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N° 3157

_____________

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 juin 2006

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

en application de l'article 29 du Règlement

au nom des délégués de l'Assemblée nationale à l'Assemblée

parlementaire du Conseil de l'Europe (1) sur l'activité de cette Assemblée

au cours de la deuxième partie de sa session ordinaire de 2006

par M. Bernard SCHREINER

Député

ET PRÉSENTÉ A LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

(1) La composition de cette délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l’Assemblée nationale à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est composée de  : MM. René André, Georges Colombier, Claude Evin, Pierre Goldberg, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Edouard Landrain, Jean-Claude Mignon, Marc Reymann, François Rochebloine, André Schneider, Bernard Schreiner, en tant que membres titulaires, et MM. Alain Cousin, Jean-Marie Geveaux, Mmes Claude Greff, Arlette Grosskost, MM. Michel Hunault, Denis Jacquat, Jean-Claude Lefort, Jean-Marie Le Guen, Guy Lengagne, François Loncle, Gilbert Meyer, Rudy Salles, en tant que membres suppléants.

S O M M A I R E

Pages

INTRODUCTION 5

I. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE 7

DÉROULEMENT DE LA SESSION

A. Liste des recommandations et résolutions adoptées 7

B. Interventions des parlementaires français 9

II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION 15

A. Les questions européennes : les rapports entre le Conseil 15

de l’Europe et l’Union européenne

1. Le débat sur le rapport Juncker 15

2. L’intervention du Président de la commission européenne 26

3. Le suivi du Troisième Sommet 35

B. La situation au Proche-Orient 41

C. Les questions de société 50

1. La place de la langue maternelle dans l’enseignement 50

scolaire

2. Pauvreté et lutte contre la corruption 64

3. La réinsertion sociale des détenus 75

4. La résurgence de l’idéologie nazie 77

ANNEXES 83

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La deuxième partie de la session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est déroulée du 10 au 13 avril 2006 à Strasbourg.

Elle a incontestablement été dominée par les questions européennes puisque trois débats importants ont été organisés : l’un concernant les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, au cours duquel M. Jean-Claude JUNCKER a présenté le rapport qui lui avait été confié lors du Troisième Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres du Conseil de l’Europe, un autre ayant permis l’audition de M. José Manuel BARROSO, Président de la Commission européenne et le dernier ayant fait le point sur le suivi du Troisième Sommet.

L’Assemblée s’est également intéressée aux questions internationales avec un débat sur la situation au Proche-Orient.

Enfin, s’agissant des questions de société, l’Assemblée s’est penchée sur la place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire, la pauvreté et la lutte contre la corruption, la réinsertion sociale des détenus, et la résurgence de l’idéologie nazie.

Au cours de cette session l'Assemblée a, outre MM. Jean-Claude Juncker et José-Manuel Barroso, entendu :

- M. Thomas HAMMARBERG, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ;

- M. Wolfgang SCHÜSSEL, Chancelier fédéral d’Autriche et Président du Conseil de l'Union européenne ;

- M. Calin POPESCU-TARICEANU, Premier ministre de la Roumanie qui assure la présidence du Comité des Ministres ;

- M. Mihai-Razvan UNGUREANU, Ministre des affaires étrangères de la Roumanie et Président du Comité des Ministres ;

- M. Vlado BUCHKOVSKI, Premier ministre de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » ;

- M. Terry DAVIS, Secrétaire général du Conseil de l’Europe ;

- M. Elmar BROK, Président de la commission des affaires étrangères du Parlement européen.

Les membres de la délégation française ont été particulièrement présents lors de cette session, présentant trois rapports et totalisant plus de trente interventions en séance publique.

Après avoir fait état des textes adoptés et donné des précisions sur les interventions des membres de la délégation française, le présent rapport reproduira, pour plusieurs débats importants, les textes adoptés et les interventions des membres de la délégation française.

*

* *

I. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE DÉROULEMENT DE LA SESSION

A. Liste des avis, recommandations et résolutions adoptés

Titre

Doc.

Recommandation 1740

La place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire

10837

Recommandation 1741

La réinsertion sociale des détenus

10838

Recommandation 1742

Droits de l’homme des membres des forces armées

10861

Recommandation 1743

Mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne

10892

Recommandation 1744

Suivi du Troisième Sommet : le Conseil de l’Europe et l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne

10894

Recommandation 1745

Le Bélarus et les suites de l’élection présidentielle du 19 mars 2006

10890

Résolution 1492

Pauvreté et lutte contre la corruption dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

10834

Résolution 1493

Situation au Proche-Orient

10882

Résolution 1494

Halte à la traite des femmes à la veille de la Coupe du monde de la FIFA

10881

Résolution 1495

Combattre la résurgence de l’idéologie nazie

10766

Résolution 1496

Le Bélarus et les suites de l’élection présidentielle du 19 mars 2006

10890

Résolution 1497

Réfugiés et personnes déplacées en Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie

10835

B. Interventions des parlementaires français

Séance du lundi 10 avril, après-midi :

Place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire

Présidence de M. Bernard Schreiner.

Interventions de :

-  M. Jacques Legendre, rapporteur de la commission de la culture, de la science et de l’éducation ;

-  M. Philippe Nachbar appelant à dépasser les réflexes identitaires et à faire du multilinguisme un instrument de paix ;

-  M. André Schneider prônant le multilinguisme, source d’ouverture à la diversité des cultures ;

-  M. Jean-Pierre Kucheida en faveur du développement de l’apprentissage des langues ;

-  M. Jean-Marie Geveaux exposant le système français d’enseignement des langues et l’importance du multilinguisme pour la promotion de la diversité culturelle ;

-  M. Jean-Claude Mignon dénonçant le danger d’un « unilinguisme rampant ».

Pauvreté et lutte contre la corruption

Interventions de :

-  M. Alain Cousin, rapporteur de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille ;

-  Mme Josette Durrieu évoquant la situation en Transnistrie ;

- M. Jean-Guy Branger appelant au développement de la lutte contre la corruption ;

- M. Jean-Marie Geveaux dénonçant la corruption obstacle au dévelop-pement économique et appelant à une mobilisation des Parlements pour lutter contre ce fléau.

Séance du mardi 11 avril, matin :

Relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne

Interventions de :

- M. Philippe Nachbar sur les projets de l’Union européenne en matière de droits de l’homme ;

- M. Bernard Schreiner sur la complémentarité de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, notamment en matière de droits de l’homme, et sur la nécessité de donner au Conseil de l’Europe les moyens d’accomplir ses missions ;

- M. Jean-Marie Bockel sur la nécessaire rationalisation des rapports entre deux institutions appelées à cohabiter durablement.

Discours de M. José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne

Questions de :

- Mme Josette Durrieu sur l’attitude de l’Union européenne vis-à-vis de la Palestine ;

- M. Jean-Guy Branger sur l’action de l’Union européenne en matière de sécurité et de défense ;

- M. Denis Badré sur les moyens de relancer l’Union européenne.

Séance du mardi 11 avril, après-midi :

Situation au Proche-Orient

Interventions de :

- Mme Josette Durrieu sur la nécessité pour les deux parties de revenir à la Feuille de route ;

- M. Jean-Marie Geveaux appelant à la fermeté vis-à-vis du Hamas en gardant en mémoire les intérêts du peuple palestinien ;

- M. Jean-Pierre Kucheida souhaitant que le Hamas reconnaisse Israël et rappelant les décisions précédentes de l’APCE sur ce sujet ;

- M. Rudy Salles prônant la fermeté à l’égard du Hamas et s’inquiétant de la radicalisation de plusieurs pays de la région.

Réinsertion sociale des détenus

Intervention de M. Michel Hunault, rapporteur pour avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

Séance du mercredi 12 avril, matin :

Traite des femmes et coupe du monde de football

Communication du Comité des Ministres

Interventions de :

- M. Jean-Pierre Kucheida insistant sur les problèmes posés par la prostitution illégale et sur les moyens à mettre en œuvre pour endiguer ce phénomène ;

- Mme Josette Durrieu appelant à une mobilisation générale pour lutter contre le développement de la prostitution à l’occasion de la coupe du monde.

Questions de :

- Mme Josette Durrieu sur les mesures envisagées pour éviter la marginalisation de la Moldova ;

- M. Bernard Schreiner sur les mesures envisagées pour permettre aux différentes institutions du Conseil de l’Europe de disposer de moyens de fonctionnement suffisants.

Séance du mercredi 12 avril, après-midi :

Résurgence de l’idéologie nazie

Interventions de :

- M. François Rochebloine expliquant que la dénonciation du nazisme doit être une priorité pour le Conseil de l’Europe car elle découle de la défense des droits de l’homme ;

- M. Jean-Claude Mignon réclamant la sanction des actes pronazis et une mobilisation du Comité des ministres et des Etats membres ;

- M. Rudy Salles insistant sur l’importance du devoir de mémoire et prônant le développement de dispositifs législatifs et réglemen-taires permettant de sanctionner les tentatives de diffusion d’idéologies xénophobes et racistes.

Séance du jeudi 13 avril, matin :

Suivi du Troisième Sommet

Interventions de :

- M. Bernard Schreiner dénonçant la « misère budgétaire du Conseil de l’Europe » ;

- M. Denis Badré insistant sur la nécessaire clarification des compétences entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne et s’interrogeant sur le coût budgétaire du « Forum de la démocratie » ;

- M. Michel Hunault estimant inutile la création d’une Agence des droits fondamentaux.

Séance du jeudi 13 avril, après-midi :

Réfugiés en Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie

Rappel au règlement de M. François Rochebloine.

L'ensemble des documents et débats de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est consultable sur le site :

http://conseil-europe.assemblee-nationale.fr

II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION

L'ordre du jour de la session de printemps a tout d'abord permis à l'Assemblée de se pencher sur les rapports entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne à la suite de la présentation du rapport confié à M. Jean-Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois, par les chefs d’Etat et de Gouvernement réunis à Varsovie en mai dernier.

Un important débat sur la situation au Proche-Orient a également été organisé.

Enfin, l’Assemblée a consacré une importante partie de son ordre du jour aux questions de société en examinant la place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire, la pauvreté et la lutte contre la corruption, la réinsertion sociale des détenus et les problèmes liés à la résurgence de l’idéologie nazie.

A. Les questions européennes : les rapports entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne

1. Le débat sur le rapport Juncker

M. Jean-Claude Juncker, qui était déjà venu en mars 2006 devant la Commission permanente procéder à un échange de vues sur son travail, a choisi l’Assemblée comme tribune politique pour présenter publiquement son rapport sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Ce rapport, rédigé par un homme connaissant parfaitement l’ensemble des institutions européennes, leurs rouages et les hommes qui les font fonctionner, confirme l’importance du Conseil de l’Europe. Comme l’a souligné le Président Bernard Schreiner lors du débat sur le suivi du Troisième Sommet, il appartient à l’Assemblée de se « saisir avec énergie et volonté de ce document équilibré et réaliste qui ne pêche ni par excès d’ambition ni par manque de vision, pour conforter et assurer la pérennité du Conseil de l’Europe et assurer ainsi la place de la démocratie et des droits de l’homme sur notre continent. »

M. Jean-Claude Juncker a tout d’abord présenté son rapport :

« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les députés, me revoilà à Strasbourg, ville européenne par excellence, carrefour de tant de visions et d’ambitions européennes, haut lieu de la démocratie européenne, point de départ et ligne d’arrivée de multiples suggestions, projets et plans européens. Ici même dans cette capitale de la grande Europe, devant vous, élus des peuples d’Europe, je tiens à présenter mon rapport sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, un rapport que les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe m’ont demandé d’établir au mois de mai de l’année écoulée.

Le rapport que je vous présente, – et je l’ai soumis aux chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe, – est d’abord un travail personnel. Je ne suis le commis de personne, ni le mandataire de quiconque. Je n’ai pas de point de vue institutionnel à défendre, si ce n’est la conviction que le Conseil de l’Europe a un passé prestigieux qui l’honore et une obligation ardente de développement riche en perspectives pluridimensionnelles.

Ce rapport se tient à distance de toute illusion. Certes, il ne faut pas le comparer à l’idéal. Il ne faut d’ailleurs jamais comparer les idées d’un moment à l’idéal de toujours. Il m’eût été facile de décrire le souhaitable idéal et l’idéal souhaitable. J’ai fait un autre choix. Je propose le minimum souhaitable. Je propose ce qui est indispensable pour que demain, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne puissent continuer à évoluer le long d’une même idée, à être inspirées d’un même esprit et à nourrir une même ambition.

Je reprends à mon compte, et je la revendique pour ma génération la formule prémonitoirement juste de Coudenhove-Kalergi prononcée entre les deux guerres fratricides du XXe siècle : « une Europe divisée conduit à la guerre, à l’oppression, à la misère ; une Europe unie, à la paix et à la prospérité. »

L’Europe dont je voudrais que l’on parle n’est pas celle qui se limite aux confins de l’Union européenne. Je veux parler de la grande Europe, celle qui a vu se réconcilier son histoire et sa géographie, je veux parler de cette Europe qui n’appartient à personne puisqu’elle nous appartient à tous, de cette grande Europe si souvent massacrée et martyrisée parce que les intérêts nationaux voulaient supplanter l’intérêt général continental.

Pour que le minimum souhaitable et l’indispensable aient une chance, il faut que nous respections d’abord certaines données de fait qui s’imposeront obligatoirement à nos projets d’avenir.

L’Union européenne est la plus belle œuvre d’ensemble dont le génie européen a été capable jusqu’à aujourd’hui. Le Conseil de l’Europe ne la remplace pas. Il ne doit pas vouloir la remplacer. Il ne doit même pas essayer de vouloir l’imiter à tout prix.

L’Union européenne, ensemble cohérent, qui mélange souveraineté nationale et souveraineté partagée, ne peut pas, elle, parler au nom de l’ensemble du continent européen. C’est un vaste continent dont le Conseil de l’Europe a la charge intergouvernementale et interparlementaire. L’Union européenne, elle, est le projet particulier de ceux des États européens qui veulent et qui peuvent aller plus loin. Le Conseil de l’Europe n’est pas l’antichambre de ceux qui veulent aller plus loin. L’Union européenne, elle, n’a pas vocation à absorber le Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont tous les deux différents et uniques. Pour que l’Europe réussisse ils doivent viser un véritable partenariat aussi structuré que possible et organiser durablement leur complémentarité, ce qui devrait exclure les rivalités stupides et nocives.

Ce partenariat se construira sur un socle européen de valeurs communes. Ces valeurs sont celles de l’Union européenne au même degré qu’elles sont les valeurs du Conseil de l’Europe. J’ai élaboré sur une quarantaine de pages mon rapport sur cette idée des valeurs paneuropéennes communes. Mesdames, messieurs, je ne vous ferai pas l’injure de paraphraser mon rapport que vous avez lu, ou que vous lirez. Je ne développerai pas devant vous toutes les conclusions et toutes les conséquences auxquelles l’auteur du rapport a pu parvenir.

Je me permettrai, ici, devant les parlementaires, d’insister seulement sur trois ou quatre points. Nous maîtrisons tous la lecture rapide. Je n’ai pas besoin d’exposer devant vous tous les détails du rapport.

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont d’abord une certaine conception des droits de l’homme. Cela se retrouve dans les instances parlementaires et politiques du Parlement européen.

Pendant longtemps les États membres de l’Union européenne sont restés divisés sur la question de savoir si l’Union européenne devait adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme. Pendant les travaux qui ont conduit les États membres de l’Union européenne au projet de Traité constitutionnel, il s’est avéré que ce qui fut une controverse hier est devenu aujourd’hui un consensus.

Je proposerai, indépendamment du rythme de ratification du Traité constitutionnel, que l’Union européenne se dote aujourd’hui des moyens nécessaires pour pouvoir adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle le fera sur la base de l’article 48 du Traité sur l’Union européenne. Les parlements nationaux des États membres ratifieront dans un même mouvement et dans un même élan, un protocole qui dotera l’Union européenne de la base légale lui faisant défaut aujourd’hui.

J’ai longtemps hésité avant de formuler cette proposition. Je n’ignore pas qu’elle comporte des risques car elle pourrait accréditer l’idée que l’Union européenne n’aurait plus besoin du Traité constitutionnel. Cela éloignerait à tout jamais la perspective constitutionnelle de l’Union européenne.

Toujours est-il qu’il y a consensus, que le Traité constitutionnel n’est pas en vigueur et qu’il y a obligation pour le Conseil de l’Europe et pour l’Union européenne d’évoluer sur les mêmes bases et les mêmes concepts et d’avoir les mêmes ambitions lorsqu’il s’agit des droits de l’homme.

Je voudrais ensuite, Monsieur le Président, que les instances de l’Union européenne reconnaissent le Conseil de l’Europe comme la référence continentale en matière de droits de l’homme. Les arrêts et conclusions de ses mécanismes de suivi doivent être systématiquement cités comme référence et la consultation par l’Union européenne des commissaires aux droits de l’homme et des experts juridiques du Conseil de l’Europe doit devenir la règle dans le processus d’élaboration des nouveaux projets de directive de l’Union européenne.

Je voudrais enfin que le Commissaire aux droits de l’homme devienne l’institution à laquelle l’Union européenne, comme tous les États membres du Conseil de l’Europe, peuvent avoir recours, pour toutes les questions de droits de l’homme non couvertes par les mécanismes de suivi et de contrôle en place. Bien entendu, le Bureau du Commissaire aux droits de l’homme devra être doté de moyens suffisants pour lui permettre d’accomplir ses multiples missions.

Enfin, la future Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, à la mise en place de laquelle la présidence autrichienne travaille avec beaucoup d’énergie et de talent, traitera du respect des droits fondamentaux dans le seul cadre de la mise en œuvre du droit communautaire. Elle n’entamera pas l’unicité, la validité et l’efficacité des instruments de suivi et d’application des droits de l’homme du Conseil de l’Europe. La Cour européenne des Droits de l’Homme et le mécanisme de suivi du Conseil de l’Europe figureront, me semble-t-il, dans les statuts de l’Agence européenne des droits fondamentaux comme référence fondamentale. Les Commissaires aux droits de l’homme devraient être mentionnés comme partenaires essentiels ; il me semble utile et nécessaire que le Conseil de l’Europe soit représenté dans les instances dirigeantes de l’Agence aux travaux desquelles le commissaire aux droits de l’homme assistera sans voix délibérative.

Je pense, mesdames et messieurs, que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont l’obligation de mettre en place, en Europe, un espace juridique et judiciaire au service d’une Europe sans clivage. Dans cet espace normatif minimum couvrant nos quarante-six États, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe doivent mieux coordonner leurs initiatives législatives et mettre en place une plate-forme conjointe d’évaluation des normes cherchant la complémentarité des textes et la reprise réciproque, s’il le faut, des normes.

Tous deux, Conseil de l’Europe et Union européenne, intensifieront leurs activités de coopération à travers la Commission de Venise, dont je voudrais souligner l’extraordinaire qualité des travaux, Commission de Venise à laquelle je voudrais que l’Union européenne adhère lorsque les instruments seront prêts et que les esprits pourront l’envisager.

Les droits de l’homme constituent la compétence la plus noble du Conseil de l’Europe, mais je ne voudrais pas que nous commencions à considérer que le Conseil de l’Europe n’aurait pas d’autre tâche que celle qui gravite autour de la notion de droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe est aussi l’instance européenne où doivent se formuler les bonnes politiques en matière de jeunesse, d’éducation et de culture.

Je voudrais que, sur ces trois points, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe poussent davantage les frémissements de coopération embryonnaire que nous pouvons observer aujourd’hui. Les deux assemblées, Union européenne et Conseil de l’Europe, stimuleront le dialogue interculturel essentiel pour les décennies à venir. Je voudrais que, sur ce point, nous nous partagions le travail : que le Conseil de l’Europe se consacre d’abord au dialogue culturel intra-européen, au dialogue entre les quarante-six États membres du Conseil de l’Europe ; et que l’Union européenne, quant à elle, se consacre d’abord à ce que j’appellerais la diplomatie inter-culturelle entre l’Europe et les autres parties de la planète.

Si nous faisions tout cela – et vous découvrirez dans le détail du rapport écrit une multitude de suggestions à cet égard – il faudrait que nous encadrions toutes ces affaires par la mise en place d’un arrangement inter-institutionnel qui puisse nous aider à mieux développer notre coopération.

Je souhaite que les réunions inter-institutionnelles entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe soient prises plus au sérieux qu’elles ne le sont à l’heure actuelle, qu’elles soient limitées en nombre – une par année nous suffirait – et soient consacrées à un ordre du jour plus solide et plus structuré. Je voudrais que les instances parlementaires de ces deux institutions trouvent un terrain de coopération plus structuré, lui aussi, que celui que nous avons à notre disposition actuellement. Je ne peux qu’encourager les conférences des présidents respectives et les commissions parlementaires à se rencontrer plus régulièrement, moins sporadiquement, et à mettre en commun les initiatives parlementaires qui peuvent être celles du Parlement européen ou de votre Assemblée parlementaire.

