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N° 2439

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 juillet 2005.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT

ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE (1),

sur le suivi des propositions de la Délégation sur l'internet haut débit,
la gestion de l'eau, le traitement des déchets
et les contrats de plan Etat-régions,

PAR M.  ÉMILE BLESSIG,

Député.

_____

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire est composée de : M. Emile Blessig, président ; MM.  Jean Launay, Serge Poignant, Max Roustan, vice-présidents ; MM. André Chassaigne, Philippe Folliot, secrétaires ; MM. Joël Beaugendre, Jérôme Bignon, Jean Diébold, Jean-Pierre Dufau, Louis Giscard d'Estaing, Jacques Le Nay, Patrick Lemasle, Mmes Henriette Martinez, Marie-Françoise Pérol-Dumont.

QUATRE ENJEUX POUR LES TERRITOIRES 5

A. LE DÉPLOIEMENT DE L'INTERNET HAUT DÉBIT 6

B. LA MODERNISATION DE LA GESTION DE L'EAU 7

C. LA RÉFORME DES CONTRATS DE PLAN ETAT-RÉGIONS 8

D. LE TRAITEMENT, LE STOCKAGE ET L'ÉLIMINATION DES DÉCHETS 9

EXAMEN DU RAPPORT 11

TRAVAUX DE SUIVI 13

A. AUDITION DE M. PAUL CHAMPSAUR, PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DE RÉGULATION DES TÉLÉCOMMUNICATIONS, SUR LE DÉPLOIEMENT DE L'INTERNET HAUT DÉBIT 13

B. COMMUNICATION DE M. JEAN LAUNAY SUR LA MODERNISATION DE LA GESTION
DE L'EAU 21

C. COMMUNICATION DE MM. LOUIS GISCARD D'ESTAING ET JACQUES LE NAY SUR
LA RÉFORME DES CONTRATS DE PLAN ETAT-RÉGIONS 29

D. COMMUNICATION DE M. EMILE BLESSIG SUR LE TRAITEMENT, LE STOCKAGE
ET L'ÉLIMINATION DES DÉCHETS SUR LE TERRITOIRE 37

mesdames, messieurs,

Depuis le début de la législature, la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire s'est attachée à aborder l'ensemble de ses domaines de compétence. Au cours des précédentes sessions, elle a ainsi élaboré des rapports d'information, assortis de propositions, sur le développement de la téléphonie mobile et de l'internet haut débit sur le territoire (rapport n° 443), sur la modernisation de la gestion de l'eau (n° 1170), sur le stockage, le traitement et l'élimination des déchets (n° 1169), sur la désindustrialisation du territoire (n° 1625), sur les conséquences de la réforme des fonds structurels (n° 701). Durant la session 2004-2005, la Délégation a en outre élaboré deux rapports d'information, sur la réforme des contrats de plan Etat-régions (n° 1836) et sur les instruments du développement durable (n° 2248).

A mi-législature, la Délégation a souhaité se préoccuper de l'évolution des dossiers qu'elle a traités et du sort des propositions qu'elle a faites. Elle prend ainsi sa part dans le développement par l'Assemblée nationale de ses missions de contrôle et de suivi. Ce développement s'est concrétisé par exemple par l'ajout au Règlement de l'Assemblée nationale d'un troisième alinéa à l'article 146, en mai 1991, s'agissant du contrôle de l'exécution du budget par les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, ou encore, plus récemment, d'un huitième alinéa à l'article 86 en février 2004, s'agissant du contrôle de la mise en œuvre des lois par les députés qui en ont été les rapporteurs.

Il s'agit aussi pour la Délégation d'affirmer sa fonction d'instance de dialogue et d'échange. Organe parlementaire, la Délégation est en effet, à travers les audiences de ses rapporteurs et ses auditions plénières, dont les comptes rendus sont publiés, un cadre de consultation, un cadre de recueil des préoccupations et aussi des solutions développées par les collectivités locales et les acteurs institutionnels et associatifs, un cadre de formalisation des positions de l'Etat, qu'il s'agisse de ses responsables administratifs ou des membres du Gouvernement, et enfin, à partir des éléments ainsi recueillis, un cadre de formulation de propositions de la part de ses rapporteurs et de ses membres.

A travers ses travaux de suivi, la Délégation peut ainsi faire vivre le dialogue sur les domaines de ses compétences et développer, remanier, faire avancer les propositions qu'elle formule.

Au cours de la session ordinaire de 2004-2005, la Délégation est ainsi revenue sur quatre dossiers : l'équipement des territoires en internet haut débit, la gestion de l'eau, le traitement des déchets et les contrats de plan Etat-régions.

Lors de sa réunion du mercredi 22 juin 2005, la Délégation a décidé de confier à son président, ès qualités, un rapport d'information présentant ces travaux de suivi. Mais c'est bien dans les comptes rendus des travaux de la Délégation, insérés à la suite de cette présentation, qu'on trouvera le cheminement de la réflexion et les propositions des rapporteurs, les descriptions et préconisations des personnalités auditionnées, les analyses des membres de la Délégation.

A. LE DÉPLOIEMENT DE L'INTERNET HAUT DÉBIT

La Délégation est tout à fait préoccupée par le risque d'une « fracture numérique », entre des territoires disposant de l'accès au haut débit, et d'autres qui en seraient durablement privés. Elle surveille donc avec attention l'évolution de cette « fracture », et elle est particulièrement attentive à ce que la politique gouvernementale veille à la réduire et à prendre en compte les difficultés des territoires enclavés.

C'est à cette fin qu'elle a entendu, le 27 octobre 2004, M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), aujourd'hui devenue Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

Cette audition s'est révélée très riche. L'exposé du président de l'ART a fait apparaître une très forte évolution de la géographie de l'accès au haut débit, d'ici 2007, sous l'effet de trois facteurs. Il s'agit d'abord de l'apparition de nouvelles technologies. Le RE-ADSL permet d'accroître le rayon de diffusion de l'ADSL haut débit autour des centraux téléphoniques. La technologie hertzienne WiMax permet de couvrir les zones les plus éloignées des centraux répartiteurs ; à la date de l'audition de son président, l'ART avait déjà entrepris de dégager des fréquences pour les liaisons WiMax, à attribuer dès 2005.

Il s'agit ensuite des conditions juridiques, avec l'entrée en vigueur de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, qui donne désormais compétence à celles-ci, dans certaines conditions, pour construire des réseaux de transmission à haut débit. Il apparaît que, convenablement utilisé, cet article est d'une grande utilité pour prévenir ou réduire la « fracture numérique ». Soit les collectivités développent effectivement des réseaux, soit, devant cette concurrence naissante, les opérateurs, et notamment France-Télécom, accélèrent leur calendrier d'équipement et modifient leur politique tarifaire.

La politique des opérateurs, et notamment de France-Télécom, est le troisième facteur. L'opérateur historique a déclaré en effet vouloir, avant la fin de l'année 2006, accroître le nombre de ses centraux répartiteurs et équiper l'ensemble de ceux-ci pour le haut débit ; les motivations de l'opérateur sont sans doute à la fois, comme l'a exposé le président de l'ART, des raisons de cohérence de son offre et de lutte contre la concurrence.

Au bout du compte, M. Paul Champsaur a exposé que 95 % à 98 % de la population et 95 % du territoire bâti pourraient avoir accès au haut débit à la fin de l'année 2006.

Eu égard à l'ampleur des bouleversements ainsi décrits et à la rapidité des évolutions qu'ils induisent, la Délégation a considéré que la création d'une mission d'information destinée à caractériser l'évolution de la « fracture numérique » et à proposer des solutions pour sa réduction ne se justifierait, le cas échéant, qu'une fois la situation nouvelle stabilisée. Le rapport d'information de M. Claude Belot, sénateur, au nom de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire du Sénat, intitulé « internet haut débit et collectivités locales » (n° 443, 2004-2005), présenté le 29 juin 2005, montre que le déploiement du haut débit se poursuit conformément aux descriptions faites par le président de l'ART lors de son audition du 27 octobre 2004.

La Délégation entend bien cependant suivre ce dossier. Dès qu'un premier bilan de la politique d'appui financier de l'Etat aux collectivités les plus menacées par la « fracture numérique », notamment à travers le fonds de soutien au déploiement du haut débit, mis en place l'an dernier, pourra être établi, elle ne manquera pas de se le faire présenter. De même, elle continuera à suivre de près l'évolution des conditions du déploiement du haut débit, à travers des auditions du président de l'ARCEP.

B. LA MODERNISATION DE LA GESTION DE L'EAU

Pendant la session 2004-2005, la Délégation est également revenue sur les analyses et propositions qu'elle avait faites en matière de politique de l'eau.

Dans son rapport sur la modernisation de la gestion de l'eau, en octobre 2003, M. Jean Launay avait présenté des propositions sur le pilotage et le financement de la politique de l'eau, et notamment sur le rôle des départements et des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB).

Le Gouvernement ayant déposé, puis défendu devant le Sénat, le projet de loi, très attendu, sur l'eau et les milieux aquatiques, la Délégation a confié une communication à M. Jean Launay sur la prise en compte par ce projet de loi des propositions formulées en octobre 2003.

Dans cette communication, présentée lors de la réunion du mercredi 11 mai 2005, M. Jean Launay analyse au regard de ces propositions le dispositif proposé par le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, après sa première lecture par le Sénat. Ce dispositif, qui comporte une présence accrue des élus dans les comités de bassin, et l'inscription dans la loi du système de redevances, lui est apparu être fonctionnel et aller dans le bon sens. Notre collègue rapporteur note aussi avec satisfaction la reconnaissance accrue du rôle des départements et des établissements publics territoriaux de bassin.

M. Jean Launay souligne cependant que le projet de loi ne comporte aucune garantie sur le financement de l'amélioration de la desserte en eau et de sa qualité. Il s'inquiète des charges qui pourront échoir aux départements du fait de la disparition du Fonds national pour le développement des adductions d'eau (FNDAE). Il souhaite l'affectation au profit des départements, pour leur politique de l'eau, de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés.

Lors de cette réunion, une intervention de M. Max Roustan a amené également la Délégation à débattre des plans de prévention des risques d'inondations (PPRI). Ceux-ci paraissent parfois comporter des contraintes et des restrictions disproportionnées par rapport aux risques. M. Max Roustan a indiqué que lui-même et plusieurs de ses collègues allaient proposer des dispositions législatives afin de restaurer cette proportionnalité, sous la forme d'une proposition de loi, déjà déposée sous le numéro 2189, et par des amendements au projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, lorsqu'il viendra en discussion. En réponse, M. Jean Launay a fait part des solutions adoptées dans le département dont il est l'élu, qui ont permis aux collectivités territoriales et aux établissements publics territoriaux de bassin de retrouver une capacité de proposition et de négociation avec l'Etat pour la prévention des inondations.

Au bout du compte, il apparaît que ce travail de suivi sur l'eau pourra, par les débats dont il a été le cadre, et les orientations et solutions qui y ont été formulées, nourrir avec profit le débat législatif, lorsqu'il aura lieu, qu'il s'agisse du pilotage et du financement de la politique de l'eau ou de la prévention des inondations.

C. LA RÉFORME DES CONTRATS DE PLAN ETAT-RÉGIONS

Le Premier ministre a lancé, le 1er mars 2004, une consultation sur la réforme des contrats de plan Etat-régions. Dans ce cadre, la Délégation a chargé MM. Louis Giscard d'Estaing et Jacques Le Nay de préparer un rapport, dont elle a adopté les conclusions le mardi 12 octobre 2004 (rapport n° 1836).

Ces deux rapporteurs, l'un rapporteur spécial des crédits de l'aménagement du territoire à la commission des finances, l'autre rapporteur pour avis de ces crédits à la commission des affaires économiques, ont abouti aux conclusions suivantes. Pour eux, il faut que la réforme préserve le caractère global des contrats de plan : elle doit ensuite les recentrer sur un petit nombre de politiques structurantes ; il faut améliorer leur gestion financière, par l'instauration d'une fongibilité des crédits et l'élaboration d'un outil informatique adapté ; la péréquation qui y serait insérée doit être qualitative ; enfin il faut aller vers des contrats de neuf ans, avec une clause de réaménagement tous les trois ans. La Délégation a fait siennes ces propositions.

Le processus s'est poursuivi, et, en mars 2005, une synthèse des propositions des dix instances sollicitées, effectuée par deux inspecteurs généraux, des finances et de l'administration, a été remise au Premier ministre.

La Délégation a, là encore, souhaité rester saisie du dossier. Elle a donc chargé les auteurs du rapport d'analyser les propositions ainsi faites au regard de leurs propres propositions.

Les rapporteurs, dans une communication faite devant la Délégation le 1er juin 2005, ont pu constater une large convergence des propositions des inspecteurs généraux et de celles de la Délégation. Les inspecteurs généraux proposent eux aussi de conserver aux contrats de plan leur caractère global, et de les resserrer autour de politiques structurantes. Ils fournissent même des orientations pour la détermination de ces politiques, ainsi que pour concilier capacité d'orientation de l'Etat et initiative régionale, dans le respect de l'autonomie des collectivités locales. Ils reprennent les propositions des rapporteurs sur l'élaboration d'un outil de gestion informatique. Enfin, ils se prononcent pour des contrats d'une durée longue.

En revanche, les inspecteurs généraux considèrent que rendre fongibles les crédits ne serait pas conforme aux règles de présentation du projet de loi de finances au Parlement ; ils proposent cependant d'autres mesures pour pallier les conséquences de cette non fongibilité. Ils ont aussi proposé de fixer à sept ans, et non neuf, avec révision à mi-parcours, la durée des contrats de plan.

