Commander ce document en ligne
Retour vers le dossier législatif

graphique

N°1617

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 mai 2004

___________________________________________________________

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA MISSION D'INFORMATION(1)

SUR LA PROBLÉMATIQUE DE L'ASSURANCE MALADIE 

Président et Rapporteur

M. Jean-Louis DEBRÉ,

Président de l'Assemblée nationale

--

TOME 2

AUDITIONS

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

La mission d'information sur la problématique de l'assurance maladie , est composée de : M. Jean-Louis Debré, Président et Rapporteur ; MM. Philippe Auberger, Gérard Bapt, Mmes Martine Billard, Maryvonne Briot, MM. Yves Bur, Alain Claeys, Paul-Henri Cugnenc, Jacques Domergue, Jean-Pierre Door, Jean-Michel Dubernard, Gérard Dubrac, Claude Evin, Mmes Jacqueline Fraysse, Cécile Gallez, Catherine Génisson, M. Maxime Gremetz, Mmes Elizabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, MM. Edouard Landrain, Jean-Marie Le Guen, Richard Mallié, Hervé Mariton, Pierre Méhaignerie, Pierre Morange, Hervé Morin, Jean-Luc Préel, Jean-Marie Rolland, Jean-Sébastien Vialatte, Alain Vidalies, Philippe Vitel.

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Mission.

- Audition de M. Bertrand FRAGONARD, président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (Extrait du procès-verbal de la séance du 21 avril 2004) Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président 5

- Audition de M. Jean-Marie SPAETH, président du conseil d'administration de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) (Extrait du procès-verbal de la séance du 21 avril 2004) Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président 17

- Audition de Mme Danièle KARNIEWICZ, secrétaire nationale chargée du pôle « protection sociale » à la CFE-CGC (Extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 2004) Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président 25

- Audition de M. Jean-Claude MAILLY, secrétaire général de Force Ouvrière (FO) (Extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 2004) 35

- Audition de M. Jean-François ROUBAUD, président de la CGPME (Extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 2004) 47

- Audition de M. Pierre PERRIN, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA) (Extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2004) Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président 59

- Table ronde « professions de santé » 69

- Audition de M. Jean-Luc DEROUSSEN, secrétaire général adjoint, en charge de l'assurance maladie à la CFTC (Extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2004) 99

- Audition de M. François CHEREQUE, secrétaire général de la CFDT (Extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2004) Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président 111

- Audition de M. Bernard THIBAULT, secrétaire général de la CGT (Extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2004) Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président 125

- Audition de M. Alain COULOMB, directeur général de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) (Extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2004) 139

- Audition conjointe de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, ministre de la santé et de la protection sociale, et de M. Xavier BERTRAND, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie (Extrait du procès-verbal de la séance du 4 mai 2004) Présidence de M. DEBRÉ, Président 147

- Table ronde « assureurs complémentaires » regroupant M. Jean-Pierre DAVANT, président de la FNMF, M. Jean-Louis FAURE, délégué général du CTIP, M. Daniel HAVIS, président du GEMA, MM. Gérard de LA MARTINIERE et André RENAUDIN, président et délégué général de la FFSA (Extrait du procès-verbal de la séance du 5 mai 2004) Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, puis de M. Claude EVIN 179

- Audition de M. Ernest-Antoine SEILLIÈRE, président du MEDEF (Extrait du procès-verbal de la séance du 5 mai 2004) Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, puis de M. Jean-Michel DUBERNARD 191

- Table ronde « médicaments et dispositifs médicaux » regroupant M. Bernard CAPDEVILLE, président de la FSPF, Mme Odile CORBIN, directrice générale du SNITEM, MM. Pierre LE SOURD et Bernard LEMOINE, président et vice-président du LEEM, M. Jean MARIMBERT, directeur général de l'AFSSAPS (Extrait du procès-verbal de la séance du 5 mai 2004) Présidence de M. Jean-Michel DUBERNARD, 201

- Table ronde « usagers » regroupant : Mme Christiane BASSET, administratrice à l'UNAF, en charge de l'assurance maladie, M. Christian SAOUT, président de AIDES, Mme Frédérique POTHIER, secrétaire de l'association LIEN (Extrait du procès-verbal de la séance du 5 mai 2004) Présidence de M. Jean-Michel DUBERNARD 209

- Table ronde « gestionnaires des caisses obligatoires » 219

- Table ronde « établissements de santé » regroupant M. Max PONSEILLÉ, président de la FHP, M. Georges RIFFARD, directeur général de la FEHAP  Mme Rose-Marie VAN LERBERGHE, directrice générale de l'AP-HP, M. Gérard VINCENT, délégué général de la FHF (Extrait du procès-verbal de la séance du 6 mai 2004) Présidence de M. Jean-Michel DUBERNARD 235

- Table ronde « financement » regroupant M. Michel GRIGNON, directeur de recherches au CREDES/IRDRES M. François MONIER, secrétaire général de la commission des comptes de la Sécurité sociale, M. Jean-Luc TAVERNIER, directeur de la Prévision et de l'analyse économique au ministère des finances (Extrait du procès-verbal de la séance du 6 mai 2004) Présidence de M. Jean-Michel DUBERNARD 257

- Contributions 273

- Contributions adressées à la mission 275

Audition de M. Bertrand FRAGONARD,
président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie


(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 avril 2004)


Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : M. Fragonard, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale. Le rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a été publié le 23 janvier. Vous avez été entendu par les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat, le 10 février et le 7 avril derniers. Avec les cinquante-deux personnalités du Haut Conseil, vous avez évalué notre système de santé et examiné les moyens d'améliorer sa gouvernance.

Nous ne souhaitons pas que vous nous redonniez les informations contenues dans votre rapport, dont nos collègues ont pris connaissance. Nous souhaitons que vous vous exprimiez sur trois grandes questions. Tout d'abord, quels sont selon vous les grands principes du régime d'assurance maladie ? Ensuite, quel diagnostic faites-vous sur ses difficultés actuelles ? Je ne vise pas ici les seuls problèmes financiers, mais aussi les dysfonctionnements éventuels qui pourraient miner les fondements du régime et entraver l'application des principes que vous aurez rappelés. Enfin, en fonction de ses principes et de ce diagnostic, quelle est votre idée de la thérapeutique à administrer ? Ici encore, je pense non seulement aux recettes et aux dépenses, mais aussi à l'organisation, au fonctionnement et à la gouvernance du système de soins.

M. Bertrand FRAGONARD : Le Haut Conseil s'est accordé sans peine pour estimer que les principes fondamentaux qui régissent l'assurance maladie sont sains. Je les rappellerai brièvement, en essayant de faire apparaître leur cohérence et leur originalité.

Le premier principe, que personne ne semble remettre en cause, est l'universalité de la couverture par l'assurance maladie. Ce principe ne règne pas dans tous les pays, même de développement économique comparable au nôtre. En France ce problème est derrière nous, avec tout au plus un problème résiduel concernant l'aide médicale d'Etat.

Le second principe, corollaire du premier, est l'appartenance de la totalité des assurés à un système unitaire. Le Haut Conseil a ainsi refusé qu'on envisage de regrouper dans une caisse autonome les soins aux personnes âgées et la prise en charge de la dépendance. A nos yeux la solidarité nationale s'exprime dans le fait que toute la communauté est dans un régime unitaire.

Troisième principe : la prise en charge est indépendante de l'état de santé. C'est un progrès fondamental par rapport à tout système qui s'inscrirait davantage dans une logique assurantielle. La prise en charge est également indépendante de l'âge, élément essentiel pour protéger les personnes âgées. Elle est indépendante du revenu : même si ce principe fait l'objet de quelques aménagements, par exemple en faveur des titulaires du minimum vieillesse, la prise en charge ne varie pas en fonction du revenu. Elle ne tient pas davantage compte du comportement des assurés. Même si l'on peut en un sens considérer la taxe sur le tabac comme une deuxième cotisation, fondamentalement nous ne cherchons pas à démêler les composantes de la dépense. Ce point est fondamental car, à mesure que se développera la médecine prédictive, il est important d'avoir un système qui ne cherche pas à savoir a priori de quels risques un assuré est porteur.

Quatrième point : le taux de la prise en charge est élevé. Les Français ne s'en rendent pas bien compte, car la plupart d'entre eux n'ont recours qu'au petit ambulatoire courant. Ils ont entendu parler du plan Séguin, du plan Veil, de la hausse du forfait, et ils ont le sentiment que la Sécurité sociale se désengage et qu'on est mal remboursé. La réalité est tout opposée : on est très bien remboursé dans les régimes de base, et l'engagement s'accroît chaque année. Les Français ne le voient pas parce que la dépense est tirée par les gros consommateurs. Dès qu'on entre dans des soins très coûteux, on est dans une quasi gratuité, ce qui consolide le principe de libre accès aux soins. Je rappelle que, dans le périmètre de ce que la Sécurité sociale considère comme légitimement remboursable, la prise en charge au titre du régime de base dépasse 80 % des dépenses.

Nous sommes parvenus d'autre part, au terme d'une longue histoire, à l'idée que la recette devait être proportionnelle au revenu, même si les revenus de remplacement sont soumis à un traitement plus favorable. La CSG est proportionnelle et la cotisation patronale maladie est déplafonnée : cela signifie que chaque producteur contribue à la Sécurité sociale proportionnellement à la richesse qu'il produit et au revenu qu'il en tire.

Ces éléments forment un tout cohérent. Il serait absurde, par exemple, d'envisager la suppression de certains remboursements aux personnes aisées, dès lors qu'elles contribuent proportionnellement à leurs ressources.

Ce système, très spécifique à notre pays, s'éloigne de la logique assurantielle : un assureur tient compte du risque et non du revenu, et nous faisons le contraire. Cet ensemble présente une grande cohérence, qui ne tient que parce que le régime est obligatoire et que nous sommes dans un monopole d'Etat. Ce dernier a sans doute ses faiblesses, mais on ne peut imaginer une Sécurité sociale qui respecterait les principes que j'ai rappelés dans un système concurrentiel pur. Un assureur tarifie en fonction du risque et ne tient pas compte du revenu, et ce principe ne s'applique pas seulement aux compagnies d'assurance, mais à tous les organismes complémentaires en système concurrentiel, y compris les mutuelles les plus solidaires dans leur philosophie.

Nous avons donc estimé que ces principes étaient sains. Ils ont permis de solvabiliser la demande, et ils ont financé un système qui est globalement de qualité, même si l'on peut déceler des faiblesses ici ou là.

M. le Président : Sur les principes que vient de rappeler M. Fragonard, je demande maintenant à mes collègues s'ils ont des observations à présenter.

M. Jean-Marie LE GUEN : Je me demande si, au moment où nous sommes, il n'y a pas au sein de notre assemblée certains désaccords entre nous sur ces principes.

M. le Président : C'est là un débat que nous aurons entre nous, sans les intervenants. Dans l'immédiat je demande simplement s'il y a des observations de complément à apporter à la première partie de l'exposé de M. Fragonard.

M. Claude EVIN : Il y a un principe qui n'a pas été évoqué, c'est le principe de qualité de l'offre de soins. Je le comprends si l'on s'en tient strictement au thème de l'assurance maladie, mais nous ne devrons pas l'oublier dans nos démarches à venir, car nous devrons non seulement réfléchir sur le financement, mais lier celui-ci à la qualité de l'offre.

M. Bertrand FRAGONARD : Si je n'ai pas mentionné ce principe, c'est qu'au départ l'assurance maladie est un système de prise en charge financière : elle n'a pas directement vocation à organiser l'offre de soins et à garantir sa qualité. Et elle a peu fait pour utiliser le levier que constitue la prise en charge pour impulser une dynamique dans ce domaine ; mais ce sera évidemment une question centrale pour la réforme à venir.

M. le Président : Précisément, quel diagnostic faites-vous sur la situation actuelle ? Vous paraît-elle permettre l'application des principes que vous avez rappelés ?

M. Bertrand FRAGONARD : Dès lors que l'on considère ces principes comme bons, le défi est de les maintenir dans l'avenir, éventuellement avec des ajustements, mais sans en changer la philosophie. Ce défi est redoutable, car nous constatons depuis quarante années une hausse de la dépense supérieure de plus de deux points à celle du PIB. Et les éléments dont nous disposons conduisent à penser que cela va continuer, peut-être pas au même rythme, mais très probablement plus vite que la richesse nationale. Or nous connaissons déjà un déficit très lourd... Si nous voulons conserver notre système avec une hausse supérieure de 1 ou 1,5 point à celle du PIB, il faudra ajouter chaque année trois milliards d'euros aux recettes, ou réduire les dépenses du même montant...

Mais on peut infléchir cette tendance en réformant le système de soins qui ne fonctionne pas de manière optimale. On peut en améliorer le rendement et trouver ici des marges financières importantes. C'est évidemment la première chose à tenter avant d'augmenter les recettes ou de réduire les remboursements. La première priorité est donc d'évaluer ce qu'il est possible de faire pour améliorer le rendement du système.

Plusieurs pistes se présentent. Nous avons surtout travaillé sur la médecine ambulatoire. Dans le domaine hospitalier nous nous sommes heurtés à une certaine obscurité : en particulier, les écarts de coûts entre les établissements donnent lieu à des explications d'une rare complexité. Nous avons estimé qu'il y avait à la fois des manques, mais aussi, à certains égards, trop de moyens, et que personne n'était en mesure de faire la balance globale du système. A titre personnel, il me semble qu'on donne trop de poids aux propos alarmistes. Mais il y a bien des situations difficiles, et surtout tous nos interlocuteurs s'accordent pour dire qu'on peut améliorer la productivité de l'hôpital. Un diagnostic réel exigera donc un travail de clarification sur la nature de la crise hospitalière : nous devons comprendre pourquoi il y a tant de malentendus sur un système qui a pourtant été bien bâti, et dans lequel nous avons réussi, depuis la réforme Debré, à faire venir les meilleurs.

Quant à la médecine ambulatoire, beaucoup dénoncent ses défauts. Nos médecins libéraux constituent pourtant un élément de dynamisme et de dévouement considérable. D'ailleurs les Français y sont très attachés. Ils savent que le rapport qu'ils entretiennent avec leur médecin est précieux ; il ne faut pas bouleverser leurs habitudes.

Le deuxième élément du diagnostic est que l'on a bien du mal à améliorer le système parce que sa gouvernance est franchement défaillante. Je ne parlerai pas ici, par respect pour la représentation nationale, des lois de financement de la Sécurité sociale, mais MM. Le Guen et Dubernard ont dit eux-mêmes qu'il ne s'agissait pas du meilleur instrument possible.

Surtout, on ne sait pas qui fait quoi. Il faut mieux définir les représentants et qu'à cette clarification soit associée une obligation de résultats dans le champ des pouvoirs délégués. Tel n'est pas le cas aujourd'hui avec la délégation de gestion et, si l'enveloppe hospitalière est mieux tenue, elle demeure une boîte noire et on ignore totalement les résultats obtenus. Il faut donc faire un effort considérable pour clarifier, pour faire prendre conscience à tous les interlocuteurs qu'ils sont sur le même bateau et qu'ils ont l'obligation ardente d'adopter les mesures de redressement que contiendront les futures lois de financement.

M. le Président : Vous avez dit que le système était en faillite...

M. Bertrand FRAGONARD : J'ai dit « endetté », à hauteur d'un mois.

M. Philippe AUBERGER : Vous avez dit que les bénéficiaires étaient de moins en moins satisfaits alors qu'ils sont de mieux en mieux remboursés et que les professionnels sont de plus en plus désenchantés alors que l'on met de plus en plus d'argent dans le système. Mais cela ne permet pas de savoir s'il faut faire plus de prévention ou si le système actuel, qui mise plutôt sur le rétablissement, est le bon. Ce diagnostic mérite donc d'être précisé.

M. Bertrand FRAGONARD : Je ne suis pas sûr que l'on puisse tirer des conclusions aussi nettes. Beaucoup de professionnels considèrent qu'ils disposent d'un bon outil de travail et de revenus corrects. Mais on a le sentiment dominant d'une crise, d'un déficit de moyens. Il y a beaucoup de bruit autour de la Sécurité sociale. Or le bruit n'est pas toujours vertueux : à la lecture du dernier appel publié par Le Monde nombreux sont ceux qui se demandent à quoi servent leurs cotisations si rien ne marche. Pour ma part, j'attends toujours que l'on me prouve que la durée d'attente s'allonge dans les hôpitaux. Au lieu de répandre ces bruits chagrins, mieux vaudrait dire aux Français qu'ils doivent être satisfaits de jouir d'un système aussi efficace et protecteur. Pour autant, il est légitime qu'ils demandent des comptes sur ce que l'on fait de leurs cotisations, car, quand on engage 10 % de la richesse de la nation, il s'agit d'être rigoureux. C'est ce qu'attend l'opinion quand elle entend parler d'abus et de gaspillages.

Mme Catherine GÉNISSON : N'y a-t-il pas une différence d'approche entre l'opinion et ceux qui sont directement concernés, notamment les patients hospitalisés ?

Par ailleurs, vous dites que les professionnels sont désenchantés mais, sur le terrain, on trouve de nombreuses personnes très engagées. Le problème, c'est qu'elles ont le sentiment d'être sur un bateau ivre, alors qu'on leur demande de prendre plus de responsabilités.

M. Bertrand FRAGONARD : Les Français ont un jugement assez sûr. Ils se trompent certes sur le niveau de leurs cotisations, mais ils ont compris que le système était protecteur et leur premier avertissement est souvent : « Touchez pas à la sécu ! » Il est vrai que plus ils sont proches des soins, plus leur appréciation est positive. En fait, ils touchent alors les dividendes de leurs cotisations passées.

M. Yves BUR : Les sondages montrent bien que la Sécurité sociale est au cœur de l'esprit de solidarité, même si les Français sont conscients de certains gaspillages. En revanche, l'image du système chez les professionnels de santé est très contrastée. Il faut toutefois relativiser les enquêtes réalisées auprès d'eux car chacun voit surtout son propre intérêt.

Alors que, vous l'avez dit, l'hôpital est un peu une boîte noire, tout semble montrer qu'on va continuer à le gérer comme auparavant. Peut-on continuer à accepter une telle obscurité dans la gouvernance de l'hôpital ? Il faut que ceux qui ont la responsabilité de l'assurance maladie et du système de santé aient un droit de regard sur l'hôpital.

M. Hervé MORIN : A-t-on une idée du nombre de personnes qui renoncent aux soins, notamment pour des questions de ressources ?

Par ailleurs, j'ai rencontré des représentants de l'ensemble du monde médical et j'ai été surpris de les trouver aussi hermétiques à toute évolution : ils sont tous d'accord sur le diagnostic mais dès qu'on leur demande comment améliorer les choses, on se trouve face à des blocages considérables.

M. Bertrand FRAGONARD : S'agissant du renoncement aux soins, les études du CREDES dont on dispose datent quelque peu. Qui plus est, les chiffres élevés qu'elle comporte doivent être relativisés : si une personne relativement fortunée déclare renoncer à des soins dentaires de très haute qualité, ce n'est pas du tout la même chose que si une personne très modeste a de vraies difficultés pour accéder aux soins. Il me semble toutefois que la difficulté d'accès est moins grande depuis l'instauration de la CMU, qui a marqué un progrès important pour les plus modestes, et du tiers payant. Peut-être faudrait-il relever le seuil d'accès à la CMU, mais on ne peut avancer qu'à pas extrêmement comptés car chaque pas est très onéreux.

En ce qui concerne l'attitude du milieu médical, il me semble que les opinions ont vraiment changé. On peut parler aujourd'hui de continuité des soins, de défauts de prescription, d'accréditation. Pour autant, tous ces chantiers restent devant nous et il est logique que chacun les affronte en s'arc-boutant sur ses positions. Il me semble néanmoins que les professionnels réagissent de façon moins primaire et plus collective. Même à l'hôpital, si le système de gouvernance interne est discutable, il y a aujourd'hui des projets qui vont dans le bon sens, comme la TAA. Il est vrai qu'il y a, à l'hôpital, un potentiel de compétences et d'intelligences exceptionnel, qui devrait permettre de surmonter les blocages.

M. Claude EVIN : Il est difficile pour l'opinion de bien mesurer la réalité du système et pour les professionnels de bien mesurer les enjeux. Il me semble aussi que le discours des professionnels a changé, de même que l'attitude de certaines organisations. Ainsi, M. Chassang ne tient pas le même langage que son prédécesseur, même si un coup de force est possible au sein de la CSMF. Il est vrai toutefois que des difficultés de compréhension persistent comme le montre le récent article du Monde.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Il faut faire le parallèle entre les principes et le diagnostic. On s'aperçoit qu'il est nécessaire de moderniser l'ensemble du système, de procéder à certains réglages, de le rendre plus juste, mais cela peut signifier aussi bien dépenser plus que dépenser moins ou encore que dépenser mieux.

