé de voir tous les affrètements de courte durée de trois mois. Mais, en cette période de l'année qui est une période de pointe pour toutes les compagnies, il est très difficile de trouver des affrètements disponibles. Pendant l'été, c'est là que les activités charter sont les plus intenses.

Au mois de juin, à la demande des conciliateurs, je rencontre, dans un premier temps, la société FIDEI avec la banque canadienne, la CIBC, pour leur confirmer qu'Air France est favorable à un « code share » sur les Antilles. M. Corbet me demande également de le rencontrer. Je le fais comme je l'ai fait avec FIDEI pour lui donner les mêmes informations, à savoir que je suis disposé à autoriser un « code share » entre Air France, Air Liberté et AOM sur les départements d'Outre-mer, dans les conditions qui avaient été celles étudiées par M. Rochet et auxquelles j'avais déjà donné une réponse.

M. le Président : La CIBC vous demande-t-elle une participation ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Pas du tout. Le ministre des transports me demande si Air France est prêt à racheter Air Littoral, qui était dans la même situation qu'Air Liberté. Je lui réponds de manière négative, en lui rappelant qu'autant nous étions candidats en 1998, autant en 2001, c'est impossible parce que nous avons acheté Regional Airlines, Proteus Air Lines, Flandre Air et Brit Air.

Selon l'analyse que je faisais à l'époque et que je fais toujours, il y a trop d'offres sur le marché français. Dans l'hypothèse où Air France rachète Air Littoral, nous ne savons pas qu'en faire car nous avons déjà du mal à faire vivre les « hubs » de Lyon et de Clermont-Ferrand, les destinations au départ de Nantes, etc. Il y a trop d'offres sur le marché français en matière régionale. Je réponds donc au ministre qu'il est tout à fait impossible pour nous d'imaginer racheter Air Littoral. C'est le seul point sur lequel le ministre me pose de manière très précise la question de ce que peut faire Air France par rapport à la situation créée par le désengagement de Swissair.

M. le Président : Sur Air Liberté, le ministre ne vous pose aucune question.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Si, il m'en parle très souvent. Il sait qu'après les orientations données par la direction de la concurrence, il est difficile et impossible juridiquement d'envisager qu'Air France puisse se porter acquéreur. Il m'interroge parce qu'il reçoit aussi M. Rochet sur le « code share ». Je lui réponds de manière positive sur le « code share ».

M. le Président : Quelle part du chiffre d'affaires d'Air Liberté aurait représenté le partage des lignes sur les DOM-TOM ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : En dehors du charter, la totalité de son activité long courrier. C'est sur La Réunion et les Antilles qu'est concentrée la quasi-totalité, sauf les opérations charter, de l'activité long courrier d'Air Liberté et d'AOM. En termes de fréquences, lorsque l'on cumulait les compagnies AOM et Air Liberté, elles offraient autant de fréquences que le groupe Air France.

Les 26 et 27 octobre 2001, nous signons les accords définitifs décrivant dans le détail nos relations dans le cadre de ce « code share ». Ce sont deux accords techniques qui prévoient la manière dont les choses vont se dérouler. Suite à cela, Air Liberté est en mesure de commercialiser des places sur les avions d'Air France et vice versa.

Le nombre de places commercialisées sur les avions d'Air France par Air Lib est infinitésimal, moins de 1 %. Le pourcentage des places commercialisées par Air France sur les avions d'Air Lib est très significatif. Plus de 40 % des places vendues sur les avions d'Air Lib sont vendues à travers l'intervention des services commerciaux d'Air France qui reçoivent une commission pour services rendus, comme tout agent de voyages.

Sur l'hiver 2001-2002, 20 % de la totalité des coupons vendus par Air France sur les Antilles et 25 % des coupons vendus sur La Réunion l'ont été sur des vols Air Lib. 49 % des passagers sur les vols « operating » d'Air Lib sur les Antilles et 44 % sur La Réunion ont été vendus par Air France, c'est-à-dire que la moitié des sièges occupés ont été vendus par Air France. En revanche, Air Lib a vendu 1 % des vols « operating » d'Air France sur les Antilles et 0,3 % sur La Réunion. Ce sont des choses très classiques dans notre métier, dans le cadre d'accords de «code share».

Air Lib dénoue cette opération en nous demandant par écrit, à l'été 2002, une modification des règles que nous avions établies sur ce « code share ». Dans ce courrier du 27 juin 2002, ils nous indiquent que nous avons à notre disposition 80 % de la capacité des sièges opérés par Air Liberté, mais que nous devons accepter de prendre 80 % des coûts complets afférents à ces sièges. Nous refusons cette demande qui est tout à fait inhabituelle.

Air Lib nous informe le 22 juillet 2002, qu'à compter du 8 septembre 2002, ils cesseront de desservir Roissy et concentreront leurs moyens sur Orly où ils considèrent avoir des coûts moins élevés. Nous leur écrivons le 31 juillet que, dans ces conditions, nous envisageons de dénoncer l'accord de « code share » qui nous lie. Cet accord est dénoncé de manière définitive dès le mois de septembre. Nous cessons nos relations contractuelles en matière de « code share » à l'automne 2002.

Cette cessation de relation se fait sur la base de ces demandes du 27 juin 2002 faites par Air Lib de modifier les règles du jeu et en particulier de l'information donnée qu'à compter du 8 septembre, ils rapatrieront leurs vols sur Orly. Ce dernier élément est contraire à ce qui nous avait fait leur donner un accord sur le principe même du « code share ».

M. le Président : A partir de ce moment-là, vous n'avez donc plus de relations avec Air Lib.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Si, il subsiste des relations habituelles dans le domaine de la maintenance des avions. Air France, avec Lufthansa et KLM en Europe, est une compagnie qui vend de la prestation de maintenance et d'entretien d'avions à d'autres clients. Nous avons plus de cent clients à Air France. Nous continuons donc à entretenir une partie de la flotte d'Air Lib. Nous avons également des accords dans le domaine de l'informatique. L'ensemble de ces accords continuent à vivre jusqu'à la faillite. Mais ce sont des accords classiques et traditionnels.

M. le Président : Quand vous cessez vos accords commerciaux avec Air Liberté, quelle impression avez-vous de la réalité économique de votre partenaire ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Mauvaise. Lorsque j'ai eu l'occasion d'examiner la situation économique des compagnies, en 1988 pour AOM et en 2000 pour Air Liberté, elles étaient dans des situations pires que mauvaises. Ensuite, j'ignore dans quel sens la situation de chacune a évolué. Swissair les a rachetées l'une et l'autre avec Air Littoral. J'ignore ce que sont devenues ces compagnies en termes de résultats, de performances économiques. Néanmoins, à juger de la rapidité avec laquelle les Suisses voulaient s'en débarrasser en payant des sommes considérables, je suppose que la situation devait être pire que mauvaise. Sinon les Suisses, après avoir investi autant, n'auraient pas, après six mois, décidé à toute force et en payant cher, de s'en débarrasser.

La question de fond est de savoir si le projet de reprise avait une chance de réussir. Pour ma part, je pense que oui, mais un élément est venu bouleverser les choses, c'est le 11 septembre 2001. La cession est décidée fin juillet 2001. Le 11 septembre 2001 bouleverse totalement la donne en matière de situation du transport aérien au niveau français, européen et mondial. C'est un choc très rude pour toutes les compagnies aériennes.

Circonstance aggravante pour Air Liberté, ce choc met en faillite immédiate, au mois d'octobre 2001, la compagnie Swissair qui n'exécute qu'une partie des engagements pris devant le tribunal de commerce. Je n'ai plus les chiffres précis en tête, mais une partie des engagements pris par Swissair devant le tribunal de commerce n'est pas respectée. C'est une double circonstance difficile pour tous les opérateurs aériens et donc pour Air Lib. Cette conjoncture très médiocre ne s'est pas améliorée par la suite.

M. le Rapporteur : M. Corbet était pilote salarié d'Air France. A-t-il continué à l'être et quelle était sa situation dans la période juin-juillet 2001 à mars 2003 ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : La situation de M. Corbet était la suivante. Il avait bénéficié, à sa demande, à compter du 1er septembre 2001, d'un congé sabbatique d'un an. C'est une disposition qui est prévue au statut des personnels d'Air France. A l'issue de ce congé sabbatique, les salariés doivent opter soit pour une réintégration dans l'entreprise, soit une démission définitive de l'entreprise.

A l'issue de cette période d'un an, nous avons adressé à M. Corbet le courrier suivant : « Vous n'avez demandé ni prolongation de ce congé avant le 31 août, ni repris votre activité au sein d'Air France à compter du 1er septembre. Vous avez, au contraire, manifesté publiquement et à plusieurs reprises votre décision de ne pas réintégrer la compagnie. Nous en prenons acte et arrêtons votre situation à la date du 31 août 2002. »

Un an après le début de son congé sabbatique, M. Corbet a vu l'ensemble de ses relations avec l'entreprise définitivement arrêté. Il n'a donc plus été rémunéré à compter du 1er septembre 2001.

M. le Rapporteur : Il était donc encore rémunéré au mois d'août 2001.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Sans aucun doute, mais je le vérifierai.

M. le Rapporteur : Comment a-t-il pu monter, dans les mois de mai, juin, juillet et août 2001, la reprise qui demande un travail considérable, tout en continuant à être rémunéré ? Etait-il toujours pilote en activité ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait. Il était commandant de bord A340.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous préciser, sur cette période, s'il a été rémunéré, comme vous semblez nous l'indiquer, et quels ont été les vols qu'il a pu effectuer ? Quelle était sa disponibilité pour monter le groupe Holco, la reprise et les négociations qui ont pris un temps considérable ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : M. Corbet était alors commandant de bord à Air France. Il a toujours des responsabilités syndicales, même s'il n'est plus président du SNPL puisqu'il y a été remplacé, le 15 décembre 2000, par M. Jean-Pierre Fracchetti, lorsque le conseil décide de changer le bureau. Néanmoins, après le 15 décembre, il est toujours élu représentant syndical et bénéficie comme les autres, à ce titre, de repos syndicaux.

Par ailleurs, il continue à voler comme commandant de bord A340. Les pilotes ont des jours « on », c'est-à-dire des jours où ils sont engagés, et des jours « off », c'est-à-dire des jours où ils ne le sont pas. En long courrier, le nombre de jours «on» doit être de quatorze jours par mois. Par conséquent, sur un mois, un pilote dispose de quinze ou dix-sept jours où il n'est pas engagé. En plus, s'ajoutent à cela, dans le cas de M. Corbet, les facilités qu'il a en qualité de représentant syndical, c'est-à-dire quelques jours de plus chaque mois qu'il peut consacrer à d'autres activités.

M. le Rapporteur : Sur ces quatre à cinq mois, pourriez-vous nous faire le point des vols qu'il a effectués et des décharges syndicales dont il a bénéficié ?

Lors de l'émission « Capital » sur M6, M. Corbet a indiqué avoir été "en service commandé pour la reprise d'Air Lib et en avoir assuré la préparation pendant plusieurs mois, tout en étant salarié d'Air France, avec l'accord de la direction d'Air France". Confirmez-vous ces propos ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Lorsque Jean-Charles Corbet m'a informé de cette demande dont il m'a dit qu'elle venait de M. Immediato, le responsable du SNPL d'Air Liberté, je me souviens lui avoir répondu que c'était une idée baroque, surprenante. Je lui ai dit que je n'avais pas à intervenir dans sa décision, dans un sens ou un autre, et de rencontrer les conciliateurs. Je lui ai suggéré que la solution la plus simple serait d'informer MM. Rochet et Lapautre de son éventuelle candidature et de leur laisser apprécier d'eux-mêmes cette information.

Nous sommes en avril. Les choses se sont bornées à cela. En service commandé de la part de l'entreprise, certainement pas ! Je crois même lui avoir écrit, après cette émission sur M6, que s'il y avait un service commandé, ce n'était pas un service commandé de la part de l'entreprise Air France.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous fournir cette lettre ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Non, c'était un petit mot personnel que je lui ai adressé à ce moment-là. J'en ai peut-être gardé une photocopie, auquel cas je vous la transmettrai.

M. le Rapporteur : Cela ne vous paraît-il pas très difficile pour un pilote de ligne qui, en plus, a des responsabilités syndicales de monter une opération de reprise aussi délicate et importante en quatre mois, d'avril à fin juillet ? En effet, c'est seulement fin juillet que le tribunal de commerce prend sa décision. Or, au mois d'août, M. Corbet est toujours pilote. Vous qui avez été pendant des années dans les affaires, cela vous paraît-il possible de consacrer le temps nécessaire à une telle reprise tout en étant pilote et en ayant des responsabilités syndicales ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Sur le terrain des responsabilités syndicales, je ne m'exprimerai pas.

M. le Rapporteur : Il bénéficie néanmoins, à ce titre, de décharges de fonction.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Oui, certainement. J'avoue que je l'ignore. C'est un autre président de section syndicale qui l'a sollicité, M. Immediato. Je ne sais pas si tout cela a été béni ou non par le SNPL au niveau national. J'avoue que je l'ignore totalement.

Quant à consacrer le temps nécessaire à la reprise, les pilotes ont un peu de temps libre en situation normale et quand ils sont représentants syndicaux, ils en ont un peu plus à consacrer à des affaires autres que les affaires de pilotage. Disons les choses autrement. Dans cette période d'avril-mai à la fin juillet, ai-je demandé alors à M. Corbet de choisir entre le développement de ce projet et ses activités de pilote à Air France ? La réponse est clairement non. Il faisait son travail.

La situation était connue, il était venu m'en parler. Je l'avais mis en rapport avec MM. Rochet et Lapautre. M. Rochet m'avait lui-même indiqué qu'il ne fallait pas le dissuader d'essayer de monter un projet, car cela pouvait constituer une alternative possible et qu'il valait mieux avoir un projet que pas de projet du tout. C'est la manière dont les choses se sont déroulées.

Lui ai-je demandé à ce moment-là de respecter scrupuleusement l'ensemble de ses obligations ? Non. Nous avons une règle à Air France, que nous avons un peu durcie ces dernières années. Nombre de pilotes d'Air France ont d'autres activités. Par exemple, nous avons un pilote, M. Guérin, qui a récemment créé une compagnie aérienne. C'est une activité qui maintenant rassemble trois ou quatre cents emplois, alors qu'il n'y avait rien il y a trois ou quatre ans. Ils ne sont pas très nombreux, mais un certain nombre de pilotes d'Air France ont des projets d'activité. En règle générale, ils doivent en informer la direction d'Air France et avoir une situation claire, dès lors que le projet a pris forme. Il me semble que cela a été le cas de M. Corbet.

M. Gilbert GANTIER : Il y a donc une période de plusieurs mois pendant laquelle M. Corbet appartient toujours à Air France, mais il dispose de temps libre, d'abord parce qu'il y a les jours « off » et ensuite, parce qu'il est représentant syndical. Néanmoins, cela ne représente pas trente jours par mois. Connaissez-vous le nombre de vols qu'il a effectués comme commandant de bord ?

M. le Rapporteur : M. Spinetta nous communiquera l'information.

M. Alain GOURIOU : Lors d'auditions précédentes, nous avons entendu des représentants syndicaux d'Air Liberté nous indiquer qu'à leur avis, la situation économique, financière et industrielle d'Air Liberté, au moment où Swissair a repris la compagnie, était encore bonne. De votre côté, vous nous avez déclaré tout à l'heure que la situation était déjà très dégradée. Quels sont les éléments qui vous font dire cela ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Quand nous avons formulé une offre sur Air Liberté au mois de mars 2000, le constat que nous avions fait était le suivant : les capitaux propres étaient négatifs de 1 077 millions de francs, avec une estimation de perte de 307 millions de francs pour une compagnie dont le chiffre d'affaires devait être d'environ 3 milliards de francs. Quand une entreprise perd 10 % de son chiffre d'affaires, les syndicats peuvent estimer que la situation est bonne. Pour ma part, je considère que la situation était pire que mauvaise. D'ailleurs, si les Anglais voulaient se séparer de la compagnie, c'est qu'ils en avaient assez de ce désastre.

Mme Odile SAUGUES : Je souhaiterais savoir si, à un moment ou un autre, vous avez servi de conseiller technique, au moment de cette reprise, puisque Jean-Charles Corbet est resté encore un certain temps employé d'Air France. A-t-il eu recours à des services ou des conseils ? Avez-vous pu l'aider dans les montages qu'il avait prévu de faire ?

Il a beaucoup été question, dans la presse, de la titrisation des avions. Cette domiciliation des avions d'Air Liberté à l'étranger a été pointée par un certain nombre de journalistes. Apparemment Air France utilise également ce principe. Or quand il a été découvert par la presse qu'Air Lib usait de ce procédé, cela est apparu scandaleux. J'avoue ma méconnaissance totale de ce procédé. C'est pourquoi je souhaitais avoir votre avis sur ce sujet.

M. le Rapporteur : Pour préciser la question de Mme Saugues, il est rapporté que des responsables d'Air France ont aidé, au moment de la reprise, pour établir les premiers programmes de vols.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Sur le recours à des services conseillers d'Air France, non. J'ai eu, sur ce sujet, des discussions avec M. Gayssot, le ministre des transports, et M. Ricono, son directeur de cabinet. J'ai indiqué, mais ce n'était pas un conseil, que l'offre que maintenait Air Liberté sur le réseau domestique française était trop importante par rapport à la situation de concurrence sur le marché français, l'ouverture du TGV sur Marseille en juin 2001, etc.

C'est la seule fois où j'ai exprimé un quelconque sentiment sur ce sujet d'une offre trop importante, d'où une difficulté à équilibrer les coûts de l'entreprise par des recettes permettant de faire face à ces coûts.

Quant à la titrisation, j'avoue mon ignorance totale sur la raison pour laquelle les avions d'Air Lib ont été logés à tel ou tel endroit. Toutefois, en soi, cela ne me parait pas être une pratique scandaleuse. Nous le faisons également sur autorisation de la direction générale des impôts qui en est informée. Les décisions sont prises par le conseil d'administration d'Air France sur avis positif de la direction générale des impôts.

En général, il s'agit de faire des montages de financement d'avions avec parfois des créations de GIE ou de structure qui génère du déficit fiscal lequel vient ensuite, au travers des amortissements, alléger la charge fiscale de l'entreprise. Tout cela se fait en parfaite transparence entre le conseil d'administration d'Air France et le ministère des finances.

Certes, nous avons quelques avions logés dans des structures en Irlande ou ailleurs, mais dans des conditions de transparence et de connaissance de la tutelle qui sont totales.

Mme Odile SAUGUES : La DGAC en est donc informée.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait. Nous avons d'ailleurs fait un point là-dessus. Souvent, les représentants des salariés voient là des pratiques critiquables. Tout cela est géré par une filiale d'Air France qui s'appelle Air France Finances et qui ne comporte aucun salarié.

Pour ce qui est des responsables ayant aidé à faire le montage, en mars 2001, a démarré un travail avec M. Rochet. Tous les plans successifs soumis par FIDEI, MM. Rochet et Corbet, s'inspiraient du travail réalisé par M. Rochet, lequel travail a été réalisé, pour l'essentiel, dans une relation technique pour étudier la manière dont le «code share» pouvait fonctionner. Nous sommes arrivés à l'idée d'une spécialisation : eux sur Orly, les autres sur Roissy. Tout ce travail a été effectué avec M. Rochet et pas du tout avec M. Corbet lequel a repris par la suite l'ensemble de ces dispositifs.

M. le Président : Comment en a-t-il eu connaissance ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : M. Rochet, dans un premier temps, n'était pas là pour formaliser une offre. Il était là, mandaté par le groupe Swissair, pour régler une situation très complexe au plan juridique et financier, situation que je ne connais pas dans ses moindres détails. Cela consistait, pour Swissair, à la suite d'un plan de cession et d'une somme mise sur la table, à être dégagé ensuite de toute poursuite ultérieure. C'est dans ce but que M. Rochet avait été recruté par Swissair.

Ensuite pour qu'il y ait cession, il fallait qu'il y ait continuation. Un travail a donc été effectué entre M. Rochet et des personnes du programme d'Air France pour définir précisément le cadre d'un « code share ». Par ailleurs, - mais là on ne s'en est pas occupé - M. Rochet a examiné le réseau domestique. M. Rochet a d'ailleurs annoncé, bien avant la reprise, qu'il abandonnait Bordeaux, Marseille, Montpellier... et tous les autres candidats ont repris les mêmes décisions.

M. le Président : Comment M. Corbet a-t-il eu accès au plan Rochet ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Il a eu accès au plan Rochet dans les mêmes conditions que FIDEI y a eu accès. M. Rochet m'a demandé de rencontrer les représentants de FIDEI lesquels souhaitaient savoir, puisqu'ils étaient disposés à investir leur argent dans cette affaire, si Air France était prêt à respecter quelques règles du jeu, dont celles souscrites sur les «code share». J'ai reçu les représentants de FIDEI qui avaient eu connaissance, par M. Rochet, de la totalité du travail réalisé. M. Corbet l'a reçu dans les mêmes conditions.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous poser une question sur Christian Paris, qui est un de vos salariés.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Les organisations syndicales d'Air Lib nous ont rapporté qu'il avait joué un rôle important de conseil auprès des dirigeants d'Holco, en particulier de M. Corbet. A votre connaissance, est-ce exact ? Vous avait-il demandé l'autorisation de pouvoir conseiller un concurrent alors qu'il était lui-même salarié de l'entreprise ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : M. Paris est commandant de bord à Air France. Il était porte-parole du syndicat national des pilotes de ligne lorsque M. Corbet en était le président. Il est devenu depuis administrateur d'Air France. Il représente à Air France les pilotes actionnaires de l'entreprise, dans le cadre de l'échange salaires actions finalisé en 1999, après l'ouverture du capital de l'entreprise. Son mandat est de cinq ou six ans.

J'ai cru comprendre que MM. Paris et Corbet étaient amis. Je pense que cela va au-delà même de leur proximité syndicale. Que M. Paris ait joué un rôle de conseil auprès de M. Corbet dans la gestion de l'entreprise Air Lib, j'avoue que je l'ignore. Je l'ai beaucoup entendu dire, mais je n'en ai jamais eu la preuve.

M. le Rapporteur : Les représentants syndicaux nous ont rapportés qu'ils avaient vu à plusieurs reprises M. Paris conseiller M. Corbet et qu'il avait un bureau à côté du sien. A-t-il rencontré à la direction vous-même ou l'un de vos collaborateurs, pour une raison ou une autre, dans cette affaire ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Non. Il n'est jamais venu voir la direction pour demander si nous accepterions l'idée qu'il soit un conseiller officieux de Jean-Charles Corbet. Etait-il conseiller officieux de M. Corbet ou là à titre amical pour le soutenir, j'avoue que je l'ignore.

M. le Rapporteur : Il n'en a jamais parlé.

M. Jean-Cyril SPINETTA : Jamais. Par conséquent, je n'ai pas d'éléments d'information sur le sujet. Je n'ai jamais eu le sentiment personnel que des informations qu'aurait détenues M. Paris au sein du conseil d'administration d'Air France lui auraient permis de donner à M. Corbet des conseils éclairés, permettant d'adopter une stratégie qui aurait été contraire aux intérêts d'Air France.

M. le Rapporteur : Mais cela ne vous surprend-il pas qu'un actionnaire, administrateur au conseil d'administration d'Air France, conseille l'un de vos concurrents ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : S'il l'a conseillé, le résultat n'a pas été remarquable. On ne peut pas dire que cela ait nui considérablement à la position d'Air France et qu'Air France en ait souffert de manière particulière. Mais au-delà des résultats eux-mêmes, il faut juger sur les principes en l'espèce : l'a-t-il conseillé ou pas ? Encore une fois, je ne me suis jamais posé la question. Je savais qu'il était assez souvent auprès de M. Corbet, mais comme cette proximité, presque fusionnelle s'agissant de deux responsables syndicaux, durait depuis des années, je ne m'en suis pas plus étonné.