Les rapporteurs ont cependant considéré que les divergences étaient suffisamment limitées, par rapport à l'ensemble des points consensuels, pour que le dispositif retenu puisse faire l'objet d'un accord global de la Délégation ; c'est cette position qu'ils ont finalement adoptée.

Il faut souligner aussi que l'analyse ainsi formulée au sein de la Délégation a depuis été présentée à la commission des finances, où elle a reçu un bon accueil. En effet, elle a été reprise telle quelle dans un rapport d'information (n° 2421) sur l'exécution des contrats de plan Etat-régions et la programmation des fonds structurels européens, confié par la commission à MM. Augustin Bonrepaux et Louis Giscard d'Estaing, et examiné par elle le 29 juin 2005.

D. LE TRAITEMENT, LE STOCKAGE ET L'ÉLIMINATION DES DÉCHETS

La Délégation a enfin entendu, mercredi 22 juin 2005, une communication de son président, M. Emile Blessig, sur le devenir des propositions qu'il avait formulées en octobre 2003 dans son rapport sur la gestion des déchets ménagers.

Le rapport mettait notamment en évidence la hausse continue de la production des déchets et la saturation à proche échéance des capacités de stockage et de traitement des déchets. Face à cette situation, trois propositions étaient faites : restaurer la confiance des citoyens, qui est indispensable pour permettre l'implantation de nouvelles installations de traitement, mettre en place des formes de financement incitatives pour les communes d'implantation et responsabiliser les acteurs de la filière de traitement des déchets, de façon notamment à diminuer la production du volume des déchets.

Il ressort des entretiens conduits par le rapporteur que le Gouvernement va sans doute renoncer à une grande loi sur les déchets, au profit d'actions plus ciblées. En effet, s'il est conscient des difficultés posées par l'organisation actuelle de la collecte et du traitement des déchets, il ne voit guère de possibilité d'y introduire de bouleversements majeurs.

Le ministère de l'écologie et du développement durable est par ailleurs favorable au développement de la concertation et de l'information, indispensables à la confiance. Il fait des efforts en ce sens. Il n'est pas opposé non plus à l'instauration de redevances pour service rendu en faveur des communes d'implantation des incinérateurs ou des centres techniques d'enfouissement.

Les entretiens du rapporteur font aussi apparaître que la hausse des coûts n'est pas due à l'application des normes plus sévères que celle de l'Union européenne : la France était très en retard, et la mise aux normes a coûté cher.

S'agissant de la responsabilisation des acteurs, le ministère a engagé des actions sur le courrier non adressé et les sacs de caisse. Pour le rapporteur, il ne s'agit là cependant que d'actions limitées par rapport à une politique de diminution de la production des déchets, seule de nature à permettre une réduction durable des coûts, qui reste à définir et à mettre en oeuvre.

Enfin, le rapporteur a présenté les divers volets de la réforme du contrôle des installations classées, essentielle et attendue depuis longtemps.

Cette présentation a aussi fait apparaître des points de convergence entre les membres de la Délégation. Ceux-ci s'accordent sur la nécessité d'une réflexion globale sur la production, le traitement et l'élimination des déchets, ainsi que sur l'urgence d'une action à la source sur la production des déchets : ainsi, les fonds dégagés pour le traitement des emballages pourraient être tout aussi utiles s'ils étaient consacrés à leur réduction. Ils mettent enfin en évidence la nécessaire primauté du terrain pour la mise en place de solutions, le caractère performant ou non des modèles envisagés dépendant en réalité des conditions de fait des territoires.

*

En conclusion, le rapporteur espère que le travail de suivi ainsi mené pourra être reconnu comme solide et utile pour faire progresser l'information de l'Assemblée nationale, conformément à la mission qui est impartie à la Délégation par l'article 6 sexies de l'ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

EXAMEN DU RAPPORT

La Délégation a examiné, lors de sa réunion du mardi 5 juillet 2005, le rapport d'information du Président Emile Blessig sur le suivi des propositions de la Délégation sur l'internet haut débit, la gestion de l'eau, le traitement des déchets et les contrats de plan Etat-régions.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jean Launay a insisté sur le caractère indispensable du travail de suivi ainsi effectué par la Délégation, que les questions traitées relèvent d'aménagement du territoire ou de développement durable, et souligné la nécessité de le faire connaître.

Il a ensuite observé que les travaux présentés établissaient souvent des constats difficiles pour les territoires défavorisés par leur faible densité de population ou leur relief, et faisaient apparaître le handicap supplémentaire que constituent pour eux les ressources limitées qu'ils peuvent dégager pour tenter de surmonter ces caractéristiques. La question des ressources, et notamment des ressources pérennes, pour le rééquilibrage des territoires est ainsi systématiquement présente.

Le Président Emile Blessig a répondu que la Délégation pouvait en effet aborder les questions de sa compétence sous les aspects des priorités d'aménagement du territoire, des moyens disponibles pour le développement des territoires, et enfin de l'équité entre les territoires, et donc de la péréquation.

Rappelant alors que la démarche traditionnelle d'aménagement du territoire consiste bien, pour les territoires en difficulté, à partir d'un diagnostic, à déterminer les mesures nécessaires pour remédier aux difficultés ou aux déséquilibres constatés, puis à en rechercher les moyens, il a observé que la recherche de ces moyens et capacités se heurtait régulièrement non seulement à la faiblesse des moyens financiers disponibles sur le territoire, mais aussi parfois à ses limites en termes de capacités humaines d'action et d'ingénierie territoriale.

Il a ensuite exposé que cette constatation pouvait conduire, à un horizon relativement court, à préférer aux démarches traditionnelles d'aménagement du territoire une démarche de développement durable, et qu'une telle évolution pourrait, le cas échéant, sans qu'il soit possible de conclure aujourd'hui, amener à réorganiser, voire inverser, certaines priorités d'intervention.

M. Jean Launay a répondu que cette inversion de l'approche n'offrait cependant pas forcément d'éléments susceptibles de remédier à la double pénalisation des territoires à la situation géographique difficile. Lorsque des échéanciers nationaux sont formulés, par exemple pour l'assainissement des eaux, ou les normes de traitement des déchets, les collectivités réussissent à rester en cohérence avec ceux-ci, mais seulement au prix d'un effort financier spécifique, qui peut être très important, induit par le relief difficile et la faible densité des populations. La conséquence en est l'application, sur des bases de ressources fiscales en général limitées, de taux d'imposition plus élevés que dans des territoires plus favorisés.

Lorsqu'il s'agit, sous la pression des populations, formulée au nom de l'équité, de mettre à niveau le service offert, comme dans le cas de l'internet haut débit, ces mêmes territoires, handicapés par leurs conditions géographiques et leurs ressources limitées, se trouvent parfois devoir financer très cher ce qui au même moment est mis à la disposition des habitants des zones plus denses à des tarifs beaucoup plus bas, du fait du recours à des technologies innovantes qui ne leur sont pas encore offertes.

Le Président Emile Blessig a conclu que la situation ainsi décrite rendait encore plus indispensable l'élaboration d'un dispositif sûr et détaillé d'indicateurs du développement des territoires, demandé par la Délégation, seul de nature à permettre de moduler avec efficacité et équité l'appui à l'équipement des territoires.

*

La Délégation a alors décidé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information sur le suivi des propositions de la Délégation sur l'internet haut débit, la gestion de l'eau, le traitement des déchets et les contrats de plan Etat-régions.

TRAVAUX DE SUIVI

A. AUDITION DE M. PAUL CHAMPSAUR, PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DE RÉGULATION DES TÉLÉCOMMUNICATIONS, SUR LE DÉPLOIEMENT
DE L'INTERNET HAUT DÉBIT (mercredi 27 octobre 2004)

M. Serge Poignant, président, a exposé que la Délégation de l'Assemblée nationale à l'aménagement du territoire et au développement durable était particulièrement attentive aux effets du développement des technologies de la communication sur la cohérence du territoire. Elle souhaite que puisse être prévenu tout risque de « fracture numérique » qui pourrait contribuer à obérer les perspectives de développement de certaines parties de celui-ci, notamment parce qu'elles n'auraient pas accès à l'internet au niveau de débit aujourd'hui requis par le fonctionnement courant des services et de l'industrie. Les premiers travaux de la Délégation, au début de la législature, ont été consacrés à ce thème : en novembre 2002, un rapport d'information (n° 443), intitulé « réduire la fracture numérique », a été présenté devant elle par M. Nicolas Forissier, alors député, appelé depuis au Gouvernement. La Délégation attache aujourd'hui un grand prix aux analyses que l'Autorité de régulation des télécommunications pourra lui présenter sur les conditions de la progression de l'équipement numérique de la France.

M. Paul Champsaur a d'abord retracé l'historique du développement de l'internet haut débit sur le territoire. Les centres de recherche et les grandes entreprises disposent depuis plusieurs dizaines d'années de liaisons à haut débit leur permettant d'échanger des volumes de données importants. Ces liaisons étaient cependant des liaisons spécialisées, et utilisaient des technologies relativement coûteuses.

Avec l'apparition de l'internet moderne, au milieu des années 1990, le haut débit a commencé à devenir accessible aux ménages et aux moyennes entreprises, le progrès technologique permettant de le proposer à un niveau de prix plus abordable.

Dans la plupart des pays industrialisés, comme aux Etats-Unis, les premières offres haut débit pour le grand public ont été proposées par les câblo-opérateurs. Cela n'a pas été le cas en France, où le câble ne représente toujours qu'une faible partie du marché.

Le haut débit sur la paire téléphonique en cuivre, par les technologies du DSL (digital subscriber line, ou ligne numérique dédiée), s'est développé à partir de 1999. Ce développement a été relativement lent. La France ne comptait que quelques dizaines de milliers d'abonnés en 2000. Elle était alors nettement en retard sur les autres pays européens pour l'accès au haut débit. Ce retard s'expliquait essentiellement par un déficit de concurrence : la boucle locale en cuivre, c'est à dire la paire téléphonique, était le seul vecteur du haut débit en France, et France Télécom était le seul acteur à y avoir accès.

La clé de l'ouverture à la concurrence était le dégroupage de la boucle locale. Le dégroupage permet aux opérateurs alternatifs d'installer leurs équipements actifs dans les locaux de France Télécom, à l'extrémité de la paire de cuivre téléphonique, et donc de présenter des offres distinctes de celles de France Télécom.

Courant 2002, l'Autorité de régulation des télécommunications a modifié les conditions techniques et tarifaires du dégroupage. Cette décision a permis l'essor de la concurrence. Entre la mi-2002 et la mi-2004, dans les zones où les opérateurs alternatifs pouvaient dégrouper la boucle locale de cuivre, les tarifs ont été divisé par deux, voire par trois ; dans le même temps, le nombre d'abonnés au haut débit est passé de 700 000 à près de cinq millions ; il atteindra probablement six millions à la fin de l'année 2004. Le taux de pénétration du haut débit est maintenant supérieur à la moyenne européenne, à celui de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Espagne et de l'Italie. Les prix du marché sont parmi les plus bas d'Europe. Le marché semble également particulièrement dynamique en termes de technologie, avec des offres de diffusion audiovisuelle et bientôt de visiophonie.

Le développement du haut débit est cependant hétérogène sur le territoire. La zone de concurrence effective concerne aujourd'hui 50 % de la population, la zone où le seul réseau présent est celui de France Télécom, dite « zone grise », 40 %, et la zone non équipée, dite « zone blanche », 10 %.

M. Paul Champsaur a ensuite présenté le rôle de l'Autorité de régulation des télécommunications sur les marchés du haut débit.

L'Autorité de régulation des télécommunications a été créée en 1997. Il s'agissait alors de mettre en oeuvre en France le mouvement général en Europe d'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications. Tels qu'ils avaient été formalisés, le cadre européen et, par voie de conséquence, le cadre législatif et réglementaire français ne prenaient pas spécifiquement en compte le haut débit ; l'enjeu stratégique de celui-ci n'a été perçu qu'à partir de 2000 lors du Conseil européen de Lisbonne. La régulation du haut débit a donc été mise en oeuvre dans un cadre réglementaire issu de la régulation de la téléphonie classique.

L'Autorité n'a jamais eu le pouvoir de réguler les marchés de détail du haut débit. Elle a eu en revanche le pouvoir de réguler une partie des marchés de gros, c'est-à-dire des marchés intermédiaires, négociés entre opérateurs.

L'Autorité dispose de trois outils. Le premier est constitué par les avis qu'elle rend sur les grilles tarifaires des offres de France Télécom aux fournisseurs d'accès internet. L'Autorité n'a pas le droit d'imposer des tarifs à France Télécom. En revanche, le ministre de l'industrie homologue ces tarifs ; il dispose donc d'un pouvoir d'opposition à une nouvelle grille tarifaire ; et c'est après avoir consulté l'Autorité qu'il prend sa décision. Le maniement de cette procédure est délicat, en raison de la complexité des structures tarifaires proposées par France Télécom selon les zones géographiques et les marchés. L'Autorité l'a cependant utilisée environ une fois par an depuis 2000.

Le deuxième outil de l'Autorité est le pouvoir de modifier l'offre de référence de dégroupage de la boucle locale en cuivre. C'est un outil décisif. Les réglementations européenne et française imposent en effet à l'opérateur historique de proposer des offres de dégroupage. L'Autorité a utilisé deux fois son pouvoir de modification de l'offre en 2001, et une fois en 2002. Des recours contre ces décisions ont été introduits par France Télécom devant le Conseil d'Etat.