Je voudrais que nous réfléchissions à un nouveau mode d’élection et de désignation du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Les Secrétaires Généraux du Conseil de l’Europe, avec leur talent et leur énergie propres, ont jusqu’à ce jour fourni un excellent travail, qui a trouvé l’approbation de tous. Mais si, demain, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, pour se partager des ambitions qui iront plus loin, veulent pouvoir dialoguer d’égal à égal, il faut très sérieusement réfléchir au mode de désignation du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. L’Union européenne a comme règle non écrite d’abord, écrite aujourd’hui, de choisir le Président de la Commission européenne parmi les personnalités européennes connues, connues de leurs collègues et connues du grand public, ce qui fait que, normalement, nous le choisissons parmi les chefs d’États et de gouvernements. Tous ne sont pas d’accord pour le faire, mais on finit toujours par en trouver un pour accomplir cette tâche difficile.

Il faut que, désormais, nous désignions le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’après les mêmes règles pour que ces rencontres inter-institutionnelles entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne puissent se dérouler dans une stricte égalité des choses.

Il conviendrait également que les ministres des Affaires étrangères, je l’ai dit au Président du Comité des Ministres, le ministre roumain, prennent plus au sérieux le Conseil de l’Europe. Il n’est pas concevable que le Conseil de l’Europe puisse être vu dans les États membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne comme le forum de la démocratie organisée en Europe, si le Comité des Ministres, en dépit des énormes qualités qu’il revêt, siège en règle générale au niveau des ambassadeurs. Non, les ministres des Affaires étrangères doivent se déplacer pour montrer qu’ils prennent au sérieux les travaux du Conseil de l’Europe! Si les gouvernements eux-mêmes ne le font pas, comment voulez-vous que nos opinions publiques et les observateurs prennent au sérieux les activités du Conseil de l’Europe ?

Je voudrais enfin, monsieur le Président, mesdames, messieurs, qu’un jour, l’Union européenne devienne elle-même membre du Conseil de l’Europe et adhère à ce dernier. Cela pourrait être raisonnablement fait d’ici l’an 2010. D’ici là, je voudrais que l’Union européenne se fasse représenter au Conseil de l’Europe par un représentant permanent résident, tout comme j’estime que le Conseil de l’Europe doit se voir reconnue une représentation diplomatique auprès de l’Union européenne.

Telles sont, Mesdames, Messieurs, résumées de façon non pas succincte mais presque brutale, puisque j’avais seulement un quart d’heure à ma disposition, quelques idées élémentaires de mon rapport, qui gagnera en intérêt lorsque vous lirez le détail.

Monsieur van der Linden, je vous remercie pour les nombreux avis et conseils que vous n’avez cessé de me prodiguer, en tant que président de l’Assemblée parlementaire. J’étends ces remerciements à tous ses membres, dont bien entendu, le Secrétaire Général – ses suggestions m’ont été très utiles – ainsi qu’aux membres du staff du Secrétariat général sans l’engagement desquels il n’aurait pas été possible d’arrêter la rédaction de ce rapport dans les délais.

Mesdames, Messieurs, j’espère vous revoir au moins une fois par an afin de discuter du suivi que les gouvernements et les instances parlementaires donneront à ce rapport. »

Dans le débat qui a suivi la présentation du rapport, sont tout d’abord intervenus les Présidents de groupes politiques, le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, le Premier ministre de Roumanie, pays qui assure la Présidence du Comité des ministres, et le Chancelier fédéral d’Autriche, Président du Conseil de l’Union européenne. Le premier intervenant français a été M. Philippe Nachbar qui a interrogé M. Juncker sur les rapports entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne dans le domaine des droits de l’homme :

« Je félicite d’abord M. Juncker pour le remarquable discours qu’il a prononcé en début de séance. C’est à lui que s’adressera la question que j’ai l’intention de poser. Je souhaiterais connaître sa position au sujet des intentions de l’Union européenne dans le domaine des droits de l’homme. Je voudrais en effet souligner – nous y sommes tous sensibles mais, étant avocat de métier, je le suis peut-être plus que d’autres – combien la pluralité et la concurrence, à la fois des normes et des juridictions, affaiblissent en réalité le droit puisque les procédures deviennent à la fois incompréhensibles et incertaines et qu’elles sont de surcroît sensiblement allongées.

Je souhaiterais donc que vous puissiez confirmer au Conseil de l’Europe les orientations que vous avez présentées devant sa commission permanente le 17 mars dernier, s’agissant de la création au sein de l’Union européenne d’une Agence des droits de l’homme. Comment envisagez-vous que cette Agence puisse se cantonner à l’application du droit communautaire, qui serait la norme, et résister à la tentation de faire concurrence aux organes du Conseil de l’Europe dans un double domaine, le contrôle des manquements des États en matière de droits de l’homme, d’une part, et le contrôle sur les États candidats à l’Union dans le même domaine, d’autre part, sans oublier le respect de ces règles ?

Croyez-vous enfin qu’il soit toujours possible que l’Union européenne puisse adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme et quelle procédure envisagez-vous en ce sens ? »

M. Bernard Schreiner, Président de la délégation française, a centré son intervention sur la complémentarité du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, notamment en matière de droits de l’homme, et a insisté sur la nécessité de donner au Conseil de l’Europe les moyens suffisants pour lui permettre de faire face aux tâches qui sont les siennes :

« Je tiens d’abord, M. le Premier ministre, à vous remercier d’être devant notre assemblée pour nous présenter le fruit de votre travail, après vous être entretenu avec nous au sein de la Commission permanente, à Paris, le 17 mars dernier.

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont deux institutions qui ne sont pas redondantes, qui ne doivent pas développer une concurrence stérile mais, comme vous l’avez dit, qui doivent être complémentaires et se respecter mutuellement. Ces objectifs peuvent facilement être atteints, pour peu que l’on apprenne à mieux se connaître et à vouloir travailler ensemble dans le cadre de domaines clairement définis, avec des moyens correspondant aux missions de chacun.

Dans cette perspective, il est absolument nécessaire que les compétences de la future Agence des droits fondamentaux soient strictement limitées au droit communautaire, comme vous le suggérez, et que la Cour européenne des Droits de l’Homme continue à exercer sa mission avec l’autorité et l’indépendance qui lui sont unanimement reconnues.

Toutefois, je persiste à penser que l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme est une nécessité et constitue un projet qu’il faudra reprendre dès que le cadre institutionnel de l’Union européenne sera clarifié.

S’agissant à présent des moyens reconnus aux deux institutions, vous savez, Monsieur le Premier Ministre, que sans moyens suffisants, le Conseil de l’Europe ne pourra pas remplir ses missions et ne saurait résister à la très puissante Union européenne. Je sais qu’il s’agit là d’un problème relevant de nos gouvernements. J’ai d’ailleurs saisi le gouvernement de mon pays à ce sujet afin de le rendre à l’urgence de trouver des solutions, mais cette réalité doit être connue et admise par l’ensemble des États membres. 

L’Union européenne et le Conseil de l’Europe sont deux institutions aux dimensions, à l’histoire et aux compétences différentes, mais qui doivent se compléter pour assurer la paix et la prospérité sur notre continent. Vous vous y êtes engagé, Monsieur le Premier ministre, ce qui constitue un élément essentiel dans cette perspective. Je vous félicite encore une fois d’être venu aujourd’hui à Strasbourg, capitale européenne, capitale de cette Europe que nous voulons construire. Et je vous remercie également de vous être engagé à y revenir. »

M. Jean-Marie Bockel, dernier intervenant français, a plaidé pour une rationalisation des rapports entre deux institutions appelées à cohabiter durablement :

« Je ne souhaite pas faire un plaidoyer pro domo mais seulement, à la suite de nos rapporteurs, mettre un peu de clarté et de logique dans la répartition des compétences entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.

Il ne s’agit ni d’une concurrence d’antériorité ni d’une querelle de bornage mais de la recherche d’une articulation des deux organisations en vue de parvenir à plus d’efficacité et de lisibilité pour nos concitoyens.

Qui peut mesurer, parmi bien d’autres causes, évidemment, le désenchantement de nos opinions publiques, en particulier en France et aux Pays-Bas, devant une construction européenne devenue peu à peu illisible avec une polysynodie et la prolifération d’agences que chacun devine coûteuses ?

Aussi, n’est-il que temps de mettre un peu d’ordre dans la maison européenne.

L’Union européenne aurait tort de croire que cette rationalisation peut se faire par absorption plus ou moins directe des compétences du Conseil de l’Europe, en espérant priver l’organisation de toute légitimité.

Les deux espaces, quarante-six États pour le Conseil de l’Europe, vingt-cinq, et peut-être demain, vingt-sept ou vingt-huit pour l’Union européenne, ne sont pas près de coïncider.

Aussi, une clarification s’impose entre les deux Organisations. Au Conseil de l’Europe, la promotion des Droits de l’Homme. Il est à cet égard plus que souhaitable de ne pas ouvrir un risque de duplication institutionnelle entre les organes compétents du Conseil de l’Europe et une « Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne » au rôle mal défini. Les seuls actes qui sont encore exclus de tout contrôle de conformité avec les Droits de l’Homme sont les règlements, directives et décisions des organes communautaires.

Une solution s’impose, l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme, le cas échéant avec la création d’une chambre composée des seuls juges nationaux de l’Union européenne.

Ainsi, tous les actes, qu’ils émanent d’une autorité nationale déjà soumise à la Convention européenne des Droits de l’Homme ou qu’ils aient été édictés par l’Union européenne, désormais passibles du même contrôle, seraient examinés conformément à la même liste de droits et par la même Cour européenne des Droits de l’Homme.

Cette solution s’impose pour éviter les dénis comme les conflits de droit et les enchevêtrements de procédures, précisément ce que refusent désormais les citoyens européens, percevant ces risques de dérive comme une «usine à gaz» bureaucratique et dispendieuse.

Cette unification de droit et de juridiction doit s’accompagner de la promotion d’un « modèle européen » commun à la grande Europe.

Nombre d’États membres du Conseil de l’Europe ne seront pas membres avant longtemps de l’Union européenne.

Est-ce à dire que notre continent s’accommode de deux espaces juridiques ?

C’est bien le rôle éminent du Conseil de l’Europe de favoriser les progrès de l’État de droit parmi les 46 membres de notre organisation.

L’Union européenne se fragilise elle-même lorsqu’elle dispute au Conseil de l’Europe son rôle spécifique et refuse de lui reconnaître son expertise en matière de libertés fondamentales et de Droits de l’Homme.

Il est souhaitable que nos gouvernements, et en particulier ceux des Vingt-cinq, consacrent une répartition rationnelle des compétences, comme le suggère d’ailleurs le Rapport de M. Jean-Claude Juncker.

Dès lors, la mise en œuvre de cette rationalisation requiert un engagement de tous les États du Conseil de l’Europe et, en particulier, des contributions budgétaires suffisantes pour qu’il puisse exercer pleinement ses compétences au profit de tous. »

En réponse aux intervenants, M. Jean-Claude Juncker a apporté les précisions suivantes :

« Je remercie tous les collègues qui ont bien voulu examiner mon rapport sur un mode laudatif. Lorsqu’on s’exprime devant une assemblée parlementaire, rares sont les occasions où les applaudissements fusent. J’ai donc goûté ce moment de répit que j’ai pu avoir dans la capitale alsacienne qui est aussi capitale européenne.

Plusieurs questions ont été posées, je leur apporterai des réponses succinctes.

Pour ce qui est de la politique de voisinage, il serait indiqué que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne avancent avec des programmes conjoints où la pensée des uns peut enrichir utilement celle des autres. Il faut que nous puissions sur ce point comme sur d’autres progresser la main dans la main.

L’adhésion de l’Union européenne à la Convention des droits de l’homme, je l’ai préconisée en empruntant la voie de l’article 48 du Traité de l’Union européenne qui nous permettrait à nous, États membres, de nous mettre d’accord sur l’adhésion de l’Union européenne. Nous pourrions ratifier au niveau des parlements nationaux avec bien sûr, l’approbation du Parlement européen. Une telle démarche en deux temps, les États membres, puis l’Union européenne, formerait la base juridique qui actuellement nous fait défaut.

En ce qui concerne la ligne de démarcation à tracer entre l’expertise, si souvent vérifiée, du Conseil de l’Europe pour le suivi des droits de l’homme et la future Agence européenne des droits fondamentaux, il serait suffisant de préciser son champ d’application dans les moindres détails, dans le règlement et les statuts de la future agence. Il faudrait que les représentants du Conseil de l’Europe trouvent une présence permanente dans les structures de l’agence. J’ai proposé que le Commissaire aux droits de l’homme puisse y assister avec voix délibérative.

Après les travaux de la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne, au sujet des clauses de déconnection, nous avons trouvé des termes judicieux pour expliquer ce qu’il en est. L’intention des États membres de l’Union européenne n’est pas de se déconnecter de l’application des normes du Conseil de l’Europe lorsqu’il s’agira d’une application à l’Union européenne. Il s’agit bien de clauses spéciales relatives à l’Union européenne destinées à accroître le niveau de la sécurité juridique entre les deux ensembles. J’ai d’ailleurs proposé dans le rapport de ne plus les appeler «clauses de déconnection» mais « clauses relatives à l’Union européenne ».

Je vous remercie de vos interventions. »

2. L’intervention du Président de la Commission européenne

Intervenant immédiatement après le débat relatif au rapport Juncker, M. José Manuel Barroso a consacré son intervention aux relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, reconnaissant notamment l’apport du Conseil de l’Europe dans le domaine des droits de l’homme, la qualité du travail et la réactivité de son assemblée parlementaire et dressant un bilan des rapports entre les deux institutions :

« C’est pour moi un grand plaisir et un grand honneur que de pouvoir m’adresser à cette Assemblée si prestigieuse. Non seulement pour souligner les liens historiques indissolubles entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, mais aussi et surtout pour réfléchir avec vous aux défis auxquels sont confrontés les Européens en ce début de siècle pour envisager des solutions communes tirant partie de nos expériences et compétences respectives.

Il y a quelques mois, en ce lieu hautement symbolique qu’est le parvis du Conseil de l’Europe, ici à Strasbourg, j’ai eu l’honneur de participer à la cérémonie marquant le cinquantième anniversaire du drapeau européen.

Dans une brève allocution, j’ai pu alors rappeler que la construction européenne engagée avec brio par le Conseil de l’Europe s’est poursuivie et approfondie avec la création progressive des institutions qui sont devenues l’Union européenne. Tout cela a été rendu possible parce que nous partageons les mêmes valeurs, les valeurs de dialogue, de paix, de démocratie, un socle commun, profondément ancré dans nos traditions et que nous devons, ensemble, sauvegarder et consolider quoi qu’il advienne.

Ceci, Mesdames et Messieurs les parlementaires, est mon premier mot : un rappel des valeurs. Avant tout autre chose, c’est là qu’il y a une véritable communauté entre Conseil de l’Europe et Union européenne.

Nous faisons aussi face aux mêmes défis. Je peux dire que les objectifs du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne coïncident dans une large mesure. Ce que nous voulons, c’est la prospérité, la sécurité, la solidarité, une Europe libre et en paix. Nous voulons aussi une Europe plus forte dans le monde. Tous ces défis se posent tant à l’Union européenne des vingt-cinq, et bientôt des vingt-sept, qu’à l’Europe des quarante-six, celle du Conseil de l’Europe. Nous ne pourrons trouver de solution pour l’Union européenne qu’en liaison avec nos partenaires proches, qu’il s’agisse de pays déjà associés à l’Union ou de pays candidats, voire de ceux auxquels nous sommes à présent liés par notre politique de voisinage, mais aussi avec les autres pays membres du Conseil de l’Europe qui partagent les mêmes valeurs.

La mondialisation ou globalisation pose des défis à tous les européens et nous devons y répondre ensemble. Nos économies sont trop imbriquées, nos histoires, nos cultures, nos peuples, nos destins sont trop entremêlés pour permettre des réponses partielles.

C’est pourquoi je voudrais aujourd’hui faire le point avec vous sur nos relations. La défense de nos valeurs communes, les réponses que nous devons donner ensemble aux défis actuels nous obligent à rechercher la synergie, la complémentarité, fondée sur les valeurs ajoutées respectives de nos organisations, en évitant ainsi une concurrence aussi vaine que contreproductive. Donc, mon maître mot, en termes de rapports entre nos institutions, c’est le mot «complémentarité», une complémentarité fondée sur des valeurs et, après, en termes pratiques, sur la complémentarité.

L’actualité démontre tous les jours l’importance de l’apport du Conseil de l’Europe et des institutions spécialisées. Je pourrais en donner nombre d’exemples mais citons la Commission de Venise qui, grâce à son inestimable savoir-faire en matière constitutionnelle, est appelée à jouer un grand rôle dans la résolution des situations difficiles que nous allons devoir affronter en 2006. Ce sera le cas au Kosovo, au Monténégro, vraisemblablement en Ossétie du sud, en Abkhazie, en Transnistrie. Certains pays font également appel à une expertise unique en son genre en matière constitutionnelle, par exemple le Kazakhstan ou le Kirghizistan.

Je suis également bien conscient du fait que la possibilité, pour tout citoyen des quarante-six États du Conseil de l’Europe, de déposer un recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme est une spécificité unique, que nous devons protéger précieusement. J’espère qu’au cours de cette année, le fonctionnement régulier de la Cour pourra être définitivement assuré et que la masse des recours en instance ne mènera pas à son étouffement progressif.

Cela nécessite toutefois la ratification du Protocole 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme par l’ensemble des pays du Conseil. Je suis persuadé que tous les membres de votre Assemblée joueront un rôle actif dans leur pays d’origine pour obtenir ce résultat le plus rapidement possible. Je ne peux qu’encourager les onze pays qui ne l’ont pas encore ratifié à le faire dans un délai raisonnable.

Je veux également saluer votre détermination à faire abolir définitivement la peine de mort et j’espère que des progrès dans ce sens pourront être rapidement accomplis par le dernier pays membre du Conseil de l’Europe qui n’a pas encore ratifié le Protocole 6. Je profite de l’occasion qui m’est donnée ici pour souligner le rôle particulièrement important du Commissaire aux droits de l’homme, une institution que vous avez créée, et rendre hommage à M. Alvaro Gil Robles, qui vient de quitter ce poste, pour l’excellent travail qu’il a fourni et le talent qu’il a mis à accomplir cette tâche particulièrement délicate. Le rapport de fin de mandat sur la situation des droits de l’homme en Europe, qu’il vient de publier, restera, j’en suis sûr, une référence pour nous tous et un outil indispensable pour poursuivre la tâche qu’il a engagée. Je souhaite, par la même occasion, plein succès à son successeur, M. Thomas Hammarberg, avec qui nous serons heureux de continuer à collaborer.

Comment ne pas être frappé par le dynamisme et la rapidité de réaction du Conseil de l’Europe ? J’ai applaudi la décision de l’Assemblée parlementaire d’ouvrir une enquête concernant les éventuelles détentions arbitraires ou transferts de prisonniers qui se seraient produits sur le territoire des États membres du Conseil au mépris des Conventions ou Protocoles protégeant les citoyens européens. De même, j’ai beaucoup apprécié le lancement par M. Terry Davis d’une procédure au titre de l’article 52 de la Convention européenne des Droits de l’Homme à ce sujet. Nous suivons les actions et les décisions du Conseil de l’Europe avec un intérêt tout particulier et la Commission fera tout pour lui apporter l’appui qui pourrait lui être nécessaire. Naturellement, je ne peux qu’approuver l’esprit dans lequel cette enquête est lancée, c’est-à-dire, selon les termes mêmes de M. Marty, «établir la vérité non pour accuser les pays en vue de les sanctionner mais en vue d’envoyer un message clair et fort selon lequel, même au nom de la guerre contre le terrorisme, des pratiques illégales et inhumaines ne peuvent être tolérées».

Enfin, je tiens à mettre en exergue le travail quotidien de coopération entre nos institutions. Pratiquement chaque jour de l’année, se tient au moins une réunion commune entre fonctionnaires de la Commission et du Conseil de l’Europe, que ce soit à Strasbourg ou ailleurs, pour discuter des nombreux thèmes que nous devons traiter ensemble. Ainsi, je sais concrètement que les dernières réunions en date ont été consacrées, il y a quelques jours, aux droits de l’homme et à la lutte contre le terrorisme, à la coopération juridique, à la diversité et au pluralisme des médias. Dans les jours à venir se tiendront d’autres réunions sur des questions pharmaceutiques ou encore sur le dialogue inter-culturel.

La palette des sujets de coopération est infiniment variée. De même, tous les jours, nous travaillons ensemble dans de nombreux pays pour mettre en œuvre des programmes conjoints entre le Conseil de l’Europe et la Commission européenne, qui ont pour but de renforcer la démocratie, l’État de droit et assurer la protection des droits de l’homme. Ceci peut se faire aussi bien dans les Balkans, à travers l’immense Fédération de Russie, ou dans l’un des pays du Caucase. Je suis fier que nous construisions ensemble un réseau d’écoles d’études politiques à travers toute l’Europe. Aujourd’hui, présentes dans onze pays ou régions en transition, elles devront aider à la formation de nouvelles générations de décideurs adhérant aux valeurs européennes de démocratie, de liberté, de tolérance.

Tout ce travail doit amener le citoyen européen à se rendre compte que nos institutions sont proches de ses préoccupations et soucis quotidiens, ce qui est le but que la Commission recherche avec le plan D, pour dialoguer, dans le cadre de l’Union européenne. Dans ce contexte, je voudrais également vous dire que le lancement par le Conseil de l’Europe d’un forum pour la démocratie m’intéresse beaucoup et je pense que ce nouveau forum pourrait être effectivement la source de nouveaux échanges fructueux entre nous, spécialement en relation avec le plan D que je viens de mentionner.