M. le Rapporteur : Quelles ont été les réactions d'Air France face aux demandes d'Air Lib de disposer de créneaux pour orienter davantage son activité vers l'Afrique, lorsqu'ils ont obtenu l'ouverture de plusieurs lignes vers l'Algérie, puis vers la Libye ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Sur l'Algérie, nous étions au courant dès l'origine. M. Rochet avait travaillé sur ce dossier, puis FIDEI et M. Corbet avaient repris la même idée.

En 2000, le président Bouteflika est venu à Paris en visite d'Etat. A l'époque, il n'avait pas été possible de trouver un accord avec les autorités algériennes pour reprendre nos vols sur Alger, au départ de Paris et de Marseille. Sur un dossier sur lequel des problèmes compliqués de sûreté se posaient pour nous, il ne nous avait pas paru choquant que la compagnie Air Lib se positionne sur ces marchés. Dans les plans remis auprès du tribunal de commerce par M. Rochet, FIDEI et M. Corbet, l'ouverture des lignes au départ de Paris et Marseille sur Alger était prévue.

La Libye est venue ensuite. Honnêtement, nous n'avons manifesté aucun intérêt pour ces dessertes qui sont, d'ailleurs, d'un intérêt économique assez modeste.

En revanche, nous n'avons pas été ravis lorsque Air Lib a manifesté l'intérêt d'ouvrir des lignes sur l'Afrique de l'Ouest, car c'était totalement contraire aux intérêts d'Air France. Si l'exploitation avait commencé, il y aurait probablement eu une concurrence assez vigoureuse avec Air Lib.

M. le Rapporteur : Vous connaissiez M. Corbet dans le cadre de ses activités syndicales. Mais en juillet 2001, quand le tribunal de commerce lui a confié le groupe qui est devenu Air Lib, considériez-vous qu'il avait les capacités et les moyens financiers de gérer un tel groupe ? Vous avez indiqué que, lorsqu'il a abordé cette question avec vous en avril 2001, vous lui aviez déconseillé de s'engager dans cette aventure. Quel a été, selon vous, la motivation qui l'a poussé à s'investir dans cette affaire ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Je considère M. Corbet comme un homme assez audacieux et imaginatif, qui aime les défis. Son éviction du syndicat, quelques semaines ou mois auparavant, le 15 décembre 2000, lui était restée en travers de la gorge.

M. le Rapporteur : Pour quelles raisons avait-il été évincé ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Ils sont tous évincés les uns après les autres, en tout cas à Air France. Un an après, M. Fracchetti a été évincé à son tour par l'équipe actuelle. Cela tourne malheureusement très vite.

M. le Rapporteur : Quels ont été les reproches formulés à l'encontre de M. Corbet par son syndicat ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : On lui reprochait de ne pas suffisamment respecter la démocratie syndicale, d'avoir une vision trop personnelle et autoritaire de la conduite du syndicat, pas suffisamment collégiale et ouverte sur la délibération collective.

Quant aux capacités et moyens financiers de M. Corbet, il me semble que ses capacités d'enthousiasme étaient grandes. Parfois, il niait un peu les contraintes du réel. J'avais été très surpris par son choix d'un directeur général qui s'était porté sur M. Bachelet, lequel avait quitté l'entreprise depuis deux ans et était retraité. Les deux hommes se connaissaient pour avoir travaillé ensemble sur le cargo. M. Bachelet avait incontestablement les compétences professionnelles pour redresser l'entreprise.

Toutefois, le 11 septembre a complètement bouleversé la donne. Les moyens financiers, donnés par Swissair dans le plan de cession, étaient un peu courts, au regard de la grande difficulté dans laquelle se trouvait l'entreprise.

Dernier élément, il me semble qu'ils ont été quelque peu ambitieux dans le plan de reprise, en termes de maintien d'activité. Ce plan de reprise aurait eu plus de chance de réussite s'ils avaient accepté, en juillet 2001, une contraction d'effectifs plus vigoureuse et le maintien de moins d'avions dans la flotte.

M. Gilbert GANTIER : J'aurais deux questions. La première concerne le conseil d'administration d'Air France. Vous présidez ce conseil, qui compte un très grand nombre d'administrateurs. Le premier point de cette question est le suivant. Un des administrateurs est l'Etat, qui est de plus votre actionnaire principal jusqu'à aujourd'hui. Or l'Etat est également en charge de la puissance publique, des « slots », etc.

Durant ces dernières années, les représentants de l'Etat au conseil d'administration d'Air France ont-ils toujours scrupuleusement suivi vos orientations dans cette affaire, ont-ils fait des observations ou sont-ils restés totalement neutres ?

J'ajoute qu'au conseil d'administration, il y a également des représentants des personnels, dont M. Paris. Dans vos débats sur les relations avec AOM, Air Liberté, Air Lib, etc., les représentants des personnels, notamment M. Paris, ont-ils pris des positions particulières concernant ces sociétés et les rapports qu'Air France devait entretenir avec ces dernières ?

Ma deuxième question est la suivante. Nous avons évoqué tout à l'heure les avions logés à l'étranger, tant qu'en ce qui concerne Air Lib qu'Air France. A cet égard, vous avez souligné qu'Air France sollicitait toujours l'accord de la direction générale des impôts. Quelle est la situation juridique de ces avions ? Sont-ils propriété d'une société irlandaise, mais néanmoins immatriculés en France ? Avez-vous une filiale dont la vocation est de gérer les avions logés à l'étranger ? De ce point de vue, nous croyons savoir qu'Air Lib avait une filiale.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous avez indiqué que le 11 septembre avait changé les données. Ce matin, lors de son audition, le directeur de cabinet du ministre de l'équipement de l'époque accordait également une importance très grande au 11 septembre, mais nous n'avons pas su exactement quelle était la part des choses. En d'autres termes, quel a été l'élément déterminant dans l'affaire d'Air Lib : le 11 septembre, le management ou l'ambition d'un plan pour lequel M. Corbet n'avait pas les moyens de sa politique ?

Après le 11 septembre, avez-vous été interrogé, à titre de conseil, par les autorités de l'Etat quant aux mesures que vous estimiez encore possibles de prendre pour sauver Air Lib ? L'Etat vous a-t-il demandé conseil, en particulier avant de donner son accord sur les moratoires et les prêts, notamment le prêt FDES ?

M. Jean-Cyril SPINETTA : Pour répondre à la question de M. Gantier, de 1998 à 2001, les personnalités du conseil d'administration n'ont jamais manifesté de divergences de vue avec les propositions faites par le président du conseil d'administration et le management d'Air France. Ces propositions ont été le rachat d'Air Liberté en 2000, l'indication clairement donnée qu'une demande de « code share » était présentée et que, selon toute probabilité, nous y répondrions de manière positive. J'ai informé au préalable le conseil d'administration de ces propositions, puis j'en ai rendu compte par deux fois devant ce même conseil et le comité central d'entreprise d'Air France.

Au sein du comité d'entreprise, certains salariés ont été réellement hostiles à ces propositions. Quant au conseil d'administration, seul un administrateur salarié, représentant la CGC, a manifesté un peu d'hostilité. Il n'était pas favorable à cette orientation.

S'agissant des avions logés à l'étranger, je ne peux pas m'exprimer en ce qui concerne les avions d'Air Lib dont j'ignore tout. Mais pour ce qui est des avions d'Air France logés à l'étranger, ils sont gérés par une filiale à 100 % d'Air France qui est Air France Finances. Ceci est dû uniquement à des problèmes de financement d'avions, essentiellement dans le cadre de leases fiscaux. Mais les avions sont immatriculés en France.

En ce qui concerne le 11 septembre, il a profondément changé les données pour tous les opérateurs mondiaux, qu'ils soient américains, asiatiques ou européens. Quelques jours après le 11 septembre, le choc a été tellement violent que deux sociétés, réputées parmi celles les plus solides en Europe, tombent instantanément en liquidation et disparaissent : Swissair et Sabena. En 2001, la Lufthansa a affiché des pertes s'élevant à 1 milliard d'euros, même si l'année suivante s'est révélée nettement meilleure.

Il est certain que ce choc particulièrement violent, créé par le 11 septembre sur l'ensemble des opérateurs aériens, a pesé sur Air Lib. Il est intéressant de noter que le transport aérien domestique français n'a pas été instantanément atteint par le 11 septembre, mais à compter d'octobre, nous avons vu les chiffres de la demande globale s'écrouler de manière très rapide. Cette situation a perduré pendant plusieurs mois. Sur le marché intérieur, nous avons assisté à un retrait très fort de la demande. Cela doit d'ailleurs ressortir des statistiques de la direction générale de l'aviation civile qui gère l'ensemble des chiffres d'expression de la demande sur tous les marchés.

Par ailleurs, je crois qu'Air Lib n'avait pas les moyens de sa politique. Son président a manqué de fonds propres. Tout le monde a échoué, M. Rochet, les Suisses. Au-delà du plan de cession désigné par le tribunal de commerce de Créteil, il n'y avait aucun investisseur sérieux prêt à engager une responsabilité financière ou des capitaux. Aucun investisseur ne s'est fait connaître. Seule la société FIDEI avait exprimé une marque d'intérêt, mais prudente. C'était une compagnie honorable, pour autant que je le sache, mais avec une assise financière légère, certainement pas à la hauteur des enjeux.

Le véritable échec sur cette affaire, au-delà du 11 septembre, a été le fait qu'aucun investisseur français, européen ou non européen, n'a manifesté le souci de prendre un risque économique et d'exposer des capitaux. Ensuite, c'est une entreprise qui a dû souffrir en permanence d'une couverture médiocre et d'une absence à peu près totale de fonds propres.

M. le Président : Votre sentiment est que l'affaire n'était pas viable dès le début.

M. Jean-Cyril SPINETTA : J'étais moins pessimiste que cela. Je me suis exprimé sur le sujet lors du conseil d'administration de septembre 2001, juste après le 11 septembre, en indiquant que c'était une situation difficile pour tous, probablement encore plus pour Air Liberté, compte tenu de leur fragilité. J'ai rappelé que la survie d'Air Lib allait se jouer sur quelques éléments qui ne dépendaient pas d'eux : le cours du baril de pétrole, le niveau du dollar. C'est un élément important car tous les achats se font en dollars, que ce soit les avions ou le kérosène. Air France perçoit des recettes en dollars, d'où une compensation naturelle entre ses dépenses et ses recettes.

Reste un dernier élément qui a beaucoup compté, à savoir les interventions de la presse, en particulier lorsqu'une entreprise se trouve être dans une situation aussi fragile. Dès septembre 2001, en permanence, la presse laissait entendre que la situation allait très mal, ce qui n'était pas pour donner confiance aux distributeurs, aux agents de voyages et aux clients. Il y avait nécessité pour l'entreprise de recréer un climat de confiance avec ses clients. Toute la période a été chaotique. Il me semble que certaines déclarations du management ont même dû contribuer à ce sentiment chaotique de l'entreprise. Cela n'a pas permis de redonner confiance aux réseaux de distribution et aux clients.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de Me Yves Leonzi, avocat de la SAS Holco et d'Air Lib.

Procès-verbal de la séance du mercredi 30 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur Léonzi, nous avons souhaité vous entendre, car vous êtes l'avocat et le conseil juridique des sociétés Air Lib et Holco. Vous êtes bien entendu tenu au respect du secret professionnel. Nous ne l'ignorons pas, et je suppose que vous ne manquerez pas de nous l'indiquer lorsque vous le jugerez utile.

M. Yves LEONZI : Ce sont les recommandations de mon bâtonnier.

M. le Président : Trois solutions sont possibles. Soit vous nous opposez systématiquement le secret professionnel, soit vous décidez de répondre, et avec le Bâtonnier, vous apurez le compte rendu de tout ce qui pourrait toucher au secret professionnel une fois que ce compte rendu vous sera adressé, soit nous vous entendrons à nouveau avec un représentant du Bâtonnier pour vérifier que toutes vos déclarations rentrent bien dans le cadre de la loi touchant au secret professionnel. A vous de nous dire quelle est la solution la plus adaptée.

L'objet de notre commission d'enquête est d'enquêter sur les causes économiques et financières de la disparition d'Air Liberté et sur l'emploi des fonds publics accordés à cette compagnie. Nous sommes donc conduits à vous interroger sur la gestion de la compagnie, car il semble qu'en dehors du fait que vous avez été le conseiller de la société, vous soyez intervenu directement et à plusieurs reprises dans des comités d'entreprise ou des réunions où votre rôle nous paraît avoir largement dépassé celui du conseil. Nous aimerions aussi avoir des informations sur les relations entre la compagnie et sa maison mère, la société Holco, dans la mesure où l'organisation et la gestion de cette dernière a pu avoir des incidences sur la situation d'Air Lib.

Vous pourriez nous présenter dans votre exposé introductif quel a été votre rôle exact auprès de M. Corbet et, dans un premier temps, présenter rapidement votre cabinet. Quels sont les dossiers qui pour vous ont été les plus importants dans le cadre des conseils que vous avez été conduits à apporter à la compagnie Air Lib et à la société Holco.

M. Yves LEONZI : Je vais vous présenter les éléments concernant mon cabinet, les conditions dans lesquelles j'ai été amené à intervenir aux côtés d'un certain nombre d'autres professionnels en ma qualité de conseil de Jean-Charles Corbet puis des différentes structures qui se sont substituées à lui.

En préalable, je veux indiquer que je suis avocat depuis 1980. Après avoir exercé, comme tout avocat qui fait son stage, dans un certain nombre de cabinets prestigieux, Michel Normand et associés, notamment, j'ai créé mon propre cabinet. J'ai exercé à titre individuel pendant une dizaine d'années, puis créé une société civile professionnelle composée de vingt-cinq avocats pour recréer mon cabinet sous la forme actuelle, à savoir un cabinet de niche, spécialisé dans les entreprises en difficulté et le droit des affaires spéciales en particulier.

Lorsque Jean-Charles Corbet est venu demander l'assistance de mon cabinet fin mars 2001, la situation qui était celle des groupes AOM et Air Liberté...

M. le Président : M. Corbet agissait en quelle qualité ?

M. Yves LEONZI :  Il agissait à titre personnel. Selon les indications qu'il m'avait fournies à l'époque et que j'ai pu valider par la suite, il avait été sollicité en sa qualité d'ancien membre du SNPL par Jean Immediato, président du SNPL d'Air Liberté. J'ai rencontré d'abord Jean Immediato, puis Jean-Charles Corbet, puisque la demande initiale et le dossier de Jean-Charles Corbet m'ont été présentés, à la demande de Jean Immediato.

M. le Rapporteur : Vous le connaissiez depuis longtemps ?

M. Yves LEONZI : Je ne le connaissais absolument pas et je ne l'avais jamais rencontré à l'exception des conseillers financiers qui sont intervenus et qui avaient déjà été prépositionnés pour faire partie de l'équipe de conseil de Jean-Charles Corbet. Je ne connaissais ni Jean-Charles Corbet, ni aucune des personnes physiques composant l'équipe de reprise. J'avais certains clients dans l'aérien, mais je n'avais jamais travaillé ni pour AOM ni pour Air Liberté. On est venu chercher ma spécialité comme cabinet spécialisé dans les entreprises en difficulté et dans les reprises.

Je souhaiterais maintenant pouvoir reprendre auprès de vous, en ma qualité de témoin et sous les réserves du secret que vous avez rappelées, monsieur le Président, les étapes de mon intervention. Ce rappel chronologique vous permettra de prendre conscience du caractère exorbitant du droit commun de ce dossier. Mon exposé comportera trois temps. Premièrement, les éléments sur la reprise des actifs dans le cadre judiciaire comprenant une compagnie aérienne, c'est-à-dire une activité réglementée. Deuxièmement, la vie des structures et le caractère tout à fait anormal de l'importance du judiciaire dans cette reprise. Troisièmement, la fin d'Air Lib, la conciliation et son échec qui a donné lieu directement à la mise en liquidation judiciaire.

Je suis intervenu au moment où AOM, présidée par M. Rochet, avait en location gérance depuis le 1er janvier 2001 les fonds de commerce du groupe Air Liberté qui lui-même avait en location gérance les fonds de commerce du groupe TAT. Je suis intervenu au moment où une requête avait été présentée à monsieur le Président du tribunal de commerce d'Evry et avait donné lieu à désignation de maîtres Meille et Valliot, par ordonnance rendue le 9 avril 2001. Je suis intervenu pour examiner les conditions dans lesquelles, face à l'engagement pris par Swissair consistant à mettre à disposition de tout candidat repreneur 2 milliards de francs, il était possible d'envisager une reprise in bonis des actifs dans le cadre de la conciliation.

Une équipe de reprise a été constituée et j'ai fait partie de l'équipe juridique. Nous étions plusieurs cabinets ; notamment, sur toute la partie concernant les montages et la reprise, le département droit de Salustro-Reydel et le cabinet Hoche (cabinet d'avocats) étaient à nos côtés.

S'agissant de la conciliation, je souligne l'opacité complète des informations réunies par les « data rooms », élaborées par Andersen, à la fois Andersen droit et Andersen chiffre. Lesdites « data rooms » se sont révélées, postérieurement à la conciliation, complètement erronées, avec des éléments qui étaient des éléments inexistants ou des éléments qui étaient faux. C'était le cas notamment de toute la documentation concernant les avions qui n'existait pas dans la documentation montée par Andersen.

La conciliation n'a pas pu être menée à bien dans la mesure où les conciliateurs n'ont pas réussi à trouver une solution sur la mise à disposition des fameux 2 milliards proposés par Swissair. Cette offre qui était faite par voie de presse n'a pas pu être concrétisée juridiquement par les conseils de Swissair auprès des conciliateurs. C'est ce qui a été à l'origine directe de l'échec de la conciliation.

Lorsque la conciliation a échoué, le dépôt de bilan est intervenu le 19 juin et nous avons continué cette reprise avec un élément fondamental du dossier quant à la participation des uns et des autres. Alors que l'idée de départ était une idée de reprise menée par un syndicaliste appelé à l'aide par d'autres syndicalistes, la reprise telle qu'elle a été envisagée après le dépôt de bilan était une reprise capitalistique, pure et dure, avec une banque d'affaires, des hommes du droit et des hommes du chiffre. Sur la partie sociale, une partie sortait un peu de l'ordinaire, à savoir les propositions d'ouverture du capital aux salariés et la participation des salariés dans l'entreprise. Je pense que certaines de vos questions porteront sur ce point particulier.

La reprise est intervenue dans des conditions tout à fait extraordinaires et exorbitantes du droit commun. Vous avez les dossiers d'offres de reprise. Pour avoir mené à bien des dizaines de reprises, y compris d'entreprises importantes, je n'ai jamais connu un tel climat de violence dans les rapports entre les administrateurs et les candidats potentiels. Nous nous sommes demandé si la volonté des administrateurs était véritablement d'obtenir une cession ou d'aller à la liquidation, et bien évidemment, l'audit que nous avions fait, était de vérifier la faisabilité même d'une reprise par voie de plan de cession, par opposition à une liquidation.

M. le Président : Qui a mené l'audit ?

M. Yves LEONZI : C'était l'équipe de reprise. En ce qui me concerne, je suis celui qui a validé la faisabilité juridique. Mais vous savez qu'en matière d'entreprise en difficulté, le droit est peu de chose par rapport à la musique des chiffres. Donc, seuls les business plan qui avaient été établis par rapport au projet industriel m'ont permis d'indiquer à Jean-Charles Corbet qu'il pouvait maintenir son offre, puisque la question s'est posée jusqu'au dernier moment du maintien ou du retrait de l'offre de l'ensemble des repreneurs. Nous nous sommes d'ailleurs aperçus après la reprise que ce qui était une interrogation sur le contexte, le climat et les rapports avec les administrateurs correspondait vraisemblablement à la position des dirigeants de l'entreprise, puisque M. Rochet lui-même n'avait pas mis l'entreprise en configuration de continuité d'exploitation, mais de rupture. Le programme d'hiver n'était pas rentré en machine, et manifestement, nonobstant l'épisode de la conciliation, sur lequel on peut s'interroger aujourd'hui, la volonté sinon des actionnaires mais certainement du dirigeant de l'époque était d'aller à la liquidation.

M. le Président : Vous avez dit que vous aviez validé « juridiquement » la reprise. Comment la création de toutes ces sociétés a-t-elle été mise en place ? En étiez-vous le responsable ?

M. Yves LEONZI : Je n'en étais par l'auteur, parce que ce n'est pas ma spécialité. C'est le cabinet Hoche, cabinet d'avocats honorablement connu à Paris, spécialisé dans les montages, l'aspect fiscal et l'aspect « corporate » qui, à partir de l'organigramme que vous connaissez, à savoir la nébuleuse des 32 sociétés, a fait en sorte que par rapport au périmètre de la reprise un organigramme soit créé.

Pour vous répondre très directement sur l'architecture des sociétés qui était envisagée dans le dossier de reprise, j'ai signé sous ma responsabilité le dossier d'offre de reprise comprenant un certain nombre de kits. Je ne suis pas l'auteur, l'architecte de la reprise, mais j'ai validé la faisabilité de cette reprise. Je souligne deux éléments importants sur la nature des actifs repris. Si, dans le schéma d'origine, ne figurait pas un certain nombre d'entités qui font partie maintenant des sociétés filiales d'Holco, c'est qu'il y a eu deux types génériques de reprise. Il y a eu des actifs repris qui étaient logés dans des sociétés pour lesquelles l'organigramme de départ a été affiné. Il y avait au moins deux groupes, donc il y avait une multiplication de structures, que ce soit au niveau de l'entretien des aéronefs ou sur un certain nombre d'éléments. Il eût été stupide de maintenir cette dualité. Donc, quelle que soit l'origine des actifs, les actifs ont été logés dans des structures qui avaient chacune un socle bien particulier.

Deuxième élément : il y a eu la reprise de participations financières, celles-ci étant les participations qui étaient détenues par certaines sociétés des anciens groupes. Et parmi ces participations financières, on retrouve les participations financières dans un certain nombre de structures, notamment Services Assistance Piste (SAP), Services Avions Assistance Sol (SAAS) et Air Liberté Finances, qui était la structure qui logeait les crédits baux d'avions, etc. Ces structures n'avaient pas à être positionnées comme telles, comme venant récupérer les actifs, puisque pour l'anecdote, les agréments et les actes de cession effective de ces actifs sont intervenus en décembre 2001 du fait de la mauvaise volonté des administrateurs judiciaires des sociétés AOM-Air Liberté, Maîtres Libert et Baronnie. J'y reviendrai, puisque c'est l'un des chapitres tout à fait désagréables qui a compliqué également la chronologie de la reprise.

A propos de la chronologie de la reprise des actifs, je soulignerai les aspects suivants. L'offre a été présentée avec une particularité : le montant de la contribution spontanée était la condition essentielle de la reprise et faisait partie des éléments fondamentaux mis en avant par les repreneurs qui avaient formulé une offre. Ce montant a été évoqué dans le cadre de grands oraux organisés avec les administrateurs et les représentants des Suisses, mais le montant final n'a pas été négocié par le bénéficiaire, à savoir par les repreneurs. Bien mieux, le protocole d'accord qui a été homologué dans le jugement de reprise est resté inconnu du repreneur.

Vous avez en tête que juridiquement, il y a eu au moins trois décisions importantes sur la reprise. Premièrement, le jugement du 27 juillet qui concerne la cession des actifs et qui homologue le principe d'un protocole d'accord qui est inconnu du repreneur, bien qu'homologué par le tribunal. Deuxièmement, le jugement du 1er août qui valide l'adéquation entre le projet de protocole homologué par le jugement du 27 et la signature du protocole. Et troisièmement, il y a eu une troisième décision qui explique le retard dans la chronologie. En effet, le tribunal avait omis de statuer sur la faculté de substitution d'Holco qui avait tacitement souhaité se substituer un certain nombre de structures. C'est une décision du 13 septembre qui a rectifié cette erreur matérielle et cette omission de statuer.