Le troisième outil est le pouvoir de trancher des litiges sur les offres de gros au niveau régional. Ces offres doivent permettre aux opérateurs alternatifs d'accéder aux clients finaux dans les zones où ils ne dégroupent pas la paire de cuivre. Elles sont donc structurantes pour le marché en zone peu dense. L'Autorité ne disposait pas de moyens efficaces de régulation de ces offres. En revanche, en 2000, l'offre régionale a fait l'objet d'une procédure contentieuse devant le Conseil de la Concurrence ; fin 2002, un arbitrage a été demandé par celui-ci à l'Autorité ; finalement, le Conseil de la Concurrence a prononcé en 2004 une sanction pour non respect de la décision prise.

Le nouveau cadre réglementaire, en cours de mise en place, mentionne explicitement le marché du haut débit. L'Autorité n'interviendra pas sur le marché de détail. En revanche, elle aura le pouvoir de régulation non seulement du dégroupage en zone dense, mais aussi des offres de gros régionales de France Télécom en zones moins denses. Il s'agit d'une évolution positive, car elle donne au régulateur les moyens de mettre en place des principes de régulation cohérents entre les différentes zones. La logique du nouveau cadre est aussi de réduire progressivement la régulation ex ante au profit d'un contrôle a posteriori de droit commun, exercé par le Conseil de la Concurrence.

M. Paul Champsaur a alors présenté les disparités géographiques de la situation du haut débit en France et les conditions de leur réduction. La densité de la population française est extrêmement hétérogène. Dans le domaine des télécommunications, cette hétérogénéité se traduit de la manière suivante. Il y a 12 000 centraux téléphoniques répartiteurs en France ; leur équipement en DSL permettra d'obtenir une couverture de la population de l'ordre de 95 % à 98 %. Cependant, l'équipement d'un peu moins de 1 000 centraux permet de desservir 50 % de la population ; c'est aussi la couverture actuelle du dégroupage des opérateurs alternatifs. L'équipement de la moitié des centraux, soit 6 000 centraux, permet quant à lui de desservir entre 85 % et 90 % de la population ; c'est la couverture actuelle de France Télécom. Enfin, certaines zones, quelques milliers de villages, sont trop loin du central téléphonique pour être desservis, même si celui-ci est équipé. C'est aussi le cas de nombreuses zones d'activités industrielles ou tertiaires, construites à l'écart du centre ville. Leur équipement suppose soit de recréer un central téléphonique a proximité, soit de tirer une fibre optique directement jusqu'à la zone.

Le président de l'Autorité de régulation des télécommunications a alors jugé que la question de la couverture géographique en haut débit des zones actuellement non couvertes, celles qu'on appelle les « zones blanches » devrait être résolu pour l'essentiel dans les deux à trois ans à venir. France Télécom a en effet annoncé son intention d'équiper tous ses répartiteurs en haut débit avant la fin 2006. Cette annonce apparaît crédible pour trois raisons. D'abord, France Télécom possède en général les bâtiments et les tranchées ; leur équipement en haut débit se fait pour une fraction seulement du coût d'un déploiement complet. Ensuite, France Télécom semble avoir une stratégie nationale et internationale forte vers le tout numérique et l'image ; vouloir couvrir rapidement le territoire français en haut débit est cohérent avec cette stratégie. Enfin, la couverture complète en haut débit du territoire par France Télécom peut amener certaines collectivités locales à renoncer à lancer des projets alternatifs.

France Télécom a aussi annoncé qu'elle allait créer entre 1 000 et 2 000 nouveaux centraux téléphoniques, permettant d'irriguer en haut débit les zones d'activités isolées, en transformant autant de sous-répartiteurs en répartiteurs. C'est au moins une dizaine de zones d'activités par département qui sont concernées. Cette annonce semble également crédible.

Il faut aussi tenir compte des progrès permanents de l'ADSL (DSL asymétrique). Des innovations régulières, comme le RE-ADSL, permettent d'amener le haut débit de plus en plus loin du central téléphonique.

Enfin, une nouvelle technologie haut débit hertzienne, dénommée WiMax, devrait être opérationnelle au courant de l'année 2005. Le marché et l'Autorité ont anticipé cette arrivée. Des fréquences supplémentaires vont être libérées pour être affectées aux liaisons WiMax en 2005, au moment où les appareils de série devraient être disponibles sur le marché. Cette technologie WiMax pourra être utilisée pour couvrir les zones les plus éloignées des répartiteurs, en particulier les zones d'activité isolées, ou encore pour proposer des offres concurrentes aux offres DSL dans les zones déjà couvertes par celui-ci.

Le président de l'Autorité de régulation des télécommunications a alors souligné que la question de la performance des services de télécommunications sur le territoire, porteuse elle aussi d'enjeux considérables, notamment quant aux performances des entreprises de la France moyenne, était, en revanche, une question beaucoup plus difficile.

En situation de monopole, les opérateurs de télécommunications ont tendance à fixer leurs tarifs de façon à dégager un bénéfice qui permette un retour sur investissement immédiat. En situation de concurrence en revanche, comme dans les grandes villes, les opérateurs acceptent des délais de retour sur investissement beaucoup plus longs, et fixent leurs tarifs en anticipant sur la croissance du marché. L'écart tarifaire peut ainsi varier du simple au double pour I'ADSL, et très probablement de plus encore pour les offres sur fibre optique. L'ouverture à la concurrence a aussi des conséquences en matière d'innovation technologique. C'est dans les zones denses, dégroupées et donc soumises à la concurrence, qu'apparaît aujourd'hui le très haut débit par ADSL 2+ en France et que se sont généralisées les offres de diffusion télévisuelle.

Ainsi, si l'on récapitule les prix et les débits disponibles, zone par zone, sur le marché résidentiel, on peut constater en zone concurrentielle des débits très supérieurs et des prix sensiblement inférieurs à ceux appliqués en « zone grise ». Cette situation vaut aussi pour les services offerts aux entreprises ; sans qu'on atteigne les écarts du secteur résidentiel, les tarifs proposés apparaissent plus élevés là où la concurrence est absente.

Le développement de la concurrence est donc la seule manière efficace de garantir à moyen et long terme un marché des télécommunications dynamique, le développement de la société de l'information et aussi la performance économique des entreprises.

Le développement de la concurrence dans les zones dégroupées a par lui-même des conséquences positives sur l'offre aux particuliers en « zone grise ». En effet, l'offre capacitaire et tarifaire passe par la publicité sur les médias nationaux. Les particuliers situés hors des zones de dégroupage profitent ainsi de la concurrence en vigueur sur ces zones.

En revanche, cette configuration ne vaut pas pour les services aux entreprises. Les besoins de celles-ci sont chaque fois spécifiques et les tarifs individuellement négociés. Seule donc l'arrivée effective de la concurrence dans ces « zones grises » est susceptible de faire évoluer l'offre aux entreprises dans le sens souhaité. Or, elle ne se fera pas par les seules forces du marché.

L'opérateur historique n'a aucun intérêt à voir se développer les infrastructures de réseaux concurrents. Si l'objectif d'une collectivité locale est simplement la couverture de l'ensemble de son territoire en services standards de haut débit, on peut penser que, eu égard au coût limité pour France Télécom des investissements nécessaires à cette extension, une négociation bien menée pourra suffire, sans que la collectivité ait forcément besoin de mettre effectivement en oeuvre l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, qui donne désormais compétence à celles-ci pour construire des réseaux de haut débit.

En revanche, s'il s'agit d'accroître l'attractivité économique et la compétitivité du territoire à court ou moyen terme, alors il n'y a guère d'autre solution que l'instauration effective de la concurrence entre deux réseaux.

Les coûts des réseaux de télécommunications ne résident pas d'abord dans les équipements électroniques actifs, mais dans le génie civil. Pour mettre en place un réseau à haut débit, il faut amener la fibre depuis les zones d'activités jusqu'aux centraux téléphoniques de France Télécom. Or, sur ce point, la différence principale entre France Télécom et ses concurrents est que France Télécom dispose déjà des tranchées et autres infrastructures. France Télécom déploie le haut débit au coût marginal, les concurrents au coût complet. La différence est d'un facteur cinq à dix. La conséquence en est qu'aucun concurrent de France Télécom ne peut construire seul un réseau à haut débit.

Si elle veut voir s'instaurer une concurrence effective, la collectivité devra donc investir dans un réseau, dans des tranchées, par lesquels elle pourra faire passer, moyennant redevance, la concurrence, c'est-à-dire un ou plusieurs opérateurs alternatifs.

Le coût de l'investissement pour un département est de l'ordre de 30 à 40 millions d'euros. Si des collectivités situées en zone relativement dense, comme les communes de la banlieue parisienne, doivent pouvoir amortir l'investissement ainsi réalisé, tel ne sera pas le cas partout. En moyenne les collectivités ne doivent pas s'attendre à récupérer plus de la moitié voire du tiers de leur mise. Cet investissement doit cependant être mis en regard des économies qui seront réalisées par les ménages et les entreprises du fait de l'arrivée de la concurrence, qui pourra être de l'ordre plusieurs millions d'euros par an et par département.

Achevant son propos, M. Paul Champsaur a exposé que l'Autorité de régulation des télécommunications avait entrepris d'aider les collectivités locales à maîtriser l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales. Elle a lancé cet été une consultation publique auprès des collectivités, sur leurs besoins, leurs projets et leurs actions. Elle reçoit actuellement les réponses et en effectue la synthèse. Elle a l'intention de rendre public ce travail, en y ajoutant des éléments d'information de nature technique et juridique, lors d'une journée consacrée à l'intervention des collectivités territoriales sur le marché des télécommunications, qu'elle va organiser le 1er décembre prochain ; des collectivités y présenteront aussi leurs expériences et leurs réalisations, qui sont extrêmement diverses ; la Délégation et ses membres y sont invités.

Après avoir remercié le Président de l'Autorité de régulation des télécommunications pour son invitation, M. Serge Poignant, président, a demandé des précisions sur le pourcentage du territoire qui resterait non desservi lorsque l'ensemble des centraux téléphoniques répartiteurs de France Télécom seraient équipés pour le DSL.

M. Paul Champsaur a répondu que, dans la mesure où il s'agissait d'équipements fixes, et non mobiles, c'était bien la population qui était l'indicateur pertinent, et non le territoire.

M. Laurent Laganier, chef du service collectivités et régulation des marchés haut débit de l'Autorité de régulation des télécommunications, a précisé que, si l'on voulait raisonner en termes de territoire, il fallait prendre pour indicateur le territoire bâti ; dans ce cas, peut-être 1 000 communes pourraient ne pas être desservies en haut débit en 2006, contre 12 000 à 15 000 aujourd'hui. La zone non couverte sera inférieure à 5 % du territoire bâti, ce pourcentage étant encore susceptible de se réduire au regard du progrès technologique continu qui caractérise le secteur.

M. Serge Poignant, président, a demandé si le coût de la transformation des sous-répartiteurs en répartiteurs ne conduirait pas France Télécom à rechercher une mutualisation de ces équipements avec d'autres opérateurs.

M. Paul Champsaur a répondu que c'était là une hypothèse très improbable. En effet, France Télécom n'a prévu de transformer en répartiteurs qu'une petite fraction de ses sous-répartiteurs, entre 1 000 et 2 000, commandant un marché potentiel significatif.

Il a ajouté que si l'Autorité de régulation des télécommunications voyait là une décision très importante, elle n'avait pas aujourd'hui la capacité de présenter une description synthétique de la situation des entreprises au regard de l'internet haut débit.

M. Laurent Laganier a ajouté que l'absence d'obligation de péréquation en matière de haut débit et d'équipement des entreprises permettait à France Télécom de pratiquer envers les entreprises nouvellement desservies des tarifs de nature à amortir ses coûts, sous le contrôle du régulateur.

M. Paul Champsaur a indiqué que les extensions de la couverture haut débit en « zone grise » se feraient vraisemblablement aux tarifs pratiqués, avant l'extension, sur les zones contiguës.

M. Serge Poignant, président, a alors demandé si l'Autorité de régulation des télécommunications pouvait dresser une typologie des interventions des collectivités locales en matière d'internet haut débit.

M. Paul Champsaur a répondu par l'affirmative. De nombreuses collectivités locales sont intéressées par le nouveau champ d'action offert par l'article L. 1425-1 du code général des collectivités locales. Beaucoup de projets ont été soumis à l'Autorité de régulation des télécommunications. Certains sont très avancés.

Après avoir salué, ainsi que M. Louis Giscard d'Estaing, l'initiative prise par l'Autorité de régulation des télécommunications d'organiser une journée d'information des collectivités locales, M. Jacques Le Nay, soulignant que les besoins des collectivités étaient pressants, a demandé si des exemples existaient de solutions efficaces et de coût raisonnable.

M. Paul Champsaur a répondu que, là où des solutions filaires ne sont pas envisageables, plutôt que l'installation de liaisons satellitaires, coûteuses et pas toujours adaptées, la technologie WiMax apparaissait prometteuse, à des coûts nettement inférieurs. Il s'agit de la modernisation de la boucle radio locale. Les seuls équipements de génie civil qu'elle requiert sont des pylônes. Certains pylônes, comme ceux de diffusion de la télévision hertzienne, conviennent très bien à ce type d'installation, au contraire des pylônes de réseaux de téléphonie mobile. Les coûts d'équipement d'un territoire évolueront donc en fonction de sa couverture existante en pylônes.

Il existe d'ores et déjà des prestataires de services qui installent des réseaux WiMax sur le territoire français. L'Autorité de régulation des télécommunications dispose ainsi de premiers retours d'expérience. En règle générale, les collectivités locales qui souhaitent déployer de tels réseaux ne le font pas elles-mêmes, mais procèdent autrement, par exemple par délégation de service public.