M. Barroso pense que la place de l’Europe dans le monde va dépendre de l’avenir de l’architecture multilatérale européenne. Il faut s’attaquer à une modernisation de celle-ci pour relever les défis du XXIème siècle. A cet égard, l’Union européenne, le Conseil de l’Europe, l’OSCE ont tous un rôle de premier plan à jouer. Vu les exigences actuelles et la limitation des ressources, les doubles emplois ne sont plus acceptables. Un consensus s’est d’ailleurs dégagé en ce sens au Sommet de Varsovie. Le Conseil de l’Europe devra se concentrer sur la défense de ses valeurs fondamentales. Le rapport établi par M. Juncker sera extrêmement utile pour guider les institutions dans leurs efforts futurs. La présidence britannique de l’Union européenne a élaboré un Protocole d’accord avec le Conseil de l’Europe. Celui-ci fera l’objet de discussions avec les partenaires du Conseil de l’Europe. Il faudra maintenant étudier avec soin les propositions faites par M. Juncker afin de les insérer dans ce protocole lors des délibérations futures.

Alors que l’Union européenne discute de la structure à donner à l’Agence européenne des Droits de l’Homme, le Président de la Commission veut rassurer les membres de l’Assemblée parlementaire : tout sera mis en œuvre pour éviter les doubles emplois. Cette Agence mettra l’accent sur l’application du droit communautaire et un accord bilatéral pourrait être conclu entre la Commission et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Il faudra également développer une coopération accrue au niveau ministériel entre les deux institutions. La Commission européenne s’est déclarée totalement en faveur d’un lien clair de l’Union européenne avec la Convention européenne des Droits de l’Homme mais il faut maintenant savoir ce qu’en pensent les différents États membres.

L’Union européenne dispose d’un nouvel instrument en matière de politique étrangère avec sa politique de voisinage. Celle-ci se révèle un succès pour les pays qui, soit ne sont pas intéressés par l’adhésion, soit ne sont pas encore prêts. La Commission souhaite intensifier ses programmes dans le cadre de cette politique de voisinage et pense que ce domaine offre des perspectives de complémentarité intéressantes pour le Conseil de l’Europe. Des synergies pourraient être dégagées car les plans d’actions portent sur des domaines dans lesquels le Conseil de l’Europe a développé une large expérience. L’Union européenne se fonde d’ailleurs sur les travaux du Conseil de l’Europe pour définir les critères retenus pour l’élargissement.

Le Bélarus figure sur la liste des pays qui pourraient bénéficier de cette politique de voisinage, mais ce pays ne répond pas actuellement aux critères démocratiques nécessaires. Le Conseil de l’Europe peut l’aider à progresser dans la voie démocratique. Son adhésion au Conseil de l’Europe sera un signal clair pour l’Union européenne.

Concernant l’élargissement, une coopération entre les institutions est également intéressante au moment où les pays des Balkans occidentaux envisagent de signer des traités d’association avec l’Union et, à terme, de demander leur adhésion. Un processus de négociation a été lancé avec la Turquie. Il sera sans nul doute long mais on finira par trouver la solution appropriée. Cette année devrait voir aboutir un essai de solution pour le délicat problème du Kosovo. Il est évident que sur de tels sujets, les deux Organisations peuvent travailler de concert.

M. Barroso veut saisir l’occasion de féliciter la présidence roumaine du Comité des ministres. Il affirme que l’Union européenne suit de près la situation de la Fédération de Russie au moment où ce pays va prendre la présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Certaines priorités ont déjà été annoncées : amélioration des institutions démocratiques et rôle de la société civile. L’orateur encourage la Russie à prendre des mesures pratiques en ce sens et espère que ce grand pays pourra user de son influence sur le Bélarus pour qu’il revienne à la démocratie. 

L’action de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe est fondée sur les mêmes principes et les mêmes valeurs. Les deux organisations poursuivent un même objectif, à savoir construire une Europe unie et moderne. Il ne faut pas oublier non plus le rôle important que joue l’OSCE dans ce processus. Des mesures positives doivent être prises pour améliorer la coopération entre les trois Organisations. M. Barroso affirme que la Commission européenne coopérera aussi étroitement que possible avec le Conseil de l’Europe pour atteindre leurs objectifs communs et il conclut : le rêve européen est plus que jamais à portée de main. »

A l’issue de cette intervention plusieurs parlementaires français ont interrogé M. Barroso.

Mme Josette Durrieu lui a demandé des précisions sur l’attitude de l’Union européenne par rapport à la Palestine :

« Monsieur le Président, la démocratie comporte des règles et des risques. Je vais aborder un sujet que vous n’avez pas évoqué.

En Palestine, les résultats ont déjoué tous les pronostics. Le Hamas est majoritaire au Parlement. Le Hamas est seul au gouvernement. La communauté internationale – notamment l’Europe que vous représentez ici – avait le choix entre le dialogue et la méthode forte. La méthode forte a été choisie : on coupe les vivres et, en même temps, on multiplie les règles. Ma question est simple : et après ? Avez-vous mesuré les risques ? Quelles sont les chances de paix, d’une paix durable et équitable ? »

En réponse, M. Barroso a rappelé que « l’Union européenne a été, de très loin, l’institution la plus généreuse envers la population palestinienne. Elle souhaite continuer ce soutien financier mais aussi encourager le processus de paix qui a été engagé. Aussi doit-elle avoir des éclaircissements sur la volonté de tous les protagonistes de poursuivre ce processus avant de renouveler son aide. En ce qui concerne la délivrance des visas, la Commission n’est pas compétente : il faut donc poser la question aux États concernés. »

M. Jean-Guy Branger a abordé l’action de l’Union européenne en matière de sécurité et de défense :

«  Monsieur le Président, tous les sondages montrent que le domaine où les citoyens européens voudraient voir s’investir prioritairement l’action de l’Union européenne est le renforcement de la sécurité et de la défense en Europe.

Comment pensez-vous pouvoir répondre à cette attente avec les instruments dont dispose d’ores et déjà l’Union européenne et bientôt avec les travaux du Comité des Sages que vous venez de créer ? »

M. Denis Badré a demandé comment relancer la construction européenne après la « panne » provoqué par les échecs du référendum en France et aux Pays-Bas :

«  Monsieur le Président, l’Union européenne est en panne et la France a une responsabilité. Je regrette personnellement l’un et l’autre.

Alors que nos débats au sein de l’Union européenne sont dominés par le choc des intérêts nationaux, il me paraît qu’il nous faut en priorité retrouver le sens de l’intérêt général commun. Autour de quelle ambition commune, selon vous, pouvons-nous aujourd’hui retrouver ensemble le chemin de l’avenir ? »

En réponse à ces deux questions, M. Barroso a apporté les précisions suivantes :

« En ce qui concerne la Constitution, vous le savez, la Commission reste entièrement fidèle aux principes et aux valeurs de la Constitution. Ce n’est pas la Commission qui n’a pas ratifié la Constitution ! Le problème, c’est maintenant : on essaye de trouver la solution. C’est pourquoi les chefs d’État et de gouvernement se sont donnés une période de réflexion. Au mois de juin, le Conseil européen va revenir sur la question. Nous, Commission, sommes en train de préparer aussi notre contribution. Nous allons nous réunir à la fin du mois et présenter au mois de mai un Agenda pour l’avenir de l’Europe.

Notre opinion préliminaire est qu’il ne serait pas prudent de nous attaquer maintenant à la question institutionnelle avant d’être sûrs de l’existence d’un large consensus. Parce que la vérité pour le moment, c’est qu’il n’y a pas encore unanimité et vous le savez aussi bien que moi, il nous faut l’unanimité des États membres car il s’agit d’un traité intergouvernemental. L’unanimité des États membres est nécessaire pour qu’on puisse avoir un traité constitutionnel comme celui qui a été proposé.

Nous travaillons activement avec les États membres. Il faut encore peut-être un peu plus de temps pour pouvoir présenter à nos citoyens une voie vers la solution. Cette voie de solution, j’en suis sûr, passe par ce que vous venez de dire, Monsieur le député, par une relation plus proche entre les institutions européennes et les citoyens. C’est pourquoi notre exercice, plan B, n’est pas un remplacement. Nous n’avons pas d’illusion, ce n’est pas non plus un simple exercice de relations publiques. Il s’agit de propositions que nous allons soumettre dans le respect de la subsidiarité des parlements nationaux, de la transparence.

Nous travaillons activement à chercher des solutions, des mécanismes pour rapprocher les citoyens européens des institutions européennes. C’est un exercice sérieux, que celui de la Commission ! Les États membres, je le crois, vont trouver un nouveau consensus.

J’en reviens au projet d’intérêt général commun, un sujet plus vaste. Que peut-on faire ? Sommes-nous ou non en panne ?

Monsieur le député, très souvent je m’adresse à la jeunesse dans des assemblées partout en Europe. Je constate qu’il y a aujourd’hui un pessimisme, un négativisme, parfois un cynisme, très préjudiciables. Là, je vous demande de vous livrer au même exercice que celui demandé à tous mes auditeurs.

Nous avons des problèmes, il est vrai. Mais quand nous pensons à l’Europe aujourd’hui, avons-nous des raisons d’être si pessimistes si nous la comparons à l’Europe d’il y a vingt, trente, ou quarante ans ? Il y a un peu plus de trente ans mon pays et toute l’Europe du sud vivaient sous la dictature de régimes de droite. Il y a un peu plus de quinze ans toute l’Europe centrale et orientale vivait sous le totalitarisme. Certains de vos États membres n’existaient même pas comme pays indépendants ! Maintenant nous sommes vingt-cinq États membres à l’Union européenne, très prochainement vintg-sept, vingt-sept pays vivant en liberté, en démocratie, dans des États de droit !

Y a-t-il vraiment des raisons pour être si pessimistes au sujet de la construction européenne, à l’égard de votre institution, le Conseil de l’Europe, à l’égard de l’Union européenne, quand on voit pour la première fois dans l’histoire des relations internationales, la première fois dans l’histoire politique du monde, un si grand nombre de pays se sont volontairement unis autour de certaines idées de liberté et de démocratie ? Dans le passé, c’était par la voie de l’Empire, par la voie de la force, par la voie de dictatures que cela était imposé. L’Europe elle-même a été le terrain de confrontations, de différends, sur son territoire ou ailleurs, partout dans le monde. Pour la première fois, l’Europe est unie !

Il est vrai que nous avons des problèmes. Notre croissance économique est moins importante que celle de certains de nos partenaires. Il y a du chômage. Nous n’avons pas encore trouvé une solution au problème institutionnel. Mais, franchement, je ne crois pas qu’il y ait tant de raisons de tenir un discours négatif.

C’est pourquoi, mon devoir, en tant que Président de la Commission, est d’en appeler à l’intérêt général commun. L’intérêt général de l’Europe c’est de répondre au défi de la mondialisation. Au lieu de résister, au lieu de subir la mondialisation, il faut que nous puissions la maîtriser avec nos valeurs.

C’est cela le grand projet : une Europe plus élargie, une Europe qui comptera bientôt, je l’espère, vingt-sept membres, une Europe qui pourra se répandre, avec tout le respect dû aux pères fondateurs, c’est une Europe beaucoup plus vaste. Faire vivre et fonctionner cette Europe dans ce monde avec d’autres défis beaucoup plus importants, c’est une grande vision.

Notre rôle, ce n’est pas simplement une question pour la Commission ou le Conseil des Ministres, c’est un rôle dévolu à tous les leaders européens. C’est d’expliquer aux nouvelles générations que la démocratie n’est pas acquise pour toujours. Il faut la défendre chaque jour avec nos valeurs, avec conviction et enthousiasme ! »

3. Le suivi du Troisième Sommet

Ce débat a été introduit par deux rapports :

- un rapport de la commission des questions politiques, présenté par M. Konstantin Kosachev, qui a souligné que dans le Plan d’action du 3e Sommet du Conseil de l'Europe, les Chefs d’Etat et de Gouvernement se sont mis d’accord sur les lignes directrices devant guider les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Sur la base de ces lignes directrices, il a été décidé de rédiger un mémorandum d’accord entre ces deux institutions « afin de créer une structure nouvelle de coopération et de dialogue politique intensifiés ».

- Un rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, présenté par M. Erik Jurgens, faisant état de réserves quant à la création de la future Agence des droits fondamentaux, recommandant que tous les parlements nationaux des États membres de l’Union européenne qui ne l’ont pas encore fait étudient sérieusement la proposition de création de l’Agence et demandant au Comité des ministres d’étudier la question plus avant afin de définir une position commune.

Intervenant dans le débat, M. Bernard Schreiner a fait état des difficultés budgétaires du Conseil de l’Europe :

« Le rapport que nous a présenté mardi dernier M. Jean-Claude Juncker constitue, n’en doutons pas, un moment très important pour l’avenir de notre institution. Il nous appartient de nous saisir avec énergie et volonté de ce document équilibré et réaliste qui ne pêche ni par excès d’ambition ni par manque de vision, pour conforter et assurer la pérennité du Conseil de l’Europe et assurer ainsi la place de la démocratie et des droits de l’homme sur notre continent.

L’occasion qui nous est offerte risque de ne pas se représenter de sitôt car ce document, rédigé par un homme qui connaît parfaitement l’ensemble des institutions européennes, leurs rouages et les hommes qui les font fonctionner, présente l’immense mérite de reconnaître le rôle éminent du Conseil de l’Europe et de contenir des propositions réalistes, acceptables par tous les intéressés.

Je limiterai mon propos à trois séries de considérations.

D’abord, pour mieux se connaître, mieux s’accepter, il est indispensable de multiplier les rencontres entre nos deux institutions. En ce qui concerne les parlementaires, les présidents de nos deux Assemblées et ceux de nos commissions doivent se réunir chaque fois que l’actualité l’exige, afin notamment d’éviter de traiter de sujets identiques de façon contradictoire. Ces rencontres pourraient, en particulier, être l’occasion d’un examen commun de différentes structures – agences, comités, centres, etc. – mises en place ou en projet, afin d’en vérifier la pertinence, le rapport coût-efficacité et, éventuellement, d’en supprimer certaines qui se révéleraient peu utiles ou redondantes. Si un tel examen avait eu lieu, il aurait peut-être permis de s’interroger sur la pertinence de la création de l’Agence européenne des droits fondamentaux dont, personnellement, je suis peu convaincu. En outre, comme le propose Jean-Claude Juncker, le développement des rencontres entre les présidents des groupes politiques serait très utile.

J’évoquerai ensuite la nécessaire clarification des compétences entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, sans laquelle il ne peut y avoir de bonne coopération. Cela concerne de nombreux domaines. S’agissant notamment des droits de l’homme, il me suffit de rappeler une phrase figurant dans le rapport de M. Juncker : « le Conseil de l’Europe doit rester la référence en matière de droits de l’homme en Europe ».

Enfin, le Conseil de l’Europe, qui se trouve conforté par ce rapport, ne pourra s’acquitter des missions qui lui sont reconnues qu’à la condition de disposer de moyens suffisants. Cela me conduit à faire deux remarques.

D’une part, il convient, bien entendu, pour nous, d’éviter tout gaspillage et toute dépense inutile et, à ce titre, de bien réfléchir avant de créer des structures administratives dévoreuses de crédits de fonctionnement à un moment où, après des années de croissance zéro, notre budget se trouve dans une situation assez dramatique.

D’autre part, nous devons absolument, nous parlementaires, sensibiliser nos gouvernements à la misère budgétaire du Conseil de l’Europe. Si la tendance actuelle se poursuit et si le Comité des Ministres maintient son refus de toute augmentation de crédits, le Conseil de l’Europe est condamné à une mort lente, ce qui serait parfaitement contradictoire avec les propositions du rapport Juncker et avec les textes très importants que nous examinons.

Je conclus en félicitant nos rapporteurs pour leur excellent travail qu’ils ont dû effectuer dans un délai très bref. »

M. Denis Badré a appelé à une clarification des compétences entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne et s’est interrogé sur l’utilité du « Forum de la démocratie » :

« Il y a deux jours, m’adressant au Président Barroso, je regrettais tout à la fois la panne que connaît la construction européenne et, malheureusement, la part de responsabilité prise par mon pays dans cette affaire. J’appelais donc le Président de la Commission à tout faire, en priorité, pour restaurer le sens de l’intérêt commun européen, afin que nous sachions à nouveau dépasser le niveau du choc des intérêts particuliers nationaux, lequel ne peut que défaire l’Europe… Alors, je suis tout spécialement reconnaissant à M. Jean-Claude Juncker. La clarté et la pertinence de son rapport sont bienvenues et de nature à faire renaître l’optimisme…

Avec M. Juncker, je suis persuadé que le Conseil de l’Europe, créé ici à Strasbourg au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, a plus que jamais un grand rôle à jouer pour faire vivre et développer sa mission de paix et de respect des droits de l’homme. Le Conseil n’aurait pas été créé en 1949, il aurait fallu le créer en 1989, ou maintenant, si ce n’avait pas été possible en 1989. Je me plais à souligner ici la contribution inestimable des pays qui nous ont rejoints depuis 1989. Ils ont très souvent régénéré notre foi un peu essoufflée en l’Europe en nous proposant un discours qui nous ramène à l’essentiel, cet essentiel que résumait ce qu’on a appelé depuis la méthode Schuman : « Si tu veux construire une paix durable, apprends aux hommes à travailler ensemble ».

Dans ce contexte, je souligne combien il me paraît important que l’enseignement de l’histoire qu’a vécue notre vieux continent au XXe siècle soit encore développé dans tous les pays et à tous les niveaux. La mission culturelle et éducative de notre Conseil a bien, elle aussi, tout son sens : nos jeunes doivent savoir d’où nous venons, au prix de quel courage et de quels sacrifices, de quelle volonté et de quelle foi en l’avenir nous nous en sommes sortis – largement et je l’espère durablement –.

Dans leurs excellents rapports, M. Juncker et nos rapporteurs, nous proposent une clarification tout à faire attendue des rôles respectifs de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Compte tenu de l’importance des enjeux, nous n’avons en effet le droit ni de compliquer les organisations, ni de gaspiller nos moyens.

D’emblée, je confirme mon souhait de voir le Gouvernement français examiner très positivement l’idée de l’adhésion de l’Union à la Convention des droits de l’homme. Je plaiderai en ce sens auprès de lui. Toujours en prenant en considération l’ampleur des défis à relever, je suis, comme la plupart des intervenants de ce matin, tout à fait réservé sur la création de l’Agence européenne des droits fondamentaux.

Qui dit nouvelles institutions, dit risques de confusion, doubles emplois, voire conflits. Qui dit nouvelles institutions, dit aussi nouveau siège et nouvelles équipes. Or le rôle de l’agence ne recoupe-t-il pas largement ceux de la Cour européenne des Droits de l’Homme et d’autres organes du Conseil ? Nous savons quel travail admirable ils réalisent déjà avec beaucoup moins de moyens que ceux dont disposerait l’Agence ! Si des moyens supplémentaires peuvent être dégagés, affectons-les à la Cour ; elle en fera certainement un excellent usage.

Je rappelle que le rejet de la Constitution européenne par mes concitoyens français traduisait notamment une incompréhension devant des structures déjà peu lisibles et un refus de tout gaspillage. Nos concitoyens veulent comprendre. Ils attendent de nous et de l’Europe clarté et efficacité. Et ils ont raison !

Dans ce même esprit et pour les mêmes raisons, je suis très dubitatif concernant la mise en place d’un « Forum du Conseil de l’Europe pour l’avenir de la démocratie ». La création d’un tel forum ne pourrait-elle être interprétée comme un constat d’échec de notre organisation actuelle ? Commençons par améliorer et simplifier ce qui existe avant d’ajouter de nouvelles structures qui ne peuvent que compliquer une situation déjà bien difficile à comprendre. Est-il, de même, vraiment nécessaire de créer un centre d’expertise sur la réforme des pouvoirs locaux, fût-ce au sein du Conseil de l’Europe, alors que la Commission de Venise nous permet très naturellement de nous appuyer sur des experts de très haut niveau ?

Alors que les menaces et les difficultés se multiplient dans un monde tourmenté, n’oublions pas ce qu’est notre vraie responsabilité. Ne la négligeons pas. Nos concitoyens attendent plus que jamais de notre part un engagement solide et rigoureux, lucide et fort, dans lequel chaque Européen puisse se reconnaître. Cet engagement doit s’exprimer au moins aussi clairement dans notre organisation commune que dans nos choix politiques. »

M. Michel Hunault s’est déclaré opposé à la création d’une Agence des droits fondamentaux :

« La promotion et la protection des droits de l’homme sont au cœur du mandat du Conseil de l’Europe. Nous avons assisté mardi dernier à l’éloge fait de notre institution par MM. Juncker et Barroso qui sont venus rendre hommage et témoignage de l’action de notre Assemblée en faveur de la protection des droits de l’homme. Aujourd’hui, on nous demande notre avis sur la création d’une Agence des droits fondamentaux.

Alors, je voudrais, à mon tour, exprimer mes réserves sur la création de cette agence. M. le Secrétaire Général Terry Davis nous a expliqué combien l’Assemblée manquait de moyens pour fonctionner. Le coût de cette agence va absorber 30 millions d’euros : il y a là une contradiction.

Je me souviens de cette réunion de la commission juridique, le 13 mars, à Paris, où le rapporteur, au nom du Parlement européen, est venu nous expliquer le pourquoi de cette agence. Nous avions l’impression qu’il ne connaissait même pas l’existence du Conseil de l’Europe et notre rôle ici. Nous devons nous battre pour à la fois promouvoir l’action du Conseil de l’Europe et surtout intensifier notre mission au service des droits de l’homme.

