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N° 604

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 février 2003.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 574), relatif à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques.

PAR Mme Marie-Jo ZIMMERMANN

Députée.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Élections et référendums.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente ; Mme Anne-Marie Comparini, M. Edouard Courtial, Mmes Geneviève Levy, Hélène Mignon, vice-présidents ; Mmes Brigitte Bareges, Muguette Jacquaint, secrétaires ; Mme Patricia Adam, M. Pierre-Christophe Baguet, Mmes Chantal Bourragué, Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Chantal Brunel, Martine Carrillon-Couvreur, M. Richard Cazenave, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Patrick Delnatte, Mmes Catherine Génisson, Claude Greff, Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, Mmes Conchita Lacuey, Marguerite Lamour, Martine Lignières-Cassou, Françoise de Panafieu, Béatrice Pavy, Valérie Pecresse, Bérengère Poletti, Josette Pons, Marcelle Ramonet, MM. Jacques Remiller, Bernard Roman, Jean-Marc Roubaud, Martial Saddier, Mmes Michèle Tabarot, Béatrice Vernaudon.

INTRODUCTION 5

I - LE FONDEMENT CONSTITUTIONNEL DE L'OBJECTIF DE PARITÉ POLITIQUE A PERMIS DES AVANCÉES SIGNIFICATIVES POUR LES FEMMES AUX ÉLECTIONS AU SCRUTIN DE LISTE 7

A. DES RÉSULTATS TANGIBLES AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES ET SÉNATORIALES AU SCRUTIN PROPORTIONNEL DE 2001 7

1. La juste reconnaissance de la place des femmes dans les conseils municipaux des communes de 3 500 habitants et plus 7

2. Un effet d'entraînement pour les conseils municipaux des communes de moins de 3 élections européennes de 1999 9

2. L'avancée significative que représentait la loi du 6 juin 2000 pour les élections de 2004 10

II - LA RÉFORME ENVISAGÉE DEVRAIT PERMETTRE DE PRÉSERVER LES ACQUIS DE LA PARITÉ 10

A. LA RÉFORME PROPOSÉE PRÉVOIT UN DISPOSITIF CONTRAIGNANT VISANT À ASSURER LA PARITÉ 11

1. Les élections régionales 11

2. Les élections européennes 13

B. LA NÉCESSITÉ DE RESTER VIGILANTS SUR L'OBJECTIF DE PARITÉ 15

1. Pour les prochaines élections européennes 15

2. Lors d'une éventuelle réforme des élections sénatoriales 16

3. Assurer une meilleure représentation des femmes au sein des exécutifs locaux 16

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 17

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES 19

ANNEXE : LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 21

MESDAMES, MESSIEURS,

La parité est un élément de démocratie de la vie politique et une expression novatrice de l'esprit républicain. Elle repose sur le droit pour tout individu, quelles que soient ses caractéristiques personnelles, d'accéder, à valeur égale, à une place égale dans la société.

Dans le domaine politique, la parité a été reconnue par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999. Selon l'article 3 de notre Constitution, "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives."

Depuis cette date, les modifications des lois électorales doivent être jugées à l'aune de cet objectif constitutionnel.

La loi du 6 juin 2000, première loi prise en application de la loi constitutionnelle, visait spécifiquement à introduire des dispositions paritaires dans le code électoral.

L'actuel projet de loi concernant les élections régionales et européennes propose à la fois des modifications de mode de scrutin et des dispositions visant à favoriser la parité.

C'est sur ces dernières et seules dispositions que la Délégation aux droits des femmes a souhaité émettre des recommandations. Elle a été saisie du projet de loi, à sa demande, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Dès le mois de juillet 2001, votre rapporteure constitutionnelle, selon laquelle les partis contribuent à la mise en _uvre du principe énoncé à l'article 3.

Au-delà de l'insertion de dispositions spécifiques dans les textes, il appartient en effet aux partis d'adhérer entièrement à la réforme constitutionnelle et d'être vigilants sur sa mise en _uvre.

De manière générale, au-delà de l'égalité dans la représentation politique, il convient plus largement de donner aux femmes les moyens d'investir l'ensemble des lieux de responsabilité administratifs, économiques et sociaux. L'exigence d'égalité doit être diffusée dans toute la société française pour parvenir à stimuler l'évolution des mentalités et à donner aux femmes la reconnaissance de leur juste place.

I - LE FONDEMENT CONSTITUTIONNEL DE L'OBJECTIF DE PARITÉ POLITIQUE A PERMIS DES AVANCÉES SIGNIFICATIVES POUR LES FEMMES AUX ÉLECTIONS AU SCRUTIN DE LISTE

La loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 permettant au législateur de prendre des mesures favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives a eu des effets presque immédiats. La loi du 6 juin 2000, concernant l'ensemble des élections au scrutin de liste et les élections législatives, a été appliquée aux élections municipales de mars 2001, aux élections législatives de juin 2001 ainsi qu'aux élections pour le renouvellement des sénateurs de septembre 2001.

Dans le cadre de ce rapport, il ne sera pas fait mention - sauf pour en regretter le très faible impact - des dispositions visant à favoriser la parité aux élections législatives (1).

Le projet de loi concernant des élections au scrutin de liste - les élections régionales et européennes -, le rapport se concentrera sur les avancées significatives de la loi du 6 juin 2000 pour les élections au scrutin de liste.

A. DES RÉSULTATS TANGIBLES AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES ET SÉNATORIALES AU SCRUTIN PROPORTIONNEL DE 2001

1. La juste reconnaissance de la place des femmes dans les conseils municipaux des communes de 3 500 habitants et plus

La loi du 6 juin 2000 était applicable aux élections municipales dans les communes de 3 500 habitants et plus.

Alors que les élections de 1995 s'y étaient déroulées en dehors de toute disposition favorisant la parité, les femmes y représentaient déjà 25,7 % des élus.

Avec les nouvelles dispositions de la loi du 6 juin 2000, les élections de mars 2001 ont été organisées avec, pour chaque liste, une obligation de parité par tranche de six candidats (trois hommes et trois femmes par tranche de six).

On a pu constater un progrès considérable de la parité, puisque les femmes représentent 47,5 % du total des conseillers municipaux. Le système retenu n'a pas permis d'obtenir la parité exacte (50 % de femmes). Cela s'explique par des élections de 2001, il y avait 30,1 % de femmes parmi les conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants (contre 21 % en 1995). Dans ces communes, 118 321 femmes ont été élues conseillères municipales.

Certes, on est loin d'une parité stricte, mais ce résultat très significatif est le fruit d'une évolution spontanée, les têtes de liste n'ayant aucune obligation légale en matière de parité. Il s'explique probablement par l'effet psychologique d'entraînement des débats politiques et citoyens au moment du vote de la loi du 6 juin 2000 sur la parité. Il est vrai également que les enjeux de pouvoir sont assez faibles dans les petites communes, ce qui a pu faciliter l'élection de femmes.

La possibilité de panachage permet aux électeurs de rayer tel ou tel candidat. Aucune statistique précise n'est disponible. Cependant, l'impression générale des bureaux de vote est que les femmes candidates ne sont pas plus rayées que les hommes. Cela prouve qu'une femme n'a pas de handicap spécifique pour se faire élire par le corps électoral.

3. Un effet positif pour les élections sénatoriales au scrutin proportionnel

Jusqu'au renouvellement de 2001, le Sénat était un bastion fermé à la parité. Force est donc de se réjouir de la réforme du scrutin sénatorial qui a étendu le scrutin proportionnel de liste à tous les départements élisant plus de deux sénateurs (contre plus de quatre auparavant) et imposé une parité stricte entre les femmes et les hommes sur les listes.

Le bilan de l'application de la loi aux élections sénatoriales du 23 septembre 2001 (renouvellement de la série B) est très positif.

Trois aspects méritent notamment d'être soulignés :

- Tout d'abord, le rééquilibrage des sexes est très net puisque, parmi les 101 sénateurs sortants, il n'y avait que 7 femmes (soit 6,9 %), alors qu'il y en a 22 (soit 21,6 %) parmi les 102 élus ou réélus. Le nombre de femmes a plus que triplé.

- Par ailleurs, l'arrivée des femmes a eu aussi un effet de rajeunissement puisque la moyenne d'âge des femmes élues ou réélues est de 53,9 ans, contre 59,3 ans pour les hommes.

- Enfin, la réforme a permis une véritable respiration démocratique en empêchant les ententes entre quelques élus importants qui additionnent leur clientèle pour monopoliser le pouvoir.

La preuve de l'impact extrêmement positif de la réforme apparaît de manière encore plus flagrante lorsque, parmi les 102 sénateurs élus ou réélus en 2001, on distingue ceux qui ont continué à être élus au scrutin majoritaire. Parmi les 28 sénateurs élus au scrutin majoritaire, il n'y a en effet que deux femmes (7,14 %). Au contraire, parmi les 74 sénateurs élus à la proportionnelle avec obligation de parité, il y a 20 femmes (27,03 %).

B. DES SUCCÈS PRÉVISIBLES AUX ÉLECTIONS RÉGIONALES ET EUROPÉENNES DE 2004 SI ELLES S'ÉTAIENT DÉROULÉES l'opinion en faveur d'une plus juste représentation des femmes, les têtes de listes se sont cependant efforcées d'introduire un certain équilibre entre les femmes et les hommes.

Certes, pratiquement aucune liste n'a été constituée de façon véritablement paritaire. Certes, le pourcentage d'hommes dans le premier tiers de chaque liste était presque toujours plus important que dans le dernier tiers. Il n'en reste pas moins que tant pour les élections régionales que plus encore pour les élections européennes, on a pu constater un net progrès de la parité. Les femmes représentaient ainsi 25 % des conseillers régionaux à l'issue des régionales de 1998 et 40,2 % des élus français au Parlement européen à l'issue des élections européennes de 1999.

2. L'avancée significative que représentait la loi du 6 juin 2000 pour les élections de 2004

En application des lois du 19 janvier 1999 et du 6 juin 2000, le scrutin pour les prochaines élections régionales devait avoir lieu à la proportionnelle à deux tours, avec prime majoritaire et obligation de parité par tranche de six candidats, comme pour les municipales. On a vu dans le cas des municipales de mars 2001 que cette obligation s'est révélée particulièrement efficace. En 2004, cette disposition devait permettre aux conseils régionaux d'avoir une proportion de femmes de plus de 45 %.

La loi du 6 juin 2000 prévoit pour les élections européennes, organisées à la proportionnelle à un tour, avec des listes nationales, une obligation stricte de parité (alternance entre les femmes et les hommes). Il s'agit là de la disposition la plus efficace, car elle permet une répartition 50/50 des femmes et des hommes au Parlement européen.

A quelques exceptions près (nombre impair d'élus sur les grandes listes, élu unique pour les petites listes), la parité aurait pu être atteinte aux prochaines élections européennes de 2004, en application de cette loi.

II - LA RÉFORME ENVISAGÉE DEVRAIT PERMETTRE DE PRÉSERVER LES ACQUIS DE LA PARITÉ

Dans sa nouvelle rédaction, l'article 3 de la Constitution permet de légitimer l'adoption de mesures législatives en faveur de la parité. Il sert aussi de garde-fou préservant de tout retour en arrière. Une réforme des modes de scrutin susceptible d'entraîner un recul important de la parité pourrait, en effet, sans préjuger de l'appréciation souveraine du Conseil constitutionnel, être jugée inconstitutionnelle en application de l'effet "cliquet".

Selon M. Dominique Chagnollaud, directeur du Centre d'études constitutionnelles et politiques de l'université de Paris II, "l'effet "cliquet" - le fait de ne pas pouvoir revenir en arrière sur des droits constitutionnellement garantis - pourrait s'appliquer à une telle législation" (la réforme proposée) "dès lors que les garanties légales offertes par la législation précédente relèvent d'exigences constitutionnelles au regard de l'objectif consacré par l'article 3 de la Constitution". Le législateur, par son pouvoir discrétionnaire d'abrogation ou de élections régionales

Pour les élections régionales, le projet actuel vise à mieux assurer l'ancrage territorial des élus régionaux, sans faire disparaître le département.

Aux élections de 1998, les élections régionales s'étaient déroulées dans le cadre départemental. La réforme de 1999, qui devait être applicable aux prochaines élections de 2004, avait prévu le vote dans un cadre régional.