La floraison des projets de liaisons WiMax, qui sont, selon les cas, d'envergure locale, départementale, régionale et même nationale, a amené l'Autorité de régulation des télécommunications à lancer une procédure de rationalisation des fréquences hertziennes actuellement allouées, de façon à dégager des fréquences attribuables aux opérateurs WiMax ; ceux-ci pourront se voir attribuer de telles fréquences en 2005. L'objectif de l'Autorité est de pouvoir donner aux collectivités locales qui souhaitent intervenir en matière de liaison internet haut débit un choix entre plusieurs opérateurs. Eu égard à sa maturité, les chances que la technologie WiMax devienne une technologie de référence sont grandes.

M. Laurent Laganier a ajouté qu'en revanche, les ouvertures qui s'offraient à une collectivité locale pour ouvrir une zone d'activités ou une entreprise isolée à l'internet haut débit dans un délai rapide, trois mois par exemple, étaient limitées. L'Autorité propose cependant au cas par cas aux collectivités qui viennent la solliciter des conseils pour des solutions provisoires, mais fonctionnelles, reposant notamment sur des liaisons satellitaires.

B. COMMUNICATION DE M. JEAN LAUNAY SUR LA MODERNISATION
DE LA GESTION DE L'EAU (mercredi 11 mai 2005)

Le Président Emile Blessig a rappelé que, conformément aux propositions de son Bureau, la Délégation avait décidé de procéder jusqu'à la fin de la présente session à des travaux de suivi des investigations et des propositions faites par elle depuis le début de la législature.

Ainsi, la présente réunion est-elle consacrée au suivi des propositions formulées par M. Jean Launay lors de la présentation de son rapport sur la modernisation de la gestion de l'eau, et plus particulièrement à leur prise en compte par le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, après son examen en première lecture par le Sénat.

Les prochaines réunions seront consacrées successivement au suivi des propositions de la Délégation relatives à la réforme des contrats de plan Etat-régions, au dispositif d'élimination des déchets, et enfin au déploiement de l'internet haut débit sur le territoire.

M. Jean Launay, rapporteur, a rappelé les conclusions du rapport sur la modernisation de la gestion de l'eau, qu'il avait présenté à la Délégation le 29 octobre 2003. Celui-ci mettait en avant quatre enjeux : la qualité de l'eau, le prix de l'eau, le renouvellement et l'interconnexion des installations et enfin les dispositifs de gestion de l'eau. Il soulignait le rôle pivot du département, qui accompagne les communes et les syndicats d'adduction d'eau dans leurs investissements pour l'alimentation en eau et l'amélioration de la qualité de celle-ci. L'intervention des départements a ainsi un effet de péréquation sur les tarifs de l'eau.

Anticipant un accroissement des demandes des communes envers les départements, le rapporteur proposait que le rôle des départements soit mieux reconnu et conforté par l'affectation à leur profit d'une partie de la fiscalité assise sur l'eau, notamment la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques concédés. Insistant sur le rôle structurant du bassin-versant pour la gestion de l'eau sur le territoire, il prônait aussi une meilleure reconnaissance du rôle des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), groupements spontanément organisés par les collectivités locales pour la gestion de l'eau, notamment comme maîtres d'ouvrage des opérations sur un bassin ou un sous-bassin ; il ne s'agit pas d'en faire des contre-pouvoirs, mais de donner aux élus des instruments pour travailler avec les agences de l'eau et les usagers, industriels ou consommateurs.

M. Jean Launay a alors analysé la situation des propositions du rapport d'information au regard des dispositions du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, à la lumière non seulement des débats devant le Sénat, mais aussi de rencontres au ministère de l'écologie et notamment d'un entretien, extrêmement ouvert, avec le directeur de l'eau.

En ce qui concerne le financement de la politique d'adduction d'eau, le projet de loi sur l'eau entérine la disparition du Fonds national pour le développement des adductions d'eau (FNDAE). Le ministère de l'écologie et du développement durable justifie la disparition du FNDAE par l'évolution de sa gestion. En 2002, il représentait 150 millions d'euros, provenant pour 75 millions d'euros de taxes assises sur la consommation d'eau et pour 75 millions d'euros d'affectations de recettes du PMU. Cependant, 110 millions d'euros seulement avaient été redistribués aux départements pour des actions relatives à l'eau ; 40 millions d'euros avaient été conservés pour d'autres actions par le ministère de l'agriculture, qui gérait le dispositif. En 2003, l'Etat a supprimé le prélèvement effectué sur les recettes du PMU au profit du FNDAE. Enfin, les crédits du FNDAE n'auraient pas été très bien consommés par les départements. Le risque est alors apparu au ministère que les fonds collectés cessent progressivement de retourner à la politique de l'eau. Or les sommes reversées aux départements avaient un effet démultiplicateur : en 2002, les 110 millions d'euros reversés avaient servi de base à des interventions globales de 400 millions d'euros de ceux-ci auprès des communes rurales.

Pour améliorer la situation, un autre mécanisme a été mis en place : faire redistribuer les ressources anciennement prélevées au titre du FNDAE par les agences de l'eau. A elles de percevoir les ressources, et de veiller à leur redistribution auprès des communes rurales par les départements, via des conventions entre les agences et les conseils généraux. C'est l'un des objets de l'article 35 du projet de loi. Au ministère, on expose en outre que l'objectif est de revenir, malgré la fin du prélèvement sur les recettes du PMU, aux 150 millions d'euros initiaux. Ainsi, le ministère de l'écologie considère que le projet de loi aboutit à un dispositif cohérent où les départements trouveront leur compte.

M. Jean Launay a considéré qu'il fallait en accepter l'augure. Si l'on revient au financement initial, le nouveau dispositif sauvegarde la redistribution mise en place par la création du FNDAE ; seuls les canaux de redistribution changent. Cependant, plusieurs remarques peuvent être faites. D'abord, certains départements consommaient leurs crédits ; c'est le cas notamment du département du Lot. On peut aussi se demander si la sous-consommation des crédits n'est pas à mettre en relation avec les prélèvements opérés par le Gouvernement il y a deux ans sur les ressources des agences de l'eau, d'autant que les agences n'ont pas été ponctionnées de façon égale. Enfin, les départements ne trouvent dans le projet de loi aucune garantie que le volume initial des fonds collectés via le FNDAE sera retrouvé. Les calculs de certains services départementaux font apparaître au contraire que la diminution des ressources allouées aux départements par rapport à l'année 2002 pourrait être de la moitié, voire des deux tiers. Cette question devra donc être abordée de façon centrale et très claire dans le débat sur le projet de loi à l'Assemblée nationale.

M. Jean Launay a alors abordé la question de la péréquation. Alors que le rapport d'information proposait de faire des départements l'instance pivot de la péréquation du financement de la politique d'adduction d'eau, le ministère de l'écologie s'avère assez réservé sur ce point. Il considère qu'on court le risque de cantonner la solidarité au sein de départements ruraux ou pauvres. L'échelon de l'agence de bassin lui semble garantir un meilleur exercice de la solidarité, pourvu que des échanges s'organisent, entre départements urbains et ruraux, entre départements riches et pauvres.

De plus, deux mécanismes complémentaires sont institués. Le premier est la création, par l'article 41 du projet de loi, d'un office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) par transformation du conseil national de la pêche. L'ONEMA aura pour fonction de mener une politique de solidarité au niveau national, à partir de ressources versées par les agences de l'eau. Par son article 28 bis, introduit par le Sénat, le projet de loi prévoit aussi que les départements puissent créer chacun un fonds départemental pour l'alimentation en eau et l'assainissement (FDAE). Le financement de ce fonds est constitué par une taxe sur la consommation d'eau, au taux maximum de cinq centimes d'euro par mètre cube. Le ministère de l'écologie et du développement durable insiste sur le fait qu'il s'agit là d'un outil nouveau d'intervention donné aux départements, et non pas d'un outil de compensation des charges autrefois financées par le FNDAE.

M. Jean Launay a souligné que l'efficacité prévisible de ce dispositif devrait faire l'objet d'un examen attentif lors du débat du projet de loi à l'Assemblée nationale. Les contributions des agences de l'eau à l'ONEMA sont plafonnées par l'article 36 du projet de loi à 108 millions d'euros par an. Ce chiffre doit être comparé avec un total annuel de ressources des agences de 2 milliards d'euros par an. La création des FDAE n'est pas obligatoire, mais laissée à la discrétion de chaque département. Enfin, le projet de loi n'apporte aucune garantie sur le volume des prélèvements qui seront effectués par les agences de l'eau en remplacement de l'ancien FNDAE, et guère de lumières sur les modalités de leur redistribution.

M. Jean Launay a alors abordé la question du pilotage et du contrôle du dispositif. Les départements sont inquiets des répercussions du nouveau dispositif sur le respect des priorités d'intervention. Les collectivités ont souvent dû faire face dans le passé à des variations, allant jusqu'à des ruptures de logiques, dans les orientations de la programmation des agences de l'eau. Ainsi, les agences ont conduit des politiques d'accompagnement financier de l'assainissement, dans la perspective de la mise en œuvre de la directive-cadre européenne n° 2000/60/CE du 23 octobre 2000 sur l'eau. Puis, brusquement, elles ont décidé de ne plus contribuer aux travaux dès lors que 80 % d'un réseau était assaini. Elles ont ainsi laissé les syndicats d'adduction d'eau face à l'obligation de financer la totalité des travaux sur la part du réseau restant à assainir, quel qu'en soit l'état.

Le ministère admet ces inquiétudes. Cependant, il considère que les risques ne sont pas plus grands qu'avec l'ancien dispositif. Il considère que le remède est l'organisation d'une meilleure capacité d'action des élus sur la politique des agences de l'eau : les agences de l'eau sont des outils, il faut simplement savoir s'en servir. L'augmentation de la proportion des élus au sein des comités de bassin à 50 %, décidée par le Sénat, est, dit-il, un élément pour l'amélioration de ce contrôle.

Il faut cependant souligner, et le ministère partage ce point de vue, que l'accroissement de la proportion des élus dans les comités de bassin ne suffira pas à assurer une meilleure emprise des collectivités sur les agences de l'eau. Il faudra que les élus y prennent complètement leur place, sachant que, les agences de l'eau étant des établissements de l'Etat, celui-ci continuera d'en assurer la tutelle, et que les usagers de l'eau, notamment les industriels, sont attentifs à être présents et à maîtriser les dossiers. Il reste que le projet de loi comporte désormais un outil pour faire évoluer la gestion de l'eau dans le sens préconisé par la Délégation ; l'effort devra désormais porter sur sa mise en œuvre.

M. Jean Launay a alors abordé la question des établissements territoriaux de bassin. Il a rappelé qu'à titre personnel il y voyait une structure essentielle pour fournir un soutien technique et un cadre d'action pour l'implication des élus dans la gestion de l'eau. Pour une meilleure efficacité, la présidence de l'association française des EPTB est tournante entre élus de la majorité et de l'opposition.

Il a alors exposé que l'Etat était favorable au développement du rôle des établissements publics territoriaux de bassin. Cette position se traduit désormais dans la législation ; les EPTB ont été institutionnalisés dans la loi sur les risques ; le projet de loi sur l'eau rappelle la possibilité pour les EPTB d'établir des redevances sur les bénéficiaires de leurs actions et organise, à l'article 35, la perception de ces redevances pour le compte des EPTB par les agences de l'eau (par exemple, la redevance pour soutien d'étiage, si un EPTB en fait). Ainsi il reconnaît l'importance des EPTB et prévoit pour eux des ressources. En revanche, le souci de l'Etat n'est pas de normalisation. Il sait que les EPTB sont de taille et de compétences diverses : certains sont maîtres d'ouvrages, d'autres pas, certains recouvrent tout un bassin-versant, d'autres seulement un sous-bassin : il y a des EPTB dont le périmètre s'inscrit dans celui d'autres EPTB (pour la lutte contre les inondations notamment). L'objectif de l'Etat est de faire émerger, à partir d'expériences, des maîtres d'ouvrages, et d'étendre ensuite les modes d'organisation qui se seront avérés efficaces : l'Etat dit être preneur d'outils. Les dispositions du projet de loi relatives aux EPTB vont ainsi dans le sens des préoccupations de la Délégation.

Enfin, M. Jean Launay a abordé la question de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés. Instituée par la loi de finances pour 1995, elle contribuait à alimenter un compte spécial du trésor, intitulé « Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables » (FITTVN), censé financer de nouvelles infrastructures de transport, notamment fluviales. Le FITTVN a été supprimé en 2001, après que la Commission des finances de l'Assemblée nationale ait constaté qu'il servait simplement à alimenter le budget du ministère des transports, lequel était au préalable amputé à due concurrence des dotations inscrites au FITTVN.

Cependant, si le fonds a été supprimé, les taxes demeurent. Elles sont désormais versées au budget de l'Etat. Or, la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés, qui est en pratique payée par EDF, est une taxe assise sur l'eau. En application du principe aux termes duquel les ressources prélevées sur l'eau doivent aller à la gestion de l'eau, il serait raisonnable de l'affecter à la gestion de l'eau. Sa transformation en recette au profit des départements, afin qu'ils renforcent leurs capacités opérationnelles dans le domaine de l'eau, lui rendrait ainsi toute sa cohérence : le rendement de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés est évalué à 170 millions d'euros environ, soit approximativement le montant originel du FNDAE.

M. Jean Launay a donc proposé que la Délégation travaille sur cette piste, qui permettrait de donner des moyens supplémentaires à la politique de l'eau, à l'heure où la directive-cadre européenne implique de nouveaux travaux pour la qualité de celle-ci, notamment pour la sécurité des captages. Le ministère de l'écologie et du développement durable voit avec bienveillance cette action, mais ce n'est pas lui, bien sûr, qu'il faudra convaincre.