Pour ma part, j'ai été impressionné par les chiffres du CREDES qui montrent que près de 8 % des Français sont incapables de se payer une mutuelle parce qu'ils sont juste au-dessus du seuil de la CMU. Il est indispensable de faire un effort en leur faveur si l'on veut être fidèle à nos principes. Il est donc légitime ici de dépenser plus alors que l'on peut dépenser moins dans d'autres secteurs.

M. Bertrand FRAGONARD : J'ai plaidé pour la CMU depuis 1992 avec les premiers travaux remis à M. René Teulade. Je me suis donc félicité de son instauration. La pertinence du plafond de ressources est une question d'appréciations. Je suis convaincu qu'une partie des difficultés tient au fait que la population concernée n'est pas homogène. Il y a des gens assurés qui n'ont pas de dépenses de santé et d'autres qui doivent engager des débours très élevés. On bute donc sur une extrême dispersion. Peut-être faudrait-il envisager un mécanisme de franchise ou un plafonnement du ticket modérateur. Avant d'investir beaucoup d'argent, il convient de vérifier s'il n'existe pas des techniques plus fines pour diminuer le taux d'effort des gens modestes.

M. Jean-Marie LE GUEN : La dimension financière n'est pas la seule dimension de la consommation médicale. Selon les niveaux socioculturels, on ne consomme pas la même chose, et cela sera encore plus vrai demain lorsque le rôle de la prévention augmentera.

M. le Président : Quelques questions précises concernant la thérapeutique. Pensez-vous qu'il faille agir sur les dépenses ou sur les recettes ?

M. Bertrand FRAGONARD : Les deux, M. le Président.

M. le Président : Si vous deviez préparer une ordonnance de réduction des comptes, quelle serait votre prescription ?

M. Bertrand FRAGONARD : La première proposition du conseil, c'est de remettre de l'ordre dans la maison. On peut par exemple se demander si le taux de marge dégressive lissée des pharmaciens est une bonne formule, si la productivité des hôpitaux est bonne, etc. En 1992, on avait estimé à 20 % le taux de gâchis. Le plan Johanet mentionne 10 à 15 %. De toute façon il faut commencer par se mettre les mains dans le cambouis pour introduire un peu d'ordre, et il existe là une marge de progrès importante. Il n'y a pas de raison que la consommation de médicaments soit aussi abusive, que la continuité des soins soit aussi mal assurée.

M. le Président : Mais comment remettre de l'ordre ?

M. Bertrand FRAGONARD : C'est un combat permanent.

M. le Président : Mais encore ?

M. Bertrand FRAGONARD : Lorsque la marge brute des pharmaciens augmente de 4 %, faut-il revoir les taux de marge ? Faut-il amener les médecins à prescrire différemment ?

Ensuite, il faut des gens pour gouverner la branche maladie. Enfin, on devra considérer les problèmes de recettes et de taux de remboursement.

M. Hervé MARITON : Je trouve un peu artificielle la distinction entre mise en ordre et gouvernance.

Mme Catherine GÉNISSON : Mettre de l'ordre c'est bien, mais il faut un suivi. La CNAM se plaint de ne pas avoir les moyens suffisants.

M. Claude EVIN : Je souhaiterais quelques précisions, car les exemples cités par M. Fragonard renvoient à des niveaux de responsabilité très divers. Dans certains cas cela relève du règlement, donc du gouvernement. Pour d'autres, de la négociation conventionnelle entre les caisses et les professionnels. Pour d'autres encore, des ARH et des établissements de santé. Il faudrait donc cibler un peu mieux.

Si l'on veut par exemple bouger la marge brute des pharmaciens, optimiser la gestion des hôpitaux, intensifier la coordination des soins, on bute précisément sur le « grand bazar ». On ne sait pas qui fait quoi, ce qui permet à tout le monde de passer entre les mailles du filet.

M. Hervé MORIN : C'est comme la décentralisation.

M. le Président : Un sujet à la fois s'il vous plaît.

M. Philippe AUBERGER : Qui aura à définir ce qui est ordre et ce qui est désordre ? Tout le monde admet qu'aller voir un spécialiste sans être passé par un généraliste, c'est un désordre. Mais il faut une autorité qui puisse le dire clairement, et y remédier.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Les données que nous possédons sont très hétérogènes. Ne faudrait-il pas réorganiser la collecte des données ?

M. Hervé MORIN : Un INSEE de la santé !

M. Jean-Michel DUBERNARD : Ensuite, ne faudrait-il pas renforcer le rôle des médecins-conseil de l'assurance maladie ?

M. Yves BUR : La situation actuelle est calamiteuse, et l'on veut revenir à une situation plus saine. Mais comment ? A quel rythme ? Peut-on se permettre d'attendre plusieurs années ?

D'autre part, en ce qui concerne le chiffrage, M. Johanet parlait de 10 milliards d'euros.

M. Bertrand FRAGONARD : Un peu plus.

M. Jean-Marie LE GUEN : 90 milliards de francs.

M. Yves BUR : De quels outils peut-on se servir ? Les sanctions que prône Mme Génisson n'ont pas donné les résultats attendus. Faudrait-il introduire des contrats individuels ? Et puis on peut s'étonner de certaines aberrations, comme cette virgule qui manque dans un arrêté et retarde de quinze jours le passage du Mopral en médicament générique.

M. Jean-Marie LE GUEN : Il faut sans doute remettre de l'ordre, mais aussi réformer un système. Les pathologies évoluent, les malades évoluent. Il ne s'agit pas de revenir à un ordre théorique, M. Auberger. Mais il faudra bien introduire des contraintes. Notre système offre un degré de liberté considérable, et peut-être exagéré. Pour mettre de l'ordre, il faudra instaurer des contraintes, donc ouvrir un débat politique sur celles-ci.

Ensuite, la question du rythme : la loi ne suffira pas à transformer les comportements. Puis, la méthode : qui va faire quoi ? Qui prendra la responsabilité que d'autres ne veulent pas prendre ? Peut-on envisager que tout le monde ne prenne pas ses responsabilités ? Le rapport du Haut Conseil souhaite une clarification de la gouvernance. Mais au niveau politique, n'y-a-t-il pas une responsabilité collective ? La question financière est certes prégnante, mais est-ce la seule raison qui nous pousse à agir maintenant ? Vous avez suggéré certaines priorités logiques, mais le temps politique obéit-il aux mêmes critères ?

M. Hervé MORIN : Avez-vous le sentiment que les partenaires sociaux souhaitent encore gérer la CAM ? Par ailleurs, les propositions de réforme concernent avant tout l'offre, est-il envisageable de réguler aussi la demande, alors que les patients sont de plus en plus des consommateurs ?

M. Jean-Sébastien VIALATTE : Les lettres-clés doivent-elles être des variables d'ajustement ? Quels résultats ont donné dans le passé les lettres-clés flottantes ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Elles n'ont jamais été mises en place.

M. Bertrand FRAGONARD : Le premier problème, qui a été soulevé par M. Dubernard, est celui de l'information. Nous manquons cruellement de données, même si la situation s'est améliorée depuis dix ans. En ce qui concerne l'accès aux spécialistes en première intention, puisque le sujet a été évoqué, nous ne disposons que d'une étude de 1994. Nous ne savons pas qui va chez les spécialistes, et orienté par qui. Aucun industriel ne gérerait ses affaires avec aussi peu de renseignements.

En ce qui concerne le rythme des réformes, je ne pense pas qu'on puisse bousculer les comportements. Mais, à partir du moment où l'on a décidé de s'attaquer aux antibiotiques, on a eu des résultats rapides et appréciables. Nous avons donc une marge de manœuvre sur certains sujets. Pour le reste, il est évident que nous ne ferons pas changer la prescription des médicaments par voie d'autorité. Des apprentis technocrates ont remarqué que les ordonnances étaient trop longues. Ils ont donc proposé de ne plus rembourser, à partir de la cinquième ligne ! Toutes les décisions doivent s'appuyer sur les gens du métier ; encore faut-il qu'ils soient convaincus. Les efforts pour constituer les URML ont été neutralisés par exemple, alors qu'il s'agissait d'une bonne idée.

Si nous voulons changer les pratiques des professionnels, il faut les respecter. Rien ne se fera sans eux. Il est du rôle du gouvernement ou des partenaires sociaux de prendre les décisions qui leur incombent. Il peut s'agir des lettres-clés, de l'implantation des médecins sur les territoires ou de la hiérarchie des revenus... J'ai parlé de mettre de l'ordre dans la maison. Mais étant donné le déficit, vous ne pourrez pas attendre l'amélioration du système pour prendre les décisions financières.

On m'a demandé comment agir sur la demande. Je reste toujours perplexe lorsque j'entends parler de « responsabiliser les patients ». Si nous modifions le taux de remboursement, les complémentaires interviennent tout de suite. La mesure n'a donc aucun effet structurant. Si nous voulons « fidéliser » les patients par le biais des médecins référents, les Français se tourneront aussi tout de suite vers leur mutuelle. Et si on leur demande de se « fidéliser », ils commenceront par demander ce qu'ils y gagnent et ce qu'ils y perdent. L'assuré est méfiant, et il a ses raisons. La politique de communication de la CNAM a été totalement masochiste : on ne cesse de dire aux assurés qu'il faut faire des efforts ! Mais les Français ne feront pas d'efforts pour le bien financier de la Sécurité sociale. Ils en feront pour leur propre bien. Au lieu de pénaliser les assurés, il faut les amener à la discipline en leur expliquant ce qu'ils ont à y gagner.

Le rôle du contrôle médical de l'assurance maladie est un dossier important. Nous sommes loin de l'optimum en matière de contrôle médical. Nous sommes piégés entre la tentation du contrôle et celle d'un débat contractuel sur les pratiques médicales avec les professionnels. Il est essentiel de se baser sur l'expérience concrète des praticiens, mais les politiques veulent toujours plus de contrôle ! Pour cela, ils doivent bien cibler leurs instructions. Le cas des affections longue durée - ALD - qui représentent 50 % des dépenses illustre bien le problème : un protocole de soin existe bien, mais la pratique est très décevante.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Faudrait-il scinder cette activité entre contrôle et conseil ?

M. Bertrand FRAGONARD : En tout état de cause, il faut que les médecins adhèrent à la politique qui est menée.

M. le Président : Vous venez d'évoquer des mesures à long terme. Permettez-moi de poser des questions de non-spécialiste. Le déficit actuel est de 12 milliards ; j'entends parler d'une hausse de la CSG et d'une uniformisation de ses taux. Est-ce une solution ? Qu'en est-il de la hausse du ticket modérateur ? Quels seraient les effets d'un déremboursement des médicaments ?

M. Bertrand FRAGONARD : Ce sont des questions dont le Haut Conseil n'a que peu traité. A l'évidence, il n'est pas envisageable de s'endetter durablement. Certains des membres du conseil voulaient une déclaration catégorique contre toute hausse de l'endettement de l'assurance maladie, mais il est des cas où elle permet un bouclage macroéconomique plus vertueux. Le Haut Conseil s'en est donc tenu à dire qu'on ne s'endetterait pas au-delà des ajustements conjoncturels nécessaires. Mais le but reste de liquider la dette acquise : il ne faudrait pas augmenter le déficit de 12 milliards tous les ans !

Certains ne voulaient pas entendre parler d'une hausse des recettes, arguant qu'il faut commencer par optimiser le système. On bute alors sur le problème que j'ai déjà soulevé : la politique de mise en ordre s'étalera sur des années ! Le Haut Conseil a fini par s'accorder sur une position générale : s'il est acquis que la remise en ordre est engagée, et comme la tendance est haussière, il faudra bien envisager d'augmenter les recettes. Quant à la nature des recettes qui seraient augmentées, le conseil s'est bien abstenu de dire quoi que ce soit ! Il est vrai que c'est un sujet intimement lié à la politique économique et fiscale. Jusqu'à présent, la CSG s'avère un bon outil. Faudrait-il demander un petit effort aux retraités aisés, ou à l'Etat de payer ses cotisations patronales sur les primes des fonctionnaires ? Des pistes existent, mais le conseil n'a pas pris position. Il s'est contenté de mettre l'accent sur certaines exceptions aux principes qui régissent les retraites.

Quant au problème du remboursement, les syndicats de salariés ont accepté d'aborder la question. C'était une sorte de contrepartie à l'effort du MEDEF sur la question des recettes. Il a été acté que les taux de remboursement actuels ne sont pas intangibles dès lors qu'en moyenne les taux d'effort pour se soigner sont très modestes. Cette situation contraste avec le secteur du logement où le taux d'effort des familles modestes pour se loger, après aides, avait augmenté de 4 points en quelques années !

Etant donné notre déficit, il ne devrait pas être tabou d'aborder la question du remboursement, d'autant que notre taux de prise en charge est très élevé. Les syndicats ont donc accepté l'idée qu'on pouvait « ajuster » le taux de remboursement. Il est évident que l'ajustement ne se fera pas à la hausse ! En revanche, on ne pourrait baisser le taux brutalement sans toucher au principe de solidarité.

S'agissant du ticket modérateur, veut-on demander aux ménages des efforts proportionnels à leur consommation ? La solution classique consiste à prévoir un forfait, une hausse du ticket modérateur, ce qui est simple et qui a le mérite de rapporter de l'argent sans remettre en question la solidarité nationale. Mais il faut savoir que dans le dernier vingtile des ALD, soit 300 000 personnes, on consomme 328 boîtes de médicaments par an ! Il y a parmi eux des personnes très modestes à qui on ne peut demander d'acquitter 328 fois le forfait.

Je suis convaincu qu'il faudra réfléchir à d'autres méthodes d'ajustement, comme le plafonnement du ticket modérateur et la franchise.

En définitive, le Haut Conseil a considéré que tout ajustement des taux de remboursement qui n'épargnerait pas les ménages dont la consommation est la plus élevée et qui ne s'accompagnerait pas de mesures correctrices, comme l'adaptation de la CMU ou le plafonnement du ticket modérateur, méconnaîtrait le principe de solidarité nationale. A l'inverse, on peut donc considérer que tout autre type d'ajustement serait acceptable.

M. Jean-Marie LE GUEN : Le rapport élaboré par le Haut Conseil est le meilleur depuis de nombreuses années. Tous les économistes de la santé le disent. Il est à l'origine d'un extraordinaire rapprochement des cultures, puisque son texte a été approuvé par l'ensemble des forces économiques et sociales concernées. Quoi qu'il arrive, on ne peut définir une politique de santé qui ne tienne compte de ce rapport. Or celui-ci n'est pas encore suffisamment diffusé.

M. Yves BUR : Ce rapport est en effet le plus abouti de tous. Mais on a le sentiment que ses conclusions sont utilisées pour neutraliser les solutions entre elles. Le déficit s'élève à 12 milliards, il va s'aggraver, or on ne nous propose que des solutions homéopathiques, si bien que l'assurance maladie va continuer de s'endetter.

S'agissant des forfaits, les Allemands ont mis au point un système intéressant : le forfait s'élève à 5 euros, mais il est limité à 10 % par boîte et à 1 % du revenu du ménage. En outre, les patients souffrant d'une maladie chronique sont exemptés. Nous pouvons faire de même. Dans ce cas, c'est le patient qui demande à son docteur moins de médicaments ou des médicaments moins chers.

M. Hervé MORIN : M. Fragonard, vous n'avez pas répondu à ma question : les partenaires sociaux considèrent-ils toujours que l'assurance maladie est leur affaire ?

Mme Catherine GÉNISSON : Je souhaite des précisions sur la prise en charge de la santé des personnes âgées et sur les réticences du Haut Conseil à envisager que tous les usagers dépendent d'un système unique.

M. le Président : Pouvez-vous préciser votre pensée sur l'avenir du paritarisme ? J'entends dire qu'il est envisagé de créer une Haute autorité du système de santé. Est-ce nécessaire ? Et quel serait le profil d'une telle autorité ?

M. Claude EVIN : Traditionnellement, le débat sur l'assurance maladie se concentre sur les relations entre les caisses et la médecine ambulatoire. Le Haut Conseil considère-t-il que la réforme doit concerner l'ensemble de l'offre de soins, y compris l'hospitalisation publique et privée ?

M. Gérard DUBRAC : Vous dites vouloir remettre de l'ordre dans les dépenses, mais ce sont aussi les recettes qui manquent. On pourrait dérembourser l'ensemble des médicaments que le problème continuerait de se poser. En effet, si la dépense est universelle, la participation ne l'est pas, puisque seul le travail est taxé. On ne peut conserver un bon niveau de soins en France dans ces conditions, d'autant que le nombre des praticiens n'est pas pléthorique. Dans certaines zones, les médecins préféreraient être déconventionnés que de continuer à se faire racketter.

M. Bertrand FRAGONARD : M. Bur dit que ce rapport magnifique et consensuel lui paraît aussi ambigu et timide... C'est la loi du genre : si vous recherchez le consensus, il faut adopter des rédactions souples.

Il ne faut pas surestimer le caractère consensuel du rapport. Nous avons fait 10 % du travail, à vous de faire le reste.

Les outils allemands sont assez sophistiqués : on introduit l'idée d'une franchise tout en la modulant en fonction des revenus. On ne peut esquiver ce débat. Tous les pays explorent de tels mécanismes de régulation. Ils en attendent un rendement financier immédiat. Mais ces mécanismes auront-ils pour effet de modifier les pratiques médicales ? Les mesures d'ajustement doivent-elles être d'ordre public ou pas ? Si les mutuelles les effacent, elles n'ont aucun effet sur la consommation. Sur ce point, le Haut Conseil était très partagé et si nous avions voté, nous aurions sans doute rejeté le ticket modérateur d'ordre public, qui pose autant de problèmes qu'il en règle.

M. Jean-Marie LE GUEN : Nous retombons toujours sur la même question : qui consomme ?

M. Bertrand FRAGONARD : M. Morin m'a interrogé sur la gestion. Tout le monde dit avoir envie de gérer, sauf le MEDEF. Les syndicats de salariés demandent une véritable gestion déléguée.

M. Claude EVIN : Mais que veulent-ils gérer ?

M. Bertrand FRAGONARD : Plutôt ce qui concerne l'ambulatoire. Les syndicats de salariés ne détestent pas la formule du paritarisme. D'autres acteurs voudraient aussi jouer un rôle : les associations de malades et les assurances complémentaires. Mais s'ils obtiennent satisfaction, il faudra trouver une majorité capable d'assumer la délégation de gestion. En tout état de cause, personne ne souhaite l'étatisation de la Sécurité sociale.

Je n'ai pas d'opinion sur l'avenir du paritarisme. Ce système donne des résultats, puisqu'il oblige les partenaires sociaux à trouver un accord lorsqu'ils sont confrontés aux réalités budgétaires. On constate cependant qu'en allant au fond des choses, c'est-à-dire en abordant les problèmes de liberté publique et de pratique professionnelle, la gestion paritaire devient plus difficile. De toute façon, le paritarisme n'a pas d'avenir sans le MEDEF.

J'ignore s'il faut une haute autorité du système de santé, car j'ignore comment les gens qui la proposent la conçoivent.

Sur la question de Mme Génisson relative aux personnes âgées, les partenaires sociaux ne sont pas partisans de regrouper les soins et la dépendance dans un « cinquième risque » autonome. Mais cette perspective ne figure pas dans les projets du gouvernement relatifs à la constitution d'une caisse dépendance.

Enfin, M. Evin, les partenaires sociaux pensent, quoi qu'ils disent, à une gestion de l'ambulatoire ; en même temps ils sont gênés pour soutenir cette position, en raison des problèmes complexes d'articulation avec l'hôpital, et parce qu'il est peu défendable de ne prendre en charge que la moitié du système de soins.

M. Claude EVIN : Encore n'atteint-on la moitié que si l'on inclut les prescriptions.

M. Bertrand FRAGONARD : Le Haut comité n'a pas eu à trancher sur le périmètre d'une éventuelle délégation : il s'est borné à dire que, s'il y a délégation, il doit y avoir responsabilité. Je crois que beaucoup de partenaires sociaux hésiteraient à prendre des responsabilités majeures en matière d'hospitalisation. Je suis stupéfait de rencontrer sans cesse des gens qui croient que l'hôpital « ne fera pas partie de la réforme » : la réforme est globale, et l'hôpital fait assurément partie des choses à réformer. Les options retenues, notamment celle d'un outil de tarification qui oblige à y voir plus clair, feront bouger les choses, si l'on s'y tient.

