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N° 906

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur les causes économiques et financières de la disparitition d'AIR LIB

Président

M. Patrick OLLIER

Rapporteur

M. Charles de COURSON

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

(7ème partie)

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Entreprises

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
Début des auditions

Mercredi 28 mai :

- M. Jean-Claude Gayssot, ancien ministre de l'équipement, des transports et du logement

- M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer

Mercredi 4juin :

- M. Pascal Perri, directeur de cabinet de M. Jean-Charles Corbet

Audition de M. Jean-Claude Gayssot
ancien ministre de l'équipement, des transports, du logement

Procès-verbal de la séance du 27 mai 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur le ministre, nous souhaitions vous entendre, car vos fonctions en 2001 et 2002 vous ont tout naturellement conduit à traiter le dossier de la reprise des actifs AOM Air-Liberté, puis des difficultés rencontrées par cette compagnie à la fin de l'année 2001.

Les auditions auxquelles nous avons procédé nous ont déjà permis d'apprécier le rôle que vous-même, votre cabinet, vos collaborateurs ont joué lors de ces différents épisodes. Nous savons que vous avez eu une influence décisive lors de l'obtention du prêt FDES à Air Lib en juillet 2002. Nous aurons donc quelques questions à vous poser sur ce point, puisque le Premier ministre arbitra en votre faveur.

Vous avez la parole.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je ne pourrai évoquer que la période que j'ai connue en qualité de ministre de l'équipement, des transports et du logement, puisque, depuis mai 2002, c'est mon successeur et l'actuel gouvernement qui a dû suivre ce dossier.

Dès ma prise de responsabilités gouvernementales en 1997, je fus confronté aux enjeux considérables du transport aérien et de la construction aéronautique civile. Enjeux considérables pour l'emploi, mais aussi pour la place de nos compagnies et de nos entreprises. Concernant le transport aérien, je rappelle qu'Air France avait reçu une recapitalisation de 3 milliards d'euros par le gouvernement précédent et que son président, lors de mon arrivée, voulait privatiser. Ses effectifs avaient été réduits de plusieurs milliers entre 1994 et 1997 et sa politique d'alliance s'avérait très difficile à conduire alors que tous les autres majors, notamment européens en concluaient.

Son développement nécessitait le doublement des pistes à Roissy en opposition avec les élus de tous bords des circonscriptions riveraines. Je dois ajouter les déséquilibres sur les vols transatlantiques par rapport aux compagnies américaines. Le rééquilibrage nécessitait la signature d'un accord avec les Etats-Unis, dénoncé depuis 1992 et que nos prédécesseurs n'avaient pas réussi à conclure. Voilà quelques mots sur le transport aérien.

Pour ce qui est de la construction aérienne, en qualité de « ministre Airbus », je me suis investi totalement pour que les Etats concernés et les industriels s'engagent sur le développement de la gamme Airbus depuis l'A318, petit porteur, jusqu'au A380, gros porteur. Là réside un enjeu majeur pour le futur du transport aérien civil et la compétition avec Boeing comme pour la recherche technologique en France et en Europe. Vous pouvez interroger tous ceux qui ont eu à connaître de l'intervention du gouvernement et de la mienne pour la promotion d'Airbus.

Bref, dès les premiers jours, j'ai été confronté à ces enjeux considérables pour nos entreprises publiques ou privées et pour l'emploi mis à mal dans la période passée dans différents secteurs des transports, qu'il s'agisse de l'aérien, mais aussi du ferroviaire, du maritime ou du fluvial.

Cette bataille pour l'emploi restera au cœur de mes préoccupations tout au long des cinq années où j'ai été ministre de l'équipement, des transports et du logement.

AOM-Air-Liberté a été détenue par British Airways jusqu'à la fin 1999. Air France, qui avait dû se défendre face à la stratégie frontale de British Airways, s'était porté acquéreur lors de la vente d'AOM-Air Liberté. Compte tenu du prix jugé intéressant par Air France, l'entreprise publique a sollicité sa tutelle. J'ai précisé que j'y étais favorable. Le ministère des finances, sur avis de la Direction de la concurrence - avant même saisine du Conseil de la concurrence qui est une autorité indépendante et des autorités européennes - a proposé que ce rachat s'accompagne de restitutions de slots en nombre tel que l'opération perdait tout intérêt pour Air France. Un arbitrage informel, négatif cette fois-là à ma proposition, devait être rendu.

Si Air France avait racheté AOM-Air-Liberté, nous n'aurions pas connu la suite que l'on sait, à savoir le rachat par Marine Wendel, dirigé par le baron Seillières, et Swissair. J'insiste sur cet aspect, car l'opération ne me paraît pas tout à fait régulière. La règle communautaire implique que dans le cas d'une telle cession, le capital européen demeure majoritaire. Wendel était donc majoritaire et Swissair minoritaire pour respecter le droit communautaire. Or, nous avons appris, par la suite et de l'aveu même de l'intéressé, que ce n'était en fait qu'un « portage », un faux nez ! Cela m'avait conduit - et à ma suite la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) - à intervenir auprès de la Commission européenne. Cela prouve une chose : le Président de Marine Wendel, lorsqu'il a réinvesti dans cet achat, était séduit par cette activité. Je ne pense pas qu'il ait investi pour perdre de l'argent, il a pensé en gagner ; le contraire serait surprenant ! Il est utile de conserver cela en tête. Certes, les événements ne se sont pas déroulés ensuite comme il aurait souhaité, mais, au départ, il a pensé pouvoir gagner de l'argent.

Très vite, les compagnies se sont retrouvées dans une situation difficile nécessitant même pour AOM-Air Liberté une augmentation de capital. Je ne dispose pas des éléments sur cette opération, mais votre commission pourra les recueillir, opération qui n'a pas non plus été réglée dans le respect des règles européennes, dans des conditions eurocompatibles. A ce moment de l'exposé, je regrette que la demande d'une enquête parlementaire avancée par le groupe communiste à l'Assemblée nationale en mai 2001 n'ait pu aboutir. Je crois qu'elle aurait permis de mettre en exergue le non-respect de la règle communautaire concernant le rachat par Marine Wendel et Swissair et par conséquent aurait fait ressortir une certaine illégalité des pratiques des actionnaires. Sans doute cela aurait-il permis de montrer l'incurie de la gestion ! Mais il n'y a pas eu de suite donnée à cette demande du groupe communiste à l'Assemblée nationale.

Ce n'est qu'en avril et mai 2001 que nous fûmes alertés de difficultés majeures à la fois par les syndicats et les élus du Val-de-Marne, ceux d'Orly notamment directement concernés. Dès lors, et je veux insister sur cet aspect, ma préoccupation permanente - y compris dans mes demandes à mes collaborateurs - se résume en trois points : nécessité d'assurer les contraintes d'aménagement du territoire et la desserte des DOM-TOM ; obligation de sauver le maximum d'emplois ; développement d'une plate-forme aéroportuaire. Tel fut mon souci permanent et c'est sur ces bases que j'ai demandé à mes collaborateurs directs et à la DGAC de suivre le dossier. A partir de là, et en fonction de la dégradation accélérée de la gestion de M. Seillières et de Swissair, de nombreuses réunions de travail eurent lieu entre mes collaborateurs et les candidats repreneurs.

M. le Président : A quelle période, monsieur le ministre ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : En avril, mai, juin, dès que nous fûmes alertés par les syndicats et les élus sur les menaces et la dégradation de la gestion de Wendel et Swissair. Je n'ai donné qu'une consigne par rapport au repreneur : les écouter tous. M. Ricono, qui était alors mon directeur de cabinet, m'a informé que certains manquaient de crédibilité ; en revanche, trois repreneurs paraissaient dignes d'intérêt : Fidei, des fonds d'investissements américains ; Marc Rochet, chargé des intérêts des actionnaires de l'époque, Wendel et Swissair - c'était un grand professionnel, mais son offre était marquée d'une grande ambiguïté ; enfin il y avait le projet Holco. A tout moment, j'ai veillé à ce que les conditions de rigueur dans l'utilisation des deniers publics soient respectées. Le choix a été opéré par le tribunal de commerce. A ce sujet, j'en ai vu de toutes les couleurs dans la presse !

Je veux ici déclarer avec toute la solennité possible que le choix a été celui du tribunal de commerce sans la moindre intervention du ministre pour l'orienter.

L'on a parlé de mes liens d'amitié et même familiaux avec le dirigeant d'Holco. Tout cela est contre-vérité. Il n'existe ni lien familial ni lien politique entre nous. Par sa famille, ce dirigeant appartiendrait plutôt à un camp opposé au mien. Son père a été l'un des fondateurs d'un parti actuellement dans la majorité. Tout ce qui a été dit sur ces liens familiaux et politiques est totalement faux.

Il fut écrit que j'étais vraiment satisfait que Holco ait été choisi. J'ai conçu une satisfaction, c'est vrai, mais elle était liée au fait que le tribunal de commerce ne prononce pas la liquidation. Ma crainte était là, car des milliers d'emplois étaient en jeu. Quant au choix, je n'ai pas sauté au plafond, car si je connaissais les capacités d'entraînement social de M. Corbet, je n'avais aucune garantie ni certitude sur ses capacités de gestionnaire.

M. le Président : Au moment où le plan a été présenté au Tribunal, aviez-vous une idée sur la crédibilité de tous les engagements pris ? Ont-ils été validés par votre cabinet, notamment le système financier des investisseurs proposés ? Avez-vous porté une appréciation sur la crédibilité des engagements ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, c'est le tribunal lui-même qui gérait cette question. Plusieurs éléments entraient en ligne de compte. Premièrement la dette, ce que devait donner Wendel et Swissair. Selon les repreneurs, la demande n'était pas la même. De mémoire, pour Rochet, il s'agissait de 1,3 milliard, pour Corbet de 1,8 milliard et pour Fidei de 1,1 milliard. Les voilures, c'est-à-dire à la fois la surface industrielle et en emplois, faisaient apparaître des différences. Je crois qu'entre le plan de M. Corbet et celui de M. Rochet, la différence en emplois s'établissait à 200 ou 300. On peut d'ailleurs se dire que si M. Rochet présentait cette proposition, c'est sans doute qu'il connaissait davantage les difficultés réelles de la gestion sous la responsabilité de Wendel-Swissair.

J'avoue que je fus soulagé d'apprendre qu'il n'y aurait pas de liquidation qui aurait coûté des milliers d'emplois. D'ailleurs, la compagnie Air Lib n'était pas seule concernée, Air Littoral également, même si le dossier est d'une autre nature. J'ai d'ailleurs appris qu'un prêt venait d'être accordé dans des conditions similaires à celles qui furent accordées à Air Lib.

Voilà, il n'y a pas eu intervention. Mon souhait était que Rochet et Corbet ou Rochet-Corbet-Fidei s'entendent pour arriver à une gestion efficace. Cela n'a pu aboutir et le tribunal a choisi la solution Holco avec des réductions d'effectifs. A ce moment-là, ma démarche fut de ne laisser personne « sur le carreau ». J'ai d'ailleurs utilisé cette formule publiquement et j'ai demandé aux entreprises du transport aérien et même à celles de l'aéronautique de se porter partie prenante pour reprendre des emplois abandonnés par Air Lib. Il en fut ainsi et Air France a récupéré plus de six cents personnes.

Une bataille pour l'emploi s'est engagée, car une réduction d'effectif menaçait.

Des financements devaient encore arriver de Wendel-Swissair. Et puis, il y eut le 11 septembre et la situation s'est dégradée. Une demande de prêt a été évoquée et j'ai soutenu l'idée d'un prêt conditionné pour permettre à cette entreprise de vivre et de se développer.

M. le Président : Je vous rappelle le thème de cette commission d'enquête : déterminer de quelle manière les fonds publics ont été demandés, accordés et utilisés dans la gestion de l'entreprise. Il ne s'agit pas d'une enquête sur le passé, mais sur la période juillet 2001 à février 2003.

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre, vous venez de déclarer que vous n'avez influencé en rien le président du tribunal de commerce pendant la période de préparation des différents plans de reprise qui ont abouti à la décision dudit tribunal. Mais, il vient de nous être rapporté que vous-même, les membres de votre cabinet et de la DGAC ont reçu toutes les parties, dont les représentants du personnel. Au surplus, il nous a été rapporté que vous avez incité en la personne de Mme Nelly Cohen, l'une des représentantes de la CGT, à voter en comité d'entreprise en faveur de la solution Corbet. Est-ce exact ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, ce n'est pas exact.

M. le Rapporteur : Vous avez reçu Mme Cohen ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je ne me souviens pas avoir reçu Mme Cohen ; je n'ai pas reçu les syndicats. Mon cabinet, en la personne de M. Ricono les a reçus. Mais, personnellement, je n'ai pas rencontré les syndicats.

M. le Rapporteur : Les membres de votre cabinet non plus ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Les membres de mon cabinet ont reçu les syndicats, c'est certain.

M. le Rapporteur : Ont-ils incité à appuyer telle ou telle des trois principales candidatures ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, mon cabinet n'a sûrement pas appuyé telle ou telle solution pour la simple et bonne raison que mon cabinet et moi-même aurions souhaité que la solution tienne plutôt dans la réunion des trois candidatures Rochet, Corbet et Fidéi, du moins l'addition de deux d'entre elles.

M. le Rapporteur : Lors de la décision du tribunal, avez-vous demandé, comme c'est votre droit, via le ministre de la Justice, que le procureur plaide dans tel ou tel sens ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, je ne l'ai pas demandé.

M. le Rapporteur : Ni directement ni indirectement ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, ni directement, ni indirectement.

M. le Rapporteur : Vous êtes resté donc totalement neutre dans cette première phase.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Neutre non. Mon obsession était que l'on trouve un repreneur, que l'activité se poursuive ! Ma neutralité ne valait qu'entre les candidatures.

M. le Rapporteur : M. Corbet nous a expliqué ici que, pendant toute la période, il était en « service commandé ». Quand nous l'avons interrogé pour savoir ce qu'il mettait sous une telle formule, il a précisé qu'il était là pour protéger les intérêts d'Air France et freiner la pénétration des low cost en France.

Partagez vous cette déclaration du président Corbet et avez-vous joué un rôle dans cette attitude du président Corbet ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, pas du tout, en tout cas pas au niveau du ministère.

Ce qui est exact, c'est qu'au moment de la libéralisation du ciel européen en 1989, Air Liberté a été constitué et s'est positionné immédiatement et frontalement contre Air France. Cela a été le cas de British Airways lors du rachat de cette compagnie et d'AOM. Ce fut aussi le cas de Swissair et de Wendel quand ils se sont positionnés. Ces derniers toutefois avaient sous-estimé la capacité d'Air France, y compris le rôle que l'actionnaire majoritaire, l'Etat, jouait pour la promotion et la défense de cette compagnie. Toute velléité d'autres compagnies se positionnant contre Air France avait conduit à leur échec. Il est vrai que plutôt que de se positionner frontalement contre Air France, Corbet, Rochet et Fidéi, lors de la présentation des plans - et d'après ce que j'en ai su - ont précisé que leur candidature ne se plaçait pas contre Air France ; ils recherchaient une place où ils pourraient justifier la fiabilité d'un deuxième pôle aérien privé. Leurs trois démarches ne s'inscrivaient pas contre Air France.

La question est importante. Entre monter une entreprise en déclarant que le but est de tuer Air France ou que le but est d'avoir une place dans le transport aérien à côté d'Air France, la différence est considérable. Cela étant, il n'y avait pas de service commandé de la part du gouvernement. Bien sûr, Air France était intéressé par ce qui allait se passer.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu des contacts durant cette période avec le Président d'Air France sur ce que vous souhaitiez en tant qu'actionnaire d'Air France à l'égard de la reprise d'AOM Air-Liberté ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Des contacts oui.

M. le Rapporteur : Quelle a été la teneur de ces contacts ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Dès ma prise de responsabilité, j'ai été confronté à cet enjeu majeur. A l'époque, le président, M. Christian Blanc, voulait privatiser. Moi, je ne voulais pas, notamment à cause de cette recapitalisation de près de 20 milliards de francs d'argent public. Je considérais, et je considère toujours, que la privatisation se traduirait par un véritable gâchis.

Je me suis mobilisé en faveur d'Air France, c'est certain, comme entreprise publique, mais également comme secteur dans lequel la France a un rôle à jouer.

M. le Rapporteur : Vous ne répondez pas à ma question.

M. Jean-Claude GAYSSOT : J'y viens. Les contacts, les réunions, les rencontres avec le Président d'Air France, Christian Blanc d'abord, puis Jean-Cyril Spinetta ont été fréquents durant toute mon activité ministérielle.

M. le Rapporteur : Quelle fut votre attitude dans le cadre de la reprise ? Avez-vous demandé à Air France d'adopter telle ou telle position ? Par exemple, sur le partage des codes ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : J'y étais plutôt favorable ...

M. le Rapporteur : Avez-vous appelé le Président d'Air France pour le lui demander ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je ne me souviens pas d'avoir imposé quoi que ce soit, car ma règle a été dans ce dossier comme dans tout autre : le respect de l'autonomie de gestion des entreprises, y compris publiques - et même si la responsabilité du gouvernement était engagée, puisqu'il s'agit d'une société au capital majoritairement public. Autonomie de gestion donc.

Le partage des codes, notamment sur la desserte de l'Outre-mer, était une demande des élus. J'ai utilisé le terme de « politique », mais ce sont les élus des départements et territoires d'Outre-mer qui souhaitaient une desserte concurrentielle pour des raisons de prix ou de services rendus.

Non, je n'ai pas demandé à Air France de soutenir telle ou telle position au nom de l'autonomie de gestion.

M. le Président : D'après les informations dont nous disposons - le Rapporteur en a fait état - on note plus qu'une connivence entre certains services d'Air France et ceux de M. Corbet pour préparer la reprise. Etiez-vous informé que des collaborateurs d'Air France en juillet et même avant l'aidaient à préparer son business plan ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui. Que des personnes d'Air France aient aidé M. Corbet, sûrement. Je devais en être informé.

M. le Président : Avant la reprise.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Avant le 27 juillet, non ; mais, je sais que c'est au sein du syndicat SNPL qu'a été montée au départ la proposition Holco.

M. le Rapporteur : Que voulez-vous dire par là ?

M. le Président : C'est important.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ce n'est pas le syndicat en tant que tel, c'est un responsable syndical qui a présenté le projet et soutenu l'idée du projet Holco au départ.

M. le Président : Le syndicat en tant que tel ou une personne du syndicat ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Une personne du syndicat.

M. le Rapporteur : M. Immediato ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, c'est cela.

M. le Président : Avant la reprise, les services d'Air France ont aidé à élaborer le business plan. Nous avons perçu, à l'audition de M. Corbet, que ce business plan était surévalué. Étiez-vous informé qu'Air France aidait à son élaboration ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, pas Air France en tant que service.

M. Alain GOURIOU : Chacun convient que cette décision du tribunal de Créteil fut l'un des tournants de l'épopée Air Lib ; chacun comprend aussi votre préoccupation de sauvegarder des centaines d'emplois et celle de prendre en compte l'aménagement du territoire, car Air Lib dessert beaucoup de petits aéroports sur le territoire national. La suite n'était absolument pas assurée.

Aviez-vous une connaissance approfondie du dossier financier du repreneur Corbet ? L'on ne pouvait savoir par avance qu'allaient survenir les événements du 11 septembre, ni la banqueroute de Swissair. Le dossier de M. Corbet avançait un certain nombre d'hypothèses peu fiables : présence d'investisseurs réellement assurés, lettres d'intention de financement ... tout cela apparaissait un peu léger. Considériez-vous que cette proposition de reprise par M. Corbet présentait des risques importants ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Un tribunal de commerce examine et étudie l'ensemble du dossier et opte au final pour Holco. Ce n'est pas moi qui choisis.

Contrairement à ce qui s'est dit, je n'ai pas sauté au plafond à l'annonce de la décision, car si je connaissais les capacités de leader syndical de M. Corbet, je ne connaissais rien de ses capacités de gestionnaire. J'aurais préféré une solution de fusion des propositions, car il était indiscutable que M. Rochet était un dirigeant d'entreprise, ce qui n'était pas les cas de M. Corbet que j'avais connu en 1998 lors du bras de fer de la grève des pilotes avant la coupe du monde. Quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois, ce fut face à face.

Après avoir défendu les intérêts des pilotes, il avait fini par signer l'échange salaires contre actions. C'était un événement exceptionnel. J'y fais référence, car dès que le choix a été opéré par le tribunal de commerce, c'est lui et personne d'autre qui choisit de faire un échange salaires contre actions.

M. le Président : Existait-il un accord sur ce point ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, cela figurait dans les propositions. Effectivement, un homme qui avait signé un accord en qualité de responsable du SNPL en 1998 laissait à penser qu'il pourrait le faire pour l'entreprise qu'il allait diriger.

Le transport aérien connaissait une croissance de 4 % l'an. Nous voyions de partout Swissair et d'autres se précipiter, acheter des entreprises. Je pensais qu'il y avait place pour une activité d'une entreprise privée qu'Air France n'avait pu acheter du fait d'un refus du ministère des finances.

M. le Président : Nous ne débattons pas de cela.

Nous comprenons que c'est le tribunal de commerce qui a décidé et qu'avant cette décision il y a eu des travaux préparatoires à votre cabinet comme il est normal. Or, nous avons constaté que les propositions d'investisseurs faites au tribunal de commerce n'avaient visiblement pas été certifiées ou vérifiées. Elles ne se sont d'ailleurs jamais réalisées. L'accord à hauteur de 150 millions de francs n'a pas été mis en œuvre et la lettre de crédit présentée le fut dans des conditions que nous avons découvertes : le contrat est arrivé le jour même de la décision. J'imagine que vous aviez vérifié qu'il y avait des investisseurs derrière.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Monsieur le ministre, nous savons que vous êtes un ministre et que vous avez le réflexe syndical. Vous avez d'ailleurs indiqué que les premières alertes étaient venues des syndicats d'Air Lib.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Et des élus.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous avez dû évoquer le problème des investissements des personnels, c'est-à-dire les 150 millions évoqués par M. le Président. Les syndicats, avec qui vous en avez parlé, ont dû vous dire s'ils étaient ou non d'accord. C'était un élément important du dossier.

Vous avez eu des contacts avec les syndicats d'AOM-Air-Liberté pendant toute la période qui a précédé la décision du Tribunal de commerce. Ils vous ont fait part de leurs préférences.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je n'ai pas eu de contacts directs avec les syndicats ni assisté à des réunions avec eux. En revanche, mon cabinet les a rencontrés et a discuté avec eux. Surtout, il a débattu avec les repreneurs. J'avais proposé la démarche suivante aux membres de mon cabinet : « Ecoutez, regardez ce que chacun propose et écoutez-les tous. » Mon directeur de cabinet m'a donc indiqué après un temps que certains ne faisaient pas preuve de sérieux alors que trois autres paraissaient plus sérieux : Rochet, qui présentait toutefois le handicap d'être le liquidateur des biens de Swissair et Wendel, donc de M. Seillières, et Fidei - il s'agissait de fonds américain - et puis il y avait une banque canadienne avec Holco, le projet Corbet.

M. le Président : Etiez-vous au courant de la valeur de l'investissement éventuel proposé par la banque canadienne ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non.

M. le Président : La lettre de crédit présentée s'élevait à 80 millions de francs, dont les intérêts et les charges de mise en œuvre représentaient 45 millions de francs, c'est-à-dire plus de la moitié, ce qui pose question.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Comment peut-on imaginer que le ministre des transports ne se soit pas posé la question de la fiabilité financière de chacun des trois projets que vous évoquez ? Au plan technique, des débats ont été ouverts, dites-vous, alors que personne ne se serait soucié de l'aspect financier ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le ministre des transports n'est pas chargé de vérification dans ces domaines. Cela ne relève pas de sa compétence directe. D'autres ministres du gouvernement sont plus particulièrement concernés par les questions financières.