M. Jean Launay a alors fait part des réflexions du ministère sur le financement de la politique de l'eau et sur la politique en matière d'hydroélectricité. Le ministère fait valoir que si les collectivités locales représentent 86 % des recettes pour le financement de la politique de l'eau, et qu'après le vote de loi, elles représenteront environ 82 % de celles-ci, elles représentent aussi 70 % des dépenses. L'écart très favorable pour les agriculteurs entre contributions et redistribution va fortement diminuer, et sans doute s'accompagner de plus fortes contraintes. Enfin, en matière d'hydroélectricité, le projet de loi a voulu permettre le turbinage du débit réservé, le suréquipement des ouvrages, et la simplification de l'équipement des ouvrages existants, de façon notamment à rendre financièrement intéressantes, pour des prises d'eau anciennes, des remises en état plus fonctionnelles du point de vue écologique.

M. Jean Launay a conclu que, concernant le contrôle de l'action des agences de l'eau et la présence des élus au seins des comités de bassin, concernant aussi le statut et le rôle des EPTB, l'action de l'Etat allait dans le sens préconisé par la Délégation.

Le financement des adductions d'eau et la solidarité dans ce financement justifieront en revanche une attention très soutenue lors de l'examen du projet de loi sur l'eau ; des descriptions précises du nouveau mécanisme de financement proposé et des engagements sur les montants globaux collectés et redistribués par les agences de l'eau et l'ONEMA devront être obtenus du ministre. La création des FDAE n'est un élément positif que si les FDAE n'ont pas pour seule mission la compensation des baisses de recettes consécutives à la suppression du FNDAE.

La Délégation devra aussi réfléchir désormais à de meilleures garanties de financement de la politique de l'eau. L'affectation à cette politique de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés, par attribution de son produit soit aux départements, soit aux agences, soit aux uns et aux autres, effacerait tout risque lié à la disparition du FNDAE.

M. Max Roustan s'est inquiété des dispositions du projet de loi en matière de qualité de l'eau ; les normes deviennent si exigeantes qu'elles obligent à construire des installations de traitement pour de l'eau consommée depuis toujours, et dont les caractéristiques sont stables.

M. Jean Launay, rapporteur, a répondu que dans la mesure où il relevait de la transposition de la directive-cadre, ce point n'avait pas été abordé dans les entretiens, qui ont porté sur le financement de la politique de l'eau. Bien que le ministère s'efforce d'apporter des réponses rassurantes, une action plus volontariste aurait pu être conduite pour peser, à travers les redevances, sur les causes de pollution de l'eau, et ainsi se doter d'un meilleur outil pour satisfaire aux prescriptions de la directive : la recherche de financements spécifiques, comme la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés, semble intéressante aussi pour l'amélioration de la qualité de l'eau.

M. Jacques Le Nay a demandé si l'organisation de la solidarité financière au niveau des agences de l'eau permettrait de remédier aux disparités au sein d'un même département, le coût de la distribution de l'eau en milieu rural étant nettement supérieur à celui du milieu urbain, eu égard à la dispersion beaucoup plus grande des habitations.

M. Jean Launay, rapporteur, a répondu que l'organisation de la solidarité au sein des départements dépendait uniquement de ceux-ci, d'où la création des FDAE.

Cependant, l'outil des FDAE est simplement mis à la disposition des départements qui voudraient s'engager dans une politique de péréquation. L'activation des FDAE n'est pas obligatoire. Or, il n'est pas sûr que tous les départements voudront s'engager dans une telle politique. Cette démarche paraît indispensable dans les départements ruraux. Cependant l'organisation sur le terrain est souvent complexe : certains réseaux de distribution sont en régie directe, d'autres en concession ; les intervenants pour les interconnexions de troisième génération ne sont pas toujours identifiés, les départements ne sont pas toujours maîtres d'ouvrage ; dans certains cas, c'est peut-être l'échelon des EPTB qui sera le plus cohérent pour conduire cette politique.

M. Louis Giscard d'Estaing a confirmé la fréquente complexité de l'articulation géographique entre départements et syndicats d'adduction d'eau.

Le Président Emile Blessig a demandé des précisions sur l'impact du projet de loi.

M. Jean Launay, rapporteur, a répondu que la politique de l'eau souffrait de la très grande fragilité constitutionnelle de son financement, puisque, alors que le Conseil constitutionnel avait décidé, dans une décision du 23 juin 1982, que les redevances perçues par les agences de l'eau faisaient partie des « impositions de toute nature » dont la Constitution confie au seul législateur la fixation des règles d'assiette, de taux et de recouvrement, ces règles n'étaient pas fixées par la loi. Leur inscription aux articles 27, 37 et 38 du projet de loi lève une hypothèque très lourde.

L'élaboration d'un projet de loi était également indispensable pour donner à l'Etat les instruments de la réalisation des objectifs fixés par la directive-cadre n° 2000/60/CE.

En revanche, le projet de loi laisse en suspens la question des moyens qui seront donnés par l'Etat aux gestionnaires de l'eau pour réaliser ces objectifs : comment l'Etat va-t-il garantir que les collectivités locales retrouveront, via les agences de l'eau, les montants collectés par le FNDAE avant la suppression du prélèvement sur les recettes du PMU ?

M. Max Roustan a abordé la question de la lutte contre les inondations. A la suite des importantes inondations survenues en France depuis 1988, des travaux de prévention ont été lancés, en application de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier ». Cependant, lorsque les plans de prévention des risques naturels prévisibles ainsi élaborés concernent les risques d'inondation, ils se limitent à l'établissement autoritaire par l'Etat, sans aucune concertation avec les élus, de restrictions drastiques à l'usage des sols.

Une réponse unique à une recherche de meilleures conditions de prévention des inondations, de sécurisation des populations et d'organisation de l'alerte et des secours, fondée sur le classement définitif en zone inconstructible des zones un jour inondées, n'est pas admissible. Une telle réponse est extraordinairement déstabilisante pour les communes : non seulement, alors que la population ne cesse de croître, celles-ci voient leurs projets d'extension bloqués, mais c'est parfois leur cœur de ville, habité le cas échéant depuis le Moyen-Age, qui est ainsi stérilisé. De plus, il n'est pas raisonnable que les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) ne soient pas susceptibles de révision, alors qu'on sait qu'un cours d'eau s'aménage sur toute sa longueur et que des travaux hydrauliques en amont peuvent permettre de sécuriser de larges zones supplémentaires en aval.

C'est pourquoi, à la suite des travaux du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur les inondations, une proposition de loi a été déposée par MM. Max Roustan et Olivier Jardé, sous le numéro 2189. Cette proposition de loi, qui devrait comporter près de 100 signataires, a trois objets principaux. Le premier est de rendre obligatoire, comme la loi Barnier le prévoyait, la concertation entre les services de l'Etat et les collectivités locales concernées par les PPRI, et d'organiser les modalités de cette concertation. Il n'est pas admissible que des communes se trouvent placées inopinément devant des projets aussi contraignants. Le deuxième est de prévoir une obligation de proportionnalité, dans les PPRI, entre la gravité des risques et les mesures prises. Enfin, la proposition de loi prévoit que les PPRI devront comporter des clauses de révision ; ils doivent pouvoir être modifiés en fonction des travaux de prévention ou de limitation des crues effectués sur le cours d'eau ou le bassin-versant.

Le Président Emile Blessig a souligné que, par leur objet, ces propositions s'inscrivaient tout à fait dans le cadre d'un débat sur la modernisation de la gestion de l'eau.

M. Max Roustan a ajouté que les signataires de la proposition de loi avaient l'intention d'en présenter également le dispositif à l'Assemblée nationale sous forme d'un amendement portant article additionnel au projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques.

M. Jean Launay, rapporteur, a observé qu'en effet, pour ce qu'il avait pu en voir, la concertation pour l'établissement des PPRI n'avait pas été optimale. Les PPRI peuvent être en contradiction avec les plans d'urbanisme des communes. A l'occasion de la transformation de leurs plans d'occupation des sols (POS) en plans locaux d'urbanisme (PLU), celles-ci voient des terrains, dont le caractère urbanisable avait été validé par les services de l'Etat lors de l'élaboration du POS, déclarés brutalement inconstructibles au PLU par les mêmes services de l'Etat, pour des motifs d'aléas d'inondation, en application du PPRI en cours d'élaboration. Il apparaît bien que les PPRI émanant de l'Etat comportent une surévaluation du risque qui ne protège l'administration de tout manquement au principe de précaution qu'au prix d'une désarticulation du tissu urbain.

M.  Jean Launay a alors exposé que dans le département du Lot, sur le bassin de la Dordogne amont, les élus, après avoir réussi à faire valider par le commissaire-enquêteur leurs critiques envers la procédure suivie par l'Etat, avait entrepris de construire une approche raisonnable du risque et de traduire cette approche dans un plan d'actions de prévention des inondations (PAPI), émanant des élus eux-mêmes. Ce PAPI concerne 62 communes et 35 000 habitants. L'élaboration d'un tel document permet aux élus et aux collectivités locales d'être désormais en situation de négociation et non plus de confrontation vis-à-vis de l'Etat.

Remerciant le rapporteur, le Président Emile Blessig a conclu sur l'intérêt de la présente réunion pour une meilleure prise en compte des préoccupations de la Délégation et de ses membres en matière de gestion de l'eau lors de la lecture prochaine à l'Assemblée nationale du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques.

C. COMMUNICATION DE MM. LOUIS GISCARD D'ESTAING ET JACQUES LE NAY SUR LA RÉFORME DES CONTRATS
DE PLAN ETAT-RÉGIONS (mercredi 1er juin 2005)

Le Président Emile Blessig a rappelé que le Gouvernement avait lancé, le 1er mars 2004, une consultation sur la réforme des contrats de plan Etat-régions. Ont été sollicités par le Premier ministre, outre la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale, celle du Sénat, le Conseil économique et social et les associations d'élus : l'association des régions de France (ARF), l'assemblée des départements de France (ADF), l'association des maires de France (AMF), l'assemblée des communautés de France (ADCF), l'association des communautés urbaines de France, l'association des maires des grandes villes de France et enfin l'association pour la fondation des pays.

Le Premier ministre a ensuite chargé un inspecteur général des finances, M. Yvon Ollivier, et un inspecteur général de l'administration, M. Richard Castera, d'élaborer une synthèse des contributions recueillies et de faire des propositions au Gouvernement.

La réflexion de la Délégation avait été formalisée sous la forme d'un rapport d'information (n° 1836) confié à MM. Louis Giscard d'Estaing et Jacques Le Nay, par ailleurs l'un rapporteur spécial, l'autre rapporteur pour avis des crédits de l'aménagement du territoire au sein respectivement de la Commission des finances et de la Commission des affaires économiques. La présente réunion est consacrée à l'évaluation de la prise en compte par les inspecteurs généraux des propositions de la Délégation.

M. Jacques Le Nay, rapporteur, a exposé que les inspecteurs généraux jugeaient d'abord que le principe d'un cadre contractuel global ne devait pas être mis en question. « Ce dont il s'agit dans les contrats de plan, expliquent-t-ils, c'est d'organiser, pour plusieurs années, parce que la réalisation de projets structurants requiert du temps, une mise en cohérence globale des projets, nécessairement divers, des nombreux acteurs publics qui contribuent à façonner le territoire d'une région. Les progrès de la décentralisation ne rendent pas moins nécessaire cette mise en cohérence. » Les inspecteurs généraux rejoignent donc pleinement la première conclusion de la Délégation, ainsi rédigée : « les contrats de plan Etat-régions doivent perdurer dans leur définition actuelle, permettant de dégager des axes stratégiques pour plusieurs années après une analyse globale des besoins ; le caractère pluriannuel et prospectif est un élément essentiel des contrats de plan Etat-régions. Cet outil doit être préservé ». Cette position faisait du reste l'unanimité au sein des instances consultées.

Rejoignant aussi la deuxième conclusion de la Délégation, qui estime que « le périmètre des contrats doit être recentré sur un nombre limité d'actions structurantes », les inspecteurs généraux concluent à une plus grande sélectivité des contrats de plan ; pour cela, ils proposent que chaque contrat de plan ne porte que sur trois à cinq thèmes. Cependant, alors que la Délégation proposait que les actions structurantes soient « identifiées d'un commun accord entre l'Etat et la région », ils proposent que deux ou trois thèmes soient nationaux, donc choisis par l'Etat, et un ou deux librement proposés par chaque région.

Ils rejoignent aussi la conclusion de la Délégation selon laquelle la région a « vocation à organiser la concertation infrarégionale ». Les thèmes d'initiative régionale devront en effet émaner d'une « concertation » entre la région et « l'ensemble des partenaires associés au contrat de plan ». « Dans le domaine de l'aménagement du territoire, exposent les inspecteurs généraux, la région doit être pour l'Etat un partenaire privilégié, pour les collectivités territoriales infrarégionales un chef de file chargé, dans le respect du principe de non tutelle, de bâtir un projet territorial partagé et cohérent ». Pour garantir ce principe de non tutelle, ils vont jusqu'à prévoir, au cas où la concertation prévue ne pourrait déboucher, la possibilité pour l'Etat de lancer des appels à projet sur les thématiques nationales qu'il aura retenues « en direction de toutes les collectivités locales compétentes dans le domaine concerné ».

Quant aux thèmes choisis par l'Etat, il est proposé qu'ils soient « fortement cohérents avec le cadre national stratégique qui devra être soumis aux instances communautaires », et « qu'ils respectent les priorités fixées lors des sommets de Lisbonne et de Göteborg. » L'objectif est donc double : qu'ils s'inscrivent dans une perspective stratégique nationale validée et unifiée, et, au sein de celle-ci, qu'ils s'inscrivent dans les priorités européennes, de sorte à pouvoir continuer à être le plus possible éligibles aux fonds structurels européens. Il est aussi souhaité qu'ils puissent concourir à la fois au renforcement de l'attractivité du territoire et à celui de sa cohésion. En conséquence, trois thèmes nationaux sont proposés : les infrastructures de réseau, en précisant bien qu'il peut aussi bien s'agir de transport que de communication, la recherche et l'enseignement supérieur, et, enfin, la « cohésion économique et sociale, pour assurer un développement durable ».