Je ne suis pas en mesure de distinguer, dans la crise actuelle, ce qui tient à l'excès des dépenses ou à l'insuffisance des recettes. Nous n'avons pas chiffré les dépenses : nous constatons simplement qu'elles sont élevées, et qu'il faut donc peser sur l'offre si l'on veut infléchir la courbe. Je parle simplement d'infléchissement, car nous savons que la courbe restera ascendante. Certains avancent des chiffres précis : 5 %, voire 10 % à récupérer. Cela signifierait cinq à sept ans de marge, ce qui est très important. Mais cela relève de l'art de faire. En matière de recettes, l'assiette de la Sécurité sociale n'est pas mauvaise ; elle a évolué à peu près comme la richesse nationale. Mais bien sûr elle est insuffisante si l'on veut couvrir une dépense qui progresse plus vite que cette richesse : il faut alors ajuster les remboursements ou trouver d'autres recettes. Depuis 1979 on a mis à contribution les retraités, depuis 1982 les chômeurs, puis est venue la CSG qui a été un apport significatif. Il est vrai que pour des raisons d'opportunité on n'a pas établi une stricte équivalence pour les revenus de remplacement, et que l'augmentation de la CSG des personnes âgées reste un problème délicat. Mais la CSG a élargi l'assiette à une partie des revenus du capital. C'est pourquoi les syndicats, surtout la CFDT, ont souhaité que la CSG soit mentionnée comme un élément positif.

D'autre part, 10 % de la richesse nationale, est-ce trop ? Oui, si l'on regarde le rendement du système. Mais dans la durée on dépassera 10 % : les Etats-Unis, qui en sont environ à 13 %, s'attendent à atteindre 18 % dans dix ans.

M. Gérard DUBRAC : Je maintiens qu'il est important de bien calibrer le manque de recettes et l'excès de dépenses. Car si l'on agit mal sur l'un de ces leviers, on va soit réduire les prestations, ce qui est contraire aux principes de la Sécurité sociale, soit créer un énorme mécontentement. Un jour peut venir où les 5 % d'assurés que vous évoquiez n'absorberont plus 60 %, mais 95 % de la dépense : on va alors contracter les 40 % qui restaient, c'est-à-dire pénaliser de braves gens qui, après avoir cotisé pendant trente-cinq ans, n'auront plus l'occasion de commencer à dépenser. Ils auront le sentiment d'avoir fait les frais de l'opération, laquelle ne résoudra même pas le problème. Il est donc important d'avoir dès le départ un bon calibrage des deux éléments, sans quoi on court à l'échec auprès de l'opinion.

M. Bertrand FRAGONARD : Je crois que l'opinion est capable d'admettre une baisse des remboursements, mais pas si on lui dit en même temps que le système est mal géré : ce serait demander aux gens d'être cocus, battus... et contents ! A mes yeux mener une politique c'est être rigoureux. Faut-il commencer par dire que les recettes sont insuffisantes ? Non : il faut commencer par dire qu'il faut mettre de l'ordre.

M. Gérard DUBRAC : C'est de la morale.

M. Bertrand FRAGONARD : Non, c'est de la macroéconomie : vous devez dire ce qui est acceptable en termes économiques, au regard du développement de la nation. Peut-on se satisfaire de constater que l'assurance maladie a dû rembourser n'importe quoi à tout le monde, et qu'une partie de cette dépense a été financée en prélevant systématiquement tous les ans les excédents de la CNAF ? Le résultat est que nous avons beaucoup de mal à assurer des aides au logement, qui sont pourtant parmi les plus ciblées. Je suis convaincu que les Français, si on leur dit pourquoi on réforme, peuvent accepter des sacrifices.

M. Claude EVIN : Pour clarifier l'un des points évoqués : l'hôpital demande à être dans la réforme. J'aurai peut-être d'ici quelques jours une légitimité plus forte à l'affirmer.

M. le Président : Je remercie M. Fragonard.

Audition de M. Jean-Marie SPAETH,
président du conseil d'administration de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)


(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 avril 2004)


Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. Jean-Marie Spaeth, président du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, est introduit accompagné de Mme Sophie Thuot-Tavernier, responsable de la mission de veille législative à la direction juridique de la CNAM, et de M. Alain Deluc, chargé de mission.

M. le Président : M. le président de la CNAM, je souhaite que vous répondiez à nos questions qui sont organisées autour de trois thèmes. Tout d'abord, comment formuleriez-vous les principes fondamentaux sur lesquels doit reposer l'assurance maladie ? Ensuite, quel diagnostic faites-vous des difficultés actuelles de l'assurance maladie ? Je pense non seulement aux problèmes financiers, mais aux dysfonctionnements éventuels qui pourraient miner les fondements du régime. Enfin, et ce point nous retiendra plus longtemps, quelles pistes vous paraissent envisageables pour une éventuelle réforme, qu'il s'agisse des dépenses et des recettes, ou de l'organisation, du fonctionnement et de la gestion du système de soins ?

M. Jean-Marie SPAETH : Je vous remercie de cette invitation, je répondrai à vos questions à la lumière d'une expérience de huit ans comme président de la CNAM.

Les principes fondateurs de la Sécurité sociale sont la solidarité et l'égalité. La Sécurité sociale et l'assurance maladie sont pour chacun de nous un élément de citoyenneté, et pour la société un facteur essentiel de cohésion. C'est pourquoi la réforme de ce système ne saurait consister à le bouleverser, mais à l'adapter aux réalités actuelles.

Deuxième principe : la Sécurité sociale est universelle. Chacun paie selon ses revenus : la CSG a permis d'avancer dans ce sens. Et l'accès aux soins est ouvert à toute la population. Il y a donc solidarité à l'entrée : on ne va pas à la sortie, demander aux gens leur bulletin de paie. Nous sommes dans un système d'assurance sociale.

En troisième lieu, la Sécurité sociale va fêter ses soixante ans. Elle a déjà traversé un certain nombre de tempêtes. Ce qui est nécessaire, c'est donc une adaptation, et non pas un grand soir...

Le risque est que l'on s'en tienne aux réalités économiques, que je ne nie pas, alors que le moment est venu d'aller au-delà de l'équilibre financier nécessaire et souhaitable pour repositionner l'assurance maladie.

M. le Président : Je ne suis pas un spécialiste, mais on me dit qu'il y a un problème...

M. Jean-Marie SPAETH : Dans l'histoire de l'assurance maladie, il n'y a pas eu que des mesures financières, il y a eu aussi des évolutions structurelles. Je considère que celle de 1996 a été véritablement fondatrice en ce qu'elle a fondé la légitimité du Parlement à débattre de ces sujets, à définir la politique de santé et à fixer son cadre économique.

Il y a toutefois une différence entre la retraite, les prestations familiales et l'assurance maladie. En matière de retraite, le Parlement définit à la fois des droits collectifs, c'est-à-dire un objectif de dépenses en fonction du nombre de retraités qui est précisément connu, et des droits individuels en termes d'âge de départ. Ensuite, pour que ce droit soit honoré, le nouveau retraité se tourne vers sa caisse de retraite qui lui indique quel est son droit à pension. Les choses fonctionnent de la même façon pour les prestations familiales. En revanche, pour l'assurance maladie, le Parlement vote un objectif de dépenses, mais nul ne sait à quoi il correspond en termes de droits collectifs et individuels. Quand on est malade, on ne va pas voir sa caisse primaire ou sa caisse de MSA, on va voir un médecin ou on se rend à l'hôpital.

On n'a pas réussi, c'est en cela que les ordonnances de 1996 sont restées au milieu du gué, à définir des objectifs en matière de droit aux soins. On ignore ce qui est à l'interface entre les professionnels qui honorent ce droit et le droit individuel de chaque citoyen. Il n'y a pas de règle explicite. Le problème est donc celui de la définition de ce qu'on paie collectivement et pour chaque individu. Il faut aujourd'hui définir un droit citoyen fondé sur des critères médicaux et non laisser, au nom de la liberté, les pratiques individuelles conduire le jeu.

M. le Président : Mais on dit que nous sommes confrontés à un déficit très important, qui atteindrait déjà 12 milliards et qui risque de se creuser. Avez-vous, comme d'autres, le sentiment que le système est en faillite ?

M. Jean-Marie SPAETH : N'exagérons rien ! Cette somme est considérable, mais il faut tenir compte du service rendu à la nation. Nous avons un bon système de soins, il ne s'agit pas de dire qu'il est en faillite et d'en construire un autre, mais de l'adapter pour le pérenniser.

M. le Président : Si, comme on le dit, ce déficit continue à se creuser, il faut savoir comment éviter de le remettre en cause, puisque nous sommes tous d'accord sur les principes.

M. Jean-Marie SPAETH : Le déficit se mesure à l'aune des recettes et des dépenses. Les premières sont liées à la situation économique. On ne peut faire varier sans cesse notre organisation médicale en fonction de cette situation, mais il faut adapter les dépenses car, même en période de croissance forte, il y a un décalage avec les recettes. Il y a donc un déficit structurel. Il est également probable que l'évolution technique et le vieillissement de la population conduiront à rechercher des recettes supplémentaires, mais cela relève du débat politique, nos concitoyens étant sans doute prêts à accepter des prélèvements obligatoires supplémentaires s'ils sont convaincus que cet argent est dépensé à bon escient.

S'il est nécessaire de trouver des réponses financières, il ne convient pas, comme l'ont fait tous les gouvernements depuis vingt ans, de procéder à des déremboursements. Je ne crois pas un seul instant que cela pourrait permettre de responsabiliser individuellement les Français. En fait, cette logique conduit surtout à exclure ceux qui sont privés d'assurance complémentaire de l'accès aux soins.

Il me semble impossible qu'il y ait un jour un rapport égalitaire entre le malade qui souffre et le professionnel de santé. Il y a là des relations irrationnelles, c'est d'ailleurs pourquoi un médecin soigne rarement les membres de sa famille. On ne peut à la fois responsabiliser les gens et laisser une franchise à leur charge. Les Français peuvent comprendre qu'ils doivent payer plus parce qu'il faut plus de recettes, pas parce qu'ils doivent être responsabilisés. La responsabilité doit être partagée entre le professionnel et le patient, c'est pour cela qu'il faut une règle du jeu explicite, valable tout au long du système de soins, fondée sur des connaissances scientifiques et valant ainsi droits et devoirs pour tous les citoyens.

M. Hervé MARITON : Des exemples ?

M. Jean-Marie SPAETH : Il y en a beaucoup. Ainsi la biologie explose, avec un rythme annuel de croissance de 14 %. Mais à quelle fréquence faut-il vérifier le taux de cholestérol ? Une à deux fois par an, une fois par semaine ou tous les jours ? Pour l'instant nous remboursons tout... Quelle est la règle ?

Je souhaite que la communauté scientifique définisse en permanence de telles règles. La médecine n'est pas une science exacte mais une science précise. Un professionnel a une obligation de moyens mais pas forcément une obligation de résultat. Peut-être est-ce parce qu'on trouve sur internet comment soigner l'hypertension artérielle que les prescriptions de statine sont aussi nombreuses, en dehors de toute norme. Ainsi, 30 % des prescriptions ne sont précédées d'aucune analyse biologique.

M. le Président : Je ne suis pas médecin et je ne suis pas encore malade, mais je me demande ce que fait la CNAM. N'a-t-elle pas pour rôle de contrôler et, éventuellement, de sanctionner ?

M. Jean-Marie SPAETH : Elle dispose désormais d'un outil statistique performant qui fournit de telles informations. Mais pour sanctionner, il faudrait qu'elle puisse se fonder sur des règles définies par la communauté scientifique.

M. Claude EVIN : Mais qui doit demander à la communauté scientifique de poser ces règles ?

M. Jean-Marie SPAETH : L'Etat !

M. Claude EVIN : Mais vous avez la possibilité d'interpeller les personnes compétentes, le faites-vous ?

M. le Président : Quand vous parlez de communauté scientifique, de qui s'agit-il exactement ?

M. Jean-Marie SPAETH : Par exemple de l'ANAES, qui pourrait être musclée pour cela.

M. Claude EVIN : N'existe-t-il pas déjà des références médicales opposables ?

M. Jean-Marie SPAETH : Il s'agit de références négatives, qui définissent ce qu'il ne faut pas faire. Il faut arriver à des références positives.

M. Gérard DUBRAC : Le juste soin ?

M. Jean-Marie SPAETH : En effet. Aujourd'hui, les possibilités de soins sont presque illimitées. Le problème pour l'assurance maladie c'est de définir un périmètre, ce qu'elle ne peut faire qu'à partir de protocoles et de références médicales. Quand ces références seront explicites, il faudra qu'elles deviennent opposables à la fois aux professionnels et aux patients. C'est à ce moment seulement que nous aurons la possibilité de contrôler. Pour l'instant quand nous constatons des dérives en matière d'indemnités journalières, nous les supprimons aux salariés, mais nous ne pouvons rien faire contre les prescriptions abusives et il suffit au salarié de retourner voir son médecin pour être arrêté de nouveau.

Vous me dites tous qu'il faut contrôler, mais quand je vous ai suggéré une méthode pour sanctionner les prescriptions abusives, vous ne l'avez pas reprise sous forme d'amendement... Les médecins-conseils n'ont aucun moyen de sanctionner qui que ce soit, cela n'empêche pas les syndicats de médecins de dire que la CNAM sanctionne... Si je demande à M. Chassang de me donner un exemple de sanction, il est bien en peine de le faire, parce qu'il n'y en a pas.

M. Claude EVIN : Et c'est bien dommage.

M. Jean-Marie SPAETH : On colporte beaucoup d'informations inexactes, sur les quotas par exemple. La vérité c'est qu'il n'y a pas de règle, et qu'il faudrait en définir une.

M. Jean-Sébastien VIALATTE : Il est vrai que la dépense de biologie a fortement augmenté. Mais je ne peux laisser dire que cela soit lié au cholestérol...

M. Jean-Marie SPAETH : Je n'ai pas dit ça.

M. Jean-Sébastien VIALATTE : La vérité, c'est qu'on multiplie les dépistages, pour la trisomie 21, pour l'hépatite C, il y a du nouveau sur les groupes sanguins. Ce qui augmente, ce ne sont pas les prescriptions, c'est la technicité des actes.

Mme Catherine GÉNISSON : C'est le principe de précaution.

M. Jean-Marie SPAETH : J'ai pris le cholestérol comme un exemple. Je ne nie pas les évolutions technologiques, mais il reste que notre organisation de la biologie est pléthorique : la France est l'un des pays où il y a le plus de laboratoires.

M. Hervé MARITON : Vous proposez donc de diminuer le nombre des biologistes, afin de compliquer l'accès des Français aux laboratoires ?

M. Jean-Marie SPAETH : Pas exactement.

M. Hervé MARITON : En tout cas je pose la question. On peut imaginer en effet que le rationnement soit une solution. A votre avis, dans l'augmentation de la dépense biologique, quelle est la part du facteur technique et celle de la multiplication des actes ?

Par ailleurs, vous avez dit qu'il ne s'agit pas de réformer mais d'adapter. Quelle différence faites-vous entre ces deux notions ?

M. Philippe AUBERGER : Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris ce que vous avez dit à propos des droits et des devoirs. En définissant des droits opposables, par exemple deux examens de cholestérol par an, ne risque-t-on pas au contraire de provoquer une hausse de la demande, chacun voulant alors faire faire les deux examens auxquels il a droit ?

M. le Président : Vous avez dit qu'il fallait fixer des règles et que la CNAM les ferait appliquer. La fixation des règles pourrait-elle incomber au Haut Conseil de la santé ?

M. Yves BUR : Vous avez posé en somme le problème de la délégation de gestion et du partage des responsabilités en vue d'une meilleure efficacité du système de santé. Entendez-vous que cette délégation concerne seulement la médecine de ville, ou bien aussi le médicament, voire la gestion de l'hôpital ? Il faut des règles claires. Depuis dix ou quinze ans aucune convention n'a échappé à une condamnation par le Conseil d'Etat, ce qui a obligé le Parlement à intervenir, avec la lourdeur que cela implique. Il me semble que, si le Parlement entre dans le détail des bonnes pratiques médicales, il sort de son rôle. Qui devra donc définir les règles ?

M. Claude EVIN : Il faut en effet préciser le périmètre de la délégation de gestion. Quel type de responsabilité ? Pour les dépenses seulement ? Ou bien aussi pour les recettes ? Quel rapport entre le délégataire de gestion et l'Etat ?

La législation actuelle comporte déjà des éléments de délégation de gestion. La législature précédente avait adopté un certain nombre de mesures d'extension de compétences, dans l'article 162-5 du code de la Sécurité sociale. On a introduit de nouveaux modes de rémunération que la rémunération à l'acte, ainsi que l'organisation spatiale de l'offre de soins ambulatoires : mais rien de cela n'a été mis en œuvre. Il faudrait faire aussi le bilan des objectifs de dépenses délégués. Comment faire en sorte que ce qui n'a pas marché hier puisse marcher demain ?

M. Jean-Marie SPAETH : Il sera toujours difficile de définir un droit explicite en matière d'accès aux soins. Mais ce n'est pas une raison pour persévérer dans le laisser-faire actuel. Nous avons là un devoir républicain. Tout professionnel sait bien quelles sont les bonnes pratiques, et il n'y a pas besoin de tout écrire : un médecin aura toujours une marge d'appréciation. Mais il n'est pas acceptable de ne pas dire quel est aujourd'hui l'état des lieux du magistère médical.

Certes, M. Auberger, il y aura des différences entre l'utilité scientifique et l'utilité individuelle. Quand la communauté scientifique déclare que l'homéopathie n'a pas d'utilité thérapeutique, la personne qui y recourt, elle, se trouve bien. L'utilité scientifique des cures médicales n'est pas démontrée, mais il existe une utilité collective pour l'emploi. La question est de savoir si la Sécurité sociale doit financer l'emploi. Quand vous voulez fermer un hôpital, on vous parle aménagement du territoire, conséquences pour l'emploi. Et je ne parle pas de tous les lobbies et de toutes les corporations.

M. le Président : Si j'ai bien compris, vous avez dit qu'il fallait fixer des règles contraignantes pour l'offre de soins.

M. Jean-Marie SPAETH : Non, j'ai dit qu'il fallait définir le contenu médical des dépenses.

M. le Président : Vous avez bien dit qu'il ne fallait pas plus de cinq analyses pour le cholestérol ?

M. Jean-Marie SPAETH : J'ai dit que la communauté scientifique devait définir les bonnes solutions.

M. le Président : J'ai cru entendre : fixation de règles contraignantes pour l'offre de soins ; contrôle des prescriptions médicales, sanction en cas de non-respect des normes. Mais M. Fragonard nous disait tout à l'heure qu'il ne fallait rien brusquer. Vous-même, vous voudriez décider cela tout de suite ? Je souhaite que vous deveniez ministre de la santé !

M. Jean-Marie SPAETH : Je n'ai pas dit que la responsabilisation des professionnels et des patients devait passer par la menace de sanctions permanentes. Il faut définir une responsabilité partagée.

M. Hervé MARITON : Mais quel statut donnez-vous à cette responsabilité ?

M. Jean-Marie SPAETH : Je vous donnerai l'exemple du dépistage du cancer du sein. Il a fallu trois ministres successifs pour parvenir à sa généralisation. Pourquoi ? Parce qu'il a fallu d'abord que la communauté scientifique se mette d'accord pour fixer un âge, sans que l'on risque d'ouvrir la voie à des recours juridiques pour un ou deux mois de plus ou de moins. La juridisation est un véritable problème. Le fait de définir des protocoles opposables dégage la responsabilité pénale des professionnels. Il faut bien qu'à un moment donné ces questions soient tranchées par le Parlement, éclairé par la communauté scientifique. Bien sûr, on peut aller en cure. Mais cela rentre-t-il dans un financement solidaire ? La réponse dépend d'un choix politique.

La crise actuelle n'est pas une crise de l'assurance maladie : c'est la crise de ce qu'on finance. Le malade n'est plus au centre du système : ce sont les financements qui ont été décidés hier et qui se sont institutionnalisés.

En ce qui concerne la relation ville-hôpital, je dois faire remarquer que même si tous les actes étaient excellemment faits, l'addition d'actes excellents ne fait pas un système de soins performant. Il faut donc sortir de la gestion du système par blocs. Aujourd'hui, le bloc médicaments et celui de l'hôpital sont gérés par l'Etat. Le bloc ville est délégué à la CNAM. Il faut passer à une gestion par fonction. Si la fonction de remboursement est déléguée à l'assurance maladie, elle doit être transversale. Il va de soi que la gestion administrative de l'hôpital peut rester à l'Etat, mais la montée en puissance de la T2A par exemple doit permettre de fusionner la ville et l'hôpital. La question du remboursement est très différente de questions politiques telles que celle de l'aménagement du territoire par exemple.