A propos des conditions de gestion d'Air Lib, j'évoquerai un premier élément tout à fait exorbitant du droit commun. Le 27 juillet au soir, les administrateurs et les repreneurs se sont aperçus que le jugement était inapplicable. Pourquoi ? Parce que la logique du jugement était que le repreneur ne disposait pas de fonds propres et qu'il avait besoin de l'argent de Swissair, ne serait-ce que pour pouvoir effectuer les dépenses courantes. Le problème s'est posé, et explique la mise sous tutelle de la société pendant tout le mois d'août, puisque les premiers fonds, 50 millions qui provenaient de Swissair sont allés sur les comptes des administrateurs judiciaires de l'ancienne société pour permettre à la société de vivre. Pourquoi ? Parce que les Suisses souhaitaient que la décision homologuant le protocole, et notamment les désistements d'instances et d'actions, soient définitives, ce qui n'est intervenu qu'à la fin du mois d'août, d'où l'explication sur le calendrier et le versement en tranche de la contribution de Swissair.

La suite de la chronologie, vous la connaissez malheureusement. Alors que les sociétés n'ont pas de chéquiers, ce sont les administrateurs qui continuent à faire les chèques avec les banques de l'ancien redressement judiciaire. Les sociétés qui doivent reprendre les actifs ne sont créées que postérieurement, le 13 septembre, soit deux jours après le 11 septembre et, plusieurs jours après, arrive, le 2 octobre, la défaillance de Swissair. Pendant toute cette période, une location gérance est organisée avec les administrateurs sur les actifs1. Les administrateurs judiciaires n'avaient jamais admis la logique de la reprise. Pourquoi ? Le tribunal de commerce pensait qu'une solution, en plan de cessions, était possible en vertu de l'ordre public, économique, par opposition à une liquidation. Les administrateurs judiciaires, dont c'est la responsabilité, ont quand même laissé s'accumuler entre le 19 juin 2001 et le 31 juillet 2001 à peu près 500 millions de francs de passif d'article 40. Pourquoi les administrateurs judiciaires ont-ils tant tardé à signer les actes de cession ? Parce qu' ils voulaient retrouver un pouvoir de nuisance en prononçant la résolution du plan, ce qui leur aurait permis entre autre chose de couvrir le passif article 40 qui était sous leur responsabilité.

Le 13 décembre 2001, monsieur le président du tribunal de commerce de Paris a dû désigner un mandataire de justice, ce qui ne s'est jamais vu dans l'histoire des procédures collectives, Maître Lafont, pour jouer les maîtres d'école et faire en sorte que Maître Libert et Maître Baronnie signent enfin les actes de cession les 21 et 22 décembre. C'était une époque où, les Suisses ayant fait défaut, il était impossible pour les banques d'affaires de lever des fonds et de rechercher des investisseurs. Il a été également impossible tout au long de la vie d'Air Lib de rentrer dans le circuit bancaire normal. Air Lib a toujours fonctionné, et c'est valable pour l'ensemble des filiales d'Air Lib, sans un franc de facilité de caisse, sans pouvoir nantir la créance d'Air Lib détenue sur le BSP (qui correspond à l'argent des billets vendus pendant le mois et uniquement payé au transporteur le 17 du mois suivant - d'où l'opportunité de trouver un financement pour toucher dès le 30 du mois la totalité des fonds et non le 17 suivant) sous une forme d'escompte ou de nantissement de cession de créance pure et simple.

Ce qui s'est produit après le 2 octobre et qui est en effet tout à fait inhabituel, c'est que les dirigeants des sociétés se sont aperçus que le business plan d'origine ne pouvait pas être réalisé. Une requête a donc été présentée le lendemain du jour de la signature des actes de cession au président du tribunal de commerce de Créteil, requête enregistrée, compte tenu des fêtes de Noël, le 8 janvier, par le président du tribunal de commerce de Créteil, pour désigner un mandataire ad hoc. Maître Lafont a été désigné mandataire ad hoc après que M. Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil, ait reçu un fax du cabinet de M. Fabius, alors ministre de l'économie et des finances, précisant, alors que la situation d'Air Lib pouvait apparaître irrémédiablement compromise. Le choix des dirigeants après la défaillance de Swissair que nous allons retrouver tout au long de la vie d'Air Lib, était de regarder, alors que les commissaires aux comptes avaient déclenché une procédure d'alerte au mois de décembre, si les sociétés se trouvaient en état de cessation des paiements, ou si l'activité des sociétés, au sens de la loi, était irrémédiablement compromise ou non.

M. le Président : Que disait ce fax ?

M. Yves LEONZI : Je vous le préciserai à la fin de mon entretien, mais j'ai pris la précaution de faire établir un Cédérom à destination des membres de votre commission des pièces qui paraissent importantes.

M. le Président : Ce fax figure sur votre Cédérom ?

Mme Odile SAUGUES : Que contenait ce fax ?

M. Yves LEONZI : Ce fax est fondamental, puisqu'Air Lib aurait déposé son bilan au mois de janvier 2002 si le président du tribunal de commerce n'avait pas vu qu'il y avait un frémissement permettant à l'entreprise de se lancer dans une révolution industrielle. A cette époque, nous évoquions déjà la transformation d'Air Lib en compagnie à « bas coûts » pour le mois d'avril 2002. Comment financer cette activité ? Il y avait la possibilité de recouvrir le solde résiduel de la créance Swissair. Je pourrais vous fournir un certain nombre de précisions sur cette créance puisque mon cabinet coordonne les différentes actions à travers l'Europe sur le recouvrement des 60 millions d'euros dus à titre contractuel, indépendamment des indemnités réclamées à l'ensemble des personnes morales ayant composé le groupe Swissair. Le tribunal de commerce a considéré en juillet 2001 que le business plan d'origine d'Air Lib supposait des financements supérieurs au montant finalement donné par les Suisses. La question posée par le tribunal était de se demander s'il était raisonnable ou non de maintenir une offre, alors que le repreneur était une personne physique qui n'avait pas d'autres possibilités de financement à l'origine que les fonds de Swissair. La réponse du tribunal a été de considérer, à l'époque, qu'il était possible de financer normalement l'activité, au vu des observations prises en chambre du conseil par les banques d'affaires. Les noms des investisseurs potentiels dans Air Lib avaient été donnés à la barre du tribunal de commerce. A l'époque, on parlait d'Air Canada, de Bombardier, d'un certain nombre de sociétés, qui, malheureusement, ont connu des difficultés. Il est évident que la défaillance de Swissair liée au 11 septembre a mis des points de suspension si ce n'est un point final au travail des banquiers d'affaires.

La lettre de M. Fabius du 8 janvier 2002 rentre dans une chronologie de trois documents : la lettre du 8 janvier, signée de M. Fabius, une lettre du 3 mai signée de M. Fabius, et une lettre du 31 juillet 2002 signé par M. Mer. Toutes ces lettres ont trait au GIE qui est la pierre angulaire de tout le financement d'Air Lib. Si effectivement il n'y avait pas eu de GIE, le bilan d'Air Lib aurait été déposé au mois de janvier 2002.

C'est une lettre adressée à M. Corbet, président du conseil de surveillance d'Air Lib. Vous avez en mémoire que jusqu'au printemps 2002, Air Lib était une société à directoire et conseil de surveillance. La présidence du directoire était occupée par François Bachelet, avec Alain Bardi, directeur général, Jean-Charles Corbet étant président du conseil de surveillance d'Air Lib. C'est ès qualités de président du conseil de surveillance que Jean-Charles Corbet avait interrogé le ministre des finances sur différentes possibilités concernant les financements.

Par rapport à ces possibilités, il y avait le GIE et d'autres éléments. La lecture du document que j'évoque est indissociable de la lecture de la requête présentée par Air Lib pour voir désigner le mandataire. Il était nécessaire de trouver des quasi fonds propres. La situation avait évolué et le business plan d'origine ne pouvait pas être mis en œuvre. En tout état de cause, le tribunal avait considéré que même avec la totalité de l'argent des Suisses, ça ne suffirait pas. Le réalisme qui a été le réalisme de l'époque entre l'entreprise et le CIRI a été de considérer qu'il fallait trouver d'autres financements, avant que le temps se dégage, que les effets du 11 septembre s'atténuent et que des investisseurs puissent à nouveau s'intéresser à l'aérien, et dans le sous-chapitre de l'aérien, puissent s'intéresser à Air Lib.

Je vous lis cette lettre : « Monsieur le président, par une demande déposée le 28 novembre 2001 - la date est importante, vous avez la chronologie en tête, c'est juste après la défaillance - et complétée en dernier lieu le 26 décembre 2001, vous avez sollicité l'agrément prévu au 3° de l'article 39 CA du code général des impôts et l'application du 7ème alinéa du même article pour l'acquisition de deux avions Airbus A 340 par un groupement d'intérêt économique (GIE) non soumis à l'impôt sur les sociétés. Les avions, d'un prix de revient unitaire de 100 millions de dollars, seraient acquis par un GIE créé pour l'occasion et regroupant directement ou indirectement les personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, qui les donnerait en location à la société Air Lib.

« Au regard des éléments économiques fournis à l'appui de la demande, l'investissement envisagé a vocation à bénéficier des avantages fiscaux prévus par les dispositions rappelées ci-dessus. Une décision d'agrément, précisant notamment les conditions auxquelles est subordonné son octroi, ne pourra vous être adressée que lorsque les modalités financières du montage seront définies avec précision et que les éléments juridiques et financiers requis me seront parvenus. »

Par rapport à cette logique, le président du tribunal de commerce a donc désigné Maître Lafont en lui demandant de lui faire un premier rapport sous un mois pour lui indiquer si le nouveau business plan qui était envisagé par l'entreprise lui semblait acceptable, et surtout s'il y avait de bonnes chances de trouver des financements. Nous sommes encore une fois en janvier. Il n'y a pas de problèmes de trésorerie. L'intégralité des charges est payée normalement. Simplement il y a une difficulté.

Je fais une parenthèse pour que les membres de votre commission comprennent la portée de ce courrier. Si les demandes ont été formulées auprès du ministère de l'économie et des finances le 28 novembre, c'est que dès la défaillance de Swissair, il avait été pris des contacts avec les commissaires des sociétés Swissair en Suisse. Les avions qui devaient rentrer dans le GIE étaient les fameux avions commandés par AOM à Airbus, pour lesquels AOM avait versé en acompte deux fois 27 millions de dollars à Airbus, qui, dans le cadre des contrats repris par Air Lib, devaient bénéficier à Air Lib au niveau de l'exploitation. Ce qui fait qu'il avait été envisagé comme solution transactionnelle avec les commissaires suisses de mettre à disposition ces aéronefs.

M. le Président : Vous avez parlé à plusieurs reprises d'investisseurs. Où sont ces investisseurs qui ont été annoncés ? Je n'imagine pas que le tribunal de commerce ait pu prendre une décision à la légère en ce qui concerne ces engagements pris, qui n'ont pas été tenus, avez-vous dit au début de votre propos. Parmi les engagements qui ont été pris, notamment par M. Corbet, étiez-vous au courant de tout cela. Je suppose que oui. On ne reprend pas une société aussi importante sans qu'il puisse y avoir des financements, et pas seulement de Swissair, car le financement de Swissair, de toute manière, aurait bénéficié à tout repreneur.

Où sont donc les investisseurs ? Pour faire un GIE, il y a trois conditions à remplir. Il faut avoir une autorisation de l'Etat pour le constituer, et vous l'aviez. Il faut avoir des investisseurs pour apporter des crédits. Où sont-ils ? Et il faut avoir des avions pour pouvoir les acheter, et vous les aviez aussi. Il y avait l'autorisation de l'Etat, il y avait les deux avions, mais quels étaient les investisseurs qui devaient permettre l'acquisition de ces avions ?

La deuxième question est également liée à l'investissement. Par qui le business plan a-t-il été fait ? C'est un mystère pour nous. Nous avons quelques informations, mais j'aimerais que vous les précisiez. A votre avis, ce business plan était-il conforme aux contraintes du marché. Nous avons des témoignages précis selon lesquels ce business plan était largement surévalué. Est-ce vrai ou pas ? Avez-vous des éléments à nous apporter ?

Troisième question, toujours liée au même problème : la CIBC à l'évidence a été largement rémunérée. Comment cette banque a-t-elle fait son travail pour amener les investisseurs ? Quels investisseurs a-t-elle pu amener dans le cadre de son action ?

M. Yves LÉONZI : Deux points, Monsieur le Président, et là, je ne vais pas le redire à chaque fois dans mon propos, mais dans le cadre de mes activités de conseil et en ma qualité d'avocat ayant chapeauté l'aspect juridique de la reprise, j'ai bien évidemment rencontré les équipes de CIBC qui ont été présentes à Paris pendant au moins deux mois et demi avec trois personnes basées à Paris pour aider Jean-Charles Corbet à monter son business plan d'origine.

Vos deux questions sont distinctes et les réponses seront distinctes. Votre première question est parfaitement claire et consiste à dire : les investisseurs d'origine, dont CIBC a parlé au tribunal de commerce, où sont-ils ? Deuxième question, ce sont des investisseurs d'autre nature qui sont représentés par les investisseurs devant investir dans le cadre des GIE fiscaux, et là, je ferai une réponse également distincte.

Je n'ai travaillé, moi, en ce qui me concerne, avec CIBC que pour centraliser leur copie et lui demander de me fournir des informations. CIBC a donné des books concernant ses travaux et la validation par elle des chiffres au tribunal de commerce. J'avais, me semble-t-il, répondu à votre nouvelle question concernant les investisseurs qui étaient évoqués par CIBC au tribunal de commerce. Les seuls noms dont j'ai entendu parler au tribunal de commerce, qui étaient des prospects pour CIBC, étaient les noms de Bombardier et d'Air Canada. Il y avait des investisseurs qui avaient été pressentis à l'époque, c'était Preussag, qui s'intéressait également à des participations hors TUI dans l'aérien, et le Club Méditerranée qui avait indiqué à l'ensemble des repreneurs qu'il était prêt à participer pour une fraction symbolique dans le capital. Pourquoi le Club Méditerranée ? Parce qu'une partie de l'activité d'Air Liberté est une activité charter, et pour le Club Méditerranée il était important de pouvoir regarder la situation. La réponse à votre interrogation « où sont partis ces investisseurs après le 11 septembre ? » est : ils sont partis en courant. Ils ont essayé chez eux de sauver les meubles. L'ensemble des personnes que j'évoquais ont complètement changé leur stratégie d'investissement après les événements que j'ai cités, ce qui fait que le travail de banque d'affaires de CIBC a été interrompu.

M. le Président : A quelle période ?

M. Yves LEONZI : Je parle sous toute réserve, parce que je fais appel à ma mémoire et j'ai peur de commettre des impairs. CIBC a interrompu son travail en voyant qu'elle ne pouvait pas venir en aide à Air Lib sur les activités de recherche d'une banque de proximité. Je crois que son travail de recherche d'une banque de proximité et de possibilité de financement a été interrompu, en décembre 2001. L'une des spécialités de CIBC étant le financement d'actifs, il avait été envisagé, mais malheureusement les actes de cessions n'avaient pas été signés, de s'adosser sur un certain nombre d'actifs, et notamment sur les avions, pour pouvoir trouver du financement. Ça n'a pas été possible.

CIBC est intervenu à nouveau à ma connaissance à la fin du 1er semestre 2002, avant l'été, pour tenter de regarder si le marché s'était calmé. Le postulat retenu par l'ensemble des intervenants, qu'il s'agisse des intervenants publics ou privés qui ont connu le dossier, était que même avec un GIE fiscal, même avec un prêt FDES, même avec l'argent des Suisses, la survie et la pérennité d'Air Lib ne seraient assurés que s'il y avait véritablement une ouverture à des opérateurs industriels entrant dans son capital. Simplement, les propos des banquiers d'affaires - et CIBC n'était pas seule concernée - étaient de dire : nous ne pourrons jamais faire notre travail si la situation concernant les Suisses et les quasi fonds propres, notamment le GIE, n'est pas réglée. Donc, la CIBC a repris son travail réellement à l'été. C'est elle qui a monté la data room dans le cadre de la conciliation pour Maître Lafont au mois de novembre. Elle a participé à l'ensemble des travaux de data room du mois de novembre 2002.

Sur les investisseurs concernant le GIE, c'est la banque Arjil qui a reçu mandat de monter le GIE et de trouver les investisseurs. J'ai eu connaissance d'un certain nombre de noms concernant Arjil, mais je pense qu'il faut les interroger directement. Je n'ai pas plus de précisions que cela.

M. Alain GOURIOU : Avez-vous eu connaissance de la nature du contrat entre la CIBC et M. Corbet sur cette recherche d'investisseurs ? Y avait-il, en particulier, obligation de résultats de la part de CIBC dans le contrat qui les liait, si contrat il y avait ?

M. Yves LEONZI : Je vais vous répondre encore plus personnellement. Est-ce que j'ai connaissance du contrat CIBC ? La réponse est « bien évidemment » dans la mesure où postérieurement à la reprise, ce contrat a toujours fait partie des points de questionnement, que ce soit de la part des commissaires aux comptes ou de l'ensemble des intervenants. Je n'ai pas participé à la rédaction du contrat, le contrat a été signé directement entre Jean-Charles Corbet et la CIBC, mais je l'ai vu. Donc, je peux, en tant que professionnel du droit, vous dire ce que j'ai compris. La rémunération de CIBC, telle que je l'ai comprise, devait être une rémunération forfaitaire par rapport à une reprise qui était envisagée initialement comme une reprise in bonis de la société. Le chapitre de la recherche d'investisseurs faisait partie du contrat, mais à ma connaissance - je parle de mémoire -, ne devait donner lieu ni à rémunération particulière sur la recherche du contrat, ni a fortiori à obligation de résultat. Le contrat était d'abord un contrat concernant la reprise d'Air Lib, avec des honoraires calculés sur la réduction du passif et sur la hauteur de la contribution spontanée de Swissair, avec un certain nombre de sous-postes. Voilà la connaissance que j'en ai, et encore une fois, lorsque j'évoque la CIBC auprès de vous, c'est effectivement parce que je l'ai rencontrée, que j'ai lu le contrat, mais je n'ai pas participé à sa rédaction. Mais bien évidemment, je connais le contrat, parce que tous les tiers intéressés ont eu à lire ce contrat et à tenter de le comprendre.

M. le Rapporteur : La rémunération de CIBC était prévue dans un contrat du 11 juillet 2001 et a fait l'objet d'un versement extrêmement rapide, puisque dès que la reprise a été opérée, il a été versé un peu plus de 7,3 millions de dollars. Ce contrat comporte quatre rémunérations. Il y en a trois qui sont compréhensibles. La première est relative aux « work fees ». Il est considéré que la CIBC a travaillé trois mois, mais qu'elle est rémunérée 100 000 dollars par mois, avec un plafond de 250 000 dollars. C'est clair. Et vous avez dit tout à l'heure dans votre intervention qu'il y avait eu trois personnes à plein temps qui ont travaillé pendant trois mois.

M. Yves LÉONZI : Elles étaient basées à Paris. Je n'ai pas évoqué les autres équipes. Mais j'ai vu physiquement à Paris trois représentants de CIBC.

M. le Rapporteur : Mais ce contrat est du 11 juillet, alors qu'ils travaillaient depuis déjà, tel que le contrat l'indique, depuis deux, voire trois mois à cette affaire. Donc, on a signé le contrat a posteriori ? Ça vous paraît normal, en tant que conseiller juridique de Jean-Charles Corbet, cette première composante ?

M. Yves LEONZI : Ne mélangeons pas les genres. Je ne suis pas intervenu comme conseil de Jean-Charles Corbet dans la recherche de CIBC et dans l'élaboration de la loi des marchands entre Corbet et CIBC et je n'ai pas participé à la rédaction de ce contrat. Donc, lorsque vous m'interrogez sur ce point, ma réponse n'est pas en tant que conseil, mais en tant que témoin. Les équipes de CIBC avaient été positionnées avant ma venue dans le dossier, à la fin mars. J'ai rencontré je pense pour la première fois le vice-président de CIBC, David Mongeau, chez Me Meille, au cours d'une réunion que je situe aux environs du 15 mai, donc environ un mois avant le dépôt de bilan, où j'ai constaté que les équipes avaient déjà travaillé.

La question que vous évoquez, Monsieur le Rapporteur, j'ai entendu d'autres que vous la poser à M. Corbet, donc, cela ne me pose pas de difficultés de vous donner la réponse que j'ai entendu formuler et qui me semble concevable. L'explication qui m'a été donnée, c'est que M. Corbet ne s'est substitué à lui-même, à travers Holco, pour les besoins de la reprise, qu'au mois de juillet. La contractualisation des accords entre Holco, et non pas Corbet, et la CIBC, est datée d'une date postérieure à la création d'Holco. C'est la seule explication que j'aie entendu formuler, et je dirais que je n'ai pas de commentaire particulier à formuler.

M. le Président : Je comprends fort bien que vous n'ayez pas de jugement à porter sur ce qui s'est passé avant votre entrée en fonction. Mais vous êtes devenu le conseiller juridique d'Holco en juillet, au moment de la constitution des sociétés.

M. Yves LEONZI : Je ne voudrais pas qu'il y ait de malentendus sur ce que vous appelez conseiller juridique. Je suis avocat. En tant qu'avocat, je viens de vous indiquer que mon travail a commencé au mois de mars. Donc, il n'a pas commencé au mois de juillet. Mon travail a commencé au mois de mars. J'ai travaillé comme avocat à côté d'autres avocats et à côté d'un certain nombre de gens. Mais je n'avais pas un mandat qui consistait à superviser l'ensemble des contrats et des actes qui pouvaient être passés.

M. le Président : Ce que je veux vous dire, c'est qu'en permanence, on voit des personnes qui se substituent à elle-même, des sociétés qui se substituent à d'autres. On souhaiterait donc simplement savoir comment ces mouvements se sont opérés. La question que je vais vous poser est claire. Au moment où vous êtes devenu auprès de M. le président d'Holco...

M. Yves LEONZI : Non, non ! Je ne peux pas vous laisser dire ça.

M. le Président : Vous étiez conseil, que ça soit sur le plan juridique, ou en tant qu'avocat, de M. Corbet. Vous nous avez dit qu'un certain nombre de sociétés ont été constituées. Vous étiez au courant de cela ?

M. Yves LEONZI : Oui, bien sûr, par le cabinet d'avocats Hoche.

M. le Président : Aucune des sociétés n'a eu son siège dans des bureaux qui étaient les vôtres, à aucun moment ?

M. Yves LEONZI : Bien évidemment - et c'est de notoriété publique - à sa création, Holco a eu son siège situé dans l'immeuble de mon cabinet.

M. le Président : Donc, vous connaissiez parfaitement le fonctionnement du système. En tant qu'avocat ou conseiller juridique, bref en fonction de la profession qui était la vôtre, lorsque vous avez constaté le fait que la société Holco a rémunéré la banque CIBC, quelque trois semaines après la décision du tribunal, ne vous êtes-vous pas interrogé sur le volume des rémunérations et sur le travail rendu par rapport à cette facture payée. Ce système a été mis en place seulement trois semaines avant, pour le compte de quelqu'un qui a commandé ce travail, dans le cadre du fonds commun de placement Concorde, qui n'a rien à voir avec la société Air Lib ou la société Holco. Est-ce qu'à un certain moment, vous avez posé la question de savoir pourquoi c'est Jean-Charles Corbet, en tant que président du conseil de surveillance du fonds de placement FCPE Concorde, qui mandate la CIBC et pourquoi c'est Holco qui paye trois semaines plus tard les 7,3 millions de dollars ? Vous êtes-vous interrogé ? Avez-vous posé des questions à M. Corbet ? Vous a-t-il répondu ?