Nous avons chaque année un rapport du Commissaire des droits de l’homme, nous avons eu ce matin à la commission juridique une audition de la présidente du Comité de la prévention de la torture. Nous avons tous les instruments pour veiller à la protection des droits de l’homme.

Plus qu’une agence qui viendrait semer la confusion, nous devons demander à nos gouvernements de renforcer le rôle du Conseil de l’Europe. Nous sommes en quelque sorte la conscience de l’Europe. D’abord, par sa dimension géographique et de par le fait que nous garantissons l’État de droit dans un monde particulièrement dangereux et à un moment qui présente des défis énormes pour l’humanité tout entière. Nous devons être unanimes non seulement pour conforter le rôle et les missions de notre Assemblée mais pour être très réticents sur la création d’une agence dont on voit mal les contours et l’objet.

Je terminerai en soulignant que plus que la création d’une agence supplémentaire, nous devrions dans le cadre de cette architecture de l’Europe, dont on voit bien qu’elle est en mutation, veiller à ce que les travaux réalisés par cette Assemblée, que ce soient les conventions, les recommandations, soient suivis d’effet au sein même des États membres. Car trop de travail fait ici dans cette enceinte en faveur de la démocratie, en faveur de la garantie des droits de l’homme, reste trop souvent sans lendemain. Combien de recommandations ne sont-elles pas encore signées par les États membres de notre Assemblée ?

Plus que la création d’un instrument nouveau, nous avons besoin de conforter l’institution qu’est le Conseil de l’Europe. En disant cela, je pense également aux organisations non gouvernementales, à cette somme d’associations de la société civile qui relaient la dimension des droits de l’homme et la dimension humaine au travers des États membres de notre institution. C’est pourquoi après l’éloge fait mardi dernier par les instances de l’Union européenne à notre institution, il faut être très vigilants pour ne pas créer la confusion et conforter notre mission. »

A l’issue de ses débats l’Assemblée a adopté :

- la recommandation n° 1743 sur le mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne qui recommande notamment au Comité des ministres de tenir dûment compte du rapport du Premier Ministre Juncker dans l’élaboration du mémorandum d’accord et de consulter officiellement l’Assemblée avant de conclure le mémorandum d’accord, compte tenu de l’évidente nécessité de rapprocher l’Europe de ses citoyens ;

- la recommandation n° 1744 relative à l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne qui recommande au Comité des ministres d’étudier la question plus avant afin de définir une position commune et fait toute une série de recommandations à l’intention des institutions et des États membres de l’Union européenne.

B. La situation au Proche-Orient

Ce débat a été introduit par un rapport de la commission des questions politiques présenté par M. Mikhail Margelov qui a fait état des résultats des récentes élections au Conseil législatif palestinien, et réaffirmé que le dialogue politique en vue d'un règlement pacifique du conflit israélo-palestinien devait être poursuivi. Il a estimé que la communauté internationale avait un grand rôle à jouer à cet égard.

Il a ensuite souligné que la participation au processus politique était incompatible avec celle à des activités terroristes ou armées. Il a demandé instamment aux chefs du Hamas de renoncer clairement et sans réserve à la violence, de reconnaître l’Etat d’Israël et d'apporter leur soutien au processus de paix au Proche Orient, tel qu'il est exposé dans les accords d'Oslo.

Première intervenante française, Mme Josette Durrieu a insisté sur la nécessité, pour les deux parties, de revenir aux dispositions de la feuille de route :

« Je voudrais moi aussi féliciter notre rapporteur pour son excellent travail et son propos. Et ce n’est pas de la rhétorique. Comme lui, je dirais que les élections en Palestine – et nous y étions – se sont déroulées dans d’excellentes conditions, bien qu’elles ne soient pas normales dans ce pays.

Force est de constater que nous aurions volontiers tendance à vouloir changer les règles du jeu quand les résultats ne nous satisfont pas. Or nous ne pouvons pas affirmer les principes démocratiques et contester les résultats quand ils ne nous conviennent pas. Et c’est le cas ! Le Hamas est majoritaire au Parlement, le Hamas est seul au gouvernement.

Au nom du Groupe socialiste, je vais formuler quelques observations d’ordre général en faisant remarquer d’abord que la plupart des mouvements islamistes, voire intégristes, sont tous entrés, partout dans le processus démocratique. C’est vrai pour les Frères musulmans en Egypte, pour le Hezbollah au Liban, pour le Hamas en Palestine. C’et vrai en Iran.

Tous sont entrés dans leurs Parlements respectifs. Tous ne sont pas forcément au gouvernement. Le Hamas y est.

D’autre part, certains de ces mouvements sont armés, d’autres non. Les Frères musulmans ne sont pas armés. Le Hezbollah et le Hamas le sont. Ils sont au Parlement et au gouvernement. Autant la démocratie peut se satisfaire de la première démarche, autant elle ne peut pas se satisfaire de la seconde. Lorsqu’on est au pouvoir, on se doit simultanément de déposer les armes.

Alors, je vois un dilemme qu’il nous faut résoudre. Ils sont armés parce qu’ils sont d’abord un mouvement de résistance, – avant d’être devenus ce mouvement terroriste qui s’attaque effectivement aux populations civiles. Mais ici, nous n’allons pas renoncer au droit à la résistance ! Combien sommes-nous à être fils de résistants et à réclamer que dure le droit à la résistance ! Là aussi, il faudra répondre. Ce n’est pas le discours unilatéral, et donc arbitraire qui est celui d’Israël aujourd’hui, qui donnera la réponse.

Ici, nous devons dire clairement : oui, le Hamas doit déposer les armes et décréter dès maintenant une longue trêve jusqu’à la paix. Oui, le Hamas doit reconnaître Israël. Oui, le Hamas doit s’inscrire dans la Feuille de route et le quartet. Simultanément, nous devons dire la même chose à Israël. Oui, Israël doit cesser l’occupation de ce pays. Oui Israël doit cesser la colonisation, oui Israël doit revenir à la Feuille de route et respecter le quartet.

L’objectif pour ces deux pays dramatiquement épuisés est quand même la fin de ce conflit qui pourrit le Moyen-Orient et le reste du monde. La communauté internationale et l’Union européenne ont une mission : répondre à cet appel. Reste que face à cet interlocuteur qu’est le Hamas, l’Union européenne aurait dû d’abord engager le dialogue pour faire évoluer ce mouvement islamiste par des arguments politiques.

Le choix qui a été fait est celui de l’affrontement, de la démarche brutale. On coupe les vivres et, en même temps, on maintient les raids. On ne rembourse même pas à la Palestine ce qui lui est dû, ses droits de douane. Posons-nous plusieurs questions. Je me les pose. A-t-on évalué tous les risques, y compris ceux de la rupture d’un processus de paix fragile ? A-t-on bien évalué toutes les chances ? Parce que l’objectif est et demeure une paix proche, durable et équitable ! Elle ne sera durable que si elle est équitable. La réponse du Président, ce matin, ne peut pas être satisfaisante. »

M. Jean-Marie Geveaux a appelé à prendre en considération les intérêts du peuple palestinien tout en se montrant d’une grande fermeté vis-à-vis du Hamas :

«  Une nouvelle fois, nous voici confrontés au problème du Proche-Orient : ce n’est pas nouveau, mais il y a fort à parier que nous reviendrons régulièrement sur ce sujet récurrent.

Certes, la situation dans cette région a évolué. Est-elle pour autant satisfaisante ? Certainement pas. Eu égard aux récentes élections tant en Israël qu’en Palestine on peut effectivement dire que la situation est nouvelle. La victoire du parti Kadima en Israël, sa courte victoire, traduit sans doute l’émergence d’une société israélienne moins idéologique, comme l’ont souligné différents analystes dans la presse ; on a le sentiment que les Israéliens ont enterré le rêve du Grand Israël aux frontières bibliques. L’effondrement de la droite nationaliste et religieuse signifie clairement la volonté de la société israélienne.

Le parti travailliste qui soutient M. Olmert, le nouveau chef du Gouvernement, est favorable à la recherche d’une paix négociée avec les Palestiniens et M. Peretz, son chef, juge qu’il existe un partenaire palestinien en la personne du président modéré de l’Autorité Palestinienne, M. Mahmoud Abbas. Du coup, l’unilatéralisme prôné par le parti Kadima pourrait bien être infléchi.

Il est à noter que le premier discours de M. Olmert, après sa victoire, va dans ce sens. Il n’exclut pas de dialoguer avec M. Abbas qui s’affirme comme un chef d’État, et de paix, que ni la victoire du Hamas, ni cette volonté unilatérale, ni les provocations comme celles de Jéricho ne font dévier de son chemin. M. Abbas a multiplié les offres de négociation et a appelé M. Olmert à renoncer à son plan de «tracer la frontière israélienne» d’une manière unilatérale.

Le problème aujourd’hui est le Hamas, qui se retrouve à la tête, et largement, de l’État Palestinien, et ce, après des élections qui, selon les observateurs, ont été bien organisées et conduites de manière démocratique. L’attitude du Hamas n’est pas aujourd’hui acceptable mais peut-il du jour au lendemain changer radicalement d’attitude à l’égard d’Israël ? Je demeure favorable à une position d’exigence et de fermeté à l’égard du Hamas, comme le rappelait M. Douste Blazy, ministre des Affaires étrangères de mon pays, mais aussi l’Union européenne. Cependant, comme le disait un orateur précédent, n’oublions pas le peuple palestinien.

J’apporte donc mon soutien au projet de résolution équilibré de notre rapporteur qui continuera ainsi que, j’en suis sûr, le Conseil de l’Europe à tout mettre en œuvre pour que les négociations puissent se poursuivre et se dérouler normalement. »

M. Jean-Pierre Kucheida a rappelé les décisions précédentes de l’Assemblée sur ce sujet et demandé au Hamas de reconnaître l’Etat d’Israël :

« L’année 2006 n’a pas commencé sous les meilleurs auspices au Moyen-Orient, bien au contraire. En effet, deux problèmes majeurs – en plus de tous les autres déjà existants – sont apparus. Tout d’abord, depuis le 25 janvier dernier, date des élections législatives palestiniennes, élections démocratiques selon tous les observateurs, élections contre la corruption et le clientélisme, qui ont vu la victoire du Hamas puis l’approbation par le Conseil législatif palestinien de la composition et du programme du gouvernement du Hamas dirigé par Ismaïl Haniyeh, le torchon brûle à nouveau entre les Israéliens et les Palestiniens.

Quand le Hamas était minoritaire, il était supporté. Aujourd’hui, majoritaire, il est surdiabolisé.

En représailles, les États-Unis et Israël s’efforcent d’isoler ce gouvernement ; les premiers en bannissant tout contact, les seconds en asphyxiant l’Autorité palestinienne – qui est ainsi au bord de la faillite – en décidant de suspendre le reversement des taxes et autres droits de douane perçus au nom de celle-ci. Affamer les Palestiniens, c’est prendre le risque de les transformer en bêtes sauvages. L’Europe prend ici un très grand risque.

J’espère sincèrement que le Hamas reconnaisse l’État d’Israël. Sa position radicale, après tout, peut fortement changer quand je vois à quel point certaines positions radicales dans le monde ont pu évoluer, comme en Irlande du nord ou au Pays basque espagnol. Je souhaite que le Hamas renonce à la violence le plus rapidement possible, mais aussi que parallèlement Israël rende au peuple palestinien les moyens de sa subsistance, sinon des conséquences politiques désastreuses sont à prévoir, afin que nous ne passions pas d’une logique de paix à une logique de guerre.

Enfin, en parallèle à toutes les mesures qui ont été présentées par M. Margelov et qui sont proposées dans son excellent rapport avec lequel je suis en accord total, il convient d’ajouter certains autres éléments à prendre en compte et à appliquer afin d’accéder à une paix totale et durable respectueuse de chacun.

Ces éléments, que j’ai en grande partie déjà évoqués lors des sessions de 2005 de notre Assemblée, sont les suivants. Je les rappelle : l’égalité et le respect des droits ; l’abandon de la lutte armée de la part du Hamas ; le règlement du conflit israélo-palestinien à travers la feuille de route ; la co-souveraineté sur Jérusalem ; le retrait immédiat des colonies et la destruction du mur de séparation–n’est-ce pas une violence majeure que celle-là ? – le respect du droit au retour des réfugiés palestiniens ; un partage équitable des ressources en eau, entre autres.

Ainsi, monsieur le Président, mes chers collègues, je pense que le Conseil de l’Europe et tous les acteurs soucieux de trouver des solutions pacifiques et durables doivent s’unir en faisant notamment appel à la raison et à la sagesse afin que la situation que nous connaissons aujourd’hui ne se radicalise pas en dégénérant. »

M. Rudy Salles, après s’être inquiété de la radicalisation en cours dans plusieurs Etats de la région, s’est également prononcé pour une grande fermeté à l’égard du Hamas :

« Beaucoup d’élections se sont déroulées et notamment une pour laquelle notre Assemblée a mandaté des observateurs, je veux parler de l’élection du conseil législatif palestinien qui a vu arriver une majorité absolue issue du mouvement terroriste le Hamas.

Si la régularité du scrutin ne peut être mise en cause, en revanche le résultat mérite quelques commentaires. Ce résultat a stupéfié les observateurs qui s’attendaient à ce que le Fatah l’emporte, il s’explique notamment par le mode de scrutin. En effet, outre une dose de proportionnelle, le mode de scrutin majoritaire à un tour a favorisé l’élection du Hamas, parti uni, alors que le Fatah était divisé. Ainsi, avec 43 % des voix le Hamas est majoritaire en sièges alors que le Fatah avec 51 % des voix est minoritaire en sièges. C’est un élément très important car il signifie que la majorité du peuple palestinien n’adhère pas aux thèses du Hamas. Et encore convient-il de souligner que parmi les 43 % des Palestiniens qui ont voté pour le Hamas, il n’y a pas adhésion au programme de cette organisation terroriste mais souvent l’expression d’un vote sanction à l’égard de la corruption et de l’héritage d’Arafat. En attendant, cette situation pose problème tant à la communauté internationale qu’à la société palestinienne car, aujourd’hui, l’établissement de liens avec les autorités palestiniennes est remise en question.

Le 28 mars dernier, ce sont les Israéliens qui étaient appelés à élire leurs députés. Malgré l’empêchement d’Ariel Sharon, le parti du centre Kadima, qu’il avait créé il y a à peine quelques mois, est arrivé en tête et est en mesure de réaliser une coalition. Rappelons que c’est Kadima qui a réussi l’évacuation difficile de Gaza et que le nouveau Premier ministre israélien Ehud Olmert s’est engagé sur d’autres évacuations, cette fois en Cisjordanie. C’est un point qui me parait très positif et qui montre la volonté des Israéliens d’avancer vers la paix et l’établissement de deux États.

Avant ces deux élections, c’est l’Iran qui avait voté. Malheureusement ce sont les mouvements fondamentalistes qui l’ont emporté, non que le peuple iranien se soit prononcé librement pour cette tendance mais tout simplement parce que la liberté électorale n’existe pas dans ce pays. En attendant, le Président iranien propose comme programme la nucléarisation de son pays et l’anéantissement de l’État d’Israël.

C’est pourquoi, il me semble que, vu les changements survenus tant en Iran qu’au Conseil législatif palestinien, l’Europe doit être non seulement attentive mais active pour faire face aux dangers potentiels qui pèsent tant sur cette région que sur le monde. La pression doit être mise sur l’Iran pour que cet État ne puisse user de l’énergie nucléaire à des fins militaires. Chacun sait que malgré les démentis, c’est bien à cette finalité que vise l’enrichissement de l’uranium auquel ce pays se livre actuellement.

D’autre part se pose la question de l’aide internationale à destination des territoires palestiniens telle qu’elle s’exerçait jusqu’à présent. Il n’est pas concevable de dialoguer avec une organisation terroriste qui refuse de reconnaître Israël ainsi que les Accords d’Oslo et qui refuse également de condamner la violence. Il est également inconcevable d’envoyer des fonds à des organismes qui pourraient servir à financer des actions terroristes. Dans le même temps, c’est la population palestinienne qui se retrouve prise en otage du fait de cette situation. C’est pourquoi l’Europe doit jouer la carte de la fermeté sur les principes. La fermeté, cela veut dire également la cohérence. Il serait inadmissible que d’une part certains États refusent de dialoguer tant que le gouvernement palestinien n’aurait pas changé d’attitude et que d’autres États cherchent, pour jouer un jeu diplomatique singulier, à avoir une autre attitude. Cette inquiétude est présente dans l’esprit de beaucoup d’entre nous. C’est pourquoi j’en appelle au sens des responsabilités de chacun pour que le rappel de ces principes puisse être fait dans les pays respectifs.

S’il y a une enceinte où les principes de paix, de démocratie et de respect des droits de l’homme doivent être rappelés, c’est bien au Conseil de l’Europe. Je souhaite que ce débat et que le rappel de ces principes soient entendus par les exécutifs des pays membres qui seraient tentés par des attitudes différentes de celles qui guident aujourd’hui les pas de la communauté internationale. Je demande à notre Assemblée de n’adresser aucune invitation à des Palestiniens membres du Hamas, reconnu organisation terroriste, fussent-ils élus, tant que ce mouvement n’aura pas décidé, comme le lui demande la communauté internationale, en général, et l’Union européenne, en particulier, de condamner la violence et de reconnaître Israël ainsi que les Accords d’Oslo. »

En conclusion de ses débats l’Assemblée a adopté la résolution n° 1493 :

1. L’Assemblée parlementaire se félicite du fait que, malgré quelques insuffisances, les élections au Conseil législatif palestinien du 25 janvier 2006 aient été dans l’ensemble bien organisées et conduites de manière démocratique, et puissent être qualifiées de justes et équitables.

2. Ces élections ont démontré l’attachement du peuple palestinien au processus démocratique et représentent un progrès important vers la création d’institutions démocratiques dans les territoires palestiniens et vers la consolidation de la démocratie.

3. Toutefois, l’Assemblée note que la démocratie ne s’arrête pas aux élections. La démocratie ne s’est jamais réduite à de simples procédures comme la tenue d’élections, mais représente un ensemble de valeurs essentielles au rang desquelles figurent les principes fondamentaux défendus par le Conseil de l’Europe comme la paix, la tolérance, le caractère sacré de la vie humaine, le rejet de la violence comme instrument politique et le respect de l’Etat de droit.

4. L’Assemblée prend acte du choix du peuple palestinien.

5. L’Assemblée souligne néanmoins que la participation des partis palestiniens au processus politique est incompatible avec une participation à des activités terroristes ou armées. L’usage de la violence et du terrorisme ne saurait être toléré comme une mesure pour atteindre des objectifs politiques.

6. A cet égard, il est urgent que le Hamas, vainqueur des élections législatives, renonce à la violence, dépose les armes et reconnaisse à Israël le droit d’exister. De la même manière, le nouveau gouvernement palestinien doit prendre clairement position sur les négociations de paix et respecter les accords antérieurs.

7. Les résultats des élections législatives qui ont eu lieu en Israël le 28 mars 2006 offrent une nouvelle chance de relancer un dialogue politique, et cette occasion ne doit pas être manquée. Le parti Kadima, qui a remporté les élections, et ses partenaires au sein du futur gouvernement ont la lourde responsabilité de chercher une solution fondée sur un accord bilatéral et résultant de négociations pacifiques. Toute action unilatérale ne pourra garantir un règlement durable du conflit et ne doit par conséquent pas être entreprise.

8  L’Assemblée réaffirme sa conviction que la feuille de route demeure une référence valable pour les négociations de paix et la reconnaissance de l’existence de deux Etats. Dans le cadre de ce respect de la feuille de route, l’Assemblée demande à l’Autorité palestinienne de démanteler les groupes terroristes et leurs infrastructures.

9  Il est essentiel de renouer le dialogue et de reprendre les négociations en vue de parvenir à un règlement pacifique du conflit.

10. La communauté internationale et notamment le Quartet (Union européenne, Nations Unies, Fédération de Russie et Etats-Unis) devraient activement contribuer à créer les conditions propices à la reprise des relations entre les deux parties, tout en demeurant fermes sur leurs exigences envers le nouveau gouvernement palestinien de s’engager sur les principes de non-violence, de reconnaissance de l’Etat d’Israël et de l’acceptation des accords et obligations antérieurs.

11. L’Assemblée demande instamment aux chefs du Hamas :

11.1. de, clairement, immédiatement et sans réserve, renoncer à la violence, de reconnaître l’Etat d’Israël dans ses frontières sûres et reconnues internationalement, et d’apporter leur soutien au processus de paix au Proche-Orient, tel qu’il est exposé dans les Accords d’Oslo ;

11.2. de déposer les armes et de renoncer à participer aux activités de groupes armés ;

11.3. de condamner les actes terroristes ;

11.4. de soutenir et de renforcer le processus démocratique au sein de l’Autorité palestinienne.

12. L’Assemblée appelle le Gouvernement israélien :

12.1. à exprimer son engagement en faveur de la reprise des négociations et du dialogue politique sur la base de la feuille de route ;

12.2. à mettre fin, immédiatement, aux opérations militaires et aux exécutions extrajudiciaires de militants d’organisations extrémistes palestiniennes ;

12.3. à renoncer aux actions unilatérales ;

12.4. à mettre fin sans délai à l’expansion et à la construction de colonies illégales ;

12.5. à revoir sa position concernant la construction du mur de sécurité, en tenant compte de la décision de la Cour internationale de justice ;

12.6. à reconnaître le droit aux Palestiniens de vivre librement et en sécurité dans leur propre Etat indépendant, avec des frontières internationalement reconnues.