En ce qui concerne les conventions, elles n'ont été annulées que parce que nous avons voulu innover trop vite ! On a voulu instaurer le tiers payant pour les médecins référents, mais comme la loi ne le prévoyait pas, le Conseil d'Etat a annulé. Les médecins référents étaient, à l'époque, décriés, mais chacun admet aujourd'hui que le médecin généraliste doit redevenir le pivot du système. Le paiement forfaitaire a été annulé pour les mêmes raisons. Mais il a suffi de modifier la loi. Il existe dorénavant des conventions avec tous les professionnels, qui comportent une part de rémunération forfaitaire. Plus personne ne conteste les rémunérations mixtes. Comment, autrement, inciter les professionnels à choisir certaines zones géographiques ?

M. Claude EVIN : Selon vous, la fonction des soins doit être traitée par les caisses tant pour l'ambulatoire que pour l'hôpital. Mais cela pose la question du risque. Comment séparer la question du risque de celle de l'organisation de l'offre de soins ?

M. Jean-Marie SPAETH : Il faut établir des forfaits de soins par grande pathologie.

M. Claude EVIN : Cela ne règle pas le problème de l'organisation de l'offre !

M. Jean-Marie SPAETH : Bien sûr que si ! L'essentiel est de fournir une réponse au patient, qui se rend à la fois chez le généraliste, chez le spécialiste et à l'hôpital. Il existe un protocole pour le diabète. On peut fixer une norme selon laquelle il faut pratiquer un fond de l'œil tous les ans. Le patient peut parfaitement en avoir davantage, mais les examens supplémentaires ne seront pas remboursés par la Sécurité sociale. Lorsque la norme est fixée, elle est opposable. Par ailleurs, il est parfois nécessaire d'aller en établissement pour faire l'équilibre du diabète. Il faut donc un forfait de prise en charge transversal.

M. le Président : Pour résumer, vous proposez de définir l'offre de soins, d'en contrôler la bonne application et, le cas échéant, d'appliquer des sanctions. Le non-remboursement est une sanction pour le patient. Y a-t-il des sanctions pour le médecin ?

M. Jean-Marie SPAETH : Les normes sont également opposables au médecin. Aujourd'hui, la seule sanction est le déconventionnement - autant dire la bombe atomique, puisqu'il s'agit d'une sorte d'interdiction de travail. Si un médecin s'écarte de la norme, je propose qu'il reçoive un avertissement, puis une sanction financière. Ce n'est qu'après, si sa pratique demeure en infraction, qu'on passera au déconventionnement. Ce processus doit être établi en commun avec les professionnels.

M. Claude EVIN : La question de la délégation de gestion me paraît centrale. La tarification par pathologie est une réponse financière, mais elle ne permet pas de régler l'organisation de l'offre de soins. La TAA par exemple est une mesure très intéressante pour optimiser les moyens, mais elle ne permet pas de répartir l'offre de soins dans l'espace. Le risque est de réussir une rationalisation économique sans se rendre compte qu'il y a des trous dans la couverture du territoire. C'est ce qui se passera si la délégation de gestion ne porte que sur la tarification.

M. Jean-Marie SPAETH : Je n'ai jamais suggéré que la planification hospitalière ou médicale soit déléguée à l'assurance maladie. Elle relève de l'Etat.

M. Claude EVIN : Peut-on gérer l'un sans l'autre ?

M. Jean-Marie SPAETH : La planification est une décision régalienne. L'assurance maladie est à l'interface entre professionnels et assurés. Son rôle est de bâtir des outils pour mettre en œuvre la planification. Je prends pour exemple la liberté d'installation. Il me semble qu'elle ne peut se défendre que s'il n'y a pas de numerus clausus à l'entrée de la formation. Si le numerus clausus existe - et je ne suis pas contre -, les médecins ne doivent pas pouvoir s'installer où bon leur semble. Mais cette répartition doit se faire de façon incitative, par la rémunération par exemple. La question est difficile, mais l'Etat ne peut pas accepter de laisser une frange de la population manquer d'offre médicale.

M. Yves BUR : Cela va-t-il être mis en œuvre par le conseil d'administration, par un conseil exécutif ? Les partenaires sociaux vont-ils piloter seuls le système ? On sait que le MEDEF ne reviendra pas à l'ancienne organisation. Le pilotage se fera-t-il en commun avec l'Etat et peut-être d'autres partenaires encore, comme les assurances ?

M. Jean-Marie SPAETH : On ne peut affirmer froidement que le conseil d'administration de la CNAM n'est pas efficace. Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est bien parce que le président, certains syndicats et la mutualité ont tenu le cap depuis deux ans et demi. Autrement, l'assurance maladie n'existerait plus. Le MEDEF a quitté le conseil d'administration en pensant faire imploser le système et mener ainsi à une étatisation. Il semble disposé à revenir aujourd'hui.

La question du pilotage n'a pas à être réglée maintenant. Vous devez d'abord définir de grandes fonctions et décider de celles qui seront déléguées à l'assurance maladie. Quand nous en serons là, les partenaires sociaux prendront la responsabilité de participer ou non. A l'ARRCO, à l'AGIRC ou pour les intermittents du spectacle, certains syndicats n'ont jamais accepté de signer un quelconque accord qu'ils défendent ensuite avec force ; nous les défendons pourtant ! Certains partenaires n'ont jamais, depuis trente-sept ans, voté un budget de l'assurance maladie... Ils devront choisir entre se maintenir dans un rôle tribunitien et prendre leurs responsabilités. Lorsque tout cela sera fait, je me charge de bâtir l'organisation pour agir.

M. Pierre Laroque, père de la Sécurité sociale, avait indiqué qu'il avait l'ambition, après que le pays ait retrouvé la démocratie politique, d'atteindre la démocratie sociale. Je suis convaincu que la Sécurité sociale et l'assurance maladie sont des éléments fondamentaux de cette démocratie sociale. Un financement solidaire implique des choix. Ceux qui voudront les appliquer prendront leurs responsabilités, mais c'est à vous qu'il appartient de les faire.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de Mme Danièle KARNIEWICZ,
secrétaire nationale chargée du pôle « protection sociale »
à la CFE-CGC


(Extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 2004)


Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : La mission parlementaire vous propose d'exposer quels principes doivent, selon votre organisation, régir l'assurance maladie, quel diagnostic elle porte sur sa situation et, ces principes et ce diagnostic étant posés, quelles solutions elle propose pour pérenniser le système et pour mettre un terme à cette situation préoccupante.

Mme Danièle KARNIEWICZ : La CFE-CGC est attachée aux principes fondamentaux de l'assurance maladie française, à savoir la solidarité et l'universalité, autrement dit à l'égal accès aux soins pour tous - indépendamment de leurs revenus, de leur état de santé ou de la composition du foyer - valeur essentielle qui doit être sauvegardée. Pour nos mandants, qui contribuent fortement à ce système, la notion de solidarité est très importante. Ils considèrent qu'il faut préserver la cohésion sociale en mutualisant ce bien collectif qu'est l'assurance maladie.

Pour ce qui est du diagnostic, la CFE-CGC partage très largement celui qu'a exprimé le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie : la confédération constate l'existence d'un déficit important, et aussi que ce déficit est structurel. Pour ne pas laisser cette charge reposer sur les générations futures, des mesures doivent dès aujourd'hui être prises concernant à la fois les recettes, l'organisation des soins et la maîtrise des dépenses. Si l'on n'agit pas sur l'ensemble de ces paramètres en même temps, combler le déficit sera impossible.

Les solutions découlent, bien entendu, du diagnostic. Pour la CFE-CGC, elles peuvent s'articuler en trois chapitres : l'organisation du système de santé, son financement et sa gouvernance. S'agissant de l'organisation, il faut agir sur la qualité des soins, l'offre de soins, la consommation de soins et le périmètre des soins remboursables. J'aborderai également dans ma proposition la question de la perte d'autonomie et celle de contrat collectif de complémentaire santé.

Le débat sur l'avenir de l'assurance maladie doit faire la part belle à la qualité des soins. De fait, une partie du déficit et ce que l'on qualifie d'« abus » ou de « gaspillages » tiennent à un manque de régulation et de coordination. Il faut donc, pour commencer, constituer un dossier médical partagé, qui suppose la garantie d'une stricte confidentialité. Les informations concernant sa santé appartiennent à chaque patient ; elles ne peuvent donc être partagées qu'avec le seul monde médical et, en aucun cas, avec les services administratifs des caisses d'assurance maladie, les complémentaires ou les assurances privées. Nos mandants considèrent qu'un dossier médical partagé, établi à l'origine par un médecin référent, permettrait de suivre le parcours de santé de chaque malade, ce qui éviterait le nomadisme - qui n'est d'ailleurs pas aussi fréquent que l'on veut bien le dire - et permettrait d'améliorer les conseils dispensés. La CFE-CGC est par ailleurs favorable à la formation médicale continue, qui devra prendre la forme de formations labellisées pour l'ensemble des professions de santé, s'appuyant sur des mesures incitatives. Nous considérons aussi que l'information sur les médicaments et les pathologies, nettement insuffisante en France, devrait être renforcée.

M. Jean-Marie LE GUEN : Nous sommes nombreux à penser, comme vous, que la réforme de l'assurance maladie passe par l'amélioration de la qualité des soins et donc par la formation médicale continue, dont nous avons parlé hier encore dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la santé publique. S'agissant du dossier médical partagé, comment organiseriez-vous un tel dispositif ? Prévoyez-vous, comme certains, un organisme national appelé d'une part à regrouper des statistiques anonymes accessibles à tous les intéressés, qu'il s'agisse par exemple de caisses d'assurances ou de chercheurs en économie de la santé et, d'autre part, à collecter de manière centralisée les informations médicales individuelles ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Le recueil de données statistiques anonymes par l'intermédiaire d'un organisme national ne fait l'objet d'aucun débat au sein de la confédération, mais il n'en va pas de même pour ce qui relève des renseignements individuels. Nos mandants considèrent en effet que le recueil de données médicales suppose une confidentialité totale, difficile sinon impossible à garantir dans le cas de dossiers informatisés. C'est pourquoi ils privilégient la constitution de dossiers médicaux strictement individuels et avec des codes d'accès personnels.

M. Hervé MARITON : Si je comprends bien, les dossiers médicaux resteraient dans un tiroir ?

M. Jean-Marie LE GUEN : On le sait, les opinions divergent sur la procédure à suivre. Pour certains, le dossier du patient resterait chez le médecin, sous la forme d'un carnet de santé. Pour d'autres, les données médicales seraient collectées et informatisées, puis partagées selon les souhaits du patient. Ils sont également favorables au rassemblement de l'ensemble des renseignements médicaux individuels au sein d'une banque de données centralisée accessible aux professionnels de santé autorisés.

Mme Danièle KARNIEWICZ : Comme je l'ai dit, la CFE-CGC préfère, en l'état, la version minimaliste pour ce qui concerne les données personnelles, car la majorité de nos mandants est préoccupée par la difficulté de garantir la confidentialité de ces données personnelles. Par contre, nous souhaitons le recueil centralisé des données statistiques anonymes.

M. Gérard DUBRAC : Il appartient au monde médical de définir le périmètre des données médicales éventuellement communicables.

Mme Danièle KARNIEWICZ : A ceci près que les données personnelles appartiennent au patient !

M. Philippe VITEL : C'est par la formation médicale continue que les praticiens vont se familiariser avec les pratiques leur permettant d'informer leurs patients de manière appropriée. En tout état de cause, faisons-leur confiance pour respecter la confidentialité des données.

M. Jean-Pierre DOOR : Ai-je bien compris, Madame, que votre préférence allait vers le dossier papier ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Pas de problème pour le dossier informatisé de suivi du parcours du patient, sauf pour les informations très confidentielles.

M. Jean-Pierre DOOR : Vous n'êtes donc pas favorable à une carte Vitale de deuxième génération intégrant le dossier médical du patient ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Je demande surtout des garanties de protection de données personnelles. Mais, je le répète, la communication des données anonymes ne pose pas de problème.

M. Hervé MARITON : J'entends vos réticences, mais comment articuler la nécessité de rationaliser la demande de soins, en évitant notamment le nomadisme médical, et le maintien d'un dossier papier ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Le patient peut détenir un carnet de santé qui retrace l'ensemble de son parcours de soins.

M. Hervé MARITON : J'insiste sur la nécessité de se donner les moyens de rationaliser la demande de soins. Lorsqu'un patient abuse manifestement, en multipliant par exemple les examens inutiles, on doit être en mesure de le constater. Par ailleurs, je n'ai pas bien saisi la différence que vous semblez faire entre les données statistiques anonymes et les données personnelles : comment rendre cette distinction opératoire ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Le patient peut détenir son dossier et communiquer les données qu'il juge diffusables.

M. Hervé MARITON : La détention d'un dossier papier peut poser problème. Le patient n'a pas forcément envie que sa famille puisse y accéder.

Mme Danièle KARNIEWICZ : Faisons confiance aux patients pour gérer de manière responsable leur dossier médical ! Je conviens avec vous de la nécessité de disposer de statistiques pour rationaliser les parcours de soins, mais il faut trouver un compromis entre ce qui est diffusable et ce qui doit rester strictement confidentiel.

M. Yves BUR : L'on ne sortira de cette difficulté qu'en responsabilisant le couple médecin-patient. De longs débats ont déjà eu lieu au sujet du dossier médical partagé. Il est par exemple déraisonnable d'imaginer que le patient puisse lui-même rayer des données qui lui sembleraient défavorables en ce qu'elles signaleraient son alcoolisme ou une maladie grave. Il convient que le parcours de soins puisse être mieux appréhendé et je crois, Madame, que la CNIL exprime des réserves analogues à celles dont vous nous avez fait part. Pour autant, en rester au stade du dossier papier ne constitue en rien un gage de confidentialité.

Mme Danièle KARNIEWICZ : Il ne s'agit pas de donner au patient la possibilité du choix des données figurant dans le dossier médical. Attention tout de même à ce que l'informatisation des données ne rende pas le dossier médical accessible au-delà du monde médical stricto sensu.

Mme Catherine GENISSON : Essayons d'aborder la question du dossier médical partagé sous l'angle positif de la promotion des bonnes pratiques médicales plutôt que sous celui exclusivement défensif de la rationalisation de la demande de soins. Considérez-vous, Madame, qu'il serait opportun de prévoir une tête de réseau du dossier médical de manière à dépasser le binôme médecin-patient ?

M. Jean-Sébastien VIALATTE : Veut-on un dossier médical partagé pour que l'information médicale circule au bénéfice du patient - même s'il est difficile dans ce cas d'en préserver toute la confidentialité - ou pour prévenir les comportements abusifs de certains assurés ? Si tel est bien le cas, on sait déjà le faire en codant les actes de manière à pointer leur répétition injustifiée sans porter atteinte à la confidentialité des données.

M. Jean-Marie ROLLAND : Le jour où chaque Français disposera d'un dossier médical à jour, cela constituera une base de données de santé publique irremplaçable dont il faudra tirer profit. Malheureusement, nous n'en sommes pas là.

Mme Danièle KARNIEWICZ : J'en viens à l'offre de soins sur le territoire. Notre organisation est résolument favorable à la médecine de proximité, via l'implantation de maisons de santé partout où cette solution semble devoir être privilégiée. Nous sommes également très favorables à l'existence de médecins référents et, dans le souci de promouvoir une médecine de proximité et de conseil, à ce que les pharmaciens puissent jouer un rôle accru, en procédant par exemple à certaines vaccinations ou à des soins de premier niveau. Nous plaidons pour la mise en œuvre de mesures incitatives à l'installation des praticiens sur l'ensemble du territoire et à une amélioration sensible de la coordination des soins entre la ville et l'hôpital, ce qui passe par la promotion des réseaux de soins, à l'instar des réseaux de gérontologie qui fonctionnent bien.

Nous croyons à la nécessité d'accompagner la consommation de soins et nous sommes à cet égard favorables à la normalisation des pratiques professionnelles, laquelle doit se fonder sur la conclusion d'accords de bon usage des soins. Il convient aussi d'éduquer les patients, de les informer sur les conduites à risque et de développer la prévention afin que chacun prenne en charge sa santé dès son plus jeune âge.

M. Hervé MARITON : S'agissant du médecin référent, il n'aura échappé à personne que certains patients sont très mobiles et ne vivent pas toute l'année au même endroit.

Mme Elisabeth GUIGOU : Il y a le téléphone !

Mme Danièle KARNIEWICZ : Il sera toujours possible d'avoir deux médecins référents mais l'idée est de disposer d'une vision globale du parcours de santé.

Mme Maryvonne BRIOT : Je crains que la désignation de médecins référents ne soit pas une source d'économie dans la mesure où elle conduirait les patients à multiplier les consultations. Je suis pour ma part très attachée à l'idée que chaque Français reste libre de choisir son médecin. Estimez-vous, Madame, que le médecin référent doit bénéficier d'un surcroît de rémunération ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : A nos yeux, tout ce qui concourt à améliorer la qualité des soins constitue un investissement d'avenir. A terme, la création du médecin référent serait un gain pour la collectivité.

M. Hervé MARITON : Pour vous, le médecin référent devra-t-il assurer une fonction de « tri » avant de permettre au patient d'accéder à un spécialiste ou jouera-t-il un rôle de centralisation des données ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Son rôle doit être de conseiller le patient, de l'aiguiller dans son parcours de santé. S'agissant, Mme Briot, de la tarification, nous sommes favorables à un panachage entre tarif horaire et forfait partiel, tenant par exemple compte de l'implication du médecin dans le système de garde ou dans un rôle de conseil.

Quant au périmètre des soins remboursables, notre organisation est opposée à la modulation du ticket modérateur en fonction des revenus de l'assuré ou de son comportement dans le parcours de soins.

Pour ce qui concerne le panier de soins remboursables, nous considérons qu'un traitement au service médical rendu insuffisant ne doit pas être pris en charge, ni par le régime obligatoire ni par le régime complémentaire. Il faut renverser la définition du panier de soins et préciser ce qui ne doit pas être pris en charge par le régime obligatoire.

M. Richard MALLIÉ : Comment serait désigné le médecin référent ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Il reviendrait au patient de le choisir. En règle générale, ce serait certainement un médecin généraliste, mais, dans certaines situations, le patient pourrait choisir, selon ses besoins, un pédiatre ou un gynécologue par exemple.

Un mot sur la perte d'autonomie. Nous sommes favorables à son identification en tant que risque social à part entière et il est essentiel, pour les populations âgées ou handicapées concernées, d'assurer en ce domaine une combinaison optimale entre le sanitaire et le social, ce que fait aujourd'hui avec compétence la sécurité sociale.

M. Jean-Marie LE GUEN : S'agissant du panier de soins, qui décide de ce qui ne doit pas être pris en charge ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Ce sont évidemment les scientifiques qui disent si un médicament est ou non efficace. A partir de là, les gestionnaires de l'assurance maladie décident, dans le cadre d'une politique de santé publique, des modalités de remboursement.

S'agissant des critères d'efficacité, le Haut Conseil avance également l'idée que le remboursement d'un acte ne peut dépendre uniquement de ses conséquences pour l'individu mais doit être apprécié en fonction de son efficience pour la collectivité.

M. Philippe AUBERGER : Vous partagez pour l'essentiel le diagnostic du Haut Conseil. Celui-ci fait état, sinon de gaspillages, du moins de consommations excessives ou inadaptées, sur lesquelles des économies sont possibles. Or, je n'en ai pas vraiment trouvé dans votre propos jusqu'à présent. Selon vous, dans quels domaines et comment faire des économies ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : A l'évidence, certains abus sont liés au fait que le système n'est pas suffisamment coordonné ni organisé pour la qualité. C'est également l'analyse du Haut Conseil. Pour ma part, je refuse de culpabiliser l'assuré. Et ce en quoi je suis le moins d'accord avec le Haut Conseil, c'est pour dire que le sentiment de gratuité pousse à la dépense. Ce facteur peut jouer, mais à la marge. L'essentiel est que l'assuré n'est pas guidé dans son parcours.

M. Jacques DOMERGUE : Mais comment responsabiliser sans culpabiliser ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : C'est avant tout une question de pédagogie. Actuellement celle-ci est très insuffisante.

Par ailleurs, nous sommes favorables à ce que les individus souscrivent des complémentaires santé, mais l'important nous semble de favoriser les contrats collectifs. Il est fondamental de maintenir les mesures fiscales en leur faveur, car ils assurent à meilleur prix le meilleur niveau de garantie.