Tourné vers des territoires en retard de développement, ce dernier thème a spécifiquement pour objet « de prendre en compte une forme de péréquation par projet tenant compte de la richesse des territoires ». C'est cet objet que les inspecteurs généraux donnent aussi au volet territorial, dont ils considèrent qu'il doit être maintenu : « ne doivent être éligibles à ce volet territorial, expliquent-ils, que les projets qui s'inscriront dans le droit fil des priorités thématiques du contrat de plan et seront situés dans des territoires infrarégionaux « défavorisés » : ce double critère, concluent-ils, permettra à l'Etat de rester sélectif tout en pratiquant une forme de péréquation ». Les inspecteurs généraux rejoignent ainsi les positions de la Délégation sur la péréquation. Celle-ci avait en effet conclu que la péréquation devait s'exprimer au sein des contrats de plan, « projet par projet, en fonction de l'intérêt du projet pour le développement de la région et de la situation relative de ce développement ». Comme la Délégation, les inspecteurs généraux considèrent que c'est par les dotations qu'il verse aux collectivités locales, dont ils proposent de renforcer l'effet péréquateur, que l'Etat doit d'abord mener sa politique de péréquation.

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur, a ensuite rappelé que la Délégation avait insisté dans sa dernière proposition sur « la nécessité pour l'Etat d'assurer des cadres budgétaires plus stables aux contrats de plan ». Sans se focaliser sur l'élaboration d'une loi de programmation, dont l'expérience montre le caractère décevant, elle demandait que l'Etat « respecte, à l'occasion de chaque loi de finances annuelle, l'échéancier des dépenses résultant des contrats qu'il a signés ». Cette loyauté financière demandée à l'Etat dans l'exécution devait aller de pair avec une plus grande rigueur des partenaires dans la conclusion des contrats. La Délégation précisait en effet que « cela suppose au préalable, de la part de l'Etat et des régions, la négociation de contrats réalistes ».

Comme on pouvait le penser, ce n'est pas d'une loi de programmation que les inspecteurs généraux attendent un meilleur respect des engagements de l'Etat, même s'ils évoquent, in fine et au conditionnel, cette possibilité. De même, ils ne retiennent pas l'idée d'une plus grande fongibilité des crédits, souhaitée par la Délégation, qui pour eux se heurte par trop aux principes de la gestion budgétaire et notamment au « principe de spécialité budgétaire qui vise à garantir le respect de l'autorisation parlementaire de dépense », et ce même sous l'empire de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Bien que les rapporteurs ne partagent pas cette vision de la mise en œuvre de la LOLF, le dispositif proposé mérite toute l'attention de la Délégation. Il tend d'abord à rendre les contrats plus clairs. Pour cela, il est proposé d'identifier séparément, dans les contrats de plan, d'une part les projets prêts à être réalisés et de l'autre ceux pour « lesquels l'inscription de crédits d'études constitue un préalable à tout engagement complémentaire ». Les rapporteurs avaient eux aussi insisté sur la nécessité d'inscrire spécifiquement, dans les contrats de plan, les crédits d'études.

Il tend ensuite à favoriser des contrats plus réalistes. Pour cela, il prévoit d'insérer dans la gestion des contrats la procédure de dégagement d'office, à l'instar de la gestion des fonds structurels européens ; le dégagement d'office frapperait tous les projets n'ayant pas fait l'objet, dans les 18 mois de la date du lancement prévue, d'un mandatement de 10 % du total des crédits prévus pour eux sur la durée du contrat. Il est aussi proposé que, chaque année, les crédits de chaque ministère consacrés aux contrats de plan Etat-régions soient inscrits automatiquement par priorité, avant toute autre mesure, par le ministre chargé du budget, dans le cadre de la discussion budgétaire annuelle. Enfin, il est prévu de rendre prioritaires par rapport aux autres reports les reports de crédits de paiement finançant les contrats de plan.

Ces trois mesures devraient permettre à la fois la négociation de contrats plus réalistes et un plus grand respect des engagements pris. L'introduction de la procédure de dégagement d'office devrait mettre fin à l'insertion, dans les contrats, de projets non mûrs, aux seules fins de créer des effets d'annonce. Les mécanismes budgétaires proposés devraient mettre fin à la tentation, dans les ministères, d'insérer des projets dans les contrats de plan aux fins de mettre la plus grande part possible de leur budget d'investissement à l'abri des régulations budgétaires : le dispositif proposé n'assure en effet une plus grande sécurité des crédits destinés aux contrats qu'aux dépens des autres crédits. Les ministères auront donc eux aussi intérêt à se montrer réalistes et sélectifs dans l'inscription de projets aux contrats. Enfin, la perspective de l'entrée en vigueur effective de ces mesures est grande : elles respectent la capacité d'action du ministère des finances sur les équilibres budgétaires.

Les inspecteurs généraux proposent aussi des mesures de gestion. Il s'agit d'abord de l'instauration, pour la participation de chacun des co-financeurs de chaque projet, « d'une réserve pour hausse des prix de 2 % par an pour toute la durée de réalisation prévue » ; cela vaut aussi pour les crédits d'études. En outre, « aucune ligne budgétaire ne devrait pouvoir être, sur une quelconque année d'exécution du contrat Etat-régions, contractualisée à plus de 50 % de sa dotation en début de contrat », de façon à conserver des marges pour faire face à d'éventuels aléas conjoncturels. Enfin, pour faire face aux éventuelles « régulations conjoncturelles parfois inévitables », le découpage systématique des projets en « tranches fonctionnelles se suffisant à elles-mêmes » est proposé.

S'agissant du suivi, les inspecteurs généraux reprennent purement et simplement la quatrième proposition de la Délégation. Ils proposent en effet « qu'un logiciel, du type Présage employé pour la gestion des fonds structurels, soit dès maintenant mis au point par la DATAR de façon à être utilisable dans toutes les régions dès le démarrage de la future génération de contrats de plan ». Ils proposent aussi que « le séquençage du financement des projets soit systématiquement étudié, dans une perspective réaliste, dès la mise au point des contrats de plan et qu'il soit, au moins une fois par an, actualisé ». Sur ce point, ils vont plus loin que la Délégation puisqu'elle ne proposait, dans sa sixième proposition, d'ajustement que tous les trois ans. Ils organisent aussi une meilleure traçabilité des contrats, en proposant que « toute délégation de crédits effectuée au titre du CPER mentionne explicitement que c'est à ce titre qu'elle intervient ». Enfin, ils préconisent l'élaboration d'un rapport annuel sur l'exécution des contrats, conjointement par le préfet de région et le président du conseil régional, qui sera adressé au Parlement et à chaque ministère. Il conviendra de rappeler que, de par les compétences qu'elle tient de la loi, la Délégation a vocation à être destinataire de ce rapport.

En termes d'organisation, pour remédier aux lenteurs observées dans la signature des contrats, les inspecteurs généraux recommandent « l'emploi de la procédure de contreseings simultanés ». Ils proposent aussi que la collectivité la plus impliquée financièrement dans un projet inscrit à un contrat de plan en soit, en principe, désignée comme le maître d'ouvrage, les participations des autres partenaires étant recueillies dans des fonds de concours.

S'agissant de la mise en perspective des contrats et de leur durée, la Délégation avait proposé une solution où les contrats seraient à eux-mêmes leur propre horizon stratégique, leur gestion étant organisée en phases plus courtes. Sa sixième proposition exposait que « la durée totale des contrats de plan pourrait être portée à neuf ans, rythmée en trois périodes de trois ans à l'issue de chacune desquelles des réorientations et ajustements dans les priorités et allocations seraient effectués ».

Comme elle, les inspecteurs généraux réfutent toute idée de contrats courts : « en deçà de cinq ans les projets les plus structurants risquent d'être pénalisés, et le délai est insuffisant pour aménager, c'est-à-dire transformer, le territoire », exposent-ils. En revanche, contrairement à elle, ils dissocient le cadre de référence des contrats eux-mêmes. Pourquoi ? Il apparaît qu'ils se situent non pas dans la perspective d'une réforme dans l'absolu des contrats de plan, mais bien dans celle du lancement de la prochaine génération de contrats de plan, en 2006 ou au-delà. « Il serait évidemment souhaitable, exposent-ils, qu'une prospective à long terme (15 ou 20 ans) trace, avant la mise au point de la future génération de contrats de plan, une perspective qui permettrait, partant de l'existant et du possible, de déterminer un horizon souhaité ». Mais, sans doute dubitatifs devant les obstacles, notamment la brièveté des délais, ils prônent plutôt « que l'Etat fixe rapidement, (fin 2005 au plus tard), en cohérence avec le cadre national stratégique qui doit être soumis aux instances communautaires, ses orientations pour la prochaine période de programmation des contrats Etat-régions, et qu'il ne laisse pas de premières discussions s'engager dans chacune des régions sans ce cadrage préalable ». Bref, pour eux, il y a urgence à dresser un cadre général, et tant pis si son horizon n'est pas pleinement établi.

Dans ces conditions, c'est l'horizon financier et non l'horizon stratégique qui fixe la durée maximale des contrats de plan. Pour eux, elle est de sept ans maximum, « durée dictée par la prise en compte de la période de programmation des fonds communautaires ». Compte tenu de cet élément, et « du caractère structurant des contrats de plan », c'est cette durée de sept ans qu'ils proposent finalement.

Ils rejoignent alors les conclusions de la Délégation pour proposer que cette durée « soit assortie d'une révision, effectuée impérativement dans un délai maximum de six mois, à mi-parcours ». Selon eux, celle-ci devrait pouvoir être assez substantielle, de façon à permettre l'expression des éventuelles alternances.

Enfin, ils proposent un calendrier pour la prochaine génération de contrats de plan Etat-régions, et suggèrent que leur dénomination soit changée en « projets d'aménagement concerté du territoire régional », l'acronyme PACT se substituant à celui de CPER.

M. Jacques Le Nay, rapporteur, a conclu qu'au bout du compte, les propositions formulées rejoignaient, sur le maintien des contrats de plan, sur une plus grande sélectivité, sur les modalités de la péréquation, sur la conduite et le suivi des contrats, tout à fait celles de la Délégation. Elles vont même parfois plus loin en prévoyant des solutions là où la Délégation n'avait formulé que de simples demandes ; c'est le cas des mécanismes proposés pour assurer le caractère réaliste des projets et le respect des engagements financiers de l'Etat. Si l'introduction de la fongibilité des crédits n'est pas retenue, comme contradictoire avec l'ensemble de la mécanique budgétaire, les solutions proposées sont de qualité.

S'agissant de la durée des contrats et de leur articulation avec l'horizon stratégique, les rapporteurs sont évidemment déçus que leurs propositions n'aient pas été mieux prises en compte. Des contrats de neuf ans avec une clause de révision triennale devaient, à leur avis, obliger à une meilleure formalisation d'un horizon de référence. Celui de la prochaine génération de contrats de plan sera une fois de plus insuffisamment réfléchi et précis. Les rapporteurs se félicitent cependant du choix d'une durée longue, assortie d'une clause de révision après trois ans.

En conclusion, c'est donc, dans l'ensemble, un avis globalement favorable que les rapporteurs formulent sur ces propositions, qui doivent maintenant être mise en œuvre.

M. Serge Poignant a considéré que la proposition des inspecteurs généraux en faveur du maintien du caractère global et pluriannuel des contrats de plan Etat-régions était un point important. Le choix d'une durée de sept ans, s'il peut décevoir les rapporteurs, peut cependant être tout à fait fonctionnel, à la condition que les échéances soient respectées : l'allongement régulier, au cours des contrats, des délais de réalisation finit par rendre très relatif le principe même d'un cadrage dans la durée. L'inscription prioritaire aux budgets d'investissement des ministères des crédits destinés aux contrats de plan est une mesure d'un grand intérêt, de même que les dispositions proposées pour rendre les contrats plus réalistes. Il faudra qu'elles soient mises en œuvre.

En fin de compte, malgré les quelques différences qu'il présente par rapport aux propositions de la Délégation, le dispositif proposé par les inspecteurs généraux mérite d'être globalement approuvé.

Approuvant ces propos, M. Philippe Folliot a considéré que la convergence entre nombre de propositions des inspecteurs généraux et celles de la Délégation valait reconnaissance par l'administration de la qualité du travail des rapporteurs et de la pertinence de leurs analyses. Il a ajouté que, même si toutes les propositions de la Délégation n'avaient pas été retenues, la part de celles qui l'avaient été appelait une appréciation positive. Le bon aboutissement de la réforme des contrats de plan Etat-régions est essentiel pour une action solide d'aménagement du territoire : par l'effet de levier qu'ils comportent, les contrats de plan Etat-régions sont un fer de lance pour les stratégies d'aménagement du territoire.

Pour autant, des projets peuvent ne pas pouvoir être inscrits dans les contrats de plan Etat-régions, eu égard à leur faible impact d'ensemble, alors qu'ils sont structurants pour le territoire qu'ils concernent ; leur mise en œuvre doit elle aussi trouver un cadre.

Le Président Emile Blessig a demandé des précisions sur le calendrier de mise en œuvre de la réforme. Il a ensuite souhaité savoir comment les thèmes d'initiative étatique seraient choisis : seront-ils décidés par le Gouvernement, en conclusion d'une réunion du comité interministériel d'aménagement du territoire (CIADT), ou est-il envisagé qu'un débat national permette de dégager deux ou trois priorités nationales que les contrats déclineront à l'échelon régional ?