Bien sûr, il est tout à fait légitime que vous posiez la question, mais, personnellement, je m'en suis remis à l'appréciation du tribunal de commerce. J'ai considéré qu'il était le plus compétent. Dans la mesure où il ne décidait pas la liquidation et où il proposait de retenir le projet Holco, j'ai pensé qu'il avait jugé de la viabilité et de la fiabilité du business plan.

J'étais convaincu que l'entreprise pouvait vivre, parce que le secteur était en développement. L'ensemble des études que nous avions réalisées à l'époque conduisait à dire qu'il fallait construire un troisième aéroport dans le grand bassin parisien et Notre-Dame-des-Landes dans l'Ouest, développer Saint-Exupéry à Lyon, renforcer les aéroports en province...

M. le Président : Une mission d'information parlementaire travaille sur ce sujet, monsieur le ministre.

Le tribunal de commerce fait ce choix, car autrement, du moins on peut le supposer, il aurait décidé de liquider et de ne pas retenir la proposition de Holco. Mais le projet est viable, parce que le transport aérien a une perspective.

M. le Rapporteur : Holco n'existait pas au moment de la reprise ; le projet était en cours de constitution.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le tribunal de commerce a considéré la viabilité et la fiabilité de la proposition. Ensuite les investisseurs, c'est vrai, ne sont pas venus. Mais vous savez ce qui s'est passé : Swissair et Marine Wendel n'ont pas honoré leur dette de 400 millions de francs et puis il y a eu le 11 septembre.

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre, vous êtes intervenu, par une lettre du 5 octobre 2001, auprès du directeur général d'Aéroports de Paris pour qu'il fasse cesser immédiatement le droit de rétention sur les avions de la compagnie afin de faciliter la reprise.

Pourquoi avez-vous demandé cela ? Aéroports de Paris détenait une créance de 124 millions de francs sur AOM-Air-Liberté...

M. Jean-Claude GAYSSOT : Sur Swissair-Wendel - je le précise pour que les choses soient claires.

M. le Rapporteur : Vous avez donc adressé une lettre, que nous avons ici, signée de votre main, adressée au directeur général. Je lis : Je vous demande de surseoir provisoirement à l'exercice du droit de rétention sur les aéronefs nécessaires à l'activité à la société Air Lib et de rechercher avec cette société les propriétaires des avions concernés et avec les administrateurs judiciaires les moyens d'un recouvrement de vos créances compatibles avec la mise en œuvre du plan de redressement.

Autrement dit, le directeur d'Aéroports de Paris fait son travail. Il détient une créance de 124 millions. Il essaye de protéger les intérêts d'Aéroports de Paris. L'un des moyens dont il dispose est le droit de rétention ; ainsi, la compagnie ne peut plus voler. En général, les compagnies payent. Vous intervenez par lettre du 5 octobre 2001, la première intervention écrite que nous ayons de vous dans ce dossier. Vous donnez l'ordre au directeur de surseoir.

M. Jean-Claude GAYSSOT : La formulation n'est pas aussi militaire. Soyez attentif aux mots.

M. le Rapporteur : Je relis : Je vous demande de surseoir provisoirement à l'exercice du droit de rétention.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, provisoirement. J'ai écrit : « Je vous demande », non « Je vous oblige ».

M. le Rapporteur : Le provisoire est devenu permanent !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je ne sais si cela a duré après mon départ.

M. le Rapporteur : C'est moi qui pose la question ; ce n'est pas moi qui étais ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, mais cela a-t-il perduré ?

M. le Rapporteur : Nous sommes en 2001 et je vous pose la question à vous.

M. le Président : Nous interrogerons M. Bussereau tout à l'heure.

M. le Rapporteur : Le sursis provisoire que vous évoquez dans votre courrier du 5 octobre est-il devenu permanent ?

M. Claude GAYSSOT : Dans ma lettre, c'était clair. Cette dette pour l'aéroport était antérieure à la création d'Air Lib. Nous sommes au mois de septembre, après le 11 septembre. Le courrier d'Aéroports de Paris me parvient, je crois, après le 11 septembre.

M. le Rapporteur : Le 17 septembre. Il est adressé au DGAC.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je crois me souvenir que je suis à l'étranger à cette période pour un voyage officiel. Je réponds début octobre et demande à Aéroports de Paris, dans la mesure où il s'agit d'une dette antérieure constituée par une entreprise qui n'a pas encore payé ce qu'elle doit à Air Lib - il manque 60 millions d'euros - de discuter, en quelque sorte de négocier la façon dont ils seront payés. Je juge cette solution préférable à celle qui consiste à interdire le vol des avions. Si je n'avais pas fait cela, je n'aurais pu attester être un bon ministre, soucieux de l'intérêt général.

M. le Rapporteur : Oui, mais dès novembre 2001, Air Lib cesse unilatéralement d'acquitter la part patronale. Le montant cumulé de ses dettes auprès des URSSAF s'élevait ainsi au 31 décembre 2001 à 3,8 millions d'euros ou à 4,26 millions d'euros avec les pénalités. Etes-vous intervenu auprès des URSSAF ou de votre collègue des affaires sociales pour leur demander, comme vous l'aviez fait à l'égard du directeur général d'Aéroports de Paris, de surseoir ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, tout ce qui est moratoire fiscal ou social ne relève pas de mon ministère.

M. le Rapporteur : Cela ne vous inquiétait-il pas ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Tout m'inquiétait. Et plus que tout, la crainte que la situation se dégrade à un point tel que la société doive mettre la clé sous la porte.

M. le Président : Nous arrivons aux fonds publics. Nous savons effectivement comment cela fonctionne au niveau du gouvernement, mais comment, à partir de novembre 2001 alors que l'Aéroport et l'URSSAF ne sont plus payés, ce moratoire a-t-il été décidé ? Des réunions interministérielles ont-elles eu lieu ? En avez-vous parlé à votre collègue des affaires sociales ou du budget ? Comment la décision fut-elle prise ? Ce n'est pas par hasard que l'on a décidé de suspendre les paiements. Devant tout retard fiscal, les services du fisc se hâtent d'intervenir. Or, nous n'avons pas trouvé de traces écrites de moratoire. Comment cela s'est-il passé ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je suis intervenu uniquement sur les créances d'Aéroports de Paris. Sur le reste, je ne peux vous répondre faute d'être intervenu.

J'ai soutenu l'idée du prêt. Mais pas ce que certains appellent le « moratoire fiscal ».

M. le Président : Si ce n'est vous, c'est tout de même le gouvernement !

M. Jean-Claude GAYSSOT : J'avais déjà assez à faire avec mon département ministériel !

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre, nous voudrions vous interroger sur ce qui s'est passé fin novembre, début décembre. D'après son témoignage, le président du directoire voulait déposer le bilan alors que le président Corbet ne le voulait pas.

Le président du directoire déclare : « Les prévisions de trésorerie étaient très claires ; nous devions déposer le bilan au plus tard début février. »

Comment cela s'est-il passé et à quel niveau ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : D'une part, il s'agit d'une entreprise privée qui est dans la situation que l'on sait. On perçoit une difficulté majeure liée au non-paiement de la dette Swissair-Wendel et aux événements du 11 septembre. Je n'ai jamais discuté avec la présidence de cette société ; ensuite, un prêt a été sollicité.

M. le Rapporteur : Qui vous sollicite ? Comment cela se passe-t-il ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ce n'est pas moi qui fus sollicité. Je n'ai pas d'éléments sur la façon précise dont cela s'est déroulé. Je sais seulement que l'entreprise a sollicité un prêt. Il y avait plusieurs hypothèses : le fonds d'aide au développement, la Caisse des dépôts et consignations, l'idée du prêt du FDES. Finalement, c'est cette dernière solution qui a été retenue et que j'ai soutenue.

M. le Président : Le prêt du FDES se situe le 9 janvier 2002. Or, en l'occurrence, nous sommes au mois de décembre 2001. De tout ce que nous avons entendu, les fonds publics commencent à être concernés par le moratoire. Nous rechercherons qui a donné les instructions. Il n'y en a pas d'écrites.

Au moment où M. Bachelet, le président du directoire démissionne en décembre, considérant que la situation n'est plus tenable et propose de déposer le bilan, M. Corbet intervient et se tourne vers l'Etat pour solliciter un prêt. La demande a été formulée par l'entreprise, à l'évidence par M. Corbet, puisque M. Bachelet démissionne.

Etiez-vous informé de la situation financière exacte de la société au mois de décembre ? Aviez-vous alors la connaissance du dossier ? Etiez-vous au courant de la démission du président du directoire et de la volonté de M. Corbet de se tourner vers l'Etat pour obtenir ce prêt ? Vos services vous en ont-ils informé ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : J'étais informé des menaces qui pesaient sur l'activité de l'entreprise. C'était public, d'autant que la démission de M. Bachelet est intervenue. Oui, j'étais informé, mais pas précisément ni dans le détail. Je ne me suis pas entretenu avec l'entreprise concernée de ces questions, qui est une entreprise privée.

M. le Rapporteur : Nous sortons du cadre du privé. Il s'agit d'une décision du gouvernement et d'argent public.

Pourriez-vous nous dire comment s'est déroulée la réunion du 3 janvier entre le Premier ministre et les ministres concernés ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Un arbitrage est intervenu.

Entre le ministre des finances, quel que soit le bord politique, et un ministère, par vocation, dépensier comme l'est le ministère de l'équipement, du logement et des transports, des oppositions surgissent souvent. Le ministère des finances en effet est, par vocation, plus pointilleux et soucieux des équilibres budgétaires.

J'ai plaidé en faveur du prêt, mais limité à six mois et assorti de conditions, parce que la dette de 400 millions de francs n'était pas encore payée par Swissair-Wendel. Il existait également la possibilité sur le plan financier de créer un GIE fiscal.

Bref le prêt était gagé sur la restructuration de l'entreprise ; j'en ai totalement approuvé les conditions.

M. le Rapporteur : Vous dites que vous croyiez et que vous croyez encore à la viabilité de l'entreprise. Mais de quels éléments disposiez-vous pour l'affirmer au mois de décembre-début janvier ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le transport aérien, même s'il est souvent et assez brutalement soumis à des aspects conjoncturels, est appelé sur la tendance à se développer. Autant que ce soit des compagnies françaises qui se développent. Cela avait motivé notre politique en matière d'aéroports. Telle était la démarche. Elle n'a rien d'artificielle.

Par ailleurs, entrait en ligne de compte la dette de Swissair-de Wendel de 400 millions de francs. J'espérais la recouvrer.

M. le Rapporteur : Disposiez-vous d'informations sur la capacité de récupération de la dette ? Vous appuyiez-vous sur une analyse juridique vous autorisant à le croire ? Pour recouvrer une dette, il faut que la personne qui vous doit de l'argent ait la capacité de la rembourser. Aviez-vous réalisé une analyse juridique sur ce point ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, pas mon ministère. Le prêt était gagé. En tout cas, il devait être remboursé.

M. le Rapporteur : On peut l'espérer, sans quoi il ne s'agit pas d'un prêt.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Au moment où l'Etat devait être remboursé, le prêt a été reconduit. Peut-être de nouvelles conditions ont-elles été ajoutées ? Je l'ignore. Pourquoi a-t-il été reconduit à deux reprises ? Je comprends mes successeurs. Ils ont dû penser qu'il y avait une possibilité de développement de cette entreprise.

M. le Président : Quand il s'agit d'accorder un prêt de cette nature - 30,5 millions en deux tranches -, il faut convaincre Bruxelles. Accorder un prêt n'est pas une mince affaire. Nous ne parlons pas de la reconduction, mais bien de l'octroi du prêt. Etiez-vous informé à cette époque des conditions dans lesquelles le dossier financier ayant permis d'asseoir la décision ministérielle a été réalisé ? Comment, d'après vos informations, le CIRI notamment, vos services aussi, ont-ils étudié le dossier financier d'Air Lib ? Etiez-vous au courant des réunions qui étaient organisées au niveau du CIRI, de votre cabinet, pour prendre la décision que vous avez été conduit à prendre ? Etiez-vous au courant de la manière dont le dossier a été préparé ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, c'est le CIRI qui gère habituellement l'octroi de ce type de prêt.

M. le Président : M. Massignon, le secrétaire général du CIRI, nous a quelque peu étonnés par ses déclarations. Il nous a indiqué avoir vu M. Corbet pour la première fois le 5 janvier pour un prêt accordé le 9 janvier à partir d'une décision du 3 janvier. Entre-temps, il y a un week-end. Il l'a vu la première fois le 5, nous a-t-il déclaré, et sa surprise a été totale de constater qu'il n'avait pas de dossier financier. M. Philippe Leroy, secrétaire général adjoint du CIRI, nous a confirmé n'avoir pas eu les comptes de la société. Comment peut-on prendre cette décision si rapidement alors qu'obtenir un prêt réclame habituellement du temps et comment le dossier est-il arrivé à la réunion de Matignon - M. le Rapporteur fera certainement état de la position du ministre des finances - dans des conditions ayant conduit malgré tout à l'octroi du prêt ? L'instruction du prêt vous a-t-elle semblé suffisante, normale ? Est-ce ainsi que cela doit se passer ? Ce n'est pas tout à fait l'avis des personnes que nous avons interrogées.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Avec le ministre chargé des questions de l'outre-mer, nous avons été favorables à l'octroi du prêt ; le ministère des finances, plus réservé, a considéré que le prêt du FDES était la meilleure solution et a assorti l'octroi du prêt de conditions, que j'ai totalement approuvées et validées. Vous trouverez cela dans les bleus.

Au sujet de l'argent public, je me félicitais de l'existence par la loi de la possibilité du contrôle de l'utilisation de l'argent public. C'est pourquoi votre commission d'enquête est importante. Malheureusement, la première décision du gouvernement a été de supprimer le contrôle des deniers publics.

M. le Rapporteur : Nous sommes là pour cela, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ce n'est pas vrai que pour Air Lib !

M. le Rapporteur : Nous sommes le 3 janvier 2002. Vous participez à l'hôtel Matignon à une réunion avec le Premier ministre et vos collègues. En sortez-vous en pensant que vous allez gagner ou non ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui sur le principe. L'intervention du Premier ministre, me semble-t-il, consiste à assortir le prêt de conditions.

M. le Rapporteur : Nous avons un bleu du 7 janvier relatif à une réunion interministérielle réunissant les membres des cabinets. Votre directeur de cabinet vous représente avec un autre conseiller. Je vous donne lecture de ses propos : « Il [votre directeur de cabinet] rappelle que les difficultés de cette fin d'année résultent du non-paiement des 400 millions de francs par Swissair. Pour les résoudre, il propose d'adopter un mécanisme de GIE fiscal pour l'acquisition de deux appareils et l'octroi d'un prêt en l'attente du recouvrement de la créance auprès de Swissair. Il mentionne que des contacts informels ont été pris avec la Commission européenne sur un tel dispositif, cette dernière ne voyant en première analyse pas d'obstacles à sa mise en œuvre. »

Aviez-vous approfondi la question du GIE fiscal ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Vous connaissez l'origine du GIE fiscal. Quand le gouvernement a changé en 1997, nous avons été amenés à modifier la règle des quirat qui ne nous paraissait pas suffisamment claire du point de vue de l'aide publique. Mais il y avait un risque que cette modification handicape certains secteurs d'activité. Nous avons substitué le principe du GIE fiscal aux quirat. C'était un moyen de soutenir l'activité de notre pays et l'emploi. Parmi les moyens de gager la perspective du prêt, il y avait la recherche d'un GIE fiscal sur deux Airbus.

M. le Président : L'idée du GIE fiscal est une bonne idée juridique, mais notre souci est de savoir si vous aviez validé les investisseurs qui devaient former le GIE fiscal, car, comme nous l'avons vu au niveau du tribunal de commerce, les investisseurs prévus ne sont pas arrivés. Au cours de la deuxième phase, les investisseurs devaient payer les deux A340. Vos services avaient-ils validé la capacité des investisseurs ou leur réalité à intégrer le GIE fiscal, puisque cela fut à l'origine d'un prêt public de trente millions d'euros ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je le répète, ce ne sont pas à mes services qu'il appartient ou non de valider. En revanche, les services avaient travaillé sur cette hypothèse. Parmi les personnes concernées, il y avait Airbus, Air France, puisqu'il y avait pour Air France une possibilité de récupérer des fonds, et il y avait une banque - de mémoire Indosuez.

M. le Président : Le GIE n'a jamais pu être monté. C'était un peu l'Arlésienne !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, sauf que cela a abouti à Air Tahiti.

M. le Rapporteur : Oui, mais ce n'était pas notre problème.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Cela pour dire que la formule était viable.

M. le Rapporteur : Encore faut-il des banques pour le monter. Sans financeurs, pas de GIE fiscal !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le dossier était engagé et l'hypothèse de sa réalisation était admise.

M. le Rapporteur : Les services de la DGAC que nous avons interrogés nous ont indiqué que toutes ces tractations sont intervenues entre vous-même, votre cabinet, le cabinet du Premier ministre et le Premier ministre. Pouvez-vous le confirmer ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, je démens. Vous utilisez le terme de « tractations »...

M. le Président : Négociations.

M. le Rapporteur : Ou « discussions sur le thème « prêt ou pas prêt » entre le 26 décembre et le 7 ou 8 janvier. »

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je préfère le terme de « discussions ».

J'ai lu dans la presse que M. le Rapporteur essayait de comprendre s'il y avait eu incompétence ou si une bande organisée s'était partagée le gâteau. Je me méfie donc des propos et de la manière dont vous les formulez. Si la question porte sur des « tractations », je n'ai plus rien à faire ici !

M. le Rapporteur : Tel n'est pas l'objet de la question. Si vous aviez lu l'article que vous avez entre les mains, vous verriez qu'il ne cite pas le rapporteur, mais un « membre proche de la commission ». Je ne suis pas un membre proche de la commission, mais le Rapporteur ! Revenons à la question.

M. le Président : Nous savons que dans les articles de presse se glissent des échos. Tel est le cas en l'espèce. Hier M. Corbet a posé la question au Rapporteur qui a très clairement répondu. L'on pourrait aussi reprendre des échos portant sur d'autres personnes, y compris de l'ancien gouvernement. Nous ne le ferons pas, car nous sommes en commission d'enquête ; nous posons des questions sur des faits et non sur les digressions de certains rédacteurs.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Il est important qu'il n'y ait pas d'a priori, car si jamais c'était vrai ...

M. le Président : Je vous rassure, ce n'est pas vrai.

M. le Rapporteur : La question qui vous est posée est la suivante : tout ceci se passe entre le 26 décembre 2001 et le 8 ou 9 janvier 2002. La période est extrêmement courte. Nous n'arrivons pas à savoir si, en tant que ministre, vous avez pris les précautions de base avant d'engager l'Etat, car c'est vous qui poussez le Premier ministre contre l'avis de son ministre des finances à l'octroi d'un prêt. Un prêt est une chose grave. La note du CIRI explique en substance au ministre des finances qu'il convient de prendre garde, car prendre un tel engagement, c'est risquer un jour d'être condamné, si cela tourne mal, pour soutien abusif comme toute banque qui intervient alors que le président du directoire veut déposer le bilan.

Avez-vous mesuré, dans ces circonstances, l'importance du risque pris, puisque c'est vous qui défendez cette thèse contre le ministre des finances ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Mon soutien n'a rien à voir avec un soutien abusif. Je considérais et je considère - ma position de ce point de vue n'a pas changé - qu'il existe une place pour une compagnie dans cette activité du transport aérien. Je sais qu'une dette de Swissair-de Wendel n'est pas honorée. Je sais également que l'on envisage le montage d'un GIE fiscal, élément qui permet de gager le prêt. A partir de là, ma position n'a rien à voir avec une étude technique et financière spécifique. Mon ministère n'en a pas les capacités. Si qui que ce soit m'avait dit qu'il s'agissait d'un prêt à fonds perdus, je ne l'aurais pas soutenu. Des réserves avaient été formulées qui toutefois n'allaient pas jusqu'à prétendre que l'argent serait gaspillé ou gâché. Tout au plus, les réserves suscitaient le doute. Le ministre de l'outre-mer, le ministre des transports et finalement le Premier ministre ont accepté les conditions. Vous poserez la question à mon successeur : quand nous quittons le gouvernement après les élections, le prêt qui était fondé sur six mois, a été reconduit.

M. le Président : Oui, l'échéance était fixée en juillet. A l'époque, personne n'a émis l'hypothèse qu'il y aurait des élections présidentielles en mai et des législatives en juin.

M. le Rapporteur : Pourquoi avez-vous fixé un délai de six mois ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je n'ai pas fixé le délai, j'ai soutenu les conditions.

M. le Rapporteur : Vous êtes le ministre qui assure la tutelle sur le ministère des transports. Qui a fixé la durée du prêt et son montant ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le CIRI.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Avant le 3 janvier, vous êtes informé de la demande de prêt d'Air Lib. Vous connaissez la situation de la compagnie, puisque vous avez constaté que les engagements pris au moment de la reprise et de la décision du tribunal de commerce n'avaient pas été mis en œuvre. Les investisseurs n'étaient pas là, le personnel n'avait pas pris sa participation au capital. De plus, le 11 septembre avait eu lieu, vous connaissiez la dette fiscale et sociale, vous saviez qu'il n'y avait toujours pas d'investisseurs qui se profilaient à l'horizon, vous saviez que le président du directoire était démissionnaire et vous recevez une demande de prêt FDES. J'imagine que votre ministère demande un nouveau plan de restructuration à M. Corbet. J'ai compris que rien ne s'était passé.

Cela signifie que le 3 janvier, vous arrivez au conseil des ministres sans la perspective d'une vraie restructuration par le management de l'entreprise, en accord d'ailleurs avec les syndicats avec lesquels vous n'avez pas perdu contact. Quel est donc l'argument que vous utilisez face au ministère des finances qui, lui, a bien compris que la situation était désespérée ? Je ne me satisfais pas de l'argument selon lequel l'argent de Swissair-de Wendel serait récupéré. En effet, le rythme des pertes est tel que six mois après l'on est à peu près sûr d'être à nouveau en situation de cessation de paiement. La seule différence c'est que les élections sont passées ! Pouvez-vous m'assurer que l'argument ne consistait pas à gagner six mois, en espérant récupérer les 400 millions ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je veux répondre nettement : surtout n'imaginez pas que mon attitude, celle du gouvernement, du ministre de l'outre-mer, du ministre des finances ou du Premier ministre, aient été guidées par l'idée de « passer les élections » !

D'ailleurs, je puis vous assurer que nous eussions préféré qu'elles ne se passent pas comme elles se sont déroulées.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Quel est donc l'argument technique ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Il y avait cette perte qui, en quelque sorte, se cumulait. Une chose est sûre : quand nous quittons le gouvernement, la dette publique entre le prêt remboursable en juillet et ce qui a été fait au titre des moratoires sociaux et fiscaux représente soixante millions d'euros. C'est le montant que n'a pas payé Swissair-Wendel. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Depuis que nos successeurs ont pris le dossier, ils auraient porté cette dette à 130 millions d'euros !

M. le Président : Oui, cent trente millions d'euros cumulés.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je le dis, car ma démarche n'était animée par aucun calcul de type politicien. J'avais en tête la fiabilité de la compagnie et l'emploi.

Certes, des conditions devaient être fixées, mais vous disposez des bleus sur le sujet. Vous me rétorquerez que ces conditions sont postérieures, mais, précisément, le prêt lui-même n'a pas été versé en une seule fois. Cela signifie que des éléments de garantie furent obtenus.

M. le Président : Rien n'indiquait dans le dossier, venez-vous de dire, qu'il était impossible de récupérer l'argent prêté. J'ai sous les yeux une note du directeur du Trésor au ministre des finances, M. Fabius, en date du 5 janvier 2002. De la main même du directeur du Trésor, on lit : « Il n'y a aucune perspective de remboursement des concours des fonds publics. »

Aviez-vous connaissance de cette note ?