En ce qui concerne le financement, nous sommes très favorables, depuis une dizaine d'années déjà, à l'élargissement de l'assiette des cotisations. A terme, un financement sur les seuls salaires n'est pas tenable, car les dépenses ne pourront qu'augmenter avec les exigences de santé. Nous proposons de créer une cotisation sociale sur la consommation qui permettrait aussi le transfert d'une partie des charges patronales. Cela entraînerait une diminution du prix de revient pour les produits exportés et inclurait dans l'assiette les produits importés, de sorte que les activités délocalisées pour bénéficier d'une main-d'œuvre bon marché participeraient quand même au financement de la protection sociale.

M. Jean-Marie LE GUEN : C'est là une proposition originale. Quelle est la différence avec la TVA ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Il s'agit du même mécanisme, mais la TVA n'est pas affectée et cette cotisation le serait à l'assurance maladie.

M. Yves BUR : Actuellement il manque 15 milliards. Comment, selon vous, résorber la dette accumulée et le déficit courant ? Si la cotisation que vous proposez doit en remplacer d'autres, comment atteindre l'équilibre ?

Etes-vous favorable à une hausse de la CSG ou à un alignement de son taux ?

Enfin, à combien chiffrez-vous les effets économiques d'une optimisation du fonctionnement du système de soins et dans quels délais les escomptez-vous ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Pour éponger la dette accumulée, il n'y a selon nous pas d'autre solution que de jouer sur la CRDS.

M. Jean-Marie LE GUEN : Sur son taux ou sur sa durée ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Les deux.

M. Jean-Luc PRÉEL : C'est faire payer les générations futures !

Mme Danièle KARNIEWICZ : Je ne parle pas d'un allongement sur la très longue durée, mais cette solution est incontournable.

M. le Président : Actuellement, la CRDS est au taux de 0,5 % sur à peu près la même assiette que la CSG et doit s'appliquer jusqu'en 2014. Que changez-vous ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Nous sommes prêts à augmenter le taux et à repousser le délai un peu au-delà de cette date pour éponger la dette. Nous sommes également prêts à augmenter la CSG, mais dans les conditions actuelles, c'est-à-dire avec une CSG proportionnelle au revenu. Nous sommes tout à fait opposés à une CSG progressive en fonction des tranches de revenu. Les cadres donnent beaucoup pour la solidarité par l'impôt ou par les cotisations, il y a une limite, une « ligne jaune », à ne pas franchir. De même, nous sommes opposés à tout remboursement des assurés en fonction de leur revenu.

Mme Martine BILLARD : Pouvez-vous préciser dans quelle mesure la cotisation sociale sur la consommation remplacerait une partie des charges patronales ? Cette cotisation porterait-elle sur tous les produits, ou serait-elle différente selon les catégories, comme la TVA ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Le but premier d'une nouvelle cotisation est d'apporter des recettes supplémentaires. Accessoirement, elle peut servir aussi à diminuer en partie les cotisations patronales.

Mme Martine BILLARD : Les cotisations patronales uniquement ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Il paraît judicieux de transférer des charges qui pèsent sur le prix de revient en déterminant une assiette plus large. En ce qui concerne l'impact de ces mesures, une analyse macroéconomique est nécessaire et je vous renvoie volontiers la balle, y compris pour le chiffrages d'impacts financiers globaux.

M. le Président : Si je résume, vous augmentez la CSG, vous augmentez la CRDS et vous créez une cotisation sociale sur la consommation. Cette dernière se substitue-t-elle aux prélèvements existants ou s'y ajoute-t-elle ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Ce que nous acceptons c'est une augmentation des recettes. Ou nous restons dans le cadre actuel, et nous l'obtenons en augmentant la CSG et la CRDS, ou nous en sortons en créant une autre cotisation. Il ne s'agit pas de tout cumuler.

M. Pierre MEHAIGNERIE : Votre proposition est séduisante mais impraticable pour des raisons techniques - on ne peut différencier les produits importés - et pour des raisons juridiques au niveau européen. Dès lors, il n'y a que deux solutions, la première étant une TVA sociale sur tous les produits et non pas seulement les produits importés...

Mme Danièle KARNIEWICZ : J'ai dit que la cotisation porterait aussi sur les produits importés, mais il s'agit bien d'une cotisation sociale sur l'ensemble des produits.

M. Pierre MEHAIGNERIE : C'est une position courageuse pour un syndicat. Il faudra la justifier devant l'opinion qui considère que l'impôt indirect est plus injuste.

L'autre solution est la TACA, la taxe sur la grande distribution.

Mme Danièle KARNIEWICZ : Nous sommes favorables à une cotisation sur la consommation, car à terme, l'assiette sur les salaires ne suffira pas. Nous le disons depuis dix ans et d'autres ont fini par nous rejoindre, même si la définition de l'assiette peut différer.

M. le Président : Quel pourcentage de cette nouvelle TVA affecteriez-vous à l'assurance maladie et selon quelles modalités ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Je ne peux répondre précisément. Des études sont en cours pour mieux définir à quel élément de la protection sociale il faudrait l'affecter.

M. Philippe AUBERGER : Une des difficultés actuelles tient au niveau du chômage. Si l'emploi remonte, les cotisations suivront et le problème financier sera allégé. En augmentant la fiscalité indirecte, vous portez atteinte à l'emploi et vous aggravez le problème de financement.

Mme Danièle KARNIEWICZ : Je ne vois pas en quoi. Nous sommes tous bien conscients qu'il faudra augmenter les recettes, les autres solutions étant insuffisantes. Pour maintenir le niveau de soins que nous souhaitons, il faut payer plus. Bien entendu, un retour à l'emploi aura des effets conjoncturels positifs. Mais le déficit est bien structurel. Si par l'intermédiaire de cette nouvelle cotisation nous permettons de diminuer les prix de revient, elle ne pénalisera pas l'activité, au contraire, elle favorisera les exportations. Pour mieux estimer l'apport financier de cette cotisation sur la consommation, il nous faut plus d'éléments chiffrés. Nous ne pouvons analyser seuls les modalités d'un élargissement de l'assiette. Il est souhaitable les politiques prennent le relais de cette démarche dans une logique économique et sociale globale.

M. Claude EVIN : Pour réagir à mon tour aux propos de M. Auberger, il me semble que l'essentiel est effectivement l'accord sur cet élargissement de l'assiette. Reste que le niveau de prélèvement et les conditions de l'équilibre financier relèveront toujours de la décision du Parlement.

Lors d'une audition précédente, M. Fragonard rappelait que depuis quarante ans, les dépenses de santé augmentent chaque année de 2 points de plus que le PIB, soit environ 3 milliards d'euros par an. Cette situation est-elle acceptable ? Les partenaires sociaux peuvent en débattre, mais la question est de nature politique.

M. Jean-Marie LE GUEN : Comment, au regard de l'équilibre économique et social, justifier le report sur dix ou vingt ans du paiement de la CRDS ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Je ne tiens pas à le justifier. S'il est possible de trouver une « potion magique », tant mieux. Mais nous venons d'entendre des remarques prouvant la nécessité de trouver un compromis sur l'effort éventuel à demander aux Français : on ne peut pas tout leur demander d'un seul coup. Ne serait-il pas plus facile de faire accepter un étalement dans le temps ?

M. Jean-Luc PRÉEL : L'un des principaux problèmes est celui de la dette accumulée. C'est pour y faire face que la CRDS a été créée par Alain Juppé, et prolongée par Martine Aubry de 2009 à 2014. 34 milliards restent à rembourser. Pourquoi ne pas doubler le taux de la CRDS ? Cette solution me paraît préférable à un prolongement indéfini de la durée de cotisation. Naturellement, après avoir remis le compteur à zéro, il faudrait parvenir à une véritable maîtrise des dépenses de santé.

Mme Danièle KARNIEWICZ : L'effort demandé doit rester supportable pour les Français. Pour en revenir à la gouvernance, nous sommes attachés au rôle des partenaires sociaux dans la gestion de l'assurance maladie puisque l'essentiel du financement repose sur les salaires. Si l'assiette devait être élargie, alors on pourrait songer à associer d'autres partenaires à cette gestion. De façon générale, il conviendrait de clarifier le rôle de tous les acteurs du système : à l'Etat de définir la politique de santé publique, aux partenaires sociaux d'exercer effectivement de vraies responsabilités au sein des conseils d'administration des caisses.

Mme Catherine GENISSON : Dans cette gestion, quelle place doit occuper, selon vous, l'hôpital public ?

M. Claude EVIN : Quand vous parlez d'assurance maladie, qu'avez-vous précisément à l'esprit ? Le champ actuel de la négociation conventionnelle, ou l'ensemble de l'offre de soins financé par l'ONDAM voté par le Parlement ?

Mme Danièle KARNIEWICZ : Il faut déjà revoir le rôle des partenaires sociaux pour le champ actuel. Mais, naturellement, l'intégration de l'hôpital est incontournable, puisqu'il représente la moitié des dépenses de santé en France.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Vous avez ouvert des pistes intéressantes dans le domaine des recettes, sans avoir eu le temps de faire de même pour les dépenses. Je suis sorti des premières réunions du Haut Conseil avec l'idée qu'il devrait être possible de diminuer les dépenses, tout en améliorant la qualité des soins. Mais l'inquiétude qu'inspire la situation financière vaut aussi pour l'accès égal de tous à des soins de qualité. Des économies pourraient venir d'un meilleur pilotage de l'assurance maladie et de l'hospitalisation, ainsi que d'une réduction des gaspillages. Les suggestions que vous pourriez nous apporter sur ces deux points seraient les bienvenues.

Mme Danièle KARNIEWICZ : J'ai débuté mon intervention sur le thème de l'amélioration de la qualité des soins et de l'organisation du système de santé. Je vous transmettrai un dossier complémentaire si vous le souhaitez.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Claude MAILLY,
secrétaire général de Force Ouvrière (FO)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 2004)


Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : Nous accueillons M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, accompagné de M. Jean-Claude Mallet, secrétaire confédéral, et de M. Didier Hotte, assistant de M. Mailly.

Nous souhaitons vous entendre successivement sur trois points : quels sont pour vous les grands principes qui doivent continuer à régir l'assurance maladie ? Quel diagnostic portez-vous sur les difficultés actuelles du système ? Quelles pistes envisagez-vous pour une éventuelle réforme de l'assurance maladie ?

M. Jean-Claude MAILLY : Sur le premier point, nos idées peuvent être résumées par une formule lapidaire : nous sommes favorables à un système solidaire et égalitaire ; solidaire eu égard au rôle joué par le mouvement syndical, égalitaire parce que nous vivons en République. Nous pensons ainsi être fidèles à l'esprit des ordonnances de 1945 : la sécurité sociale s'exerce de la naissance jusqu'à la mort, dans une égalité de droits et d'accès. Pour nous, l'assurance maladie doit demeurer partie intégrante du régime général de la sécurité sociale, et conserver un rôle moteur dans la couverture sociale de toute la population. Attachés au pacte social républicain, nous sommes très vigilants à l'égard de tout ce qui pourrait y porter atteinte.

S'agissant du diagnostic, nous expliquons depuis des mois qu'une réforme est nécessaire. Nous n'étions pas d'accord sur le « plan Juppé » de 1995, ni avec les ordonnances de 1996 qui s'en sont ensuivies. Parmi nos objections figurait la menace d'une étatisation de la sécurité sociale, qui de fait paraît aujourd'hui en marche : c'est ainsi que, quand les médecins libéraux expriment des difficultés ou des revendications, la discussion a lieu entre leurs syndicats et le Gouvernement, la sécurité sociale n'intervenant que de façon limitée. La nécessaire réforme est donc destinée à nos yeux à maintenir les grands principes qui fondent la sécurité sociale. D'autant plus que les déficits, pour considérables qu'ils soient, ne doivent pas être exagérés : parler de « trou abyssal » relève d'une volonté de dramatisation excessive. Le problème existe bel et bien, mais il ne s'agit pas de catastrophe.

Reste que la situation de la sécurité sociale et en particulier de l'assurance maladie ne peut pas être séparée du contexte économique et social. Quand les salaires stagnent, que la croissance est faible, que le chômage augmente, les recettes en souffrent. Un point de masse salariale représente, rappelons-le, 1,5 milliard de recette, et 100 000 emplois, c'est un milliard. Or, la masse salariale, n'a pratiquement pas progressé en 2003 et les conséquences s'en font sentir.

Clarifier les comptes et les responsabilités entre Etat et sécurité sociale est pour nous un point capital, que je résumerai ainsi : qui fait quoi ? Qui paye quoi ? Qui est responsable de quoi ? Dans le domaine des comptes, on ne distingue pas réellement ce qui revient d'un côté à la solidarité nationale et de l'autre à la sécurité sociale. Certaines charges qui pèsent sur la sécurité sociale devraient relever du budget de l'Etat. C'est le cas des exonérations de cotisations patronales, qui s'élèvent à 20 milliards d'euros par an. En dépit des dispositions de la loi Veil de 1994, leur compensation n'est pas intégralement versée à la sécurité sociale : il manque environ 3 milliards par an. De plus, des taxes diverses comme celles pesant sur l'alcool et le tabac, qui étaient affectées à la sécurité sociale, ne le sont plus depuis la disparition du FOREC. Enfin, les études médicales sont les seules études universitaires qui ne soient pas prises en charge par le budget de l'Etat : c'est en effet la sécurité sociale qui les finance à travers les budgets hospitaliers.

Dans tous ces cas, il s'agit de charges indues. Si on les supprime, le déficit se réduit sérieusement. C'est un problème de solidarité nationale, car l'Etat doit remplir ses obligations en termes de santé publique et de prévention. Une taxation de la valeur ajoutée pourrait constituer une réponse. En tout cas, la clarification des comptes est nécessaire à la clarification des responsabilités.

Il convient par ailleurs de réfléchir sur les modalités de gestion de l'assurance maladie. Depuis une dizaine d'années, la politique conventionnelle avec les professions de santé fonctionne mal. Nous avons besoin d'une politique conventionnelle dynamique et active. Les négociations doivent aussi porter sur la démographie médicale : il est anormal que, dans certaines zones rurales, on ne trouve plus de médecins généralistes conventionnés de secteur I. De même, on ne peut accepter que, dans certaines zones urbaines, les spécialistes disposant d'une clientèle captive se mettent tous en honoraires libres.

Nous sommes partisans d'une convention unique pour tous les médecins, même si elle peut être complétée par des avenants spécifiques.

M. Claude EVIN : Vous avez souhaité qu'on revienne aux grands principes de l'assurance maladie et en particulier à la responsabilisation des caisses dans leurs relations avec les médecins. Considérez-vous que les caisses, responsables de l'organisation des dépenses, doivent aussi avoir des responsabilités en matière de recettes ?

Par ailleurs, vous avez évoqué les dysfonctionnements de la politique conventionnelle. Je me souviens qu'en 1989, préparant une convention qui a été agréée en 1990, le ministre chargé de la protection sociale avait demandé aux partenaires de faire en sorte que l'accès au secteur I soit garanti sur l'ensemble du territoire. Les partenaires n'y sont pas parvenus. Comment procéder ?

M. Jean-Claude MAILLY : L'exigence d'équilibre dans les comptes figurait dans l'ordonnance de 1967. Il serait intéressant qu'avant d'engager la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, s'ouvre un débat sur la santé publique en tant que telle.

S'agissant des recettes, on ne peut nier que l'Etat ait une responsabilité importante, même s'il ne me paraîtrait pas anormal que les caisses de sécurité sociale fassent part de leurs besoins.

Vous avez cité la convention médicale de 1990. Je voudrais évoquer celle de 1993, qui avait commencé à donner des résultats en termes de maîtrise médicalisée. Il est difficile d'anticiper le contenu d'une convention, mais l'état d'esprit des médecins a changé. Je pense que la question de la démographie médicale pourrait aujourd'hui être abordée dans le dispositif conventionnel.

M. Alain VIDALIES : Vous avez évoqué une taxation de la valeur ajoutée. De quoi s'agit-il ? Pensez-vous à une TVA sociale ? Souhaitez-vous un changement d'assiette ?

M. Jean-Claude MAILLY : J'ai évoqué cette piste d'une nouvelle taxe sur la valeur ajoutée dans le cadre de la clarification des comptes. Pour notre part, nous restons attachés à la formule des cotisations sociales, conçues comme un salaire différé. Nous ne souhaitons pas un élargissement de l'assiette qui risquerait de nous faire basculer dans une logique fiscale, ce qui remettrait en question la légitimité des partenaires sociaux dans la gestion de la sécurité sociale. En effet, si le financement provient de l'Etat, c'est le problème de notre légitimité qui se pose.

C'est uniquement pour la part des dépenses qui relève de la solidarité nationale que nous ne serions pas opposés à une taxation de la valeur ajoutée.

M. Maxime GREMETZ : Ne pensez-vous pas que la sécurité sociale est déjà étatisée en partie ? Sur 21 milliards d'exonérations, 18 sont remboursés par l'Etat.

Par ailleurs, j'aimerais connaître votre sentiment sur la CSG. Nos collègues en parlent souvent. Ils semblent oublier qui elle touche.

Enfin, quel volume de recettes la création de 500 000 emplois apporterait-elle à la sécurité sociale ?

M. le Président : Permettez-moi de vous interrompre : nous n'en sommes qu'au diagnostic, nous aborderons plus tard le financement.

M. Maxime GREMETZ : Les chiffres que j'ai cités font partie du diagnostic. On ne peut tout de même pas ignorer le problème de l'emploi dans ce débat.

M. Jean-Claude MAILLY : Il est vrai que la compensation par l'Etat des exonérations de cotisations patronales aboutit à une sorte de fiscalisation de la sécurité sociale.

Je l'ai dit, en créant 100 000 emplois, on dégage un milliard de recettes.

M. Yves BUR : Le système conventionnel n'a pas donné les résultats escomptés. Les conventions n'ont pratiquement jamais été respectées, ni par l'Etat ni par les professionnels de santé. Comment le réhabiliter ? Peut-on en rester à des conventions globales négociées au plan national avec des syndicats minoritaires ou bien faut-il rechercher une contractualisation plus individualisée ?

M. Jean-Claude MAILLY : La convention de 1993 avait permis l'année suivante d'obtenir une première régulation, dans le cadre d'une maîtrise médicalisée. Malheureusement, le processus a été interrompu par le plan de 1995 et les ordonnances de 1996.

Ce qu'il faut éviter, c'est le « ménage à trois » : je veux dire la triple intervention des caisses, des professions médicales et de l'Etat. Quand ils sont mécontents, les médecins se tournent vers le gouvernement et les caisses ne peuvent plus négocier. Il faut que la politique conventionnelle s'élabore entre les régimes obligatoires et les professionnels, l'Etat ne devant intervenir que pour l'agrément final.

Nous tenons à ce que les conventions conservent leur caractère national, même si elles devront être déclinées au plan local. On ne peut parler de pacte social et républicain sans garantir l'égalité des droits.

Je ne pense pas comme vous sur la représentativité des syndicats de médecins. Mais cette question n'est pas propre à la sécurité sociale. On peut ouvrir la discussion sur les accords majoritaires, mais c'est un autre débat.

M. Hervé MARITON : Vous avez évoqué le contexte et les considérations de méthode, mais je n'ai pas entendu votre analyse de fond. Pouvez-vous préciser votre vision de la situation actuelle ?

M. Jean-Claude MAILLY : La question de l'emploi et des salaires est particulièrement importante...

M. Hervé MARITON : Mais au sujet de l'offre et de la demande médicales, avez-vous quelque chose à dire ?

M. Jean-Claude MAILLY : Il y a eu le rapport du Haut Conseil, mais nous avons conservé notre liberté d'analyse. On ne peut contingenter l'offre de soins en fonction de la croissance économique. Tout le monde le reconnaît.

Je ne peux indiquer par anticipation le contenu d'une convention médicale qui, par nature, se négocie. Simplement, les médecins sont prêts à aborder de nouveaux débats, comme la démographie médicale.

Si les pouvoirs publics ont la responsabilité de fixer des objectifs, ils ne doivent pas prévoir une enveloppe fermée. Nous refusons d'entrer dans une logique comptable. Nous avons besoin d'une régulation qui préserve les besoins des assurés et respecte les principes fondamentaux de la sécurité sociale.

Mme Catherine GENISSON : Vous ne vous êtes guère exprimé sur l'organisation de notre système de santé. Ne pensez-vous pas qu'il est excessivement cloisonné ? L'assimilation de l'assurance maladie à l'ambulatoire est-elle pertinente ?