Soulignant ensuite la pertinence de la proposition tendant à réserver une partie des thèmes à l'initiative régionale, il a demandé s'il était envisagé d'organiser l'articulation de la mise en œuvre, dans chaque région, des priorités nationales et régionales. Les travaux de la Délégation sur les instruments du développement durable montrent à l'évidence qu'il n'est plus imaginable que l'initiative nationale ne soit pas complétée par une initiative régionale.

M. Jacques Le Nay, rapporteur, a répondu que le projet de calendrier de préparation de la prochaine génération de contrat de plan était très serré et s'inscrivait dans des délais très brefs. Il est en effet prévu qu'au plus tard le 1er octobre 2005 l'Etat arrête définitivement le « cadre stratégique national » et communique aux régions les thèmes nationaux de contractualisation ; au plus tard le 30 mars 2006, les régions devront communiquer à l'Etat les thèmes régionaux de contractualisation ; la négociation des contrats devra alors être conduite sur un rythme très soutenu, pour aboutir à l'inscription des crédits nécessaires dans les budgets, national et locaux, pour 2007.

Par ailleurs, les rapporteurs n'ont pas eu connaissance de la méthode qui serait choisie pour la sélection des thèmes d'origine étatique : la Délégation devra rester saisie de la question.

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur, a souligné que le calendrier envisagé n'était pas sans soulever plusieurs difficultés. D'abord, l'actuelle génération de contrats de plan présente un retard d'exécution d'au moins un an ; il faudra bien que les projets en cours soient menés à bien. Leur achèvement amènerait logiquement à repousser à 2007 la formulation des nouveaux contrats ; or, il n'est pas sûr que le premier semestre 2007 soit le plus propice à la conclusion sereine de contrats de plan pluriannuels. De plus, avant que le calendrier de lancement de la nouvelle génération des contrats de plan puisse entrer en application, il faut que la réforme elle-même soit approuvée ; elle doit donc l'être avant la fin de l'été. Les propositions de la Délégation de contrats de plan de neuf ans auraient permis d'éviter cette situation.

Ensuite, les propositions de la Délégation sur l'organisation d'une fongibilité des crédits se fondaient sur des constats relatifs à la gestion des contrats 2000-2006. Les inspecteurs généraux mettent en avant, pour les réfuter, les règles de transparence budgétaire, y compris celles découlant de la LOLF. Les rapporteurs considèrent au contraire que l'organisation en programmes prévue par la LOLF doit pouvoir permettre une fongibilité des crédits destinés aux contrats de plan.

En revanche, l'introduction de la procédure de dégagement d'office est sans doute de nature à améliorer le caractère réaliste des contrats.

M. Serge Poignant a observé que les inspecteurs généraux avaient pu considérer qu'une bonne caractérisation fonctionnelle des contrats de plan permettrait d'éviter d'avoir à instaurer une fongibilité des crédits. Cependant, il faut bien constater que la non-fongibilité des crédits aboutit au fil du temps à perturber la bonne organisation de la dépense et finalement à peser sur la réalisation des contrats de plan.

Le Président Emile Blessig, après avoir remarqué que les rapporteurs avaient été entendus sur la nécessité d'instaurer des instruments de suivi, a demandé si des solutions étaient proposées sur une autre des difficultés qu'ils avaient signalées, la confusion dans l'établissement des responsabilités de ce suivi. Au-delà de la création d'un outil de report annuel, les rapports conjoints des préfets et présidents de région, une centralisation interministérielle du suivi est-elle instaurée ?

M. Jacques Le Nay, rapporteur, a répondu que la désignation pour chaque projet d'un maître d'ouvrage, en principe le principal contributeur, et le placement sous le statut de fonds de concours des autres participations étaient de nature à clarifier la gestion des projets et à améliorer leur suivi, notamment financier.

La question d'un suivi interministériel n'est, quant à elle, pas abordée par les inspecteurs généraux.

Le Président Emile Blessig a alors remercié les rapporteurs, grâce à qui la Délégation lui semblait, sur cette question, faire œuvre utile.

D. COMMUNICATION DE M. EMILE BLESSIG SUR LE TRAITEMENT, LE STOCKAGE ET L'ÉLIMINATION DES DÉCHETS SUR LE TERRITOIRE (mercredi 22 juin 2005)

M. Emile Blessig, rapporteur, a rappelé les grands axes du rapport d'information (n° 1169) intitulé « Déchets, état d'urgence », qu'il avait présenté à la Délégation en octobre 2003. Ce rapport faisait apparaître que la gestion des déchets ménagers était bien un enjeu d'aménagement du territoire ; cette gestion est marquée par la persistance de pratiques de société qui conduisent à une hausse continue de la production de déchets ; le rapport dressait un bilan mitigé de la mise en œuvre de la loi n° 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets ainsi qu'aux installations classées pour la protection de l'environnement, et mettait en évidence la saturation à proche échéance des capacités de stockage et de traitement des déchets. Face à cette situation, trois propositions étaient faites : restaurer la confiance des citoyens, mettre en place des formes de financement incitatives et responsabiliser les acteurs de la filière de traitement des déchets.

La communication aujourd'hui faite par le rapporteur consiste en un point, au regard des propositions de ce rapport, de l'action de l'Etat, et plus particulièrement du ministère de l'écologie et du développement durable, où le rapporteur a rencontré notamment le directeur de la prévention des pollutions et des risques et le sous-directeur des produits et déchets.

M.  Emile Blessig a alors exposé que la loi du 13 juillet 1992 disposait qu'à échéance de 10 ans seuls seraient enfouis les déchets ultimes, les autres étant recyclés. On pouvait donc s'attendre à une importante loi sur les déchets, tenant compte des évolutions des dix dernières années. Il semble cependant que le ministère préfère désormais déployer une politique des déchets qui n'utilise la procédure législative que ponctuellement, pour les dispositions où il faut effectivement modifier la loi. Une consultation publique pour définir de nouvelles orientations est actuellement en cours sur internet ; les contributions, spontanées ou organisées, sont recueillies par voie électronique ou postale. On attend entre 50 et 100 réponses dites « structurées ». Des réunions seront ensuite organisées avec les industriels, les élus, les associations.

Ajoutant que le rapport d'information qu'il avait présenté soulignait les difficultés, pour la collecte et le traitement, dues aux partages de compétences entre des collectivités locales autonomes, et la confusion pour les citoyens qui en résultait, M. Emile Blessig a exposé que le ministère reconnaissait que la dichotomie entre une compétence d'élaboration qui est passée de l'Etat aux départements, et une compétence de mise en œuvre à la répartition peu claire était un point faible, dans la mesure notamment où la collectivité de planification n'a pas autorité sur les collectivités gestionnaires. Il admet aussi que cette organisation rend très complexe l'évaluation de la mise en œuvre des plans. Pour autant, il n'est pas envisagé de réorganiser par une loi le dispositif de compétences.

S'agissant de la gestion elle-même, on considère au ministère que la séparation des déchets ménagers et des déchets assimilés n'est pas tellement pertinente. Il pourrait être bienvenu de regrouper plus de tâches à l'échelon départemental. En revanche, il est souhaité que le traitement des déchets dangereux soit conservé au niveau régional, par cohérence avec l'existence de 14 centres seulement, et le fait que ce nombre soit suffisant.

La restauration de la confiance des citoyens, a poursuivi le rapporteur, reste une tâche à aborder. Aujourd'hui, les collectifs opposés à des projets d'implantation sont très bien organisés, avec des argumentaires souvent très détaillés. Il faudrait travailler très en amont des projets afin de développer une connaissance partagée de la problématique par un grand nombre de citoyens. La contribution à ce titre de scientifiques pourrait être très utile. En même temps, les communes d'implantation, et les territoires environnants, ont l'impression d'être laissés pour compte par les décisions relatives aux installations de traitement. Dans ces conditions, il est très difficile pour les équipes municipales élues d'accepter l'implantation d'un incinérateur : lorsqu'elles rendent compte de leur mandat, ces décisions sont souvent mises par les citoyens au débit de leur gestion. Par conséquent, le débat n'est plus technique mais est devenu politique au sens premier du terme. Par ailleurs, alors que le commissariat général du Plan avait dressé un état plutôt alarmant des capacités d'incinération et d'enfouissement, la situation n'a pas évolué depuis.

Le rapporteur a fait valoir que des pistes pourraient être explorées. Un texte législatif pourrait mettre en place un dispositif articulant de façon cohérente les normes d'intérêt général, de façon à pouvoir restaurer la confiance, et sortir du blocage. La composition des commissions locales d'information et de concertation (CLIC) devrait être revue et, comme le rapport d'information le proposait, elles devraient pouvoir nommer des experts indépendants. Enfin, il faudrait que les territoires qui acceptent de recevoir des centres d'incinération puissent en percevoir les retombées, à l'exemple des grands équipements industriels : en acceptant de tels équipements, ces territoires rendent bel et bien un service à la collectivité, puisque le lieu de traitement ou d'enfouissement des déchets n'est pas celui de production de ces derniers.

Devant ces propositions, le ministère reconnaît que les communes d'accueil, ou de transit, ne reçoivent pas la rémunération du service rendu. Une proposition de rémunération de 1 € par tonne qu'il a formulé est un chiffre de principe, qui ne reflète pas une position normative. M. Emile Blessig a alors fait valoir que l'évolution dans ce domaine devrait commencer par la substitution, à la notion de taxe, de celle de rémunération d'un service rendu. Ensuite, des éléments objectifs de calcul de la rémunération de ce service doivent être trouvés. Evaluer le prix du service à partir du coût du traitement si le centre d'incinération n'existait pas est une piste à explorer. En tout état de cause, il faudra trouver et mettre en œuvre des clés de calcul incitatives si l'on veut que des territoires acceptent des implantations, de plus en plus indispensables compte tenu de la saturation des installations actuelles.

Le ministère est aussi favorable au développement de procédures de concertation et de démocratie participative pour l'instruction des dossiers. Il rappelle qu'il a poussé au développement de la concertation au sein des CLIC. Il met aussi en oeuvre des politiques de partage de l'information. Il insiste auprès des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) pour que les projets d'implantation soient consultables sur leurs sites. Il envisage également de faire mettre sur ces sites les rapports de suite des inspections. Ces éléments sont tout à fait intéressants pour la restauration de la confiance. On l'a vu, il a aussi entrepris de recourir plus systématiquement à des outils de type internet pour mieux organiser la concertation ; les méthodes restent cependant à affiner. En revanche, le ministère considère que le contrôle lui-même ne relève pas de la démocratie participative, ce qui peut se comprendre.

M. Emile Blessig a ensuite rappelé que le coût de collecte et de traitement des déchets a été multiplié par deux en dix ans. Il n'y a pas d'éléments permettant de penser que cette pente de croissance a été cassée. Or la hausse des coûts est de plus en plus mal supportée par le citoyen, au point qu'elle pourrait donner lieu à de véritables ruptures.

Le ministère analyse ainsi la hausse des coûts. Trois facteurs y contribuent. Le premier est la hausse forte du coût de la collecte, liée notamment à la collecte sélective, qui implique plus de tournées. Le deuxième est la hausse du coût du traitement. La mise aux normes des centres techniques d'enfouissement a eu des coûts considérables. Il apparaît que cette hausse a eu pour cause non pas la mise en œuvre de normes plus sévères que celles de l'Union européenne, mais bien la résorption du retard français, qui était très grand. La France n'impose des normes plus sévères que l'Union européenne que dans de rares cas ponctuels, par exemple lorsque, dans une zone, la présence simultanée de plusieurs facteurs de rejets polluants sature la capacité admissible. En ce cas, un effort supplémentaire est demandé, mais il est partagé entre toutes les activités concernées. Le troisième facteur est un effet de présentation. La mise en place de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) au niveau des communautés d'agglomération aboutit à faire apparaître dans la TEOM la totalité du coût d'enlèvement et de traitement, alors qu'une partie de celui-ci était parfois intégrée dans les budgets communaux. Une des difficultés est que les trois facteurs de hausse surviennent en même temps, et parallèlement à la demande d'un effort supplémentaire de comportement des usagers, pour le tri.

Le Gouvernement, a poursuivi le rapporteur, avait réuni un groupe de travail composé notamment d'élus, pour améliorer le financement du traitement. Il a, dit-il, transcrit dans la loi les propositions législatives faites par ce groupe. Il s'agit de la création d'un état spécial annexé au budget général, qui permet une meilleure lisibilité des comptes ; de la possibilité de recourir à la procédure d'opposition à tiers détenteur pour le recouvrement de la TEOM ;  de l'institution de participations à la redevance d'enlèvement des ordures ménagères (REOM) fixées par copropriétés et enfin de la modulation de la TEOM en fonction du service rendu et du coût, de façon à remédier aux inégalités, parfois difficilement justifiables, découlant du calcul de la TEOM à partir de bases fiscales foncières hétérogènes.

M. Emile Blessig a cependant relevé qu'il manquait un volet d'actions concernant la responsabilisation du citoyen et susceptibles d'endiguer la hausse des coûts. Les mesures adoptées sont en effet sans influence sur la hausse des coûts. Or, il est demandé au citoyen de plus en plus d'efforts, alors qu'il peut constater que ces efforts n'ont aucune répercussion sur les coûts, qui continuent à progresser de façon linéaire.