13. Sous réserve du respect des paragraphes 11 et 12, l’Assemblée appelle les autorités israéliennes et palestiniennes :

13.1. à reprendre les relations et à s’engager dans un véritable processus de paix et de négociations ;

13.2. à coopérer avec les médiateurs internationaux.

14. L’Assemblée appelle le Quartet à contribuer activement à l’établissement d’un climat positif, propice à la reprise des négociations de paix.

15. L’Assemblée est résolue à continuer à faciliter les relations entre les membres du Conseil législatif palestinien et la Knesset au niveau parlementaire. A cet égard, elle réaffirme son soutien à la création d’un forum tripartite au sein de l’Assemblée parlementaire, afin d’examiner les questions d’intérêt commun.

16. L’Assemblée décide par ailleurs d’associer plus étroitement les membres du Conseil législatif palestinien aux travaux de l’Assemblée parlementaire et de ses commissions au-delà du cadre de la Résolution 1245 (2001) de l’Assemblée sur le conflit du Proche-Orient et de les inviter systématiquement aux sessions plénières de l’Assemblée.

17. Sous réserve du respect des principes mentionnés ci-dessus, l’Assemblée charge également son Bureau d’envisager l’éventuelle mise en place d’un accord de coopération entre le Conseil législatif palestinien et l’Assemblée.

18. L’Assemblée estime que le Comité des Ministres doit réaffirmer son attachement à l’organisation de négociations dans le cadre du processus de paix avec toutes les initiatives diplomatiques et politiques possibles.

C. Les questions de société

1. La place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire

Le rapport sur ce texte a été présenté par M. Jacques Legendre, Président de la commission de la culture, de la science et de l’éducation :

« Nous le savons tous l’Europe est une mosaïque de langues, dont les aires de diffusion ne coïncident pas toujours avec des frontières nationales, spécialement dans la période que nous vivons, caractérisée par des remaniements de souveraineté et de nombreux déplacements de population. Nombreuses sont donc les personnes vivant sur le territoire de l’Europe dont la langue maternelle n’est pas la langue officielle de l’État dans lequel elles vivent. Quelle langue vont alors apprendre leurs enfants ?

Mes chers collègues, je propose d’affirmer sans ambages la légitimité de l’apprentissage et de la pratique de la langue maternelle. Ce terme même dit assez le sentiment intime et indéracinable de l’attachement au parler reçu de la mère et, bien sûr, aussi du père et de la fratrie.

A côté du respect de la langue d’origine, je vous propose d’affirmer également les droits de la langue officielle de l’État dont sont citoyens les locuteurs d’une langue d’origine différente tant il est vrai que l’on ne peut pas être véritablement citoyen d’un État dont on ne parle pas la langue officielle.

Je m’attacherai tout d’abord à inviter nos gouvernements à promouvoir le bilinguisme ou le multilinguisme, en m’appuyant notamment sur le rapport de M. Lüdi, professeur à l’Université de Bâle, terre de bilinguisme depuis la Renaissance.

Ainsi, chaque citoyen européen devrait pouvoir étudier sa langue maternelle ; chaque citoyen européen devrait également pouvoir parler la langue officielle, ou une des langues officielles du pays dont il ou elle est un citoyen.

Si je souhaite la promotion d’un bilinguisme «fort», c’est d’une part dans l’intérêt de l’enfant dont les capacités cognitives seront enrichies et les rapports sociaux plus harmonieux, tant avec les proches qu’avec les membres la société où cet enfant vit ; le bilinguisme est encore dans l’intérêt de l’enfant par l’ouverture sur le monde qu’elle procure, pour le plus grand profit enfin de notre Europe, qui a besoin non seulement d’adultes bien formés, mais aussi d’échanges multipliés dans la préservation d’une diversité culturelle à laquelle je suis, comme vous tous, particulièrement attaché.

Le Conseil de l’Europe et spécialement notre Assemblée sont pleinement dans leur rôle quand ils traitent des questions linguistiques selon une approche culturelle.

Je souhaite enfin écarter toute manipulation politique. Les questions linguistiques ont été utilisées parfois pour affirmer une position de pouvoir, un rapport de force ou pour légitimer une action subversive voire terroriste. C’est selon une approche culturelle que notre Assemblée a adopté de nombreuses recommandations visant toutes à la préservation de la diversité linguistique.

Notre commission a été saisie presque simultanément de la réforme de l’enseignement en Lettonie et de difficultés dans le système scolaire de la région transnistrienne de la République de Moldova. Aussi, a-t-elle décidé de joindre les deux questions qui mettent en cause le statut d’une langue d’origine différente de la langue officielle des deux États Lettonie et Moldavie.

J’insisterai sur le caractère de cette langue d’origine qui n’est ni un dialecte, ni une langue de diaspora ni, encore moins, une langue d’immigrés récents. Il s’agit, disons le mot, de la langue russe. C’est peu dire qu’il s’agit d’une «grande langue» et là m’adressant à nos amis Russes je leur demande : la langue est-elle seulement le support d’une identité politique ? N’est-elle pas également – s’agissant du russe, je dirai d’abord – la messagère d’une grande culture ?

Je n’évoquerai pas la persistance de l’anglais aux États-Unis et dans les pays du Commonwealth ; non plus que la diffusion du portugais au Brésil, de l’espagnol dans toute l’Amérique du Sud et même, vous me pardonnerez, du français dans un espace francophone comprenant une partie du Canada…

Par-delà les vicissitudes politiques de l’après 1989, la langue russe a toujours la même chance devant elle : troquer le statut problématique de langue de puissance pour une diffusion de la langue non seulement au niveau régional mais dans une dimension universelle, à la mesure du rayonnement de sa culture, de Pouchkine et Dostoïevski à Tolstoï…

C’est donc à la formation d’une double compétence linguistique que nous appelons non seulement les États en cause mais tous les États du Conseil de l’Europe : une compétence culturelle et affective avec l’enseignement et la diffusion des langues d’origine et une compétence sociale avec l’apprentissage de la, ou des langue(s) officielle(s), de l’État dont les locuteurs ont la citoyenneté.

Je saisis cette occasion pour inviter nos États à signer et à ratifier la Convention de l’Unesco visant à la préservation de la diversité culturelle.

Le modèle que le Conseil de l’Europe s’attache à promouvoir n’est-il pas à la fois celui du respect des cultures singulières et celui de la diffusion de valeurs partagées et de valeurs universelles ? Les questions linguistiques ne doivent pas être utilisées pour opposer les hommes. Ce qui nous importe, c’est de favoriser la compréhension, le respect et le dialogue. Une langue maternelle niée, c’est un homme blessé dans son identité même. Ce rapport a pour but de permettre à tous les hommes, dans le respect de leur personnalité et donc de leur langue, de trouver toutes les raisons de choisir toujours le dialogue et la paix. »

Premier intervenant français, M. Philippe Nachbar a appelé à dépasser les réflexes identitaires et à faire du multilinguisme un instrument de paix :

« Je tenais en premier lieu à féliciter mon collègue Jacques Legendre pour le rapport qu’il vient de nous présenter, car il a su excellemment replacer le problème de l’enseignement de la langue maternelle dans la problématique qui est celle de l’Europe aujourd’hui, c’est-à-dire un enjeu à la fois en termes culturels et en termes d’égalité des chances.

Si vous me permettez une remarque personnelle, je suis élu d’une région, la Lorraine, qui a été très longtemps partagée entre deux fidélités et deux langues, la langue allemande et la langue française parce qu’elle était partagée entre la France et le monde germanique. Nous savons mieux que quiconque le rôle qu’une langue peut jouer dans la formation des jeunes, dans le civisme, la formation intellectuelle et la formation à la cité des enfants. Je tenais à souligner ce point qui me paraît essentiel.

La valeur identitaire de la langue maternelle a bien souvent été mise au service de desseins politiques. Aujourd’hui, cette utilisation de la langue est dépassée. Le rapport de notre collègue Legendre a montré que d’un mal on pouvait faire un bien et à quel point, d’une utilisation politique de la langue, on pouvait faire un instrument de réconciliation et de paix. Cela est la logique même de l’action menée par le Conseil de l’Europe.

Élu au Sénat français en 1992, j’ai rencontré un homme, M. Jung, qui a présidé l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui m’avait dit avoir lui-même dans sa vie parlé plusieurs langues maternelles obligatoires : l’allemand, le français au gré des deux guerres mondiales qui ont endeuillé notre siècle.

Aujourd’hui, la langue est à la fois un instrument de développement culturel et un moyen de renforcer l’égalité des chances. Cela me paraît essentiel. Notre collègue de Puig disait à l’instant que, si l’on parlait une langue maternelle, on pouvait en parler deux, trois ou quatre. Je pense que le bilinguisme et le trilinguisme sont en effet une chance unique offerte aux enfants d’aujourd’hui, dans un monde totalement ouvert à une compétition internationale de plus en plus exacerbée. Le bilinguisme de l’Alsace ou d’une partie de la Lorraine est une ouverture sur le trilinguisme. Je crois qu’il faut aujourd’hui encourager la connaissance de plusieurs langues dès le plus jeune âge.

Je ne parlerai pas que de ma région. Je pense que dans de nombreux pays de l’est de notre Europe, frontaliers de la Russie, la connaissance de la langue russe et, par conséquent, l’apprentissage de deux cultures est une chance tout à fait unique pour ces peuples dans l’ouverture des frontières que nous connaissons aujourd’hui.

Si notre devoir est de préserver la diversité linguistique qui fait la richesse de notre Europe, nous devons surtout veiller à donner aux enfants du XXIème siècle la chance de participer à un échange et une ouverture du monde sans cesse accrus et nous ne réussirons à surmonter ces nouveaux défis qu’en passant au-dessus de tous nos réflexes identitaires. »

M. André Schneider a également défendu le multilinguisme, élément indispensable à la diversité culturelle :

« Dans le passé, notre Assemblée s’est souvent intéressée aux questions linguistiques. Le Conseil de l’Europe est à l’origine de la Charte européenne des langues minoritaires ou régionales. Notre collègue le rapporteur aborde la question de la place donnée à la langue maternelle dans l’enseignement scolaire et fait figurer dans son annexe les réflexions fort intéressantes de Georges Lüdi de l’université de Bâle, sur ce thème.

À l’issue des études menées dans ce domaine, une conclusion s’impose. Le bilinguisme ou plurilinguisme précoce présente de grands avantages pour les enfants sur les plans cognitif, social et émotionnel. C’est un facteur de réussite scolaire comme d’intégration culturelle.

À l’inverse, l’immersion précoce dans la langue dominante mais non maîtrisée au motif de l’intégration ne semble pas favoriser la réussite scolaire ultérieure. Cela est un résultat important car, bien souvent, le bilinguisme est chargé de représentations négatives. Pour certains, il représente une surcharge cognitive, pour d’autres, il ne permet qu’une identité métissée. Il arrive même qu’il favorise la perte de la culture d’origine. L’un des arguments les plus tenaces, c’est que les bilingues ne maîtrisent bien aucune des deux langues.

Les études faites dans ce domaine démentent ces inquiétudes.

Le professeur Lüdi rappelle pertinemment qu’au XIXème siècle et au début du XXème siècle, dans les sociétés occidentales un individu ayant deux cultures loin d’être considéré comme fiable, était plutôt vu comme un traître en puissance, la norme étant le monolinguisme. Le multilinguisme, dit-il, apparaissait comme une malédiction divine pesant sur l’homme depuis la tour de Babel. Il est bon de se souvenir de cela, même si aujourd’hui on voit dans la diversité des cultures et des langues une ressource précieuse et un facteur de cohésion internationale, notamment dans les régions frontalières. A mon tour, j’y insiste et c’est un Alsacien qui vous dit cela.

Une remarque de M. Lüdi est pour nous très frappante : il se demande si la vague de violence qui a frappé la France en novembre 2005 ne serait pas aussi le résultat de l’échec d’une politique éducative d’assimilation pourtant bien pensée. Cela nous impose de réfléchir profondément aux mécanicismes de cohésion sociale et de compréhension interculturelle.

Chaque citoyen européen devrait pouvoir étudier sa langue maternelle et chaque citoyen européen devrait pouvoir parler la langue officielle du pays dont il est citoyen, comme l’a rappelé si bien M. Legendre. A l’exception des langues officielles, c’est pour les langues minoritaires ancestrales que l’infrastructure de l’enseignement est la mieux développée. Un plan d’action 2004-2006 de l’Union européenne vise à promouvoir l’apprentissage des langues et la diversité linguistique.

Le Conseil de l’Europe doit s’attacher à rectifier les représentations négatives liées au bilinguisme qui font encore peur aux responsables politiques ou aux groupes linguistiques minoritaires. Le multilinguisme est une richesse et un signe d’ouverture à la diversité des cultures. Il faut donc le développer.

Monsieur le Président, mes chers collègues, je vous remercie de votre attention et je félicite M. Legendre pour son excellent rapport auquel j’apporte mon entier soutien. »

M. Jean-Pierre Kucheida a plaidé pour un développement de l’apprentissage des langues :

« Le linguiste français Claude Hagège estime qu’une langue disparaît «tous les quinze jours». Il en disparaît donc vingt-cinq chaque année. A ce rythme, si rien n’est fait, la moitié des quelque 6 000 langues parlées dans le monde sont menacées d’ici la fin de ce siècle.

Les causes des disparitions sont multiples : les conquêtes militaires, la faiblesse numérique et la dispersion géographique des locuteurs, la domination socio-économique, l’impérialisme culturel par exemples. Certains experts estiment qu’en 2100, les langues majoritaires seront l’anglais, comme langue universelle pour le commerce et les échanges scientifiques notamment, l’espagnol, en Amérique du Sud, le chinois et l’hindi en Asie, le swahili et le wolof en Afrique et l’arabe.

Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le processus de la mort d’une langue n’est pas nécessairement inéluctable. Les locuteurs qui ne veulent pas que leur langue disparaisse ont pourtant une solution : pratiquer le bilinguisme, voire le multilinguisme.

J’en profite pour féliciter M. Jacques Legendre pour son excellent rapport. En effet, le bilinguisme, ou le multilinguisme, regorge de bienfaits. Tout d’abord il facilite le développement intellectuel, mais aussi, évidemment le développement de la capacité à apprendre d’autres langues. Ensuite, il contribue à la réussite scolaire en faisant jouer pleinement leur rôle aux langues maternelles dans le développement intellectuel et affectif de l’élève. Par ailleurs, il favorise l’épanouissement culturel et l’intégration sociale des individus. Enfin les enfants bilingues auraient un cerveau plus performant, exécutant les mêmes tâches que les autres, mais avec moins d’effort cérébral. C’est ce que dit Katrien Mondt, chercheuse dans une université bruxelloise.

Il faut bien mettre en garde ceux qui pensent posséder la langue universelle. Pratiquer une seule langue va à l’encontre d’un vrai développement de l’intelligence. En plus, selon l’Unesco, l’analphabétisme pourrait accuser un sérieux recul dans le monde si l’on prenait en compte les besoins des enfants qui parlent des langues minoritaires. En effet, on estime que 476 millions d’analphabètes dans le monde sont des locuteurs de langues minoritaires, dont beaucoup ne s’écrivent pas, dans des pays où les enfants font leur scolarité dans une autre langue, souvent héritée de la période coloniale. Ainsi, dans beaucoup de pays où les gens parlent une langue différente de celle pratiquée par leur administration, les programmes bilingues qui démarrent par une éducation de base dans la langue maternelle sont les plus efficaces.

Pour que le bilinguisme ait la meilleure chance de réussite, il faudrait enseigner les langues dès la maternelle. Selon Gilbert Dalgalian, chercheur, l’acquisition d’une deuxième langue doit se faire avant l’âge de 7 ans car il s’agit d’une acquisition naturelle avant cet âge, mais d’un apprentissage volontaire et organisé après cet âge. Avant 7 ans environ, on est à l’âge du langage. Passé l’âge du langage, on n’apprend plus que des langues.

Ainsi, je pense que grâce au bilinguisme et au multilinguisme, comme le disait M. de Puig, les liens entre les générations pourront se resserrer, l’ouverture aux autres et aux autres cultures sera favorisée et surtout, les enfants seront plus aptes à comprendre et respecter la différence, ce qui développera sans aucun doute leurs capacités de tolérance et les aidera à construire un monde meilleur. »

M. Jean-Marie Geveaux, après avoir donné des précisions sur le système français d’enseignement des langues, a, à son tour, insisté sur l’importance du multilinguisme pour la promotion de la diversité culturelle :

« Le sujet proposé à notre discussion est à la fois important et très complexe.

Important car ses enjeux sont essentiels. Ce dont il s’agit ici, c’est de l’éducation de nos enfants mais aussi de la manière d’intégrer des populations immigrées dans un pays ou encore du respect de la promotion de la diversité linguistique et donc culturelle.

Mais ce sujet est aussi très complexe.

D’une part, il pose clairement la question de l’enseignement bilingue dont l’intérêt et les modalités ont fait l’objet de nombreuses controverses théoriques. Le rapport qui nous est soumis a le mérite de prendre une position claire en affirmant que loin d’être un handicap, le bilinguisme est un atout. N’étant pas spécialiste de ces questions je ne prendrai pas position sur ce point, tout en me félicitant de cette conclusion.

D’autre part, le rapport et le projet de recommandation visent des situations très diverses puisqu’ils concernent des pays à langue officielle unique, comme la France, mais aussi des pays à langues officielles multiples, comme la Suisse ou l’Espagne, des pays à langues minoritaires, tels que de nombreux pays d’Europe de l’Est, ou encore des pays où l’importance de l’immigration varie considérablement. Faire des propositions dans un texte unique pour des situations aussi contrastées était incontestablement un défi difficile que notre rapporteur a, à mon sens, relevé avec courage et succès. Je tenais à l’en féliciter.

Les problèmes soulevés sont multiples aussi me limiterai-je à des considérations sur la situation de mon pays et sur l’importance du bilinguisme pour la pérennité de la diversité culturelle. La France place clairement la maîtrise de la langue française parmi les objectifs principaux à l’école. Cette priorité figure dans la loi d’orientation pour l’avenir de l’école votée en avril 2005 mais répond en fait à une pratique très ancienne puisque la République française s’est construite autour d’un modèle de citoyenneté fondé sur le dépassement des particularismes. Dans ce cadre, la langue française a joué un puissant rôle d’intégration et d’unification.

A la différence d’autres pays, si la France reconnaît l’égale dignité des cultures, elle ne reconnaît pas en tant que telles les minorités linguistiques. C’est pourquoi il faut bien admettre que les langues régionales ont longtemps été maltraitées, voire interdites à l’école, avant de bénéficier aujourd’hui d’une certaine reconnaissance notamment dans notre système scolaire. Cela explique aussi pourquoi la France n’a pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, comme y appelle ce projet de recommandation. Cette position ne signifie pas un refus de ces langues mais correspond à la tradition républicaine française et à une conception de la citoyenneté et de l’unité nationale.

Ce souci de voir maîtriser la langue française se retrouve dans les dispositifs spécifiques d’accueil et de mise à niveau linguistique des enfants de migrants dont ont bénéficié plus de 40 000 jeunes non francophones en 2005.

L’enseignement des langues étrangères fait donc l’objet d’un réel effort en France mais, aller plus loin et prendre en compte l’ensemble des langues maternelles des élèves paraît impossible compte tenu de la grande diversité d’origine des migrants et des contraintes budgétaires. Cette impossibilité se retrouve aussi sur le plan pratique car certaines classes rassemblent plus d’une dizaine de nationalités différentes. Ces réalités s’imposent à nous mais aussi, je pense, à de nombreux autres pays membres du Conseil de l’Europe.

Je voudrais terminer mon intervention en insistant sur l’importance du multilinguisme pour le respect et la promotion de la diversité culturelle. La Charte récemment adoptée à une écrasante majorité à l’Unesco montre, s’il en était besoin, que cet objectif est partagé par la quasi-totalité des pays. Dans les pays non anglophones, l’apprentissage obligatoire de deux langues étrangères est le plus sûr moyen de s’opposer à la domination de l’anglais appauvri qui tend à faire office de langue internationale et de favoriser ainsi la diversité culturelle.

En se prononçant pour le bilinguisme et le multilinguisme, le rapport qui nous est présenté va donc dans le bon sens, celui de l’ouverture à l’étranger, de la compréhension entre les peuples, du respect de la diversité culturelle. »

M. Jean-Claude Mignon a dénoncé les dangers d’un « unilinguisme rampant » :

« À mon tour, je tiens à féliciter notre ami Jacques Legendre, pour l’excellent rapport dont il nous gratifie. Comme la plupart des rapports présentés dans cette assemblée, il est d’une grande qualité. Il est bien dommage qu’ils ne soient pas suffisamment pris en considération par les autres instances internationales ou même par les pays composant le Conseil de l’Europe. Dans bien des cas, on devrait s’inspirer du travail qui est réalisé dans cette enceinte.

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’attention avec laquelle la place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire est envisagée. De la même façon, nous remarquons avec intérêt l’appel à la promotion du plurilinguisme. Effectivement, les bienfaits que peuvent retirer les enfants de la maîtrise simultanée de plusieurs langues sont nombreux. De même, l’Europe, mosaïque de peuples et de langues, peut en retirer beaucoup de profits.