M. Jean-Claude MALLET : C'est exact. Aussi, l'une des premières choses à faire devrait être de renforcer la coordination des soins entre médecine de ville et hôpital d'une part, entre généralistes et spécialistes d'autre part. Le premier élément qui favoriserait cette coordination, c'est le dossier médical, en préservant la confidentialité, qui pourrait s'inscrire sans difficulté particulière dans le dispositif de la carte Vitale. Mais l'accès aux soins, c'est aussi l'accès aux gardes. Or, des médecins libéraux, de plus en plus nombreux, n'assurent plus les gardes du week-end, qui sont de facto basculées sur l'hôpital. Il faut discuter de cette évolution qui ne se justifie pas. Voilà des mesures qui, parce qu'elles sont simples, obtiendraient l'adhésion des professionnels de santé et contribueraient donc à une moindre contestation du système conventionnel.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Pensez-vous qu'il faille mettre un terme à la distinction entre financement de la médecine de ville, réglé par l'assurance maladie, et financement de l'hôpital, assuré par l'Etat ?

M. Jean-Claude MALLET : Ce partage s'explique par des accords tacites anciens. On constate à ce sujet que, quelles que soient les décisions relatives à l'hôpital prises par des gouvernements successifs soumis à la pression de manifestations d'envergure, ils n'ont pas souvent estimé nécessaire de prévenir l'assurance maladie de l'ardoise qu'elle aurait ensuite à payer... Des dérives ont eu lieu, dans les deux sens, qu'il faut contenir. On pourrait, par exemple, en revenir à la formule de 1986 - le budget global - et décider que l'assurance maladie doit donner un avis motivé sur les dépenses hospitalières ; nous n'aurions rien contre cela.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Pensez-vous, ou ne pensez-vous pas, que l'hôpital devrait passer sous la houlette de l'assurance maladie ?

M. Jean-Claude MALLET : Je ne le pense pas, mais je considère que l'assurance maladie devrait être incitée à donner un avis motivé tant sur le budget de chaque hôpital que sur les restructurations - et sans doute aurait-elle beaucoup à dire, en ce cas, sur les fermetures de lits, car mieux vaudrait redéployer que fermer - et sur la coordination entre soins hospitaliers et soins de ville.

M. Pierre MEHAIGNERIE : Vous avez indiqué que trois des vingt milliards d'exonération de charges sociales ne sont pas compensés. Entendez-vous par là qu'il faudrait remettre en cause ces exonérations, au risque de rehausser le coût du travail en France et de nuire à sa compétitivité, déjà handicapée par ce qui est ressenti comme un excès de réglementation et par la réduction du temps de travail ?

M. Jean-Claude MAILLY : Si l'on en vient à débattre des exonérations de charges sociales ou de l'allégement du coût du travail, on déborde largement de la seule question de la sécurité sociale. Aucune évaluation précise de l'efficacité pour l'emploi des exonérations de charges n'a jamais été faite. A ce jour, les allégements de cotisations sociales représentent vingt milliards par an et, si leur efficacité n'a jamais été démontrée, leurs effets pervers sont certains, tant en termes d'effets de seuils que de sous-qualification. On peut, bien sûr, décider d'une politique d'allégement systématique du coût du travail au motif qu'il faut être compétitif, mais aussi longtemps que n'existera pas une réglementation internationale, si l'on va au bout de cette logique, le travail qui coûte le moins cher est évidemment celui de l'esclave ! Pour en revenir à la sécurité sociale, je constate que, contrairement aux engagements pris en 1994, l'ensemble des exonérations n'est pas compensé, si bien que trois milliards manquent dans les caisses, ce qui n'est pas rien. Il convient donc, avant de parler d'allégements, de compenser ce manque à gagner comme il devrait déjà l'être.

M. Jean-Marie LE GUEN : Le ministre de la santé envisage la création d'une haute autorité chargée de définir le périmètre de remboursement des soins. Qui, selon vous, doit prendre la responsabilité d'une telle définition ? Cela doit-il être les partenaires sociaux ?

M. Jean-Claude MAILLY : Nous souhaitons avant tout que l'on en finisse avec des déremboursements qui n'ont de raisons que comptables. C'est pourquoi nous sommes favorables à la création d'un conseil scientifique indépendant, puisque seuls les scientifiques peuvent se prononcer valablement sur l'efficacité d'une molécule. Nous sommes opposés à la réduction du taux de remboursement, quelles que soient ses modalités - forfait ou franchise - car, dans tous les cas, elle a pour conséquence d'accroître les inégalités et la charge pour les assurés sociaux. De plus, c'est une mesure stupide puisqu'elle conduit les malades à attendre avant de se soigner, si bien que, la pathologie empirant, le coût final pour l'assurance maladie est supérieur à ce qu'il aurait été.

M. Jean-Marie LE GUEN : Vous êtes donc favorable à la création d'une haute autorité qui déciderait ce qui doit être remboursé et ce qui ne doit pas l'être.

M. Jean-Claude MAILLY : Je le répète : nous sommes favorables à la création d'un conseil scientifique indépendant qui rendrait des avis publics sur les pratiques médicales et sur l'efficacité des médicaments ; les politiques devraient fonder leurs décisions sur ces avis.

M. Claude EVIN : Si je vous ai bien compris, vous souhaitez que, s'agissant de la médecine de ville, l'on en reste au mécanisme conventionnel actuel, mais avec une autonomie totale de négociation pour les partenaires sociaux et, s'agissant de l'hôpital, que l'assurance maladie donne un avis motivé sur le budget de chaque établissement. Mais dans quel cadre ceci se ferait-il ? Actuellement, les caisses d'assurance maladie donnent déjà leur avis, puisqu'elles siègent au conseil d'administration des ARH ; mais sans doute n'est-ce pas ce que vous souhaitez. D'autre part, ne convient-il pas qu'un pilote unique coordonne l'ensemble de l'offre de soins ?

M. Yves BUR : J'ai le sentiment que votre réflexion sur la convention s'est arrêtée à 1993... Par ailleurs, vous vous dites à la fois favorable à l'installation d'un conseil scientifique et opposé à tout déremboursement. Dans ce cas, quel est l'intérêt d'un tel organisme ? D'autre part, comment proposez-vous d'améliorer l'efficacité de la dépense publique à l'hôpital, qui représente la moitié de la dépense totale de notre système de santé ?

M. Jean-Claude MAILLY : S'agissant du conseil scientifique, je maintiens qu'il ne revient pas aux partenaires sociaux, qui n'en ont pas la compétence, de déterminer si une molécule est efficace ou pas. Cela dit, le syndicaliste que je suis apprend en lisant les journaux que la France a décidé de dérembourser les veinotoniques, ce que l'Italie avait fait il y a trois ans. Mais il apprend aussi que l'Italie est en passe de revenir sur cette décision, après s'être rendu compte qu'il coûtait plus cher d'opérer les malades que de rembourser ces médicaments... Comment ne pas contester une logique purement comptable des dépenses de soins ? Cela n'empêche pas que si un conseil scientifique indépendant dit qu'une molécule nouvelle est plus efficace qu'un médicament ancien, il faut évidemment tenir compte de cet avis et en tirer les conséquences. Et nous n'avons aucune objection à ce que l'on discute, comme cela a déjà été fait, de références médicales opposables.

M. le Président : Vous acceptez donc le principe du déremboursement fondé sur des raisons scientifiques ?

M. Jean-Claude MAILLY : Si l'on estime qu'une molécule est inefficace, pourquoi la rembourser ? Ce que nous disons, c'est qu'à la maîtrise comptable des dépenses de santé il faut préférer une maîtrise médicalisée, qui tient compte des besoins des malades.

M. le Président : Mais n'est-ce pas ce qui se passe en ce moment ?

M. Jean-Claude MAILLY : Non ! On décrète que quelque chose coûte trop cher et on le supprime pour cette seule raison.

M. Jean-Michel DUBERNARD : La commission de transparence ne comprend-elle pas des experts qui expriment leur avis ? Et n'est-ce pas en fonction de ces avis que la décision est prise de réduire le taux de remboursement ou de dérembourser ?

M. Jean-Claude MAILLY : Certes, mais de telles décisions sont toujours prises lorsque se posent des problèmes financiers !

M. Maxime GREMETZ : J'avais cru comprendre que toute nouvelle molécule mise sur le marché avait reçu un agrément scientifique. S'il apparaît ensuite que certains médicaments sont inefficaces, il faut les supprimer et non les dérembourser !

Ce n'est pas aux scientifiques de décider s'il faut ou non dérembourser une spécialité.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Je reviens à la question du périmètre des soins. Comme d'autres sans doute, j'ai été très marquée par l'expérience conduite par la CRAM de Bourgogne Franche-Comté en matière d'antibiotiques. Elle a montré la nécessité d'évaluer très finement les pratiques de soins. Quelle est la position de votre organisation à ce sujet ?

M. Jean-Claude MALLET : Le Haut Conseil scientifique jouera essentiellement un rôle de définition. Mais l'essentiel est ailleurs. Ce qu'il faut dire, c'est que depuis trente ans la France a été très mauvaise sur le médicament. On ne peut pas dire qu'une véritable politique du médicament ait été conduite dans la mesure où l'on s'est contenté d'empiler les réformes au fil du temps sans jamais avoir le courage de revenir sur l'existant. C'est ainsi que nous commercialisons près de 5 000 médicaments alors que des pays comparables au nôtre ne mettent sur le marché que 900 spécialités. Voyez les antidépresseurs : l'on se complaît à déplorer leur surconsommation sans jamais s'interroger sur les causes de cette particularité française...

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Excellente remarque !

M. Jean-Claude MALLET : Notre pays n'a pas conduit suffisamment d'études épidémiologiques.

A nos yeux, et nous ne manquerons pas d'en faire part au ministre, il est essentiel de simplifier le système. Tout l'enjeu de la maîtrise médicalisée est que l'acte médical dont l'utilité est avérée soit bien - voire mieux - remboursé, cependant que celui qui est inutile ne doit pas être pris en charge. Nous avons conscience de proposer là une évolution forte mais elle est cohérente.

Le Haut Conseil scientifique doit traiter de toute l'évaluation. Nous sommes favorables à ce que l'évaluation des bonnes pratiques médicales de l'ensemble des professionnels de santé soit traitée dans le cadre conventionnel. De même, la coordination des soins doit être abordée dans le système conventionnel, ne serait-ce que parce qu'elle représente une source d'économies non négligeable.

La démographie médicale est dans une situation tellement sinistrée que le principe de l'égal accès aux soins de tous sur le territoire n'est plus garanti. Songez que dans certaines zones rurales, le premier généraliste est à quinze kilomètres et qu'il faut attendre huit mois pour consulter un ophtalmologiste.

Notre organisation souhaite encourager la médecine de qualité. Pour être un peu provocateur, je pourrais dire que deux solutions s'offrent à nous, soit développer une médecine « industrielle », soit promouvoir - et telle est bien entendu notre ambition - une médecine artisanale où le praticien prend le temps de discuter avec son patient.

M. le Président : Etes-vous favorable à la mise en place de mesures incitatives pour résoudre le problème de la démographie médicale ?

M. Jean-Claude MALLET : Tout à fait. La démographie médicale doit figurer dans le système conventionnel.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Etes-vous favorable à une tarification différenciée en fonction de la nature de l'acte pratiqué ? Considérez-vous qu'il faut maintenir un système où la production d'un certificat médical est rémunérée de la même manière qu'une consultation ?

M. Jean-Claude MALLET : Tout acte qui ne consiste qu'à produire de la paperasse devrait de notre point de vue être gratuit. Il n'y a pas lieu de faire payer le renouvellement d'une prescription ou la délivrance d'un certificat médical sans examen.

M. le Président : Qui va décider du caractère anodin de tel ou tel acte ?

M. Jean-Claude MALLET : Le fait est que certains actes ne justifient pas d'être rémunérés.

Nous sommes également attachés à ce que le contrôle médical exercé par les médecins-conseils de la sécurité sociale fonctionne bien. Il doit reprendre toute sa place dans le dispositif.

Mme Catherine GENISSON : S'agissant de la reconnaissance du travail effectué par le médecin, peut-on imaginer d'autres solutions que le strict paiement à l'acte ?

Pour ce qui concerne les solutions à apporter aux problèmes de démographie médicale, êtes-vous favorable à des mesures exclusivement réservées à l'installation des médecins ou à des formes d'incitation pouvant intervenir tout au long de la carrière ?

M. Jean-Claude MALLET : La capitation est tout à fait envisageable pour les patients gros consommateurs de soins.

M. Claude EVIN : Dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, un amendement parlementaire avait ouvert aux caisses la possibilité de négocier d'autres formes de rémunérations que le paiement à l'acte. Pourquoi n'ont-elles jamais été envisagées ?

M. Jean-Claude MALLET : Posez la question aux responsables d'alors !

Mme Martine BILLARD : Y a-t-il eu débat sur ce point dans les caisses ?

M. Jean-Claude MALLET : Non et c'est bien l'un des maux du système que les responsables de l'assurance-maladie ne débattent pas suffisamment des orientations de fond.

M. Jean-Marie ROLLAND : D'accord pour renforcer le contrôle médical mais qui appréciera en dernier ressort l'opportunité de pratiquer telle ou telle intervention ? On ne peut pas mettre un médecin « contrôleur » derrière chaque prescripteur.

M. Jean-Claude MALLET : Le principe de la liberté de prescription du médecin doit être respecté, ce qui ne veut pas dire qu'il n'a aucun compte à rendre. Nous plaidons pour la constitution d'un corps de médecins contrôleurs.

M. le Président : Etes-vous pour le médecin référent ?

M. Jean-Claude MALLET : Non. Mais nous sommes favorables au médecin de famille.

Tout le monde s'accorde sur la nécessité de faire des économies mais l'on a cru bon de supprimer le système de l'entente préalable. La suppression de l'entente préalable est non seulement stupide mais aussi incohérente avec l'ambition de conduire une véritable politique de maîtrise médicalisée.

Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER : Le progrès médical a conduit à l'installation de maladies chroniques et permet à certaines personnes de vivre très longtemps avec des maladies lourdes. Cette évolution pose le problème de la prise en charge sanitaire et sociale de la dépendance. Pouvez-vous nous faire part des positions de votre organisation sur les modes de financement souhaitables de la perte d'autonomie et sur le projet de loi qui va être débattu à ce sujet la semaine prochaine ?

Quelles sont vos propositions pour que le rôle des associations de malades et d'usagers soit mieux reconnu et pour que leur représentation soit mieux assurée ?

M. Jean-Claude MAILLY : A nos yeux le risque dépendance devrait être inclus dans le champ de la sécurité sociale. Nous ne voulons pas d'une caisse à part, a fortiori gérée au plan départemental et qui pourrait s'apparenter d'une certaine façon à une véritable caisse des indigents ! Nous étions favorables à la reconnaissance du cinquième risque. Quant au financement de la solidarité par la suppression d'un jour férié, nous avons eu maintes fois l'occasion de rappeler que nous y étions résolument opposés.

M. le Président : M. le secrétaire général, si je vous ai bien suivi, c'est en renforçant le contrôle que l'on va réduire les dépenses. Est-ce bien là votre conception de la maîtrise médicalisée ?

M. Jean-Claude MAILLY : Nous sommes favorables à toute forme de régulation qui préserve strictement les intérêts des usagers.

M. le Président : Et vous n'excluez pas la possibilité de procéder à certains déremboursements si la décision est validée par un conseil scientifique ?

M. Jean-Claude MAILLY : Il n'y a pas lieu de rembourser les « médicaments » inefficaces !

M. Maxime GREMETZ : Il n'y a qu'à pas leur donner l'autorisation de mise sur le marché !

M. Jean-Claude MAILLY : Je réponds à la question sur la représentation des associations d'usagers. Nous sommes bien entendu très attachés à la gestion paritaire du système et partisans à ce titre de la constitution d'un conseil consultatif permanent, associant les associations d'usagers, les complémentaires et les professionnels de santé, saisi pour avis de toutes les questions entrant dans le champ de l'assurance-maladie et notamment des conventions médicales.

M. le Président : Nous avons abordé les dépenses, passons maintenant aux recettes.

M. Jean-Sébastien VIALATTE : On parle de contrôle médical, mais jamais de fraude à la sécurité sociale. Elle n'est pourtant pas négligeable. Votre syndicat est-il d'accord, par exemple, pour mettre en place un système de vérification de l'identité des patients ?

Mme Martine BILLARD : Ce n'est pas le rôle du médecin !

M. Jean-Claude MAILLY : La fraude existe. Que représente-t-elle ?...

M. Jean-Sébastien VIALATTE : Peut-être 10 à 15 %.

M. Jean-Marie LE GUEN : Bien sûr il n'y a pas de déficit, il n'y a que de la fraude !

M. Jean-Claude MAILLY : C'est un peu le même débat que pour le travail au noir. Evitons de nous aventurer sur ce terrain glissant.

En ce qui concerne les recettes, j'ai déjà indiqué qu'il faudrait clarifier les comptes et les responsabilités et aussi que le budget de l'Etat doit assurer la compensation pour trois milliards de cotisations sociales patronales.

De façon générale, nous considérons que la CSG est un impôt qui pèse avant tout sur les salariés. Pour un rendement actuel de 66 milliards, elle provient à 73,8 % des revenus d'activité et à 14,5 % des revenus de remplacement, donc du travail, et pour 10,5 % seulement du patrimoine et des placements et 1,2 % d'autres sources. Nous ne souhaitons pas que l'on augmente la CSG sur les salaires et les retraites. Si augmentation il y a, elle doit porter seulement sur les revenus financiers et de placement, un point de CSG représentant un milliard d'euros sur les revenus.

Nous sommes favorables au salaire différé et une augmentation des cotisations patronales est possible dans la mesure où flexibilité et précarité ont conduit à une dégradation des conditions de travail qui a un impact sur les dépenses de santé.

Pour épurer le passif, nous ne sommes pas opposés à une prolongation de la CRDS.

M. le Président : Et à l'augmentation du taux ?

M. Jean-Claude MAILLY : Non, à sa prolongation uniquement.

M. Jean-Marie LE GUEN : Puisque vous êtes contre l'augmentation de la CSG, sauf pour les revenus financiers, comment pouvez-vous accepter le recours à la CRDS qui repose à peu près sur la même assiette et frappe même les petites retraites ? A tout prendre, mieux vaudrait augmenter la CSG.

M. Jean-Claude MAILLY : Nous nous situons dans un cadre où ce prélèvement existe déjà pour apurer le passif. Il s'agit seulement de prolonger un dispositif en vigueur. Notre opposition à la CSG vient de ce qu'il y a un risque de fiscalisation chronique du financement de la sécurité sociale. On a même évoqué, souvenez-vous-en, une fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu.

M. Maxime GREMETZ : A mes yeux également, il est un peu incohérent de vouloir recourir à la CRDS qui touche les plus modestes, quand on dit qu'il n'est pas juste d'augmenter la CSG. Plus exactement, vous voulez augmenter celle-ci pour les revenus financiers. Pour nous, la sécurité sociale doit être financée sur la richesse produite par les entreprises sans pénaliser le travail. Dès lors, est-il juste d'opérer le même prélèvement sur des entreprises qui investissent et qui embauchent et sur d'autres qui délocalisent, ou font tout pour se séparer des salariés ? Que pensez-vous d'une exonération modulable en fonction de l'effort pour l'investissement et pour l'emploi ? Et estimez-vous juste l'exonération de charges patronales sur les bas salaires, dont le niveau vient d'être relevé de 1,3 à 1,8 SMIC ? Dans ma région, il n'y a pas une entreprise qui n'en profite pas et cela tire les salaires vers le bas.

M. Jean-Claude MAILLY : Il est logique de séparer ce qui relève de l'impôt et ce qui relève de la cotisation. La solidarité nationale relève bien de l'impôt et nous avions évoqué une taxation sur la valeur ajoutée. Sur un plan général, nous considérons que les pouvoirs publics doivent avoir une stratégie industrielle et que l'on pourrait très bien taxer les bénéfices non réinvestis pour créer un fonds d'industrialisation ou un fonds d'aménagement du territoire.

S'agissant des exonérations de cotisations patronales, on peut s'interroger sur leur efficacité. Rien ne prouve qu'elles contribuent à créer des emplois. En revanche, elles créent des effets de seuil importants et freinent les gains de productivité. Une politique globale d'exonération soulève donc de nombreux problèmes.

M. le Président : Pour nous résumer, s'agissant des recettes, vous vous en tenez aux cotisations, vous acceptez le prolongement de la CRDS pour éponger le déficit et vous rejetez la TVA sociale.

M. Jean-Claude MAILLY : En outre, nous acceptons une augmentation de la CSG sur les revenus des placements financiers.

M. le Président : Passons maintenant au troisième volet, celui de l'organisation.

M. Jean-Claude MAILLY : Nous sommes favorables à une gestion paritaire du régime général de sécurité sociale, sachant que l'Etat reste responsable de la politique de santé publique et de prévention. Nous avons également déjà évoqué le conseil scientifique.