M. Yves LEONZI : Ma fonction en tant qu'avocat était, encore une fois, de faire en sorte que les Suisses respectent leurs engagements contractuels et que les administrateurs fassent fonctionner les différents éléments de la reprise. J'avais suffisamment à faire pour ne pas intervenir comme vous semblez le suggérer dans le quotidien de telle ou telle société. Je suis toujours resté avocat dans l'exécution de mon mandat, aux côtés de M. Corbet ou de l'ensemble des structures. Je sais que ma présence aux côtés de M. Corbet, notamment au cours d'un certain nombre de comités d'entreprise, m'a valu un certain nombre d'inimitiés. Lorsqu'on est avocat de la direction, il peut y avoir un certain nombre de fantasmes. Mais je souhaite en tant que tel pouvoir replacer strictement les propos que je formule dans ma mission.

Je vous réponds. En dehors de CIBC, le chapitre des honoraires de résultat et les honoraires des conseils, dont les miens, font partie des questions qui ont été portées sur la place publique. Ce n'est pas une surprise. On nous avait menacés d'un certain nombre de choses au moment de la conciliation et l'ensemble des menaces qui n'en n'étaient pas pour moi, ont toutes été mises à exécution, que ce soit la mise en pâture d'honoraires des tiers, et notamment de mon nom et de mes honoraires par voie de presse, par le service de la communication de M. Bussereau, où que ce soit le déclenchement d'un contrôle fiscal me concernant, qui est effectif depuis trois semaines. Vos questions sont légitimes, mais elles ont déjà été formulées et des réponses ont été apportées.

Je vous réponds précisément. L'ensemble des conseils qui ont participé à la reprise avait passé un accord avec Jean-Charles Corbet prévoyant qu'ils seraient rémunérés pour la partie antérieure de leurs activités. Concernant mon cabinet, il s'agissait d'une somme extrêmement importante, de l'ordre de 4 millions de francs au moment de la reprise. Une reprise d'une entreprise de cette taille-là, cela implique, pour une structure comme la mienne, six personnes qui travaillent de 7 heures du matin à 2 heures, voire 4 heures du matin, parce que les services des ministères que nous rencontrions sur les aspects réglementaires ne nous recevaient qu'après leur journée de travail. Tout le monde était logé à la même enseigne : s'il y avait une reprise, comme cela est l'usage, l'ensemble des intervenants serait payé par un honoraire de résultats. Les honoraires n'étaient pas une surprise pour qui que ce soit, puisque les « start cost » font partie des business plan qui ont été remis au tribunal de commerce. Les gens avaient travaillé pendant trois, quatre ou cinq mois et commençaient à avoir des difficultés de trésorerie - j'imagine CIBC un peu moins que nous - mais en ce qui concerne ma structure, elle en avait beaucoup au mois de juillet et au mois d'août. Les gens qui avaient fait travailler leurs structures, qui avaient négligé leurs autres clients, étaient pressés de toucher leurs honoraires. Aussi, effectivement, les premiers fonds qui sont venus des Suisses, de mémoire, 600 millions de francs sur Holco (en sus des 50 premiers millions versés entre les mains des administrateurs), en dehors des dotations en capital, ont servi à payer les honoraires des conseils.

Ai-je été au courant que CIBC a été payée en même temps que tous les autres conseils ? Oui. Est-ce que j'ai été au courant des montants ? Oui. Est-ce que le montant m'a surpris ? Oui, énormément. Je ne suis pas commissaire aux comptes et je ne suis pas expert-comptable ; je n'ai pas à valider antérieurement ou en continu un paiement. En ma qualité d'avocat j'ai posé une question s'agissant des montants évoqués. Il m'a été indiqué - et je crois que c'est pour la première fois que j'ai vu la pièce que vous évoquez - que les montants étaient des montants contractuels. Nous avons fait part, chacun pour ce qui nous concerne, d'étonnement et de réserves par rapport à ces montants. Si l'application du contrat était automatique, le montant correspondant à ce qui était éventuellement contractuellement dû, était supérieur au montant effectivement payé. J'ai eu connaissance d'une discussion qui est intervenue entre Jean-Charles Corbet et les représentants de la CIBC pour forfaitiser un montant qui a été au final versé à la CIBC.

Donc, oui, j'ai été, dans ces conditions-là, avisé des éléments. Ce montant est-il choquant, parce que c'est une autre question que vous pouvez me poser en qualité de professionnel ? Par rapport aux montants habituellement pratiqués par les banques d'affaires, surtout nord-américaines, non, pas du tout !

M. le Rapporteur : Maître, j'ai une note signée de votre main du 12 juillet 2002, adressée au cabinet Mazars et Guérard sur cette question. Je reprends mon analyse. La somme de 7,315 millions dollars versée à CIBC en juillet et août 2001 est composée de quatre parties. Il y a une première composante qui sont les « workfees » : 100 000 dollars par mois, plafonnés à 250 000. C'est clair.

Il y a une deuxième composante qui n'est pas claire du tout, qui est intitulée « financing placement fees » et s'élève à 320 000 dollars. Quand ont lit le contrat, il est indiqué qu'il s'agit d'honoraires représentant 3 % d'un prêt qui aurait dû être mise en place dans le cadre de l'opération Aurel Leven à hauteur de 80 millions de francs. Avez-vous des éléments d'explication sur cette affaire qui a donné lieu au paiement de 320 000 dollars, alors même qu'il n'y a jamais eu une mise en place de ce prêt de 80 millions de francs ?

M. Yves LEONZI : J'ai des éléments.

Quel est d'abord le contexte de la note que vous évoquez ? Il entre dans le cadre du deuxième audit de Mazars, en juillet 2002. Mazars avait été, dans un premier temps, mandaté par le CIRI pour un audit général d'Holco et ses filiales préalable au déblocage de la deuxième tranche du prêt FDES et pour un contrôle de gestion effectué à compter de cette date par trois auditeurs de Mazars, une semaine par mois, dans les locaux d'Air Lib, donnant lieu à un rapport mensuel au CIRI, jusqu'en juillet, moment où effectivement l'Etat a demandé à Mazars un deuxième audit. Lors de ce deuxième audit, j'ai reçu Mazars pour donner de la documentation et Mazars a interrogé un certain nombre de gens. Là encore, je n'ai fait que centraliser des éléments que j'ai récupérés chez des gens du chiffre et auprès de Jean-Charles Corbet. Je les ai fait valider par les auditeurs de Mazars directement auprès de CIBC, avec qui Mazars a été en contact et pour lesquels Mazars a reçu de la documentation directe des équipes de CIBC.

Le chapitre Aurel Leven est un élément qui est lié à la particularité des reprises des entreprises en difficulté. Lorsqu'un repreneur se présente à la barre du tribunal, il doit normalement faire état d'une lettre d'évidence de fonds d'un montant significatif, généralement 20 % du prix de cession qui est proposé. La cession étant réalisée pour 1 euro, il aurait été stupide de demander quoi que ce soit. En revanche, venir se présenter uniquement avec des engagements d'investisseurs potentiels et l'argent des Suisses me semblait vis-à-vis du tribunal pouvoir poser une difficulté pour la couverture des premiers frais : fonds de roulement, financement des fonds de roulement. Ceci s'est trouvé résolu par le mécanisme mis en place par la convention passée entre les administrateurs d'Air Lib et Swissair, les fameux 50 premiers millions qui ont permis à la reprise d'être financée. Il a été sollicité par CIBC pour le compte d'une société à créer, une évidence de fonds, un droit à tirage obtenu de la part d'Aurel Leven.

M. le Rapporteur : Qui est Aurel Leven ?

M. Yves LEONZI : Aurel Leven, est un établissement financier. Je crois que c'est une banque. Mais je ne peux pas répondre juridiquement à cette question.

M. le Président : Française ?

M. Yves LEONZI : Oui, notoirement connu. Ce sont des gens spécialisés sur tout ce qui est boursier, ou banque d'affaires.

CIBC est allé chercher Aurel Leven, pour permettre à Air Lib de disposer de ces 80 premiers millions de francs. Aurel Leven, a fourni une lettre d'évidence de fonds à Holco, au moment de la reprise, disant qu'elle se faisait fort de mettre sur la table 80 millions de francs. Les autres repreneurs ne proposaient rien d'autre au niveau de l'argent qu'un franc et rien d'autre.

Je n'ai pas eu connaissance du travail fait par CIBC auprès d'Aurel Leven, à l'exception de cette lettre d'évidence de fonds à hauteur de 80 millions de francs. Postérieurement à la reprise, au mois d'août, puis au mois de septembre, sollicité en ma qualité de conseil, je me suis aperçu que le montage était une usine à gaz. En fait, pour obtenir 80 millions, il fallait pratiquement en séquestrer 150.

Exerçant mon devoir de conseil, j'ai indiqué aux entreprises qu'il était plus qu'hasardeux de donner suite à ce tirage, ce qui fait que ce droit n'a jamais été exercé, mais la lettre a été fournie. Le montant de la rémunération de CIBC que vous avez cité, et cela j'en ai été le témoin, correspond à la fourniture à Holco, repreneur, d'une lette d'évidence de fons d'Aurel Leven constituant un droit à tirage à hauteur de 80 millions de francs pour Holco ou ses substitués, dans l'hypothèse d'une reprise, puisqu'on était dans la phase de fourniture de documents avant le jugement du 27.

M. le Rapporteur : Dans le contrat qui liait Holco et la CIBC, il est écrit « Lors de la conclusion de tout accord tendant à l'octroi de prêts sous quelque forme qu'ils soient, en relation avec une opération et pour lesquels CIBC World Markets aura mis en relation les prêteurs avec les empruntants ou sera intervenu en qualité d'arrangeur, vous ferez en sorte que CIBC perçoive une rémunération d'un montant hors taxes égal à 3 % du prêt ». Donc, vous estimez que les conditions étaient remplies ?

M. Yves LEONZI : J'ai été le témoin des négociations qui ont été faites en direct par CIBC et Aurel Leven, les dix nuits précédant le 27 juillet qui, pour moi, dans le cadre du kit que je devais au tribunal, a abouti à la matérialisation d'une lettre d'évidence de fonds impliquante d'une banque, Aurel Leven. Donc, par rapport à ces éléments, je n'ai pas d'autres commentaires à effectuer. Est-ce qu'il y a eu un document ? Oui. Est-ce que le tirage a été effectué ? Non, pour les raisons que j'évoquais, parce qu'en rentrant dans la documentation qui a été demandée et qui nous est parvenue en septembre ou octobre, les conditions étaient complètement léonines, l'aspect financier ne correspondait à rien, et Air Lib a souhaité effectivement que le droit à tirage ne soit pas effectué.

M. le Rapporteur : La troisième composant de la facture CIBC, qui est l'essentiel, puisqu'elle fait 6,670 millions de dollars sur les 7,315 millions dollars, est intitulée « advisory fees », donc honoraires de conseil. Le texte du contrat dit : « Lors de la réalisation d'une opération par vous ou par les acquéreurs, vous ferez en sorte que CIBC perçoive une rémunération de résultat d'un montant hors taxes égal au plus élevé des deux montants suivants : 3 millions de dollars, ou 1 % du montant global de la contrepartie telle que celle définie à l'article 6. »

Quand on se rapporte à l'article 6, dont vous faites un commentaire dans la fameuse note du 12 juillet au cabinet Mazars, vous dites la chose suivante : « La somme de 6,670 millions de dollars correspond à la réduction du montant total dû contractuellement, 8,272 millions de dollars. Cette somme correspond elle-même à la rémunération due au titre des honoraires calculés sur la réduction du passif figurant au bilan de Swissair arrêté au 31 décembre 2000 à la somme de 4,7 milliards de francs français. La reprise des actifs sans passif (plan de cession après dépôt) a ainsi donné lieu à application des 3 % prévus contractuellement de ce chef, soit une somme de 6,272 millions. » Et vous ajoutez : « A cette somme doivent être ajoutées les sommes que Swissair s'était engagé à verser aux termes du protocole d'accord pour un montant global de 1,5 milliard de francs. 1 % était dû contractuellement, soit 2 millions de dollars. Après demande de réduction formulée par Jean-Charles Corbet, début août 2001, CIBC a accepté de réduire le montant total contractuellement dû de 8,2 millions, à 6,2 millions, soit en francs français, a accepté de réduire ses honoraires de 62 millions de francs à 50 millions. »

Alors, première question, puisqu'il y avait deux composantes dans la rémunération, il n'y en a qu'une qui, semble-t-il, ait été payée. La première composante est le 1 % de la réduction du passif. Mais en quoi CIBC a rendu un service qui mérite une rémunération à hauteur de 1 % ? Là, on parle d'une reprise devant le tribunal de commerce. C'est cela que je n'arrive pas à comprendre. Vous n'étiez pas là à l'époque, enfin, vous étiez là, mais vous ne vous en êtes pas occupé d'après vos déclarations. Quand vous avez rédigé cette note, est-ce que vous avez obtenu des éléments ? Parce que moi, je lis votre note comme une note embarrassée.

M. Yves LEONZI : Ce n'est pas une note embarrassée, c'est une note de scribe. J'ai interrogé mon client, j'ai interrogé CIBC et j'ai donné à Mazars, comme je vous le répète aujourd'hui, ce qui m'a été dit, comme étant la loi des marchands entre Corbet et CIBC. Je n'ai rien fait que centraliser dans le document que j'ai transmis, ce qui m'a été dit. Dans la question que vous évoquez, il y a deux sous-questions, et je vais vous dire ce que j'en pense.

Corbet et CIBC m'ont indiqué chacun de leur côté que le mandat de Corbet était de venir chercher CIBC, comme je vous l'ai indiqué dans le cadre du début de mon exposé, pour envisager la reprise in bonis d'AOM-Air Liberté, dans le cadre de la conciliation Meille et Valliot. Dans ce cadre très précis, quel était le mandat de CIBC tel qu'il a été décrit ? C'est de faire en sorte que le passif qui était de mémoire de 6 milliards de francs de Swissair au 31 décembre 2000 soit réduit. Parallèlement l'engagement public de Mario Corti sur les promesses de dons existant depuis au moins février, le second mandat donné par Corbet à CIBC était d'aller récupérer les 2 milliards des Suisses pour faire en sorte qu'entre la réduction du passif et les 2 milliards des Suisses, le repreneur puisse bénéficier d'une situation toujours in bonis où, schématiquement, il aurait eu les mêmes effets qu'une procédure collective. Avec une mise à néant de la totalité du passif ou un passif réduit à zéro, et une contribution spontanée, on avait à 100 % des effets d'une déclaration de cessation des paiements. Et la seule explication qui m'ait été donnée et que j'ai retransmise, c'est que ce contrat n'a aucun sens dans le cadre d'une reprise à la barre d'un tribunal d'une entreprise en redressement (par voie de cession d'actifs) et n'a de sens que dans le contexte qui m'a été indiqué, à savoir accord sur la chose et sur le prix à un moment où la reprise était envisagée in bonis dans le cadre de la conciliation.

M. le Rapporteur : Oui, mais comme le tribunal n'a pas décidé de cela, il a décidé une autre solution, c'était 1 % de zéro. C'est-à-dire qu'on a payé une somme sur une assiette qui ne correspond pas au contrat.

M. Yves LEONZI : Je ne peux pas vous donner d'autres explications que celles-ci. Le mandat est un mandat qui existe tel qu'il m'a été indiqué depuis le mois de mars. Est-ce que ce mandat, les pourcentages, l'assiette de la rémunération en mars avait un sens au moment où Corbet et la CIBC entraient en relation ? Oui. Là aussi, je vous ai fait part de ma relation non équivoque de ma position. Ce serait un non sens d'obtenir une rémunération pour une réduction de passif obtenue à la barre du tribunal, puisque de par la loi c'est l'effet même d'une déclaration de cessation des paiements. L'explication qui m'a été donnée, c'est qu'il s'agissait de la matérialisation d'engagements antérieurs. Je n'ai pas reçu d'autres explications.

M. le Rapporteur : Je vais lire aux membres de la commission ce que dit le contrat sur le montant global de la contrepartie. Attachez vos ceintures, mes chers collègues. « Le montant global de la contrepartie signifie le montant total de la contrepartie devant être immédiatement ou à terme, versée par toute personne, y compris, SAir Group, ou les acquéreurs au titre des opérations, directes et/ou indirectes, de cession, d'apport, d'échange, ou de souscription d'actifs, et/ou de titres ou autres, réalisées immédiatement ou dont la réalisation est prévue à terme dans le cadre des accords convenus par les parties à une opération, soit un montant égal à la somme, premièrement, de tout montant en numéraire, et le cas échéant, deuxièmement, de la valeur de marché de toute contrepartie autre qu'en numéraire de quelque nature qu'elle soit ; et, troisièmement, du montant de tout passif pris en charge par cette personne, ou toutes dettes dont la partie cédant ses actions ou ses actifs ou à AOM ou à ses affiliés, serait déchargée. »

Vu la décision de justice, cette énorme somme correspond-elle à cela ? Moi, il me semble qu'en application du contrat, non. Mais comme M. Corbet vous avait demandé un conseil sur cette affaire pour répondre à une question du cabinet Mazars, je voulais savoir. Dans votre note, vous retranscrivez en effet ce que vous avez dit, mais vous êtes avocat.

M. Yves LEONZI : Monsieur le Rapporteur, je vous ai me semble-t-il répondu. Est-ce que cette assiette à un sens dans un cadre de reprise après dépôt de bilan ? Ma réponse en tant qu'avocat est très claire. Cela n'a aucun sens.

M. le Rapporteur : Nous sommes d'accord !

M. Yves LEONZI :  La seule explication qui m'ait été donnée, c'est que la loi des marchands a été écrite à un moment où mandat a été donné à CIBC d'aider Corbet dans le cadre d'une reprise in bonis. L'explication qui m'a été donnée et qui a été donnée aux commissaires aux comptes et aux tiers intéressés, c'est qu'entre autre chose, la cause de la réduction de ce contrat et de la forfaitisation est liée à l'évolution de la situation, et au fait que la totalité du montant de la contribution spontanée n'était pas versée par les Suisses. Mais je n'ai pas reçu d'autres explications. Est-ce que ces éléments, dans la chronologie, lorsqu'ils ont été portés à ma connaissance, m'ont choqué ? Non, ils sont explicables uniquement par le moment où l'accord a été pris initialement.

M. le Rapporteur : Mais le milliard et demi de Swissair était public. CIBC n'a eu aucun travail. Ce que je ne comprends pas, c'est quel est le lien entre l'action qu'a eue CIBC et l'assiette ?

M. Yves LEONZI : Non, là aussi, on se fait une fausse idée de ce qu'a pu être la reprise. L'offre publique faite par voie de presse en disant « je donne 2 milliards et vient les chercher qui veut », ce n'était pas du tout ça. Il faut quand même être conscient d'un élément fondamental et je n'ai eu de cesse que chacun soit à sa place, les mandataires de justice et le tribunal, notamment.

Je reprends mon propos qui est très ferme. La volonté de Swissair était de choisir son repreneur et de faire bénéficier de ces 2 milliards un repreneur choisi par elle. Est-ce choquant ? Pas du tout. Pourquoi ? Parce que celui qui verse des sommes de cette importance court un risque terrible. Le risque étant que le repreneur vienne déposer son bilan dans les dix-huit mois suivant l'acte de cession et voie les merveilleux actes de désistement d'instances et d'actions qui sont le pendant du versement de la contribution, remis en cause. Donc, les Suisses - et CIBC a participé à ce travail-là - ont organisé eux aussi des grands oraux avec ou sans les administrateurs, où chaque repreneur devait exposer ce qu'il comptait faire avec 1 milliard, 2 milliards, etc. ; afin que Swissair émette un avis. Il a été mis le holà, à ma demande, à cette situation, parce que seul le tribunal de commerce, après dépôt de bilan, avait compétence pour juger qui était le repreneur et il a été fait en sorte qu'uniquement des enveloppes soient négociées par les organes de la procédure, mais que le choix soit fait par le tribunal.

M. le Président : On comprend bien les difficultés de telles opérations mais le problème n'est pas là. Le Rapporteur a tout à fait raison de se fonder sur un document incontestable, signé le 11 juillet, où l'on s'aperçoit que le service ne répond pas du tout à la commande et que la facture ne correspond pas au service rendu.

Mais je voudrais vous poser une question sur la manière dont le tribunal a pris sa décision, à l'évidence, comme vous venez de le dire. Et lorsque le tribunal a décidé, la lettre d'évidence de fonds a certainement eu une influence déterminante. Parce que face à un tribunal qui est à la recherche d'investisseurs et de garanties financières, une lettre d'évidence de fonds de 80 millions de francs, ce n'est pas rien dans une opération comme celle-là. Elle a eu une influence, cette lettre. Oui, ou non ?

M. Yves LEONZI : Non, ce sont le périmètre de la reprise sur le plan social et les réquisitions prises par le Parquet qui ont eu une influence déterminante.

M. le Président : Donc, ce n'était pas utile de la présenter, si elle n'a pas d'incidence. Cela dit le jugement du tribunal mentionne cette lettre.

M. Yves LEONZI : C'est un fait.

M. le Président : Vous nous avez dit que cette lettre n'était pas importante, parce que vous ne jugiez pas opportun d'utiliser ce droit de tirage, parce qu'une usine à gaz était montée et que ce n'était pas tout à fait crédible.

M. Yves LEONZI : Les conditions économiques étaient déraisonnables. Au moment où la question s'est posée de savoir si le tirage devait être effectué, c'était après à la défaillance des Suisses et après le 11 septembre, ç'eut été une faute de gestion de l'utiliser.

M. le Président : Une lettre d'évidence de fonds est donc produite. Je répète que vous avez jugé que cette usine à gaz n'était pas opérationnelle. Néanmoins, le tribunal l'a prise très au sérieux.

Nous enquêtons sur la manière dont les fonds publics ont été utilisés. Vous aviez ce droit de tirage, et quatre mois après, M. Corbet interpelle le gouvernement et engage une procédure de demande de soutien qui débouche au terme d'une instruction extraordinairement rapide par l'octroi d'un prêt du FDES de 30 millions d'euros.

Pourquoi, alors que cette lettre d'évidence de fonds existait, même si elle était difficile à mettre en œuvre, avant d'interpeller l'Etat et demander des fonds publics n'a-t-on pas fait fonctionner ce système ?

Pourquoi, par exemple, n'a-t-on pas fait davantage appel à Mermoz ? Pourquoi y a-t-il une répartition des actifs, de telle sorte qu'ensuite, on se tourne vers l'Etat pour demander des crédits pour faire fonctionner le système ?

Je crois que vous étiez présent à certaines séances du comité d'entreprise. Pourquoi M. Corbet a-t-il indiqué déjà un an avant que la société fût déjà en situation de dépôt de bilan ? Nous avons le compte rendu du comité d'entreprise, c'était en décembre, un an avant.

M. Yves LEONZI : Il faut se garder de confondre les choses. On dépose son bilan soit parce qu'on est en état de cessation de paiements, soit parce que la situation est irrémédiablement compromise. L'ensemble des déclarations, en tout cas celles qui ont été portées à ma connaissance, faites par Corbet, en ma présence, ou hors ma présence au comité d'entreprise, concernaient le caractère irrémédiablement compromis ou pas de la situation. L'une des motivations de la requête désignant Lafont en janvier était également l'effort sur les gains de productivité et la réduction de la masse salariale, c'est-à-dire les efforts demandés aux salariés, pour permettre justement à la situation de ne plus être irrémédiablement compromise. S'agissant de la lettre d'Aurel Leven, pour avoir 80 millions, il fallait en rembourser 160. Je donne un ordre de grandeur. C'est le management d'Air Lib, Jean-Charles Corbet - consulté comme président du conseil de surveillance -, les experts-comptables et les commissaires aux comptes qui ont pris la décision de ne pas l'utiliser car la situation était suffisamment compliquée.

M. le Président : Je vais vous interrompre, Maître. Je comprends très bien ce que vous nous dites et ce n'est pas la peine de nous le répéter. Si cette lettre n'était pas opérationnelle, il ne fallait pas la produire devant le tribunal. Comment peut-on devant un tribunal présenter une lettre d'évidence de fonds comme étant un élément essentiel de la reprise - c'est en tout cas ce qui ressort du jugement - alors que l'on sait très bien qu'elle n'est pas opérationnelle. Vous le saviez au moment du jugement, je présume, puisque lorsque la lettre a été présentée, le dispositif était parfaitement connu. Ou elle n'aurait pas dû être présentée parce qu'effectivement, pour avoir 80, il fallait payer 150. Ou alors, si elle a été présentée comme un élément crédible du plan de reprise, elle aurait dû être opérationnelle, et on aurait dû tirer les 80 millions.