Cependant, si le rapport part du constat de la difficile cohabitation entre des langues minoritaires et des langues officielles, notamment à l’Est de l’Europe, il semble que nous puissions également nous interroger sur un autre schéma d’enseignement bien peu respectueux de la diversité linguistique.

Ainsi, alors que les échanges transfrontaliers ne cessent de se développer, le bilinguisme dans les frontières décroît. Nous le savons, les élèves ne choisissent plus les langues de leurs voisins mais plutôt l’anglais. Dans treize pays européens, les élèves sont obligés d’apprendre l’anglais au cours de leur scolarité obligatoire, voire au-delà dans certains pays. Dans tous ces pays, le pourcentage d’élèves qui apprennent cette langue au niveau secondaire est donc logiquement supérieur à 90 %. Toutefois, dans les autres pays, le choix des élèves se porte aussi massivement sur cette langue puisque le pourcentage des élèves qui l’apprennent avoisine presque partout les 90 % également.

La plupart des pays qui imposent l’apprentissage de l’anglais à un moment ou à un autre de la scolarité obligatoire, avaient déjà adopté cette politique en 1982-1983. La Grèce, la Lettonie et le Liechtenstein font toutefois exception. De plus, depuis 2003-2004, les élèves en Italie sont obligés d’apprendre l’anglais dès la première année du niveau primaire. Ces mesures indiquent qu’il existe donc en Europe une tendance croissante à imposer l’apprentissage de l’anglais.

Tous les pays d’Europe centrale et orientale où le russe était une langue imposée dans les années 80 ont abandonné cette politique dès le début des années 90. Dans les trois pays baltes, le russe était une langue prescrite dans les années 80 : mais elle n’était même pas considérée comme une langue étrangère.

De même, alors que les dénonciations de politiques linguistiques hégémoniques à l’égard des langues régionales et minoritaires se multiplient de la part des instances européennes, ces mêmes instances se limitent de plus en plus souvent à une langue de travail, par exemple la recommandation 1383 relative à la diversification linguistique, la recommandation 1539 relative à l’année européenne des langues, la recommandation 1688 relative aux cultures de diaspora.

Comment prôner le respect des langues minoritaires et encourager la maîtrise de plusieurs langues lorsque nos institutions semblent l’oublier ? Il convient ainsi d’élargir le débat, sans fausse hypocrisie, en dénonçant certes les dangers de certaines politiques mais en faisant également référence au danger qui nous guette tous, celui de l’unilinguisme rampant. »

En réponse aux différents orateurs, M. Jacques Legendre a apporté les précisions suivantes :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, je vous remercie de la très large approbation qui ressort de vos différentes interventions quant à l’esprit du rapport.

S’agissant d’un sujet complexe, il fallait apporter des réponses claires et, d’abord dire que nous devons concilier la nécessité pour tout jeune citoyen de connaître la langue de l’État dans lequel il sera appelé à vivre et le fait que pour maîtriser cette langue, il est souvent utile de partir de sa langue maternelle : et il est tout aussi légitime de vouloir comprendre la langue de ses parents, de ses frères et sœurs. Bref, tout cela n’est pas contradictoire.

Oui mais, se pose assez vite le problème de la pratique. Je partage tout à fait ce qu’en a dit Mme Fischer. J’ai accepté son amendement car, l’apprentissage de la langue maternelle ne peut se faire que dans la mesure où il est possible et raisonnable. Néanmoins le souci du pragmatisme ne doit pas dispenser les États de comprendre combien il est important de s’appuyer sur les acquis de la langue maternelle pour permettre à leurs citoyens de bien maîtriser deux langues, la langue maternelle, qui est souvent une richesse pour le pays dans lequel on l’apprend, et la langue de l’État, qu’il est nécessaire et indispensable d’apprendre. En aucun cas, la connaissance de la langue maternelle ne doit se faire contre et au détriment de la langue de l’État. Que les choses soient également bien claires sur ce point.

Vous avez souhaité que l’on établisse une différence entre les langues des minorités enracinées – que l’on peut parfois qualifier de langues ethniques - et les langues de l’immigration. Or l’immigration nous pose de plus en plus de problèmes lorsqu’il s’agit d’assurer la maîtrise par les enfants qui en sont issus de la langue de l’Etat d’accueil pour l’apprentissage de laquelle il est souvent utile de s’appuyer sur la langue maternelle des immigrants quand cela est possible. On peut aussi distinguer les langues “déterritorialisées”. Il est donc difficile d’examiner les sujets dont nous traitons uniquement sur le plan des droits linguistiques des minorités.

Voilà pourquoi, Monsieur Cilevičs, je me crois souvent très proche de ce que vous exprimez mais nous avons souhaité, dans les amendements, bien distinguer ce qui relève du traitement des minorités régionales et ce qui relève de la politique linguistique et culturelle.

C’est un problème politique, puisque les États ont souvent des politiques linguistiques, mais il faut aller au-delà. C’est d’abord un problème culturel, un problème qui est celui du droit des citoyens. Car les États ne peuvent interdire l’usage d’une langue et contraindre à l’usage d’une autre langue. Cela s’est peut-être fait par le passé. Mais la notion selon laquelle l’usage d’une langue résulterait d’un rapport de force ou d’une décision de caractère impérial est une notion dépassée. Elle n’est pas dans l’esprit du Conseil de l’Europe. C’est aussi ce que nous avons voulu rappeler à l’occasion de ce rapport. »

A l’issue de ses débats l’Assemblée a adopté la recommandation n°1740 :

1. L’Assemblée parlementaire estime que des considérations d’ordre différent influencent la place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire. Il y a le droit, aussi bien le droit à l’éducation que le droit à une identité culturelle. Il y a la sauvegarde du patrimoine linguistique, européen et mondial, il y a la promotion du dialogue et des échanges par la diversité linguistique et il y a les considérations pédagogiques, sans compter l’utilisation politique qui est souvent faite de cette question.

2. De par le passé, l’Assemblée s’est souvent occupée de questions linguistiques. Les Recommandations 814 (1977) relative aux langues vivantes en Europe, 928 (1981) relative aux problèmes d’éducation et de culture posés par les langues minoritaires et les dialectes en Europe, 1203 (1993) relative aux Tsiganes en Europe, 1291 (1996) relative à la culture yiddish, 1333 (1997) relative à la langue et à la culture aroumaines, 1353 (1998) relative à l’accès des minorités à l’enseignement supérieur, 1383 (1998) relative à la diversification linguistique, 1521 (2001) relative à la culture de la minorité csango en Roumanie, 1539 (2001) relative à l’Année européenne des langues et 1688 (2004) relative aux cultures de diaspora, ainsi que la Résolution 1171 (1998) sur les cultures minoritaires ouraliennes en danger sont pertinentes.

3. Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle l’importance des instruments adoptés par le Conseil de l’Europe tels que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148), ainsi que ceux adoptés par d’autres instances, tels que la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

4. Il serait souhaitable de favoriser, dans la mesure du possible, l’apprentissage par les jeunes Européens de leur langue maternelle (ou langue principale), quand celle-ci n’est pas une langue officielle de l’Etat dont ils sont ressortissants.

5. Parallèlement, tout jeune Européen a le devoir d’apprendre une langue officielle de l’Etat dont il est citoyen.

6. La langue dans laquelle l’enseignement est prodigué joue un rôle essentiel dans la mesure où la maîtrise de cette langue est la clé pour les processus de communication en classe et, par conséquent, pour l’acquisition des connaissances par les élèves. De nombreuses recherches ont confirmé que des formes d’enseignement fondées sur la langue maternelle augmentent significativement les chances de réussite scolaire, voire donnent de meilleurs résultats.

7. Dans les sociétés européennes, la pratique courante de la langue officielle est la principale condition préalable à l’intégration des enfants dont la langue principale diffère de la langue officielle du pays ou de la région. De nombreuses recherches aboutissent pourtant au même résultat : la scolarisation immédiate de ces enfants dans une langue qu’ils maîtrisent insuffisamment, ou pas du tout, compromet sérieusement leur réussite scolaire. Un enseignement bilingue, axé sur la langue maternelle, constitue au contraire la base d’un succès à long terme.

8. Des études récentes ont démontré que les idées selon lesquelles chaque langue est liée à une culture particulière et que le bilinguisme finit par exclure la personne des deux cultures à la fois sont fausses. L’idée selon laquelle le bilinguisme ou le plurilinguisme est une charge pour les élèves est, elle aussi, fausse, il s’agit plutôt d’un atout.

9. Il existe différentes formes de soutien du bilinguisme enfantin par les systèmes éducatifs. Elles se distinguent par leurs objectifs politiques : maintenir une langue minoritaire, revitaliser une langue de moindre diffusion ou intégrer des enfants alloglottes dans la société dominante. Dans tous ces cas, des modèles d’enseignement bilingue appropriés existent. Leur choix dépendra d’une réflexion préalable et d’une décision transparente, négociée avec les personnes concernées, sur les objectifs visés.

10. Les modèles forts d’enseignement bilingue, qui visent à faire bénéficier le futur adulte d’une véritable compétence bi/plurilingue, présentent de nombreux avantages par rapport aux modèles faibles, qui considèrent le bilinguisme non pas tant comme un but en soi que comme un stade intermédiaire entre le monolinguisme en langue maternelle et le monolinguisme en langue officielle. Ces avantages concernent aussi bien les personnes qui bénéficient de ces modèles que les sociétés qui les offrent. Mais, dans tous les cas, la condition de réussite est que les programmes d’enseignement bilingue durent plusieurs années.

11. Il convient d’être particulièrement attentif au cas de langues régionales parlées exclusivement dans un pays à langue officielle différente, ou parlées dans plus d’un pays, mais sans être langue officielle dans aucun d’eux, ainsi que dans le cas de langues déterritorialisées ou de la diaspora. Un soutien important par les systèmes éducatifs peut être la condition même de la survie de ces langues.

12. Par conséquent, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres :

12.1. de répertorier les différents modèles et formes d’enseignement bilingue en Europe ;

12.2. de promouvoir les échanges et les rencontres des professionnels impliqués dans l’enseignement bilingue ;

12.3. de rédiger une recommandation à l’intention des gouvernements des Etats membres les invitant :

12.3.1. à développer l’enseignement bilingue et plurilingue en se basant sur les principes exposés ci-dessus ;

12.3.2. à favoriser le développement de répertoires enfantins plurilingues et à soutenir de façon cohérente toutes les langues du répertoire enfantin ;

12.3.3. à proposer, chaque fois que cela est approprié et utile, un soutien fort dans la langue maternelle aux enfants dont celle-ci n’est pas la langue officielle de l’Etat ; 

12.3.4. à valoriser les langues menacées auprès des parents et des communautés afin de soutenir et de renforcer leur volonté de soutenir la langue ;

12.3.5. à élaborer et à mettre en œuvre des politiques relatives à l’usage des langues dans l’éducation, dans un dialogue ouvert et une concertation permanente avec les groupes linguistiques concernés ;

12.4. d’inviter les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à signer ou à ratifier les instruments pertinents adoptés par le Conseil de l’Europe et par l’UNESCO.

2. Pauvreté et lutte contre la corruption

M. Alain Cousin a ouvert les débats sur ce thème en présentant le rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille : « Pauvreté et lutte contre la corruption dans les États membres du Conseil de l’Europe, un vrai défi ! »

« La lutte contre la corruption n’est pas seulement une question de morale, c’est aussi un moyen efficace de lutter contre la pauvreté. Des études récentes ont montré qu’il existait un lien direct entre les conséquences désastreuses de la corruption et les problèmes sociaux liés à un faible niveau de vie.

La pauvreté peut prendre plusieurs formes : pauvreté matérielle, pauvreté culturelle ou précarité statutaire. La pauvreté se caractérise souvent par un cumul des handicaps matériels, culturels, sanitaires voire physiques et affectifs. La corruption entraîne ainsi une violation flagrante des droits de l’homme et affecte la vie des citoyens.

Pauvreté et corruption : des faits, des chiffres.

D’abord, tentons une définition. La pauvreté et la corruption ont pour point commun de faire référence aux facteurs «revenus» et d’établir un lien avec le produit intérieur brut par habitant. Néanmoins, la définition de la pauvreté ne se limite pas aux seuls aspects économiques. La pauvreté peut aussi, et à juste titre, être définie comme un phénomène complexe. Au-delà du facteur «revenus», la pauvreté se mesure par rapport aux niveaux d’éducation et de santé, aux problèmes de santé et aux pertes de revenus, à la criminalité et à la discrimination ou encore par rapport à l’accès limité aux services publics et sociaux.

La corruption se présente sous diverses formes. Elle peut se manifester par l’ingérence exercée dans leur propre intérêt par des individus, groupes ou entreprises puissants dans l’élaboration de lois, réglementations, décrets et autres politiques gouvernementales au risque de menacer le développement d’une économie de marché compétitive et équitable.

La corruption peut également avoir pour cause une administration qui viendrait à procurer des avantages à des acteurs, étatiques ou non. Elle peut se manifester par le versement de commissions illicites dans le secteur des marchés publics afin de remporter des offres, ou le versement de pots-de-vin dans les services publics, afin de faire bénéficier certains de passe-droits.

Parmi les facteurs généraux qui favorisent la corruption ou l’entretiennent, on citera entre autres l’absence de liberté de la presse et des médias, le mauvais fonctionnement du système judiciaire – manque d’autonomie –, l’excès de réglementation bureaucratique, le manque de dispositions légales réglementant les finances politiques et leur application ainsi que des réglementations en matière d’immunité de portée très étendue pour les hommes politiques.

Le secteur des marchés publics est l’un des domaines les plus exposés à la corruption en raison des nombreuses possibilités de malversations et de versements de pots-de-vin.

Au-delà de cette tentative de définition, en quelques mots, quelle est l’interaction entre la pauvreté et la corruption ? La Banque mondiale a désigné la corruption comme l’«obstacle» le plus important au développement économique et social.

La corruption provoque ainsi une réaction en chaîne. Elle ponctionne indûment les fonds publics, ce qui entraîne des réductions de ressources financières indispensables pour les services publics sociaux – soins de santé, éducation, lutte contre la pauvreté – et l’accroissement des inégalités en matière de qualité de vie. Cette situation a des conséquences très lourdes sur l’environnement économique, compte tenu de la perte de confiance des investisseurs nationaux et étrangers.

Enfin, la corruption menace la cohésion sociale et la démocratie même, car elle met en péril les principes d’égalité de justice et de représentation équitable.

Que pouvons-nous dire s’agissant de la pauvreté et de la corruption dans les États membres du Conseil de l’Europe ?

Dans les jeunes démocraties d’Europe orientale et centrale et les économies dites «en transition», après le processus de mise en place d’une économie de marché, de la création de nouvelles institutions politiques et sociales et de la redistribution des actifs sociaux, la conséquence la plus immédiate et la plus visible de la transition est la baisse du niveau de vie pour de nombreux citoyens. La pauvreté s’est aggravée dans tous ces pays au cours de ces dix dernières années. Le PIB a reculé de 15 % et malgré une certaine reprise, les taux de pauvreté sont restés élevés, car les revenus des pauvres n’ont pas connu de progression alors que les systèmes de protection sociale restent inadaptés.

J’en viens aux mesures à prendre pour lutter contre la corruption. Certains pays en transition d’Europe centrale et orientale ont mis en œuvre des mesures qui se sont révélées efficaces : elles peuvent constituer un instrument adéquat pour empêcher que la pauvreté ne progresse à cause de la corruption.

A cet instant, je saluerai l’initiative de nos collègues roumains qui m’ont fait parvenir une note relative aux mesures adoptées chez eux pour lutter contre la corruption. Je veux ici les remercier chaleureusement pour leur importante contribution.

Parlons encore de l’augmentation de la croissance économique et de la mise en place d’une répartition des revenus plus équitable, du renforcement des institutions de gouvernance, de l’amélioration des services gouvernementaux tels que la santé et l’éducation. Avec une confiance accrue du public dans le gouvernement, ces objectifs devraient être des objectifs à atteindre par le biais de mesures destinées à imposer des garde-fous institutionnels au pouvoir. Il s’agit de créer et de renforcer la responsabilité politique, la participation de la société civile dans un secteur privé compétitif tant au niveau national qu’au niveau régional et local.

La décentralisation, mise en œuvre dans la plupart des pays en transition d’Europe centrale et orientale, est considérée comme une solution pour améliorer l’efficacité du secteur public et le rendre mieux à même de répondre aux besoins des pauvres, à condition que les autorités décentralisées aient une forte capacité administrative et de solides mécanismes de responsabilité. Si ces conditions ne sont pas réunies, la corruption peut même s’aggraver et réduire l’accès aux services sociaux de base, comme c’est le cas dans les États baltes.

J’en arrive à ma conclusion et à des suggestions au niveau de l’administration publique et des autorités locales et régionales : simplifier les procédures bureaucratiques ; définir des règles relatives à la divulgation d’informations pour les fonctionnaires publics concernant leurs revenus et leurs actifs afin de révéler des conflits d’intérêt ; accroître la transparence dans l’administration publique, par la publication d’informations concernant les fonds et les budgets publics ; établir des règles sur l’attribution des marchés publics ; promouvoir des mesures d’incitation pour que les fonctionnaires publics s’acquittent correctement de leurs tâches et s’abstiennent de commettre des actes de corruption en leur garantissant une rémunération suffisante par rapport à leur poste et en les motivant par des recrutements et des promotions au mérite ; introduire une plus grande concurrence dans les grands secteurs d’activité en abaissant les barrières à l’entrée et en demandant une restructuration compétitive ; garantir bien entendu l’indépendance des médias.

Enfin, suggestions au niveau judiciaire : accroître la crédibilité du système judiciaire en renforçant l’indépendance et la transparence du pouvoir judiciaire et en adaptant les fonctions au budget et à la capacité existants.

L’Assemblée parlementaire recommande également aux parlements nationaux des États membres : d’élaborer une législation sur le financement des partis politiques ; de doter les parlements d’une comptabilité publique et de comités d’audit ainsi que du pouvoir de demander la divulgation de documents gouvernementaux ; de renforcer la participation de la société civile par la délégation de tâches telles que la formulation de plans d’action pour lutter contre la corruption ou la supervision du comportement des pouvoirs publics à cet égard.

Chers collègues, il s’agit là d’un chantier essentiel pour nos démocraties, pour des démocraties jeunes bien sûr, mais aussi pour des démocraties plus anciennes car pour elles, une vigilance constante s’impose. Ensemble, nous devons faire preuve de détermination mais aussi de beaucoup d’humilité ! »

Mme Josette Durrieu a évoqué la situation en Transnistrie :

« Je tiens d’abord à remercier le rapporteur pour cet important travail, qui ne fait que commencer, car le problème ne sera certainement pas résolu ce soir !

Pour commencer, j’évoquerai un point concret, pour une zone que je connais bien, à savoir la Transnistrie, un petit espace situé entre la Moldova et l’Ukraine, de l’autre côté du Dniepr. Aujourd’hui, un morceau de la Moldova est encore dans une situation à préciser, avec un gouvernement autoproclamé à la tête duquel se trouve M. Smirnov et toute une famille.

Cette zone est la plaque tournante de tous les trafics – évalués à plus de six milliards de dollars – qui transitent par l’Ukraine, notamment par le port d’Odessa : alcool, tabac, poulets venus de Chine, femmes, bien entendu, et armes. Il y a là le reliquat de la quatorzième armée russe, vingt mille tonnes de matériel, un millier de soldats, des valises radioactives, une trentaine ou une quarantaine de fusées !

Bref, il s’agit d’un problème à la fois politique et économique. Une fois posé, on peut dire que rien ne se fera sans la Russie ni contre la Russie. Ce problème ne peut être résolu sans elle. Je regrette d’ailleurs qu’il n’y ait plus de collègues russes ici présents.

L’Ukraine, directement concernée depuis la révolution Orange, a voulu engager une démarche de normalisation de la situation. Elle propose d’ailleurs des plans, ce qui est louable. L’Ukraine et la Moldova ont sollicité l’Union européenne pour mettre en place des mesures d’accompagnement. Une mission d’accompagnement des contrôles de la frontière est en place depuis le 3 mars 2006. Je m’y suis rendue en mission avec mon collègue le rapporteur, du 3 au 16 mars. Nous avons remonté toute cette frontière qui est l’objet de tous les trafics, de Kishinau à Tiraspol et de Tiraspol à Odessa. Il y a là un contingent qu’on appelle le COPS, avec un général hongrois, mais aussi un représentant spécial de l’Union européenne, l’ambassadeur Jacabovits.

Nous avons rencontré tout le monde en essayant de comprendre ce qui se passait. On tente de contrôler les exportations et les importations et, surtout, le transit de toutes les marchandises qui passent par là. Contrôler signifie imposer un certain nombre de documents, exiger l’octroi de visas et de tampons. Je vous passe les détails. Bref, on essaye d’évaluer et de maîtriser le trafic.

La Moldova, et il convient de saluer nos collègues représentant ici l’État moldave, consent des efforts énormes et cherche à engager le processus de régularisation. L’Ukraine aussi, mais insuffisamment. Une rencontre à Odessa avec le directeur des douanes ukrainien fut un moment sublime. Il fallait une bonne dose d’humour pour accepter ses réponses. Ce sera un test pour l’Ukraine qui ne peut pas faire des propositions sans gérer la suite.