La réforme aujourd'hui proposée conserve le principe de la circonscription régionale, mais institue des sections départementales. Chaque liste est donc composée d'autant de sections qu'il y a de départements dans la région. Le nombre de candidats des sections départementales est égal à celui fixé par le code électoral pour la composition du collège électoral sénatorial augmenté de deux, de manière à pourvoir aux éventuelles vacances de siège survenant en cours de mandat.

Au soir de l'élection, les sièges sont attribués à chaque liste en fonction des voix obtenues par chacune d'entre elles à l'échelon régional, dans le cadre d'un système proportionnel avec prime majoritaire. Les sièges attribués à chaque liste dans la circonscription régionale sont ensuite répartis entre les sections départementales au prorata des voix obtenues par chacune dans chaque département, les sièges restant à attribuer étant répartis à la plus forte moyenne.

S'agissant de la parité, le projet de loi instaure la règle de l'alternance des candidats de chaque sexe (article 4 du projet de loi).

Il s'agit là d'un grand progrès, puisque la réforme introduite par la loi du 6 juin 2000 n'avait prévu la parité que par tranche de six candidats et que l'avant-projet de loi gouvernemental s'était arrêté à la parité par tranche de quatre candidats.

Même si in fine la répartition des sièges sera extrêmement complexe, l'électeur devrait avoir un choix clair le jour du scrutin : une liste régionale comportant des colonnes différentes pour chaque département, dans lesquelles figurent les candidats départementaux, un homme/une femme ou une femme/un homme alternativement.

La sanction de l'inobservation de la parité sera sans appel : la liste ne sera pas enregistrée à la préfecture, en application de l'article L.347 du code électoral.

On aurait pu penser aboutir ainsi à une parité parfaite, 50 % d'élus régionaux femmes, 50 % d'hommes. Ces chiffres ne seront pas atteints. Ils seront cependant très largement approchés dans la plupart des régions qui comprennent des départements ayant un nombre conséquent de sièges de conseillers régionaux. En revanche, pour les petits départements (Lozère : cinq sièges - Hautes-Alpes : six sièges - Alpes de Haute Provence : huit sièges), la parité sera plus difficilement réalisable.

En effet, d'une manière générale, comme l'ont souligné toutes les personnes auditionnées par la Délégation, comme pour la représentation proportionnelle, la pari

Cependant, il conviendra, jusqu'à l'adoption du texte, de rester vigilant sur les effets qu'induirait une modification des seuils. Dans l'hypothèse d'un abaissement des seuils, il conviendrait, en effet, de s'interroger sur la nécessité ou non d'introduire, comme c'est le cas pour les élections européennes, une parité des candidats figurant en tête des sections départementales.

2. Les élections européennes

Depuis la réforme de 1977, appliquée sans interruption depuis 1979, les élections européennes se déroulaient au scrutin de liste, selon une représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, dans le cadre d'une circonscription unique d'élection : le territoire national.

Depuis la loi du 6 juin 2000, l'alternance entre les femmes et les hommes était requise, sous peine du non-enregistrement de la liste au ministère de l'Intérieur (article 9 de la loi du 7 juillet 1977 modifiée).

Les prochaines élections de 2004 auraient donc vu s'instaurer une parité presque intégrale.

La réforme proposée aujourd'hui, dans le souci de rapprocher les députés européens de leurs électeurs et de représenter au Parlement européen les régions françaises dans leur diversité géographique, prévoit l'élection des parlementaires européens dans le cadre de huit grandes régions formant la nouvelle circonscription électorale.

Pour mieux représenter chacune des régions, chacune des huit grandes régions est subdivisée en sections régionales (25 au total). Les sièges à pourvoir sont répartis entre les grandes régions et entre les sections proportionnellement à leur population. Le nombre de candidats par section est égal au double du nombre de sièges attribué à chaque section.

Comme pour les élections régionales, les sièges sont attribués à chaque liste en fonction de leur score dans chacune des grandes régions. Les sièges attribués à chacune des listes sont ensuite répartis entre les sections, dans l'ordre décroissant des voix obtenues par chacune des listes.

Les sièges attribués à la liste arrivée en tête dans la circonscription sont répartis entre les sections qui la composent au prorata des voix obtenues par la liste dans chaque section. Lorsque cette attribution est opérée, les sièges restant à attribuer sont répartis entre les sections selon la règle de la plus forte moyenne.

Pour les listes suivantes, la répartition des sièges entre sections s'opère de façon analogue, dans la limite du nombre de sièges fixé pour chaque section.

Comme prévue par la loi du 6 juin 2000, l'alternance entre les femmes et les hommes sur les listes est maintenue.

Dans le cadre du nouveau mode de scrutin retenu, l'observation de cette règle n'aurait cependant pas été suffisante pour atteindre l'objectif de parité.

En effet, comme nous l'avons vu précédemment pour les élections régionales, la parité est plus difficile à respecter, voire impossible, dès lors qu'il mois de juillet 2002, le Gouvernement a modifié son avant-projet de loi et introduit le principe selon lequel devrait être respecté, outre l'alternance entre les femmes et les hommes, un principe de parité des candidats figurant en tête des sections régionales (article 17 du projet de loi).

Ainsi, dans chaque circonscription régionale composée de quatre sections départementales (Nord-Ouest et Est), il devra y avoir deux femmes, deux hommes comme têtes de section.

Dans chaque circonscription régionale formée de trois sections départementales - les plus nombreux (cinq) - il devra y avoir trois femmes, deux hommes ou deux hommes, trois femmes comme têtes de section.

Dans la circonscription particulière formée par l'Ile-de-France
- une seule circonscription -, la disposition paritaire concernant les têtes de section ne trouvera pas à s'appliquer, mais l'affectation de quatorze sièges à la circonscription permettra de faire jouer pleinement le mécanisme de l'alternance entre les femmes et les hommes et permettra d'assurer une vraie parité.

B. LA NÉCESSITÉ DE RESTER VIGILANTS SUR L'OBJECTIF DE PARITÉ

La réforme des modes de scrutin tente de concilier plusieurs objectifs, notamment la représentation géographique, la représentation des différentes sensibilités politiques, la proximité de l'électeur. L'objectif de parité n'est pas et n'a pas à être premier. Mais dans la mesure où la parité est devenue un objectif à valeur constitutionnelle, il faut rester vigilant, de manière à préserver les acquis de la parité lorsqu'ils sont bons et s'attacher à la faire progresser dans les autres cas.

1. Pour les prochaines élections européennes

Autant, comme nous l'avons évoqué supra, le mode de scrutin régional paraît assurer globalement de manière satisfaisante l'objectif de parité en raison notamment du grand nombre de sièges de la plupart des sections départementales, autant le mode de scrutin européen, en raison de ses sections régionales au nombre de sièges limités, devrait susciter plus de difficultés pour parvenir à l'objectif de parité.

Plusieurs modes de scrutin avaient été envisagés. Un mode de scrutin au sein de vingt-deux régions aurait été très néfaste à la parité pour les raisons précédemment évoquées, chacune des régions ne disposant que de quelques sièges. Le mode de scrutin le plus favorable à la parité et le plus lisible pour l'électeur aurait été un scrutin dans le cadre d'une circonscription formée de huit grandes régions. Ayant chacune entre six et quatorze sièges, à l'exception de l'outre-mer, qui en aurait eu seulement trois, il aurait permis un succès de la parité.

Pour d'autres raisons - le caractère artificiel ce ces grandes régions pour l'électeur, la volonté de représenter les régions françaises au Parlement européen -, c'est un autre mode de scrutin, assurément beaucoup plus complexe, qui a été choisi. Dans sa version définitive, avec alternance entre les femmes et les hommes et parité des têtes de sections régionales, il devrait cependant assurer une représentation relativement satisfaisante des femmes au Parlement européen.

Il appartient maintenant aux partis politiques, comme l'article 4 de la Constitution les y invite, à mettre en _uvre le principe de parité, c'est-à-dire à investir les femmes de telle manière qu'il y ait une parité d'élues et non de candidates. Cela implique que les femmes soient têtes de sections dans les régions que le parti estime gagnable et non pas, comme l'a évoqué M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'université de Paris X, dans les régions où les formations politiques "sont sûres de n'avoir aucun élu" ! Les nombreuses députées européennes sortantes devront faire valoir leurs droi Assurer une meilleure représentation des femmes au sein des exécutifs locaux

Même dans le cas des élections où les contraintes de parité s'avèrent efficaces, on constate que les femmes sont défavorisées lors de l'attribution des fonctions de responsabilité.

A l'issue des élections de 2001, le pourcentage de femmes maires était de 11,2 % dans les communes de moins de 3 500 habitants, alors qu'il n'était que de 6,7 % dans les communes de 3 500 habitants et plus. Ces chiffres prouvent qu'en l'absence de mesures contraignantes, la place des femmes se réduit au fur et à mesure que les enjeux de pouvoir sont plus importants.

Il y a actuellement une seule femme parmi les 101 présidents de conseils généraux et deux femmes parmi les 26 présidents de conseils régionaux.

Au niveau des adjoints au maire et des vice-présidents de conseil général ou régional, on constate tout aussi clairement les réticences du monde politique à l'égard de la parité. Faute d'indications statistiques, on se contentera d'estimations par sondages. Il en ressort qu'il y a seulement environ 30 % de femmes parmi les adjoints au maire de communes de 3 500 habitants et plus, environ 25 % parmi les vice-présidents de conseils régionaux et moins de 10 % parmi les vice-présidents de conseils généraux.

Certes, il n'est pas concevable d'imposer une parité stricte pour les fonctions exécutives, car leur répartition est tributaire des spécificités de chacun et des rapports personnels de confiance.

Il conviendrait cependant d'adopter des dispositions contraignantes pour améliorer la représentation des femmes au sein des exécutifs locaux.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux droits des femmes s'est réunie, le mardi 4 février 2003, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, pour examiner le présent rapport d'information.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a présenté l'ensemble des recommandations. Elle a évoqué des estimations qui lui ont été communiquées par le ministère de l'Intérieur et qui, du point de vue du respect de la parité aux élections régionales, seraient positives. Elle a également fait part de ses craintes pour les élections européennes, étant donné le faible nombre de sièges qui sera attribué à certaines sections régionales. Elle s'est donc félicitée de l'inscription dans le projet de loi de la parité des candidats figurant en tête des sections régionales pour les élections européennes. A la parité verticale, s'ajoutera désormais une parité horizontale.

M. Bernard Roman a estimé que, si l'on ne pouvait que se féliciter de l'introduction de l'alternance entre les femmes et les hommes sur les listes électorales, aussi bien pour les élections régionales que pour les élections européennes, il y avait cependant un risque de recul de la parité avec le système des sections retenues par le projet de loi. Évoquant les élections régionales, il a indiqué que les candidats figurant en tête des sections d& débat qui ne concerne pas directement la parité.

Mme Danièle Bousquet s'est interrogée sur la possibilité d'introduire aux élections régionales la parité des têtes de liste comme pour les élections européennes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a estimé avoir sauvé le mécanisme de la parité pour ces élections, mais elle a souligné qu'il faudrait se montrer très vigilants à l'avenir, notamment en ce qui concerne la réforme envisagée du mode de scrutin pour les élections sénatoriales. Sur ce point, elle a obtenu l'appui très ferme de son homologue du Sénat, Mme Gisèle Gautier.

M. Bernard Roman a indiqué que son groupe déposera de très nombreux amendements à ce texte, certains concernant l'amélioration de la parité aux élections régionales.

La Délégation a adopté ensuite l'ensemble des recommandations, le groupe socialiste s'abstenant.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES
PAR LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES

Le principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, reconnu par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 et mis en _uvre par la loi du 6 juin 2000, a permis des avancées significatives de la parité aux élections municipales et sénatoriales au scrutin de liste de 2001.

1. Dans le cadre de toute réforme des modes de scrutin, la Délégation estime qu'il convient, d'une part, de se montrer particulièrement vigilant sur le respect des acquis de la parité pour les élections au scrutin de liste et, d'autre part, de chercher à améliorer la représentation des femmes pour les élections au scrutin uninominal.

2. S'agissant de la réforme des modes de scrutin des élections régionales et européennes, la Délégation approuve l'adoption du principe d'alternance entre les femmes et les hommes sur les listes électorales pour ces deux élections.

3. Elle se félicite de la disposition imposant en outre la parité des candidats figurant en tête des sections régionales pour les élections européennes, rendue nécessaire par la faiblesse du nombre de sièges affectés à chacune de ces sections.

4. Elle souhaite que, conformément à l'article 4 de la Constitution, les partis contribuent à une mise en _uvre de l'objectif de parité à l'occasion de l'investiture des candidats figurant en tête des sections régionales pour les élections européennes.