Dans ce domaine de la gouvernance, nous nous inquiétons de l'idée de copilotage entre régimes obligatoires et régimes complémentaires. Actuellement, dans un régime de libre concurrence et conformément aux directives européennes, des compagnies d'assurance assurent des systèmes complémentaires. Nous ne voulons pas en quelque sorte, que le ver entre dans le fruit. Le copilotage direct, avec transmission de toutes les informations à ces compagnies d'assurance, serait une amorce de privatisation. Comme, pour les retraites, on a limité la répartition au profit de la capitalisation, limiter la part du régime général serait augmenter celle des compagnies d'assurance. Nous voulons donc un pilotage par les régimes obligatoires avec, éventuellement, un conseil consultatif où siègeraient les représentants des usagers et des régimes complémentaires. De même, nous rejetons l'idée que les compagnies d'assurance puissent accéder aux données médicales et aux dossiers individuels.

M. Jean-Marie LE GUEN : Les assurances sociales ont vécu par le paritarisme. Le MEDEF ne souhaite pas revenir dans ce cadre pour participer à leur gestion. A vos yeux, sa position condamne-t-elle le système ? Sinon, quel mode de gestion envisagez-vous pour l'assurance maladie ? Quelle peut être la composition des conseils d'administration ? Faut-il organiser des élections et, si oui, dans quelles circonstances ?

M. Maxime GREMETZ : Pour poursuivre sur le paritarisme, le MEDEF ne veut plus y participer sauf en ce qui concerne les accidents du travail, car il ne veut pas concourir à la solidarité nationale. Face à cette attitude, le gouvernement n'est pas sans moyens. Il peut répondre que dans ce cas, il n'y aura plus d'exonérations de charges !

Quant aux élections à la sécurité sociale, le seul argument qu'on nous oppose pour ne pas les rétablir, c'est que cela coûte trop cher ! Je ne vois pas comment il pourrait y avoir gestion démocratique sans élections de leurs représentants par les salariés !

M. Jean-Claude MAILLY : Il revient au MEDEF de dire s'il veut ou non participer de nouveau à la gestion des caisses. En tout cas, y participer ici mais pas ailleurs serait trop facile. La gestion paritaire est effectivement un élément de la démocratie sociale, mais on peut la concevoir dans un cadre différent. Il y a d'autres partenaires patronaux que le MEDEF aujourd'hui, par exemple l'UPA, la CGPME, l'UNAPL ou le patronat de l'économie sociale. Pour exercer cette responsabilité collective qu'est la protection sociale, il est concevable d'élargir la représentation patronale : si une organisation ne veut plus siéger, ses compétences seront réparties entre celles qui demeurent présentes. Quant aux élections aux caisses de sécurité sociale, nous avons déclaré à maintes reprises qu'il n'y a là pour nous aucune difficulté particulière.

M. Maxime GREMETZ : Ce n'est pas à vous que je faisais allusion !

M. le Président : M. le secrétaire général, je vous remercie.

Audition de M. Jean-François ROUBAUD,
président de la CGPME

(Extrait du procès-verbal de la séance du 28 avril 2004)


Présidence de M. Jean-Michel DUBERNARD,
puis de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : Je tiens à excuser M. le Président Debré et certains de nos collègues, retenus en séance par un incident. M. Roubaud, je vous souhaite donc la bienvenue. Cette série d'auditions vise des objectifs très précis. En premier lieu, quels sont, selon vous, les grands principes qui doivent continuer de régir notre assurance-maladie ? Ensuite, quels diagnostics faites-vous des difficultés actuelles ? Il s'agit bien sûr d'évoquer les problèmes financiers, mais aussi les dysfonctionnements risquant à long terme d'affaiblir les fondements du régime. Enfin, quelles sont selon vous les pistes envisageables pour une éventuelle réforme, en termes de recettes et de dépenses, mais également en ce qui concerne la qualité du système de soins ?

M. Jean-François Roubaud : Je vais essayer de vous résumer en quelques pages le travail que nous avons effectué depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, autour du problème de l'assurance-maladie. D'abord un constat : depuis les dernières décennies, l'assurance-maladie a puissamment contribué au développement du système de santé et à l'égalité des citoyens devant l'accès aux soins. Cela s'est fait par la généralisation du régime obligatoire et par la diffusion accrue des couvertures complémentaires permettant à la plupart des assurés d'avoir accès aux soins à un niveau significatif de prise en charge. Les régimes obligatoires remboursent d'ailleurs 76 % des dépenses globales ; les soins remboursables représentent deux mille euros par personne et par an, avec un taux de prise en charge de 81 %. Le taux de prise en charge de l'hôpital est quant à lui de 97 %. Ce système de prise en charge est aujourd'hui confronté à une croissance exponentielle des dépenses de soins. Ces dépenses ont augmenté, en moyenne, à un rythme supérieur de deux points à la croissance de la richesse nationale, passant de 3,5 % du produit intérieur brut en 1960 à 8,9 % en 2002, ce qui situe la France parmi les pays consacrant le plus de richesses aux dépenses de soins. Une réforme d'ensemble est donc indispensable car les recettes ont aussi augmenté de façon importante, l'essentiel étant prélevé sur les revenus d'activité. La spirale d'augmentation des prestations, entraînant un accroissement des cotisations, devient de plus en plus insupportable pour les contribuables. Le système de financement s'épuiserait d'ailleurs à vouloir couvrir sans différenciation ce que les industries et les professions de santé peuvent offrir en termes de soins. Plus grave encore, le système de santé, en période de faible croissance, épuiserait les possibilités de redistribution de la richesse collective destinée à couvrir d'autres besoins sociaux essentiels, tels que le logement, les transports en commun ou l'éducation. A partir des grands principes énoncés par le Président de la République, à savoir la conservation d'une qualité de soin identique, l'égalité d'accès et la prise en charge pour tous par les régimes obligatoires et complémentaires, il faut donc assurer la conservation d'un système solidaire mais économe en prélèvements. Pour cela, je développerai quatre chapitres. Il s'agit, tout d'abord, de mettre en œuvre une réelle maîtrise des dépenses, puis de réformer structurellement les grands axes d'organisation du système de santé. Il faudra ensuite limiter les recours aux financements nouveaux pour proposer enfin une architecture de gestion plus rationnelle. 

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : Vous entrez donc d'emblée dans le troisième point que je vous suggérais. Souhaitez-vous ajouter quelques mots sur les grands principes sur lesquels repose notre système d'assurance-maladie ?

M. Jean-François ROUBAUD : Ils découlent de ce que j'ai dit en préambule, à savoir que ce système a permis l'accès aux soins à un grand nombre de nos concitoyens. Il faut donc conserver ce système ainsi que la qualité des soins, mais aussi conserver les moyens financiers pour l'assurer.

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : Ma deuxième question concerne le diagnostic que vous effectuez de la situation actuelle. Nous disposons tous des éléments du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie.

M. Jean-François ROUBAUD : Nous participons à ce Haut Conseil.

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : Etes-vous d'accord avec le diagnostic proposé ?

M. Jean-François ROUBAUD : Absolument. L'ensemble des partenaires partage d'ailleurs cette position.

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : Il n'est donc pas nécessaire d'aller plus loin. Donnez-nous maintenant les quatre pistes que vous proposez.

M. Jean-François ROUBAUD : En ce qui concerne la mise en œuvre au profit des gestionnaires des instruments d'une réelle maîtrise des dépenses, il faut constater que la facilité de l'accès aux soins présente des avantages incontestables mais ne dresse aucun obstacle devant les comportements négligents, voire laxistes, des consommateurs, de la consommation et des prescriptions. Nous proposons, afin de responsabiliser les patients, de mettre en œuvre un carnet de santé obligatoire permettant un véritable suivi médical durant la vie du patient, ainsi qu'une carte Vitale nominative avec une photo d'identité, pouvant contenir l'ensemble du carnet de santé. Nous préconisons aussi un suivi obligatoire de la consommation des patients par la Sécurité sociale afin de dépister les abus, ainsi que la mise en place d'un ticket modérateur par prescription ou par médicament, ou encore une franchise non remboursable composée d'un seuil minimum et d'un seuil maximum. Nous pensons qu'il s'agit d'une mesure importante puisque la gratuité systématique de l'ensemble des soins est une source de gaspillage et de non-responsabilisation du citoyen. J'ai entendu de nombreuses critiques lorsque nous avons évoqué la création d'un ticket modérateur. Il est évident que nous sommes ouverts à une possibilité de l'appliquer en fonction des revenus des individus mais le principe essentiel est de mettre à contribution l'ensemble des citoyens. Ensuite, après avoir responsabilisé les patients, nous proposons aussi de responsabiliser les professionnels de santé par un suivi du profil médical, une dépense moyenne et une mise en œuvre effective des références médicales opposables. En outre, le remboursement des soins hospitaliers doit se faire en fonction d'une tarification à la pathologie afin de permettre un financement des hôpitaux lié à leur activité réelle. Enfin, la refondation du conventionnement des professionnels de santé peut être effectuée en approfondissant l'idée d'un conventionnement par la caisse d'assurance-maladie des travailleurs salariés qui soit réellement individualisé. Cela permettrait d'ailleurs à cette caisse nationale d'avoir un lien personnel et direct avec l'ensemble des acteurs.

Le deuxième point consiste à réformer structurellement les grands axes d'organisation du système d'assurance-maladie. La Confédération a soutenu, dans ses grandes lignes, la réforme de 1996 engagée par le gouvernement, et notamment le principe d'une loi de financement de la Sécurité sociale. Il nous paraissait logique que le Parlement définisse sous forme d'enveloppes les ressources que la collectivité nationale voulait affecter à la protection de la santé de la population française. Il s'est avéré assez rapidement que cette loi de financement n'a pas joué son rôle véritable. Elle n'a fait que rassembler des dispositions de nature incitative et sans caractère obligatoire, puisque les mesures permettant de rendre ces montants globaux opposables en cas de dépassement n'ont pu être mises en place. Afin de revenir à son objet initial, la loi de financement de la Sécurité sociale devrait donc prévoir, pour chacun des régimes d'assurance-maladie qu'elle traite, le niveau des recettes et des dépenses avec un objectif d'équilibre entre les unes et les autres. Elle devrait être accompagnée d'un dispositif de régulation globale opposable aux fournisseurs de soins pour que soient respectées les enveloppes financières fixées par cette loi. Corrélativement devrait être défini par les pouvoirs publics, en concertation avec les représentants des professionnels de santé, les partenaires sociaux et les institutions de l'assurance-maladie, le panier de biens et de services médicaux liés à la médecine de ville mais aussi à l'hôpital, à l'utilité médicale reconnue, qui serait pris en charge par l'assurance-maladie collective obligatoire en totalité ou en partie. Ce panier de soins devrait correspondre à une couverture significative pour éviter un déséquilibre entre le domaine de l'assurance-maladie collective obligatoire et celui des systèmes complémentaires. Cette réforme structurelle serait d'ailleurs cohérente avec l'une des priorités contenues dans le rapport du Haut Conseil, qui incitait à faire des choix et à hiérarchiser les priorités en matière de remboursement. Une réforme structurelle conduirait bien sûr à une redéfinition du champ d'intervention de l'assurance-maladie collective et obligatoire et de celui des systèmes complémentaires tels que les mutuelles et les institutions de prévoyance. Mais une telle redéfinition, fondée sur des options claires, devrait permettre une évolution maîtrisée. En effet, la part des systèmes complémentaires en matière d'assurance-maladie ne représente actuellement que 10 % des remboursements. Or, le transfert d'une grande partie de la charge qu'assume aujourd'hui l'assurance-maladie collective et obligatoire ne manquerait pas de se traduire rapidement par une hausse des tarifs de ces mutuelles. Il faut donc agir avec prudence.

Notre troisième axe concerne la limitation du recours aux financements nouveaux. L'objectif prioritaire est la réorganisation structurelle du système d'assurance-maladie accompagnée de la mise en place de tous les instruments nécessaires à une telle maîtrise. Dans cette optique, toute augmentation des recettes sous forme d'un accroissement des prélèvements ne pourrait avoir lieu qu'en dernier ressort et à titre complémentaire et limité dans le temps. Il faut rappeler en effet que les dernières années ont été marquées par la création de nouvelles contributions, que ce soit la CSG ou la CRDS, la durée d'existence de la CRDS ayant déjà été allongée jusqu'en 2014. Dès lors, nous considérons qu'une telle augmentation, si elle était décidée, ne pourrait avoir qu'un caractère limité et exceptionnel. Elle devrait être incluse dans la réforme d'ensemble visant à cette organisation rationnelle du système d'assurance-maladie et à une maîtrise des dépenses qu'elle prend en charge.

Enfin, notre dernier point concerne la gouvernance, pour créer une architecture de gestion plus rationnelle. C'est sans doute le point politique le plus sensible. Nous avons proposé trois cas de figure. La gestion peut être effectuée, en premier lieu, par les huit organisations d'employeurs et de salariés qui sont les partenaires gestionnaires de la branche maladie du régime de Sécurité sociale. Si la décision était prise par notre Confédération d'un retour dans les institutions gestionnaires, la solution la plus logique consisterait à ce que les huit organisations d'employeurs et de salariés soient les gestionnaires uniques de la branche maladie du régime général de la Sécurité sociale. Celles-ci bénéficieraient alors d'une totale délégation de gestion de la part de l'Etat. Dans ce cadre, elles devraient donc être en mesure, comme en matière d'assurance-chômage ou de retraites complémentaires, de fixer le niveau des prestations et des cotisations. Elles devraient, sans intervention possible de la tutelle administrative, être l'interlocuteur unique des professionnels de santé. De cette manière, les gestionnaires pourraient organiser une véritable coordination des interventions des différentes catégories de professionnels de santé en liaison avec les soins hospitaliers. Les organisations joueraient alors leur rôle de gestionnaire à part entière, en s'appuyant d'un côté sur le panier des biens et des services médicaux remboursables, et de l'autre côté sur les instruments de maîtrise des dépenses mis à leur disposition évoqués plus haut. Elles s'appuieraient également sur des structures administratives simplifiées, avec un seul échelon territorial représenté par les caisses primaires d'assurance-maladie, et un seul échelon régional permettant une gestion du risque proche du terrain. Le deuxième cas de figure place l'Etat comme seul gestionnaire. Il pourrait décider, étant donné le montant des dépenses liées à l'assurance-maladie, qu'il ne peut pas accorder une totale délégation de gestion à ces partenaires. Dans ce cas, nos organisations pourraient considérer que leur présence ne s'impose pas, tant au niveau des organes proprement dits qu'au niveau de structures telles qu'un conseil de surveillance. Le dernier cas est la situation dans laquelle nos organisations seraient amenées à considérer que l'Etat ne leur donne pas toutes les garanties et tous les instruments nécessaires à la gestion pleine de l'assurance-maladie. Compte tenu de l'importance du sujet et du fait que les sommes dépensées proviennent en grande partie des entreprises et des salariés, nous pourrions souhaiter participer tout de même à la gestion de ce système. Il s'agirait alors de prendre part à une structure équivalente à un conseil de surveillance permettant d'avoir des informations et de suivre l'évolution de la branche maladie du régime général de Sécurité sociale. Dans ces trois cas de figure, c'est bien entendu l'Etat qui détient les clés. C'est en fonction des décisions qu'il prendra dans le projet de loi sur l'ensemble des mesures de redressement que nous fixerons notre attitude définitive.

Mme Catherine GENISSON : En ce qui concerne la gouvernance et le premier cas de figure que vous avez décrit, j'aimerais que vous nous précisiez quelles sont les relations que vous souhaitez établir avec l'hôpital. Est-ce un simple rôle de coordination ou revendiquez-vous d'assumer également la responsabilité de la gestion de l'hôpital ? Quel est également le rôle que vous faites jouer au Parlement au sein du dispositif que vous nous avez décrit ?

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : Il est vrai que vous avez fait très peu allusion à l'hôpital.

M. Jean-François ROUBAUD : C'est sans doute parce qu'il représente le problème le plus complexe avec la moitié des dépenses. Je crois qu'on ne peut pas sortir l'hôpital de la gestion de l'ambulatoire. Les deux sont impératifs. Ceci étant, comme dans toutes les entreprises - je me réfère toujours à l'entreprise puisque c'est ce que je connais -, il faut des gens compétents pour diriger. Il est donc nécessaire qu'il y ait des spécialistes en matière de médecine. Je n'ai pas l'intention de me poser en spécialiste de ce qu'il faut faire ou ne pas faire sur le plan médical. Nous devons pouvoir nous appuyer, dans l'hôpital comme dans l'ambulatoire, sur des rapports de spécialistes et sur une commission permanente de spécialistes de la santé.

Mme Catherine GENISSON : Je pense que ce type de proposition ne choque personne, et cela semble un préalable obligatoire. Mais je souhaiterais que vous soyez plus précis dans votre proposition. Quand vous dites que l'on ne peut dissocier l'hôpital de l'ambulatoire, cela signifie que la délégation de gestion est globale.

M. Jean-François ROUBAUD : Absolument. Pour ce qui est de la place du Parlement, je crois que toutes les grandes décisions politiques doivent donner lieu à un débat au cours duquel le Parlement doit donner son avis sur l'ensemble des questions de fond de l'assurance-maladie et de la santé.

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : Le niveau de recettes et de dépenses devrait être précisé par le Parlement et, de là, respecté par les gestionnaires. C'est le cas aujourd'hui mais rien n'est respecté.

M. Jean-François ROUBAUD : C'est la raison pour laquelle les conditions d'équilibre annuel et pluriannuel entre dépenses et recettes doivent être définies par le Parlement. Cela relève du rôle de l'Etat.

M. Jean-Marie ROLLAND : Vous avez insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d'une réelle maîtrise des dépenses de santé. Vous avez parlé des patients, de l'examen de leur profil de consommation, des prescripteurs, de l'hôpital ou encore du panier de soins. Ce qui m'inquiète, c'est que vous n'avez pas évoqué le problème du contrôle de cette volonté de maîtriser. Qui va l'effectuer ou examiner les profils ? Qui va dire, notamment pour l'hôpital, ce qui est une bonne pratique et ce qui ne l'est pas ?

M. Jean-François ROUBAUD : Je reprends le schéma étudié par M. Mattei ainsi que par le nouveau ministre. C'est la Haute autorité de santé qui doit, à mon avis, définir tout cela en comptant dans ses rangs des personnalités qualifiées et des spécialistes de ces sujets.

M. Jean-Marie ROLLAND : La définition ne me pose pas de problème. En revanche, je m'interroge sur l'efficacité du contrôle.

M. Jean-François ROUBAUD : L'exigence d'efficacité revient à la Sécurité sociale, à qui l'on doit donner l'ordre de vérifier les dépenses et l'exactitude des frais. Il faudrait que ces mesures deviennent maintenant opposables.

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : J'ai bien compris que vous étiez favorable à la mise en place d'une Haute autorité de santé. Comment la voyez-vous ? Quels seront les éléments composant cette institution ?

M. Jean-François ROUBAUD : Le schéma remis par M. Douste-Blazy visait à y faire participer des membres de l'Assemblée nationale, du Sénat, voire du Conseil économique et social, ainsi que des personnalités qualifiées. Il s'agit donc d'un panel suffisamment important pour parvenir à une représentation équilibrée de la société.

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : Concevez-vous un rôle particulier pour les médecins conseils de l'assurance-maladie, qui sont 2 200 pour 2 500 places, dont la mission se partage entre le contrôle et le conseil ? Je me demande s'il ne faudrait pas séparer les deux.

Mme Catherine GENISSON : Dans votre exposé préalable, vous avez mis l'accent sur l'obligation de responsabilisation, axée essentiellement sur le comportement des citoyens. N'est-il pas nécessaire de contrôler non seulement la conduite des citoyens, mais aussi la façon d'exercer cet art si compliqué qu'est l'art médical par les professionnels de santé ? N'y a-t-il pas lieu également que certaines mesures prévoient les bonnes pratiques médicales ?

M. Jean-François ROUBAUD : Il me semble y avoir consacré un paragraphe important en évoquant la responsabilisation des professionnels de santé ou le suivi du profil médical. Il s'agit donc aussi de la refondation du conventionnement des professionnels de santé.

M. Jean-Pierre DOOR : J'aimerais en savoir davantage au sujet du carnet de santé, que vous avez décrit tel qu'il existait auparavant. Le dossier médical partagé et informatisé vous convient-il ? Vous avez parlé d'un ticket modérateur par prescription ou d'une franchise et je souhaiterais que vous nous en disiez plus sur ce sujet aussi. Pouvez-vous nous dire également ce que vous comptez inclure dans le panier de soins ? Enfin, j'ai entendu le terme de « convention individuelle » ; je ne pense pas que soit l'attente la plus forte des syndicats médicaux. Comment évoluerait cette convention individuelle face aux conventions collectives du corps médical ?