Plus avant, le directeur du Trésor explique au ministre que même si le prêt FDES n'est plus le mode habituel d'intervention du CIRI, cette enveloppe, surtout en période de difficultés conjoncturelles, peut être mobilisée ; il explique comment. Le reste de la note est extrêmement critique. M. Fabius de sa main écrit en marge : « Sur instruction du Premier ministre et malgré mes réserves expresses, prêt FDES de 16,5 millions d'euros. »

N'avez-vous donc pas été informé des réserves du ministre des finances ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : De ses réserves, si.

M. le Président : Ce sont plus que des réserves, c'est une opposition.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je lis le mot « réserves ».

M. le Rapporteur : Je comprends que vous n'ayez pas eu connaissance de cette note interne au ministère des finances. En revanche, le compte rendu de la réunion interministérielle du jeudi 7 janvier vous a été adressé. C'est votre directeur de cabinet, M. Ricono, qui vous y représentait, ainsi que M. Guyot, votre conseiller technique. Lisiez-vous les « bleus » ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ceux qui m'étaient envoyés, je les lisais.

M. le Rapporteur : Voilà ce que dit ce compte rendu de la position du ministère de l'économie et des finances : « Une autre solution, qui comporte toutefois le même risque de soutien abusif, pourrait être de faire intervenir le FDES. Si le Premier ministre devait arbitrer en faveur d'une aide à cette compagnie au-delà de ce qui a déjà fait l'objet d'un accord, il propose, tout en confirmant ses réserves de principe, de recourir à cette solution. Cette intervention serait soumise à un ensemble de conditions tenant notamment aux efforts de restructuration et d'abaissement des coûts, effectivement mis en œuvre par Air Lib, et la clarification de ses structures. Elle serait gagée sur la créance Swissair. Elle serait d'un montant de 30,5 millions d'euros, dont 16,8 sont immédiatement disponibles.

« Le solde nécessiterait un décret d'avance financé par redéploiement sur les crédits du ministère de l'équipement. » C'est d'ailleurs ce qui s'est passé, puisque vous avez « subi » un décret d'annulation pour financer une deuxième tranche de 13,8 millions : ont été annulés 7,6 millions d'euros sur vos crédits construction-amélioration de l'habitat, c'est-à-dire les crédits de l'ANAH, 4,7 millions d'euros ont été supprimés sur le chapitre « Développement des infrastructures, organisation des transports, sécurité, expérimentation, études générales », c'est-à-dire vos crédits sur la sécurité routière et 1,5 million « Développement territorial du tourisme » sur le budget du tourisme.

Vous étiez parfaitement au courant - c'est explicitement formulé dans le bleu. Lorsque vous l'avez lu, ne vous êtes-vous pas demandé si vous ne vous preniez pas là une responsabilité très importante à engager l'Etat en comblement de passif ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je le répète, car je n'ai rien à ajouter : il s'agit d'un prêt, pour une durée de six mois, assorti de conditions, que j'ai approuvées. Je croyais à cette possibilité, notamment, parce qu'il y avait une dette à récupérer de Swissair-Wendel à hauteur de 60 millions d'euros et parce qu'il était envisagé le montage d'un GIE fiscal.

Lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre, Air France enregistrait des déficits. Entre 1993 et 1997, la compagnie a supprimé 9 000 emplois. Or, c'est celle qui a le mieux résisté au monde après le 11 septembre, elle a réalisé des bénéfices et même elle a embauché 600 personnes d'Air Lib.

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre croyez-vous au miracle ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non.

M. le Rapporteur : Eh bien, nous sommes deux ! Pourquoi la compagnie Air France s'est-elle redressée si ce n'est parce qu'elle a reçu 20 milliards qui l'ont recapitalisée, parce qu'elle a réduit ses effectifs et renégocié le montant de ses salaires ! Ce fut une politique extrêmement dure. Vous le savez, puisque vous en avez « bénéficié » pendant la période où vous avez été ministre.

Des mesures équivalentes furent-elles appliquées à Air Lib ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Lorsque j'ai été ministre, j'ai eu à traiter les accords biltatéraux avec les Etats-Unis, le doublement des pistes n'était pas fait...

M. le Rapporteur : Ce n'est pas cela qui explique les faits.

Je vous pose la question, monsieur le ministre : un plan de restructuration a-t-il été mis en œuvre à partir du 11 septembre à Air Lib - d'après les informations de vos services ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : L'objectif d'un plan de restructuration.

M. le Rapporteur : Un plan de restructuration commence à produire ses effets après sa mise en œuvre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Si Air France a embauché des employés d'Air Lib...

M. le Président : Un an après.

M. le Rapporteur : A la période où nous nous situons, cela fait cinq mois que la reprise a eu lieu. Ne vous êtes-vous pas demandé pourquoi cette compagnie en extrême difficulté, en dépôt de bilan potentiel n'a toujours pas entamé sa restructuration ? Cela ne vous inquiète-t-il pas ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non seulement cela m'inquiète, mais des choses se passent. Par exemple, concernant la voilure, Air Lib Express est en train de voir le jour, c'est d'ailleurs un succès...

M. le Rapporteur : Il est lancé un peu plus tard. Nous sommes en décembre-janvier.

M. le Président : Vous raccourcissez le calendrier.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Cela pour vous dire que des choses se passent ou se préparent.

M. le Président : La parole est à Mme Odile Saugues.

M. Odile SAUGUES : Vous parlez de la création d'Air Lib Express, monsieur le ministre. Avez-vous fait l'objet de démarches particulières de la part des compagnies low cost qui souhaitaient à cette époque obtenir des créneaux à Orly ? Si oui, quelle a été votre réponse et pensez-vous que ces démarches étaient compatibles avec le maintien de la compagnie Air Lib dans le ciel français ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Les compagnies low cost étaient très intéressées par une faillite d'Air Lib, car elle supposait ensuite le partage des créneaux. Tant qu'Air Lib vivait, le partage demeurait impossible. La réduction de la voilure elle-même rendait des créneaux disponibles. Le partage se réalise selon des règles très précises, mécaniques : dans l'hypothèse de 5 000 créneaux disponibles, une part revient aux compagnies présentes, une autre aux compagnies demandeuses. Les compagnies low cost existaient. Ce qui prouve qu'il y a bien une place pour une compagnie française. Elles étaient demandeuses de beaucoup de créneaux sur le pôle d'Orly.

M. le Rapporteur : Estimez-vous que le produit lancé quelques mois plus tard par Air Lib est un produit bas coûts ou un produit à coût élevé et à bas tarif, et donc hyperdéficitaire ? Comme l'ont montré tous les documents qui nous ont été présentés, il ne s'agissait pas d'un bas coût.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non ce n'était pas totalement un bas coût, puisque, heureusement, dans notre pays, les conventions collectives empêchent certaines choses qui, je l'espère, ne se feront pas alors qu'elles sont possibles avec certaines compagnies à bas coûts.

Certes, ce n'était pas exactement un bas coût, mais une démarche de liaisons à bas prix. Et cela a eu l'air de réussir.

M. Odile SAUGUES : Sur la remarque de notre Rapporteur, j'indique, pour l'honnêteté des débats, que les bas coûts ne s'en vont pas sans biscuits, puisque dans beaucoup de cas, ils rackettent les collectivités territoriales ! Il s'agit de subventions déguisées.

M. le Rapporteur : Le produit Air Lib Express n'était pas un produit bas coûts. C'était un produit à bas prix, dont les coûts n'avaient pas été abaissés, ce qui a entraîné une explosion du déficit comme le montrent tous les documents qui nous ont été remis, notamment l'audit de KPMG.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Selon les informations qui m'ont été fournies - ce n'est pas nous qui gérions -, le démarrage paraissait positif. Mais cela nécessitait des réorganisations, y compris concernant le travail. Elles restaient certainement à entreprendre pour une part.

M. le Président : Un rapport, dont vous n'avez sans doute pas eu connaissance, a été réalisé sur le fonctionnement d'Air Lib Express. Il s'agit du rapport Secafi Alpha. Il précise, page 28 : « Aucune ligne n'affiche de perte inférieure à 20 % du chiffre d'affaires et certaines dépassent des ratios de 50 %, rendant illusoire une éventuelle profitabilité en dépit de taux de remplissage corrects. » Les coûts sont bas, mais les charges de fonctionnement sont trop élevées. Pourquoi ? D'après toutes les informations recueillies depuis la décision de reprise, aucun plan de restructuration sérieux n'a été mis en place par M. Corbet et son équipe.

Pour votre information, 77 pilotes qualifiés sur Airbus étaient l'arme au pied, « le balai au pied » devrais-je dire, pour pouvoir travailler et ne faisaient rien...

Je pense que vos services, à l'époque du prêt, étaient informés de tout cela. Malgré ces dispositions, vous avez souhaité accorder ce prêt. Vous avez indiqué que l'étude avait été réalisée sérieusement, puisque le prêt devait être accordé en deux temps. Vous avez raison, monsieur le ministre, il a été accordé en deux tranches.

Je dispose d'une lettre de M. Fabius, adressée cette fois directement au Premier ministre. Il ne passe pas par le directeur du Trésor ni par l'interministériel. En date du 15 février 2002, elle est signalée de sa main, par la mention très signalée. Je vous en donne lecture : « Monsieur le Premier ministre, la compagnie Air Lib a bénéficié en janvier 2002 du versement d'une première tranche de 16,5 millions d'euros d'un prêt FDES d'un montant total prévu de 30,5 millions d'euros. Avant de verser la deuxième tranche de 14 millions, je souhaite attirer votre attention sur la situation inquiétante de l'entreprise. L'analyse que le CIRI, Comité interministériel, a menée depuis un mois avec l'aide du cabinet d'audit Mazars et Guérard, confirme largement les craintes que nous pouvions avoir au début de cette année - la première note dont j'ai fait état. Il semble même que le diagnostic se soit à nouveau assombri en l'espace d'un mois.

« Le GIE fiscal qui devait se mettre en place n'a toujours pas été finalisé malgré les autorisations de mes services. » Tout à l'heure, vous expliquiez que c'était parce qu'il n'y avait pas d'investisseurs (...) malgré les promesses faites, même avec des hypothèses optimistes concernant les recettes tirées de ce GIE et les prêts octroyés par l'Etat, l'entreprise est en cessation de paiement dès la mi-avril. » Nous sommes au 15 février.

« A moyen terme, le plan d'affaires transmis à ce stade par l'entreprise n'offre aucune perspective de rétablissement financier malgré des hypothèses de taux de remplissage élevé et l'absence de prise en compte des coûts sociaux et de la restructuration.

Il conclut sa note au Premier ministre : « Ce bilan a été dressé par mes services lors d'une réunion interministérielle organisée par votre cabinet. Le CIRI a également relevé que la maison mère de l'entreprise Holco n'avait toujours pas versé à Air Lib toutes les dotations perçues à l'été de Swissair. Environ 20 millions d'euros seraient encore à mobiliser. »J'ai posé hier dix fois la question à M. Corbet, qui n'a pas répondu à cette question. Pourquoi, au moment où il vous demande 30 millions d'euros, ne mobilise-t-il pas les 20 millions d'euros à sa disposition ?

« Dans de telles conditions, il semble que, sauf mesures draconiennes prises par Air Lib, le versement de la deuxième tranche de prêt ne ferait que repousser artificiellement la cessation de paiement de l'entreprise ». Malgré cette lettre, la seconde tranche est versée dans les jours qui ont suivi. Pourquoi, monsieur le ministre ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : La décision du prêt avait été actée, avait été prise. Je n'étais pas au courant de la teneur de la lettre.

M. le Rapporteur : Au moment où vous plaidiez pour l'octroi de 30,5 millions d'euros de prêts du FDES, via la filiale située aux Pays-Bas, c'est-à-dire la coopérative Mermoz, M. Corbet donne l'ordre de verser 9,1 millions d'euros à un cabinet d'avocats chargé de défendre les intérêts d'Air Lib dans le contentieux ouvert avec Swissair. Etiez-vous au courant de cette affaire et vous êtes-vous posé la question de savoir s'ils avaient vraiment besoin de 30 millions ? Disposiez-vous de l'état financier de la maison mère et des filiales pour connaître le montant des ressources ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, monsieur le Rapporteur.

J'ai découvert par la presse, par les informations qui ont été données - je crois d'ailleurs en liaison avec la commission d'enquête - ce système de gestion et de filiales ; je ne vous cache pas que j'ai été surpris. Lorsque j'ai interrogé, on m'a répondu qu'un tel système de gestion existait avant Air Lib. J'ignore si c'est vrai ou faux. On m'a même dit que c'était pratique courante dans le secteur des compagnies aériennes. Je ne trouve pas cela très moral, ni très bien !

M. le Rapporteur : Moi, la question que je voulais vous poser...

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je vous le dis quand même, parce que, y compris pour l'intervention en faveur de l'octroi de ce prêt, mon seul souci était l'activité de l'entreprise et les emplois liés.

M. le Rapporteur : On peut le comprendre, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Quand je vois ces sommes considérables pour payer je ne sais quoi et les émoluments que certains se sont versés - même s'il est de notoriété que les grandes entreprises, les grands patrons se servent assez largement... ! J'ai même noté dans un journal du dimanche qu'ils préparaient leur retraite de manière impressionnante. En tant que syndicaliste et communiste, voyant cela, j'ai envie de dire : il faut vraiment changer les règles du jeu ! Pendant que certains souffrent avec des bas salaires ou sont mis à la porte, d'autres « se sucrent » et se servent !

M. le Rapporteur : Je partage tout à fait votre analyse, mais...

M. le Président : Nous sommes tous d'accord.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Seulement votre majorité a supprimé la loi qui permettait de contrôler systématiquement l'utilisation des fonds publics.

M. le Rapporteur : Ne pensez-vous avoir été un peu léger en plaidant pour ces 130 millions alors que vous ne saviez rien au fond de l'organisation du groupe ? Vous ignoriez s'il y avait encore du cash comme nous l'avons découvert ou des sur-rémunérations des actifs à réaliser. Pour un ministre en charge de l'argent du peuple français, ne pensez-vous pas avoir pris cette position avec une certaine légèreté ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non. Des éléments me sont communiqués aujourd'hui, notamment sur ces rémunérations...

M. le Président : Vous ne les connaissiez pas à l'époque ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Pas du tout. Si j'ai été léger, mes successeurs ont été ultralégers !

M. le Président : Nous allons les interroger.

M. Jean-Claude GAYSSOT : De 60 millions de dettes, l'on passe à 130 millions. Il y a au surplus cette dette de Wendel-Swissair qui reste impayée. Vous évoquez l'argent du peuple. Mais pourquoi cet argent dû n'a-t-il pas été versé ?

M. le Président : Nous nous offusquons autant que vous, mais il s'agit de dettes entre entreprises privées. Pour l'heure, nous vous interrogeons avec M. le Rapporteur sur l'intervention de l'Etat et l'engagement de crédits publics ...

M. Jean-Claude GAYSSOT : ... gagés sur cette dette privée.

M. le Président : Comment se fait-il que dans le cadre de la mise en œuvre du dossier de prêt - je n'ai pas d'expérience ministérielle - une décision aussi grave soit prise alors que le ministre compétent, après avoir pris connaissance des oppositions du ministre des finances, ne dispose même pas des informations sur la structure juridique ? Un mois et demi avant de vous demander ce prêt, M. Corbet se sert un « golden hello » de 850 000 euros. Vos services ne vous disent-ils pas comment l'entreprise est gérée ni comment elle fonctionne ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Pas du tout !

M. le Président : Mais comment faire pour instruire un dossier, monsieur le ministre ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Comment faire ? Je ne vais pas vous dire qu'il convient de nationaliser toutes les entreprises ! J'ai été informé, d'une part, que des conditions étaient posées à l'octroi du prêt ; d'autre part, que des audits étaient réalisés.

M. le Rapporteur : Après la première tranche, vous décidez, vous versez et ensuite vous vous dites qu'il faudrait regarder ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le tribunal de commerce a arrêté son choix au préalable.

M. le Rapporteur : Nous parlons du prêt, monsieur le ministre. Au fond, vous êtes un étrange banquier : vous versez l'argent avant de vous dire qu'il conviendrait peut-être de vérifier si vous l'avez accordé à bon escient ! Que découvre-t-on ? Ce que nous avons découvert et le fait que vous avez été léger d'une certaine façon.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je vous ai livré les raisons pour lesquelles j'avais soutenu l'idée du prêt.

M. le Président : Les raisons sont claires, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Surtout ne pensez pas qu'il y a autre chose, y compris dans la connaissance des choses. Il y a des audits...

M. le Président : L'audit est intervenu après le versement du prêt de 16 millions.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, mais l'octroi du prêt doit répondre à des conditions.

M. le Président : On tend la main à l'Etat en lui demandant 30,5 millions. L'Etat répond favorablement, mais sous conditions. Parmi les conditions, l'Etat a demandé le versement de 5 millions d'euros.

M. Fabius l'écrit, le gouvernement était donc informé que M. Corbet, lorsqu'il avance 5 millions d'euros, ne mobilise que 20 % de ses disponibilités qui viennent de Swissair, et qui ont été réparties au Luxembourg ou en Hollande et, bien sûr, en France. Aviez-vous connaissance de ces faits ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Mais non !

M. le Président : M. Fabius l'écrit dans sa lettre !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Parce que c'est son secteur qui est chargé de traiter les questions liées aux finances.

M. le Président : Merci de votre réponse !

M. Lionnel LUCA : Vous êtes ministre des transports. Les avions sont immatriculés par un bureau qui dépend de votre ministère. Ne l'interrogez-vous pas pour savoir où sont les avions ? Il vous aurait répondu qu'ils étaient dans la filiale Coopérative Mermoz, située au Pays-Bas. Un minimum d'enquête vous aurait permis très rapidement d'entrevoir les premiers éléments.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le directeur de la DGAC de l'époque est actuellement directeur de cabinet de mon successeur. Interrogez-le, parce que sur ces questions à la fois techniques, administratives, je considère que les choses se sont passées normalement.

M. le Rapporteur : Nous l'avons interrogé et d'autres également.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Et sur l'immatriculation ?

M. le Rapporteur : Il a fallu que ce soit la commission qui leur pose la question, car pas même le cabinet, semble-t-il, ne la leur a jamais posée.

Nous l'avons posée au DGAC de l'époque et à l'une de ses principales collaboratrices. Pendant cette période très courte qui va du 26 décembre au 7 ou 8 janvier, n'avez-vous pas demandé une enquête pour, en quelques dix-quinze jours, au moins éclaircir les choses, ce qu'a fait M. Fabius a posteriori, c'est vrai, mais il l'a fait.

M. Jean-Claude GAYSSOT : J'étais convaincu que les services intéressés détenaient tous les éléments et réalisaient les enquêtes nécessaires.

M. le Rapporteur : Il n'y avait même pas de comptes !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je n'avais pas les moyens en tant que ministre des transports - et tel n'était pas mon rôle - de vérifier les aspects financiers et techniques.

M. le Président : C'est le rôle du ministre des finances, vous avez raison, mais il l'a fait.

M. Jean-Claude GAYSSOT : C'est pourquoi j'ai approuvé totalement au cours de la réunion à Matignon les conditions posées par le ministre des finances et mises en avant par le Premier ministre. Je n'émets pas la moindre réserve sur les conditions de restructuration. Qu'ont fait ceux qui nous succèdent ? Ils prolongent, non une fois, mais deux fois !

On ne parle pas d'Air Littoral. Vous devriez également vous interroger. J'ai appris que l'on venait d'octroyer un prêt, je crois, du FDES, ce que je comprends d'ailleurs.

M. le Président : Personne ne vous a alerté à l'époque du fait que M. Corbet ne mobilisait que 20 % de ses avoirs au moment où il demandait 30,5 millions à l'Etat.

M. Lionnel LUCA : J'ai bien compris, monsieur le ministre, que vous aviez défendu votre ministère et votre volonté de faire exister un deuxième pôle. Vous y avez travaillé pour recueillir tous les arguments possibles. Nous avons eu le même sentiment avec le ministre des finances, M. Fabius, que nous avons reçu et qui nous a expliqué comment, dans son rôle, il avait parfaitement défendu son ministère, c'est-à-dire la volonté de préserver l'argent public.

En bout de chaîne, une décision est prise au cabinet du Premier ministre et par le Premier ministre. C'est lui qui a, un moment donné, tranché. Vous avez indiqué qu'il ne pouvait en aucun cas y avoir de raison politique. Peut-être le Premier ministre était-il plus concerné que d'autres encore par les événements qui allaient suivre. Qu'il ait retenu ce choix tient-il au fait que vous ayez été plus persuasif que votre collègue des finances sur un sujet dont les conséquences peuvent se révéler très importantes sur le plan des responsabilités, à la fois politiques et personnelles ? Avez-vous le sentiment d'avoir su convaincre par des arguments techniques ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, si ce n'est que j'ignore si ce fut par des arguments techniques. En tous cas, mes arguments et ceux du ministre chargé de l'outre-mer ont pu convaincre le Premier ministre davantage que les réserves - je dis bien « réserves » et non « l'opposition » - du ministre des finances.

Je ne gagnais pas tous les arbitrages. Si l'on se souvient de la liaison Lyon-Turin, le ministre des finances considérait qu'il ne fallait pas s'engager dans la réalisation de ce ferroutage pour des raisons financières.

M. le Président : Il s'agit en l'occurrence d'entreprises privées, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Il s'agit aussi de dépenses publiques.

M. le Président : Air Lib était une entreprise privée.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, mais ces oppositions sont traditionnelles, parce que les différents ministres ne portent pas, sur ces affaires, le même point de vue.

Je vous le répète, j'avais toujours en tête le souci de l'emploi. Je craignais que des milliers de personnes restent sur le carreau. Je suppose que le Premier Ministre a dû arbitrer lorsqu'il s'est agi de prolonger le prêt. Ce ne peut être en fonction des élections.

M. le Président : Cette fois-ci, ce n'est pas en fonction des élections, c'est certain !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Il était perdu.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Comment cela il était perdu ! Je ne sacrifierais jamais l'argent public ainsi !

M. le Président : M. Bussereau vous succédera ici ; nous lui poserons la question. Restons-en à l'époque qui nous occupe. J'ai bien compris vos réponses, elles sont claires. Chacun appréciera par la suite.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Lors du renouvellement, Air Lib ne pouvait plus rembourser, le crédit était perdu.

Je voudrais revenir à vos relations avec M. Corbet. Vous avez une longue expérience des syndicalistes dans de grandes entreprises. Vous avez su apprécier les capacités managériales d'un certain nombre de patrons. Moi-même je viens de l'entreprise et j'ai connu cette relation dans l'autre sens. J'imagine que vous avez dû vous poser la question de la qualité managériale de M. Corbet, lui-même ancien syndicaliste. En votre âme et conscience, aviez-vous confiance en M. Corbet et finalement n'était-ce pas là le point faible du système ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non. Nous nous sommes connus en 1998 lors d'un affrontement qui s'est soldé par un accord où il a gagné pour les jeunes pilotes. Nous avons réussi à faire cet échange salaire-action. Il s'agissait de sommes considérables, mais ne croyez pas qu'il soit aisé d'expliquer aux gens qu'on échange un revenu assuré sous forme de salaires par une hypothétique valeur de l'action - qui d'ailleurs a baissé depuis, même si la compagnie a continué de se développer. Sur l'aspect social, il avait pu convaincre les pilotes de cet échange. Dans la mesure où nous étions dans la perspective de son plan, je jugeais cela plutôt bien. Sur le management, je n'avais ni confiance ni pas confiance, j'ignorais tout de ses capacités.

C'est le tribunal de commerce qui a choisi Holco.