5. Elle estime que des dispositions contraignantes doivent être adoptées pour améliorer la représentation des femmes au sein des exécutifs locaux, de manière à leur permettre d'accéder aux postes de responsabilité.

ANNEXE :

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES
PAR LA DÉLÉGATION ET COMPTES RENDUS
DES AUDITIONS

Personnalités entendues par la Délégation

Pages

10 décembre 2002

Mme Mariette Sineau, directrice de recherche au CNRS et au CEVIPOF-Sciences-Po

25

28 janvier 2003

M. Dominique Chagnollaud, directeur du Centre d'études constitutionnelles et politiques à l'université de Paris II

37

29 janvier 2003

M. Guy Carcassonne, professeur de droit à l'université de Paris X

45

Audition de Mme Mariette Sineau,
directrice de recherche au CNRS et au CEVIPOF-Sciences-Po

Réunion du mardi 10 décembre 2002

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous avons le plaisir de recevoir Mme Mariette Sineau, directrice de recherche au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences-Po, le CEVIPOF.

J'ai souhaité votre venue aujourd'hui, car lorsque vous étiez intervenue, au cours de la législature précédente, devant la Délégation, j'avais noté la pertinence et le réalisme de vos analyses concernant les femmes en politique. Vous avez vu clair rapidement, et le résultat des dernières législatives, malgré la réforme de la Constitution, le prouve. Or, nous avons besoin, nous, les femmes politiques, d'avoir à nos côtés des personnes telles que vous, ayant une expérience en ce domaine.

Vous avez écrit plusieurs ouvrages, "Des femmes en politique", en 1988, "Mitterrand et les Françaises. Un rendez-vous manqué", en 1995, "Profession : femme politique", sous-titré "Sexe et pouvoir sous la Vème République". En lisant ce dernier ouvrage, je me suis rendu compte que, bien que nous ayons avancé, de nombreuses questions se posent encore aujourd'hui. Il s'agit d'un combat permanent, que nous allons donc devoir mener ensemble.

Dès le mois de juillet dernier, j'ai prévenu le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur, le président de l'Assemblée nationale, ainsi que le président provisoire de l'UMP, que nous ne pouvions pas oublier le vote de la réforme constitutionnelle et que, si la réforme des modes de scrutin prévoyait, par exemple, un scrutin uninominal pour les élections régionales, cette loi pourrait être déclarée anticonstitutionnelle. En effet, l'article 3 stipule que la "loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives" ; cette disposition est applicable aux élections régionales, européennes ou cantonales.

Je souhaite que vous nous présentiez d'abord un bilan de la situation, puis que vous nous indiquiez les conséquences des réformes des modes de scrutin.

Mme Mariette Sineau : Je commencerai mon exposé par un bilan de l'application de la parité aux dernières élections législatives, puis j'évoquerai le problème de la réforme des modes de scrutin et ses conséquences éventuelles sur l'égalité politique entre les hommes et les femmes.

Tout d'abord, voici le bilan de l'application de la loi du 6 juin 2000 aux élections législatives de 2002.

Autant la loi du 6 juin 2000 est exemplaire dans son application aux scrutins de liste et a fonctionné comme un outil efficace pour promouvoir l'égalité entre hommes et femmes - nous l'avons vu aux élections municipales de 2001 et, dans une moindre mesure, aux élections sénatoriales de cette même année -, autant elle s'est avérée impropre à rééquilibrer le pouvoir entre les sexes lors des dernières législatives.

Dans le premier cas, l nombre d'élus obtenus - à partir desquels est calculée la seconde fraction de l'aide publique aux partis - rapporterait bien davantage que ce que coûteraient les pénalités financières pour non-respect de la parité des candidatures. C'est la raison pour laquelle les états-majors ont souvent choisi de reconduire les sortants - des hommes en majorité -, connus des électeurs, plus sûrs, à leurs yeux, de remporter l'élection.

Quels ont été, concrètement, les effets de la loi du 6 juin 2000 aux élections législatives ? Cette loi a eu pour effet tangible de faire exploser la proportion totale de candidates, passant de 23,2 % en 1997, à 39,3 % en 2002, soit une augmentation d'environ 70 %. Pour autant, la parité des candidatures hommes/femmes est loin d'avoir été atteinte.

Respectée ou approchée par plusieurs petites formations, la règle des 50/50 a été bafouée par tous les partis parlementaires à l'exception des Verts. Les partis de droite s'en sont davantage écartés que ceux de gauche, de sorte que la vague bleue a sans doute accentué la médiocrité du succès des femmes aux élections législatives. Nous pouvons penser qu'elles auraient été plus nombreuses à siéger au Palais-Bourbon si les électeurs avaient reconduit la majorité plurielle à l'Assemblée nationale.

A droite, l'UMP n'a présenté que 20,6 % de femmes et l'UDF 18,9 %. A gauche, le PS a investi 36,3 % de candidates, sans avoir pour autant tenu sa promesse de début de campagne d'accorder 40 % des circonscriptions à des femmes. Il a fait ainsi nettement moins bien que le Parti communiste, qui affichait 44 % de candidates. Les Verts ont été le seul parti de la gauche plurielle à investir 50 % de femmes.

Dès lors, le prix à payer par les grandes formations pour non-respect de la parité des candidatures est élevé. Selon les calculs effectués par l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, l'UMP aura une pénalité annuelle de 4 millions d'euros
- somme qui représente 15,8 % de son financement -, le PS, de 1,3 million d'euros - 9,1 % de son financement -, l'UDF, de 582 000 euros - 22 % de son financement -, le PC, de 119 000 euros, soit 4,2 % de son financement.

Les petits partis avaient, quant à eux, deux bonnes raisons de ne pas trop s'éloigner de la barre des 50 % de candidatures de chaque sexe. D'une part, ils n'avaient pas de sortants à ménager, et, d'autre part, ne disposant que de moyens financiers modestes, ils ne souhaitaient pas les voir amputer par des pénalités financières importantes. Ainsi, Lutte ouvrière et la LCR ont été irréprochables au regard de loi, proposant 50 % de femmes aux suffrages des électeurs. Bien d'autres petits partis, pourtant peu féministes dans leur programme comme dans leur doctrine, ont pratiqué la mixité des investitures. Ainsi, le mouvement Chasse, Pêche, Nature, Traditions, se targuait de 45,8 % de candidates, le Front national de 48,7 % et le MNR de 40 %.

S'il y a eu profusion de candidates, il n'y a eu qu'une poignée d'élues à l'arrivée. A l'issue des élections législatives, les femmes n'occupent à l'Assemblée que 71 sièges sur 577, contre 62 en 1997. Représentant 39,3 % de l'ensemble des candidats, et 35,7 % des candidats investis par les partis parlementaires, elles ne se retrouvent plus à l'arrivée que 12,3 % parmi les élus, contre 10,9 % en 1997. C'est ce que l'on peut appeler une progression à pas de fourmis, puisqu'en pourcentage cela représente une progression de 12,8 %, qui apparaît d'autant plus dérisoire lorsqu'on la compare à celle qui est intervenue en 1997. La proportion de femmes élues à l'Assemblée était passée de 5,9 % en 1993, à 10,9 % en 1997, soit une progression de plus de 80 %, sous le seul effet des 30 % de candidates que s'était fixé le parti socialiste. Il est vrai que le PS avait, à l'époque, très peu de sortants et avait pu imposer, sans trop de peine, une plus grande mixité des investitures.

Le décalage observé entre la part des femmes parmi les candidats et leur pourcentage parmi les élus informe sur la mauvaise qualité des investitures qui leur ont été attribuées en 2002. En fait, nombre de candidates n'étaient présentes dans la compétition que pour témoigner, sans avoir de chance réelle de l'emporter.

L'UMP, ultra majoritaire, partage, avec l'UDF le privilège d'avoir la plus faible proportion d'élues : respectivement 10,4 % - 38 femmes sur 365 élus - et 6,8 % - 2 sur 29. Le PS quant à lui ne compte que 23 femmes sur un groupe de 141 députés, soit 16,3 %, le PC, 4 sur 21, soit 19 %, et les Verts, une femme sur trois députés.

A défaut d'avoir féminisé leurs députés titulaires, les partis, pour compenser, ont féminisé les suppléants. Il est à noter que la proportion de suppléantes a presque doublé par rapport à la législature précédente, passant de 16,6 % à près de 30 %. On peut y voir là un effet diffus de la loi du 6 juin 2000, et au-delà, une façon pour les hommes de partis de soulager leur conscience.

Les communistes ont la plus forte proportion de supplé mandats électoraux. Ainsi, malgré une législation que l'on croyait avant-gardiste, la France reste à l'arrière-garde s'agissant de la représentation des femmes à la chambre basse. Avec ses 12,3 % de députés à l'Assemblée nationale, elle arrive aujourd'hui au 65ème rang mondial et au 13ème rang de l'Europe des Quinze, bien loin derrière les pays nordiques - environ 40 % de femmes à la chambre basse en Suède et au Danemark -, loin aussi des Pays-Bas et de l'Allemagne qui en comptent environ un tiers, ou encore des pays tels que l'Espagne, l'Autriche, la Belgique qui en ont environ un quart.

Je suis donc amenée à souligner, comme je l'avais d'ailleurs fait en 1999 devant cette même Délégation, les paradoxes de cette réforme dite de la parité. En effet, elle favorise la féminisation des assemblées qui sont déjà les plus féminisées et ne fait rien ou pas assez pour les autres, celles élues au scrutin uninominal, scrutin le plus dur pour les femmes, puisqu'il donne la prime à la fois aux sortants et aux notables locaux. La mise en _uvre de la réforme a bien abouti à ce que l'on redoutait : elle a creusé les écarts entre les assemblées élues à la représentation proportionnelle, féminisées ou en voie de féminisation assez rapide, et les assemblées élues au scrutin uninominal, qu'il s'agisse des assemblées départementales ou de l'Assemblée nationale, qui restent des bastions masculins.

Mme Catherine Génisson : Nous ne pouvons que constater combien le résultat est navrant. Pour le scrutin uninominal, la pénalisation financière n'a pas porté ses fruits. Je dirais même que la perversion est double, puisque les grands partis ne se sont pas sentis concernés par l'application de la parité et que les petits partis, eux, ont eu à c_ur de l'appliquer, non pour le principe de parité en tant que tel, mais pour pouvoir obtenir des financements.

Il est très difficile de trouver de bonnes solutions à l'application de la parité pour les scrutins uninominaux, mais ce qui est plus navrant, c'est que l'on soit obligé de réfléchir à une loi contraignante pour faire appliquer ce principe de parité ; cela veut dire que, culturellement, on n'avance pas. Or, nous aurions pu penser que les élections municipales auraient donné une impulsion de démocratie, au moins à nos partis politiques.

Je trouve qu'il existe une très forte distorsion entre l'attitude des partis politiques et l'appréciation qu'ont les citoyens de l'application de la parité - qu'ils se sont bien appropriés.

Mme Mariette Sineau : Il me semble qu'une première solution, assez simple à mettre en _uvre, réside dans la réglementation plus stricte du cumul des mandats. Lorsque les politiques ne pourront exercer qu'un seul mandat, cela atténuera les effets pervers du scrutin uninominal qui conduit les partis à n'accorder l'investiture qu'aux candidats les plus connus, à savoir le maire d'une ville importante de la circonscription ou le conseiller général. Bien entendu, l'obstacle des sortants sera toujours présent, mais cela atténuera l'effet d'exclusion des femmes au profit des notables locaux.

Je trouve donc vraiment dommage que cette réforme n'ait pas été men&eacu mandats - qu'à partir du moment où elles accéderont à des responsabilités ; il ne suffit pas d'être conseillère municipale.

Mme Mariette Sineau : Je m'étais bornée à l'application stricte de la loi sur la parité ; or, les exécutifs municipaux ne sont pas visés par cette loi. 47,5 % de femmes sont élues dans les conseils municipaux des villes de plus de 3 500 habitants - seules villes entrant dans le champ de la loi.

Je suis la première à déplorer que la loi ne soit pas allée plus loin, en prévoyant son application aux exécutifs municipaux et à l'intercommunalité.

Pour ne parler que de l'application de la loi, il convient de séparer les scrutins de listes, pour lesquels la loi est efficace - notamment quand ils sont à un tour -, et les scrutins uninominaux, pour lesquels ou bien la loi n'est qu'incitative (législatives) ou muette (cantonales). Je rappelle que dans les conseils généraux ne siègent que 10 % de femmes. Cela est d'autant plus grave qu'ils sont les viviers dans lesquels sont recrutés les parlementaires ; et à partir du moment où le cumul est possible, le système montre toute sa perversité. C'est la raison pour laquelle j'insiste sur la suppression du cumul des mandats.