La Transnistrie a généré un autoblocus. Elle empêche toutes les marchandises de sortir et de rentrer. La Russie accompagne les démarches de la Transnistrie. Les dernières informations que je viens d’obtenir laissent supposer que ce jeu est très dangereux et qu’il faut le dénoncer. Je le fais !

A la tête de la Transnistrie, il y a la famille Smirnov. Il existe une société-écran, la société Sherif, créée en 1994 par un fils Smirnov, Oleg Smirnov, élu député il y a trois mois, tandis qu’un autre était directeur des douanes. Aujourd’hui, cette société Sherif qui détourne un milliard de dollars dans ses transactions, vient de remporter les élections, en décembre 2005. Dans le Parlement, qui compte 43 sièges, la société Sherif détient vingt-trois sièges. Le Président du Parlement est un ancien cadre de la société Sherif. Voilà un exemple concret de corruption au niveau d’un État ! »

M. Jean-Guy Branger a plaidé pour un renforcement de la lutte contre la corruption :

« L’Union européenne, en s’élargissant, a d’ores et déjà repoussé la frontière de l’espace économique commun jusqu’aux confins de la Russie, de la Biélorussie, de l’Ukraine, des Balkans et de la Turquie.

Le différentiel de développement entre les États du nouveau voisinage et l’Union européenne provoque inévitablement des tensions. Notre collègue fait un constat sans concession de ces tensions: la pauvreté explique la vulnérabilité à la corruption, les détournements et les malversations qui affectent aussi bien les services publics, en particulier le système judiciaire, que le système privé et même les ONG.

La Banque mondiale souligne même que la corruption constituerait désormais le principal obstacle au développement économique et social.

Notre rapporteur donne judicieusement sa vraie dimension aux ravages de la corruption, spécialement quand elle touche les organes de régulation sociale : justice, police, douane et les structures de l’État de droit, qui comprennent le cadastre et les banques. En effet, un État peut avoir les apparences d’une démocratie formelle, alors même que la corruption mine non seulement ses structures, mais aussi l’effectivité de la garantie des droits de l’homme.

Ainsi, la corruption peut menacer la stabilité politique même d’États que l’on croyait gagnés à la démocratie et ipso facto notre propre stabilité. Qui peut prendre la décision d’investir dans un État où les contrats ne sont pas respectés, où le droit bancaire n’existe pas, où la justice même ne fait pas appliquer la loi ? Et sans investissements, comment un État peut-il espérer se développer ?

La circulation d’argent sale suit alors, à très court terme. C’est un cercle vicieux, contrariant tout développement. J’approuve donc tout à fait les mesures que notre rapporteur propose à nos gouvernements pour sortir de ce cercle vicieux de la pauvreté, cause et conséquence de la corruption.

En particulier, les États les plus développés du Conseil de l’Europe doivent aider, y compris financièrement, les secteurs les plus sensibles comme le système judiciaire. Non seulement il convient d’inviter les gouvernements à respecter les normes anticorruption et les recommandations du GRECO, mais encore il faut se garder de céder sans précaution à des demandes de fonds dont la gestion locale pourrait contribuer à alimenter des circuits parallèles.

C’est dans la perspective de propositions équilibrées entre aides et réformes que j’apporterai mon plein soutien à la Résolution contenue dans le rapport de notre collègue Alain Cousin. »

M. Jean-Marie Geveaux, après avoir rappelé que la corruption constituait un obstacle majeur au développement, s’est prononcé pour une mobilisation des Parlements pour lutter contre ce phénomène :

« Monsieur Cousin rappelle dans son rapport qu’il n’existe pas au niveau international de définition générale de la corruption, mais on s’accorde à la définir comme l’abus de pouvoir par des dirigeants politiques et/ou l’abus de fonctions publiques à des fins personnelles (ou au profit des partis politiques).

Cette corruption est multiforme, elle touche le secteur public comme le secteur privé, les ONG et les organisations gouvernementales, comme il est indiqué dans le rapport de l’Assemblée.

Il s’agit d’un phénomène en contradiction totale avec les principes de ce qu’on appelle «la bonne gouvernance» et, dans cette mesure, parfaitement contraire à la philosophie qui sous-tend l’action du Conseil de l’Europe depuis son origine.

La corruption n’est pas seulement moralement répréhensible, elle est aussi un obstacle majeur au développement économique et à l’éradication de la pauvreté, tout en majorant les conséquences des inégalités économiques et sociales.

En effet elle est un obstacle à l’accumulation des capitaux au niveau interne et fait fuir les capitaux étrangers. Il faut toutefois reconnaître que la corruption est souvent due aux bas salaires, à la pauvreté, au manque de respect pour le travail, à l’ignorance et à l’analphabétisme. C’est une spirale négative. Et toute action entreprise pour porter remède à ces maux de société, et notamment celles engagées au titre de l’aide au développement, constitue un moyen de lutter contre ce fléau.

L’éducation est aussi un facteur essentiel de lutte contre la corruption. Les femmes ont peut-être ici un rôle spécifique à jouer dans la lutte contre la corruption : en tant que mère et qu’épouse, et en tant que professionnelle.

Trois conditions semblent favoriser la corruption : l’existence de monopoles étatiques, l’existence d’un pouvoir discrétionnaire et l’absence de responsabilité, notamment des hommes qui détiennent le pouvoir économique ou politique.

Les parlements élus pour représenter le peuple et qui ont des responsabilités constitutionnelles consistant à légiférer et à contrôler l’action de l’exécutif, ont un rôle de premier plan à jouer dans la lutte menée à l’échelle mondiale pour éradiquer la corruption.

Les parlements peuvent et doivent adopter les législations qui s’imposent, et contribuer activement à la ratification des instruments internationaux pertinents. Ils devraient également tirer parti des mécanismes constitutionnels, parlementaires et autres mécanismes juridiques disponibles pour assurer une gestion publique pleinement responsable et totalement transparente, en particulier en assumant pleinement leur fonction de contrôle.

Les parlements doivent aussi pouvoir compter sur le concours des institutions supérieures de contrôle des finances publiques de leurs pays respectifs. Celles-ci ont un rôle majeur à jouer sous forme de contrôle des dépenses et de l’action des gouvernements, et de promotion d’une gestion financière saine et de la responsabilité de l’administration publique.

Les parlements doivent eux-mêmes promouvoir et favoriser l’intégrité, la confiance et la légitimité. Cela exige notamment que les processus d’élection soient transparents et réguliers et assurent une représentation équitable de la société, et que leurs règles de gestion soient claires et inattaquables.

Par ailleurs, la coopération internationale s’impose notamment entre parlementaires afin d’intensifier l’échange des bonnes pratiques et de coordonner les efforts de lutte contre la corruption.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’apporte mon complet soutien au rapport préparé par M. Cousin. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est pleinement dans son rôle en recommandant aux gouvernements des Etats membres d’élaborer ou de renforcer des plans d’action pour la gestion des finances dans le secteur public et le secteur privé, et de prendre les mesures administratives et disciplinaires adéquates. »

M. Alain Cousin a ensuite répondu aux intervenants :

« Quelques mots pour remercier l’ensemble de mes collègues de leurs interventions non sans rappeler qu’il n’était pas question dans mon propos de stigmatiser les pays pauvres. La pauvreté est bien entendu un fléau que personne ici, quelle que soit sa sensibilité, ne peut supporter. Puisque l’action de Transparency International a été évoquée, je souligne que nous avons reçu les responsables de cette organisation au sein de la commission. Leur travail, particulièrement efficace et intéressant, a enrichi notre rapport de manière très importante.

La pauvreté et la corruption – les deux phénomènes sont hélas liés – constituent un véritable défi pour nous tous. C’est vrai pour l’ensemble de la planète mais aussi pour les États membres du Conseil de l’Europe. Les démocraties émergentes sont particulièrement concernées car un ensemble de mécanismes doit être mis en œuvre, de nouvelles habitudes doivent être prises sur le plan de la liberté, des réglementations, et des lois doivent être adoptées. Un tel travail demande bien entendu un certain temps. Il n’en reste pas moins que la vigilance doit être de mise également pour les démocraties plus anciennes. Je pense notamment à la France, mais aussi à l’ensemble des pays occidentaux. Pour lutter contre la corruption et contre la pauvreté, il fallait que nous fassions preuve ensemble d’une immense détermination, ce qui n’exclut pas une grande humilité de la part de chacun d’entre nous. »

L’Assemblée a conclu ses débats sur ce point en adoptant la résolution n°1492 :

1. L’Assemblée parlementaire constate que, malgré les mesures adoptées par les Etats membres du Conseil de l’Europe, la corruption est encore un phénomène très présent dans certains pays européens où les ressources sont souvent détournées pour alimenter des économies parallèles.

2. La corruption affecte le fonctionnement des services publics, entraînant ainsi des répercussions graves sur la gestion des fonds publics en général et sur le système judiciaire en particulier.

3. Toutefois, elle se manifeste également dans le secteur privé et engendre de nombreuses possibilités de malversations, ayant souvent des conséquences désastreuses sur le développement économique du pays concerné.

4. La corruption crée par conséquent une instabilité politique, en raison même de l’inefficacité dont font preuve les gouvernements pour la combattre, et menace, à terme, les investissements nationaux et étrangers.

5. L’Assemblée regrette que ce phénomène touche également des organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales.

6. En raison même de la nature secrète de la corruption, des données empiriques fiables et vérifiables sur son ampleur réelle sont difficiles à obtenir.

7. La corruption constitue aussi un obstacle majeur au développement économique et social, et à l’éradication de la pauvreté touchant de nombreux citoyens, et suppose également une violation flagrante des droits de l’homme en affectant la vie quotidienne des individus.

8. L’Assemblée prend note de la réponse du Comité des Ministres à la Recommandation 1646 (2004) de l’Assemblée parlementaire «Améliorer les perspectives des pays en développement : un impératif moral pour le monde» ainsi que des commentaires du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO).

9. L’Assemblée estime qu’il est important que les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait élaborent rapidement des plans d’action concrets, non seulement pour la gestion des finances publiques, mais également pour la gestion comptable dans le secteur privé.

10. L’Assemblée recommande par conséquent aux gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe de demander aux administrations publiques, et aux autorités locales et régionales :

10.1. de simplifier les procédures bureaucratiques afin de réduire le gaspillage en matière de dépenses publiques, et de planifier les dépenses de manière appropriée ;

10.2. de définir des règles relatives à la divulgation d’informations concernant les fonctionnaires publics sur leurs revenus et leurs actifs ;

10.3. de les sensibiliser au lien existant entre la corruption, les droits socio-économiques et l’exclusion sociale et la pauvreté ;

10.4. d’accroître la responsabilité de l’administration publique, par la publication d’informations concernant les fonds et les budgets publics ;

10.5. de les obliger à fournir des relevés de compte annuels sur la répartition des fonds et des budgets publics ;

10.6. d’établir des règles strictes sur l’attribution des marchés publics, en privilégiant, notamment, les appels d’offres publics ;

10.7. de garantir une rémunération suffisante et régulière aux fonctionnaires publics, et un plan de carrière juste et équitable ;

10.8. de prendre les mesures nécessaires pour décentraliser les institutions de l’Etat et conférer une autonomie fiscale aux collectivités locales et régionales ;

10.9. d’introduire une plus grande concurrence dans les grands secteurs d’activité ;

10.10. de garantir l’indépendance des médias.

11. L’Assemblée recommande également aux gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe :

11.1. de mettre en place des systèmes efficaces de gestion des plaintes relatives à des actes de corruption ;

11.2. de prendre les mesures disciplinaires adéquates envers les personnes coupables de corruption, que ce soit dans le secteur privé ou public ;

11.3. de mettre en place une formation intensive et complète à l’intention des membres du système judiciaire et de l’exécutif ;

11.4. de renforcer l’indépendance et la transparence du système judiciaire.

12. Dans la mise en œuvre des recommandations énoncées au paragraphe 8 de la présente résolution, l’Assemblée invite les gouvernements à tenir compte des normes anticorruption pertinentes du Conseil de l’Europe, ainsi que des recommandations que le GRECO a émises dans le cadre de ses évaluations de premier et deuxième cycles.

13. Par ailleurs, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe à signer et à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, les traités relatifs à la lutte contre la corruption et la criminalité organisée.

14. L’Assemblée recommande également aux parlements nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe :

14.1. d’élaborer une législation sur le financement des partis politiques ;

14.2. de se doter d’une comptabilité publique et de comités d’audit ;

14.3. de coopérer étroitement avec la société civile.

3. La réinsertion sociale des détenus

L’Assemblée a débattu de ce thème à partir du rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille présenté par M. Ali Riza Gulçiçek qui a souligné qu’une bonne politique pénitentiaire constituait l’une des bases de la défense des institutions démocratiques et que malheureusement, dans l’ensemble des Etats membres la détention n’a pas les effets souhaités pour une bonne intégration. Ceci résulte notamment de l’isolement du détenu, de la rupture avec la famille, les amis et la société mais également du manque de formation du personnel pénitentiaire.

M. Michel Hunault a ensuite présenté l’avis de la commission juridique et des droits de l’homme :

« Ce rapport sur la réinsertion sociale des détenus est à saluer, d’abord par sa qualité, le travail de son rapporteur, mais au-delà, par son opportunité.

Si la prison a vocation à sanctionner les auteurs de crimes et délits, à protéger la société contre la dangerosité de certains individus, pour autant rien ne justifie les traitements portant atteinte à la dignité des prisonniers. Or, dans la pratique, nous savons que la prison casse, brise l’individu incarcéré, en raison des conditions de détention. Elle brise aussi la vie des familles, des détenus, des conjoints, des amis et des enfants.

Les conditions de détention, comme l’a rappelé le rapporteur, ont une influence afin de prévenir la récidive. Elles sont essentielles pour la réintégration et la réhabilitation des prisonniers.

C’est dans ce contexte que le Conseil de l’Europe a un rôle essentiel à jouer. Toute cette matinée, nous avons entendu les hautes instances européennes affirmer le rôle de notre Assemblée pour défendre les valeurs essentielles des droits de l’homme, de la dignité humaine en toutes circonstances.

Ce rapport en témoigne car il traite de la réinsertion sociale des détenus dans les lieux privatifs de liberté. Le rapport est à replacer dans la tradition et le rôle du Conseil de l’Europe d’élaborer des normes juridiques contraignantes. Je rappellerai qu’à l’appui de ce rapport, notre Assemblée a adopté une recommandation sur la situation des prisons en avril 2004, que la rédaction de la Convention pénitentiaire européenne est en cours, que dernièrement notre Assemblée a appuyé la réactualisation des conditions pénitentiaires. Et je voudrais saluer le contrôle exercé tant par le Comité de Prévention de la Torture que par le Commissaire aux droits de l’homme.

Ce rapport sur la réhabilitation des prisonniers prend toute sa dimension dans l’élaboration de cet ensemble de règles. Il recentre le débat sur la réinsertion sociale des détenus qui est une exigence forte. Celle-ci passe par l’accès à une formation, à du travail exercé dans des conditions de dignité. Dans certains pays de notre Assemblée, les détenus sont préparés à leur sortie. Ils reçoivent une formation, peuvent exercer un travail mais c’est trop souvent l’exception. Le rapport rappelle les principes et recommandations mais ne trouvera sa réelle crédibilité que si l’administration pénitentiaire des différents États a des moyens pour le mettre en œuvre.

Je salue à mon tour les pistes suggérées par votre rapporteur. Le travail et la formation en prison sont un enjeu de la dignité et visent à reconstruire la personne privée de liberté. C’est là aussi une condition pour lutter contre la récidive car on sait trop souvent que passer de nombreuses années en prison est un facteur de désocialisation.

Telles sont, Monsieur le Président, les observations que je pouvais faire au nom de la Commission des questions juridiques et des droits de l’Homme. »

Il a ensuite répondu aux orateurs :

« M. Wach a parlé du poids de l’opinion publique qui demande toujours plus de sévérité. Mais, on l’a vu, sous prétexte de lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée, dans les pays du Conseil de l’Europe où la peine de mort a été abolie, nous avons assisté à un allongement des peines, ce qui donne plus d’importance encore aux problèmes de la situation dans les prisons des pays du Conseil de l’Europe – surpopulation, manque de moyens, humain ou matériel.

Tout ce rapport sur la dimension de la réinsertion sociale des détenus fera prendre conscience aux États de la nécessité d’apporter des contributions pour tendre à la réinsertion sociale. Tout ce qui peut améliorer la situation des détenus améliore aussi la vie de ceux qui travaillent en prison.

M. Fedorov a eu raison de rendre hommage à toutes ces femmes et à ces hommes qui travaillent au sein de l’administration pénitentiaire. Je lerépète car c’est important, tout ce qui va tendre à l’amélioration des conditions des détenus va également tendre à l’amélioration des conditions de travail de ceux qui concourent justement à une bonne administration pénitentiaire.

Grâce à tous les intervenants, nous avons vu apparaître toute la dimension humaine que vous appelez de vos vœux. Vous avez chacun fait état de ce qui se passait dans vos États respectifs. Cette somme de prises de conscience mais également d’améliorations donnera du crédit au rapport sur la réinsertion sociale des détenus. »

A l’issue de ses débats l’Assemblée a adopté la recommandation n° 1741 invitant notamment le Comité des ministres à organiser des échanges d’information entre les directeurs des centres pénitentiaires d’Europe et à entamer une réflexion sur la situation des femmes et des mineurs dans les prisons, les conditions sanitaires dans les prisons et les besoins particuliers des détenus de longue durée. Dans ce texte l’Assemblée recommande également de prendre des mesures pendant et après la détention et portant notamment sur la mise en place de conseils de réinsertion sociale et de mesures de substitutions aux peines privatives.

4. La résurgence de l’idéologie nazie

Ce débat a été introduit par un rapport de la commission des questions politiques présenté par M. Mikhail Margelov qui a rappelé que le nazisme, ses politiques et ses actions ont été irrévocablement condamnés par le tribunal de Nuremberg et que l’Europe moderne a été conçue sur la base d’un rejet total des idées et principes nazis. Il s’est également déclaré préoccupé par le fait que le public est moins conscient des dangers de l’idéologie nazie et que le rejet de cette dernière par la société s’affaiblisse, soulignant que certains phénomènes de nature nazie, raciste et xénophobe se sont développés dangereusement d’un bout à l’autre de l’Europe.

Premier intervenant de la délégation française, M. François Rochebloine, a expliqué que la dénonciation du nazisme était un devoir pour tous les défenseurs des droits de l’homme :

« En lisant le rapport de notre collègue M. Margelov, j’ai éprouvé à plusieurs reprises une curieuse impression : j’ai retrouvé dans sa démarche, et dans ses termes mêmes, le fidèle écho de débats qui, actuellement, préoccupent l’opinion française.

Quand il écrit que «l’Europe qui cherche à promouvoir ses valeurs doit servir d’exemple en ce qui concerne le respect de ces mêmes valeurs», cela me rappelle la conscience que nous avons, nous Français, de notre responsabilité particulière : la France, berceau des droits de l’homme, doit les défendre partout dans le monde, et elle doit être particulièrement vigilante dans la dénonciation de tout ce qui peut contribuer à en menacer le respect.

C’est ce qui nous a poussés, en 1972, à adopter à l’unanimité l’une des premières législations de lutte contre le racisme, et notamment contre l’antisémitisme, faisant participer à cette lutte les grandes associations antiracistes. Voilà qui a conduit, en 1990, à l’adoption d’une loi qui sanctionne expressément et particulièrement ce que nous dénommons le révisionnisme et le négationnisme, appliqués aux crimes nazis dénoncés à juste titre par M. Margelov.

C’est aussi cette tradition qui explique la reconnaissance publique et unanime en France par la loi du 29 janvier 2001, du génocide arménien de 1915, dont je suis fier d’avoir été le rapporteur. Je suis de ceux, nombreux, qui estiment que les dispositions de la loi de 1990 doivent être étendues aux écrits et aux propos qui nient tous les génocides et crimes contre l’humanité.

Nous inspirant de l’expression si forte de Primo Levi, nous appelons cela respecter le devoir de mémoire : faire en sorte que le souvenir des crimes et des horreurs du passé ne se perde pas, à la fois par respect pour les personnes qui en furent victimes mais aussi pour éviter qu’ils ne se reproduisent.

Notre préoccupation de fond rejoint donc largement celle du rapporteur. S’il ne faut pas exagérer l’état de la menace immédiate, il est sans doute nécessaire de montrer, par une réaction collective et publique, l’attachement de l’Europe aux valeurs de liberté qui la fondent.

Faut-il organiser une conférence internationale? Faut-il essayer de fédérer à cette occasion des initiatives qui pourraient être prises dans les différents États membres ? Le vote que nous allons émettre aujourd’hui est un engagement de principe : les modalités de réalisation du projet pourraient être précisées.

Je voudrais cependant insister sur quelques points de méthode. Tout d’abord, ne pas se cantonner au registre de la dénonciation et de l’interdit. La simple prohibition d’une opinion, si elle est déjà trop répandue dans la société, peut produire un effet indésirable, en la parant de l’attrait du fruit défendu. Il faut donc réaffirmer avec force à l’occasion de l’initiative ou des initiatives prises à la suite de l’adoption éventuelle de la résolution la valeur positive de notre tradition commune des droits de l’homme; cela suppose naturellement que chacun d’entre nous, que chaque État membre, puisse affirmer, sans risquer d’être contredit de bonne foi, que ses actes et sa pratique internes sont suffisamment cohérents avec la promotion des droits de l’homme, et la dénonciation du nazisme qui en est la contrepartie. »

M. Jean-Claude Mignon a souhaité une mobilisation du Comité des ministres et de l’ensemble des Etats membres et réclamé la sanction des actes pronazis :

« Je ne vais pas répéter tout ce qui a été dit, car je souscris à la quasi-totalité des interventions sur ce sujet et je suis d’accord pour voter l’excellent rapport de M. Margelov.