M. le Président : À partir de la décision du tribunal de commerce ...

M. Jean-Claude GAYSSOT : Si les tribunaux de commerce choisissent des formules non viables ...

M. le Président : J'en reviens à l'attribution du prêt. L'analyse de la décision prenait en compte plusieurs éléments : le plan d'affaires, surdimensionné de l'avis de chacun et qui n'a pas été respecté ; le plan de restructuration qui n'a pas été mis en œuvre. Au moment où vous accordez le prêt, l'engagement de juillet n'a pas été respecté, si ce n'est une toute petite partie pour le personnel au sol. Il y avait surtout les investisseurs qui devaient apporter 22,8 millions d'euros au capital et les 12 millions d'euros de la lettre que M. Corbet, d'évidence, n'avait pas l'intention d'utiliser.

En décembre, saviez-vous que le plan de restructuration n'avait pas été mis en œuvre ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Au mois de décembre 2001, nous sommes après le mois de septembre.

M. le Président : En septembre, il n'avait pas été mis en œuvre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Entre le 27 juillet et le 11 septembre, il y a le mois d'août.

M. le Président : Raison de plus pour restructurer.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Vous avez tout à fait raison ; c'est pourquoi, dans les conditions du prêt figurent des éléments précis de restructuration.

M. le Président : Ils n'ont pas été respectés.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je suis à ce point conscient de la nécessité de restructurer que je demande à Air France, à EADS, à la SNCF, et à d'autres encore d'étudier la possibilité d'embaucher les salariés qui ne resteront pas à Air Lib. Évidemment, j'ai le souci de l'emploi. Je fais en sorte que personne ne soit mis à la rue et que les entreprises qui embauchent profitent de la qualification des personnels.

Au moment de porter un jugement, voyez qu'Air Lib Express était engagé ...

M. le Président : Engagé après le prêt.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Cela prouve bien que les conditions posées...

M. le Président : Oui, mais Air Lib Express fut une catastrophe financière.

M. Jean-Claude GAYSSOT : La catastrophe, je vous le rappelle, est liée à l'attentat du 11 septembre et au non-paiement de la dette de 60 millions d'euros par Wendel-Swissair.

M. le Président : On peut spéculer, ce je ne souhaite pas que nous fassions ici, mais si tous les engagements pris au niveau du tribunal de commerce avaient été respectés, la situation n'aurait certainement pas été celle qui aurait dû vous être présentée le 3 janvier et ensuite le 7 janvier.

Chaque ministre assume, dans son secteur, ses décisions. Etes-vous au courant des conséquences pour le budget de votre ministère de l'obtention du prêt ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, pas précisément. Mais je me doute qu'il en est ainsi. Pour moi, le prêt est remboursable, je ne suis pas dans l'idée qu'il ne sera pas remboursé.

M. le Président : Le deuxième versement du FDES a fait l'objet d'un gage exigé par le ministre des finances par un décret d'annulation du même jour. Ce document officiel du Gouvernement prévoit l'annulation de 7,6 millions d'euros de crédits de paiement au chapitre 65-48 sur l'ANAH, « Construction amélioration de l'Habitat », ce qui n'a rien à voir avec le trafic aérien, 4,7 millions d'euros de crédit de paiement chapitre 53-47 « Développement des infrastructures, expérimentation et études générales » - il s'agit de la sécurité routière - et 1,5 million d'euros au chapitre 66-03 « Développement territorial du tourisme ». Voilà les conséquences pour le ministère dont vous aviez la charge à l'époque de ce gage fondé sur un dossier dont on ne vous avait pas communiqué toutes les informations. Je tenais à vous le dire afin que nul ici ne l'ignore.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je me doutais d'un tel gage. Mais j'étais dans l'état d'esprit que le prêt n'était pas à fonds perdus. Pour moi, le gage devait être restitué sur le budget de l'équipement.

M. le Président : A quelle période ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Six mois après.

M. le Président : C'est un décret d'annulation de crédits, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Vous pouvez prendre des décrets d'annulation et aussi des décrets de rétablissement. Sur tous les chapitres que vous venez de citer, le gel des dépenses depuis mai 2002 est d'une bien plus grande gravité, y compris sur la sécurité routière, que ces gages provisoires.

M. le Président : Restons-en à nos relations de cause à effet entre un dossier étudié ou non, une décision prise ou non et un gage qui a eu des conséquences. Je ne veux pas nourrir de polémique politicienne et je suis sûr que telle n'est pas non plus votre intention.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Vous avez totalement raison.

M. le Président : Monsieur le ministre, merci pour le détail et la franchise de vos réponses.

Audition de M. Dominique Bussereau
secrétaire d'Etat aux transports et à la mer

Procès-verbal de la séance du mercredi 28 mai 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, président,
puis M. Xavier de Roux, vice-président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur le Ministre, nous vous accueillons après avoir entendu tous les ministres du gouvernement précédent et ceux du gouvernement actuel qui ont eu à connaître du dossier Air Lib. A notre connaissance, vous avez été saisi de ce dossier dès le mois de juin 2002.

Nous souhaitons savoir dans quelles conditions vous avez été informé de l'ensemble du dossier et pris les décisions qu'il appelait, puis connaître la date à laquelle vous avez rencontré M. Corbet, si vous l'avez rencontré. Après un exposé liminaire d'une dizaine de minutes, votre audition se poursuivra par un échange de questions et réponses.

M. Dominique BUSSEREAU : Monsieur le Président, monsieur le Rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'entendre. Je voudrais également vous exprimer l'émotion qui est la mienne, car j'ai eu le plaisir d'exercer les fonctions de rapporteur d'une commission d'enquête sur la SNCF, sous une législature précédente. Par conséquent, je connais toute l'importance des commissions d'enquête de votre assemblée.

Sur le fond, j'ai eu à connaître du dossier d'Air Lib en tant que parlementaire car je suivais de près, dans notre assemblée précédente, les questions relatives au transport. J'en ai suivi les évolutions à travers la presse et les questions posées à M. Jean-Claude Gayssot par la représentation parlementaire, lors des séances de questions au gouvernement.

Etant nommé le 7 mai, dans le premier gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, c'est un des premiers dossiers qui m'a été confié. J'ai rencontré M. Corbet pour la première fois, dans mon bureau, le 5 juin. Il m'a présenté la situation générale d'Air Lib, ses perspectives, évoqué la question du GIE fiscal et des moratoires qu'il souhaitait sur les charges sociales et aéronautiques.

Cette entrevue s'est déroulée de manière fort courtoise. C'est la raison pour laquelle j'ai été surpris de lire, quelques jours après, dans Le Nouvel Observateur, un article indiquant que M. Corbet s'était plaint des conditions de cet entretien. Certes, j'avais posé de nombreuses questions, estimant qu'il était de mon devoir de le faire, en ma qualité de représentant de l'Etat et déjà presque de représentant de l'actionnaire principal, au vu des dettes qui commençaient à s'accumuler. M. Corbet était peut-être habitué précédemment à plus de complaisance, de complicité ou de tutoiement, mais le cadre avait changé.

A la suite de cet entretien, M. Corbet a transmis au ministère des Transports, c'est-à-dire à Gilles de Robien et moi-même, ce qu'il appelait un business plan actualisé, dans lequel il envisageait une prévision de 50 millions d'euros de perte sur l'exercice actuel, et une éventualité de bénéfice d'à peu près même niveau sur l'exercice suivant. L'entreprise espérait dégager une trésorerie de 43 millions d'euros à partir d'un montage du GIE fiscal, mais dont j'avais bien compris, lors de cette entrevue, que les investisseurs étaient putatifs. En effet, M. Corbet m'avait même indiqué qu'il souhaitait que le gouvernement fasse pression sur les investisseurs. Je lui avais alors expliqué qu'il n'était pas du rôle d'un gouvernement de faire pression sur des investisseurs privés.

Devant ce qui paraissait à Gilles de Robien et moi-même le risque d'une véritable cessation de paiement, nous avons demandé la tenue d'une réunion interministérielle, qui s'est déroulée le 11 juin à l'hôtel Matignon, pour examiner tous les aspects du dossier avec l'ensemble des ministères concernés. Est ressortie de cette réunion interministérielle la décision de lancer deux audits : l'audit stratégique effectué par KPMG et l'audit financier effectué par le cabinet Mazars. Je ne reviendrai pas sur leur contenu, bien connu des membres de la commission.

Le 26 juin, soit trois semaines après ma première entrevue avec M. Corbet, ce dernier est reçu par Gilles de Robien. A cette occasion, il a demandé le report de l'échéance du prêt du FDES, remboursement qui devait intervenir le 9 juillet.

Le 24 juillet, s'est tenue à Matignon, une nouvelle réunion interministérielle destinée à faire le point sur la situation, au regard du premier état des audits qui n'étaient pas complets, me semble-t-il. A cette occasion, le gouvernement a décidé, du fait que nous étions en pleine saison touristique, par rapport à la desserte de l'outre-mer et compte tenu de la question des emplois, de donner une chance supplémentaire à Air Lib et de prolonger le prêt du FDES de quatre mois et le moratoire sur les aides publiques jusqu'au 1er août.

La prolongation de ce moratoire au 1er août signifiait qu'à compter de cette date, l'entreprise devait reprendre le paiement de ses charges. Le 20 septembre, nous avons constaté qu'Air Lib suspendait à nouveau le paiement de ses charges publiques. La parole n'était donc pas tenue.

Le 14 octobre, dans une lettre adressée à Gilles de Robien et moi-même, M. Corbet nous a annoncé son intention de scinder l'entreprise en deux entités : l'une dédiée à la desserte des DOM, l'autre à un réseau à bas coûts qui prendrait le nom d'Air Lib Express.

Le 18 octobre, nous a été transmise une première version d'un plan de restructuration avec cinq scénarios, ce plan n'étant aucunement financé. Gilles de Robien et moi-même avons reçu, le 29 octobre, M. Corbet et lui avons montré les insuffisances du plan. Nous lui avons demandé des informations complémentaires. Cette entrevue a fait l'objet d'un communiqué de presse que je tiens à la disposition de la commission.

Le 31 octobre, à la veille du week-end de la Toussaint, des éléments complémentaires, toujours aussi insatisfaisants, nous ont été transmis. Le 5 novembre, Gilles de Robien et moi-même avons invité M. Corbet à apporter des précisions sur l'identité des investisseurs éventuels qui accepteraient de financer ce plan. Le montant des dettes publiques impayées s'élèvait alors à 60 millions d'euros, sans compter le prêt du FDES de 30,5 millions d'euros. Ce montant ne concernait que les dettes vis-à-vis de l'Etat, et excluait toutes les dettes vis-à-vis des chambres de commerce et des aéroports régionaux. Nous avions demandé à certains grands aéroports gérés par les chambres de commerce de différer le paiement des droits de passage, mais elles auraient pu être en droit d'arrêter les différentes prestations à Air Lib.

Le 11 novembre, M. Corbet a fait part à nos deux directeurs de cabinet de l'intérêt d'un groupe néerlandais IMCA pour investir dans Air Lib. Nous avons pris des renseignements sur ce groupe auprès de notre représentation à Amsterdam et appris l'importance d'IMCA dans le domaine de la machine à coudre et quelques autres domaines, sans que les choses se précisent.

Le 12 novembre, M. de Robien et moi-même avons reçu M. de Vlieger qui nous confirme son vif intérêt d'investir dans Air Lib. En fonction de cet élément nouveau, nous avons informé M. Corbet que nous prolongions la licence d'Air Lib jusqu'au 31 janvier. Par ailleurs, l'échéance du prêt du FDES et le paiement des dettes faisant l'objet d'un moratoire ont été reportés au 9 janvier. Ce délai nous a semblé en mesure de permettre à Air Lib de préparer, en liaison avec IMCA, une nouvelle version d'un plan de restructuration qui serait présentable à Bruxelles.

Les représentants d'Air Lib et d'IMCA nous ont tenu informés de leurs travaux. Le 20 décembre, nous est présenté par M. Corbet un nouveau plan de restructuration dont le financement serait assuré par l'Etat. A ce propos, depuis le début de cette affaire, il me revient aux oreilles certains bruits selon lesquels, dans les dîners en ville, le président de l'entreprise se vanterait d'avoir l'Etat comme banquier, considérant que la gestion n'est pas chose fort importante et que l'Etat continuera à combler ses dettes, quelle que soit la fantaisie des opérations présentées, pour éviter le chômage à 3 000 salariés.

Par un courrier du 27 décembre, Gilles de Robien et moi-même écrivons à M. Corbet que ce plan ne répond ni à la demande du gouvernement, ni aux prescriptions européennes. Le 7 janvier, nous recevons une nouvelle version de ce plan avec un certain nombre de conditions et une confirmation de l'intérêt d'IMCA. En fonction de cela, les deux directeurs de cabinet écrivent à nouveau à Me Lafont, l'administrateur judiciaire, le 9 janvier, pour lui demander de confirmer les engagements pris par IMCA et Air Lib, ce qui fut fait dans les jours suivants.

Nous sommes alors à 120 millions de dettes publiques. Le 14 janvier, l'Etat, de manière très généreuse, accepte le principe d'une conciliation entre l'Etat, Air Lib et IMCA, sous l'égide de Me Lafont. Dans cette affaire, l'Etat fait des efforts considérables puisque nous envisageons un report des paiements des dettes sur huit ans, et des dispositions en dehors du droit commun. Nous le faisons pour sauver l'entreprise et l'emploi de ses salariés.

Le 30 janvier, un accord des parties se fait sur le texte de ce protocole. A partir du 31 janvier, nous sommes prêts à le signer. Ce même jour, IMCA demande un report de la signature du protocole au 4 février pour, nous dit-on, terminer des négociations parallèles engagées avec les personnels d'Air Lib et Airbus. En fonction de cela, nous prolongeons la licence d'Air Lib jusqu'au 5 février.

Je me permets d'attirer l'attention de la commission sur le problème des licences. Une licence, dans le domaine aéronautique, garantit non seulement les questions de sécurité, mais aussi la capacité financière de l'entreprise. Le fait d'être entré dans un système de licence provisoire n'était pas lié à des questions de sécurité. Nous n'avons eu aucun problème s'agissant de la sécurité des appareils et la préparation les vols, mais nous sommes restés très attentifs à l'ensemble. La licence n'est donc pas simplement un acte administratif ou technique, mais aussi un acte économique.

Arrive ce que M. Francis Mer a appelé la « nuit des dupes », la nuit du 5 au 6 février, lorsque avec Gilles de Robien, jusqu'à 4 heures du matin, nous attendons que, dans une salle voisine, IMCA et Airbus se mettent d'accord. Selon les échos des couloirs nocturnes, il semblerait que la négociation est assez psychédélique. Selon les périodes de la nuit, les négociations portent sur vingt-neuf, puis dix-neuf, puis vingt, puis quatre avions.

En réalité, ce que nous croyons comprendre, c'est qu'à la fois IMCA demande une réduction hors du commun sur le prix d'achat des Airbus et le versement immédiat d'une somme d'environ 50 millions d'euros. C'est un peu comme si vous alliez chez un concessionnaire automobile, vous choisissez une voiture en lui demandant une réduction très forte sur la voiture de vos souhaits et du liquide pour pouvoir repartir de la concession en indiquant au concessionnaire qu'avec ce liquide, vous allez vendre des tapis et qu'avec l'argent récolté à la suite de la vente de ces tapis, d'ici quelques mois, vous serez en mesure d'acheter le véhicule qu'il vient de vous donner et de lui rembourser l'argent liquide.

Les négociations étant, semble-t-il, de cette nature, je peux comprendre pourquoi Airbus a souhaité, à un moment donné, y mettre un terme. A minuit, a été prise la décision d'arrêt de la licence d'exploitation. Nous nous sommes assurés que les vols en route puissent bénéficier d'une licence provisoire jusqu'à leur atterrissage sur les pistes d'Orly ou de Roissy. Ainsi s'achève cette triste histoire.

Le souci du gouvernement, à l'issue de tout cela, a été le traitement social du dossier d'Air Lib. La préoccupation du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a toujours été la suivante -peut-être était-ce celle également du gouvernement précédent :

- tenter le maximum pour assurer la survie de l'entreprise en raison de ces trois mille emplois.

- assurer les dessertes domestiques et des DOM-TOM où Air Lib était souvent en position de monopole.

- assurer une bonne gestion des deniers publics.

Dès ma première rencontre, mon sentiment personnel a été celui d'une très grande légèreté dans ce dossier et d'une attitude pour le moins très légère vis-à-vis de l'argent public. C'est pour ces raisons que je n'ai jamais fait de frais d'affection particulière à l'égard des dirigeants de l'entreprise. D'ailleurs, dès sa première conférence de presse, M. de Vlieger m'a attaqué personnellement fortement, ce qui avait été noté à l'époque par la presse - Les Echos, Libération notamment. J'avais ressenti, au cours de l'entretien avec M. de Vlieger, que nous n'étions pas dans une économie parfaite sur le plan des règles déontologiques. L'ayant ressenti, peut-être l'avais-je marqué par certaines expressions de mon visage.

M. le Président : Merci monsieur le Ministre.

M. le Rapporteur : Vous nous avez retracé l'analyse chronologique de votre intervention, à compter de votre arrivée au gouvernement, en particulier à partir de votre premier contact, le 5 juin, avec M. Corbet. A cette époque, aviez-vous le sentiment que l'entreprise était sauvable et viable ?

M. Dominique BUSSEREAU : Il est assez difficile de répondre à votre question. J'ai le sentiment que M. Corbet considérait le ministre et nos concitoyens, à travers leurs impôts, comme les banquiers de l'entreprise. Par ailleurs, les responsables commerciaux qui entouraient M. Corbet présentaient des business plans très optimistes. C'est la raison pour laquelle nous demandons très rapidement deux audits afin de vérifier si cet optimisme est fondé ou non. Selon M. Corbet, la situation va s'améliorer et c'est pourquoi il nous demande un temps de grâce.

Néanmoins, j'ai eu le sentiment que les choses n'étaient pas sérieuses, lorsque nous a été présenté le plan scindé en deux parties : d'un côté, l'activité de l'entreprise avec Air Lib Express, de l'autre l'activité de desserte vers les DOM-TOM.

Les compagnies aériennes « low cost », notamment étrangères, doivent appliquer un certain nombre de règles :

- partir d'aéroports régionaux qui sont moins chers que les grands aéroports parisiens.

- disposer d'avions modernes et fortement utilisés, ce qui n'était pas le cas d'Air Lib.

- payer confortablement les personnels, mais les utiliser avec de fortes amplitudes de travail et des missions de nettoyage des avions à l'arrivée pour le personnel commercial navigant.

- ne fournir aucune prestation à bord.

- vendre directement la billetterie par Internet et non par un réseau d'agences de voyage.

Ce sont les règles appliquées par les compagnies « low cost » qui réussissent actuellement. Or le produit Air Lib Express, tel qu'il nous était présenté avec des avions anciens et des règles de compagnies classiques, à vue de nez, ne me paraissait pas être viable.

M. le Rapporteur : Vous aviez donc déjà des doutes...

M. Dominique BUSSEREAU : Cela doit expliquer pourquoi M. Corbet s'est plaint à la presse du manque de chaleur de mon accueil.

M. le Rapporteur : La première date importante, à compter de votre arrivée et de celle de Gilles de Robien au ministère des Transports, est le 9 juillet. En effet, c'est la date à laquelle le gouvernement doit décider s'il exige le remboursement du prêt FDES ou sa prolongation. Or, il est décidé de le prolonger.

Toutefois, le 9 juillet, vous aviez déjà eu connaissance des résultats au moins partiels des deux audits décidés par le gouvernement dès le 11 juin. L'audit KPMG devait déterminer si, sur le fond, l'entreprise était viable. Quant à l'audit établi par le cabinet Mazars, il s'agissait de déterminer, en termes de trésorerie, l'organisation du groupe, la présence de cash ou non dans ses différentes filiales, etc. C'est à ces questions de base que, semble-t-il, le gouvernement précédent n'avait pas de réponse lorsqu'il a pris la décision, début janvier 2002, d'accorder un prêt du FDES.

Lorsque vous avez eu connaissance des résultats des deux audits, le gouvernement n'a pas choisi d'exiger le remboursement, ce qui aurait impliqué un dépôt de bilan immédiat puisque l'entreprise n'était pas en mesure, au regard des audits dont vous aviez les résultats, de rembourser les 30 millions. Vous avez choisi de maintenir l'entreprise, au risque de tomber sur une critique déjà faite par Laurent Fabius à MM. Gayssot et Jospin selon laquelle l'Etat se trouvait dans une situation de soutien abusif. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas exigé le remboursement ?

M. Dominique BUSSEREAU : C'est une question fort pertinente. Si, à ce moment-là, nous avions exigé le remboursement des dettes, cela aurait entraîné le dépôt de bilan de la compagnie. Or nous étions en période estivale, à la veille ou pendant les départs massifs de l'été. La plupart des billets avaient été vendus depuis longtemps, notamment à destination des DOM-TOM où Air Lib possédait 40 % du marché. De ce fait, il nous semblait difficile d'emprunter cette voie en pleine saison estivale.

Nous estimions également que le gouvernement aurait pu être critiqué pour ne pas avoir recherché une solution pérenne et qu'il aurait pu lui être reproché de tirer très vite le rideau. C'est la raison pour laquelle nous avions pris une décision intermédiaire, au cours de la réunion interministérielle à laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure.

Il avait été envisagé que le prêt soit reconduit pour six mois. Cela n'a pas été le cas. Sur la suggestion du ministre de l'économie et des finances, le prêt n'a été renouvelé que pour une durée de quatre mois, ce qui était inférieur au délai juridiquement autorisé. Ce faisant, notre objectif était de mettre un maximum de pression sur l'entreprise pour aboutir, à l'automne, à un plan de restructuration crédible. Nous avons donc voulu donner une chance à l'entreprise et ne pas pénaliser ses clients pendant la période estivale.

M. le Rapporteur : Vous nous dites que, dès vos premiers contacts, vous aviez quand même quelques doutes. De plus, vous étiez intéressé aux questions touchant au domaine des transports.

M. Dominique BUSSEREAU : Je siégeais à la commission des lois.

M. le Rapporteur : Vous étiez aussi président d'Avenir Transport. Vous n'étiez donc pas totalement « neuf », si je peux dire. Vous aviez déjà une certaine connaissance de ce domaine.

Parmi les ministres, lorsque vous vous êtes réunis pour prendre cette décision, certains ont-ils plaidé pour le remboursement donc le dépôt de bilan ? En effet, il y a une certaine contradiction dans vos propos. Vous nous dites que, dès le début, vous étiez très dubitatif sur la viabilité de l'entreprise. Fin juin-début juillet, vous avez eu connaissance des deux premiers rapports d'audit dont la lecture soulève d'autres inquiétudes, notamment cet incroyable montant des honoraires, le problème des rémunérations des dirigeants.

A la lecture de ces deux audits, ne commencez-vous pas à considérer que le gouvernement s'engage dans une affaire dangereuse pour les finances publiques ?

M. Dominique BUSSEREAU : Je n'ai pas participé aux réunions interministérielles qui se déroulaient au niveau des directeurs de cabinet. A l'époque, la perception de l'audit était moins pessimiste que celle que vous indiquez, c'est-à-dire que les éléments cités n'ont pas été appréciés par les observateurs comme étant des instruments pouvant indiquer définitivement la non-pérennité de l'entreprise. Il a semblé alors aux pouvoirs publics qu'il pouvait y avoir un espoir.

Pour répondre à une question, monsieur le Rapporteur, qui ne m'a pas encore été posée, lorsque j'ai conseillé au Premier ministre et à Gilles de Robien de tirer le rideau, c'est avant l'arrivée de M. de Vlieger, car j'avais alors véritablement le sentiment que plus rien n'était possible, que rien de sérieux nous était présenté. C'est à ce moment-là que j'ai proposé d'entamer le processus, ce qui fut fait. Des réunions préparatoires ont eu lieu pour réfléchir à l'acheminement des passagers et aux différents problèmes techniques posés par une fin de l'activité d'Air Lib.

Nous sommes en novembre lorsque j'ai préconisé de tirer un trait, mais un Hollandais volant s'est posé et le dossier est reparti.