Mme Chantal Bourragué : Nous constatons, dans ce dernier scrutin, une augmentation importante du nombre de femmes suppléantes. Cela leur donne une première approche de campagnes électorales très différentes de celles des scrutins de listes. Pourquoi y a-t-il très peu de femmes conseillères générales ? Parce qu'elles n'ont pas eu l'occasion d'avoir des responsabilités dans les villes.

En ce qui concerne la question du cumul, je suis favorable à deux mandats par élu : un local et un national. Si nous n'avons pas de mandat local, nous nous coupons de tous les problèmes locaux et nous perdons le contact avec le terrain.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Au moment du vote des lois relatives à la parité, j'avais mis l'accent sur deux points. D'une part, la parité dans les conseils municipaux serait, pour les femmes, un tremplin qui leur permettrait de se présenter ensuite aux élections législatives. Et nous pouvons constater que les femmes députées de l'UMP, élues aux dernières élections, ont un parcours d'élues municipales ou de conseillères générales. D'autre part, j'avais rappelé la proposition de loi que j'avais déposée en 1999 relative à la création de suppléants auprès des conseillers généraux
- pourquoi pas de sexe opposé -, de manière à éviter de trop nombreuses élections cantonales partielles. Automatiquement, cela conduirait à accroître le nombre de femmes conseillères générales.

Il n'est pas facile de trouver des femmes qui veuillent bien se présenter à un scrutin uninominal, notamment si elles n'ont pas acquis une expérience grâce à un premier mandat de terrain. Je ne pense donc pas que l'interdiction du cumul des mandats résoudra le problème de la présence des femmes en politique. Par ailleurs, outre l'expérience de terrain, pour être investie, une femme doit être connue - dans sa ville ou dans son conseil municipal.

Mme Catherine Génisson : Madame la présidente, je vous le dis avec humour, je trouve intéressante votre proposition concernant la création de suppléants pour les conseillers généraux, mais je pense que le fait de supprimer les cantonales partielles empêcherait les sondages sur le terrain de l'évolution des forces politiques en présence !

En ce qui concerne l'application de la loi relative à la parité pour les élections municipales, il est vrai qu'elle n'a eu d'effet que pour la présence des hommes et des femmes sur les listes, mais elle a tout de même permis à près de 50 % des femmes de se faire élire dans les communes de plus de 3 500 habitants, et à près de 30 % de femmes de se présenter sur les listes municipales. Contrairement aux idées reçues, les femmes sont plus nombreuses dans les petites communes !

Pour autant, l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, dans son évaluation de la parité pour les élections municipales, avait indiqué qu'une évaluation devrait avoir lieu trois ans après l'application de la loi, non seulement sur la place des femmes, mais également, et surtout, quant aux responsabilités des femmes dans les exécutifs municipaux et dans les structures intercommunales - ce qui pose d'ailleurs le problème de la modification du mode de scrutin pour l'élection de ces structures, afin d'imposer une parité.

S'agissant du problème du cumul des mandats, je serais tentée de suivre la proposition de Mme Mariette Sineau, car j'ai toujours été défavorable au cumul. Pour autant, je dois témoigner de la difficulté à exercer un mandat unique - je suis moi-même conseillère municipale - pour continuer à exister durablement en politique. Je trouve que se pose également un autre problème s'agissant du cumul des mandats, lorsque l'un est exercé dans un exécutif, l'autre en tant que législateur. Etre à la fois juge et partie pose, me semble-t-il, un véritable problème institutionnel. Le côté complémentaire de cette dualité de mandats peut se discuter.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Les conseillers généraux et municipaux ne sont pas membres d'un exécutif.

Mme Catherine Génisson : Ils sont tout de même chargés d'appliquer la loi.

Second point concernant le non-cumul des mandats : si nous conservons le scrutin uninominal aux élections législatives, il sera très difficile, compte tenu de la façon dont le citoyen nous per&cced rapport de M. Bernard Roman sur le cumul des mandats : on ne cumule outrageusement qu'en France : près de 80 % des députés sont en situation de cumul !

Et ce cumul a des conséquences. Premièrement, le Parlement ne joue pas son rôle, notamment celui de contrôle du Gouvernement. Tout le monde dénonce le Parlement croupion de la République, mais les députés devraient commencer par appliquer la Constitution et leur fonction de contrôleur du Gouvernement. Or, nous savons tous que l'on ne peut pas être à la fois un bon député-maire ou un bon député-président de conseil général ! Frédéric Bredin disait très justement : "On n'est pas député-maire, mais maire-député, car si l'on doit négliger une fonction, ce sera celle de député".

Deuxièmement, il existe une confusion des intérêts entre ce qui relève des fonctions législatives et des fonctions exécutives, ou entre les intérêts locaux et l'intérêt de la Nation, ce qui n'est pas sain pour la démocratie. La France est le seul pays à faire du déviationnisme dans ce domaine. Il faudra donc un jour s'interroger sur les raisons de ces pratiques d'accumulation, qui visent à empiler les pouvoirs, mais aussi les ressources financières qui vont avec. Nous ne pourrons limiter le cumul des mandats de façon drastique que lorsqu'on aura résolu le problème du statut de l'élu local, en lui donnant un certain nombre de garanties, par exemple, quand il lui sera plus facile de réintégrer la vie active ou d'obtenir davantage d'assurance quant à la retraite. Des progrès ont été réalisés dans la loi de février 2002 sur la démocratie de proximité.

Troisièmement, un certain nombre de catégories sociales sont exclues du Parlement : les jeunes, les femmes, les ouvriers et les employés n'ont pas véritablement accès à la fonction de députés. Ceux-ci sont majoritairement des hommes d'un certain âge, ayant fait des études supérieures. Or, il n'est pas nécessaire d'avoir fait une grande école pour légiférer ! Nous ne devons donc pas nous étonner du divorce entre les Français et les politiques.

Madame la présidente, vous avez évoqué l'entrée des femmes en politique par la voie de la suppléance. Pourquoi pas, mais s'il s'agit encore une fois d'une entrée par la petite porte, et si nous devons compter sur cette méthode pour que les femmes représentent 50 % des élus dans les assemblées, nous y serons encore en l'an 3000 !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il est vrai qu'il est difficile de cumuler un mandat de maire, de président de conseil régional ou de président de conseil général avec un mandat parlementaire ; j'en suis tout à fait convaincue. En revanche, le cumul est parfaitement possible avec un mandat de conseiller municipal. Je dirais même que c'est nécessaire pour nos administrés. En effet, nous ne pouvons pas faire un travail de terrain aussi efficace, si l'on a seulement un mandat de parlementaire.

Mme Chantal Bourragué : La loi sur les cumuls a été modifiée en 2000  ; nous ne savons donc pas encore quels effets elle va produire. Attendons avant de voter un 160;présidente : Je voudrais revenir sur la notoriété que nous devons tous acquérir, hommes et femmes, pour pouvoir nous présenter à une fonction parlementaire. Cette notoriété, nous ne pouvons l'acquérir que grâce à notre travail sur le terrain.

En ce qui concerne les suppléants, il ne s'agit pas, dans mon esprit, d'une fonction dégradante - au contraire, on apprend le métier - ni d'un prête-nom, mais d'un rôle à part entière. S'il m'arrive quelque chose, mon suppléant sera prêt à assumer la fonction de député, car il aura travaillé avec moi.

Mme Mariette Sineau : Prenons l'exemple des élections législatives de 1997, pour lesquelles le parti socialiste a investi près de 30 % de femmes ; nombre d'entre elles ont été élues. D'aucuns pensaient qu'elles allaient faire perdre le parti socialiste, et finalement, non seulement elles ne l'ont pas fait perdre, mais elles l'auraient plutôt fait gagner. Et un certain nombre de femmes qui n'avaient pas de mandat local ont été élues. Il s'agit donc d'un faux problème ! Un problème d'autant plus faux que, si l'on supprime le cumul, tout le monde sera logé à la même enseigne : il n'y aura plus de problème de notoriété.

Enfin, s'agissant de la réforme du cumul des mandats qui irait dans un sens plus restrictif, elle n'est pas d'actualité. Au contraire, il est même question d'une plus grande tolérance. En effet, il est envisagé de permettre aux députés européens - qui avaient été brimés lors de la dernière réforme, puisqu'ils étaient les seuls à ne pas pouvoir cumuler leur mandat avec un exécutif local - de pouvoir le cumuler à nouveau avec une fonction de maire ou de président de conseiller général ou régional.

J'en viens maintenant à la seconde partie de mon exposé : les réformes des modes de scrutin et leurs incidences sur la parité hommes/femmes.

Les projets tels qu'ils ont été envisagés par le Gouvernement sont à mes yeux assez alarmants, dans la mesure où ils risquent de vider la loi du 6 juin 2000 de toute portée et d'aboutir à un recul de la place des femmes dans les assemblées. Pour les élections européennes, nous passerions de la représentation proportionnelle intégrale, fonctionnant dans l'ensemble du territoire, à une représentation proportionnelle dite approchée, se déroulant dans le cadre des régions. A la liste nationale présentée par chaque parti, se substitueraient 22 listes conduites dans chaque région par un chef de file.

La répartition des élus s'effectuerait proportionnellement à la population, sauf peut-être pour les petites régions, auxquelles seraient réservés deux sièges. Variante de cette réforme : instituer des circonscriptions interrégionales, c'est-à-dire des groupes de régions.

Par ailleurs, et conformément à ce que prévoit le traité de Nice, le nombre total d'élus de la délégation française au Parlement européen va diminuer, passant de 87 à 72 (chiffre porté à 78 à l'issue du Conseil européen de Copenhague)- ce qui renforcera le fait majo déroulerait la représentation proportionnelle. Autrement dit, cela revient à atténuer l'effet proportionnel du scrutin. Cela est mauvais, non seulement pour les petits partis, mais également pour l'égalité politique hommes/femmes. En effet, la règle est la suivante : plus le nombre de sièges à distribuer est petit, moins la représentation est proportionnelle, et plus les femmes et les petits partis sont désavantagés. L'étroitesse du cadre a pour effet quasi mécanique de redonner la prime aux notables implantés localement - des hommes le plus souvent -. Il est donc moins facile aux chefs de parti, d'imposer des femmes à des positions éligibles sur des listes courtes, que lorsque la représentation proportionnelle se déroule dans un ensemble plus vaste.

S'agissant des élections européennes, les plus favorables aux femmes, puisqu'il s'agit d'une élection à un tour pour laquelle la loi impose une alternance du début jusqu'à la fin de la liste, le passage du cadre national au cadre régional pourrait véritablement vider la loi du 6 juin 2000 de son contenu. En effet, la régionalisation des élections européennes entraînera la confection de listes courtes, voire très courtes - deux ou trois députés. Nous pouvons donc redouter ce qui s'est déjà passé, en partie, pour les sénatoriales, à savoir que les hommes ne tentent de détourner la loi en multipliant les listes. C'est-à-dire choisir de se présenter en tête d'une liste dissidente plutôt que de rester deuxième sur la liste officielle, en prenant le risque d'être battu.

Si la réforme à venir prenait comme cadre non plus la région, mais des groupes de régions, alors nous pouvons penser que les conséquences pourraient être un peu moins sévères pour les femmes, chaque liste pouvant comporter une dizaine de noms. Il n'empêche que, même dans ce cas, il pourrait y avoir régression du nombre de femmes élues au Parlement européen.

En 1999, avec la représentation proportionnelle intégrale, et sans loi incitative, il y a eu 40 % de femmes élues à la délégation française au Parlement européen. En 2004, avec une loi dite de parité, mais une proportionnelle approchée, la proportion d'euro-députés femmes risque bien de passer en dessous du seuil des 40 %.

Tout se passe comme si la représentation proportionnelle intégrale était un meilleur gage de féminisation qu'une loi de contingentement, autoritaire, fonctionnant avec une proportionnelle appliquée dans un cadre étroit.