M. Yves LEONZI : Il n'est pas dans mes habitudes professionnelles de pratiquer l'escroquerie à jugement. Si une pièce ne doit pas être produite ou si elle semble polluée et viciée, on ne la présente pas. La lettre d'évidence de fonds transmise par CIBC, je crois, le matin de l'audience en chambre du conseil, n'était pas un élément essentiel de l'offre ; cet élément n'était pas compris dans l'offre. Mais, effectivement, ce document a été présenté au tribunal et visé comme toutes les autres pièces dans les attendus du jugement.

Par rapport à cette situation, vous nous demandez si ce financement était un bon financement. Je ne vais pas me répéter. Ce n'est qu'au moment où la question de nouveaux financements s'est posée que les conditions dans lesquelles l'exercice du tirage de ces 80 millions de francs ont été connues ou en tout cas portées à la connaissance, me semble-t-il, en tout cas, c'est la mémoire que j'en ai, d'autres personnes que CIBC, dont c'était le mandat et qui avait négocié ces éléments-là. La mémoire que j'ai des discussions entre les dirigeants et les hommes du chiffre était d'examiner si avant d'aller solliciter l'Etat ou d'autres banques, il n'y avait pas la possibilité de faire jouer cet engagement. Et la conclusion a été que le coût financier du recours à Aurel Leven était tout à fait exorbitant.

M. le Président : Vous ne m'empêcherez pas de penser que ce genre de réflexion aurait dû intervenir avant la présentation de cette lettre au tribunal.

M. le Rapporteur : Nous avons découvert que la société coopérative Mermoz a payé 9,14 millions d'euros au cabinet Plegler et Blach pour le compte de la holding Holco SAS, en vue d'assurer le financement des actions judiciaires contre Swissair. Etiez-vous au courant de ces faits ? Pourriez-vous nous éclairer sur la logique du système ? Il s'agissait de récupérer les 400 millions de francs qui n'avaient pas été versés, c'est-à-dire la différence entre le milliard et demi et ce qui a été versé, c'est-à-dire un peu plus d'un milliard. Est-ce que c'est quelque chose de courant de verser 9 millions d'euros à un cabinet d'avocat pour plaider pendant des années et des années. Y a-t-il eu un contrat, un devis ? Est-ce une pratique commune ? Pouvez-vous nous éclairer sur le montage ? C'était pour la société holding Holco, mais comme ils n'avaient pas d'argent, ils ont ponctionné dans la coopérative Holco une partie des provisions grands entretiens des sept avions qui avaient été mis dans cette filiale.

M. Yves LEONZI : J'ai eu connaissance de ce souhait de Jean-Charles Corbet dans les locaux du CIRI, en janvier ou février 2002. En cas de défaillance d'Air Lib, confusion de patrimoine, extension de passif ou autre, le souhait de Jean-Charles Corbet était à l'époque de faire en sorte que les Suisses qui avaient pris les engagements puissent les respecter quelles que soient les conséquences d'un éventuel dépôt de bilan d'Air Lib.

Je n'ai eu les documents qu'au moment des travaux sur l'établissement des différents conseils d'administration et assemblée générale d'Holco, donc, lors de l'établissement du bilan arrêté au 31 mars 2002. Dans le cadre des demandes faites par les commissaires aux comptes, les pièces concernant les différents honoraires ont été produites. A cette occasion, j'ai vu le contrat qui est un contrat de paiement d'honoraires forfaitaires, avec un engagement qui doit survivre aux malheurs éventuels de tout ou partie des structures Holco-Air Lib.

Une petite précision, parce que là aussi, il y a un certain nombre de malentendus : c'est Holco qui contractuellement a signé le protocole d'accord avec les Suisses ; donc, c'est Holco qui a seule qualité à agir pour récupérer la montant de la contribution spontanée, les fameux 60 millions d'euros. Sachez aujourd'hui que dans le cadre du contentieux contre les Suisses, 45 millions d'euros sont arrêtés en France, majoritairement, ou dans six pays européens, puisque, aujourd'hui, il n'y a plus un seul billet émis par la compagnie suisse, en Belgique, au Benelux, en Italie, en Espagne et en France qui ne soit saisi par Holco.

Donc, pour répondre directement à votre question, oui j'ai eu connaissance de cet élément-là, le contrat m'a été décrit.

Est-ce que le principe du paiement d'une provision sur un suivi est habituel, la réponse est non. Est-ce que par rapport au montant, les montants tels qu'ils m'ont été décrits et ont été arrêtés à l'époque, sont cohérents par rapport à la créance à recouvrer et aux diligences qui pouvaient être imaginées en janvier 2002 au moment de la signature, tels que les éléments ont été portés à ma connaissance, ça ne m'a posé de difficultés particulières, et les commissaires aux comptes ont pris acte de ces éléments et ont certifié les comptes.

Puisque vous évoquez la situation, j'ai parfaitement en mémoire ce qui a été dit au cours des réunions d'approbation de comptes auxquelles j'ai assisté. C'est le compte courant d'Holco dans une de ses filiales, qui, au nom et pour son compte, ce qui est tout à fait habituel, a servi à rémunérer ce contrat. Mais quelle que soit la source de financement, cette dépense est dans les comptes d'Holco, certifiée par les commissaires aux comptes au 31 mars 2002.

M. le Rapporteur : Certes, mais on est en crise de trésorerie. On est en train de demander à l'Etat 30 millions d'euros, et on dépense un peu plus de 9 millions...

M. Yves LEONZI : Non !

M. le Rapporteur : ...pour verser une somme pour des honoraires qui vont peut-être valoir sur trois ou quatre ans.

M. Yves LEONZI : Non, nous ne sommes pas en crise de trésorerie et c'est le paradoxe. Nous ne sommes pas en crise de trésorerie. Mazars fait ses travaux et touche du doigt l'ensemble des sommes en trésorerie ou disponible. L'Etat exige d'Holco qu'elle descende 5 millions d'euros à côté des 30 millions d'euros sollicités de la part de l'Etat...

Pardonnez-moi, mais le point central du dossier, c'est l'état de cessation des paiements ou pas ou la situation irrémédiablement compromise. Je vais au-delà de votre observation. Est-ce qu'au moment où il est demandé à Holco de descendre les 5 millions d'euros, est-ce qu'exerçant mon devoir de conseil j'aurais interdit à Holco de descendre les 5 millions d'euros si effectivement il n'y avait pas eu d'éléments pouvant attester du caractère pérenne du suivi d'Air Lib ? La réponse est oui. Sans le GIE fiscal, ni l'Etat ni Holco n'auraient mis la main à la poche.

Par rapport aux disponibilités en trésorerie qui sont, ou ont été dans les sociétés « du haut », tous ceux qui jusqu'à présent survolent le dossier sans y rentrer imaginent qu'il y aurait une obligation naturelle d'affectation de 100 % de la contribution spontanée des Suisses ou des fonds propres d'Holco à Air Lib. Le raisonnement complémentaire est de dire que le devoir naturel de la mère est de venir à l'aide de sa fille malade.

Ce raisonnement est radicalement faux. La situation qui est la situation en droit commun français, c'est que quiconque soutient une activité structurellement déficitaire ou fait du soutien, peut être poursuivi comme tel. Même si Holco avait eu encore 500 millions de francs chez elle au moment du prêt FDES, l'accord passé entre le CIRI et l'Etat était d'accompagner chacun la situation pour permettre à Holco de conserver suffisamment de trésorerie pour assurer en tant que de besoin la survie des autres filiales qui représentaient un peu plus de 1 000 salariés sur les 3 500 repris au moment de la reprise. Donc, l'arbitrage sur les montants qui ont été descendus, c'est un arbitrage. Mais venir dire qu'il y a une vocation naturelle de venir soutenir une entreprise qui ne va pas bien, non.

Je complète ces éléments-là. Alors que le prêt FDES a été débloqué au mois de février, Air Lib ne pouvant assurer ses fins de mois, pourquoi est-ce l'Etat et non pas Holco qui au mois d'avril, mai ou juin, on ne va pas accumuler les mois jusqu'au moment de la défaillance, a servi de banquier de substitution ? Tout simplement parce que le GIE devant intervenir, l'Etat, et l'Etat seul, avait les éléments de validité sur la mise en œuvre du GIE. C'est parce que l'Etat avait ces éléments qu'il a pris la décision d'assurer seul le risque de la continuité d'Air Lib.

M. le Rapporteur : J'y viens, Maître, c'est ma troisième question. Ce sont les relations entre Holco et la banque Arjil. La banque Arjil a été sollicitée et elle a émis une facture de 800 000 euros pour payer ses prestations sur le montage du fameux GIE fiscal qui n'a jamais été monté. Même la lettre de M. Fabius que vous avez citée était prudente puisqu'elle disait : « Vous avez un accord de principe, mais sous réserve que vous me présentiez les investisseurs. » Ces investisseurs, on ne les a jamais vus.

Je voudrais vous demander plusieurs choses. Est-ce que vous étiez au courant de l'action de la banque Arjil, des relations entre la banque Arjil et Holco ? Pourquoi avoir payé 800 000 euros à une banque alors qu'on n'a pas réussi à monter le projet ? Et contrairement à ce que vous avez dit, même si on avait monté cette affaire, elle aurait rapporté peut-être une trentaine de millions d'euros, d'après ce qu'on nous dit dans les auditions auxquelles nous avons procédé.

M. Yves LEONZI : Tous les chiffres que j'ai toujours entendus, y compris dans les locaux ministériels, c'était le double, entre 50 et 60 millions de dollars. Ce sont toujours les chiffres qui ont été évoqués.

M. le Rapporteur : Et bien nous, dans les documents écrits et les témoignages oraux, on nous a parlé d'une trentaine de millions. En fait, tout dépendait du montage. L'idée était qu'on allait acheter 73 millions pièce chacun des deux appareils et qu'on allait les céder à un investisseur pour 100 millions. Tout dépendait du prix auquel l'organisme les reprenait.

Avez-vous joué un rôle dans les négociations avec la banque Arjil et que savez-vous de ces 800 000 euros qui ont été payés, et dont je n'ai trouvé pour le moment que 300 000 euros qui ont été payés en deux versements par la holding, c'est-à-dire la SAS Holco. Les 500 000 autres, on ne sait pas encore s'ils ont été payés ou s'ils ont été payés par la filiale. Qu'est-ce que vous savez sur cette affaire ?

M. Yves LEONZI : En ma qualité de conseil d'Holco et d'Air Lib et dans le cadre de la procédure de mandat ad hoc de Maître Lafont, et pour permettre à Maître Lafont de faire son rapport mensuel au Président du tribunal de commerce de Créteil conformément aux termes de son mandat, j'ai eu connaissance, bien évidemment, des prestations de la banque Arjil, sans rentrer dans les détails du contrat. J'ai vu le contrat postérieurement lorsqu'il a été demandé la communication d'un certain nombre de pièces, mais je n'ai pas participé ni à l'élaboration du contrat ni aux différents travaux de la banque Arjil. En revanche, je transmettrai à votre commission les rapports que j'ai demandés à la banque Arjil, parce que Maître Lafont et moi-même nous énervions pour essayer de comprendre quels étaient les mécanismes et les ingrédients qu'il fallait intégrer au GIE fiscal. J'ai des documents qui datent d'octobre 2002 ; ce sont les rapports de synthèse qui ont été adressés au président Corbet à ma demande par Arjil, rapports qui comportent une chronologie complète ainsi que l'état des diligences.

En dehors de ces éléments que je porterai à la connaissance de votre commission, les seuls éléments de fond dont j'ai eu connaissance, pour avoir participé directement à ces travaux, c'est le CIRI qui a exigé l'intervention d'Arjil dans le cadre de la mise en place du prêt FDES. D'ailleurs dans le préambule du prêt FDES, on vise l'attestation faite par Arjil de la faisabilité du GIE ; jamais les mécanismes de prêt n'auraient été mis en place si cette faisabilité du GIE n'avait pas été établie.

Par ailleurs, lorsque la décision de M. Mer de proroger le prêt FDES de juillet à novembre est intervenue, c'est après l'attestation validée par les services Mazars de la mise en œuvre du GIE.

J'indique, bien qu'il s'agisse d'un élément annexe, que lorsque Mme Bénadon, directrice des transports aériens, est allée notifier ce prêt à Bruxelles, elle a dû indiquer que le prêt ne pouvait pas, tout le monde le savait, être remboursé par les fonds propres d'Air Lib au moment de sa mise en place et devait être remboursé par le GIE. Donc, la notification du prêt correspondait bien au remboursement par le GIE. J'ignore ce que Mme Bénadon est allée dire à Bruxelles lors des renouvellements successifs, mais elle a dû vraisemblablement y aller, parce que s'agissant de deniers publics, c'est l'obligation de l'Etat d'y aller. Donc, je pense qu'il faut l'interroger sur ce point pour savoir quelle a été la motivation de l'Etat dans le cadre des renouvellements à Bruxelles.

Nous avons compris, nous, en fin de conciliation, que le document extrêmement important préparé par KPMG pour le compte d'Air Lib concernant la transformation du prêt FDES en crédits de restructuration n'a jamais été transmis par l'Etat à Bruxelles. Rien n'a été fait et les notifications postérieures des reports n'ont pas été effectuées par l'Etat.

M. le Rapporteur : Maître, je voudrais maintenant vous interroger sur les rémunérations des dirigeants de la SAS Holco. Nous avons découvert qu'à peine arrivé, le président Corbet s'est octroyé des « golden hello », en Français des « bonjours dorés » de montants considérables. Les montants sont de 855 904 euros pour M. Corbet, qui, comme Holco est une SAS à actionnaire unique, décide de s'octroyer cette somme à lui-même. Il octroie à son directeur général M. Bachelet une prime d'arrivée de 380 122 euros et puis à M. Bardi la même somme. Comme vous étiez l'avocat de la maison...

M. Yves LEONZI : L'un des avocats !

M. le Rapporteur : C'est vrai, il y en avait d'autres. M. Corbet vous en a-t-il parlé ? Dans l'affirmative, avez-vous attiré son attention sur le fait qu'à peine arrivé, s'octroyer des « golden hello », y compris à lui-même pouvait présenter des risques ? Mais, c'était lui qui décidait. L'avez-vous conseillé sur cette affaire ?

M. Yves LEONZI : Deux réponses distinctes, parce qu'il faut distinguer le cas de MM. Bachelet et Bardi de celui de M. Corbet.

Concernant le choix de managers opérationnels, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on ne se battait pas au portillon pour prendre la direction d'Air Lib au mois de juillet 2001. Les personnalités incontestables de l'aérien pouvant prendre la tête d'Air Lib, puisque ce n'était certainement pas la vocation de M. Corbet au moment de la reprise, avaient déjà donné. J'évoque M. Couvelaire ou M. Rochet qui étaient intervenus. Là aussi, et c'est une réponse indirecte parce que les commissaires aux comptes ayant posé cette question, j'ai entendu les réponses qui ont été formulées, je pense que vous connaissez la rémunération de M. Rochet pendant sa mission. Elle était largement supérieure à ce qu'à perçu au total M. Corbet pour une période bien plus longue.

Avait été contacté Thierry Antinori qui était à l'époque membre n° 6 du board de Lufthansa. Il en est maintenant le n° 4. Thierry Antinori voulait, pour venir dans une société considérée à risque, ce qui risquait de polluer son image dans le cadre de sa carrière, 35 millions de francs de « golden hello ». Il a été admis que c'était incompatible avec la nature de la reprise.

François Bachelet et Alain Bardi, respectivement ancien président d'Air France Cargo et directeur général d'Air France Cargo, étaient connus du milieu de l'aérien...

M. le Rapporteur : Mais à la retraite, Maître.

M. Yves LEONZI : ...ne sont venus - et je ne fais que vous indiquer ce que j'ai su, parce que cela m'a été dit - ne sont venus, que parce qu'il n'y avait personne d'autre d'un point de vue réglementaire capable de remplir les différentes exigences, d'une profession réglementée, à savoir les exigences du Conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM). Il n'y avait pas d'autres professionnels de l'aérien qui aient été trouvés en dehors de MM. Bachelet et Bardi. Ils ont exigé des « golden hello ». Encore une fois, je n'ai participé ni aux négociations, ni eu un mot à formuler. J'en ai eu connaissance. Ces sommes m'ont-elles paru exorbitantes par rapport aux fonctions ? La réponse est non.

S'agissant de M. Corbet, sa rémunération de base, de mémoire, 30 000 euros, donc environ 150 000 francs, était inférieure à son salaire de pilote à Air France. C'est l'élément qu'il aime mettre en évidence, s'agissant d'un aspect alimentaire et familial. Ce n'est pas la réponse de professionnel que je formule. Nous avons un patron de holding qui reprend le deuxième pôle aérien français et qui doit être rémunéré en fonction de ses fonctions. La rémunération du président de la holding, rémunération standard et différents avantages compte tenu de l'état des sociétés, de la charge de travail et de la pluralité de fonctions n'est pas apparue extraordinaire ou anormale aux hommes du chiffre et aux commissaires aux comptes. Je n'ai pas d'autres observations à formuler. Encore une fois, j'étais conseil extérieur, ce n'est certainement pas l'avocat qui fixe la rémunération du dirigeant d'entreprise.

M. le Rapporteur : Ma question était de savoir s'il vous avait demandé conseil.

M. Yves LEONZI : La réponse que j'ai formulée est une réponse générique qui est exactement celle que je viens de formuler, parce que je n'ai pas l'habitude de dire deux fois des choses différentes quand j'exerce mon métier, à savoir que la rémunération d'un dirigeant de holding est fonction du travail effectué pour le compte de la holding et des filiales. Est-ce que la rémunération globale perçue par Jean-Charles Corbet pour le travail effectif qui devait donner lieu au versement de management fees qui n'ont jamais été payés entre les sociétés du bas et les sociétés du haut m'apparaît anormale ? Ma réponse est très claire : non ! Je connais un certain nombre d'autres groupes qui ont des dirigeants qui sont payés bien plus, dans des conditions bien acrobatiques. La rémunération de M. Rochet, alors que l'entreprise était en dépôt de bilan, me choque. Pas celle de M. Corbet.

M. le Rapporteur : Mais M. Corbet était l'actionnaire unique, avec une mise de fonds le concernant extrêmement minime, pour ne pas dire plus, et au surplus, il n'avait aucune expérience de manager. Il n'était pas le numéro 3, 4 ou 5 de la Lufthansa ou de British Airways, comme l'étaient d'autres personnes que vous avez citées. Il n'avait aucune expérience managériale et à peine arrivé, il s'octroie une somme considérable, pratiquement 860 000 euros. Vous pensez qu'il ne prenait aucun risque juridique ? C'est cela que j'ai compris de votre réponse. Vous n'estimiez pas anormale cette rémunération. Nous en prenons acte.

M. Yves LEONZI : Vous pouvez formuler la question sous un autre angle, ma réponse sera identique.

M. le Président : Maître, je comprends bien tout ce que vous dites, et nous ne sommes pas là pour comparer les rémunérations des uns et des autres. Nous sommes là pour évaluer la situation d'une entreprise clairement identifiée dans une situation particulière qui est l'appel à fonds publics.

M. Yves LEONZI : Holco n'a jamais fait appel aux fonds publics.

M. le Président : D'accord ! Mais nous, ce qui nous étonne, c'est la manière dont on utilise le droit pour en tirer des conséquences qui ne sont pas forcément conformes à l'intérêt général. Vous nous avez déjà répondu s'agissant de la distinction entre Holco et la société d'exploitation. Je ne suis peut-être pas juriste, mais je peux le comprendre. Le problème n'est pas là. Le problème tient certes au droit, mais aussi à la morale, et nous aurons à nous en expliquer plus tard.

Je ne dis pas que le droit n'a pas été respecté. Je pose une question. A un poste précis, quelqu'un est rémunéré de cette manière-là. Très bien ! Quand c'est la loi du marché, avec des entreprises qui fonctionnent, moi, ça ne me pose pas de problème. Quand c'est en revanche dans le cadre d'un appel à fonds publics à hauteur de 130 millions de francs, c'est autre chose.

Donc, la question que je pose est très claire. Le prêt FDES s'élevait à 28 millions d'euros. A quelques millions près, cela n'est pas très éloigné du total des rémunérations dont faisait état le Rapporteur, plus les honoraires qui ont été servis à l'ensemble des conseils, y compris bien entendu votre cabinet pour 3,14 millions. Je dis cela sans discuter la hauteur des rémunérations.

M. Yves LEONZI : Mon expert-comptable a établi des décomptes d'heures, donc, je suis tout à fait prêt à en débattre. Ce n'est pas du tout un sujet tabou pour moi. Mes équipes ont travaillé ! Je préfère en débattre en public plutôt que dans une arrière-cour.

M. le Président : Nous aurons peut-être l'occasion d'en débattre dans d'autres lieux, Maître, l'enquête n'est pas terminée.

M. Corbet, à deux reprises, le 18 décembre et le 28 décembre, en comité d'entreprise a dit que la société était en situation extrêmement difficile. Vous nous avez dit qu'Holco a préféré s'occuper des filiales, soit 1 000 employés. Très bien, je l'admets. Vous nous avez dit que le GIE devait intervenir. Soit. Mais, pendant cette période-là, avant l'appel à fonds publics, s'est-on posé la question de savoir s'il était opportun de payer immédiatement l'ensemble des honoraires qui devaient être servis aux conseils ? On règle des honoraires et des salaires aux managers et puis on se tourne vers l'Etat pour lui demander 30 millions d'euros de prêt parce qu'on n'arrive pas à joindre les deux bouts et que la situation est irrémédiablement compromise. C'est une question morale, Maître.

M. Yves LEONZI : Monsieur le Président, je suis prêt à en débattre dans d'autres lieux sur le plan moral. Je n'ai qualité à vous répondre que sur le plan du droit, et vos propos, que je ressens comme citoyen et contribuable, je ne les partage absolument pas sur un plan professionnel, parce que vous écrasez la chronologie, à la fois de la situation des entreprises et des paiements.

Le paiement des honoraires, notamment des honoraires de résultats, est intervenu fin août, avant le 11 septembre et la défaillance de Swissair. Les « golden hello » des managers ont également été payés à la fin du mois d'août sur les premiers fonds venant de Swissair. La possibilité d'un dépôt de bilan a été évoquée en comité d'entreprise. En revanche, je m'inscris en faux sur le fait que les sociétés puissent avoir été ou étaient en état de cessation des paiements, seul le caractère irrémédiablement compromis d'Air Lib lié au fait qu'il fallait un projet industriel nouveau et qu'il fallait le financer pouvait être évoqué dans cette enceinte.

Je reprends le propos pour pouvoir le caricaturer. Aurait-il été choquant qu'un dirigeant d'Air Lib se paye des montants inconsidérés au moment où il était fait appel à l'argent public ? Oui, cela m'aurait choqué en tant que citoyen et en tant qu'avocat, mais cela n'a pas été le cas. On peut tenir entre citoyens des propos généraux mais sur le dossier, la chronologie est ma réponse.

M. le Président : Vous avez forcément raison de rappeler la chronologie. Par exemple, les paiements de la CIBC sont intervenus fin août avant que les fonds publics aient été appelés, cela ne nous a pas échappé, mais le caractère irrémédiablement compromis de l'entreprise ne nous a pas échappé non plus.