M. le Président : Pour résumer, le gouvernement n'a pas pris en juillet la décision d'un remboursement du prêt et a reporté son échéance de quatre mois au lieu de six mois pour laisser passer la saison estivale. C'est à ce moment-là qu'intervient M. de Vlieger dont on va voir plus tard la fiabilité.

A un certain moment, soit en juillet soit plus tard, s'agissant du prêt consenti à M. Corbet, le 9 janvier 2002, lui a-t-on demandé -  ou étiez-vous déjà au courant - la raison pour laquelle il n'avait mobilisé que 20 % de ses avoirs ? Cela est confirmé dans une lettre de M. Fabius, alors ministre des finances.

Hier, j'ai posé en vain la question à M. Corbet lequel m'a répondu que c'était une décision de gestion. Aviez-vous connaissance de ce que l'on appelle la nébuleuse Holco qui impliquait que des avoirs provenant du paiement Swissair étaient répartis ensuite au Luxembourg et aux Pays-Bas ? Dès lors, avez-vous abordé ce point avec M. Corbet et lui avez-vous demandé de mobiliser ses avoirs pour mieux aider l'Etat qui avait fait un effort conséquent ? Y a-t-il eu discussion sur la structure juridique et le financement du groupe Holco ?

M. Dominique BUSSEREAU : En ce qui me concerne, la réponse est non, car ces informations n'étaient pas en ma possession. Peut-être le CIRI qui était l'interlocuteur permanent de la compagnie a-t-il posé ces questions. D'ailleurs c'est aussi par voie de presse que le gouvernement a appris, au moment de la fin des activités d'Air Lib que, semble-t-il, dans les derniers temps, M. de Vlieger avait pris le contrôle d'un certain nombre d'avions. Bien entendu, cette information n'avait pas été communiquée au gouvernement.

M. le Rapporteur : Vous avez souligné tout à l'heure que ma perception de la situation à la lecture de l'audit de KPMG, que vous aviez reçu début juillet, était plus pessimiste que la vôtre. C'est un point sur lequel nous avions interrogé les responsables de KPMG. Je vais maintenant vous donner lecture de la synthèse, puis de la conclusion, de leur rapport, car nous leur avions fait observer que la conclusion n'était pas cohérente avec la synthèse. (Lecture de la synthèse de l'audit de KPMG.)

Leur conclusion est certes moins pessimisme. Mais quand nous avons fait observer que la conclusion n'était pas cohérente avec les informations contenues dans les rapports, les intéressés nous ont indiqué qu'on leur avait quelque peu suggéré de ne pas faire une conclusion désespérée. Vous étiez informé et aviez des doutes quant à pérennité de la compagnie, mais vous dites que ce n'est qu'en octobre que vous avez des certitudes selon lesquelles la compagnie n'est pas viable.

M. Dominique BUSSEREAU : Je vais être très précis. Depuis le départ, j'ai eu un doute parce que je ne sentais pas beaucoup de sérieux dans cette affaire, mais nous avons tenté l'impossible.

J'ajoute que, pour le gouvernement, le ministère de l'outre-mer, dont c'était le devoir, a fait savoir qu'il tenait beaucoup à la poursuite des dessertes et, en l'occurrence, nous demandait de tenter l'impossible.

M. le Rapporteur : Avez-vous étudié une autre possibilité qui aurait été, avec les autres compagnies, de faire face à un dépôt de bilan et à l'arrêt des activités de la compagnie Air Lib ? Ce schéma a-t-il été envisagé à l'époque ?

M. Dominique BUSSEREAU : Nous avons toujours eu en tête que le jour où Air Lib arrêterait ses activités, nous devrions avoir un plan, lequel était prêt à fonctionner au mois de novembre. Il était en cours d'élaboration dans la période qui précédait.

Notre souci était de tenter l'impossible pour sauver la compagnie, lequel était conforté par des propos extrêmement positifs de l'entreprise et de ses conseils sur le fait que la situation s'améliorerait dans le futur. Jusqu'au bout, nous avons essayé de faire preuve d'espoir. Nous avions également des contacts avec les organisations syndicales qui nous faisaient part de leurs soucis. Le gouvernement a eu une préoccupation sociale et d'aménagement du territoire.

Mme Odile SAUGUES : Avez-vous eu en votre possession le rapport sur Dexair Airlines ? Pourquoi ce rapport était-il considéré comme ultraconfidentiel ? Est-il exact qu'il prévoyait la création d'une compagnie centrée sur les DOM et que ce projet avait pour but essentiel de se substituer à Air Lib ? Ceci vient s'insérer dans la démarche d'évolution d'Air Lib. Il me semble que cela a dû influer et avoir un certain poids dans les décisions que vous avez pu prendre.

M. Dominique BUSSEREAU : Dès le mois de mai ou juin, j'ai reçu un certain nombre de personnalités qui avaient des projets de création de compagnies dédiées à l'outre-mer. J'ai le souvenir de plusieurs de ces rencontres. L'ensemble de ces porteurs de projet présentaient deux caractéristiques. La première est qu'ils étaient dans une attitude d'attente de la fin d'Air Lib pour mener à bien leur projet. La seconde est qu'ils n'avaient, pour la plupart, pas d'argent. Ils venaient présenter des business plans au gouvernement, se fondant soit sur une desserte de l'outre-mer, soit de l'outre-mer et de l'Afrique pour venir en complément d'Air France et reprendre des dessertes abandonnées après la disparition de Swissair et de la Sabena.

J'ai rencontré plusieurs des porteurs de ces projets auxquels j'ai toujours répondu deux choses. La première est que nous ne pouvions pas suivre un projet qui se fondait sur la disparition d'une compagnie existante et de son personnel. La seconde découle d'une conviction que j'ai peut-être acquise au sein de la commission des lois qui était en charge de l'outre-mer. En effet, j'ai toujours été convaincu que la desserte de l'outre-mer devait se fonder, en complément d'Air France, sur des compagnies basées en outre-mer et desservant l'outre-mer plutôt que sur une compagnie basée à Paris et venant se plaquer sur l'outre-mer.

Déjà étaient évoquées à l'époque diverses options : mise en place des lignes d'Air Austral qui se fera en juin prochain, d'Air Bourbon, d'AirTahiti Nui en Polynésie, d'Air Calédonie International en Nouvelle-Calédonie, les projets d'Air Caraïbes et le projet à Mayotte. Il paraissait au gouvernement plus intéressant de rajouter des compagnies locales ultramarines que de créer une compagnie ex nihilo basée à Paris.

Par conséquent, si votre question était de savoir s'il y avait eu des pressions pour mettre fin à Air Lib en vue de faciliter la mise en place d'une compagnie spécialisée dans l'outre-mer, à aucun moment cela n'a été la position du gouvernement. Pour ma part, je n'y croyais pas, sans compter que j'estimais l'attitude de ces porteurs de projet quelque peu moralement condamnable dès lors qu'ils fondaient leur action sur la disparition d'une compagnie existante.

Mme Odile SAUGUES : Ma question était précise : étiez-vous au courant du projet Dexair ?

M. Dominique BUSSEREAU : Dexair faisait partie de ceux qui sont venus me solliciter.

Mme Odile SAUGUES : Je tenais à vous poser cette question, car votre directeur de cabinet avait manifesté sa totale ignorance par rapport à un projet que, par ailleurs, nous retrouvons sur Internet.

M. Dominique BUSSEREAU : Il ne s'agit pas d'ignorance de ce projet. Le projet Dexair était porté par un certain nombre de personnalités, dont une a travaillé dans cette assemblée. Cette personne se servait de son carnet d'adresses pour prendre des rendez-vous, ce qui est légitime et humain.

Ce projet, d'ailleurs, n'était pas uniquement centré sur l'outre-mer puisque, dans le dernier contact que j'ai eu avec ses promoteurs, il était question d'un projet de desserte du Brésil. Cela ne peut être considéré vraiment comme une desserte de l'outre-mer, même s'il y avait une escale potentielle à Cayenne. Ces porteurs de projet m'ont d'ailleurs fait savoir, il y a quelques semaines, qu'ils y avaient renoncé.

J'ai reçu bien d'autres porteurs de projet, des pilotes, des amis d'enfance disparus depuis trente ans qui, tous, avaient des projets mirifiques sur la desserte de l'outre-mer et de l'Afrique. En employant l'expression « projet mirifique », vous comprenez que je porte un jugement de valeur quant au caractère sérieux de ces projets.

M. le Rapporteur : Vous nous avez indiqué tout à l'heure que, lors de la réunion du 24 juillet, le gouvernement prend deux décisions : d'une part, la prolongation de quatre mois du prêt FDES ; d'autre part, la prolongation du moratoire avec, en contrepartie, la reprise du paiement des charges par l'entreprise à compter du 1er août. Or vous avez mentionné que l'entreprise a payé pendant un mois, mais qu'à partir du 1er septembre, elle ne payait plus.

A compter de cette date, vous semblait-il alors raisonnable de continuer à soutenir une compagnie qui ne respectait aucun des engagements pris à l'égard du gouvernement ? Comme vous l'avez indiqué tout à l'heure, c'est l'Etat qui, en ne faisant pas payer l'ensemble des charges publiques et en n'exigeant pas le remboursement du prêt, maintenait la compagnie Air Lib artificiellement en vie. Ce serait dans le courant de cette période que vous auriez considéré que la situation n'était plus viable. Pouvez-vous nous confirmer cela ?

M. Dominique BUSSEREAU : A partir de ce moment, nous avons eu des contacts avec M. Corbet qui nous fournissait plan de restructuration sur plan de restructuration. C'est à l'issue de cette période, qui a duré de la fin septembre au début novembre, soit environ six semaines, que pour ma part, j'ai fait savoir au Premier ministre, après en avoir informé Gilles de Robien, que je lui suggérais de tirer un trait, avec toutes les conséquences dramatiques que cela posait non seulement sur le plan social mais aussi pour l'Etat, car les fonds étaient perdus.

C'est donc à partir de ce moment-là que j'ai préparé cette décision que j'ai proposée au Premier ministre aux alentours du week-end de la Toussaint, décision qui n'a pas été prise en raison de l'arrivée de M. de Vlieger.

Mais il est vrai que nous avons eu une période de réflexion - qui peut vous sembler longue, M. le Rapporteur - allant de la fin du mois de septembre au début du mois de novembre.

M. le Rapporteur : Vos collègues, Gilles de Robien, Francis Mer et Alain Lambert, avaient-ils, à cette époque, la même position que vous ?

M. Dominique BUSSEREAU : Je ne peux pas parler pour mes collègues, mais je pense que nous avons la même conception de l'intérêt de l'Etat et du respect de l'argent public. Je pense que ces interrogations étaient les mêmes chez mes collègues.

M. le Rapporteur : Est-ce le Premier ministre qui vous a demandé d'essayer de trouver une solution ?

M. Dominique BUSSEREAU : Non, je lui ai simplement indiqué, dans la période autour du week-end du 11 novembre, que je pensais qu'il fallait arrêter.

M. le Rapporteur : Lui avez-vous écrit ?

M. Dominique BUSSEREAU : Non, je le lui ai indiqué par téléphone. C'est alors qu'est arrivée la solution de Vlieger, laquelle a fait rouvrir le dossier puisqu'il y a eu à nouveau un espoir. Tout espoir par rapport aux trois mille salariés nous paraissait mériter d'être étudié.

M. le Président : Jusqu'au 5 février.

M. Dominique BUSSEREAU : Tout à fait. Toutefois, je voudrais faire observer qu'il y a eu les vacances de Noël et que la période réelle de travail sur ce dossier a été plus brève. A partir de début janvier, nous avons remis une pression très forte, mais malheureusement l'épisode de Vlieger n'a pas été très brillant puisqu'il y a eu certainement le souhait de la part de cette entreprise de déployer un « mur cinématographique » important devant l'Etat.

M. le Président : L'interrogation de la commission est totale sur cet épisode et notamment sur la crédibilité de la volonté réelle de M. de Vlieger d'aller au bout de la logique. Ce qui nous surprend, c'est que depuis dix-huit mois, c'est-à-dire depuis le 27 juillet 2001, nous sommes à la recherche des investisseurs.

Or, systématiquement, dès qu'une phase dure se présente avec un risque de cessation d'activité, on voit arriver, une fois, un GIE, une autre M. de Vlieger. Savez-vous de quelle manière M. de Vlieger s'est retrouvé mêlé dans cette affaire ? Avez-vous, au vu des réunions que vous avez pu avoir avec lui, l'intime conviction qu'il était sincère dans ses engagements ? Selon M. Corbet, il l'était.

M. Dominique BUSSEREAU : M. de Vlieger a été présenté à Gilles de Robien, moi-même et à nos collaborateurs par M. Corbet, le 12 novembre. Nous l'avons reçu au cabinet de M. de Robien. Cela a constitué ma seule rencontre avec M. de Vlieger. J'ai été assez étonné, sans en vraiment être marri, que dans les jours qui ont suivi, à l'occasion d'une conférence de presse, M. de Vlieger m'ait pris à partie personnellement. J'ai tendance à penser aujourd'hui que c'est plutôt une chance pour moi car, lorsque l'on est pris à partie par quelqu'un qui a ensuite une attitude peu convenable, on peut en éprouver une joie intime.

M. le Rapporteur : Votre thèse consiste à dire que vous étiez persuadé qu'il fallait tout arrêter fin octobre, puis que « le Hollandais volant a atterri », pour reprendre votre expression. Le 11 novembre, l'annonce d'un nouvel investisseur relance le dossier pour presque trois mois, puisque le dépôt de bilan ne sera prononcé que le 7 février.

Dans votre exposé, vous avez indiqué qu'initialement, vous aviez pris des renseignements sur le groupe IMCA et M. de Vlieger. A ce propos, pourriez-vous nous dire quels sont les éléments que vous aviez pu recueillir sur cet éventuel investisseur, son sérieux, ses capacités managériales, ses compétences dans le domaine aéronautique ?

M. Dominique BUSSEREAU : Les éléments que j'ai pu recueillir personnellement étaient minces. J'ai demandé à mon directeur de cabinet de joindre notre ambassade qui nous a indiqué que le domaine d'action de M. de Vlieger était les machines à coudre et l'immobilier. Il était également à la tête d'une micro-compagnie d'aviation comptant quelques appareils.

Puis la presse a fait état d'un empire plus important puisque M. de Vlieger a été présenté comme le premier propriétaire immobilier d'Amsterdam. Les informations que j'ai pu avoir étaient très fragmentaires. C'est la raison pour laquelle j'observais les choses avec beaucoup d'attention, en attendant véritablement que l'on nous donne toutes garanties qui, au fur et à mesure des semaines, se sont évaporées.

M. le Rapporteur : Rétrospectivement, quelle était, selon vous, la stratégie de M. de Vlieger et du groupe IMCA dans cette affaire ?

M. Dominique BUSSEREAU : C'est une question que je me pose encore. Y avait-il dérive médiatique, volonté de s'exposer et de profiter d'une situation très médiatisée pour se faire connaître en France et sur le marché néerlandais ? Y avait-il un réel intérêt ? M. Corbet aurait-il trop bien vendu la mariée ? Chacun connaît les talents de marketing de M. Corbet. Y avait-il volonté d'acquérir à bas prix des Airbus pour les revendre dans de meilleures conditions ? Tout cela me parait assez mystérieux. Mais la nuit de négociation que je vous ai décrite a semblé montrer un très grand manque de sérieux.

Je suis incapable de vous donner une réponse. Je n'ai rencontré M. de Vlieger qu'une fois. Le seul contact que j'ai eu avec lui par la suite a été d'entendre un certain nombre de journalistes dire qu'il m'avait pris à partie, alors que la rencontre que nous avions eue avec Gilles de Robien avait été tout à fait courtoise.

M. le Président : Nous avons des interrogations sur la manière dont M. de Vlieger est arrivé et la manière dont cela s'est déroulé. En effet, à chaque phase d'un accord possible, il y a eu surenchère et une demande nouvelle, ce qui a conduit le gouvernement à tout arrêter lors de cette fameuse nuit de négociation. Confirmez-vous ce processus ? Auquel cas, nous trouvons bizarre cette méthode, car à l'évidence, il y avait eu, à deux reprises, une possibilité d'accord, notamment le 30 janvier où il y avait eu accord de toutes les parties.

M. Dominique BUSSEREAU : Je répète ce qu'avait accepté l'Etat le 30 janvier, car c'était important et remarquable. L'Etat avait donné son accord sur un schéma de remboursement très favorable et très dérogatoire, un étalement sur huit ans des dettes sociales, la possibilité de mettre en place des GIE fiscaux et l'acceptation d'un transfert de la créance de Swissair à Holco. L'Etat était allé au-delà du possible.

Le 31 janvier, si mes souvenirs sont exacts, deux choses sont demandées par M. de Vlieger : la première était la paix syndicale, c'est-à-dire qu'un syndicat, moins docile qu'un autre, veuille bien accepter un certain nombre de conditions. La seconde concernait les conditions commerciales d'Airbus qui apparaissaient à ladite société très dérogatoires de ses méthodes commerciales habituelles.

M. le Président : Je répète mon observation. Ce qui nous a surpris, c'est qu'à chaque fois qu'un investisseur est cité ou semble apparaître, il y a toujours une condition qui fait que malheureusement l'investissement ne peut se faire. N'y avait-il pas quelque part une volonté de ne pas aboutir ?

Il est quand même surprenant qu'après tout cela, il y ait eu encore une nouvelle surenchère. Je voudrais rappeler une anecdote. Nous étions en séance de nuit sur un texte qui concernait votre ministère. Gilles de Robien était à côté. Au fur et à mesure des négociations, on lui faisait passer des messages pour l'informer du bon déroulement des discussions, puis à un certain moment, il a eu un message l'informant que tout avait dérapé avec ensuite une réponse négative vers 4 heures du matin. Je voudrais savoir si ce n'était pas un échec annoncé. Y avait-il une réelle volonté d'aboutir d'IMCA ? Quel est votre sentiment ?

M. Dominique BUSSEREAU : Je n'en sais rien, mais l'hypothèse que vous formulez à l'instant doit être prise en considération. Soit il n'y avait aucune volonté d'aboutir en allant à des surenchères, soit le désir d'obtenir le maximum de choses. Je crois que vous avez tout à fait raison de citer cette hypothèse parmi les possibles.

Dans les éléments qui pouvaient intéresser IMCA, il y avait aussi les 40 000 créneaux possibles. IMCA était peut-être plus intéressé par ces créneaux que par les vieux avions d'Air Lib.

Mme Arlette GROSSKOST : Dans le cadre de cette phase de négociation et restructuration avec M. Corbet qui a duré quelques mois, avez-vous associé, d'une manière ou d'une autre, ne fut-ce que pour un avis éclairé, Air France, comme cela a été le cas très largement pour M. Corbet lors de sa reprise ?

M. Dominique BUSSEREAU : Pendant cette période, j'ai en effet reçu les dirigeants d'Air France à de nombreuses reprises qui jamais, spontanément, n'ont abordé la question d'Air Lib. Quand ils l'ont fait, ce n'était pas de manière désagréable. Ils portaient en privé des jugements étonnés sur le marketing, mais jamais un dirigeant d'Air France ne se permettait de propos désagréables ou moqueurs sur la gestion d'Air Lib.

L'attitude du président d'Air France, Jean-Cyril Spinetta, a été tout à fait remarquable. En effet, de manière spontanée, sans pression des pouvoirs publics, aussitôt après la disparition d'Air Lib, il a proposé mille emplois. Malgré les difficultés actuelles du trafic aérien, le SRAS, les conséquences du conflit irakien, Air France est intervenu à chaque fois pour que les choses avancent. Le comportement de la compagnie nationale dans cette affaire est tout à fait exemplaire.

M. Alain GOURIOU : Tout à l'heure, le président de la commission a soulevé le problème de l'existence de cash dans le groupe Holco. Or au mois de juillet, la dette publique d'Air Lib est estimée à 60 millions d'euros, puis à 130 millions en février. Elle a plus que doublé pendant cette période pendant laquelle, pour autant, à deux reprises, les échéances du prêt public ont été reportées.

Entre les mois de juillet et de février, vous-même, votre cabinet ou le gouvernement ont-ils sollicité M. Corbet sur la nécessité absolue de dégager ces fonds, dont vous connaissiez l'existence et qui auraient permis de limiter quelque peu les dégâts ?

Par ailleurs, lorsque les négociations ont été rompues, l'une des causes, semble-t-il, de leur rupture a été le refus de la société Airbus d'accorder à M. de Vlieger des ventes d'avions à des prix préférentiels, du niveau de ceux qui auraient été consentis à des compagnies à bas coûts, selon les déclarations de MM. de Vlieger et Corbet. Y a-t-il eu intervention, dans un sens ou un autre, du gouvernement ou de vous-même auprès d'Airbus pour tenter d'arranger les choses ?

M. Dominique BUSSEREAU : Dès sa mise en place, le nouveau gouvernement n'a eu de cesse de demander à M. Corbet et à l'entreprise de payer ses charges qui incluaient non seulement les sommes dues au titre de l'URSSAF, l'UNEDIC, ADP et les taxes aéroportuaires, mais aussi les aéroports de région, les chambres de commerce.

Nous n'avons donc eu de cesse de réclamer ces sommes. Chaque fois, la compagnie nous indiquait qu'elle était dans l'impossibilité de payer et chaque fin de mois, nous faisait trembler en suggérant qu'elle n'était pas certaine de pouvoir payer son personnel.

Sans parler de chantage, nous avons toujours été pris dans ce jeu où il y avait une forme de pression de la part de l'entreprise. Chaque mois, selon la progression du nombre de vols, nous pouvions constater que les charges augmentaient.

Concernant votre seconde question, à aucun moment nous ne sommes intervenus dans la négociation. C'est une règle absolue pour tout gouvernement de ne pas intervenir dans ce type de négociation commerciale. Néanmoins, a posteriori, nous avons appris que la réduction demandée était très importante et qu'il y avait en plus une demande de cash immédiate dont nous avons compris ensuite que M. de Vlieger comptait le remettre dans le capital.

M. Alain GOURIOU : Les sommes que réclamait M. de Vlieger étaient un acompte fait sur une commande précédente d'appareils Airbus.

M. Dominique BUSSEREAU : C'était une confusion avec les histoires de Swissair et cela n'avait strictement rien à voir.

M. Alain GOURIOU : Confirmez-vous que vous n'avez eu connaissance qu'a posteriori de ce problème entre M. de Vlieger et Airbus ?

M. Dominique BUSSEREAU : Nous étions dans une salle à quelques mètres. Par des personnes sortant prendre l'air, nous avions quelques échos selon lesquels il y avait des demandes hors du commun. Mais n'étant pas un praticien de ces négociations, je ne savais pas ce qu'était véritablement le commun.

Mme Odile SAUGUES : Vous avez effleuré la question des créneaux horaires qui, selon vous, intéressaient un certain nombre de personnes. Pouvez-vous nous indiquer les conditions de la commande par la compagnie EasyJet de cent vingts aéronefs A319 à Airbus ? Voyez-vous un lien entre cette commande et le fait que cette compagnie soit la principale bénéficiaire des créneaux horaires d'Air Lib à Orly ?

M. Dominique BUSSEREAU : En premier lieu, je ne connais pas les conditions de la négociation entre EasyJet et Airbus. Par ailleurs, je me permets d'attirer votre attention sur le fait qu'au grand dam de la compagnie EasyJet justement, celle-ci n'a pas été l'attributaire majoritaire de créneaux à Orly. Elle en a même conçu une grande colère qu'elle est venue exprimer devant le gouvernement.

Cela a donné lieu à une lettre de son président à Mme de Palacio, se plaignant des conditions dans lesquelles trop peu de créneaux lui avaient été attribués. Je vous rappelle que l'attribution des créneaux est faite par une autorité indépendante qui s'appelle le Cohor.

Mais ce que je sais, puisque les dirigeants d'EasyJet sont venus me le dire ainsi qu'à Gilles de Robien et à la commission, c'est qu'ils sont très mécontents de n'avoir obtenu que très peu de créneaux sur la plate-forme d'Orly. A cet égard, je tiens à la disposition de la commission les différents courriers échangés avec les dirigeants d'EasyJet.