Autre réforme envisagée à un moment donné - je ne sais pas où nous en sommes -, la réforme sénatoriale. Le Sénat a effet, il y a quelque temps, envisagé d'accepter la réduction de la durée du mandat de ses membres de 9 à 6 ans, sous certaines conditions, notamment la réduction de l'application de la représentation proportionnelle. Aujourd'hui, les sénateurs sont élus à la représentation proportionnelle dans les départements comportant trois sièges ou plus - soit les deux tiers d'entre eux. Le Sénat souhaitait le rétablissement de l'élection de sénateurs au scrutin majoritaire dans tous les départements comptant jusqu'à 4 sièges. Si tel était le cas, la moit size="+0">En conclusion, je dirai que le futur ne paraît pas radieux pour l'avenir politique des femmes, puisque ni le Gouvernement, ni le ministre de l'Intérieur n'envisage de réviser la loi du 6 juin 2000 pour tenter d'en combler les lacunes. Et que toutes les réformes des modes de scrutin qui sont proposées vont, au contraire, dans le sens d'une perte de substance de la loi dite de parité par le biais de l'affaiblissement de la proportionnelle. Il y a fort à parier que cela va aboutir de façon quasi mécanique à une moindre représentation des femmes, comme des petits partis, dans les assemblées élues.

A travers ces réformes, le gouvernement avait pour objectif d'atténuer l'effet d'émiettement et de renforcer la cohérence majoritaire. L'objectif sera sans doute atteint, mais le prix à payer pour les femmes sera élevé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est un combat que je mène depuis juillet et que je compte poursuivre.

Mme Mariette Sineau : S'agissant des élections européennes, la plupart des pays ont un cadre national. On peut se demander si régionaliser ce mode de scrutin a véritablement un sens politique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je ne suis pas totalement contre la régionalisation, dans la mesure où de telles élections donneront un visage aux députés européens ; très peu de monde connaît son député européen ! Cela étant dit, nous ne pouvons faire l'économie, aujourd'hui, de la parité en politique au niveau européen.

Mme Hélène Mignon : J'ai été très étonnée de la représentation féminine espagnole, qui est importante.

Mme Marie-Jo Zimmermann,  présidente : Depuis le mois de juillet, je reçois régulièrement des délégations d'autres pays, qui viennent prendre exemple sur notre loi de parité. Je ne suis pas très fière de leur annoncer le nombre de femmes siégeant à l'Assemblée nationale. Mais dans les pays où les femmes sont bien représentées, il s'agit de scrutins de liste.

Mme Mariette Sineau : Le scrutin de liste n'est pas tout ; ce qui est important, c'est le degré de proportionnalité. En cassant la proportionnalité du scrutin européen, on raye la loi du 6 juin 2000 d'un trait de plume. Par ailleurs, les régions françaises sont tellement petites que cela n'a guère de sens.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On peut d'ailleurs se demander si une telle réforme est constitutionnelle. Car les propositions qui sont faites aujourd'hui concernant les élections européennes semblent aller à l'encontre de l'article 3 de la Constitution.

Mme Mariette Sineau : La question a effectivement été soulevée.

L'argument de poids est de dire que pour améliorer la démocratie, pour réduire le fossé existant entre les Français et les politiques, une meilleure représentativité socio-culturelle est nécessaire. Or les projets actuellement en cours d'élaboration vont à l'encontre de ces objectifs.< exacte de la société, il faut simplement qu'il n'y ait pas un trop fort décalage entre la population et les politiques.

Je n'ai jamais dit que les jeunes devaient représenter les jeunes, les femmes représenter les femmes, etc. Je pense simplement qu'un représentant du peuple ne défend pas forcément les mêmes valeurs, selon s'il est un homme, une femme de 60 ans ou une femme de 25 ans, une femme employée ou une femme énarque.

Mme Claude Greff : Alors nous ne sommes pas de bons députés, car nous sommes élus pour représenter l'ensemble de la population.

Mme Hélène Mignon : Je ne pense pas que la défense des valeurs varie selon l'âge ; nous n'avons simplement pas la même façon de les défendre, quel que soit notre âge.

Le vrai problème de la femme est le suivant : pourquoi les femmes arrivent-elles tard en politique ? Parce qu'elles assument les charges familiales. Par ailleurs, les jeunes seraient certainement plus attirés par la politique s'il existait, en France, un statut de l'élu. Aujourd'hui, celui qui perd son mandat n'est par certain de retrouver un travail
- contrairement à la Norvège où un jeune de 22/23 ans peut, après un mandat, réintégrer très facilement la vie civile.

Mme Bérengère Poletti : Ce n'est effectivement pas un hasard si une grande majorité de parlementaires est composée de fonctionnaires. Il est très difficile, pour les salariés du privé, à la perte de leur mandat, de retrouver un emploi. Les jeunes ont une carrière professionnelle à mener, ils n'ont pas forcément envie de s'engager en politique. Et, s'agissant des femmes, il est vrai que, culturellement, rien n'est fait pour qu'elles puissent à la fois s'occuper de leurs enfants et s'engager dans des postes à responsabilité.

Mme Mariette Sineau : Pour que les choses changent, pour que la garde des enfants ne soit pas éternellement dévolue aux femmes, pour qu'il y ait plus de crèches et de maternelles, les jeunes sont indispensables au Parlement. Pensez-vous que ces dossiers auraient été traités de la même manière s'il y avait plus de jeunes femmes au Parlement depuis 1945 ? C'est la raison pour laquelle je suis persuadée que les affaires du pays ne sont pas traitées de la même façon par un homme, dont l'épouse est le plus souvent à plein temps à la maison, et par une femme, qui a à gérer les affaires domestiques.

Pour que la garde des jeunes enfants ne relève pas du rôle individuel des mères et qu'elle soit traitée comme un véritable dossier politique, il est nécessaire que des jeunes parents siègent au Parlement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Un gros travail est actuellement réalisé par le ministère de la famille sur ce sujet, notamment sur les choix de garde
- crèche, halte garderie, personnel à domicile. Mais il s'agit d'un travail de longue haleine, car il ne se fera pas uniquement au niveau politique : il faut tenir compte du système professionnel et culturel.

Mme Bérengère Poletti : Il ne s'agit pas uniquement du choix de garde, mais de la place de l'enfant avec le parent, dans sa vie active. Dans les pays scandinaves, l'enfant accompagne très facilement le parent sur son lieu de travail.

Mme Hélène Mignon : S'il y a un grand nombre de femmes politiques dans les pays scandinaves, il faut savoir qu'elles sont bien moins nombreuses aux postes de responsabilité dans le secteur économique.

Mme Patricia Adam : La loi sur la démocratie de proximité prévoyait une aide aux élus en ce qui concerne la garde d'enfants. Or, les décrets ne sont pas encore sortis.

Mme Hélène Mignon : En Norvège, le ou la député a la possibilité de s'arrêter pendant un an, son suppléant assurant l'intérim.

Mme Mariette Sineau : Les pays scandinaves sont dotés d'un système de garde d'enfants incroyable : les municipalités sont tenues d'accueillir les jeunes enfants après le congé parental. Il ne s'agit donc pas simplement d'un problème culturel ; ce dossier a été traité politiquement.

Audition de M. Dominique Chagnollaud,
directeur du Centre d'études constitutionnelles
et politiques de l'université de Paris II

Réunion du mardi 28 janvier 2003

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous accueillons aujourd'hui M. Dominique Chagnollaud, directeur du Centre d'études constitutionnelles et politiques de l'université de Paris II.

Alors que l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes vient d'être installé aujourd'hui par le Premier ministre, je souhaite en ma qualité de rapporteure générale faire part de mes inquiétudes sur les dangers encourus par la parité avec la réforme des modes de scrutin envisagée pour les prochaines élections régionales et européennes.

Le nouveau mode de scrutin me semble poser des problèmes, non seulement pour la parité, mais également en matière de constitutionnalité. En effet, l'article 3 de la Constitution stipule que "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives". Depuis le mois de juillet, j'attire l'attention sur le fait que, si l'on adopte pour les élections européennes un système de circonscriptions composé de sections régionales, la loi risque d'être anticonstitutionnelle.

Nous souhaitons, M. Chagnollaud, recueillir votre point de vue sur le mode de scrutin très complexe retenu pour les élections européennes. Pour ma part, je souhaite que l'on maintienne un mode de scrutin fondé sur huit grandes régions, sans découpage en sections régionales. Cela serait plus lisible et cohérent pour l'ensemble des Français.

M. Dominique Chagnollaud : Je vous rappellerai d'abord les principes constitutionnels et leur application aux projets actuels - sous réserve de disposer d'éléments plus complets sur la réforme proposée.

La loi du 6 juin 2000 fait obligation aux listes présentées lors d'un scrutin proportionnel à deux tours de comporter un nombre égal de candidats de chaque sexe, cette égalité devant s'apprécier au sein de chaque groupe entier de six candidats, dans l'ordre de présentation de la liste. Pour les élections sénatoriales et européennes qui n'ont qu'un tour, la loi impose que chaque liste soit composée alternativement d'un candidat de chaque sexe. Je ne rappellerai pas ici les dispositions applicables aux élections législatives et aux élections régionales.

Une décision très importante a été rendue le 30 mai 2000 par le Conseil constitutionnel, sur la saisine de plus de soixante sénateurs. Elle donne un certain nombre de réponses aux questions que l'on peut se poser sur le projet actuel.

Tout d'abord, le Conseil constitutionnel a constaté que l'intention claire du constituant, telle qu'elle ressortait des débats parlementaires, était non sans doute d'obliger, mais assurément d'autoriser le législateur, à instaurer des règles contraignantes quant au sexe des candidats aux élections politiques dont le mode de scrutin pouvait se prêter à une telle réglementation.

La portée de la révision constitutionnelle e l'objectif constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.

La question qui se pose est de savoir s'il y a un effet "cliquet", c'est-à-dire si les droits constitutionnellement garantis en matière d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux le sont aussi s'agissant des dispositions nouvelles qui pourraient être prises par le législateur.

Le Conseil constitutionnel pourrait considérer, en cas de saisine, que le législateur ne saurait revenir en arrière s'agissant de droits ou libertés protégés, dès lors que les garanties légales offertes par la législation précédente relèvent d'exigences constitutionnelles au regard de l'objectif consacré par l'article 3 de la Constitution en vertu duquel "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux". En conséquence, l'effet "cliquet" - le fait de ne pas pouvoir revenir en arrière sur des droits constitutionnellement garantis - pourrait s'appliquer à une telle législation. Cela ne reviendrait pas pour autant à considérer que le Conseil constitutionnel dispose d'un pouvoir d'appréciation en opportunité, mais simplement à constater qu'il n'est pas possible d'offrir des garanties moindres.

Enfin, je rappelle que le Conseil constitutionnel impose un objectif d'intelligibilité de la loi - objectif à valeur constitutionnelle -, qui vaut dans tous les domaines par rapport aux destinataires de cet objectif. Il est bien clair, par exemple, qu'en matière fiscale ou en droit des sociétés, il faut que les professionnels ou les juristes puissent comprendre ; en matière de droit électoral, on peut considérer que les destinataires sont les citoyens.

S'agissant des projets du Gouvernement, j'en ai pris connaissance dans le journal Libération. Chaque entité régionale élira plus ou moins d'élus en fonction de son importance démographique. Comme vous le savez, l'effet proportionnel est fonction du mode de scrutin - le scrutin de listes étant plus favorable - et surtout fonction du nombre de sièges à pourvoir.

En ce qui concerne les élections européennes, par définition, le faible nombre de sièges à pourvoir et la petitesse de certaines sections régionales atténuent de facto l'effet redistributeur à la fois "verticalement" - c'est le problème de l'alternance homme/femme - mais aussi "horizontalement", c'est le problème des têtes de listes. Il est donc clair que le législateur devrait se fixer un objectif qui soit au moins équivalent à celui décidé précédemment. Le système proportionnel est un moyen conforme à l'objectif constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, à condition d'être aménagé. Il est clair que les dispositions, telles qu'elles étaient envisagées il y a quelque temps, pouvaient laisser à penser que le dispositif était restrictif par rapport aux droits constitutionnellement garantis.

En conséquence, la solution serait d'instaurer, pour les têtes de sections régionales, le principe horizontal et vertical d'alternance homme/femme ; cela permettrait de tenir compte, encore une fois, du fait que dans certaines petites régions, un seul siège est à concerne la parité ; ce sont les élections européennes qui posent problème.

M. Dominique Chagnollaud : S'il y a bien alternance homme/femme, le projet de loi correspond alors parfaitement à l'objectif à valeur constitutionnelle d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.

En ce qui concerne les élections sénatoriales - il s'agit d'une réflexion sur ce sujet, car je ne connais pas les dispositions qui seront soumises au Parlement -, le projet qui viserait à limiter la proportionnelle aux départements qui désigneront au moins quatre sénateurs, au lieu de trois actuellement, atténuerait sensiblement l'effet de la parité : en effet, plus vous diminuez le nombre de départements où s'applique la proportionnelle, plus vous diminuez l'effet de la parité.