Le rapporteur a ensuite exposé qu'on considérait au ministère que la prévention, c'est-à-dire la réduction préventive du volume des déchets, était un chantier qui impliquait l'engagement de tous les partenaires, et donc un travail de sensibilisation, notamment à l'écoconception. Deux opérations de sensibilisation ont été lancées par le ministre précédent, sur les courriers non adressés (qui représentent 40 kg par foyer et par an) et sur les sacs de caisses. Elles ont eu un impact psychologique fort. Cet impact s'est traduit notamment dans la proposition de loi adoptée par le Parlement des enfants. Des actions sont aussi étudiées pour une prise de conscience en matière d'emballage, de façon à dissuader les tentatives de faire du « suremballage » un critère d'achat. Pour le ministère, cette prise de conscience est primordiale ; sans elle la voie réglementaire n'est pas efficace.

On peut cependant s'interroger sur les limites de ces mesures. Le rapport d'information avait souligné la corrélation entre croissance économique et croissance du volume de déchets en France, contrairement à certains pays voisins. Au-delà d'actions ciblées, l'obtention d'une décorrélation suppose une réflexion globale sur la production et la gestion des déchets, et sur la place des acteurs institutionnels, notamment l'Etat. L'effort du ministère tend du reste simplement vers une stabilisation d'ici 2008, et non une diminution.

M. Emile Blessig a alors abordé la lutte contre les émissions. L'impression au ministère est que le scénario catastrophe envisagé il y a deux ans n'est pas en train de se produire. Le seul contre-exemple cité est l'obligation de mettre les incinérateurs aux normes européennes avant le 28 décembre 2005. La France est très en retard. Le nombre d'incinérateurs est passé de 300 à 130. Pour autant, il y a des incinérateurs qui devront être arrêtés, du moins provisoirement. Les déchets qu'ils traitent devront l'être ailleurs. Or, il est de plus en plus difficile d'implanter des incinérateurs ainsi que des centres techniques d'enfouissement. Par ailleurs, le ministère a mis en place un registre national des émissions polluantes. Une partie de ce registre concourt à un registre européen, qui ne recouvre qu'une partie de la nomenclature du registre français. Enfin, on essaie de monter une filière pour les véhicules hors d'usage.

Sur ce point, le rapporteur s'est une fois de plus interrogé sur la politique de multiplication des filières, qui prend acte des déchets produits, et met chaque fois des opérateurs spécialistes, bien organisés, très peu nombreux, et couvrant chacun à la fois l'ensemble des filières et le territoire national, face à des collectivités ou des établissements publics territorialisés et aux compétences limitées. D'autres voies pourraient sans doute être explorées.

Enfin, M. Emile Blessig a évoqué la situation du dispositif de contrôle. Le ministère considère que la situation du contrôle n'est pas satisfaisante : il rappelle que la Cour des comptes avait pointé dès avant l'affaire AZF les faiblesses des contrôles d'Etat. A la suite de l'épidémie de légionellose, il a été décidé de contrôler toutes les tours aéroréfrigérantes ; on croyait qu'il y en avait 6 000 à 7 000, on en a découvert 14 000. Du fait de la réduction de leur nombre, les incinérateurs les plus importants sont désormais visités une fois par an. Mais il faut aussi mieux contrôler les petits. De graves désordres récents sont provenus de tels petits incinérateurs.

Une réorganisation du contrôle est donc en cours. Elle est fondée sur trois actions. La première est l'augmentation des moyens. Le ministère insiste sur son caractère indispensable. La stratégie nationale de développement durable planifie une hausse de 400 postes de 2004 à 2007. Sur ces 400 postes, 150 ont été pourvus ; le ministère insiste pour que le plan aille à son terme et que l'ensemble des postes soient créés. La deuxième est la révision des listes d'installations classées : il n'est pas certain que toutes les installations aujourd'hui classées méritent ce classement, et la mobilisation de moyens administratifs qu'il implique. Inversement, il faut pouvoir bien suivre toutes les installations effectivement classées. La troisième est la mise en place d'un contrôle technique par des organismes indépendants agréés. La création d'un tel dispositif, déjà opératoire pour les tours aéroréfrigérantes, permettra à l'exploitant de suivre régulièrement la situation de son installation et d'y remédier, hors de toute intervention de la puissance publique. Les inspections seront aussi facilitées : lors de la visite des inspecteurs, l'exploitant pourra leur remettre les rapports de contrôle de l'organisme agréé. Pour autant, l'action de l'inspection, pour la définition des cadres, la validation des cahiers des charges, le contrôle final des installations, reste indispensable, ainsi que son renforcement à ces fins.

Le rapporteur a jugé intéressante cette réforme du contrôle : en effet, de la qualité du système de contrôle dépend la confiance du citoyen, et donc la possibilité de sortir de la situation actuelle de blocage et de saturation des capacités de traitement.

Remerciant le rapporteur, M. Jean Launay a considéré que la communication présentée faisait bien apparaître les difficultés non seulement de l'Etat mais aussi des collectivités en matière de gestion des déchets ainsi que la difficulté de choisir entre légiférer et adapter les modalités de l'action.

Il a ensuite insisté sur les différences de situations entre collectivités en fonction de leur taille, et jugé que l'évolution de ces situations dépendait de l'action effectivement menée par elles, sur leur territoire. Il a relaté l'expérience du département du Lot. Celui-ci comprend 160 000 habitants, soit l'équivalent de la population d'une grande ville, mais avec des densités et des distances très différentes. Le conseil général a impulsé la création d'un syndicat départemental d'élimination des déchets. Celui-ci fédère l'ensemble des syndicats organisant les collectes primaires. De ce fait, il a pu développer une politique d'ensemble des déchets. Ainsi, il a développé la collecte sélective et aussi son traitement. Il a ouvert trois centres de tri, ainsi qu'une déchetterie par canton. Sa position fait enfin de lui le point d'entrée et l'interlocuteur incontournable pour le lancement de toute filière spécialisée.

M. Jean Launay a ensuite exposé qu'il fallait qu'une politique de responsabilité citoyenne soit mise en place. Sa première manifestation pourrait concerner la dénomination de la taxe. Les termes de taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) imprègnent dans l'esprit du public l'idée que le service mis en place se limite à un service d'enlèvement. Or, l'essentiel du service rémunéré par la TEOM concerne bien le traitement ; et c'est bien le traitement qui justifie le développement de la collecte sélective.

Dans cette même idée d'une politique d'ensemble et d'une responsabilité citoyenne, le département du Lot a distribué des composteurs individuels dans les foyers. Les déchets compostables représentent un poids important. La distribution des composteurs et la généralisation de leur usage, possible dans le Lot du fait de la configuration rurale du département, permettent la diminution du poids des déchets à traiter, et sont donc sources d'économies dans le traitement.

M. Jean Launay a ensuite exposé qu'il partageait plutôt le pragmatisme du ministère. L'élaboration de plans d'élimination des déchets lisibles et fonctionnels suppose, avant tout, des négociations poussées entre collectivités, et beaucoup de travail. Là où cela est fait, la progression est perceptible.

Il a ensuite souhaité que, pour des raisons d'adhésion citoyenne, la plus grande transparence possible soit instaurée sur les filières. S'agissant des sacs de caisse, il a signalé que M. Christophe Caresche et les membres du groupe socialiste préparaient une proposition de loi instituant une redevance sur ces sacs. Enfin, il a demandé des précisions sur la notion de « réponse structurée » et souhaité savoir si l'impact de la hausse des coûts du tri sélectif n'était pas de nature à mettre en cause cette réforme.

M. Emile Blessig, rapporteur, a répondu que le ministère entendait par « réponses structurées » celles qui ne relevaient pas seulement de mouvements d'humeur des internautes, mais s'attachaient à répondre à un questionnaire qui est complexe. Le nombre limité de réponses ainsi attendues, ainsi que leur origine, nombre d'entre elles émanant de groupes d'intérêts organisés, montrent les limites de ce type de démarche pour la restauration de la confiance du citoyen. D'autres méthodes devront sans doute être développées.

Le ministère n'a pas fourni de chiffres précis concernant le coût du tri sélectif. En tout état de cause, les conditions actuelles de développement de cette action ne responsabiliseront pas le citoyen puisque celui-ci voit le coût de traitement et le montant de la taxe continuer à s'envoler parallèlement à l'accroissement de son effort, et ce alors même que, facile à pratiquer en milieu rural, le tri sélectif est beaucoup plus exigeant pour le citoyen en milieu urbain dense.

Enfin, la multiplication des filières ne saurait être considérée comme la mise en œuvre d'une approche globale.

M. Jean-Pierre Dufau a exposé que le traitement des déchets avait constamment été appréhendé sous le double aspect d'un problème technique relevant d'une compétence des élus. Ceux-ci se sont donc attachés à trouver les meilleures solutions techniques pour rendre le service demandé par les usagers, appréhendés comme des clients. Le prix du service a été la simple résultante de cette démarche. On a ainsi manqué la dimension politique du débat, et un fossé s'est progressivement créé entre la réalité des tâches de traitement commandées et accomplies, et la perception du dossier par le citoyen. Le citoyen n'est informé, consulté ou associé que sur les projets sectoriels d'action, comme le tri sélectif. En aucun cas il n'est saisi de la problématique et des projets de réponse d'ensemble.

Il faut au contraire développer, avec les citoyens, des réflexions globales qui déclinent l'ensemble des phases, depuis la production des déchets jusqu'au traitement final ; le prix doit être le résultat de la formulation citoyenne de la politique d'ensemble. Doivent nécessairement faire partie de cette réflexion à la fois la question des normes, dont les principes de fixation échappent au citoyen, et celle de la production des déchets : si les déchets sont un marché, la conséquence est que la croissance du volume des déchets est bonne pour le marché.

Dans ces perspectives, il n'est pas certain qu'il faille redéfinir de grandes orientations par une loi. Une politique pragmatique, où la loi a sa place, est sans doute adaptée.

M. Serge Poignant, président, a considéré que ce qui manquait le plus dans ce domaine était sans doute la volonté. Si loi il doit y avoir, c'est pour fixer une volonté forte.

Il faut aussi que les solutions techniques proposées laissent ouvertes des déclinaisons par territoires. Ainsi, dans les grandes villes, où les densités sont fortes, l'incinération avec valorisation énergétique est une solution de qualité. Dans le monde rural, la faible densité, l'éloignement des centres et les besoins supplémentaires en transport grèvent les performances de cette solution.

Les expériences conduites par les territoires, intercommunalités ou regroupement d'intercommunalités, doivent également être encouragées. Des évolutions de la fiscalité sont nécessaires. A l'heure actuelle, l'hétérogénéité des bases fiscales, qui sont des bases foncières, aboutit à ce que le lissage des taxes crée des incohérences. Pour y remédier, des dispositifs combinant taxe et redevance seraient sans doute souhaitables.

Enfin, la réflexion doit se faire de façon globalisée, et non par filières.

M. Jérôme Bignon a souligné que les progrès considérables faits en matière d'enlèvement et de traitement des ordures ménagères contrastaient avec la faiblesse de l'action menée sur la production à la source des déchets.

Cette insuffisance est cause à la fois de pollution et de coûts, ceux-ci dépassant le seul coût de traitement des déchets. Aujourd'hui, le citoyen doit payer deux fois l'emballage de son produit : une fois pour acheter le produit qu'il contient, une deuxième fois pour le détruire. Une action de sensibilisation des citoyens, faisant apparaître les gains qui pourraient résulter d'une diminution des déchets, pourrait avoir d'excellents résultats : les citoyens sont conscients de ce lien entre augmentation des déchets et hausse des coûts ; le succès de la mobilisation sur le sac de caisse est d'abord la concrétisation de la certitude qu'il y a trop d'emballages, trop de déchets.

Le seul moyen de mettre fin à la hausse continue du coût de traitement des déchets, c'est de produire moins de déchets. Autrement, le volume des déchets et leurs coûts de traitement vont augmenter inexorablement. S'inscrire dans la logique du développement durable, c'est agir à la source, pour produire moins d'emballages, et plus de produits recyclables.

M. Jérôme Bignon a ensuite exposé que, sur la réforme du contrôle des installations classées, le besoin en moyens publics était en réalité la résultante des deux autres points de la réforme, la révision des listes et le recours par les exploitants aux professionnels du contrôle.

M. Philippe Folliot a insisté sur le nécessaire travail pédagogique à entreprendre. L'exemple des Etats-Unis montre que la production de déchets en Europe a encore des marges de croissance : dans les conditions actuelles, un doublement du volume des déchets par habitant à échéance de 15 ans est possible.

L'action en matière de traitement des déchets doit d'abord être pragmatique : une loi qui se voudrait fondatrice pourrait, tout en poursuivant des objectifs louables, proposer des solutions inadéquates pour l'action à conduire sur le terrain. Celle-ci doit être territorialisée : une zone de montagne qui, plutôt que de trouver une solution de proximité, adhère à un grand syndicat de traitement, peut générer une circulation quotidienne de ses déchets sur près de 100 km par la route, avec l'impact à la fois sur l'environnement, le réseau routier et le coût du traitement que cela comporte.

M. Emile Blessig, rapporteur, s'est réjoui des points de convergence que la présente réunion permettait de faire apparaître : nécessité d'une réflexion globale, urgence d'une action à la source : ainsi, les fonds dégagés pour le traitement des emballages pourraient être tout aussi utiles s'ils étaient consacrés à leur réduction. Si deux options se font jour concernant le recours à la loi, les éléments de la présente réunion permettront d'enrichir les débats législatifs, que ceux-ci portent sur une loi d'organisation du traitement des déchets, ou sur les volets législatifs ponctuels d'une politique plus pragmatique.

N° 2339 - Rapport d'information de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire sur le suivi des propositions de la Délégation sur l'lnternet haut débit, la gestion de l'eau, le traitement des déchets et les contrats de plan Etat-régions, 'i -rapporteur : M.  émile Blessig)