Mme Odile SAUGUES : Pouvez-vous nous confirmer que les deux A340, prévus dans le montage initial du GIE, sont devenus la propriété d'Air Tahiti Nui ?

M. Dominique BUSSEREAU : M. Corbet m'avait demandé, lors de notre premier entretien, de faire pression pour cette affaire de GIE. Le gouvernement avait répondu qu'en aucune manière, il ne ferait pression dans ce qui constituait des transactions commerciales.

Selon les informations qui m'ont ensuite été données, Airbus, las d'attendre, avait vendu à un acquéreur, qui se trouve être la compagnie Air Tahiti Nui, les Airbus sur lesquels comptait M. Corbet. Mais il comptait sur beaucoup de choses, dans tous les domaines et perpétuellement. Ces Airbus ont été vendus à une compagnie sérieuse.

M. le Rapporteur : Vous vous êtes occupé de ce dossier pendant huit mois. Quand vous refaites l'histoire, ne regrettez-vous pas de ne pas avoir été plus dur lorsque vous avez constaté, dès la fin juin, l'absence d'une réelle viabilité économique de cette compagnie, l'absence de banquier et d'actionnaires ? C'était l'Etat qui comblait les fins de mois en termes de cotisations sociales et de redevances, sans demander le remboursement des prêts, car l'Etat était le seul à avoir prêté puisque l'entreprise n'avait pas de banquier. L'entreprise n'avait en fait aucune dette bancaire.

A ce moment-là, plutôt que de prolonger, au risque d'être accusé d'avoir continué le soutien abusif commencé par le précédent gouvernement dès le mois de janvier, n'aurait-il pas été moins coûteux pour les finances publiques de mettre un terme à cette affaire ? De plus, cela aurait permis, du point de vue social, d'apporter un meilleur règlement de la situation.

M. Dominique BUSSEREAU : Le gouvernement, mis en place en mai, a été remanié en juin à la suite des élections législatives. Dans notre pays où les vacances d'été sont une chose importante, où nos compatriotes d'outre-mer prennent très à l'avance leurs billets, il était très difficile à l'Etat d'arrêter pendant l'été. Notre sentiment a toujours été de tenir compte du dossier social.

Je considère que cette affaire est un gâchis, mais en ayant devant les yeux les visages des salariés d'Air Lib que j'ai reçus le lendemain de cette fameuse nuit et ensuite après le dépôt de bilan et en voyant leur détresse, je ne dirais pas que je ne regrette rien, mais nous sommes allés jusqu'au bout du possible par rapport à ces trois mille salariés.

J'espère que la plupart retrouveront du travail après la crise conjoncturelle que nous traversons, mais j'ai des craintes par rapport aux personnels navigants techniques, en particulier les pilotes qualifiés sur des avions anciens. En ayant encore devant les yeux le visage de ces hommes et de ces femmes, je pense que nous avions raison de tout tenter. Peut-être l'avons-nous fait un peu trop longtemps, mais la préoccupation sociale qui était la nôtre n'était pas négligeable, même si le coût pour les finances publiques est excessif.

Ce que je regrette également, c'est que beaucoup de mensonges ont été proférés, que la direction de l'entreprise n'a pas toujours eu une attitude aussi sérieuse que l'on pouvait le souhaiter lorsque l'on gère une entreprise avec le concours de fonds publics. L'histoire, et peut-être votre commission d'enquête, dira la vérité de l'épisode de Vlieger.

Certes, il y a eu du gâchis, mais quand je pense aux hommes et aux femmes en cause, nous avons eu raison, peut-être jugerez-vous autrement, de tout tenter et d'aller jusqu'au bout du possible. Ensuite, la différence entre le jusqu'au bout du possible et le jusqu'au bout du souhaitable appartient à l'appréciation des hommes politiques par rapport à leur action.

M. Alain GOURIOU : Vous avez raison, quand on connaît la fin du film, il est toujours plus facile d'élaborer des scénarios de remplacement.

Mais la disparition d'Air Lib a provoqué des difficultés considérables sur un certain nombre de liaisons régionales. Certaines ont été reprises, tant mieux. Pour autant, les conséquences de ce « soutien abusif » d'Air Lib a mis aussi en difficulté des chambres de commerce qui ont été encouragées par le gouvernement à ne pas faire valoir leurs créances pour éviter des ennuis supplémentaires à Air Lib. Aujourd'hui, ces chambres de commerce, ces syndicats intercommunaux, ces prestataires se trouvent en situation extrêmement difficile.

Estimez-vous que l'Etat a le devoir de revenir sur les engagements qui avaient été consentis par ces différents partenaires à sa demande ?

M. Dominique BUSSEREAU : Dans cette affaire, la première décision coupable a été prise en janvier 2002, lorsque le choix d'un repreneur s'est porté sur M. Corbet et que les fonds publics lui ont été ouverts à grandes vannes. C'est là que se situe le vice de départ, la suite étant écrite ce jour-là. A mes yeux, les choses sont claires.

Notre objectif a été, d'une part, le traitement social du dossier, d'autre part d'assurer le rapatriement immédiat des voyageurs partis d'outre-mer, ce que nous avons fait gratuitement. Nous avons ensuite repris immédiatement les liaisons avec l'outre-mer grâce à deux compagnies, Corsair et Air France, que je remercie. Leur offre en nombre de sièges a été quasi équivalente à celle d'Air Lib.

Air France, quelques jours après, a revolé sur Perpignan, etc. Les compagnies ont joué le jeu de la solidarité pour permettre aux collectivités d'être desservies. En effet, sur certains endroits, Air Lib était en situation de monopole et représentait la seule desserte aérienne.

J'observe aussi que, dans les demandes faites au gouvernement de maintenir Air Lib, il y avait celles des élus de toutes les régions qui étaient disposées à ne pas être payées pour garder leurs dessertes aériennes. S'il devait y avoir partage des responsabilités, il faudrait que ce soit entre l'Etat, qui a permis aux avions de voler, et ceux qui ont influé fortement et par écrit, notamment les élus, auprès de l'Etat pour qu'ils continuent à voler.

M. Lionnel LUCA : Hier, nous avons entendu M. Corbet qui a mal vécu les relations qui ont été les siennes avec vous et semble vous faire porter la responsabilité de l'échec final. A plusieurs reprises, il nous a indiqué qu'Air Lib était parfaitement viable et que c'est la décision du 7 février qui a mis fin à Air Lib. Prévaut encore cette idée qu'il y avait d'autres possibilités pour Air Lib et qu'il n'a pas reçu tout le soutien qu'il était en droit d'espérer, compte tenu de ce qu'il apportait ?

Par ailleurs, à la lumière des éléments que vous avez et de ce que vous avez trouvé, pensez-vous que le prêt tel qu'il a été fait en janvier dernier était justifié ?

M. Dominique BUSSEREAU : Au moment où nous avons suspendu la licence d'exploitation, Air Lib avait à peine quelques jours de trésorerie devant elle. Nous avions dû répondre téléphoniquement à des entreprises vendant du carburant qui ne voulaient plus en vendre. Certaines chambres de commerce nous avaient indiqué qu'elles ne voulaient plus mettre en place les passerelles et les services d'assistance au sol dans les derniers jours.

Air Lib était au bout du bout. Nous ne pouvions pas continuer à laisser voler une entreprise qui n'avait plus d'argent, sans qu'à aucun moment, nous n'ayons rencontré de problèmes sur la sécurité. A cet égard, le personnel d'Air Lib a été admirable. Néanmoins, la situation de l'entreprise était telle que ses avions ne pouvaient plus voler. En retirant cette licence d'exploitation, nous étions au bout du bout.

Quant au soutien espéré par M. Corbet, supposez que, dans votre circonscription, le boulanger de votre commune vienne vous annoncer qu'il ne paie plus ses impôts et ses cotisations URSSAF, même avec l'aide d'un excellent député, il terminerait mal. Ce qu'aucune entreprise en France n'est capable de demander, y compris la plus modeste et la plus artisanale, M. Corbet s'était mis dans la situation de le faire, considérant que l'Etat, quoi qu'il arrive, paierait dans n'importe quelles conditions.

La justice vis-à-vis de nos concitoyens et de nos chefs d'entreprise qui sont en difficulté ne permettait plus un soutien qui, dans ces conditions, devenait absurde.

Je crois que moins que le prêt, ce sont les conditions de la reprise au départ. Quand une affaire, dès le départ, ne démarre pas avec à la fois la compétence et un bon plan d'action, elle ne peut fonctionner. Malheureusement, cela s'est démontré.

Sans être désagréable vis-à-vis du gouvernement précédent - peut-être lui aussi a-t-il été à quelques moments berné et a-t-il eu des espoirs inconsidérés - même si la décision de départ était mauvaise, pour autant je ne veux pas lui jeter la pierre s'il a, en son âme et conscience, à un moment cru que cela pouvait marcher.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Pascal Perri1,
directeur de cabinet de M. Jean-Charles Corbet

Procès-verbal de la séance du 4 juin 2003

Présidence de M. Xavier de Roux, vice-président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Vous avez été directeur de cabinet du président d'Holco en 2001 et 2002, ce qui vous a conduit à vivre de l'intérieur l'ensemble de ce qu'il est convenu d'appeler l'aventure d'Air Lib.

Nous souhaiterions que vous nous indiquiez ce qu'a été votre rôle et ce que vous avez su de cette affaire pendant l'exercice de vos fonctions. Ensuite, nous vous poserons quelques questions.

M. Pascal PERRI : Je me suis demandé si notre réunion d'aujourd'hui aurait bien lieu puisqu'à la lecture du Règlement de l'Assemblée nationale, il apparaît que les travaux de la commission doivent s'interrompre lorsqu'une procédure judiciaire est engagée. Est-ce exact ?

M. le Président : Aujourd'hui, aucune procédure ne nous a été notifiée.

M. Pascal PERRI : Il s'agit donc probablement d'une procédure plutôt à caractère fiscal puisque l'ensemble des opérateurs du groupe Holco, dirigeants, avocats et administrateurs, ont fait l'objet d'une perquisition fiscale hier matin. Je me demandais si cela pouvait avoir une incidence sur la réunion d'aujourd'hui. Elle n'en a pas, et c'est parfait.

M. le Président : La Chancellerie est parfaitement au courant de nos travaux. La procédure est que la Chancellerie notifiera, le cas échéant, au Président de l'Assemblée nationale l'ouverture d'une information judiciaire, ce qui n'est, à cette heure et aujourd'hui, pas le cas.

M. Pascal PERRI : Très bien.

Vous souhaitez donc que je vous expose mon point de vue sur les causes de la disparition d'Air Lib et l'utilisation de l'argent public.

M. le Président : Exactement !

M. Pascal PERRI : Je crois que les causes de la disparition d'Air Lib sont de trois ordres.

Le premier élément est incontestablement le fait que nous avons repris - mes propos porteront sur la période suivant le 1er septembre 2001, date de mon arrivée - deux entreprises qui étaient en situation de coma dépassé. Un peu plus de 6 milliards de francs de déficit d'exploitation en un an ; c'était vraiment une très mauvaise performance économique. Les anciens actionnaires, qu'il s'agisse de Swissair, l'opérateur qui avait la responsabilité opérationnelle de l'entreprise, ou de l'actionnaire majoritaire, le groupe Marine Wendel, portent à mon sens une très lourde responsabilité dans la situation de ces deux entreprises telles que nous l'avons trouvée en août - septembre 2001.

Dans ces entreprises -c'est important pour un transporteur aérien-, les travaux de maintenance n'étaient plus faits, le programme d'hiver qui démarre au mois d'octobre n'était pas déposé dans les ordinateurs. Tout semblait montrer que l'on s'était arrangé pour tirer un rideau définitif sur les entreprises AOM et Air Liberté.

Evidemment, nous avons repris ces entreprises dans ce contexte. Lorsque nous sommes arrivés, il y avait 5 % de passagers dans les avions.

Le premier travail a été de redonner confiance, un tant soit peu, de convaincre les différents opérateurs du marché, les agents de voyage, les consommateurs que le projet que nous portions était susceptible de s'imposer sur le marché.

De façon connexe, la défaillance de Swissair a été la première grande cause des difficultés de cette entreprise. Pour ma part, j'ai fait réaliser une étude complète par l'institut TNS Média Intelligence, fusion de deux entreprises connues dans le domaine des études d'opinion, la SOFRES et Taylor, une entreprise britannique. Je l'ai fait réaliser, puisqu'en plus de mes fonctions en tant que directeur de cabinet auprès de M. Corbet, j'étais avant toute chose le porte-parole de la compagnie. Bien sûr, la résonance médiatique faite autour de l'entreprise m'intéressait au premier chef.

Cette analyse a été réalisée sur une période de cinq mois, du 1er juillet au 30 novembre 2001. Après étude des articles publiés dans la presse pendant toute cette période, des reportages à la radio et à la télévision, l'objectif était de mesurer l'impact de la défaillance de Swissair, autrement dit, ce que cela a coûté à l'entreprise en termes commercial et de crédibilité. Je tiens cette étude à votre disposition. Elle montre que les appréciations négatives du public sont liées de façon récurrente d'abord à l'image négative de Swissair et ensuite, à sa défaillance.

Y a-t-il là un vrai lien avec les difficultés de l'entreprise ? Je le crois parce qu'une entreprise de transport aérien se caractérise par un fort volume et de petites marges. L'entreprise est en contact direct avec le public. Auriez-vous pris vous-même les avions d'Air Lib en écoutant chaque matin à la radio que la défaillance de Swissair pouvait avoir des incidences définitives sur la vie de la nouvelle entreprise Air Lib ? Auriez-vous pris le risque de réserver sur Air Lib pour l'été prochain un voyage aux Antilles ? Cette défaillance très largement et lourdement médiatisée a été, à mon sens, extrêmement lourde à porter pour l'entreprise.

De plus, elle a privé Air Lib d'une contribution de 60 millions d'euros. Quand on fait les comptes, et il faut les faire selon un calendrier glissant, au moment où ces 60 millions d'euros auraient dû être versés, ils étaient suffisant à l'entreprise pour honorer ses engagements, suffisants pour reconstruire sa réputation sur le marché et poursuivre son offensive commerciale de reconquête.

M. le Président : Vous estimez le besoin de fonds propres d'Air Lib à 60 millions d'euros à cette époque ?

M. Pascal PERRI : Je pense que les 60 millions d'euros nous auraient permis de faire face à nos engagements.

La question des fonds propres est plus large. Je ne suis pas financier, mais je comprends ce dont il s'agit. Il est évident que ce manque à gagner, ces 60 millions de trésorerie que l'entreprise a perdus ont eu des conséquences en série. Après la diffusion des informations parues dans la presse en octobre sur la défaillance de Swissair, après les déclarations de M. Corti, qui, parmi les établissements bancaires ou financiers de la place, aurait eu le culot de prêter le moindre centime à Air Lib ?

Rappelons que, de surcroît, nous sommes en situation post-traumatique. Le transport aérien a été très durement impacté par le 11 septembre.

Deuxième croc en jambe, deux ou trois semaines plus tard, nous apprenons que celui qui avait ruiné Swissair - 6 milliards de francs de déficit d'exploitation en un an - est défaillant.

Naturellement, c'étaient deux très mauvaises informations pour l'image d'Air Lib. Je pense que c'est la première grande cause des difficultés rencontrées par l'entreprise.

La deuxième cause est la campagne menée contre Air Lib au moment de l'alternance. J'ai eu l'occasion de rencontrer M. Dominique Bussereau bien avant son arrivée rue du Bac, comme secrétaire d'Etat chargé des transports. J'avais eu avec lui des conversations privées au congrès de l'UMP à Toulouse où j'avais été invité à présenter un exposé sur les enjeux du transport aérien pour l'outre-mer. Ensuite, lors d'entretiens personnels à l'Assemblée nationale, j'avais compris que M. Bussereau nourrissait à l'égard de la compagnie et de ses dirigeants un très fort ressentiment. Je ne sais pas d'ailleurs pas pourquoi. Il faut constater que dès son arrivée au secrétariat d'Etat, nous avons eu droit, là encore en termes d'image -je souhaite vous parler de sujets que je maîtrise parfaitement- à une série de déclarations qui ont ébranlé probablement les consommateurs et qui ont jeté le discrédit sur la compagnie. Comment fallait-il comprendre ses déclarations sur la fin de la récré, sur la fin du Père Noël, sur ses chantages permanents à la licence ? J'observe que nos vraies difficultés ont commencé au moment où nous lancions sur le marché, notamment le produit Air Lib Express qui rencontrait un incontestable succès commercial. Les déclarations se sont multipliées pour aboutir à une série d'ultimatum, de dates butoirs : sept dates butoirs au cours des quatre derniers mois de la vie d'Air Lib. Il était difficile de faire remonter du monde dans nos avions dans un contexte aussi défavorable.

La troisième raison est aussi simplement la culture de ces entreprises. Nous sommes tous le produit individuel et collectif de notre histoire. AOM et Air Liberté, c'était plus de 150 accords collectifs qui se superposaient. Un véritable millefeuille social ! Nous avons trouvé en face de nous des interlocuteurs syndicaux parfois très minoritaires, mais néanmoins très bavards. A mon sens, ils ont aussi brouillé l'image de l'entreprise.

Vous avez vraisemblablement reçu certains d'entre eux. Dans une entreprise comme dans une société, il y a des règles : la règle de la démocratie, la règle du vote. Je n'ai pas fait voter les salariés, j'ai simplement constaté que la CFDT qui était ultra majoritaire au comité d'entreprise n'était pratiquement jamais entendue, peut-être parce qu'elle défendait les projets économiques et industriels de la direction sans vraiment faire de la cogestion. En revanche, je lisais beaucoup dans la presse les déclarations d'un certain nombre de petits syndicats -il n'y a aucun mépris dans ce que je dis-, de petits responsables syndicaux dont certains ont été probablement reçus par vous, qui ne représentaient qu'eux-mêmes et qui jetaient la suspicion et sur les dirigeants de l'entreprise et sur la stratégie de l'entreprise.

Et pourtant, les chiffres sont têtus. Au mois d'août de l'année dernière, nous étions à 3 millions d'euros de l'équilibre, ce qui est plutôt bien pour une entreprise qui revient d'un coma dépassé. Air Lib Express avait de bons résultats. Nous cherchions à consolider notre position sur l'outre-mer, sur l'Algérie. Nous lisions jour après jour dans la presse des déclarations de responsables de syndicats de pilotes, de syndicats généralistes qui jetaient la suspicion sur les dirigeants de l'entreprise et sur la politique menée.

Pour être sensible à toutes ces questions liées à l'information et à l'image, je sais combien il y est difficile de faire face dans une activité qui est en prise directe avec le public.

Il n'y a évidemment aucune comparaison possible, mais qu'arrive-t-il aujourd'hui au président du CSA ? Les gens l'ont jeté en pâture. Je suis certain qu'il ne s'est jamais rien passé dans sa vie, mais sa vie est à jamais marquée par ce qui a été dit ou écrit. Nous vivons dans une société où l'image commande. En ce qui nous concerne, nous avons dû faire face à ce type de procès médiatique pendant des mois et des mois.

Nous avons vérifié que l'impact de cette communication négative au cours des derniers mois de l'entreprise lui a coûté une moins-value en termes de trésorerie estimée à 50 millions d'euros.

M. le Président : Vous dites que lorsque l'entreprise a été reprise, elle avait 6 milliards de déficit.

M. Pascal PERRI : Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que le déficit d'exploitation d'AOM - Air Liberté sur une année avait été de 6 milliards. Nous étions dans le cadre d'une procédure collective, le plan de cession avait remis les compteurs à zéro.

M. le Président : Je veux dire que vous aviez l'exemple d'un déficit massif de l'entreprise qui, auparavant, l'avait conduite au tribunal de commerce. A votre avis, quels étaient les moyens financiers à mettre en oeuvre à ce moment-là pour reprendre l'entreprise ? Autrement dit, l'entreprise était-elle reprenable ?

M. Pascal PERRI : Je pense que l'entreprise était reprenable si les Suisses avaient effectivement tenu leurs engagements jusqu'au bout.

M. le Président : Ils ont tenu une partie de leurs engagements.

M. Pascal PERRI : Mais il a manqué beaucoup de ces engagements et la rupture d'engagement, la défaillance est intervenue très rapidement.

M. le Président : Cela veut dire que le montant des fonds nécessaires à la reprise d'Air Lib, c'était la contribution versée par Swissair !?

M. Pascal PERRI : Si les Suisses avaient tenu leurs engagements jusqu'à leur terme, nous aurions été dans une position vraisemblablement plus confortable pour consolider un tour de table avec d'autres actionnaires. Il me semble que la défaillance des Suisses, en plus des conséquences du 11 septembre, a découragé tous ceux qui pouvaient s'intéresser à ce dossier.

Une fois encore, je ne gérais pas les finances de l'entreprise, mais il me semble que c'est cette défaillance qui est à l'origine d'une vraie perte de chance pour l'entreprise Air Lib.

M. le Président : Autrement dit, le plan de reprise reposait à l'origine sur l'indemnité Swissair ?

M. Pascal PERRI : Sur la contribution volontaire des Suisses. C'est ce que j'ai compris en lisant les éléments du plan de cession. En effet, la contribution de Swissair était un élément essentiel. J'ai toujours entendu dire par Jean-Charles Corbet qu'il ne se serait jamais lancé dans cette aventure s'il n'avait pas eu la certitude de cet apport.

M. le Président : Lui-même n'avait pas d'apport à réaliser.

M. Pascal PERRI : Non, et ce n'était pas l'objet de sa démarche.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous expliquer à la commission dans quelles conditions vous avez été recruté par M. Corbet ? Quelles étaient vos motivations, quel était votre passé ? Pour quelles raisons êtes-vous intervenu plus tardivement que les autres membres de l'équipe Corbet, les futurs dirigeants d'Holco ?

M. Pascal PERRI : Je ne peux pas répondre au dernier volet de votre question. Je pense que M. Corbet a dû constituer une équipe opérationnelle après avoir obtenu la reprise devant le tribunal de commerce.

M. le Rapporteur : Avant.

M. Pascal PERRI : Oui, avant la décision de la fin du mois de juillet.

Mes fonctions étaient celles de directeur de la communication, porte-parole de l'entreprise. Dans une entreprise de 2500 personnes, c'est-à-dire une très grosse PME, on fait beaucoup de choses. Je gérais aussi directement le développement de l'entreprise en Algérie et la relation avec les élus des départements d'outre-mer.

Dans quelles conditions ai-je été amené à intervenir ? J'ai été présenté à M. Corbet par l'un de ses amis que j'avais moi-même rencontré dans le cadre de relations strictement personnelles. J'ai manifesté de l'intérêt pour ce dossier parce qu'il me paraissait fortement emblématique. Le transport aérien est une activité intéressante. J'ai moi-même publié un ouvrage sur l'économie du transport aérien en 1994. La vocation d'Air Lib était de se développer sur l'outre-mer pour le long-courrier. Or, j'avais été pendant quelques années journaliste et rédacteur en chef de RFO, la télévision française de l'outre-mer. Je connaissais les élus et les régions. Je dirais qu'il y avait une proximité, un intérêt qui était lié aussi à des questions de géographie personnelle. Voilà les raisons pour lesquelles je suis intervenu dans ce dossier et pourquoi j'y ai consacré mon énergie.

M. le Rapporteur : A l'époque où vous êtes recruté, vous étiez encore journaliste à RFO ?

M. Pascal PERRI : Non.

M. le Rapporteur : Quelle était votre carrière ? Que faisiez-vous ?

M. Pascal PERRI : J'ai quitté RFO en 1997 pour des raisons strictement familiales, afin de venir en aide à un membre de ma famille qui était dirigeant d'entreprise et qui avait connu de graves ennuis de santé. Cette personne a dû abandonner la direction de son entreprise. J'étais à l'époque le seul susceptible de la reprendre. Ce que j'ai fait. C'était une entreprise assez importante dans l'Est de la France, qui rencontrait elle-même des difficultés. Je l'ai donc restructurée et revendue ensuite.