Cette éventualité entrerait directement en conflit avec l'objectif à valeur constitutionnelle de l'article 3, et surtout avec les dispositions précédemment validées par le Conseil constitutionnel.

L'on pourrait cependant également appliquer aux élections sénatoriales une autre règle pour les sénateurs élus au scrutin uninominal : prévoir pour chaque candidat un suppléant du sexe opposé. Ce qui alors pourrait satisfaire globalement l'objectif.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce sont les élections européennes qui m'inquiètent. Que pensez-vous de la réforme du mode de scrutin - listes avec sections régionales, pour le respect de la parité ? A première vue, ce mode de scrutin a l'air bon. Mais le soir des élections, y aura-t-il autant de femmes qu'à l'heure actuelle au Parlement européen ? Le système, extrêmement compliqué, prévu pour l'attribution des sièges ne me semble pas le garantir.

M. Dominique Chagnollaud : Il est vrai que le résultat est aléatoire étant donné la répartition des restes, mais à la marge.

Objectivement, je suis très favorable au projet du Gouvernement qui consiste à rapprocher les élus des régions. La difficulté pour les élections européennes, compte tenu du nombre de sièges à pourvoir - un siège en Corse ou dans le Limousin, par exemple -, c'est que l'on aboutirait à un effet quasi majoritaire, sans parler des problèmes de parité, si l'on s'inscrivait dans le cadre régional. Le choix arrêté par le Gouvernement a donc été de revenir à des super-régions englobant un certain nombre de régions.

Il y a donc des distributions successives de sièges qui sont plus compliquées du fait des sections régionales. Et nous pouvons avoir le cas suivant : un parti politique, qui représente 10 % des voix, dans une grande région où il y a 9 sièges à pourvoir, peut se retrouver élu d'une région dans laquelle son parti n'est pas majoritaire, voire minoritaire. Ce qui veut dire que la proximité ne joue pleinement que pour la première répartition.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La proximité existerait aussi avec le système des grandes régions. Dans l'Est, il y aura 10 sièges, dont 3 e size="+0">Mme Claude Greff : Quel est le but de cette loi ? Quel est l'intérêt de compliquer les choses ?

M. Dominique Chagnollaud : L'objectif de cette loi est, à la fois de rapprocher les élus de leur région et d'aboutir à un système électoral qui ne soit pas inégalitaire. L'idée est donc bonne, mais je dois reconnaître que la mise en application est compliquée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Si ce n'est pas lisible, les électeurs ne vont pas comprendre.

M. Dominique Chagnollaud : Pour l'instant. Mais le Gouvernement fait un effort de communication ; les électeurs comprendront. Tout nouveau mode de scrutin doit être expliqué. Le nouveau mode de scrutin allemand était également compliqué, mais les Allemands ont fini par le comprendre. Tout dépend de la capacité d'information des élus et du Gouvernement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pouvez-vous prendre l'exemple d'une région et nous expliquer précisément le mode de scrutin ?

M. Dominique Chagnollaud : Je n'ai pas toutes les informations nécessaires, n'ayant même pas le texte du projet de loi.

Mais prenons l'exemple du Sud-Ouest : 10 sièges sont à pourvoir et il y a 1 000 électeurs ; le quotient est donc de 100. La liste X obtient 45 % de suffrages sur l'ensemble du Sud-Ouest, elle obtient donc déjà 4 sièges, au prorata des voix obtenues par la liste dans chaque section régionale.

En Midi-Pyrénées, cette même liste obtient 15 % des voix, elle n'aura donc aucun siège. Dans le Languedoc-Roussillon, avec 80 % des voix, elle aura 2 sièges.

En revanche, certaines listes n'auront pas épuisé leur quota dans chaque région ; on leur appliquera donc le système de la plus forte moyenne. On distribue les sièges, mais avec ce système, il n'y a pas de correspondance exacte. D'abord parce que tous les partis n'ont pas le quotient exact permettant d'obtenir un nombre de sièges, et ensuite parce que tous les partis n'obtiennent pas le même résultat dans chaque région, ce qui rend la pondération difficile. Le problème va donc se régler au moment de la seconde répartition à la plus forte moyenne. Et là, effectivement, un parti politique pourrait obtenir un siège dans une région où il n'est pas forcément puissant. On peut même imaginer qu'un parti extrémiste - mais c'est statistiquement improbable - obtienne un siège dans une région où il est très minoritaire.

M. Patrick Delnatte : Le système de la proportionnelle est clair : il permet une représentation de tous les partis. Ce mode de scrutin me paraît vraiment compliqué et je me demande comment les électeurs vont se retrouver.

M. Dominique Chagnollaud : Mais un projet de loi s'amende ou s'explique !

M. Patrick Delnatte : Pour revenir au problème de la parité, dans les régions où il n'y a qu'un siège à pourvoir, même s'il y a de grandes chances que l'élu soit un homme, avec le sièges. Mais on ne peut pas inventer un autre système.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Certes, mais on aurait pu le simplifier au lieu de le compliquer.

M. Patrick Delnatte : Avec une liste unique dans une super-région ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Exactement.

Mme Michèle Tabarot : Géographiquement, le système retenu est plus représentatif. Et je pense même qu'il permettra une avancée pour les femmes. Avec cette répartition géographique, nous pouvons récupérer des sièges. Dans les Alpes-Maritimes, par exemple, aujourd'hui nous n'avons pas de représentant au Parlement européen.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mais l'on peut garder les grandes régions, cela ne dérangerait pas les électeurs.

Mme Michèle Tabarot : A condition qu'il y ait un équilibre dans la constitution des listes régionales, c'est-à-dire qu'il y ait un engagement géographique, afin d'obtenir une véritable proximité.

M. Patrick Delnatte : Le Nord-Pas-de-Calais représente la moitié de la région ; il serait facile de mettre les candidats du Nord-Pas-de-Calais en tête ; les autres régions n'auraient alors que très peu d'élus.

M. Laurent Hénart : Le seul député européen lorrain est un élu du mouvement CPNT (Chasse Pêche Nature Traditions), qui ne représente que 4 % des électeurs. Le système actuel produit donc déjà un effet pervers.

Personnellement, je trouve ce projet de loi assez bon. Il a pour but de rapprocher les élus de leur région ; si l'on va au-delà de la région, nous allons perdre cette volonté d'enracinement. Le grand Est n'existe pas vraiment : l'Alsacien et le Champenois ne s'y retrouvent pas en termes d'identité. Or, ce projet de loi, essaie, par le compartiment régional, de réussir l'enracinement régional. Il faut être honnête, les grandes régions ne seraient pas plus lisibles pour les citoyens que l'échelle nationale française. Le projet permet de servir la parité, ce que ne permettrait pas un scrutin dans le cadre de la seule région. Regardez les chiffres par région : nombreuses sont celles qui n'ont que deux ou trois sièges.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis favorable aux grandes régions, ce sont les compartiments régionaux qui m'inquiètent.

M. Laurent Hénart : A partir du moment où les listes respectent le principe de l'alternance, quel est le problème ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il y a un problème dans la répartition des sièges.

M. Dominique Chagnollaud : Ce sera marginal. Ce qui n'est pas simple, car ce mode de scrutin est un compromis.

M. Laurent Hénart : C'est le meilleur compromis entre l'enracinement des députés dans des territoires qui parlent à nos concitoyens et le respect de la pas plus que l'Etat nation.

M. Dominique Chagnollaud : S'agissant de la parité, je pense que le système prévu est conforme à l'objectif de valeur constitutionnelle d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.

Mme Béatrice Vernaudon : Je souhaiterais citer l'exemple de l'outre-mer, qui est la huitième région et qui dispose de 3 sièges aux élections européennes. Il y a trois sections régionales : Amérique - les Antilles, Saint-Pierre-et-Miquelon -, Océan Indien - la Réunion et Mayotte - et Pacifique - Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis et Futuna.

Une liste de 12 noms sera présentée aux électeurs de l'outre-mer : 4 candidats pour chaque section. Je souhaiterais savoir si les listes proposées auront 12 noms et une présentation des 3 sections. Lorsqu'on va élire la liste d'un parti, y aura-t-il, sur cette liste, les noms des candidats par section ?

M. Dominique Chagnollaud : Tout à fait.

Mme Béatrice Vernaudon : Nous allons voter pour une liste, un parti. Donc s'agissant de la répartition en nombre de sièges, nous aurons, quoi qu'il arrive, un député européen issu du Pacifique ; la répartition va se faire en fonction des voix obtenues par les différentes listes, au total, dans la région.

S'agira-t-il d'une liste chabadabada ?

M. Dominique Chagnollaud : Absolument.

Mme Claude Greff : Mais la tête de liste sera toujours un homme !

M. Laurent Hénart : Non, puisqu'il y aura un chabadabada vertical et un chabadabada horizontal !

M. Dominique Chagnollaud : Exactement, on ne peut donc pas rêver mieux !

Mme Claude Greff : Effectivement, le principe de la parité, dans ce cas-là, est respecté.

M. Dominique Chagnollaud : Avec le chabadabada horizontal et vertical, l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux est respecté.

Cependant, on peut s'interroger sur le compromis qui a été fait et qui n'est pas satisfaisant - mais je ne vois pas beaucoup d'autres solutions - et sur l'intelligibilité du mode de scrutin. Mais il s'agit là d'une autre question. En fait, ce problème se pose toujours pour un système proportionnel "complexe", c'est pourquoi je n'y suis pas très favorable en principe. Mais, il s'agit pas ici de désigner des gouvernants mais de représenter la diversité des courants d'opinion et d'ancrer les élus dans un territoire.

M. Patrick Delnatte : Il permet à quelques représentants de partis minoritaires d'être élus.

M. Dominique Chagnollaud : Le premier projet avait un grave inconvénient : il éliminait totalement les Verts de toute représentation, tout comme l'UDF. De ce point de vue, l'objectif est donc louable.

M. Laurent Hénart : Il région Centre n'ait que 6 sièges - alors que les autres en ont 14, 10 et 12. On a sacrifié la région Centre. Il aurait été plus juste de procéder à un autre découpage, à savoir d'élargir cette région au lieu de l'allonger géographiquement.

M. Dominique Chagnollaud : Je ne puis vous répondre. Je puis simplement vous dire qu'il existe une jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant les écarts géographiques de population qui exige un minimum d'égalité entre les circonscriptions électorales.

Audition de M. Guy Carcassonne,

professeur de droit public à l'université de Paris X

Réunion du mercredi 29 janvier 2003

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous recevons aujourd'hui M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'université de Paris X, chroniqueur à l'hebdomadaire Le Point, ancien collaborateur de M. Michel Rocard au ministère de l'agriculture, puis à Matignon, actuellement chargé d'une mission de conseil pour la rédaction de la constitution afghane.

Nous avons souhaité vous rencontrer pour que vous nous donniez votre avis sur le projet de loi concernant les nouveaux modes de scrutin des élections régionales et européennes.

M. Guy Carcassonne : Le texte que j'ai en ma possession est déjà dépassé, puisqu'il date de trois jours, mais j'ai lu dans la presse ses évolutions. Cependant, la lecture m'a laissé perplexe ! Je n'y comprenais pas grand-chose. Ou plus exactement, je n'étais pas toujours sûr, lorsque je comprenais, que ce fût la véritable intention des auteurs.

Au regard de l'objectif constitutionnel d'intelligibilité de la loi, j'émets une première interrogation. Si la loi doit être intelligible pour ses destinataires, ici l'intégralité du peuple français, à l'heure actuelle, il y a de véritables soucis. Immodestement, ayant la prétention de comprendre les textes juridiques et d'en avoir une certaine pratique, je me dis que si je peine à comprendre, des gens qui, contrairement à moi, n'ont pas passé trente ans à faire du droit, peuvent avoir des difficultés.

Il n'est certes pas indispensable que la totalité des électeurs puissent accéder aux méandres d'un texte juridique, mais ils doivent au minimum comprendre de manière limpide la logique d'un mode de scrutin dans lequel ils auront à intervenir. Jusqu'à présent, ils ont toujours très bien compris les logiques des modes de scrutin auxquels ils ont été confrontés ; celui, grâce auquel vous avez été élus, date du Second empire, et les Français illettrés de l'époque en avaient parfaitement compris la logique. Parce qu'il était compréhensible. Or je ne suis pas absolument certain que la logique des modes de scrutin qui vous sont aujourd'hui soumis, soit aussi limpide.