Nous venons d'aborder le thème du contrôle médical ; j'avais demandé à M. Spaeth si certains médecins « fatigués » après un certain nombre d'années d'exercice pourraient, grâce à un système de passerelle, devenir médecins contrôleurs de la Sécurité sociale, comme cela a déjà été le cas. Si vous vous souvenez, dans les débuts du contrôle médical, des médecins généralistes passaient de l'autre côté. On nous répond que la Sécurité sociale préfère employer des jeunes pour ce contrôle. Je pense qu'il peut y avoir une piste d'ouverture pour disposer de médecins expérimentés, connaissant le cadre de la médecine praticienne et capables, par conséquent, d'exercer ce contrôle. La réponse de M. Spaeth n'a pas été celle que j'attendais.

M. Jean-François ROUBAUD : En ce qui concerne les médecins « senior », il est possible d'appliquer, en termes de formation, la même théorie que pour les cadres « senior » au sein d'une entreprise. Cela revient au débat entre le rôle de contrôle et le rôle de conseil de l'assurance-maladie. Je crois qu'il faut aller davantage vers le contrôle et que ce contrôle soit opposable au patient, car certains contrôles existants ne servent vraiment à rien.

Mme Catherine GENISSON : Il faut que ce contrôle soit opposable au patient comme aux professionnels de santé.

M. Jean-François ROUBAUD : Je ne dis pas le contraire. Le carnet de santé ne sert actuellement à rien. On ne s'en munit qu'à titre volontaire en cas de visite médicale. Nous souhaitons qu'il soit obligatoire et placé sur la carte Vitale, ce qui est prévu. Vous vouliez que j'insiste sur les franchises et le ticket modérateur. Nous ne nous sommes pas arrêtés sur une franchise trimestrielle ou annuelle comme en Allemagne, ou sur un ticket modérateur ou un coût à la boîte de médicament et à l'acte médical. Nous voulons vraiment un outil qui, au-delà du plan financier, puisse responsabiliser le patient. Nous y tenons beaucoup car ce qui est complètement gratuit ne sert à rien ; nous le vivons tous les jours.

Mme Martine BILLARD : J'ai bien écouté ce que vous avez dit. Vous pensez qu'il faut responsabiliser les patients et que la gratuité des soins est une source de gaspillage et de non-responsabilisation des citoyens. En tant que patient potentiel, n'étant pas médecin, j'ai eu le sentiment en vous entendant que les patients choisissaient eux-mêmes les médicaments et les soins qu'ils allaient consommer. Que je sache, ce sont quand même les professions médicales qui proposent un certain nombre de médicaments à prendre, de soins à suivre et d'examens à passer. Pour que ces actes soient remboursés, il faut bien qu'un médecin les demande ; un patient tout seul peut consommer un certain nombre de médicaments selon sa propre volonté mais il ne sera pas remboursé ; dans ce cas, cela n'aggravera pas le déficit de la Sécurité sociale. A la limite, cela n'a pour conséquence que l'augmentation des bénéfices des laboratoires et des autres fournisseurs. C'est pourquoi je suis un peu étonnée. Vos propositions aboutissent à un déséquilibre assez net entre le contrôle des patients et le contrôle des médecins. Que proposez-vous pour les médecins qui prescriraient abusivement un certain nombre de traitements ou d'examens ? Vous analysez la gratuité des soins comme une source de gaspillage et de non responsabilisation des citoyens. Cela signifie-t-il qu'elle doit être supprimée dans tous les cas, y compris pour un certain nombre de personnes en difficulté ?

M. Jean-Luc PREEL : J'ai bien compris que vous proposiez de limiter le recours aux financements nouveaux. Vous avez également expliqué que, depuis vingt ans, l'augmentation des dépenses est de deux points supérieure au PIB ; c'est ce que l'on retrouve à long terme dans tous les pays. Si vous ne voulez pas de recettes nouvelles, cela signifie-t-il que vous voulez diminuer globalement de deux points les dépenses sur vingt ans, ce qui poserait rapidement un problème de prise en charge ? A partir de là, je comprends très bien que vous vouliez responsabiliser à la fois les patients et les médecins. En effet, on dit souvent que la formation médicale continue et l'information permettraient de parvenir à la mise en place de références médicales opposables.

Vous avez évoqué ensuite la convention individuelle. Comment voyez-vous le profil médical et, si le profil médical n'est pas dans la norme, que proposez-vous comme sanction ? Est-ce le déconventionnement ? De même, vous proposez, pour le malade, un ticket modérateur ou une franchise non remboursable. Que proposez-vous pour le suivi du patient qui n'est pas dans les normes ? On vous expliquera alors qu'il ne l'est pas en raison de problèmes sociaux ou génétiques particuliers. Que proposez-vous dans ce cas ? J'ai une question annexe qui me paraît relativement importante : le ticket modérateur et la franchise non remboursable sont des idées à la mode reprises par tout le monde. Je vous rappelle que le remboursement du forfait journalier hospitalier avait été interdit. Puis il a été autorisé par une mutuelle et tout le monde a suivi. Nous avons aujourd'hui, au niveau européen, la liberté d'assurance, qui est un principe important. Comment empêcher un individu de s'assurer pour un remboursement que vous n'auriez pas prévu ?

M. Philippe VITEL : Je voulais évoquer la question du suivi médical, comme M. Préel vient de le faire. Vous parlez en effet de références médicales opposables. Le terme d'opposabilité entraîne obligatoirement une sanction. Comment envisagez-vous cette évaluation ? Qui doit la faire ? Quel mode de sanction évoqueriez-vous à l'encontre des praticiens qui sortiraient de ces références ou de ces bonnes pratiques ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Cela fait maintenant plusieurs mois que nous discutons, que vous discutez, autour de la question de l'assurance-maladie. Vous excuserez donc nos propos qui ne sont pas aussi structurés et argumentés que les vôtres. Dans la mesure où vous avez abordé la question de la franchise, j'aimerais que vous nous indiquiez sur quelles études vous vous fondez, et quels chiffres vous avancez pour considérer que le nomadisme médical, si c'est bien de cela qu'il s'agit, serait aujourd'hui à l'origine des difficultés que nous rencontrons. J'imagine que ce n'est pas une opinion que vous avez émise mais plutôt une constatation que vous avez pu faire. Vous avez donc les moyens de préciser les études qui ont montré ce que vous avancez, les chiffres auxquels cela correspond. Dans le même temps, comme nous ne sommes pas là pour débattre d'idées rédigées sur le coin d'une table, vous nous direz exactement qui serait touché dans les différentes hypothèses que vous avez émises au sujet de cette franchise. Que faire des patients en situation d'affection de longue durée (ALD) ? A quel niveau de revenu avez-vous l'intention d'agir ? Au total, combien ceci rapporterait-il à la Sécurité sociale et quels seraient les éventuels effets bénéfiques et pervers que vous verriez dans ce système ? Vous êtes un partenaire social important associé à la gestion de l'assurance-maladie, ces questions ne sont donc plus de l'ordre de l'opinion et du sentiment mais il me semble, après le rapport du Haut Conseil, qu'elles doivent être maintenant de l'ordre de la preuve, de la démonstration et des avancées chiffrées.

M. Jean-François ROUBAUD : Je vais reprendre tout de suite la question des chiffres. Je suis désolé de vous décevoir, mais je n'ai pas de chiffres et je ne me suis pas appuyé sur des études. Je me suis simplement appuyé sur le fait que les gens ne font pas attention quand quelque chose est gratuit. Nous nous basons sur le fait qu'il faut responsabiliser les individus. Je peux très bien comprendre que vous ne soyez pas d'accord sur ce point. Ceci étant, c'est notre analyse.

J'ai déjà indiqué que le ticket modérateur toucherait l'ensemble des citoyens, mais qu'il faudrait le lier aux revenus et aux ressources des individus pour qu'il soit quand même compatible avec leurs capacités financières. Je ne dis pas que celui qui n'a pas de salaire doit payer, mais je pense que, globalement, l'ensemble des citoyens devrait payer.

M. Jean-Michel DUBERNARD, Président : M. Le Guen, vous connaissez bien l'expérience allemande. Tournez-la dans votre esprit pendant que M. Roubaud termine son intervention.

(M. Jean-Louis DEBRÉ remplace M. Jean-Michel DUBERNARD à la présidence.)

M. le Président : M. Le Guen, vous avez posé une question à M. Roubaud. Il va s'exprimer et vous pourrez lui répondre si vous n'êtes pas satisfait. Mais chacun a le droit de s'exprimer. Nous avons le devoir d'entendre les témoins qui ne sont pas forcément de notre point de vue.

M. Jean-François ROUBAUD : J'aimerais répondre à la question de la responsabilisation des professionnels de santé, qui doit se faire au même titre que pour les patients. Je pense qu'il faut les responsabiliser, et que cela peut aller jusqu'au déréférencement. En revanche, ce n'est pas à moi de juger de telles situations. Une Haute autorité de la santé sera mise en place. De même, la Sécurité sociale dispose de médecins spécialistes de l'assurance-maladie qui doivent être capables de voir si nous sommes vraiment complètement hors des normes. Si l'on place un curseur maximum dans les dépenses moyennes comme base de notre analyse, certains spécialistes pourront juger si c'est un cas normal ou non. Il existe des pathologies médicales pouvant aller largement au-delà mais il faut que l'analyse soit faite, de façon à ce que des sanctions puissent être prises quand il y a abus.

M. Jean-Michel DUBERNARD : M. Préel a abordé deux points. Le premier concernait les relations entre l'assurance-maladie obligatoire et les assurances complémentaires dans le cadre de la libre concurrence issue des règlements européens. Ceci mérite peut-être quelques précisions.

M. Jean-François ROUBAUD : Actuellement, les assurances complémentaires couvrent à peine 10 % de l'ensemble des remboursements. On peut donc très bien imaginer qu'il y ait un déplacement pour certains types de soins et certains types de malade. Nous savons que ce déplacement augmentera les coûts des assurances complémentaires et, par conséquent, des cotisations. Ce n'est pas un miracle. Il n'y aura pas de transfert instantané de ce panier de soins vers les assurances complémentaires.

M. Jean-Michel DUBERNARD : La question du conventionnement individuel est-elle réalisable aujourd'hui ?

M. Jean-François ROUBAUD : Je pense bien sûr que c'est réalisable sinon je ne le proposerais pas. Je ne dis pas que cela sera facile à réaliser. Il y a des choses techniquement difficiles, d'autres politiquement difficiles. Nous sommes dans une situation qui est elle-même très complexe. Si nous ne prenons pas de mesures fortes et rapides, nous irons dans le mur.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Techniquement, est-il possible d'envisager aujourd'hui un contrat ou un conventionnement individuel entre les caisses et les médecins généralistes et spécialistes ?

M. Jean-François ROUBAUD : Je n'ai pas de réponse définitive. Je pense cependant que l'on doit pouvoir le faire.

M. Jacques DOMERGUE : Avez-vous déjà évoqué cela avec les syndicats médicaux ?

M. Jean-François ROUBAUD : Non, Monsieur.

M. Jean-Michel DUBERNARD : La question des ALD, évoquée par Mme Génisson, pose le problème du forfait lié à ces pathologies. Nous pouvons nous référer au système allemand, avec une réforme fondée sur des mesures essentiellement financières telles que le ticket modérateur ou la franchise dans certains domaines. Pour ce qui est des ALD, nous nous étions interrogés sur le cas de l'insuffisance rénale chronique et de la dialyse. En fonction de leurs revenus, les patients paient de 1 % à 2 % de leurs revenus pour participer aux coûts. Votre système de franchise et de ticket modérateur peut-il s'appliquer aux ALD ?

M. Jean-François ROUBAUD : Il faut tenir compte non seulement des situations de revenus des patients, mais également de leurs situations médicales. Il est évident qu'il ne faudra pas pénaliser de la même manière l'ALD et une maladie bénigne.

M. Jean-Michel DUBERNARD : L'ALD est-elle concernée par le ticket modérateur ?

M. Jean-François ROUBAUD : Je crois qu'elle est concernée par le ticket modérateur ; il faudra bien sûr fixer un plafond différent.

M. Gérard BAPT : On pose a priori que la gratuité serait plus coûteuse pour les dépenses de santé. Je crois que l'exemple des Etats-Unis montre que la participation la plus importante des ménages aux dépenses de santé n'implique pas pour autant que la part des dépenses dans le PIB soit la moins importante, bien au contraire. C'est la capacité contributive des ménages qui permet de sélectionner l'accès aux soins. Je crois que la commission Fragonard est partie du principe de l'égalité devant l'accès aux soins. Certains moyens techniques permettent de lutter contre la fraude, mais je ne pense pas que cela permette de ramener significativement le déficit de quatorze milliards d'euros à des chiffres beaucoup plus faibles.

En ce qui concerne le problème de la responsabilité, j'avais compris que l'une des bases du diagnostic partagé de la commission Fragonard était l'idée que la responsabilisation se faisait avant tout sur le prescripteur et non sur le patient. Le nomadisme médical peut être réglé avec le dossier médical partagé.

M. Jean-François ROUBAUD : Je confirme ce que j'ai dit : il faut différencier la responsabilité des prescripteurs et des patients. Pour revenir sur la gratuité, je suis d'accord avec le principe mais je pense qu'un ticket modérateur pourrait responsabiliser les gens. Je ne crois pas qu'on puisse comparer le système de soins américain au système de soins français. Nous voulons mettre en œuvre ce ticket modérateur afin que les gens adoptent un comportement plus citoyen.

M. le Président : Si je comprends bien, mais je ne suis pas un spécialiste, vous êtes opposé à l'augmentation des recettes. Mais je n'ai pas bien vu quelle était votre position sur la TVA sociale. Pourrait-elle être une solution si elle limitait, voire remplaçait, les cotisations patronales ? Il y aurait alors une TVA sociale totalement affectée à l'assurance-maladie. Etes-vous complètement hostile à ce principe ?

M. Jean-François ROUBAUD : Nous sommes opposés à la TVA sociale et à toute charge supplémentaire. La TVA sociale est une charge sur la consommation. Cela signifie qu'on augmente l'assiette. Je préfère néanmoins une TVA sociale à une augmentation des charges sociales sur le salarié et l'entreprise.

M. le Président : Vous n'êtes donc pas hostile, par principe, à une TVA sociale affectée à l'assurance-maladie. Vous dites simplement que vous pourriez arriver à cette solution si cette TVA sociale aboutissait, non pas à une augmentation de la fiscalité, mais à la disparition d'un certain nombre de cotisations patronales.

M. Jean-François ROUBAUD : Je suis d'accord avec votre réflexion. Je ne suis pas complètement opposé à une TVA sociale ni même à une augmentation de certaines charges, à la condition que les éléments soient mis en place pour arrêter l'hémorragie de la Sécurité sociale. Cela signifie que des mesures importantes doivent être prises. Si l'on m'assure que l'on prend les mesures adéquates pour redresser la Sécurité sociale, je suis prêt à payer davantage.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Mais ne pensez-vous pas qu'en mettant en œuvre cette TVA sociale, on s'éloignerait des principes que vous avez énoncés au début de votre exposé, concernant la gestion paritaire de l'assurance-maladie ?

M. Jean-François ROUBAUD : Je ne crois pas que ce soit antinomique puisque la TVA sociale apporte simplement une augmentation des ressources. La gestion doit veiller à l'équilibre entre les ressources et les dépenses. On dispose donc alors simplement d'une masse de ressources différentes.

Mme Martine BILLARD : Le ticket modérateur existe aujourd'hui dans beaucoup de cas. Votre proposition revient-elle à mettre fin au remboursement par les mutuelles et les assurances complémentaires ? D'autre part, quelle définition donneriez-vous du panier de soins et de services médicaux ? Comment évoluerait-il ?

M. Jean-Michel DUBERNARD : Je me permets d'aller un peu plus loin sur cette question en vous demandant qui définirait le contenu de ce panier de soins et services médicaux.

M. Jean-François ROUBAUD : Nous avons déjà évoqué la Haute autorité de santé. A mon avis, c'est à elle qu'il revient de définir le contenu de ce panier. En ce qui concerne le remboursement du ticket modérateur par les assurances complémentaires, j'y suis opposé car cette mesure perd alors toute son efficacité. Je ne souhaite pas en faire une ressource financière pour la Sécurité sociale mais plutôt un outil de mobilisation de la conscience des citoyens français. Ce n'est pas la même chose.

M. Jacques DOMERGUE : J'aimerais revenir sur le problème du financement. Vous avez dit que vous souhaitiez l'augmentation des cotisations en dernier recours, ce qui signifie que vous ne voulez pas qu'il y ait d'augmentation avant d'avoir « fait le ménage » et d'avoir rationalisé le système dans lequel nous nous trouvons.

M. Jean-François ROUBAUD : Ce n'est pas tout à fait exact. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. J'accepte une augmentation des cotisations si les mesures sont en train de se mettre en place. Si l'Etat nous assure que ces décisions sont bonnes et permettent de gérer l'équilibre entre dépenses et recettes, alors nous supporterons une augmentation des cotisations, mais de manière transitoire pendant deux ou trois ans. C'est pourquoi, je préférerais que cette charge supplémentaire ne soit rattachée ni à la CSG ni à la CRDS.

M. Jacques DOMERGUE : Le danger des mesures transitoires est qu'elles sont souvent définitives.

M. Philippe VITEL : Vous n'avez pas évoqué la possibilité qu'un patient soit inscrit auprès d'un médecin référent. J'aimerais avoir votre opinion sur le libre choix du praticien par les patients. Doit-il être limité, remis en cause ou lié à la consultation préalable d'un médecin référent choisi librement par le patient ? Vous avez évoqué la tarification à la pathologie. Avez-vous une opinion sur la possibilité d'économie que cela pourrait générer dans le fonctionnement du système hospitalier ?

M. Jean-François ROUBAUD : En ce qui concerne le tarif référent sur une maladie-type, je ne dispose pas de chiffre d'économie réalisable. En revanche, je sais que cela faciliterait la gestion et mettrait à égalité l'ensemble des établissements hospitaliers.

Nous ne sommes pas du tout partis dans l'idée d'un médecin référent. Il n'est pas dans notre culture de ne pas pouvoir choisir son médecin. Néanmoins, il serait bon de favoriser l'approche par un généraliste des pathologies avant de consulter un spécialiste. Ceci permettrait de limiter le coût de soins.

M. Jean-Michel DUBERNARD : J'aimerais que vous précisiez ce point, puisque la définition du médecin généraliste que vous venez de donner est celle du médecin référent. S'il est amené à voir toutes les pathologies avant que le patient consulte un spécialiste, alors, par définition, le patient sera orienté. C'était le rôle traditionnel des médecins de famille dans notre pays et ça le reste encore aujourd'hui.

M. Jean-François ROUBAUD : Dans le cas présent, nous sommes face à un médecin référent personnel que l'on a choisi. Il ne s'agit pas d'un médecin référent qui vous est imposé car vous habitez dans tel quartier ou dans telle rue.

M. Jean-Michel DUBERNARD : Je crois que la notion de médecin référent relève d'un choix personnel dans l'esprit de tous les membres de la mission. J'aimerais que l'on revienne sur la question du pilotage. Vous avez souligné, à juste titre, la complexité de l'organisation de l'assurance-maladie obligatoire. Vous souhaitez que l'on dispose d'une caisse primaire d'assurance-maladie par département et une structure par région. Pouvez-vous nous en définir les fonctions et nous dire quelles seraient les relations de cette structure avec l'hôpital ? Finalement, l'hôpital reste une zone obscure ou absente dans tous nos propos, alors qu'il représente 50 % des dépenses. Quelles sont donc les relations de la structure régionale que vous avez mentionnée avec les agences régionales d'hospitalisation ?

M. Jean-François ROUBAUD : Je ne sais quoi vous répondre, en particulier en ce qui concerne les liens entre l'hôpital et la caisse primaire. Je crois qu'il faudrait gérer indépendamment l'hôpital au niveau de la région, avec des tarifs référents. Les niveaux régional et départemental ne seraient que l'exécutif du niveau national. Il n'y a pas d'autonomie, mais une différence hiérarchique directe entre la caisse départementale, la caisse régionale et la caisse nationale.

M. le Président : Il nous reste à vous remercier. Il est vrai qu'il est difficile de répondre à cette vague de questions sur des sujets aussi multiples. Vous nous aurez au moins présenté vos quatre axes de modernisation de façon précise.