Nous en sommes arrivés à l'été 2001, période à laquelle je suis intervenu dans le dossier Air Lib. J'avais donc une petite expérience de la gestion d'entreprise, même si je suis beaucoup plus juriste et géographe qu'économiste.

M. le Rapporteur : Avant, vous étiez journaliste ...

M. Pascal PERRI : J'ai été journaliste jusqu'en fin 1996, début 1997.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas répondu à la question sur vos motivations. Vous avez dit que vous aviez publié un livre sur l'économie du transport aérien, que vous aviez travaillé sur le secteur etc.

M. Pascal PERRI : Cela fait beaucoup : le transport aérien, l'outre-mer, une entreprise en difficulté, une entreprise « en retournement » comme l'on dit aujourd'hui. Je sortais de ce secteur des entreprises en retournement. Je trouve que cela fait au moins trois bonnes raisons de m'intéresser à Air Lib.

M. le Président : Vous avez dit tout à l'heure que vous n'étiez pas un économiste, mais vous aviez vraiment une expérience des entreprises en difficulté ?

M. Pascal PERRI : Une expérience modeste. Je connais le code des procédures collectives qui est aujourd'hui dans le code de commerce. J'ai fait des études de droit. Mais peut-on prétendre que l'on est spécialiste des entreprises en difficulté tant les difficultés des entreprises sont multiples de façon générale ?

M. le Président : Je n'ai pas dit « spécialiste », j'ai dit que vous aviez une expérience.

M. Pascal PERRI : Une petite expérience à défaut d'une expertise.

M. le Rapporteur : Vous ne connaissiez pas M. Corbet ?

M. Pascal PERRI : Non, je ne connaissais pas M. Corbet.

M. le Rapporteur : Quand vous arrivez, on est en septembre 2001. Avez-vous hésité à accepter ce poste ou avez-vous dit oui tout de suite ?

M. Pascal PERRI : Tout de suite.

M. le Rapporteur : Quand vous êtes arrivé, vous vous étiez un peu renseigné sur la viabilité de l'entreprise, sur l'importance des risques ?

M. Pascal PERRI : Oui, bien sûr.

M. le Rapporteur : Vous aviez conscience qu'il y avait des risques importants ?

M. Pascal PERRI : Qu'il y avait des risques importants ? Bien sûr ! Je me rappelle de la lecture des gazettes à l'époque. Il fallait être sourd et aveugle pour ne pas savoir que le retournement de la future Air Lib, ex-AOM - Air Liberté serait une entreprise difficile. Sur un marché difficile dans un contexte international qui était moyen, on ignorait tout de ce qui allait se passer en septembre.

M. le Rapporteur : Quand êtes-vous arrivé ?

M. Pascal PERRI : Le 1er septembre.

M. le Rapporteur : Les contacts ont été très rapides ?

M. Pascal PERRI : Assez rapides. C'est vrai.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit que vous aviez trois fonctions : directeur de la communication, responsable des opérations vers l'Algérie et responsable des relations avec les élus des DOM. Cela fait un mélange. Vous étiez davantage qu'un directeur de la communication.

M. Pascal PERRI : On pourrait dire que j'étais directeur de la communication et des relations extérieures.

M. le Rapporteur : Sur l'Algérie, aviez-vous une mission spéciale concrètement ?

M. Pascal PERRI : Non, ma mission était de m'assurer que l'ensemble des formalités administratives sur place, liées à l'ouverture de la ligne, étaient correctement accomplies. C'était aussi de nouer des relations avec les responsables politiques du transport algérien, des contacts réguliers et fructueux d'ailleurs avec l'ambassadeur de France et ses services sur place, de m'assurer que nous pourrions ouvrir la ligne comme nous l'avions prévu, c'est-à-dire en nous faisant représenter dans une agence du centre-ville d'Alger et en m'assurant que les travaux de mise en oeuvre de cette agence étaient correctement effectués.

Mon rôle était encore de veiller à ce que la résonance médiatique soit favorable et que l'arrivée d'Air Lib soit connue du public algérien, qui souffrait à l'époque d'une assez lourde sous capacité sur la ligne entre Alger et Paris et sur la ligne entre Oran et Paris.

J'assurais donc ce travail d'environnement.

M. le Rapporteur : C'était très différent des fonctions de directeur de la communication !

M. Pascal PERRI : Non, s'adresser aux journalistes, faire en sorte que la compagnie soit connue, que ses tarifs soient connus, que ses projets sur place soient connus, c'est dans les attributions d'un directeur de la communication un peu moderne, peut-être aux fonctions un peu étendues. Il me semble que c'était dans le périmètre de mes fonctions.

De la même façon, aller outre-mer pour faire valoir l'alternative Air Lib, m'assurer que le public des Antilles et de la Réunion soit pleinement informé de notre politique tarifaire, de nos projets de développement, veiller à entretenir des relations normales avec les présidents de région ou de conseil général était - me semble-t-il - dans les compétences d'un directeur de la communication et des relations extérieures, si cela peut avoir une relation avec le sujet qui nous intéresse.

M. le Rapporteur : Il semble qu'à un moment, il y ait eu des négociations pour essayer de faire monter les DOM - TOM au capital d'Air Lib. Plusieurs schémas ont été envisagés.

M. Pascal PERRI : C'est exact.

M. le Rapporteur : On a trouvé dans un certain nombre de documents, y compris ceux de Matignon, cette idée qu'il fallait faire monter au capital des collectivités territoriales des DOM ou des TOM.

Vous occupiez-vous de ce genre d'affaires ?

M. Pascal PERRI : J'étais en contact avec Paul Vergès, Jean-Luc Poudroux à la Réunion, avec Mme Michaud-Chevry en Guadeloupe. Je les rencontrais assez régulièrement dans leur région ou à Paris. Nous discutions de questions liées de façon générale à la desserte, à la mobilité. Le président Vergès, Mme Michaud-Chevry, M. Poudroux et d'autres étaient sensibles au fait qu'une entreprise comme la nôtre cherche à se développer, à devenir la compagnie d'outre-mer, tant il est vrai que ce métier, la desserte de l'outre-mer, est un métier dans le métier avec des particularités sur lesquelles on pourra revenir si vous le souhaitez. Par conséquent, nous discutions de la montée des régions au capital. C'était très symbolique, 10 à 15 millions de francs pour chaque région, c'est-à-dire plus un signe politique qu'une décision véritablement économique. On ne leur demandait pas d'assumer quelque responsabilité de gestion que ce soit. Je crois me rappeler que les élus des Antilles gardent un douloureux souvenir de l'affaire Air Martinique qui leur avait coûté très cher et pour laquelle ils étaient sortis de leurs compétences véritables. Il ne s'agissait pas de leur demander de venir gérer l'entreprise avec nous, mais simplement d'adresser un signe aux consommateurs des départements d'outre-mer pour leur dire que ces régions, leurs élus soutenaient la politique menée par Air Lib aux Antilles et à la Réunion.

M. le Rapporteur : Pourquoi aucun de ces contacts n'a-t-il débouché ?

M. Pascal PERRI : Nous avons eu des lettres d'engagement de principe assez précises. Puis, il est vrai qu'il y a eu une volte-face.

J'ai rencontré Mme Michaud-Chevry le 13 juillet 2002 au soir à la réception du ministère de l'outre-mer. Elle m'a expliqué qu'on lui avait fait savoir que le soutien à Air Lib n'était peut-être plus autant d'actualité qu'il ne l'avait été avant la réélection du Président de la République.

S'agissant de l'outre-mer, je ne peux pas faire l'impasse sur les relations que nous entretenions avec Mme Girardin, à l'époque où elle était conseillée du Président de la République pour l'outre-mer avant de devenir ministre. J'ai lu et entendu beaucoup de choses sur le sujet. J'ai entendu dire des choses un peu caricaturales, que grosso modo, l'ancien gouvernement avait soutenu de façon extrêmement forte le dossier Air Lib en allant parfois au-delà de ce qui était raisonnable. Je dois vous dire que sans Mme Girardin et sans le Président de la République, Air Lib n'aurait sans doute pas survécu à l'hiver 2001. Je me rappelle avoir rencontré Mme Girardin à plusieurs reprises à l'Elysée. Je me rappelle de ses déclarations que j'ai pris le soin de noter. Nous avions quelques difficultés à l'époque avec Air France, dans le cadre de la mise en oeuvre d'un programme de code share. Mme Girardin m'avait déclaré le 12 octobre qu'Air France semblait poser moins de problèmes depuis que le Président de la République s'était engagé. Le 19 du même mois, elle avait dit que le Président de la République souhaitait trouver une solution globale et demandait à M. Christnacht, le conseiller du Premier ministre à l'époque, d'organiser les choses au niveau interministériel.

Puis, il y a eu un conseil des ministres le 5 décembre au cours duquel le Président de la République s'est adressé au Premier ministre dans le petit entretien qu'ils avaient avant le conseil. Je le sais parce que M. Jospin me l'a dit et que Mme Girardin me l'a confirmé. Le président s'était adressé à Lionel Jospin en lui disant qu'il souhaitait que le problème d'Air Lib soit réglé, que la question de la desserte aérienne vers l'outre-mer lui tenait absolument à coeur. Le Président de la République, au cours du conseil qui a suivi, a repris le même discours pour demander que tout soit mis en oeuvre pour sauver la compagnie.

C'est vrai que l'ancien gouvernement s'est mobilisé en faveur d'Air Lib. Ce n'est un secret pour personne. Mais je dirais que cela a été le cas de tout le monde, y compris du premier responsable de l'Etat, le Président de la République.

Nos relations avec Mme Girardin -j'en reviens au point qui concernait mon intervention sur l'outre-mer- ont toujours été d'excellente qualité. Nous avions des contacts relativement réguliers.

Il y avait un peu partout un intérêt à ce qu'Air Lib devienne effectivement la compagnie d'outre-mer, non pas contre Air France, mais au côté d'Air France. Chacun faisait l'analyse que Air France privatisée aurait probablement d'autres ambitions que de desservir l'outre-mer. Chacun sait qu'une entreprise privée n'a plus les mêmes contraintes en matière d'aménagement du territoire ou en matière de service public. Chacun se disait donc qu'il fallait un pôle aérien solide et le nom d'Air Lib revenait très souvent. Les relations avec les élus d'outre-mer ont été des relations constantes. On peut regretter qu'elles n'aient pas abouti à la mise en oeuvre des accords de principe qui avaient été trouvés.

M. le Président : Quel était le résultat d'exploitation des lignes d'outre-mer à l'époque ?

M. Pascal PERRI : Il était moyen. Nous avions un résultat d'exploitation honorable sur la Réunion et qui l'était beaucoup moins sur les Antilles.

Il y avait deux raisons : le code share signé avec Air France profitait d'abord à Air France. C'est la règle d'un code share. Le partage de code, c'est un accord par lequel chacun s'engage à vendre l'autre, à charge pour le passager de choisir sa compagnie s'il le peut. Mais la règle commerciale bien comprise est que l'on cherche d'abord à remplir ses avions avant de remplir ceux du partenaire.

En ce sens, Air France est une machine de guerre commerciale dont les moyens sont très supérieurs à ceux d'Air Lib. Donc, le code share a beaucoup plus profité à Air France qu'il n'a profité à Air Lib.

La deuxième raison est que le trafic vers l'outre-mer est un vrai métier dans le métier. C'est du long-courrier avec des exigences particulières en matière de fréquence et de capacité. C'est un trafic qui se caractérise par un prix moyen coupon très faible. Sur Paris - Fort de France, il est de l'ordre de 3 000 francs. Sur Paris - New York, soit la même distance, il est au moins du double. De plus, on subit une très grande saisonnalité de la demande, des périodes de très forte affluence, puis des périodes de sous affluence. Troisième et dernier élément essentiel : l'absence de clientèle à haute contribution. Il y a à la Réunion - c'est l'une des raisons de nos performances correctes à la Réunion - une clientèle affaire qui n'existe pas pour les Antilles. Il n'y a pas pour les Antilles de classe affaire, de clientèle à haute contribution qui vienne rééquilibrer le compte d'exploitation. Lorsque l'on procède à une comptabilité analytique ligne par ligne, les éléments de fréquentation le montrent très clairement.

M. le Rapporteur : La commission voudrait aussi vous poser des questions concernant le rôle exact qu'a joué M. Christian Paris. Nous avons eu ici une série de déclarations de gens disant qu'il avait eu un rôle d'influence, qu'il avait un bureau à côté de celui du président.

Pourriez-vous nous dire comment vous l'avez vécu, vu de votre côté ?

M. Pascal PERRI : D'abord, j'avais un bureau en face de celui du président. Je peux vous assurer que M. Paris n'avait pas de bureau entre le mien et celui du président. A ma connaissance, il n'a jamais eu de bureau dans cette entreprise.

Les relations entre Christian Paris, Jean-Charles Corbet et François Bachelet étaient des relations de personnes qui ont travaillé longtemps dans la même entreprise. M. Paris, si j'ai bonne mémoire, est un ancien de l'ENAC où il a fait ses études avec Jean-Charles Corbet. Je crois qu'ils ont des souvenirs sportifs communs. Quand on a vingt ans, ...

M. le Rapporteur : C'était le rugby.

M. Pascal PERRI : ... cela forge des relations personnelles solides. Ils avaient des relations amicales. M. Paris n'a pas exercé d'influence particulière à mon sens sur Jean-Charles Corbet, pas plus qu'il n'en a eu sur les choix de l'entreprise. M. Paris était là de temps à autres dans le cadre de relations strictement personnelles.

Il a pu donner un coup de main au début de l'entreprise - je l'ai croisé un peu plus souvent qu'après - parce qu'il lui arrivait de donner quelques conseils à François Bachelet en termes de communication. M. Bachelet n'était pas un très grand communicateur, en tout cas, ce n'était pas sa culture, même s'il l'a fait très bien par la suite. Il souhaitait donc avoir l'avis de quelqu'un dont c'était un peu la sensibilité. L'influence de M. Paris s'est limitée à ces conseils. Je vous le dis pour l'avoir vécu de l'intérieur.

M. le Rapporteur : M. Paris nous a déclaré ici qu'il assurait bénévolement un rôle d'aide, notamment en matière de communication.

M. Pascal PERRI : C'est exact.

M. le Rapporteur : Comme vous étiez directeur de la communication, cela ne passait peut-être pas par vous, c'étaient peut-être des contacts directs avec le président du directoire ou du conseil de surveillance. Vous le voyiez assez peu quant à vous ?

M. Pascal PERRI : Ses conseils ont probablement été plus importants au tout début. Puis sa présence quantitative a décru au fil du temps. Mais il nous arrivait de parler de communication, comme il m'arrivait d'en parler avec mes collègues d'Air France ou d'autres entreprises que j'étais amené à rencontrer. Ce n'est pas ce qui fait l'influence sur la vie d'une entreprise et ce n'est pas non plus ce qui fait l'influence sur ses choix stratégiques.

Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, nous avions des conversations civiles et urbaines sur la façon de communiquer des uns et des autres, sur les moyens à mettre en oeuvre pour que les messages soient mieux compris. Mais cela s'arrêtait là.

M. le Rapporteur : L'avez-vous vu participer à des négociations avec les syndicats ?

M. Pascal PERRI : Jamais, à titre personnel.

M. le Rapporteur : Vous êtes resté une vingtaine de mois ? Etes-vous resté dans la société ?

M. Pascal PERRI : Je suis salarié d'Holco.

M. le Rapporteur : Vous l'êtes toujours. Que faites-vous actuellement ?

M. Pascal PERRI : Aujourd'hui, je m'efforce de sauver ce qui peut l'être. Il reste dans le périmètre d'Holco deux ou trois entreprises qui ont une vie après la disparition d'Air Lib. Il y a celle pour lesquelles la disparition d'Air Lib a eu un effet mécanique immédiat comme les filiales de maintenance, de restauration. D'autres avaient un compte clients plus diversifié. Logitair, dont je suis le président, est installée à Nîmes. Elle emploie une centaine de salariés, elle est spécialisée dans la gestion des recettes commerciales. Cette entreprise est également le fournisseur d'autres compagnies aériennes, Air Littoral, Air Gabon, Corsair, d'autres compagnies africaines, des petites compagnies françaises. Je travaille aujourd'hui à diversifier ses produits et son compte clients.

Cette entreprise est spécialiste de la reconnaissance informatique. Quand on émet un ticket, cela entraîne une recette, mais il faut savoir qui a émis le billet, dans quelles conditions, en faveur de qui et recouper l'ensemble des informations. Vous avez sans doute reçu les uns et les autres dans vos boîtes aux lettres des publicités de la grande distribution avec des bons gratuits. Lorsque ces bons sont tirés en faveur du consommateur, il faut un payeur, une reconnaissance informatique. Je m'efforce de redéployer cette entreprise sur ce secteur.

M. le Rapporteur : Vous avez vécu près de deux ans avec M. Corbet. Quelle appréciation portez-vous sur ses qualités de manager ?

M. Pascal PERRI : Je porte une appréciation qui est aussi le résultat de ma propre expérience. Qu'est-ce qu'un bon manager, un bon chef d'entreprise ? C'est quelqu'un qui se pose des questions simples : quel est mon marché, quelle est la place de mon entreprise sur ce marché ?

Jean-Charles Corbet, à la différence de beaucoup d'autres qui, pourtant, étaient capés des meilleures écoles de commerce de France et d'Europe, a fait mieux que tous ces responsables qui se sont entêtés pendant des années à vouloir copier le modèle dominant. Jean-Charles Corbet, à ma connaissance, est le premier, et le seul, qui ait compris que la vocation d'Air Lib dans le ciel français était d'incarner autre chose qu'une copie du modèle dominant, qu'une copie d'Air France.

Si ce n'étaient les difficultés que nous avons rencontrées, je suis certain que nous aurions gagné. Je suis certain d'ailleurs que le marché le montrera finalement et qu'il y a en France comme en Europe une place pour des entreprises qui proposeront un produit comparable à celui que nous avions lancé.

Pour répondre à votre question, je dirai qu'un chef d'entreprise, c'est 50 % de bons sens, 30 % de négociation et 20 % de connaissances techniques. Pour les connaissances techniques, ce n'est pas très compliqué. Je suis juriste moi-même, j'ai vécu dans des entreprises. Faire fonctionner un compte d'exploitation, des hauts et des bas de bilan, la croissance externe, interne etc., tout cela n'est pas compliqué.

M. le Président : Puisque vous jonglez avec tout cela, à partir de quand estimez-vous qu'Air Lib était en cessation de paiement ?

M. Pascal PERRI : Air Lib n'a jamais été en cessation de paiement au sens où on peut l'entendre. La situation n'a jamais été irrémédiablement compromise, puisque c'est le terme qui convient en substance. Les crises de trésorerie jalonnent la vie des entreprises.

M. le Président : On nous a dit ici que les taxes d'aéroport n'étaient pas payées, que les charges sociales n'étaient pas payées. Bref, qu'un ensemble de choses qu'une entreprise normalement constituée paye, n'étaient plus payées. A partir de quand ce n'était plus payé ?

M. Pascal PERRI : Si mes souvenirs sont bons, Air Lib a cessé de payer une partie de ses charges au mois d'avril 2002, a repris ses paiements quelques mois plus tard et les a de nouveau interrompus. Tout ceci était lié à la mise en place d'un GIE fiscal et participait d'un ensemble. Je ne suis pas capable de rentrer plus dans le détail.

M. le Rapporteur : Pour votre information, les charges sociales patronales n'ont plus été payées à partir d'octobre 2001, et la reprise dont vous faites état n'a duré qu'un mois, de mémoire, au mois d'août. A partir de septembre, de nouveau, on n'a plus payé. Et là, il ne s'agissait plus seulement des charges patronales, mais aussi de l'URSSAF...

M. Pascal PERRI : La faute à qui, monsieur le Rapporteur ? La défaillance de Swissair me semble en être le responsable direct.

M. le Président : Je voudrais simplement savoir à partir de quand vous estimez - quelles que soient les causes qui peuvent être très nombreuses - que l'entreprise était en cessation de paiement.

M. Pascal PERRI : Mon souvenir était que l'entreprise avait cessé un certain nombre de paiements à partir du mois d'avril. Si ce n'est pas le cas, je le note.

M. le Rapporteur : Revenons aux qualités de manager de M. Corbet dont vous avez dit que sa première qualité - mais est-ce une qualité ? - est qu'il a refusé le modèle dominant.

M. Pascal PERRI : Non. Vous avez sensiblement traduit mon propos.

Mon propos était de dire que pour rentrer sur un marché comme celui du transport aérien et venir concurrencer le modèle dominant avec des produits identiques, il faut une mise de fonds immense. C'est ce que l'on appelle l'effet de taille. Air Lib n'avait pas l'effet de taille pour lutter contre Air France et ne pouvait imposer dans le ciel français qu'un contre modèle. Ce contre modèle n'était pas un modèle contraire, mais un modèle différent.

A mon sens, le lancement d'Air Lib Express était une bonne décision de chef d'entreprise car, au côté d'Air France, il y a de la place pour un produit différent, complémentaire et simplifié. Le succès d'autres compagnies qui proposent des produits de cette nature le démontre.

C'est ce que M. Corbet avait logiquement conclu des expériences qui ont précédé Air Lib.

M. le Rapporteur : On a dit qu'Air Lib Express n'était pas un low cost, mais que c'était un low fare avec plutôt des hight costs.

M. Pascal PERRI : Pas tout à fait. Des middle costs qui tendaient à devenir des low costs.

M. le Rapporteur : Oui, mais qui ne le sont jamais devenus.

M. Pascal PERRI : Bien sûr, on avait besoin de temps pour cela. On ne peut pas reprocher à un mort d'avoir été malade. C'est vrai qu'aujourd'hui, il est très facile de dire que ... l'on ne l'a pas fait. On ne l'a pas fait parce qu'Air Lib Express a été lancé le 31 mars 2002. Cela représente quelques mois d'exploitation, de grands succès commerciaux à l'été, un automne qui a été relativement difficile en termes de communication.

Sept dates butoirs en quatre mois, des déclarations successives de la tutelle, déclarations agressives qui montrent une volonté de se passer de cette entreprise, sous cette forme en tout cas, tout cela n'incite pas les gens à monter dans les avions.

Mais les avions étaient pleins.

M. le Rapporteur : Quelles étaient d'après vous les autres qualités de manager de M. Corbet ou ses non qualités de manager ?

M. Pascal PERRI : Ses qualités de manager étaient à mon sens - je vais me répéter - d'avoir compris qu'elle était la place de son entreprise sur son marché. Il a probablement rencontré des difficultés à le faire comprendre à un certain nombre d'interlocuteurs à l'intérieur de l'entreprise, notamment certains interlocuteurs syndicaux, mais l'actualité est là pour vous montrer que dans ce pays, dans certaines circonstances, on a les deux pieds sur le frein et que l'on n'a pas très envie de changer sa façon d'être, sa façon de faire et son statut.

Pourtant, pour devenir une entreprise compétitive au côté d'Air France, il fallait être capable de travailler différemment. Mais de là à dire, comme certains l'ont dit, que c'était la casse des statuts, que l'on mettait en cause les conditions de sécurité en vol, il y a un pas que je ne franchis pas.

On demandait simplement à un certain nombre de navigants de voler un peu plus, de voler 750 ou 800 heures par an contre 650 à 700, sans toucher à leur rémunération. On demandait aux hôtesses et aux stewarts, aux personnels navigants commerciaux, une approche un peu différente de leur métier.

Peut-être aurions-nous dû aller plus vite et plus loin. Nécessairement, la direction d'Air Lib a commis des erreurs. Je ne cherche pas à vous dire le contraire, même si je crois que la grande part des raisons de cet échec est externe et qu'il y a eu un véritable acharnement.