Personnellement, je ne suis pas hostile à la modification des modes de scrutin, je ne suis pas non plus naïf au point de croire que ceux qui en prennent l'initi calamité qui produit des effets désastreux. Or, de cela, il n'en est pas question.

Je considère que le mode de scrutin le plus archaïque en France est celui des élections cantonales ; or de celles-là, il n'en est pas question non plus. Il semble qu'en province et dans les milieux ruraux - je ne connais, il est vrai, pas très bien la province, ni les milieux ruraux - les électeurs soient très attachés au mode de scrutin cantonal, mais si l'on observe les taux de participation, il y a de quoi être dubitatif !

Ce sur quoi, selon moi, l'effort devrait être porté, est totalement absent, alors que l'on se penche sur deux modes de scrutin dont la réforme me paraît, dans un cas inutile
- les régionales - et dans l'autre dangereuse - les européennes -. J'observe, d'ailleurs, qu'il y a quelque chose d'extraordinaire à plaider qu'il s'agit de rendre les régions gouvernables, alors qu'à cet égard on ne modifie rien à ce qui a déjà été acquis en 1999 ; la réforme de 1999 a fait le travail nécessaire en instituant la prime de 25 % qui garantit l'existence d'une majorité stable au sein du conseil régional. Il s'agit donc bien d'autre chose.

Cette autre chose, c'est la proximité. Avec des conseillers régionaux qui, de nouveau, seront élus sur une base départementale. J'avoue avoir quelques doutes sur la réalité de cette proximité, et je considère que l'urgence, en matière de modes de scrutin régionaux, est peut-être davantage de donner une existence politique, auprès des électeurs, à la région - et les listes régionales y contribuent puissamment - que d'opérer un pseudo-rapprochement, dont je doute qu'il apporte quoi que ce soit de tangible.

Je me suis amusé à poser de temps en temps la question à un certain nombre de gens, à commencer par mes étudiants, de savoir s'ils pouvaient me citer le nom d'un deuxième de liste dans les élections régionales ; ils en sont tous parfaitement incapables. Bienheureux encore quand ils connaîtront une tête de liste au niveau départemental pour la région.

Je crains donc que tout cela ne soit que prétexte à autre chose. Autre chose de parfaitement clair et qui peut se défendre, mais qui gagnerait à être assumé comme tel : le souci d'installer durablement une bipolarisation renforcée au niveau régional, accompagnée d'une survivance artificielle d'identités départementales. Or, je suis contre ces deux objectifs. D'abord parce que je considère que l'identité départementale n'a pas lieu d'être imposée légalement pour les conseils régionaux ; on doit faire confiance à ceux qui établissent les listes pour les élections régionales pour avoir le souci d'un équilibre départemental, ne serait-ce que parce qu'ils ont besoin, d'une façon vitale, d'obtenir un maximum de voix dans chacun des départements.

Ensuite, quand on possède des systèmes qui permettent à la fois la bipolarisation, avec ce que cela implique de stabilité majoritaire, et un éventail de représentativité un peu plus ouvert que les modes de scrutin les plus brutaux, pourquoi en changer ? Qu'il y ait des représentations minoritaires dans des conseils régionaux, dès lors qu'elles n'empêchent pas l'existence d'un exécutif clair et stable, me semble être une situation plutôt satisfaisante. L'intérêt qu'il y a à martyriser les petites et moyennes listes n'est ici justifié par aucune espèce de nécessité tangible de gouvernabilité.

Si l'on veut faire de la bipolarisation absolue - dont je suis partisan - adoptons et généralisons le mode de scrutin britannique, le suffrage majoritaire uninominal à un tour, et n'en parlons plus ! Cependant, il s'agit d'un mode de scrutin extrêmement brutal. Nous avons la chance de posséder en France des modes de scrutin qui nous permettent d'aboutir à un résultat proche - l'émergence de majorités claires et donc responsables - tout en étant pas la moindre vertu. Et je trouve que c'est très cher payé pour une vertu inexistante. En d'autres termes, l'on va massacrer les petites et moyennes listes sans motif tangible.

Je ne suis pas hostile, loin s'en faut, à ce que des primes soient données aux grandes listes, à ce que les impératifs de gouvernabilité soient assurés, mais ici rien de tel ! Il n'y a pas de problème de gouvernabilité au Parlement européen qui dépendrait de la loi nationale.

On peut, certes, invoquer le motif "peu importe ce que font les autres, nous faisons ce que nous estimons devoir faire" et considérer, comme il convient de faire émerger des majorités au Parlement européen, que la France fait son travail, à charge pour les 14 autres nations de faire aussi leur part du même travail. Sauf que cet argument me paraît inconsistant, pour l'excellente raison qu'aujourd'hui, au Parlement européen, il n'existe pas de problème de majorité et de gouvernabilité, et ce, depuis 1979, date de la première élection. Deux groupes dominent le Parlement qui, dans le cadre national, sont habituellement opposés l'un à l'autre, mais qui travaillent main dans la main dans le cadre européen.

Quant à parler de la proximité, c'est une plaisanterie de garçon de bains ! On va payer une apparence, une illusion de proximité géographique, au prix d'un extrême éloignement politique. Car celui qui voudrait voter utile devrait sacrifier ses préférences spontanées pour se porter obligatoirement sur l'une des deux grandes listes. Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est faire un sacrifice de la proximité politique : on ne vote pas pour les candidats pour lesquels on a envie de voter, mais pour d'autres, au nom d'un pseudo-rapprochement géographique.

Au regard de ce qui nous préoccupe dans le cadre de cette Délégation - la parité -, le danger est extrême. S'agissant des régionales, il se peut que cela ne change pas grand-chose. A ce jour tous les conseils régionaux ont été élus sur des bases départementales et ils continueront en fait à être largement élus sur des bases départementales ; donc cela ne changera pas énormément.

Le Gouvernement a décidé d'en revenir à des listes alternatives homme/femme, ce qui va de soi car sinon l'inconstitutionnalité était tellement évidente que le texte se serait effondré. Je ne me faisais donc, à ce sujet, aucun souci. Il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui on peut parfaitement se trouver avec une représentation française au Parlement européen ne comportant aucune femme ou presque.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Même avec une alternance horizontale, c'est-à-dire la parité des têtes de sections régionales, et verticale, soit une alternance homme/femme au sein de chaque section ?

M. Guy Carcassonne : Ah, c'est nouveau ! Si l'alternance est aussi horizontale, c'est "moins pire". En tout état de cause, on sera loin des 40 % de Françaises aujourd'hui élues au Parlement européen. Il suffit de regarder la logique du mode de scrutin pour constater que, ramené aux dimensions de la région, le cas le plus fréquent sera celui dans lequel une liste régionale aura un seul élu : sa tête de liste.

L'explosion des listes nationales actuelles en listes super-régionales et régionales est mécaniquement une atteinte à la parité. Et les modalités techniques sur lesquelles cette explosion s'opère, même atténuée par l'alternance horizontale, risquent vraisemblablement d'avoir des effets d'exclusion.

La solution consiste, soit à adopter, pour les européennes, la méthode britannique, soit à ne toucher à rien.

Le gain espéré de cette réforme du mode de scrutin est totalement inconsistant. Le rapprochement des élus par rapport aux électeurs est une illusion pure et simple. Ce n'est faire un procès à personne que de considérer que cette réforme est exclusivement faite pour des raisons d'intérêts partisans - qui peuvent être parfaitement respectables, mais pas là. En effet, je pense que l'intérêt partisan recherché n'est pas à la hauteur du sacrifice qu'il implique.

Pas plus que vous sans doute, je n'aime ces commentaires excessifs qui suivent tous les scrutins européens. Je sais que le thermomètre est faux, et je pense que tout le monde le sait. Mais il serait largement préférable, compte tenu de la situation qui existe depuis 1979, que toutes les forces politiques confondues, et peut-être même avec le concours des médias, expliquent le caractère en partie trompeur de ce thermomètre, plutôt que de le casser inutilement, avec pour conséquence un coût élevé en matière, notamment, de parité et d'exclusion politique.

Cela ne me fait absolument pas plaisir que le Front national ait pu atteindre le score qu'il a atteint, et cela ne me fait pas davantage plaisir que l'extrême gauche fasse un tel score. Mais, dans un arsenal qui comprend l'élection présidentielle, les élections européennes, les législatives, les sénatoriales, les régionales, les départementales, les municipales, soit sept scrutins différents, qu'il y en ait un qui soit intégralement proportionnel - alors que le problème de gouvernabilité ne se pose pas dans ce cas - n'est pas un drame. Et pourtant je suis un adversaire de la proportionnelle lorsqu'il s'agit d'élections dans les assemblées délibératives nationales.

Mme Brigitte Bareges : L'objectif de la proximité est tout de même louable ; les députés européens sont si loin du terrain ! Alors si cette loi est inadaptée, quelle solution proposez-vous pour une meilleure proximité ?

M. Guy Carcassonne : Si l'on veut absolument assurer la proximité, il y a deux solutions. La première : la méthode britannique. On adopte un mode de scrutin uninominal. La Grande-Bretagne est divisée en autant de circonscriptions qu'il y a de sièges à pourvoir. De ce fait, les députés britanniques sont très proches de leurs électeurs.

Je dois tout de même vous préciser que, si cette méthode est bonne pour la proximité, el départements ; d'ailleurs le taux de vote dans certains départements est de 70 % à 80 %. Mais il est vrai que la parité est peut-être à revoir entre les zones urbaines et les zones rurales.

J'ai été conseiller régional au plus mauvais moment pour la région Rhône-Alpes, puisque j'étais sur la liste de M. Charles Million, que j'ai immédiatement quittée pour rejoindre Mme Anne-Marie Comparini, toujours députée et présidente du conseil régional.

Nous avions au conseil des élus indépendantistes savoisiens qui sont venus, le premier jour, lors de l'élection du président. M. Patrice Abeille nous a présenté son gouvernement. Il nous disait : "Je ne suis pas en France et j'interviens comme Savoyard." Les blessures en région Rhône-Alpes ne sont pas refermées.

Cette réforme des élections régionales a le mérite de dégager des majorités et de ne pas envoyer, dans les assemblées régionales, des indépendantistes ou des élus de liste qui ne permettent pas de faire des majorités. Mme Anne-Marie Comparini, par exemple, ne peut réunir des majorités que sur des projets. Et combien de projets n'ont jamais pu être votés !

S'agissant des élections européennes, vous nous dites que vous avez demandé à vos étudiants s'ils connaissaient des noms de députés européens. Or, aucun d'entre eux n'en connaît. Mais si on instaure des sections régionales, je suis persuadé qu'ils les connaîtraient.

M. Guy Carcassonne : S'agissant des élections régionales et de l'installation des majorités, la loi de 2003 ne changera rien, car elle ne comporte pas la plus petite disposition à ce sujet.

Le législateur n'a pas attendu 2003 pour réagir à la situation épouvantable que vous avez vécue en Rhône-Alpes. Il a fait ce qu'il fallait dès 1999, en instituant d'une part, la liste régionale, et d'autre part, la prime de 25 %. Le projet de loi actuel ne change rien à la prime de 25 %. Ce n'est donc pas à ce projet de loi que l'on devra l'émergence de majorités, c'est à la loi de 1999. Il n'y a donc pas besoin de changer quoi que ce soit.

En ce qui concerne l'exemple de l'élu savoisien, j'observe tout d'abord que dans un système démocratique, on est obligé de coexister avec des gens pour lesquels on n'a pas forcément d'estime. Ce sont les électeurs qui les ont désignés. Par ailleurs, c'est ce mode de scrutin-là qui va peut-être donner à l'élu savoisien la possibilité d'être réélu. En effet, dans le cadre de la loi de 1999, avec une liste régionale, pensez-vous qu'il a une chance d'être élu, d'atteindre les 5 % sur la région Rhône-Alpes ? Il n'en a sans doute aucune.

En revanche, avec la re-départementalisation qui est ici opérée, cet élu, ou d'autres du même type, aura une chance de reconquérir son siège. Je pense donc que vos arguments à cet égard ne sont pas recevables.

Quant au fait que mes étudiants ignorent le nom des députés européens, il n'y a là rien d'exceptionnel. Je dis simplement qu'ils ne les conn - alors qu'on sait que cet étendard est complètement mité et que la proximité n'est pas un objectif substantiellement significatif - pour justifier des intérêts qui, en vérité, selon moi, ne sont que strictement arithmético-politiques, me paraît insatisfaisant.