M. Yves LEONZI : D'Air Lib, jamais d'Holco.

M. le Président : Holco est un montage juridique et financier.

M. Yves LEONZI : Pas du tout ! Je réfute le terme de montage.

M. le Président : Un certain nombre de sociétés ont été constituées pour recevoir des fonds issus de la liquidation d'une entreprise. Le réceptacle de ces fonds est un montage juridique ou une architecture juridique - appelez-le comme vous voulez - qui aboutit au fait qu'aujourd'hui Holco n'est pas concerné alors que 3 200 salariés d'Air Lib sont au chômage. Admettez que cela puisse nous surprendre. Dans ce cas-là, il ne fallait pas faire appel aux fonds publics. On ne pouvait pas d'un côté servir tout ce qui a été servi, alors qu'on connaissait le caractère irrémédiablement compromis de l'entreprise et se tourner vers l'Etat. C'est quelque chose de considérablement choquant ; je maintiens ce terme.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous poser une question sur le problème de la coopérative Mermoz.

M. Yves LEONZI : La coopérative pose de nombreuses questions.

M. le Rapporteur : Oui, mais vous allez voir, elles sont très simples. On nous dit que M. de Vlieger est devenu le propriétaire de cette filiale suite à un acte qui a été signé par le président de la SAS Holco, M. Corbet, dans le cadre des négociations pour essayer de trouver un repreneur dans la phase finale de la vie de la société d'exploitation filiale de la SAS Holco. Avez-vous joué un rôle dans cette affaire et dans cet acte que nous n'avons pas encore, mais que nous avons demandé ? Quel a été votre rôle de conseiller auprès de M. Corbet ?

M. Yves LEONZI : Oui, bien évidemment, je dispose de la totalité des actes litigieux avec IMCA, et de l'ensemble des actes de procédure qui sont effectués par l'ensemble des cabinets mandatés par Holco pour faire en sorte de revenir à la situation ante.

Je vais vous répondre très précisément. Aujourd'hui, quelle est la situation d'Holco vis-à-vis de la coopérative Mermoz et quelles sont les procédures ? Plainte a été déposé par Holco et une enquête préliminaire est ouverte. Les parts détenues par « de Vlieger » et IMCA chez coopérative Mermoz sont saisies en Hollande ; les avocats en Hollande ayant été mandatés par Holco pour réaliser cet élément. Le président du tribunal de commerce de Paris a, mardi dernier, désigné Maître Philippot comme administrateur provisoire de Mermoz pour prendre toutes les mesures conservatoires sur Mermoz (mission de séquestre élargie des parts et des avoirs de Mermoz).

Quant aux conditions dans lesquelles cet acte est intervenu, j'étais présent à Amsterdam, au moment où cet acte a été signé dans les bureaux d'IMCA, et je vais vous donner le contexte et l'explication de la signature de ces actes.

Ces actes ont été signés en trois temps. Je cite les dates de mémoire. Un engagement qui vaut pacte futur d'actionnaires entre IMCA et Holco a été signé, début janvier, le 9 janvier, de mémoire. Et deux avenants ont dû être signés le 15 janvier ; les dates précises m'échappant. Nous nous trouvons en conciliation, à un moment où le 9 janvier, l'Etat exige le remboursement du prêt FDES, et où la conciliation devient extrêmement chaude ; Maître Lafont a dû vous l'indiquer. L'Etat n'a pas - pardonnez-moi de revenir sur ce qui blesse, mais il est important que vous ayez tous les éléments - voulu transmettre le dossier KPMG à Bruxelles, faute d'avoir transmis les notifications en temps et en heure des prorogations. Dès lors, l'Etat est pied au plancher. Le seul moyen pour lui de récupérer la totalité de la dette publique est d'imposer une conciliation prévoyant le remboursement de 100 % de la dette publique. Le protocole de conciliation prévoyant le remboursement de 100 % de la dette publique, il n'était plus nécessaire d'aller à Bruxelles pour notifier rétroactivement un prêt qui n'avait pas été notifié.

On avait donc d'un côté l'Etat qui faisait légitimement du forcing pour que son dû lui soit remboursé, et IMCA à qui l'on demandait un certain nombre de choses tout à fait anormales. Je rappelle ces éléments mais je ne peux pas répondre précisément à votre question si vous ne me laissez pas les deux minutes qui vont envelopper mon propos.

M. le Président : Prenez-les !

M. Yves LEONZI : Au moment où la conciliation est ouverte, j'ai interrogé l'Etat, et je vous donnerai les lettres qui sont sous ma plume adressées à M. de Robien et à M. Bussereau pour leur rappeler la chronologie et les interroger sur le GIE, l'état de cessation des paiements et l'exigibilité de la dette publique. Il m'a été fait réponse par l'Etat en disant que l'Etat renonçait à l'exigibilité de toutes ces sommes, ce qui a permis l'entrée en conciliation le 14 novembre 2002.

Lorsque IMCA s'est présenté chez M. de Robien, IMCA a dit au mois de novembre à M. de Robien : « Vous avez largement communiqué sur une date butoir ultime, que ce soit la licence ou l'échéance du prêt au mois de novembre. Les avions d'Air Lib se sont vidés. Je suis investisseur, j'ai de l'argent. S'il vous plaît, en fin de conciliation, c'est mon argent, moi IMCA, qui va servir à financer Air Lib. L'engagement que je prends étant bien évidemment de financer les dettes courantes, d'acheter des avions et de refinancer les éléments courants. Mais je vous demande, pendant la conciliation, de faire en sorte qu'il y ait le moins possible un déficit d'exploitation complémentaire lié à la communication du gouvernement. »

Lorsqu'au mois de janvier, IMCA revient à la table du CIRI, parce que le CIRI et l'Etat n'avaient pas voulu recevoir Maître Lafont pendant le mois de novembre et le mois de décembre, le secrétariat au transport, butant sur la date du 9 janvier, refuse d'entrer en conciliation, au motif que la seule conciliation possible pour lui était de payer et de payer à l'échéance. La conciliation n'a été ouverte que postérieurement à l'échéance du prêt, le 9 janvier, l'Etat ayant dégoupillé une grenade qui juridiquement devait aboutir, dans son esprit, à l'amortissement par IMCA de la dette dans le délai d'une quinzaine. La loi dispose que quiconque, en état de cessation des paiements, doit déposer le bilan dans un délai d'une quinzaine. L'Etat ne renonçant pas, pour la première fois, à l'exigibilité des dettes le 9 janvier, a ouvert une conciliation le 9 janvier en disant : les délais du tribunal de commerce, nous ne les reconnaissons pas ; on a 15 jours pour en sortir. Si dans 15 jours, on n'a pas trouvé une solution, il n'y aura plus de licence, il n'y aura plus d'Air Lib, parce que vous devrez déposer le bilan.

L'Etat et les intervenants ont démarré les travaux de conciliation dans ces conditions. Il a été imaginé une logique, une architecture de conciliation extrêmement compliquée. Je la rappelle, parce que si on ne rappelle pas les différents temps, on ne peut pas comprendre les actes passés avec IMCA. L'architecture était la suivante. Il y avait un passif antérieur. Le passif antérieur, on n'y touchait pas ; 100 % de ce passif antérieur comprenant à la fois l'intégralité des dettes d'Etat et le prêt FDES qui devaient être remboursés selon un amortissement.

Il y avait par ailleurs deux autres natures de sommes. Les parties convenaient au moment où le protocole était arbitré et pouvait être signé par l'ensemble des parties, y compris IMCA que légitimement IMCA ne pouvait pas renoncer aux conditions qui étaient les conditions résolutoires des engagements qu'elle allait prendre dans le cadre de cette conciliation. Les engagements d'IMCA apparaissaient à l'ensemble des parties, y compris à l'Etat, parfaitement légitimes. Il s'agissait des éléments sur la licence, des éléments de confortation des droits sur l'Afrique, IMCA objectant à l'Etat qu'on ne pouvait pas lui faire prendre des engagements, notamment sur le long courrier, si compte tenu de la situation d'Air Lib par rapport aux Antilles, le long courrier n'était pas sécurisé.

L'Etat avait souhaité la reprise directe, immédiate, des paiements courants. L'Etat, dans le protocole d'accord, avait accepté qu'une caution garantie à première demande soit donnée par IMCA sur le montant des dettes étatiques, courues ou à courir, entre le 9 janvier, date où l'Etat décide de l'exigibilité, et le 14 mars, le 14 mars étant une date juridique. Celle de la fin de l'expiration des trois mois plus un mois, du mandat donné à Maître Lafont dans le cadre de la conciliation.

Ce qui a posé problème, en dehors du problème de la licence, c'étaient les échéances courantes, le fonds de roulement d'Air Lib, entre une date qu'on peut situer aux environs du 20 janvier et le 14 mars, date de la fin de la conciliation, date à laquelle IMCA s'engageait à assurer sur sa trésorerie, sur ses fonds, 100 % des dépenses d'Air Lib, comprenant la reprise de tous les paiements courants, URSSAF, charges, etc. Simplement, le montant du fonds de roulement à financer à risque par IMCA entre le 20 janvier et le 14 mars avait été arrêté à 24,5 millions d'euros.

Nous étions à la veille de l'ultimatum de l'Etat, à la veille des 15 jours suivant le 9. Maître Lafont, très légitimement, a mis la pression sur tout le monde, en disant : je suis « mandataire de justice », je vais devoir faire rapport au président du tribunal de commerce de Créteil que nous avons échoué et je vais demander au président de l'entreprise de déposer son bilan. A ce moment-là, l'ensemble des participants était conscient du risque financier bien réel que l'on faisait prendre à IMCA, celui de décaisser sur sa trésorerie 24,5 millions d'euros. Les conditions exigées par IMCA pour rentrer ne seraient pas levées, auquel cas la conciliation ne pouvait pas être homologuée par le tribunal, puisqu'on ne peut pas, en droit français, homologuer une conciliation sous condition.

Lors d'une réunion qui s'est passée un dimanche matin, précédant le lundi où les fonds devaient être en France pour permettre la signature du protocole d'accord par IMCA et l'ensemble des parties, un accord est intervenu, l'ensemble des parties s'accordant à dire que tout était fini (la conciliation avait réussi) puisque IMCA était d'accord sur tout et qu'il suffisait uniquement de mettre du liant. Par cet accord, les actions de Mermoz étaient cédées à IMCA sous condition résolutoire de la réalisation de l'entrée effective d'IMCA dans l'opération.

C'est maintenant un débat judiciaire. Pourquoi cette cession a-t-elle été convenue sous condition résolutoire et non sous condition suspensive ? La réponse est donnée par la chronologie. L'argent devait descendre le lendemain ; chacun subodorait qu'IMCA allait financer les 24,5 millions grâce aux actifs qu'elle pouvait récupérer par ce biais même si cela n'a pas été formulé.

Ce qui s'est passé par la suite, et qui est du pénal, c'est que les conditions résolutoires ont été acquises quasi immédiatement par l'effet de la suspension de la licence, l'échec de la conciliation et la liquidation d'Air Lib, mais que nonobstant l'acquisition de ces clauses résolutoires, IMCA a effectué les formalités entérinant la cession, ce qui a entraîné tout le reste. La chronologie est celle-ci. La documentation vous sera donnée, de façon à ce que vous examiniez les pièces.

M. le Rapporteur : Quand votre cabinet a-t-il été créé sous sa forme actuelle ?

M. Yves LEONZI : Il a été créé le 1er août 1995, au moment où j'ai quitté la SCP que j'avais créée. Au moment de l'arrivée du dossier AOM-Air Liberté, j'avais à l'époque cinq collaborateurs ; aujourd'hui, nous sommes quinze au total, dont huit avocats.

M. le Rapporteur : Quelle proportion représente les honoraires qui vous ont été versés par le groupe Holco par rapport à votre chiffre d'affaires ?

M. Yves LEONZI : Comme je vous l'ai dit, mon cabinet est un cabinet de niche. Par opposition à d'autres cabinets, nous avons peu de clients, mais nous avons des dossiers récurrents, puisque nous accompagnons les entreprises devant le tribunal de commerce lorsqu'il faut effectuer les formalités.

Qu'a représenté le dossier Air Lib au niveau de notre activité, donc corrélativement, au niveau des honoraires ? Il a représenté 80 % de l'activité globale du cabinet et pratiquement 85 % du chiffre d'affaires encaissé pour cette période. Je vous donne un montant qui est un montant linéaire. J'avais fait préparer un détail collaborateur par collaborateur des totaux du temps passé par chacun. Pendant ces deux ans, Air Lib m'a occupé sept jours sur sept, environ 17 heures par jour, certains jours beaucoup plus. Bien évidemment, nous sommes dans des professions où je suis conseil. Mon indépendance, c'est mon éthique ce n'est pas forcément, contrairement aux comptables, le pourcentage du chiffre d'affaires. Mon cabinet vivait avant Air Lib. Lorsqu'un dossier comme Air Lib arrive, c'est très pénalisant ; j'ai perdu beaucoup de clients et l'activité traitée a été facturée. Le temps passé correspond aux honoraires reçus.

M. le Rapporteur : On nous a dit que vous aviez reçu un success fee lors de la reprise. Quel était son montant ?

M. Yves LEONZI : Je le disais tout à l'heure de façon un peu véhémente, mais, lorsqu'on estime être honorablement connu dans sa spécialité, on vit relativement mal que son nom soit mis en pâture dans la grande presse et que des honoraires erronés et TTC soient publiés, parce que, pour le non initié, il y a une grande adéquation entre le chiffre d'affaires, même TTC, et un résultat net d'une entreprise de service.

Je vous réponds très précisément. L'honoraire de résultat qui a été perçu est de 1,6 million d'euros.

M. le Rapporteur : L'accord avait été passé entre M. Corbet et vous-même.

M. Yves LEONZI : Il s'agissait d'un honoraire forfaitaire, un honoraire de résultat pur et dur. A titre d'information, je vous ai donné les chiffres tout à l'heure, lorsque la reprise est intervenue au mois de juillet, le temps passé pour mon cabinet représentait entre 3,5 et 4 millions de francs déboursés pour l'ensemble des collaborateurs et moi-même qui avions travaillé sur le dossier. Soit la reprise n'était pas effectuée et je n'avais pas du tout d'honoraires. Soit elle intervenait et j'étais forfaitairement payé du temps passé avec un honoraire de résultat.

Je voudrais livrer un élément important par rapport aux chiffres que vous citez. Sur cette période, mon cabinet a été sur un certain nombre de plans, un chef d'équipe, mais il n'était pas le seul, nous étions une quinzaine. La plupart des cabinets ont été rémunérés directement par les clients, mais je me suis adjoint un certain nombre de compétences. Je suis un cabinet de niche ; je ne suis ni fiscaliste, ni spécialiste de l'aérien. En ce qui me concerne, à côté du contentieux Swissair qui occupe encore à l'heure actuelle trois collaborateurs à plein temps au sein de mon cabinet et une dizaine d'avocats à travers l'Europe pour effectuer les recouvrements que j'évoquais tout à l'heure, j'ai effectué sur la période 821 000 euros de rétrocessions d'honoraires sur le chiffre d'affaires hors taxe que vous évoquez.

M. le Rapporteur : En bénéfice, sur l'année 2001 et 2002, votre cabinet travaillait donc à 80, voire 85 % de son activité sur le groupe Holco. Il a dégagé un résultat fiscal de quel ordre ?

M. Yves LEONZI : Je vous remettrai de la documentation sur ce sujet. J'ai payé, au titre du cabinet 400 000 euros d'impôts sur les sociétés sur l'ensemble de la période des dix-huit mois concernant l'activité.

M. le Rapporteur : Donc, vous avez eu un bénéfice à peu près du triple avant impôt, c'est-à-dire 1,2 million.

M. Yves LEONZI : Voilà !

M. le Rapporteur : Vous venez de dire que vous avez trois collaborateurs qui continuent à travailler sur le problème de Swissair et la récupération des 400 millions. Est-ce que cela veut dire que vous êtes sous-traitant du cabinet Plegler et Blach pour cette affaire ?

M. Yves LEONZI : Je n'ai jamais été le sous-traitant de qui que ce soit. Ma déontologie m'interdit d'être sous-traitant de quiconque. Je travaille toujours pour celui qui est mon client. D'autres n'ont pas cette déontologie. Le président Corbet a pris des contacts avec Plegler et Blach pour permettre le règlement de l'ensemble des factures. Je me suis fait communiquer les chiffres parce que je pensais qu'ils vous intéresseraient. Il s'agit d'une facturation mensuelle, tous pays confondus ; le pays le plus consommateur d'honoraires étant la Suisse puisqu'il y a aujourd'hui quatre procédures distinctes devant quatre cantons différents. Le montant mensuel des honoraires représente environ 1,5 million de francs.

M. le Rapporteur : Comment êtes-vous payé ?

M. Yves LEONZI : La réponse est : nous ne sommes pas payés. Qui va payer les factures que nous présentons à Holco ? Le président Corbet va faire jouer le mécanisme Plegler et Holco va être servi par Plegler du montant correspondant à la rémunération des factures.

M. le Rapporteur : Vous serez donc rémunéré via les 9,14 millions d'euros.

M. Yves LEONZI : Je serai rémunéré par Holco, parce que je n'accepterai pas de paiement de qui que ce soit d'autre. J'ai compris qui avait vocation maintenant à payer les honoraires. C'est justement l'objet du contrat qui serait vidé de sa substance s'il ne rentrait pas en application dès le moment de la défaillance d'Air Lib, le 17 février 2003.

M. le Président : Maître, je vous remercie de nous avoir longuement répondu. Je constate que le secret professionnel ne vous a pas gêné.

M. Yves LEONZI : Le secret professionnel est un problème d'éthique.

M. le Président : Je constate qu'il ne vous a pas gêné.

M. Yves LEONZI : Sur ce point, je relirai avec plaisir et par prudence le compte rendu, mais si j'ai répondu pleinement aux questions, c'est que j'estime qu'elles ne rentraient pas dans le cadre du secret.

M. le Président : Je vous en remercie et vous invite à remettre l'ensemble des documents que vous souhaitez nous transmettre.

M. Yves LEONZI : Je vous les ferai parvenir. Le seul document que je peux vous remettre, c'est le Cédérom que j'évoquais tout à l'heure. Le reste, je préfère vous l'adresser sous bordereau.

M. le Président : Je vous en remercie d'avance.

Audition de Christian Paris, pilote de ligne.

Procès-verbal de la séance du mercredi 30 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur Paris, vous êtes commandant de bord de la société Air France, mais également un syndicaliste actif et président des Fonds Concorde. Vous avez pris, semble-t-il, la suite de M. Corbet.

M. Christian PARIS : En effet !

M. le Président : La commission a souhaité vous entendre parce que vous êtes un ami personnel de M. Corbet, et que, semble-t-il, d'après les informations que nous avons recueillies, vous avez participé à l'aventure Air Lib depuis le début, à différents titres, en assistant M. Corbet, voire même ses collaborateurs de vos conseils et de votre présence.

Je vous propose de commencer cette audition en nous exposant quel a été votre rôle exact auprès de M. Corbet et de la société d'exploitation Air Lib, ou éventuellement de la société Holco.

M. Christian PARIS : Au risque d'être hors sujet, je souhaite camper le décors, car il me semble difficile d'expliquer pourquoi je n'ai pas rompu tout lien avec M. Corbet lorsque j'étais administrateur d'Air France.

Un grand pays se doit de maîtriser ses modes de transport. C'est un précepte qui, à mon avis, a été oublié. La caractéristique essentielle d'Air Lib, ce n'est pas selon moi d'avoir été « Air Gayssot » comme cela s'est dit, c'est d'avoir détenu 48 000 créneaux sur la plate-forme d'Orly. L'enjeu de ces créneaux est essentiel. D'une part, il s'agit de la maîtrise du marché domestique français, sans laquelle aucune compagnie ne serait restée une compagnie majeure. D'autre part, ces créneaux devaient permettre, selon moi, d'assurer une desserte pérenne et cohérente des DOM.

M. le Président : J'entends bien ! Mais nous ne vous interrogeons pas sur les créneaux. Voilà un mois que nous enquêtons, et nous avons une parfaite connaissance de ces problèmes. Je vous pose des questions sur le rôle qui a pu ou pas être le vôtre dans le cadre d'Air Lib et de M. Corbet. Voilà à quoi je vous demande de répondre.

M. Christian PARIS : Je me permets d'attirer l'attention de la commission sur mes déclarations au conseil d'administration d'Air France de mars 2000. Je ne suis pas habilité à produire les minutes de ces conseils, puisqu'elles sont frappées de la confidentialité. En revanche, je pense que le président du conseil d'administration d'Air France est habilité à le faire.

J'ai été celui qui, à Air France, depuis le plus longtemps et avec le plus de constance et je crois de conviction, a essayé d'alerter l'attention générale sur le risque de la concurrence des compagnies à « bas coûts » pour le transport aérien français. Outre mes interventions au conseil d'administration, je me permettrais de vous laisser un papier que j'ai écrit dans le cadre de mes fonctions d'administrateur qui date du 20 juillet 2000, qui explique pourquoi, sans l'intervention de M. Seillière, de M. Couvelaire ou de M. Bruissère, avec des aides au plus haut niveau de l'Etat français, nous n'en serions pas là aujourd'hui. Car je vous rappelle que j'étais le principal partisan du rachat d'Air Liberté par Air France en mars 2000, que c'est la DGCCRF qui nous a empêché de le faire, sur intervention proche du lobbying de la part de M. Seillière. Je vous rappelle que M. Seillère a permis à Swissair de contourner une loi européenne en prenant le contrôle d'une compagnie européenne, sans être elle-même communautaire.

C'est tout à fait illégal, et c'est toujours aujourd'hui impuni. Et c'est vraiment le démarrage des ennuis du transport aérien français. Le 12 avril 2001, j'écrivais d'ailleurs ceci : « c'est la raison pour laquelle il me semble que la seule attitude possible pour Air France est d'aider AOM et Air Liberté à survivre ». A cette date, il n'était absolument pas question de Jean-Charles Corbet, et je vous laisserai le document. J'ai écris également le 25 juillet 2001 - là encore, personne alors ne savait si M. Corbet serait repreneur ou pas, et mon pronostic était qu'il ne le serait pas - ceci : « Il relève donc du plus élémentaire bon sens de la part d'Air France d'aider l'impitoyable rival d'hier à se convertir en concurrent encadré ». Je me permettrai de laisser à la commission tous ces écrits, étant entendu que je n'ai pas apporté ceux qui sont postérieurs à la reprise, puisque subjectivement, je pourrais être accusé d'apporter une aide personnelle à Jean-Charles Corbet. Donc, j'ai préféré me référer à mes analyses et mes écrits antérieurs à la présidence même de Jean-Charles Corbet sur le dossier.

Je suis un peu frustré de ne pas pouvoir développer davantage mon propos, parce que je pense qu'il y a beaucoup de choses à dire. J'en viens à votre question précise.

D'abord, je n'ai pas passé une seconde à travailler sur le projet de reprise d'AOM-Air Liberté. Pas une seconde ! Le seul moment de la reprise où je suis apparu, c'est le 27 juillet 2001 au tribunal de commerce de Créteil. Pourquoi ? Parce que j'estimais que Jean-Charles Corbet ne serait pas le repreneur. J'avais beaucoup de peine à imaginer que l'establishment confierait à une compagnie aérienne un ancien syndicaliste. Je suis donc venu convaincu que Jean-Charles Corbet essuierait un échec cinglant. Comme je le sais homme de conviction et de forte implication, je pense que la déception aurait été immense. Et c'est au titre d'ami que je suis venu le soutenir dans la perspective de ce revers. A ma grande surprise, le tribunal de commerce lui a attribué la reprise. Je me suis donc éclipsé, car si Jean-Charles Corbet aurait eu peu d'amis en cas d'échec, je ne doutais pas un instant qu'il en eut beaucoup avec ce succès.

En ce qui concerne la phase de reprise, c'est donc clairement le seul moment où je suis apparu, mais je ne me suis mêlé de rien.