Il ne faudrait pas que cette résolution soit simplement une résolution de plus sur un sujet aussi important. Un texte qui, une fois voté par un petit nombre de députés, s’empile dans des bureaux avec d’autres résolutions déjà votées mais non suivies d’effet. Le Comité des Ministres doit se prononcer sur le fruit de notre travail.

A partir du moment où nous traitons d’un sujet aussi essentiel, il est de la responsabilité des États membres du Conseil de l’Europe de prendre en considération ce que nous disons et de lui donner des suites.

L’idéologie nazie, où commence-t-elle et où finit-elle ? On peut se le demander. Tout à l’heure, un orateur a précisé que nos parents connaissaient l’existence d’un certain nombre de camps de concentration.

L’actualité a sa place aujourd’hui sur toutes les chaînes de télévision d’information dignes de ce nom. On voit en direct des prises d’otage, des assassinats, à l’arme blanche, à la hache, qui devraient nous faire réagir beaucoup plus que nous le faisons. Malheureusement, aujourd’hui, rien de tout cela n’est condamné. On peut l’assimiler aussi à de l’idéologie nazie !

Je suis maire d’une ville française. Depuis la fin de la guerre nous nous réunissons régulièrement devant les monuments aux morts pour dire tous ensemble solennellement : plus jamais ça. Nous faisons les uns et les autres, de vibrants discours pour rappeler ce qui s’est passé. Pourtant, chacun le sait pertinemment, «ça» continue de plus belle. De jeunes imbéciles se croient intelligents en traçant des tags ou des graffitis sur les murs dans nos pays, avec des signes nazis complètement idiots ou des signes antisémites.

C’est bien beau de réfléchir comme nous le faisons mais jamais ou sinon trop rarement les auteurs de tels actes sont sanctionnés.

Ne soyons pas insensibles, exprimons le vœu aujourd’hui, pour renforcer l’excellent rapport dont nous discutons, que tous les États sans exception prennent vraiment la mesure de leurs responsabilités. Si tel n’était pas le cas, on pourrait s’interroger sur l’existence du Conseil de l’Europe.

Nous disons souvent que nous sommes le berceau des droits de l’homme. C’est ici que nous devons faire preuve de détermination pour que l’expression «droits de l’homme» ne soit pas une expression quelconque, se vidant petit à petit de son sens. Un peu de courage et essayons de faire en sorte que le Comité des Ministres, lorsque nous discutons de sujets aussi fondamentaux, prenne le relais des parlementaires et fasse passer les messages auprès de nos populations et dans nos assemblées respectives.

Je voterai sans hésitation le rapport qui nous est présenté. »

M. Rudy Salles a insisté sur l’importance du devoir de mémoire et prôné le développement de dispositifs législatifs et réglementaires permettant de sanctionner les tentatives de diffusion d’idéologies xénophobes et racistes :

« Nous avons le privilège de pouvoir débattre ici dans cette enceinte parlementaire, librement, en représentants des nations démocratiques. Si l’idéologie de l’Allemagne nazie avait triomphé, nous ne serions pas ici aujourd’hui.

Fort heureusement l’histoire a emprunté d’autres chemins et l’Europe d’après 1945 s’est bâtie sur le rejet absolu des théories et des pratiques du régime hitlérien, qui voulait imposer sa domination au monde. Le «Reich» qui devait durer mille ans s’est effondré en 1945. Le tribunal international de Nuremberg a irrévocablement condamné les crimes commis, et les principaux représentants du parti et de l’appareil nazi ont été reconnus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le Conseil de l’Europe créé en 1949 est en lui-même le témoin vivant de cette volonté européenne de vivre ensemble en restaurant la démocratie et les droits de l’homme.

Et pourtant, comme le souligne M. Margelov dans son excellent mais hélas inquiétant rapport, les idées si intolérables du nazisme qui paraissaient avoir été irrévocablement condamnées, semblent trouver de nouveaux terrains de développement. Multiplication d’actes antisémistes, profanation de tombes, usage de symboles nazis, injures et violences à caractère racial, haine de l’autre à peine voilée, négation ou relativisation des crimes commis, partis extrémistes usant de discours à connotation xénophobe, et j’en passe. L’idéologie nazie resurgit insidieusement ou ouvertement. L’indignation ne suffit pas.

S’agissant de la France, nous possédons un dispositif législatif et réglementaire qui permet de sanctionner les tentatives de diffusion d’idéologies xénophobes et racistes. D’autres partenaires européens ont mis en place des dispositifs analogues. A l’occasion de la célébration du soixantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, des manifestations ont été organisées (en France) pour rappeler les crimes commis par le pouvoir nazi et mettre en garde nos concitoyens, toutes générations confondues, contre les risques éventuels.

Le Conseil de l’Europe a un rôle éminent à jouer dans le combat contre ces idées contraires aux valeurs que nous professons et sur lesquelles nous avons bâti nos États. Nous avons déjà adopté un certain nombre de résolutions ou recommandations sur la menace représentée par les partis extrémistes. Le plan d’action adopté lors du 3ème Sommet du Conseil de l’Europe à Varsovie engage notre organisation à intensifier la lutte contre le racisme, les discriminations et toutes les formes d’intolérance. Sans doute devons-nous aller plus loin.

Le rapport de M. Margelov propose l’organisation d’une grande conférence internationale avec la participation de parlementaires et d’experts gouvernementaux, de chercheurs et de représentants de la société civile. Cela pourrait en effet constituer une large tribune pour condamner à nouveau vigoureusement l’indéfendable et réveiller les esprits endormis, tout en touchant un public plus large.

Je m’associe donc à cette proposition et je félicite le rapporteur pour son analyse si pertinente. Les peuples qui perdent la mémoire se condamnent parfois à perdre la liberté. N’oublions pas cette leçon vitale. »

L’Assemblée a ensuite adopté la résolution n° 1495 qui marque sa préoccupation face à la multiplication des actes pronazis et des manifestations d’intolérance raciale, ethnique ou religieuse. Elle appelle au développement d’une action coordonnée pour résister aux efforts qui tendent à faire revivre l’idéologie nazie, considérant que le Conseil de l’Europe doit jouer un rôle moteur dans ce processus et déplore les réactions trop souvent insuffisantes constatées face à cette situation. Enfin, cette résolution annonce l’organisation par l’Assemblée d’une conférence internationale destinée à analyser la résurgence des phénomènes racistes et nationalistes dans les sociétés européennes et à développer des approches communes pour les combattre.

ANNEXES

Autres interventions en séance

des membres de la délégation française

Séance du mercredi 12 avril, matin :

HALTE À LA TRAITE DES FEMMES À LA VEILLE DE LA COUPE DU MONDE DE LA FIFA

Intervention de M. Jean-Pierre Kucheida :

« Du 9 juin au 9 juillet 2006 va se dérouler chez nos voisins allemands la 18e Coupe du Monde de football. Cet événement va attirer plusieurs millions de supporters dans douze villes allemandes. Or, en parallèle à cet événement sportif, plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de prostituées vont vendre leurs charmes aux abords des stades. L’Allemagne, qui a légalisé la prostitution en 2002, permettant aux prostituées d’accéder à la sécurité sociale et de profiter d’un droit du travail, a décidé de canaliser une éventuelle recrudescence de la prostitution lors de la Coupe du Monde. Les autorités des différentes villes organisatrices ont déjà prévu « certains aménagements ». Construction de cabines aménagées, distributeurs de préservatifs, par exemple.

Le grand problème qui se pose est celui de l’explosion prévue de la prostitution illégale. Plusieurs dizaines de milliers de femmes sont ainsi attendues en provenance des pays de l’Est, de la Baltique, et peut-être, disons-le, de l’Ouest. Certaines sont candidates à des emplois de services, serveuses ou autres, pour la période de la Coupe du Monde et vont se retrouver en réalité dans l’obligation de se prostituer.

Pour lutter contre ce fléau, il faut d’abord en connaître les causes ; elles sont culturelles et souvent liées au pays d’origine avec un chômage élevé, une très grande pauvreté – un mois de travail représentera trois ans de salaire – une instabilité politique, des manques de perspectives, et à la situation personnelle des victimes – marginalisation féminine, niveau d’études bas ou moyen, problèmes familiaux de plus en plus nombreux dans une société qui se déstructure, possibilités réduites aussi de migrations légales.

J’ajoute que, pour moi, la prostitution dont on dit, Madame le rapporteur, qu’elle est essentiellement féminine est aussi, malheureusement, de plus en plus masculine. Cela, il faut aussi le prendre en compte.

Ainsi, avant tout, pour lutter contre la prostitution et la traite des femmes, il faut lutter contre la pauvreté, lutter contre l’analphabétisme en scolarisant toutes les filles le plus tôt possible dans les pays de provenance. Il faut accentuer la lutte contre les réseaux de prostitution mais aussi avoir le courage d’inciter nos pays à ne plus fermer les yeux. En effet, il est plus qu’urgent que tous les pays membres du Conseil de l’Europe signent la Convention du Conseil sur la lutte contre la traite des êtres humains. Jusqu’à présent, seuls vingt-cinq l’ont signée. La France n’est pas dans les signataires alors que la prostitution y est abolie depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. C’est tout de même assez curieux, peut-être avons-nous des problèmes plus urgents à traiter ?

Il est plus qu’urgent d’agir et de prendre des mesures significatives. Nous légiférons, nous conseillons, mais en accompagnement, il faut des prises de position fermes de la part de la Fifa qui est à la tête de cet événement, or les prises de position sont plus que modérées, elles ne sont guère perceptibles. Les grands joueurs qui ont une réelle influence sur le public sont dans le même cas : après la Coupe du Monde, il sera trop tard et on ne pourra pas dire, nous ne savions pas.

En tous cas, merci à vous, Madame Vermot-Mangold, d’avoir mis ce point à l’ordre du jour d’une façon aussi judicieuse. »

Intervention de Mme Josette Durrieu :

« 1. Le trafic des êtres humains, femmes, enfants, organes… s’organise dans un marché libre dont la finalité est le profit, l’argent… et le produit « un être humain » : la femme.

Qu’à Berlin, au moment de la Coupe du monde, elles soient 30 000 ou 100 000 dans ces «usines sexuelles» organisées à cette occasion, le nombre est moins important que le principe qui est moral.

2. Quelles sont les bases économiques et réglementaires de ce trafic ?

Les pays « importateurs » sont essentiellement la Turquie, la Belgique, la France, la Grèce.

Les pays « exportateurs » ou fournisseurs sont l’Ukraine, la Moldova, la Roumanie…

Certains légalisent à la fois la prostitution et le proxénétisme.

La prostitution voulue par des femmes consentantes, souvent pour des raisons économiques est une chose.

La prostitutio, contrainte, imposée à des femmes «piégées», kidnappées, exploitées, est un délit voire un crime.

Ces femmes sont des victimes qui vivent un calvaire. Elles doivent être protégées et tirées de là.

3. Nous devons nous insurger avec force.

C’est l’honneur de l’Europe et son image qui sont en jeu.

S’il s’agissait d’un trafic d’armes, toutes les forces régulières seraient mobilisées.

Mais c’est pire : c’est un trafic d’être humains !

De femmes… : vos femmes !

Vos filles !

Vos sœurs !

Réagissez ! Condamnez…

Mobilisons-nous…

Demandons des comptes…

Le sport et le foot ne doivent pas être les otages d’un trafic qui les englobe.

Mais maintenant :

Les responsables de la Fifa ;

Les footballeurs… et les stars du foot qui ont une telle influence médiatique et sociale sur la jeunesse… ;

Tous ceux-là doivent s’engager dans ce combat pour sauver l’image de la femme et du sport. »

COMMUNICATION DU COMITÉ DES MINISTRES PRÉSENTÉE PAR M. MIHAI-RAZVAN UNGUREANU, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA ROUMANIE, PRÉSIDENT DU COMITÉ DES MINISTRES

Question de Mme Josette Durrieu :

« Considérant que les pays des Balkans, la Roumanie, la Bulgarie et la Moldova sont membres du pacte de stabilité et que certains de ces pays, la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie, sont susceptibles d’intégrer l’Union européenne en 2007 ;

Notant cependant que pour l’ensemble des autres pays des Balkans, compte tenu de la situation de ces pays et des problèmes non réglés, l’intégration pourrait faire l’objet d’une analyse plus globale et spécifique au moment où s’achève le pacte de stabilité, et qu'en ce qui concerne la Moldova, le risque est de la maintenir à l’écart même si ce pays a sa place en Europe et a fait le choix de l’intégration,

Demande au Président du Comité des Ministres,

Quelle aide le Comité des Ministres peut-il apporter afin d'éviter que la Moldova ne soit marginalisée, voire écartée du processus d’intégration dans l’Union européenne. »

En réponse M. Ungureanu a apporté les précisions suivantes :

« La question posée par Mme Durrieu nous renvoie au débat que votre Assemblée a tenu hier sur la contribution que le Conseil de l’Europe peut apporter au rapprochement entre l’Union européenne et les pays européens qui ne sont pas encore membres de celle-ci. Dans le cas de la Moldova, comme dans celui d’autres États, le Conseil de l’Europe mène depuis plusieurs années des programmes d’assistance dont les objectifs coïncident avec ceux poursuivis par l’Union européenne, qu’il s’agisse par exemple du renforcement des institutions démocratiques et de l’indépendance du pouvoir judiciaire ou de la lutte contre la corruption.

La volonté clairement exprimée en 2005 par presque toutes les forces politiques représentatives en Moldova de faire du rapprochement avec l’Union européenne un élément clef de la politique extérieure de ce pays mérite d’être soulignée et prise en compte. Elle a permis d’aboutir, en février 2006, à la signature d’un Plan d’action entre l’Union européenne et la Moldova qui constitue une étape importante dans la voie de ce rapprochement.

Nous nous félicitons de cette orientation et nous sommes disponibles pour aider par tous les moyens à l’intégration européenne de la Moldova. Concrètement, ce soutien prend la forme de consultations, d’une assistance à l’harmonisation de la législation et de programmes de formation. La Roumanie agit par ailleurs activement pour impliquer la Moldova dans les initiatives de coopération politiques et économiques développées dans le sud-est de l’Europe et dans les politiques de voisinage.

Nous espérons qu’ensemble, les activités d’assistance que le Conseil de l’Europe continue à mener en Moldova et les initiatives qui seront développées dans le cadre du Plan d’action que j’évoquais précédemment permettront à la Moldova de parvenir rapidement à la stabilité et à la prospérité qu’elle attend, dans son intérêt et dans celui de l’Europe tout entière.

La Roumanie a fait des efforts considérables pour inclure la République de Moldova dans tous les schémas de coopération existants en Europe du Sud–Est. Nous avons été et nous resterons les plus actifs promoteurs de l’adhésion de la Moldova à la SECI, au Pacte de Stabilité pour l’Europe du Sud–Est, au processus de coopération de l’Europe du Sud–Est et à l’accord de libre–échange de l’Europe centrale.

Dans le cadre de son dialogue avec les membres de l’Union européenne, la Roumanie soutient l’idée que la République de Moldova soit dissociée du programme européen de politique de voisinage et associée au schéma que l’Union européenne a proposé aux pays des Balkans occidentaux. Notre but est d’éviter de marginaliser la Moldova et de lui faire connaître le même destin que l’Ukraine. »

Mme Josette Durrieu a ensuite posé la question supplémentaire suivante :

« L’Union européenne est impliquée en ce moment, depuis le mois de mars, dans le contrôle de la frontière entre l’Ukraine et la Moldavie et surtout la Transnistrie. Or, les choses vont mal. Un blocus est exercé en Transnistrie par les Transnistriens : plus rien ne sort, plus rien n’entre, plus rien ne transite. En plus, il y a des mesures économiques de prises par les Russes contre la Moldova. Que pouvons-nous faire ? »

En réponse M. Ungureanu a apporté les précisions suivantes :

« Vous avez raison. Cet auto blocus a été imposé par les autorités de Transnistrie. Que pouvons-nous faire ?

Nous avons réalisé des descriptions détaillées de la situation de la Moldavie dans le cadre qui nous est permis en tant que pays observateur de l’Union européenne. Ainsi, nous avons la possibilité de rencontrer les autres ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne. La Moldavie bénéficie d’une sympathie accrue de la part des membres de l’Union européenne, il n’y a aucune interprétation négative des décisions prises à Chisinau en ce qui concerne la fraction transnistrienne de la frontière entre l’Ukraine et la Moldavie, au contraire.

La Russie, c’est un autre sujet. La Russie a soutenu du point de vue politique, à l’instar de la Douma, les aspirations, les décisions des autorités transnistriennes. Mais, du point de vue de l’Union européenne, du point de vue de la Roumanie, nous savons que la vérité est avec nous. »

Question de M. Bernard Schreiner :

« Considérant que les perspectives budgétaires du Conseil de l’Europe pour 2007 sont particulièrement inquiétantes et qu'une nouvelle fois l’augmentation du coût de fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), face au refus du Comité des Ministres d’accorder des crédits supplémentaires à la Cour (notamment pour lui permettre d’appliquer le programme triennal de renforcement 2006-2008 et de mettre en place une 5e section), aboutit à une réduction de 5 % du budget alloué aux grandes entités administratives du Conseil de l’Europe;

Notant que cette évolution affecte bien évidemment l’Assemblée parlementaire et qu'après de longues années de croissance zéro on en arrive à des réductions de crédits qui vont avoir des conséquences sérieuses sur le fonctionnement d’une institution qui a déjà accompli de nombreux efforts en termes d’économies de fonctionnement,

Demande au Président du Comité des Ministres,

Ce qu'il envisage pour permettre aux différentes institutions du Conseil de l’Europe de disposer des moyens de fonctionnement suffisants leur permettant d’accomplir correctement leur mission face, notamment, a la croissance continue du coût de fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme. »

En réponse M. Ungureanu a apporté les précisions suivantes :

« Depuis plusieurs années, beaucoup d’États membres poursuivent un objectif de croissance zéro en termes réels pour la fixation des budgets du Conseil de l’Europe. Dans les faits, le budget de l’Organisation a néanmoins augmenté à un rythme supérieur au cours de cette période car les États membres ont consenti des ressources supplémentaires importantes pour que les besoins de la Cour puissent être couverts sans transférer des ressources affectées aux autres priorités de cette Organisation.

Le budget 2006 a marqué une première exception dans cette tendance, les ressources de la Cour étant, elles aussi, soumises à une croissance zéro en termes réels, ce qui n’a été possible qu’en décidant d’étaler la mise en œuvre du Plan d’action sur une plus grande période.

S’agissant du budget 2007, le Comité des Ministres devra faire face – pour reprendre les mots du Secrétaire Général –, à des besoins supplémentaires sans précédent, y compris un surplus de ressources pour la Cour. L’examen des propositions du Secrétaire Général pour 2007 commencera véritablement ce mois-ci, à la lumière de l’échange de vues qui aura lieu ce soir avec le comité mixte.

A ce stade préliminaire, je sais gré au Secrétaire Général de son initiative et de sa volonté de dégager non seulement des gains d’efficacité au sein du Secrétariat, afin d'alléger l’Organisation et de la rendre plus efficace, conformément à ses objectifs, mais aussi de poursuivre l’exercice difficile qui consiste à établir des priorités entre les activités, en fonction des décisions politiques prises à Varsovie.

Je suis aussi reconnaissant au Secrétaire Général de la dynamique insufflée aux efforts de réforme plus ambitieux entrepris dans le cadre de la mise en œuvre du chapitre V du Plan d’action pour accroître l’efficience et la transparence de cette Organisation. Le Comité des Ministres a déjà apporté sa contribution à ce processus en réformant ses propres méthodes de travail ; en termes budgétaires, ces mesures ont déjà permis de dégager des gains d’efficacité significatifs au sein de son propre Secrétariat. Je crois comprendre que le Secrétaire Général a inclus, dans ses propositions pour 2007, certains gains d’efficacité identifiés par l’Assemblée. J’encourage l’Assemblée à poursuivre cette réflexion.

Enfin, la recommandation du Secrétaire Général pour 2007 envisage l’octroi de ressources supplémentaires à la Cour en dehors de la croissance zéro en termes réels. Cette position sera le point de départ des discussions et la présidence roumaine s’efforcera, avec les États membres et le Secrétaire Général, de parvenir au meilleur résultat possible pour cette Organisation. »

Séance du jeudi 13 avril, après-midi :

RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES EN ARMÉNIE, AZERBAÏDJAN ET GÉORGIE

Rappel au règlement de M. François Rochebloine :

« Monsieur le Président, je regrette moi aussi, certains l’ont déjà dit, que l’on ait débattu d’un texte aussi important que celui-ci, en fin de session, dans un délai aussi court, avec aussi peu de temps. A mes yeux, le sujet méritait beaucoup plus.»

En réponse, M. René Van der Linden, Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a fait observer qu’il ne s’agissait pas d’un rappel au Règlement, mais d’une appréciation personnelle.


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