Mme Brigitte Bareges : Vous êtes favorable à la bipolarisation, mais vous avez soutenu la défense des petites et moyennes listes. Les partis majoritaires souhaitent éviter la dispersion des électeurs qui a fait beaucoup de tort, y compris à la gauche, aux dernières élections. Il est vrai que les dissidents, les indépendantistes perturbent une bonne gouvernabilité.

M. Guy Carcassonne : Dans une démocratie, il ne faut pas oublier que les voix ne se pèsent pas, mais se comptent. Elles peuvent se porter sur des personnes que l'on considère comme fantaisistes, insupportables, dangereuses, soit, mais c'est la loi de la démocratie. Si elles ont été élues, c'est quand même parce qu'elles ont recueilli des voix. On peut tout faire avec les élections, sauf être élu sans avoir obtenu de voix. Nous n'avons donc pas à opiner sur le caractère bon ou mauvais des choix des électeurs, ce sont les leurs.

Effectivement, je suis extrêmement attaché à la bipolarisation, car je considère qu'il s'agit d'un élément majeur de la modernité et de la responsabilité politique. Je vous rappelle ce que je disais tout à l'heure : nous avons sept élections, et si l'une d'elles se fait à la proportionnelle intégrale, il en reste tout de même six qui sont nécessairement bipolarisantes. Cela suffit peut-être !

Je trouve même, précisément parce que je suis très attaché à la bipolarisation, qu'avoir cette sorte d'exutoire que constitue la septième élection, en un lieu où, une fois encore, je vous le rappelle, il n'y a aucun problème de gouvernabilité, est plutôt une bonne chose.

En cassant le thermomètre et en excluant les petites et moyennes listes de la seule élection où elles peuvent obtenir des sièges et un moyen de s'exprimer, on risque d'accroître la pression - toujours latente et qui s'exerce occasionnellement - en faveur de l'adoption de la proportionnelle pour les élections législatives. Ce qui, pour moi, serait un drame absolu.

Je vous le disais tout à l'heure, voilà des années que je souhaite que l'on limite le nombre de candidats à deux au second tour, considérant les triangulaires comme un système indigne, dont le maintien au second tour est destiné non pas à construire, mais à détruire. C'est dire si je suis attaché à la bipolarisation. Et c'est justement parce que j'y suis très attaché, mais qu'en même temps je reconnais à des personnes le droit de s'exprimer et d'exister - même si je ne partage pas leurs idées -, que je souhaite que l'on profite de l'existence de toutes sortes de modes de scrutin pour laisser vivre les petites et moyennes listes dans l'un d'eux au moins.

Certes, depuis Maastricht, les députés européens ne peuvent plus s'analyser comme les représentants du peuple de France au Parlement européen. Mais si le Front national ou le Parti communiste ont une valeur pour les Français, est-il anormal qu'ils soient pr&ea poser les vraies questions : pourquoi les électeurs votent blanc ? Pourquoi s'abstiennent-ils ? C'est peut-être parce que nous, les partis politiques, nous avons à nous remettre en question sur le bon choix des candidats, sur la lisibilité des programmes et sur l'intérêt que nous devons susciter auprès des électeurs.

C'est la raison pour laquelle il ne faut peut-être pas exagérer à l'extrême tous ces votes que vous qualifiez de votes d'expression, qui se dirigent vers les partis extrémistes. Ce sont peut-être simplement des électeurs déçus par les grands partis. Je suis totalement démocrate, mais je pense que la bipolarisation est le seul moyen de pouvoir gérer un pays.

M. Guy Carcassonne : Nous sommes tout à fait d'accord, sauf que ce projet, en ce qui concerne les régions, n'ajoute rien à l'article L. 338 du code électoral. La prime de 25 % existant déjà, l'émergence de majorités et la bipolarisation seront totalement indépendantes de la loi de 2003, puisqu'elles procèdent déjà de la loi de 1999. En ce qui concerne les élections au Parlement européen, la question de l'émergence de majorités ne se pose pas - et de toute façon ne relèverait pas de la compétence française. Une fois cela observé, que reste-t-il comme justification à ce projet ? Pas grand-chose.

Je vous le répète, je suis un partisan de la bipolarisation, tout en reconnaissant que, toute indispensable qu'elle soit, elle est quand même une contrainte forte exercée sur les électeurs. Cette contrainte me paraît nécessaire, salutaire, mais dans la limite de sa nécessité et de son caractère salutaire. Or, pour les élections européennes, elle n'est ni nécessaire, ni salutaire. Laisser les gens s'exprimer comme ils l'entendent, y compris avec des mouvements de mauvaise humeur et en exagérant les tendances pendulaires de l'électorat, est moins choquant et finalement plus fécond pour le système démocratique, que de se donner de fausses sécurités en garantissant une espèce de monopole de représentation des grandes listes.

Comme les petits partis seront exclus de fait par le mécanisme du vote utile, il est certain que les grands partis, le soir des élections européennes, pourront facilement triompher en constatant qu'ils auront raflé 90 % des sièges.

Tout le monde observe qu'il existe un mouvement croissant d'abstention, dont on peut minimiser l'importance, mais qui n'est pas pleinement satisfaisant. Or, en restreignant davantage l'offre politique, on risque d'aggraver ce phénomène de désintérêt. Il convient de se méfier des situations dans lesquelles on se met des _illères, une à droite contre le Front national, une à gauche contre l'extrême gauche ! On peut un beau jour découvrir que le monde extérieur nous tombe dessus.

Mme Martine Aurillac : Ce que vous dites, s'agissant de la parité, m'inquiète, car j'avais cru comprendre qu'avec le chabadabada vertical et horizontal, il n'y avait pas de problème.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis très contente de vous entendre, M. Carcassonne, car depuis hier soir, on essaie de me persuader qu'il n'y aura pas de problème pour la parité av UMP dans chacune de ces régions. Si nous rajoutons ce membre de phrase, ces sièges seront remoulinés, homme/femme, homme/femme. Si c'est un homme qui conduit la liste qui a obtenu la meilleure moyenne sur la région, il aura le premier siège. Le deuxième siège sera attribué à la liste conduite par une femme, même si la moyenne de cette liste n'arrive qu'en troisième ou quatrième position.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est une usine à gaz ! Aux dernières élections européennes, nous n'avions pas eu besoin de loi. Les partis avaient composé leur liste en respectant la parité homme/femme. C'était quasiment cinquante-cinquante.

M. Guy Carcassonne : C'était le choix fait par M. Michel Rocard en 1994. Les partis ont donc été obligés de suivre.

M. Jacques Remiller : Je souhaiterais revenir sur la réforme du mode de scrutin régional. Le budget est toujours voté à l'aide du 49-3 et, en moyenne, seuls 36 % des crédits votés sont engagés, car les présidents ne parviennent pas à trouver de majorité, que ce soit en séance plénière ou en commission permanente. Estimez-vous que la réforme de 1999 a corrigé cette anomalie ?

M. Guy Carcassonne : La loi de 1999, par définition, n'a pas encore trouvé son application, puisqu'elle devait s'appliquer pour la première fois en 2004. Oui, elle corrige cette anomalie, puisque la liste arrivée en tête aura 25 % des sièges, en plus de son pourcentage normal à la proportionnelle. Anne-Marie Comparini, par exemple, aurait donc eu, à elle seule, sans avoir à négocier avec qui que ce soit, la majorité absolue du conseil. C'est si vrai que le projet de loi actuel ne touche pas à l'article L. 338. Il ajoute simplement un L. 338-1 qui re-départementalise. La prime de 25 % existe toujours. Le législateur de 1999 a fait son travail. Je serais tenté de dire qu'à l'époque, l'opposition était prête à voter pour. D'ailleurs, certains se sont abstenus, car ils ont très bien compris que c'était l'intérêt des régions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Un mode de scrutin, s'il n'est pas lisible, n'incite pas les électeurs à venir voter.

M. Guy Carcassonne : Je suis tout à fait d'accord avec vous. J'ai suffoqué ce matin en écoutant un journaliste de RTL expliquer la réforme des modes de scrutin. Il faisait exactement comme si la loi de 1999 n'existait pas et affirmait que la nouvelle loi allait instituer une majorité dans les conseils régionaux.

Je ne remets pas en cause sa bonne foi, mais je m'étonne qu'un journaliste politique dont le métier est d'informer soit passé complètement à côté de la loi de 1999.

Je ne doute pas que ce texte sera soumis au Conseil constitutionnel et je ne serais qu'à moitié surpris que soient soulevés, à cette occasion, des problèmes vraiment graves.

Mme Béatrice Vernaudon : En dehors de l'analyse générale des élections européennes, nous sommes contents, en outre-mer, de cette nouvelle organisation, car elle va nous garantir représentation large des minorités et qui ne porte pas atteinte au fonctionnement du Parlement européen.

En ce qui concerne les régionales, j'ai bien compris que vous étiez en faveur de la bipolarisation, mais vous n'avez pas analysé la question du seuil, qui passe de 3 à 5 % des votes exprimés pour les possibilités de fusion, et de 5 à 10 % des inscrits pour la possibilité de se présenter au second tour. Quelle est votre analyse sur ces seuils ?

M. Guy Carcassonne : S'agissant des européennes, l'idée que 3 des 78 sièges soient réservés à l'outre-mer ne me choquerait pas. On pourrait très bien avoir des listes métropolitaines portant sur 75 sièges et en conserver trois pour l'outre-mer.

En ce qui concerne les régionales, le changement des seuils me laisse un peu circonspect. Je ne crois pas du tout à l'impérative nécessité de jumeler ceinture et bretelles. Ce qu'il faut que le second tour produise, c'est une majorité claire. La prime de 25 % garantit cette majorité claire. En conséquence, le seuil de présence au second tour, extrêmement élevé - 10 % des inscrits - ne contribue en rien à garantir une majorité claire. Il a un autre objet : faire en sorte que l'UMP arrive en tête au second tour - ou maximise ses chances - sans être handicapée par la présence d'une liste du Front national. Pourquoi pas ? Ce n'est pas forcément choquant. Mais à condition que ce soit dit dans des termes extrêmement simples - car c'est une réalité objective que je crois indiscutable.

Je comprends que la droite parlementaire puisse être lassée de courir une course à handicaps depuis vingt ans. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours été si favorable à la limitation à deux du nombre des candidats au second tour des législatives.

Mais là, nous sommes non pas dans un scrutin uninominal, mais dans un scrutin de liste. Dans un scrutin uninominal, avoir deux candidats au second tour est une exigence de clarté, de rigueur. Dans un scrutin de liste, c'est tout à fait différent. En effet, le produit va être un organe collectif - le conseil régional. Avec un seuil à 10 % des inscrits, cela signifie que des listes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas fusionner, alors même qu'elles ont franchi la barre des 5 % des votes exprimés, n'auront purement et simplement aucun élu au second tour.

Prenons l'exemple d'un conseil régional qui compte 120 membres ; un parti qui pourrait avoir obtenu 18 % des suffrages exprimés n'aura aucun siège. Je ne demande pas qu'il ait 18 % de sièges, au contraire, car je crois la prime majoritaire essentielle. Mais entre 18 % et zéro, il y a tout de même une marge.

Je suis favorable à la bipolarisation, mais il faut bien comprendre qu'elle n'est pas une fin en soi. C'est un moyen, c'est le prix que l'on paye en raréfiant l'offre politique, afin d'une part, de la rendre plus effective - donner aux citoyens la possibilité de choisir directement ceux qui vont les gouverner - et, d'autre part, de donner à ceux qui ont été choisis la possibilité de diriger en disposant d'une majorité. Enfin, c'est un moyen de les rendre responsables, puisqu'ayant été au pouvoir, ils ne peuvent pas se défausser de leurs S'unir, c'est ce que l'on fait dans les coalitions, lorsqu'il s'agit de produire une majorité. Mais là, on ne va pas s'unir avant. On va simplement exclure beaucoup de personnes sans qu'elles aient pu, quel que soit le niveau de leur expression ou des suffrages recueillis, obtenir la représentation minimale à laquelle elles auraient droit. Il y aura donc deux bénéficiaires et des victimes.

N° 0604  -  Rapport d'information  au nom de la délégation aux droits des femmes sur le projet de loi sur l'élection des conseillers régionaux (Mme Marie-Jo Zimmermann)

1 () Un bilan détaillé de l'application de la loi du 6 juin 2000 aux élections législatives de 2002 figure en annexe du rapport : audition de Mme Mariette Sineau, 10 décembre 2002.