S'agissant de l'après reprise - 27 juillet 2001 -, je voudrais d'abord replacer les choses dans un contexte plus large. Jean-Charles Corbet et moi nous connaissons depuis 1973. Nous avons fait nos études de pilote ensemble. Nous avons joué au rugby ensemble. Pour ceux d'entre vous qui ont pratiqué ce sport, on y forge des amitiés qui sont extrêmement durables. Parce que sur un terrain de rugby, contrairement à beaucoup de situations de la vie, on ne peut pas tricher. Et je sais que Corbet ne triche pas. Donc, nous avons pris l'habitude, depuis que nous avons débuté notre carrière professionnelle, au début des années quatre-vingt, de déjeuner une fois par semaine ensemble. Nous n'avons pas dérogé à cette habitude, d'autant plus qu'il était extrêmement commode qu'il soit implanté sur une plate-forme aéroportuaire, parce que je vous rappelle, monsieur le Président, que je suis pilote. Contrairement à mes collègues du sol, je ne suis pas administrateur professionnel, c'est-à-dire que je ne fais pas que ça, même si je le pourrais. J'ai un métier que j'aime. C'est un beau métier. J'ai souhaité continuer l'exercer à plein temps, c'est-à-dire vingt jours par mois, et l'exercice de ce métier me conduit à travailler sur une plate-forme aéroportuaire. Donc, à chaque fois que je suis passé par Orly, bien entendu, je suis allé me faire offrir un café ou encourager mon copain Corbet.

En août, j'ai eu le plaisir de croiser à Air Lib François Bachelet qui, comme vous le savez, a été directeur général d'Air France Cargo. Donc, à ce titre, je l'ai rencontré. Si je ne suis plus syndicaliste aujourd'hui, contrairement à ce que vous avez dit, je l'ai été à l'époque. J'avais été l'initiateur d'un audit d'Air France Cargo, au terme duquel j'avais dit à François Bachelet : « vous serez conforté ou vous n'existerez plus en tant que cargo ». Et nous avons tissé des liens de confiance et de respect mutuel. Mi-août ou fin août, François Bachelet m'a ainsi montré une interview qu'il venait de donner au Parisien. Il se trouve que j'étais le porte-parole du syndicat pendant trois ans. Certains, et cela n'engage qu'eux, m'ont reconnu quelque compétence dans le domaine de la communication. François Bachelet souhaitait que je m'exprime sur les qualités de ses réponses. J'ai été extrêmement franc, car je n'ai pas l'habitude de dire l'inverse de ce que je pense. Je lui ai fait une étude de texte, comme on fait aux enfants, pour lui dire en gros qu'il était difficile de faire plus mal. Il l'a admis, et m'a demandé si j'accepterais de le conseiller, de lui donner un coup de main sur la communication médiatique qui était selon lui un exercice périlleux auquel il ne s'était jamais frotté.

M. le Président : Quand ?

M. Christian PARIS : J'étais en vacances à l'étranger du 1er au 20 août. Donc, c'était après le 20 août 2001. J'ai donc dit à François que j'étais bien entendu d'accord pour lui donner un coup de main amical. Nous nous sommes donc beaucoup appelés, et à chaque fois que j'étais à Orly, je ne manquais pas de le voir. Je lui donnais des conseils en communication interne, parce qu'il me semble que l'enjeu principal, ce n'est pas la communication « paillette » et les effets médiatiques dont Air Lib a beaucoup pâti. Mais l'enjeu principal d'une entreprise en coma dépassé comme c'était le cas d'AOM-Air Liberté est clairement de restaurer la cohésion du personnel, de le faire adhérer à un projet d'entreprise. Pour cela, il faut beaucoup de pédagogie. Il fallait intégrer que ces deux entreprises avaient un passé extrêmement douloureux pour les personnels qui avaient été chahutés et soumis à beaucoup d'incertitudes. Par conséquent, le ton et l'homogénéité et la capacité de persuasion de la communication interne serait un atout probablement décisif de l'adhésion du personnel au projet d'entreprise. Et je crois que sans l'adhésion du personnel à un projet d'entreprise, surtout une entreprise de service, il ne faut pas espérer réussir.

J'ai donc pris beaucoup de plaisir à ces discussions, qui avaient d'autres prolongements que la communication, philosophiques, notamment. Et nous avons, François et moi, réfléchi dans d'autres contextes et dans d'autres mondes sur ces sujets-là. C'est passionnant d'y revenir dans le contexte pratique d'une entreprise. François est parti fin décembre.

M. le Président : Monsieur Paris, vous êtes en train de nous dire que vous étiez le conseiller en communication de M. François Bachelet.

M. Christian PARIS : En effet, jusqu'à la fin de l'année 2001.

M. le Président : Je présume qu'il s'agissait d'une activité bénévole.

M. Christian PARIS : Totalement.

M. Christian PARIS : Vous étiez administrateur d'Air France, n'est-ce pas ?

M. Christian PARIS : En effet.

M. le Président : Vous étiez responsable du syndicat des pilotes, n'est-ce pas ?

M. Christian PARIS : Je ne l'étais plus.

M. le Président : Ne trouvez-vous pas que c'est une situation un peu particulière que d'être administrateur d'Air France et en même temps conseil en communication du responsable d'Air Liberté.

M. Christian PARIS : D'abord, dire que j'étais conseiller en communication...

M. le Président : C'est vous qui l'avez dit. (Sourires)

M. Christian PARIS : J'ai dit que j'avais, à la demande amicale de François Bachelet, accepté de lui donner des conseils dans le domaine de la communication. Ce qui ne fait pas de moi un conseiller en communication. (Sourires)

On m'a prêté beaucoup, monsieur le Président. Mais il est vrai qu'on ne prête qu'aux riches. Et il me faudrait dix vies pour faire tout ce qu'on me prête. Je suis pilote de ligne à temps complet. Mon emploi du temps l'atteste. Je travaille vingt jours par mois, comme pilote, long courrier. Autrement dit, je suis absent de France vingt jours par moi. Je suis également membre du conseil d'administration et je suis membre du comité d'audit, ce qui me demande beaucoup de travail, car ce n'est pas ma formation. Je suis membre du comité stratégique. Tout cela est beaucoup de travail. Je suis également père de famille nombreuse. J'ai quatre enfants. Et je suis président d'une association humanitaire. Donc, lorsque j'ai lu ça et là que je passais mes jours et mes nuits à Air Lib, il faudrait qu'on m'explique comment je pouvais faire.

M. le Rapporteur : Des témoignages de vos collègues syndicalistes nous ont dit qu'ils vous ont vu, et que vous aviez un bureau à côté de celui du président Corbet. Est-ce exact ?

M. Christian PARIS : C'est faux ! Je n'ai jamais eu aucun bureau à Air Lib ou dans aucune autre structure appartenant à M. Corbet.

M. le Président : Je vais être plus précis. Avez-vous utilisé des bureaux à Air Lib, à l'étage de M. Corbet ?

M. Christian PARIS : Monsieur le Président, j'imagine que vous allez entendre M. Pascal Perri, le bras droit de M. Corbet, car il s'agit d'un personnage-clé, c'est d'ailleurs moi qui l'ai présenté à M. Corbet.

Il m'est arrivé de demander à M. Perri de bien vouloir me laisser son téléphone, de bien vouloir me permettre de m'installer à son bureau pour écrire. Il m'est arrivé, et je n'en fais pas la collection, mais je pense que Bachelet ou Corbet vous le diront ou vous l'ont déjà dit, qu'il m'est arrivé d'écrire « Le mot du Président ». J'ai aidé François Bachelet, puis Jean-Charles Corbet à réfléchir sur la communication interne, qui me paraît fondamentale. Lorsque j'étais géographiquement dans les locaux d'Air Lib et que Bachelet ou Corbet me disaient : « je souhaiterais informer le personnel de telle chose, as-tu un moment pour me l'écrire ? », ce qui demanderait à Jean-Charles Corbet, de son propre aveu, plusieurs heures, j'étais en mesure de me mettre sur un coin de table et de l'écrire.

M. le Président : Donc, vous ne veniez pas exprès à Air Lib pour faire ce qu'on vous demandait. C'est par hasard qu'on vous le demandait, lorsque vous y étiez.

M. Christian PARIS : Pas du tout ! Il arrivait qu'on me demande si je pouvais passer pour donner mon avis sur tel ou tel aspect.

M. le Président : J'entends bien ! Et effectivement, vous utilisiez le bureau de M. Perri pour écrire, comme vous le dites, et éventuellement rencontrer des personnes. Cela nous a été confirmé et je repose la question. Est-ce normal, dans le cadre de vos fonctions, de vous trouver dans cette situation dans les locaux d'Air Lib ? Est-ce que vous considériez cela comme tout à fait normal ou est-ce que cela vous a posé un problème quelconque ?

M. Christian PARIS : C'est une question que je me suis posée et c'est pour cela que j'avais demandé 24 heures de réflexion à François Bachelet. J'ai prévenu mon président que mon amitié pour Corbet ne se démentirait pas, que je pourrais être amené à donner des conseils à Bachelet ou Corbet sur le strict plan de la communication. Mon président m'a dit que cela ne lui posait pas de problème particulier à deux conditions.

M. le Président : Qui était votre président, à l'époque.

M. Christian PARIS : M. Spinetta.

M. Christian PARIS : D'abord, que tout cela soit sans rémunération. Ensuite que cela n'interfère pas avec l'activité d'Air France, en particulier avec la situation de compétition sur le marché commun.

M. le Rapporteur : Quand cela s'est-il passé ?

M. Christian PARIS : Le contact avec mon président ?

M. le Rapporteur : Oui, concrètement, vous avez appelé votre président.

M. Christian PARIS : Non. Nous nous voyons régulièrement, dans le cadre de mes mandats d'administrateur.

M. le Rapporteur : Vous lui en avez parlé oralement.

M. Christian PARIS : Oui !

M. le Rapporteur : Vous ne l'avez pas saisi par une lettre ?

M. Christian PARIS : Non. Je lui ai signalé que, pour moi, Jean-Charles Corbet restait un ami, que je continuerais à le voir.

M. le Rapporteur : Quand le lui avez-vous dit ?

M. Christian PARIS : C'était à l'automne 2001, au début du mois de septembre.

M. le Rapporteur : Parce que le président Spinetta, interrogé sur cette question, nous a indiqué hier que vous n'êtes jamais venu voir la direction pour en parler.

M. Christian PARIS : Je l'ai informé du fait que je continuais à voir Jean-Charles Corbet. A une époque, il se disait...

M. le Président : Monsieur Paris, vous déposez sous serment, et nous ne sommes pas là pour traiter des rumeurs, mais pour juger des faits. Monsieur Spinetta, président d'Air France, à qui le Rapporteur a posé la question clairement, a répondu qu'il n'avait pas été saisi par vous de cette opportunité. Vous venez de nous indiquer à l'instant que vous lui aviez demandé si cela ne le gênait pas que vous puissiez intervenir à Air Liberté dans certaines conditions. A-t-il oublié que vous lui en avez parlé ?

M. Christian PARIS : Monsieur le président, je n'ai pas saisi mon président. Je lui ai dit que je continuais à voir Jean-Charles Corbet et qu'il m'arrivait de lui donner un conseil sur la communication. Jean-Charles Corbet n'étant pas un homme de communication, tout le monde s'accordait à reconnaître qu'il s'agissait d'un domaine où il y avait des choses à lui apporter. Ce que vous êtes en train de me dire, c'est que je n'ai pas fait de demandes formelles pour avoir un rôle à Air Lib. Je n'ai pas eu de rôle à Air Lib.

M. le Président : Le Rapporteur vous dit simplement ce que M. Spinetta a dit. Ce n'est pas nous. Nous, nous sommes là pour juger des faits et non pas des rumeurs. Donc, je vous pose la question très clairement. Monsieur Spinetta dit non, cela ne m'a pas été demandé. Vous, vous dites oui, je l'ai demandé.

M. Christian PARIS : Je n'ai pas saisi M. Spinetta d'un rôle à Air Lib. J'ai informé M. Spinetta que je voyais Jean-Charles Corbet et qu'il m'arrivait, parce que Corbet ou Bachelet me le demandaient, de donner des conseils en communication.

M. le Rapporteur : Des syndicalistes nous ont dit que vous ne conseilliez pas simplement M. Bachelet, mais aussi M. Corbet, qui est un de vos amis. Est-ce exact ?

M. Christian PARIS : C'est la liberté des syndicalistes. J'aimerais qu'ils vous disent à l'occasion de quelle réunion, de quelle séance de travail cela s'est passé. Je démens ! De mémoire, M. Corbet, de septembre à décembre, était non pas le président, mais l'actionnaire, ce qui veut dire qu'il avait très peu d'intervention sur l'entreprise, et M. François Bachelet président, n'est pas un homme à partager la présidence. C'était clairement lui le président. J'ai cru comprendre que, par moment, il y avait eu difficulté à ce que chacun identifie son domaine d'autorité, mais clairement, ce n'était pas M. Corbet qui dirigeait Air Lib.

M. le Rapporteur : Donc, vous nous confirmez que vous n'avez jamais participé à des réunions internes ou avec des représentants du personnel en présence de M. Corbet.

M. Christian PARIS : Une seule exception, mais je suis incapable de vous dire la date. Nous devions, Jean-Charles Corbet et moi, partir en week-end faire du parapente en montagne, et devions prendre un avion un soir. Or, il se trouve que les pilotes avaient déclenché une grève. Cela peut paraître un peu surréaliste dans l'état de décomposition où se trouvait l'entreprise, mais c'est comme cela. Mais je crois, même si ce n'est pas le sujet, que la faible compréhension des enjeux de la part du syndicalisme a été une cause forte des problèmes de l'entreprise. Donc, je suis arrivé, alors que nous étions pressés, avions un avion à prendre ; un programme et des gens qui nous attendaient à Toulouse et Corbet était en train de discuter avec les syndicalistes. J'ai été commandant de bord dans les charters jusqu'en 1983, dans une entreprise qui s'appelait EAS. Le milieu du charter est un petit milieu. Tout le monde s'y connaît et j'ai retrouvé, au hasard de ces passages dans l'entreprise, des gens, dont certains que j'avais totalement perdus de vue, ou d'autres que j'avais vus épisodiquement, au hasard des rencontres aéroportuaires. Et ce soir-là, il y avait, en particulier un délégué syndical mécanicien navigant, qui était en train de discuter avec Corbet sur la sortie ou non de la grève. Ils m'ont interrogé sur ce que je pensais de la situation.

Compte tenu de mon expérience de syndicaliste, de ce que j'avais vécu à Air France, je me suis assis, j'ai discuté avec eux. Là où on devait prendre un avion à 19 heures, je crois qu'on est restés jusqu'à 1 heure du matin. J'aurais été ravi d'aider à dénouer cette situation, mais malheureusement, ça n'a pas été le cas, puisqu'ils ont déclenché la grève dès le lendemain matin. Si j'avais pu aider et contribuer à dénouer cette situation bloquée, ç'aurait été une satisfaction.

M. le Rapporteur : Cet épisode nous a été raconté. Mais j'ai une autre question à vous poser. Nous trouvons une pièce, importante pour nous, qui est le contrat signé entre la SAS Holco et une banque canadienne, qui a donné lieu au paiement de 7,3 millions de dollars d'honoraires. Et je vous lis le début du préambule : « Mon cher Jean-Charles, en réponse à votre demande, et pour faire suite à nos récents entretiens, nous avons le plaisir de vous présenter les conditions dans lesquelles nous sommes intervenus depuis le 2 mai 2001, et nous continuerons d'intervenir à compter de ce jour, à la demande du conseil de surveillance du fonds commun de placement d'entreprise Concorde en qualité de conseil financier de la société Holco ».

M. Christian PARIS : Quelle est la date de ce document ?

M. le Rapporteur : Il s'agit d'un document daté du 11 juillet 2001. C'est une lettre personnelle et confidentielle, adressée à la société Holco par le responsable de CIBC, M. David C. Mongeau, managing director de CIBC World Markets. Je me permets de vous dire que la signature de Jean-Charles Corbet est pour le compte du conseil de surveillance du FCPE Concorde.

Nous voulions donc vous interroger sur ce sujet. Vous connaissez très bien ce fonds. Le 11 juillet, vous siégiez au conseil de surveillance, n'est-ce pas ?

M. Christian PARIS : Tout à fait. J'y étais depuis le début, c'est-à-dire depuis septembre 1999, date de sa création.

M. le Président : Et vous en êtes le président aujourd'huI.

M. Christian PARIS : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Vous avez succédé à M. Corbet à la tête de ce fonds ?

M. Christian PARIS : En août 2001.

M. le Rapporteur : Etiez-vous au courant de cette affaire, et pouvez-vous nous l'expliquer ?

M. Christian PARIS : Je vais être bien en difficulté pour vous l'expliquer. Soyons clairs. J'ai été au courant de cette affaire qui a été une rumeur, qui a été déclenchée... Je pourrais faire une recherche et répondre par écrit pour être précis sur les dates.

M. le Rapporteur : D'accord.

M. Christian PARIS : Mais ce que je souhaite dire, c'est que le 11 juillet 2001, je n'étais pas encore président.

M. le Président : Nous vous demandons si vous étiez au courant.

M. Christian PARIS : Je veux vraiment préciser les choses, parce que je sens bien qu'autour de cette question, il y a de fortes interrogations.

M. le Rapporteur : Messieurs les huissiers, veuillez porter le document au témoin.

(Le document est transmis au témoin)

M. le Rapporteur : Regardez la signature ! C'est assez étonnant !

M. Christian PARIS : Très clairement, aucune réunion du conseil de surveillance, qu'il s'agisse d'une réunion formelle ayant donné lieu à un compte rendu, ou d'une réunion informelle de travail, comme cela nous arrive régulièrement, n'a donné lieu à la moindre évocation de ce sujet. Je suis conscient de parler sous serment, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Vous engagez votre responsabilité, éventuellement pénale dans votre déclaration.

M. Christian PARIS : Oui, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Vous n'étiez donc pas au courant. Quand avez-vous été au courant ?

M. Christian PARIS : Et je pense que si vous interrogiez les trois autres membres, puisque nous étions cinq, ils vous diraient strictement la même chose que moi.

M. le Président : Cela veut dire clairement que M. Corbet, président, a émis cette lettre sans consulter le conseil de surveillance, pour le compte duquel il prétend agir.

M. Christian PARIS : Je vais vous dire exactement la seule évocation de ce dossier. Il y a eu un conseil syndical dont je pourrais retrouver la date. M. Corbet a demandé au conseil de surveillance - les membres étaient présents - de bien vouloir rester entre midi et 14 heures, à l'heure du déjeuner, de façon à nous demander l'autorisation de se prévaloir de sa qualité de président du conseil de surveillance comme d'une ligne supplémentaire de sa carte de visite. Président du conseil de surveillance, cela reste dans certains milieux, notamment financiers et bancaires, un titre. Nous lui avons dit clairement - les autres membres étaient Hugues Gendre, Patrick Auguin et Jean-Claude Cuisinétienne, de mémoire - qu'utiliser de sa toujours qualité de président du conseil de surveillance des Fonds Concorde pour avoir peut-être une meilleure valorisation personnelle, ça ne nous posait pas de problème, à une seule condition, c'est que bien entendu, ça reste sous cet aspect-là, valorisation d'un CV, d'un profil, ça n'engage en aucun cas le conseil de surveillance.

M. le Président : Sur ce point précis, vous avez cité M. Patrick Auguin, vice-président, à l'époque, du SNPL. Il semble que des indications précises aient été données par les personnes présentes pour que M. Corbet ne puisse pas utiliser ce titre de président de conseil de surveillance des Fonds Concorde dans le cas des opérations d'Air Liberté. Vous démentez cette affirmation ?

M. Christian PARIS : Oui, je démens.

M. le Président : Vous l'avez donc autorisé.

M. Christian PARIS : Nous lui avons dit que s'il souhaitait avoir une valeur ajoutée à travers un titre supplémentaire, et à cette seule condition, nous n'y voyions pas d'inconvénients. Ce qui a été rapporté par la suite, notamment dans les tracts syndicaux, c'est que M. Corbet avait engagé le nantissement des titres détenus dans les Fonds Concorde pour mener sa reprise, ce qui voulait dire qu'on engageait les titres détenus par les pilotes au titre de l'échange salaire-actions en 1999, qu'on leur faisait prendre un risque financier pour mener une reprise d'entreprise. J'ai fait faire une étude juridique sur le sujet. C'est strictement impossible. J'ai répondu à chaque porteur de parts. J'ai écrit à 2 850 pilotes.

M. le Président : Ce n'est pas la question.

M. le Rapporteur : La question qui vous est posée est la suivante. Nous avons un document qui montre que Jean-Charles Corbet signe un accord avec une banque d'affaires qui a donné lieu au versement de 7,3 millions de dollars.

M. Christian PARIS : Puis-je lire ce document ?

M. le Rapporteur : Bien sûr !

(Un huissier le donne à M. Paris)

Je vous invite à examiner attentivement la signature et la première page où il est indiqué que le contrat trouve son origine dans une suite de discussions qui ont eu lieu avec le fonds dont vous étiez l'un des cinq membres du conseil de surveillance.

M. le Président : C'est à la demande du conseil de surveillance de Fonds de commun de placement Concorde que la CIBC World Markets intervient, en qualité de conseil financier de la société Holco.

M. Christian PARIS : Dans ce cas, la réponse est très claire. Je vais reprendre la formule du libellé : le conseil de surveillance du Fonds Concorde de placement d'entreprise n'a jamais saisi qui que ce soit de ce genre de demande.

M. le Président : Ou n'a pas été saisi par qui que ce soit. C'est plutôt ça.

M. Christian PARIS : Il est écrit : « à la demande du conseil de surveillance ». Or, le conseil de surveillance n'a jamais rien demandé.

M. le Rapporteur : Donc, vous nous confirmez qu'il n'y a jamais eu de demande du conseil de surveillance.

M. le Président : Monsieur Corbet signe enfin ce document « Pour le compte du conseil de surveillance ». Vous confirmez bien que vous n'avez pas été saisi par M. Corbet et qu'il n'avait pas qualité pour agir en votre nom.

M. Christian PARIS : Je vous redis que le conseil de surveillance n'a été saisi d'aucune demande autre que Jean-Charles Corbet puisse se prévaloir de son titre de président de conseil de surveillance, pour avoir peut-être une meilleure introduction dans certains milieux.

M. le Rapporteur : Vous avait-il parlé de la CIBC ?

M. Christian PARIS : Non.

M. le Rapporteur : Vous ne connaissiez donc pas cette banque, c'est-ce pas ?

M. Christian PARIS : Je ne connais la CIBC que parce qu'il m'arrive de lire les Echos.

M. le Rapporteur : Il n'y avait à votre connaissance aucune relation entre la CIBC et le fonds dont vous étiez l'un des membres.

M. Christian PARIS : Strictement aucune. C'est la raison pour laquelle, lorsque je suis devenu président, en août 2001, je me suis retrouvé avec sur le dos des accusations lourdes diffusées aux pilotes selon lesquelles les représentants au conseil de surveillance auraient essayé de nantir la reprise d'Air Lib avec leurs titres.

M. le Rapporteur : C'est la première fois que vous voyez le document que je viens de vous présenter ?

M. Christian PARIS : Je suis sous serment, et je réponds sans ambiguïté : oui, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Personne ne vous en avait jamais parlé.

M. Christian PARIS : Non, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Comme membre du conseil de surveillance, estimez-vous que M. Corbet a utilisé abusivement le Fonds, en prétendant qu'il agissait à la demande du conseil de surveillance.

M. Christian PARIS : Pour être très précis, je dirais que cette lettre montre que Jean-Charles Corbet est allé au-delà de ce qu'il avait demandé et obtenu du conseil de surveillance, à savoir pouvoir se prévaloir de sa qualité de président de conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : Mais vous nous avez bien précisé que ce n'était pas dans le cadre du conseil de surveillance, mais d'un déjeuner. Soyez précis.

M. Christian PARIS : Nous étions en conseil syndical. Jean-Charles Corbet nous a demandé - à l'époque, j'ai l'impression que pour lui, l'unité n'était pas la même que la nôtre - si on pouvait se voir entre midi et deux, entre membres du conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : C'était une réunion informelle.