Au fond, pour me résumer, je crois que cela aurait fait tache dans le paysage qu'un ancien commandant de bord syndicaliste à Air France fasse mieux que le patron des patrons !

Cela vous fait peut-être rire, monsieur le président, mais je l'ai ressenti comme cela.

M. le Président : Cela ne me fait pas rire du tout. Vous dites que vous avez l'expérience des sociétés en difficulté.

M. Pascal PERRI : Une petite expérience.

M. le Président : Vous avez dit que vous aviez une expérience de la gestion dans des affaires. Vous l'avez dit tout à l'heure.

Vous dites qu'au 1er avril, vous êtes en cessation de paiement et que vous ne pouvez plus payer. Je vous demande d'où allaient venir les concours financiers permettant de mettre en oeuvre les plans.

M. Pascal PERRI : D'un GIE fiscal.

M. le Président : Le GIE fiscal n'apporte pas des fonds à l'entreprise.

M. Pascal PERRI : Bien sûr que si !

M. le Président : Le GIE fiscal, c'était pour remplacer un certain nombre d'avions.

M. Pascal PERRI : Non, le GIE fiscal est un double produit. C'est un produit opérationnel et fiscal, comme son nom l'indique.

M. le Président : A partir de quoi un GIE fiscal devait-il se monter ?

M. Pascal PERRI : A partir de deux avions qui avaient été prépayés par les anciens actionnaires à hauteur de 27 millions de dollars chacun. La moindre des choses aurait été que ces 54 millions de dollars profitent à cette entreprise qui payait les pots cassés et qui venait nettoyer les écuries de ses prédécesseurs. Soyons concrets !

M. le Président : Vous dites qu'Air Lib devait être sauvée par le concours financier qu'aurait dû apporter un GIE fiscal. C'est ce que vous avez dit. Ce GIE fiscal se faisait autour de deux avions. Combien aurait-il dû rapporter à l'entreprise ?

M. Pascal PERRI : Un peu plus de 50 millions d'euros.

M. le Président : Quels étaient les résultats d'exploitation ?

M. Pascal PERRI : Vous faites le compte : les 60 millions d'euros que les Suisses et leurs associés n'ont pas payé plus les 50 millions d'euros, on n'est pas très loin des 120 millions d'euros d'engagements externes de l'entreprise.

M. le Rapporteur : A votre avis, pourquoi n'a-t-on jamais trouvé d'investisseur, que ce soit dans le premier ou dans le second GIE fiscal ? Vous nous parlez du premier GIE sur les deux A300.

M. Pascal PERRI : A ma connaissance, il y avait des investisseurs.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne sont-ils pas venus ?

M. Pascal PERRI : Parce que les avions ont disparu, si j'ai bien suivi le feuilleton.

M. le Rapporteur : Pourquoi ont-ils disparu ?

M. Pascal PERRI : Parce que M. Flosse les a repris pour Air Tahiti Nui.

M. le Rapporteur : Oui, mais il n'en était pas le propriétaire. Le propriétaire était Airbus.

M. Pascal PERRI : Bien sûr, mais Airbus a choisi de les vendre à M. Flosse. On ne va pas se cacher derrière notre petit doigt : M. Flosse que j'ai eu l'occasion de rencontrer à de nombreuses reprises ne se cache pas d'avoir des relations personnelles et chaleureuses - dit-il d'ailleurs - avec le Président de la République. Tout est possible.

M. le Rapporteur : Vous pensez que c'est le Président de la République qui vend les avions de la France en passant des coups de téléphone ?

M. Pascal PERRI : Je sais que c'est le Premier ministre qui va les vendre en Inde !

M. le Rapporteur : Vous ne pensez pas que quand le Premier ministre, quel qu'il soit, va signer, tout cela est bouclé ?

M. Pascal PERRI : Je n'en suis pas certain. Je pense que leur intervention en amont n'est jamais négligeable. Je pense que le commerce international est tout sauf un fleuve tranquille.

M. le Rapporteur : Nous avons auditionné les propriétaires des avions pour leur demander leur version des faits.

M. Pascal PERRI : Ils vous l'ont donnée et je vous donne la mienne.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous dire comment vous étiez rémunéré quand vous êtes arrivé à la compagnie ?

M. Pascal PERRI : J'ai été rémunéré ... vous voulez que je vous donne mes salaires ?

M. le Rapporteur : Tout à fait.

M. Pascal PERRI : Pendant les premiers mois, j'ai reçu une rémunération de l'ordre de 50 000 francs par mois ; quelques mois plus tard - je ne peux pas vous dire quand précisément - mon salaire a augmenté pour arriver au niveau actuel de l'ordre de 50 000 francs net.

M. le Rapporteur : Vous êtes passé du brut à du net.

M. Pascal PERRI : Oui. Considérant que les journées étaient longues, que l'engagement était important et qu'il comportait des incidences sur la vie personnelle.

M. le Rapporteur : Pour un directeur de la communication d'une société comme Air Lib, est-ce dans le marché ?

M. Pascal PERRI : C'est dans la fourchette basse du marché.

M. Pascal PERRI : Il semblerait que vous ayez touché une prime de 50 648 euros en 2002, en plus de cette rémunération. Pouvez-vous expliquer à la commission quel en était le fondement ?

M. Pascal PERRI : Un travail, un engagement personnel en temps, en énergie. C'était le fait, précisément de compenser un salaire plutôt moyen et moyen bas, pour une fonction comme celle-ci.

Si vous me reposiez la question, je vous répondrais que j'ai déclaré à l'administration fiscale environ 140 000 euros l'an dernier, ce qui doit correspondre à un peu moins d'un million de francs, c'est-à-dire de l'ordre de 70 à 80 000 francs par mois, ce qui, salaire plus prime, fait à peu près la même somme.

M. le Rapporteur : Là, vous pensez que l'on est toujours dans la fourchette basse.

M. Pascal PERRI : Non, on est là dans une fourchette raisonnable et correcte. J'ai eu depuis des propositions de travail à des postes similaires pour des montants légèrement supérieurs.

M. le Rapporteur : Avez-vous été au courant des discussions sur la rémunération de la CIBC ? Cela vous dit-il quelque chose ?

M. Pascal PERRI : Oui, cela me dit quelque chose parce qu'il faudrait vraiment se boucher les oreilles pour ne pas en entendre parler.

Bien sûr, j'ai entendu parler de ce sujet. J'ai moi-même été interrogé par des journalistes à de nombreuses reprises. Je n'ai pas négocié ces honoraires de la CIBC. Je connais, en revanche, un tout petit peu le monde des affaires. J'ai quelques amis qui y gravitent. Pas très loin de chez vous, monsieur le Rapporteur, dans la Marne, les entreprises de champagne sont de taille mondiale pour les trois ou quatre plus grandes, et mènent des opérations de croissance externe avec des banques d'affaires et des cabinets spécialisés. Je connais grosso modo le prix de ces prestations. Je dirais que celui de la CIBC - si c'est bien ce que je crois deviner dans votre question -ne me paraît pas scandaleux, même si je considère à titre personnel que c'est beaucoup d'argent.

M. le Rapporteur : Avez-vous été amené à vous occuper de cette affaire dans vos fonctions ou pas du tout ?

M. Pascal PERRI : Non, j'ai été amené à en parler. Nous sommes là dans un domaine qui est aussi un domaine d'affichage médiatique. Le salaire moyen en France est de 1200 euros, soit 8 500 à 9 000 francs. Aller leur dire qu'une entreprise en difficulté - on n'est pas responsable de ces maladies, on les assume - a payé de l'ordre de 50 millions de francs d'honoraires à une banque d'affaire, a un impact. Cela paraît énorme bien sûr. Mais que dire par exemple du cas de la Banque Lazard qui, en ce moment, est en train de négocier avec l'autorité monétaire internationale le rééchelonnement de la dette de l'Argentine et qui prendra 3 ou 4 % sur ce qu'elle va négocier. On est là sur des volumes immenses. Tout cela a un effet de résonance médiatique.

M. le Rapporteur : Avez-vous lu le contrat signé le 11 juillet 2001 ?

M. Pascal PERRI : Non. Je ne l'ai pas lu.

M. le Rapporteur : Mais vous l'avez défendu devant la presse !?

M. Pascal PERRI : J'ai défendu le principe que payer des honoraires à une banque d'affaires était d'un usage courant dans les affaires.

M. le Rapporteur : Mais vous avez regardé les quatre composantes des honoraires tels que prévus au contrat ?

M. Pascal PERRI : Je ne les connais pas de mémoire, mais je l'ai vraisemblablement lu. Je ne dirais pas le contraire.

M. le Rapporteur : Etes-vous au courant de l'affaire concernant le paiement d'un cabinet situé, semble-t-il, en Suisse par la filiale Mermoz à la hauteur de 9,14 millions d'euros ?

M. Pascal PERRI : Non.

M. le Rapporteur : Vous n'en avez jamais entendu parler ?

M. Pascal PERRI : J'en ai entendu parler, mais je n'ai fait qu'en entendre parler. Je ne sais pas précisément de quoi il s'agit.

M. le Rapporteur : Avez-vous entendu parlé du contrat avec Aurel-Leven ?

M. Pascal PERRI : Oui, j'en ai entendu parler, et si j'ai bonne mémoire, il s'agissait de mobiliser des fonds au moment de la reprise. Je sais que ces fonds n'ont pas été utilisés. Je crois me rappeler que dans le contexte, cela aurait été une faute de gestion de les mobiliser car il y avait d'autres solutions disponibles au moment où ils allaient être mobilisés.

M. le Rapporteur : Vous voulez parler des fonds d'Etat ?

M. Pascal PERRI : Non, je voulais parler du premier versement de Swissair.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas tout à fait à ce moment-là. Si vous avez lu le contrat Aurel Leven, vous savez que le non tirage des fonds au-delà du 1er septembre 2001 entraînait l'annulation du contrat. Il a donc servi pour la présentation devant le tribunal de commerce. Après, il y a eu un contentieux sur le paiement de plus de 3 millions d'euros qui étaient prévus au contrat pour indemniser l'entreprise Aurel-Leven et les personnes qu'ils avaient réunies en cas de non utilisation des 80 millions de francs. Je ferme la parenthèse.

M. Pascal PERRI : Oui. Je ne vois pas en quoi c'est contradictoire avec ce que je viens de vous indiquer. J'ai entendu dire que cet argent aurait pu être mobilisé au tout début de la vie de la nouvelle entreprise. Cela n'a pas été le cas car il y a eu un premier versement de Swissair. Je ne vois pas le rapport avec l'argent de l'Etat.

M. le Rapporteur : Cela n'a rien à voir puisqu'à partir du 1er septembre, il ne pouvait plus être tiré.

M. Pascal PERRI : Cela n'a effectivement rien à voir ! Nous sommes d'accord.

M. le Rapporteur : Pour ce qui me concerne, monsieur le Président, j'en ai terminé.

Mme Odile Saugues : Monsieur Perri, vous nous avez dit quels étaient vos contacts avec Mme Girardin au moment où elle était conseillère du Président Chirac. Puisque l'outre-mer était l'un des intérêts principaux d'Air Lib, avez-vous eu connaissance du projet Dexair. C'est une question que j'ai posée à d'autres personnes auditionnées.

Que souhaitez-vous nous en dire ?

M. Pascal PERRI : J'ai eu connaissance du projet Dexair qui a été révélé par la presse en plein été, au moment de la forte saison à la Réunion, dans un journal qui s'est spécialisé dans les annonces spectaculaires.

C'est la une du journal de l'île de la Réunion, notablement connu sur place. Nous sommes le 8 août 2002, et ce journal, comme vous le voyez en une, annonce la mort d'Air Lib. Difficile, là encore, de remplir des avions. Ce journal écrit : « Air Lib devrait être rayée du ciel dès le mois prochain, remplacée par Dexair Airlines. Les promoteurs de ce projet ont reçu des soutiens au plus haut niveau de l'Etat ».

Vous lisez plus loin que précisément, les promoteurs de ce projet conservent le mystère, mais qu'ils savent frapper aux bonnes portes. Outre Brigitte Girardin, ils ont rencontré les conseillers de l'Elysée. Mme Girardin était à l'époque ministre, et non plus conseillère à l'Elysée. Ils ont rencontré les conseillers à l'Elysée. J'imagine qu'il s'agit de M. Château, M. Dupré-Latour, M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports, celui-là même qui avait expédié en 25 minutes Jean-Charles Corbet, PDG d'Air Lib.

Ce projet est porté par un dénommé Bernard Balkou, poursuivi par la justice, mis en examen dans le cas de la faillite de l'entreprise Bel Air, entreprise de charter. Il est poursuivi pour détournement d'actif, pour abus de biens sociaux. On nous dit dans la presse qu'il a les portes ouvertes dans les plus grands palais de la République, ce que je me refuse à croire personnellement.

M. le Président : En effet, ce n'est pas ce que l'on nous a dit.

M. Pascal PERRI : Je me refuse à le croire. Je sais que ce monsieur est mis en examen. Ce que je peux dire en revanche, c'est que sa compagnie Dexair n'a jamais vu le jour à ma connaissance.

M. le Président : Jamais.

M. Pascal PERRI : Mais ce type de manipulation de l'information a eu évidemment un effet sur les performances économiques et commerciales de l'entreprise Air Lib. Nous avons vécu un feuilleton à rebondissements.

J'imagine que la fin rêvée par le scénariste serait de voir un jour Jean-Charles Corbet entre deux gendarmes à la sortie de son domicile ou d'un tribunal. On s'en approche d'ailleurs, quand on voit comment les choses se précisent, les perquisitions fiscales au domicile des uns et des autres. Il y a un véritable acharnement.

Moi, je me dis que les causes de la défaillance de cette entreprise sont clairement identifiées et identifiables. Je ne dis pas que nous n'avons pas commis des erreurs de management - c'est le terme que vous avez employé, monsieur le rapporteur -, mais ouvrons les yeux : défaillance de Swissair, impunité des prédécesseurs, campagne médiatique !

Je veux bien laisser à votre commission ces deux documents sur six mois de communications négatives qui ont coûté 50 millions d'euros à l'entreprise.

Mme Odile Saugues : Qui pouvait avoir intérêt à mettre en avant ce montage de Dexair qui a nui, d'après vos déclarations, à ce qu'Air Lib mettait sur pied ?

M. Pascal PERRI : A qui profite le crime ?

Mme Odile Saugues : En quelque sorte.

M. Pascal PERRI : Le crime ne nous a pas profité. On a disparu. Aujourd'hui, c'est une partie de billard à quatre bandes.

Quel était l'objet ? L'objet était de faire disparaître Air Lib du paysage. Pourquoi cela ? J'ai eu l'occasion de discuter à plusieurs reprises avec ma collègue française d'EasyJet. J'ai même participé à un débat sur France Inter avec elle. On a pu se dire un certain nombre de choses. L'enjeu était de vendre à EasyJet 120 Airbus. Cette jeune femme ne se cachait pas des projets de son entreprise.

Les avions, les 120 Airbus contre les créneaux d'Air Lib. C'est un plan qui supposait la disparition d'Air Lib. On est quand même dans une situation de paradoxe.

M. le Président : EasyJet a-t-il reçu les créneaux d'Air Lib ?

M. Pascal PERRI : EasyJet ne les a pas encore eus, mais j'y viens. Une partie en tout cas !

Aujourd'hui, on est quand même dans une situation un peu cocasse. L'Etat, qui est l'autorité de tutelle, va privatiser Air France qui était notre principal concurrent, l'entreprise dominante du marché.

L'Etat, principal actionnaire du principal concurrent, est aussi votre juge. C'est lui qui vous coupe la licence et vous fait disparaître.

Aujourd'hui, très clairement, à qui profite notre disparition ?

M. le Président : Je voudrais que l'on soit précis. Vous dites que vous êtes juriste.

M. Pascal PERRI : Cela n'a rien à voir avec le droit !

M. le Président : Vous n'ignorez pas que pour maintenir une licence, il faut une certaine respectabilité financière. J'emploie le mot respectabilité à bon escient.

M. Pascal PERRI : Pourquoi maintenir la licence d'Air Littoral dans ces conditions ?

M. le Président : Moi, je vous parle de ....

M. Pascal PERRI : ... qui est dans une situation beaucoup plus compliquée que la nôtre.

M. le Président : Je vous parle d'Air Lib, je ne connais pas les comptes d'Air Littoral. Je vous dis simplement....

M. Pascal PERRI : Air Littoral ne paie plus ses charges depuis très longtemps.

M. le Président : C'est possible. Je n'ai aucune idée de ce que fait Air Littoral.

M. Pascal PERRI : Peut-être siégerez-vous dans une commission....

M. le Président : Nous sommes là pour essayer d'être précis et pour essayer de comprendre.

M. Pascal PERRI : Moi aussi.

M. le Président : On peut faire des romans tout le temps.

J'observe que vous aurez gardé la licence très longtemps, malgré une situation d'insolvabilité. On peut même se poser la question de savoir s'il n'y avait pas une certaine imprudence de l'Etat à avoir maintenu aussi longtemps cette licence.

M. Pascal PERRI : L'imprudence de l'Etat provient surtout de l'absence de notification à Bruxelles des prêts que nous avons reçus. Voilà de l'imprudence politique.

Il s'agissait de sauver la deuxième entreprise française de transports aériens en sachant que le gap n'était pas si important que cela. Remettons tout cela en perspective. Je laisse de côté le dossier EasyJet qui n'est pas au coeur de vos préoccupations. Qu'est-ce que représentent 120 millions d'euros d'engagement externe dans des circonstances tragiques par rapport aux quelque 900 millions d'euros de déficit d'exploitation d'AOM et Air Liberté gérées par les Suisses ? Tout est relatif. Vous voyez ce que je veux dire.

M. le Rapporteur : On s'égare complètement.

M. le Président : L'argent de Swissair n'était pas de l'argent de l'Etat français.

M. Pascal PERRI : Mais c'est de l'argent que ses propriétaires ne reverront jamais. C'est une certitude.

M. le Rapporteur : La commission a été un peu étonnée de constater que M. Corbet ne dit pas la même chose que le président Spinetta sur les relations entre Air France et Air Lib. Nous voudrions donc savoir, puisque vous étiez chargé de la communication - encore que la communication n'est pas forcément toujours la réalité - comment vous avez perçu, depuis votre arrivée jusqu'à la fin, les relations Air Lib-Air France.

M. Pascal PERRI : Manifestement, c'étaient de bonnes relations de bonne compréhension, de dialogue. Je crois que les relations ne se sont pas détériorées entre les deux hommes au moment où M. Corbet a décidé de présenter un plan de cession d'AOM-Air Liberté, au moment où il a pris la direction de cette entreprise. J'ai même plutôt l'impression - sans avoir jamais participé à leurs entretiens -, j'ai eu le sentiment d'après les échos que j'en avais, que de part et d'autre, ces relations étaient relativement serrées.

M. le Rapporteur : Vous pensez qu'au démarrage au moins, Air France a plutôt aidé votre président ?

M. Pascal PERRI : Oui, c'est incontestable. Une partie des programmes d'Air Lib ont été faits...

M. le Rapporteur : Vous nous le confirmez. Y a-t-il d'autres points sur lesquels il y a eu des aides d'Air France ?

M. Pascal PERRI : Vous abordez un sujet un peu difficile. Je ne voudrais pas que vous pensiez que je me soustrais à vos questions. Entre la veille concurrentielle et les relations intelligentes avec son concurrent, il y a une frontière très étroite. Je ressens qu'Air France a bénéficié de la présence d'Air Lib.

M. le Rapporteur : Sous quelle forme ?

M. Pascal PERRI : Air Lib a été, d'une certaine façon, une sentinelle dans le ciel français qui a retardé l'arrivée d'entreprises anglo-saxonnes qui venaient se battre avec des règles sociales très défavorables, très dégradées par rapport aux nôtres. Il y avait là un vrai décalage auquel Air France n'était pas prêt vraisemblablement. Je connais un peu cette entreprise pour avoir écrit un livre il y a quelques années. Les choses ont beaucoup évolué depuis.

Je crois qu'Air France a bien sûr bénéficié de la présence d'Air Lib. C'est incontestable.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que vous étiez en service commandé, à travers ce que vous avez vu ?

M. Pascal PERRI : C'est très difficile à dire. Je pense que le service commandé n'est pas un service écrit.

M. le Rapporteur : D'accord, mais implicitement !

M. Pascal PERRI : Oui, vraisemblablement.

M. le Rapporteur : Sans aucun accord...

M. Pascal PERRI : Sans aucun accord écrit en tout cas. Je le saurais.

M. le Rapporteur : Voilà. On vous donnait des coups de main.

M. Pascal PERRI : Je pense que Renault et Peugeot ont des politiques communes à l'export. Les uns et les autres peuvent mettre leurs moyens en commun pour aller se défendre sur le marché américain ou sur les marchés du sud-est asiatique. Je pense qu'Air France, le ciel français, Air Lib, c'était un seul et même dossier.

M. le Rapporteur : Vous ne pensez pas que dans un deuxième temps, les relations se sont dégradées ?

M. Pascal PERRI : Si.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez vécu ces dégradations et quelles en sont les causes ?

M. Pascal PERRI : Les causes sont le succès d'Air Lib Express. Très clairement. A mon sens ! Je l'ai observé. Il me semble qu'il y a un lien de causalité évident.

M. le Rapporteur : Mais ce n'est pas Air France qui a dénoncé l'accord de code share.

M. Pascal PERRI : Si, c'est Air France qui a dénoncé l'accord de code share.

M. le Rapporteur : Unilatéralement ou après négociation ?

M. Pascal PERRI : Oui.

M. le Rapporteur : Vous étiez pour continuer ?

M. Pascal PERRI : A titre personnel ? J'étais contre la présence d'Air Lib à Roissy. J'étais donc défavorable au code share.

M. le Rapporteur : Le président Spinetta nous a affirmé le contraire.

M. Pascal PERRI : Que vous a-t-il affirmé ?

M. le Rapporteur : Il nous a affirmé que c'est vous qui aviez dénoncé l'accord.

M. Pascal PERRI : Non, non. Soyons sérieux ! Air France a dénoncé de fait le code share en ne le renouvelant pas.

M. le Rapporteur : Selon sa version, cela venait de vous.

M. Pascal PERRI : Si je peux me permettre, je peux vous donner quelques éléments là-dessus.

M. le Rapporteur : Nous sommes là pour vous écouter. Quelle est votre version ?

M. Pascal PERRI : Nous avons fait le compte de notre présence à Roissy après quelques mois. Elle nous coûtait plus qu'elle ne nous rapportait pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure. Le code share est un instrument dans lequel on règle les curseurs entre les partenaires, mais la règle est de remplir d'abord ses avions. Air France remplissait d'abord les siens. C'est de bonne guerre. On ne va pas faire un procès pour cela. Simplement, notre présence à Roissy, du fait de cette politique commerciale, était devenue plus une charge qu'une source de revenus.

L'idée était de dire à Air France que nous étions à Roissy pour alimenter leur hub, leur réseau intérieur. Les gens qui reviennent de la Réunion, des Antilles et qui veulent aller à Marseille, Toulouse, Perpignan etc. utilisent les avions Air France. C'était donc tout bénéfice pour Air France. Nous demandions donc de revoir les conditions de mise en oeuvre de l'accord. Air France n'a pas souhaité le faire, mais c'était une façon de dire non.

M. le Rapporteur : D'accord, mais juridiquement, c'est bien vous qui êtes à l'origine de la fin de cet accord ; Air France n'ayant pas accepté les modification que vous proposiez.

M. Pascal PERRI : A ma connaissance, le code share n'a pas été renouvelé par Air France. Si l'on veut être strictement formaliste, je crois que c'est cela.

M. le Président : Je pense que l'on peut rester sur ce point. Nous vous remercions pour votre contribution.

M. Pascal PERRI : Je vous remercie de m'avoir reçu.

1 Ce compte rendu d'audition a été transmis au témoin le 6 juin 2003.


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