M. Christian PARIS : Cela n'a pas donné lieu à un procès-verbal de réunion de conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : Il n'y avait pas eu de convocation formelle.

M. Christian PARIS : Non.

M. le Rapporteur : Donc, ça n'était pas une réunion du conseil de surveillance. Il s'agissait d'une réunion des membres du conseil de surveillance.

M. Christian PARIS : Je dois assister tout à l'heure un conseil de surveillance. Nous avons des conseils formels qui répondent à l'encadrement et aux exigences de la commission des opérations de bourse, et nous avons des réunions de travail. Il y a des sujets lourds qui prennent beaucoup de temps, et qui ne sauraient être résolus au cours d'un conseil de surveillance. Donc, nous nous réunissons très souvent pour des séances de travail.

Donc, il n'y a pas eu de convocation. Nous n'avions pas été saisi d'une demande formelle. Puisque nous étions tous là, il nous a demandé si nous étions d'accord pour nous réunir entre midi et deux heures, parce qu'il avait quelque chose à nous demander. Il nous a donc demandé - et les mots comptent - si nous étions d'accord pour qu'il se prévale de sa qualité de président du conseil de surveillance pour faciliter l'ouverture de certaines portes. Nous lui avons dit, sur cette demande, se prévaloir de ta qualité de conseil de surveillance, oui. Mais engager les fonds, il n'en n'a jamais été question. Et je vous assure, monsieur le Rapporteur, que cette affaire m'a valu beaucoup d'ennuis personnels, parce que 2 840 pilotes qui lisent qu'on a essayé d'utiliser leur argent à autre chose, ils sont inquiets. Il m'a donc fallu convaincre, faire faire des études juridiques, mettre à contribution Axa, communiquer et écrire aux pilotes, pour leur dire que c'était absurde.

M. le Rapporteur : Et vous n'avez jamais demandé à Jean-Charles Corbet, « mais qu'est-ce que c'est que ces accusations ? As-tu, à la suite de cette réunion de travail, utilisé l'image du Fonds ? Est-ce que tu as signé des documents mettant en cause notre Fonds ? »

M. Christian PARIS : Non. Comprenez ma logique, monsieur le Rapporteur. Tout le monde, à Air France, connaît mon amitié avec Corbet. Me contenter d'une réponse de Jean-Charles Corbet pour répondre à des interrogations aussi lourdes, ça n'aurait été d'aucun secours. Donc, j'ai fait faire des études juridiques et j'ai préféré dire aux pilotes : « Voilà, il y a des rumeurs ; mais c'est absurde, parce que juridiquement, c'est strictement impossible. On ne peut pas, personne n'a autorité à utiliser vos titres pour nantir quoi que ce soit. Donc, c'est absurde. »

M. le Président : Sur l'utilisation des titres, vous avez tout à fait raison. Mais utiliser la structure juridique en tant que président du conseil de surveillance du Fonds, c'est une autre chose. Cela n'a rien à voir avec les titres. Et signer des lettres qui valent contrat telles que celles que nous vous avons communiquées est un engagement lourd de conséquence.

M. le Rapporteur : Estimez-vous avoir été victime d'un abus de confiance ?

M. Christian PARIS : Je ne dirais pas ça. Je dirais que Jean-Charles Corbet est allé au-delà de ce qu'il avait demandé au conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : Mais est-ce qu'il ne vous a pas mis dans une situation extrêmement difficile en vous dissimulant ce document ?

M. Christian PARIS : Non, parce que c'est la première fois que je vois le document que vous venez de me montrer. Donc, la question ne s'est pas posée en ces termes. La question s'est posée pour moi lorsque la rumeur colportait que Corbet avait essayé d'utiliser 1,2 milliard de francs pour nantir une opération lourde. Je me suis appliqué à démontrer que c'était tout simplement absurde et impossible, que les verrous juridiques étaient tels qu'il n'y avait plus de sujet. La piste que vous m'indiquez, je ne l'ai jamais eue.

M. le Rapporteur : Le document en question est un fait, pas une piste.

M. Christian PARIS : Si j'avais pu avoir la prescience, l'information, la rumeur que Jean-Charles Corbet avait signé des documents au nom du conseil de surveillance, je lui aurais demandé si c'était exact et dans quel cadre.

M. le Président : Monsieur Paris, nous avons bien compris, et je vous remercie de la sincérité de votre réponse.

En dehors de conseils pour la communication que vous avez pu donner, ou éventuellement la rédaction du mot du président, avez-vous joué d'autres rôles dans le cadre des négociations d'Air Liberté, à quelque moment que ce soit, à partir d'août 2001, ou jusqu'à février-mars 2003 ? Avez-vous, à un quelconque moment, agi pour le compte d'Air Liberté, oui on non ?

M. Christian PARIS : Non.

M. le Président : Jamais.

M. Christian PARIS : Non.

M. le Président : Nous avons un document qui nous a été adressé par M. Jean Galli-Douani, de Sud accueil.

M. Christian PARIS : C'est un fou !

M. le Président : Il nous indique, avec un avocat qui agit es-qualité, qu'il a été en contact avec vous dans le cadre des négociations concernant la reprise d'Air Lib. Ceci est faux ?

M. Christian PARIS : Attendez ! La reprise dont nous parlons, c'est la reprise hypothétique en février 2003.

M. le Président : Je vous ai dit d'août 2001 à février 2003.

M. Christian PARIS : Monsieur Galli-Douani m'a harcelé au téléphone. Comment a-t-il eu mon numéro ? Je n'en sais rien. Je suis sous serment, j'en ai conscience. Je n'ai jamais rencontré M. Galli-Douani, et je ne sais même pas à quoi il ressemble.

M. le Rapporteur : Vous l'avez eu au téléphone.

M. Christian PARIS : Des quantités de fois. La dernière fois qu'il m'a appelé, il y a une semaine, je lui ai dit qu'il était fou. Ce n'est pas l'objet de cette commission, mais je mène une investigation lourde sur le contrat entre Easyjet et Airbus. Je dis bien une investigation lourde, qui me vaut également certaines pressions de l'autre côté de l'Atlantique quand je me rends aux Etats-Unis. M. Galli-Douani m'a posé un certain nombre de questions au téléphone. Je pense être plutôt un homme courtois. J'ai répondu. Il a enregistré la conversation téléphonique et l'a transmise à un juge d'instruction, pour porter plainte pour un truc complètement délirant. J'attends qu'un juge me convoque, et je dirai que je ne serai surtout pas témoin de M. Galli-Douani car je ne l'ai jamais rencontré. Par contre, il m'a harcelé.

M. le Président : Vous dites que vous êtes un homme courtois, je n'en doute pas. Vous connaissez, je présume, M. Bouvet.

M. Christian PARIS : Oui.

M. le Président : Puisque vous êtes un homme courtois, expliquez-moi pourquoi il y a une condamnation pour violence à l'égard de M. Bouvet.

M. Christian PARIS : Monsieur le Président, ce que vous dites est grave. Libération en a fait état dans son édition d'hier et je vais porter plainte contre ce journal. Je demande que ce que vous venez de dire figure aux minutes de cette commission.

M. le Président : Bien entendu !

M. Christian PARIS : Je verrai l'usage que j'en ferai, parce que je n'ai pas fait l'objet d'une condamnation. Les faits dont vous parlez ont été amnistiés. M. Bouvet m'a accusé d'une tentative de strangulation contre laquelle je me suis toujours défendu.

M. le Président : Je vous pose une question. Vous me répondez oui ou non.

M. Christian PARIS : Au civil, j'ai été condamné à payer une amende pour laquelle j'ai fait appel, parce que je voudrais qu'on m'explique...

M. le Président : Avez-vous fait l'objet d'une condamnation ?

M. Christian PARIS : Non ! J'ai été condamné à payer une amende. Je ne sais toujours pas pourquoi et j'espère bien que l'appel me permettra de comprendre.

M. le Rapporteur : Je vais vous lire une lettre de M. Jean Galli-Douani du 6 mars 2003. « Monsieur, suite à votre demande, je vous confirme la nature de mes entretiens avec M. Christian Paris du groupe Air France.

« Pour le premier entretien, il s'agissait de mon projet de reprise des activités long courrier de la compagnie Air Lib, ce qui m'a permis par son intermédiaire de rentrer en contact direct avec maître Yves Léonzi et M. Jean-Charles Corbet. Lors de cette discussion, M. Paris semblait très favorable à mon projet (octobre 2002).

« Pour le deuxième entretien, début février 2003, dans le cadre de la discussion engagée, M. Paris me confirme bien qu'il y ait eu des pourparlers entre Airbus, Easyjet et M  Bussereau, ceux-ci devaient, selon lui, engager la disparition du groupe Air Lib »

Confirmez-vous les déclarations écrites de M. Galli-Douani ?

M. Christian PARIS : Je ne suis pas en mesure de vous confirmer les dates, parce que je n'ai pas une mémoire suffisamment bonne. Mais M. Galli-Douani ne fait pas partie de ces personnages suffisamment marquants pour qu'on note quand on a été en contact avec lui. S'il le dit, je pense qu'il a sûrement raison. Comment a-t-il eu mon numéro de téléphone, je n'en sais rien. Ce que je lui ai dit, c'est que si effectivement il avait des solutions, c'était à Me Léonzi et à M. Corbet qu'il fallait s'adresser. Je ne sais toujours pas pourquoi il s'est adressé à moi, dans quelles conditions et qui lui a donné mon numéro de téléphone.

Quant au dossier Easyjet Airbus, je regrette profondément d'avoir évoqué cette question avec quelqu'un d'aussi peu fiable et d'aussi peu sensé. Mais je vous confirme que je ne l'ai jamais rencontré.

M. le Président : Certaines déclarations d'autres auditions laissent entendre que vous avez été présent au moment des discussions avec M. de Vlieger. Avez-vous été présent avec qui que ce soit touchant Air Liberté au moment des discussions avec M. de Vlieger ?

M. Christian PARIS : J'ai rencontré Erik de Vlieger à l'occasion d'un de mes passages chez Jean-Charles Corbet.

M. le Président : Par hasard, donc.

M. Christian PARIS : Oui, mais j'ai cru comprendre que pour le coup, M. de Vlieger passait sa vie à une époque à Air Lib. Mais votre remarque, monsieur le Président, peut être appliquée à tous les gens que j'ai croisés lors de mes venues à Air Lib. Je n'ai pas fait mystère de mes passages à Air Lib. J'ai rencontré des gens. Un syndicaliste m'a même reproché de faire la bise à la directrice du charter que je connais depuis vingt-cinq ans.

M. le Président : Monsieur Paris, le problème n'est pas là. Vous n'êtes pas ici pour faire de l'humour. Je dis simplement que nous vous interrogeons sur le rôle que vous avez joué ou pas dans le contexte d'Air Lib. Moi aussi, j'ai beaucoup d'amis que je tutoie, qui sont des amis très chers, qui sont PDG d'entreprises importantes. Ce n'est pas pour autant que je passe ma vie dans leur bureau. Donc, nous vous interrogeons et je vous pose la question clairement. Oui ou non, avez-vous rencontré M. de Vlieger ?

M. Christian PARIS : Je l'ai rencontré deux fois. Je n'ai jamais participé à son projet de reprise d'Air Lib.

M. Christian PARIS : Je ne vous demande pas si vous avez participé à son projet. Je vous demande si vous avez discuté avec lui de ce projet dans les locaux d'Air Lib.

M. Christian PARIS : Je vais vous rapporter une discussion que j'ai eue avec lui. Un jour, je passais à Air Lib. Il m'a demandé ce que je pensais de Buzz et d'Air Lib Express. Je lui ai dit : « Monsieur de Vlieger, vous avez une opportunité extraordinaire. Si vous rachetez Air Lib et Buzz, vous serez en situation de postuler à entrer dans l'alliance Skyteam. » Car j'estime que si l'alliance Skyteam avait une compagnie « à bas coûts » puissante, elle serait un outil extrêmement intéressant pour sécuriser les marchés domestiques des membres de l'alliance.

Erik de Vlieger avait effectivement cette opportunité. Ryanair a acheté Buzz quelques semaines plus tard, et il m'a dit que c'était une réflexion intelligente et qu'il ferait regarder ça par ses équipes.

M. le Président : Donc, vous confirmez avoir discuté de ces problèmes avec M. de Vlieger dans les locaux d'Air Lib.

M. Christian PARIS : Il m'a interrogé, je lui ai répondu.

M. Gilbert GANTIER : Monsieur Paris, vous êtes salarié d'Air France.

M. Christian PARIS : Oui.

M. Gilbert GANTIER : Et vous êtes membre du conseil d'administration d'Air France où vous représentez les pilotes.

M. Christian PARIS : Oui.

M. Gilbert GANTIER : Ne vous a-t-il pas paru étonnant de voir le président d'une compagnie concurrente, de le conseiller ? Imaginez quelqu'un qui est salarié de Peugeot et membre du conseil d'administration de PSA, et qui a un ami chez Renault, et qui lui demande des conseils de communication, des conseils financiers. Cela vous paraîtrait-il normal ?

M. Christian PARIS : Non. Mais je n'ai jamais donné de conseils financiers. Je n'ai jamais touché aux chiffres d'Air Lib et je ne m'y suis jamais intéressé. Et si j'avais pu m'exprimer en préambule, je vous aurais dit à quel point il était crucial pour Air France que le deuxième pôle français fut sauvé. Je crains, monsieur le Député, qu'il arrive dans les trois ans à Air France ce qui est arrivé à British Airways : 25 000 licenciements, l'abandon du court courrier, d'une partie du moyen courrier et la perte de la maîtrise du marché domestique.

M. le Président : Avez-vous dit dans les locaux du ministère de l'équipement : « Si on touche à Air Lib, la privatisation d'Air France ne se fera pas. »

M. Christian PARIS : Je démens formellement. Je n'ai jamais prononcé cette phrase. C'est un pur mensonge.

M. le Président : C'est un mensonge ?

M. Christian PARIS : Oui.

M. le Président : Donc, la personne qui nous l'a indiqué a menti.

M. Christian PARIS : Oui.

M. Gilbert GANTIER : Vous avez aidé M. Corbet dans sa communication. Imaginez-vous qu'un administrateur de PSA puisse dire à un président de Renault : « votre communication est mauvaise, je veux vous la refaire. » Dans les affaires, il y a quand même des concurrences. Air Lib était concurrent d'Air France sur un certain nombre de lignes. N'avez-vous pas l'impression que vous sortiez de vos fonctions d'administrateur d'Air France et de salarié de cette entreprise.

M. Christian PARIS :  Je vous renvoie à l'interview de M. Bachelet dans le Canard Enchaîné du 4 septembre 2002 où il dit clairement que Easyjet coûterait beaucoup plus cher à Air France et où il explique que c'était l'intérêt qu'il y ait une « amicale concurrence ».

J'ai cru comprendre, mais ce n'est pas mon rôle, que le business plan de certains repreneurs, en juillet 2001, avait vu le jour mais c'était des initiatives individuelles, de la part de certains hauts membres de l'encadrement d'Air France.

M. le Président : Avez-vous des noms à citer ?

M. Christian PARIS : Non, parce que je n'ai pas de preuves.

M. le Président : Nous avons auditionné d'autres personnes qui ont cité des noms.

M. Christian PARIS : Je pense que le président d'Air France n'était absolument pas au courant de cela, mais que le devenir d'Air Lib, et surtout de ces créneaux, est une préoccupation forte pour toute l'entreprise.

M. le Président : S'agissant du business plan, vous qui êtes compétent, puisque vous avez été président du syndicat national des pilotes de ligne, avez-vous questionné Jean-Charles Corbet sur le niveau de crédibilité de son business plan, en ce qui concerne son adaptation parfaite au marché. Avez-vous considéré que le business plan tel qu'il le présentait était conforme aux règles de fonctionnement des compagnies aériennes ?

M. Christian PARIS : Je n'ai accepté d'aborder que deux sujets, puisqu'il y avait un code de déontologie entre Corbet et moi, comme entre Bachelet et moi. C'était de ne parler que de communication. J'ai dérogé sur deux problèmes : la desserte de Marseille - à propos de laquelle j'ai essayé de démontrer à M. Corbet qu'elle était une absurdité car il n'y a pas la place pour le TGV et deux compagnies aériennes - et l'ouverture d'une ligne Paris-Tripoli. Je vous laisserai également le texte du discours que j'ai prononcé devant les familles de victimes de l'attentat contre le DC10 d'UTA. J'ai extrêmement mal vécu, et notre amitié à failli en rester là, que M. Corbet se permette de restaurer la desserte de la Libye, car comme vous le savez, un tribunal de magistrats a condamné six hauts responsables libyens et établi l'implication du colonel Kadhafi dans cet attentat.

M. le Président : C'est un problème qui touche à la politique et la morale. Mais sur le plan commercial, pensiez-vous que c'était opportun ?

M. Christian PARIS : Je n'ai pas donné mon avis à M. Corbet mais si vous me le demandez, je vais vous le donner. Je pense que le business plan était trop optimiste ; qu'à vouloir faire du social à tout prix, on en perd le sens des réalités. La priorité, c'était de sauver un socle à partir duquel on pourrait reconstruire. En revanche, je pense que la création d'Air Lib Express était une excellente idée. Elle pouvait marcher, et encore une fois, il valait mieux pour Air France avoir face à elle sur son marché domestique un concurrent français qui obéisse aux mêmes règles, qu'un concurrent britannique qui se bat avec des armes totalement déloyales, c'est-à-dire des charges sociales très inférieures, des règles d'utilisation du personnel très inférieures, et des subventions illégales des chambres de commerce.

M. le Président : Sur les réactions de Jean-Pierre Fracchetti, qui était président du syndicat, après M. Corbet, avez-vous des réactions sur les propos polémiques qu'il a tenus, y compris par mail ou correspondance indirecte ?

M. Christian PARIS : Il y a au SNPL, depuis cette époque, des luttes de personnes, des querelles de pouvoir. J'ai vu pour la première fois dans mon syndicat naître des rumeurs, fleurir des tracts anonymes dans les casiers. Je vous assure que je me fais du métier de pilote une toute autre idée.

M. le Président : Quelle idée vous en faites vous ?

M. Christian PARIS : Je pense que c'est un métier superbe. Je pense que nous sommes les héritiers d'une tradition, d'une histoire. C'est un beau métier. Nous sommes tous terriens, c'est-à-dire programmés en deux dimensions. Le métier de pilote nous fait jouer avec la troisième dimension. C'est un métier magnifique. Et je pense que les pilotes, c'est leur quotidien, savoir prendre de la hauteur, et ne pas prendre partie à des querelles aussi mesquines, et surtout, ce qui est inacceptable dans une société humaine, pratiquer l'attaque personnelle. Ça, ça ne devrait pas avoir sa place.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance du reportage réalisé par Capital ?

M. Christian PARIS : On m'en a parlé, mais je ne l'ai pas regardé.

M. le Président : Caroline Michel, journaliste...

M. Christian PARIS : Ah oui, je l'ai assignée au tribunal !

M. le Président : Et M. Franck Bouaziz, journaliste au Nouvel Economiste ont dit un certain nombre de choses. Là aussi, ce sont des choses qui ne correspondent pas à la réalité ?

M. Christian PARIS : Mme Caroline Michel a mis le pied sur la ligne jaune. Cela m'a valu beaucoup d'ennuis.

M. le Président : Quelle est la ligne jaune ?

M. Christian PARIS : Je pense qu'il y a des règles d'éthique et de déontologie. Je suis diplômé de l'IHEDN, et c'est totalement inacceptable de se voir qualifié de « taupe », sans aucun élément. La photo-montage est véritablement scandaleuse. Mais j'ai découvert, depuis que j'ai des responsabilités, que les hommes n'avaient pas de limites dans les méthodes, lorsqu'ils veulent nuire. Mme Caroline Michel devra rendre compte devant un tribunal. J'ai l'impression qu'elle bénéficie de solides appuis, car beaucoup de gens ont essayé de me dissuader de maintenir ma plainte. Je suis un homme de caractère, je pense que vous l'avez compris. Ce n'est pas cela qui m'intimidera.

M. Bouaziz ? Vous passez du temps avec un journaliste. Or, le temps, c'est précieux. Moi, je n'ai pas beaucoup de temps. Prenons l'anecdote rapportée par M. Bouaziz  sur les portes indiennes. Les Indiens ont retenu à la douane deux portes que j'avais achetées au motif qu'elles étaient trop anciennes pour être exportées.

M. le Président : C'était vous qui les aviez achetées ?

M. Christian PARIS : Bien sûr ! C'est une autre inexactitude de l'article !

M. le Président : Personne ne vous accompagnait ce jour-là ?

M. Christian PARIS : Non. Une hôtesse m'a mis un mot dans mon casier....

M. le Président : Là aussi, nous avons beaucoup de documents...

M. Christian PARIS : Des documents que je n'ai pas, ce qui est scandaleux s'agissant d'une affaire qui me concerne. Les autorités indiennes m'ont donc dit qu'elles feraient expertiser par le département des antiquités nationales, et qu'elles me diraient si, oui ou non, je pouvais exporter et les emporter avec moi. Huit mois après, j'ai eu un avis de l'administration indienne des douanes qui m'a dit qu'il n'y avait aucun problème et que je pourrais les récupérer quand je pourrais. Je les ai récupérées voilà quinze jours. Ce n'est pas une affaire. M. Bouaziz a vu ce document officiel, et ça ne l'a pas empêché d'en parler.

M. le Président : Nous ne sommes pas là pour parler des portes indiennes.

M. Christian PARIS : Nous avons ouvert des portes, il faut aller jusqu'au bout. Mme Caroline Michel a publié l'ordonnance du tribunal du 9 juillet 2002 dans lequel j'apparais en tant que salarié d'Holco. Cette affaire m'a valu aussi beaucoup d'ennuis personnels. C'est une main indélicate qui s'appelle soit M. Laffosse-Marin, soit M. Petit, soit M. Just, qui m'a rajouté de façon manuscrite sur le plumitif de l'ordonnance.

Pourquoi j'étais là ? Parce que M. Corbet a vu peser sur lui de forts soupçons, alimentés par ces syndicalistes sur la transparence de sa gestion. Les affirmations de la presse l'ont beaucoup blessé et on le serait à moins quand on est un peu sensible à l'honneur. Mme Corbet m'a appelé en me disant : si tu peux te rendre au tribunal et au moins d'un regard l'assurer de ton soutien, je pense que ça lui fera du bien. Je suis resté une demi-heure, j'ai fait ce que j'avais promis de faire, je suis reparti. Je me suis retrouvé épinglé comme vous le savez. J'ai dû prendre un avocat, reprovoquer une audience et faire la démonstration après avoir contacté les organismes sociaux, les gestionnaires d'Holco, tous les gens qu'il fallait, que bien entendu, je n'étais absolument pas salarié d'Holco, et que même sur un plan purement judiciaire, je n'avais pas à figurer sur le plumitif, parce que je n'étais pas partie à l'audience. Mme Caroline Michel qui avait les deux ordonnances - la falsifiée et la rectifiée d'erreur matérielle - a publié l'ordonnance falsifiée d'erreur matérielle. Parce que sur le plan médiatique, c'est un peu plus croustillant. Et je ne suis dupe de rien, monsieur le Président. Je sens bien qu'il y a quelque manipulation sous-jacente à tout cela.

M. le Président : En tout cas pas ici !

M. Christian PARIS : Ca n'était pas mon propos, Monsieur le Président ! Sur le plan médiatique, c'est terrible de trouver son nom dans de telles conditions.

M. le Président : En ce qui nous concerne, nous voulons simplement savoir comment les choses se sont passées. Nous avons eu un entretien très détendu et très complet et je vous remercie pour la précision de vos réponses. Si cela était nécessaire, nous vous demanderions à nouveau de venir devant cette commission.

Suite des auditions

1 Holco a, dans l'attente de la cession des actifs, signé un contrat de location gérance pour chaque fonds de commerce, pour un montant de 1 franc par fonds et par mois.


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