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Compte rendu
intégral

Commission élargie

Commission des finances,
de l’économie générale et du plan

Commission des affaires culturelles,
familiales et sociales

(Application de l’article 117 du Règlement)

Jeudi 18 juin 2009

Présidence de M. Didier Migaud,
président de la Commission des finances,
et de M. Pierre Méhaignerie,
président de la Commission
des affaires culturelles

La réunion de la commission élargie commence à onze heures dix .

Projet de loi de règlement des comptes
et rapport de gestion pour l’année 2008

Santé

M. le président Didier Migaud. Avec M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, nous sommes d’autant plus heureux de vous accueillir, Madame la ministre, dans le cadre de cette commission élargie que nous considérons l’un et l’autre que la réalité d’une politique budgétaire s’apprécie mieux en loi de règlement qu’en loi de finances initiale. À ce propos, et compte tenu de la modification de la Constitution ainsi que du Règlement de l’Assemblée nationale, nous sommes dans une phase transitoire et nous réfléchissons à de nouvelles modalités d’examen de ce type de projets, afin que nos analyses soient encore plus pertinentes et que nos collègues y soient de plus en plus associés.

J’ajoute que nous souhaitons que nos échanges sur le programme « Santé publique et prévention » soient les plus directs et vivants possibles.

M. le président Pierre Méhaignerie. Lorsque je constate l’évolution de nos dépenses sociales ainsi que le poids des déficits et de la dette, je ne peux que m’interroger sur notre avenir, notamment, sur la sortie de crise. M. Jérôme Vignon, directeur à la Commission européenne chargé de la protection sociale et de l’intégration, nous a rappelé récemment que les dépenses sociales de la France ont dépassé d’un point de PIB celles de la Suède sans que nos ratios de résultats ne soient pour autant proportionnels. Nous devons d’autant plus réfléchir à ce que doit être la performance sociale au sein de l’ensemble de nos dépenses que des marges de productivité existent. En outre, nos compatriotes ont le plus grand mal à comprendre le décalage entre salaires direct et indirect, ce dernier étant particulièrement élevé par rapport à la moyenne des autres pays européens.

M. Gérard Bapt, rapporteur spécial. J’ai déjà eu l’occasion de vous interroger, Madame la ministre, sur les difficultés que nous rencontrons pour suivre l’évolution des crédits, notamment lorsqu’ils sont délégués aux groupements régionaux de santé publique (GRSP) ou aux directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS), dans la mesure où ces crédits sont partiellement ou totalement fongibles. Bien que les explications que vous avez données lors de la discussion du PLF pour 2009 nous aient certes permis de mieux comprendre ces problèmes – ce type de crédits n’étant pas fléchés à l’instar de ceux que nous analysons habituellement – des écarts inexpliqués demeurent. Ainsi, s’agissant de l’action « Pilotage de la politique de santé publique », une différence de plus de 45 millions subsiste entre la prévision et l’exécution budgétaire. Certes, la subvention versée à l’institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) a été entièrement imputée à cette action mais, même en n’en tenant pas compte, un décalage de plus de 15 millions demeure. S’agissant de l’action « Pathologies à forte morbidité », c’est une sous consommation des crédits qui a été constatée – même après retraitement des données –, notamment de ceux consacrés à la lutte contre le VIH qui n’ont été engagés qu’à auteur de 76 % de la dotation initiale. Comment l’expliquer ? Le congrès de la Fédération nationale des appartements de coordination thérapeutique a fait récemment part de sa préoccupation quant à l’engagement effectif dans la lutte contre le VIH. La plus grande transparence s’impose pour cette ligne budgétaire.

Le volet « performance » du programme comporte quatre indicateurs relatifs à la politique de prévention et de lutte contre le cancer, dont trois concernent directement le dépistage du cancer du sein, le dernier étant consacré à l’institut national du cancer (INCa). Dans la mesure où le dépistage du cancer du sein est maintenant généralisé, il serait opportun de faire de même pour le cancer du colon, ce qui suppose de disposer d’un indicateur fiable.

Une meilleure articulation entre les programmes de qualité et d’efficience (PQE) du PLFSS et le volet « performance » de la mission « Santé » doit être recherchée, d’autant que je qualifierai les crédits engagés par votre ministère de « crédits d’amorce ».

Je note, par ailleurs, que la garantie à un égal accès à la prévention et à la santé – pourtant partie intégrante de ce programme – ne fait l’objet d’aucune traduction dans le volet « performance ». Là encore, nous avons besoin d’indicateurs pour évaluer les inégalités sociales ou territoriales, d’autant que vous n’avez de cesse d’insister sur l’égalité d’accès aux soins et à la prévention.

Étant entendu que le périmètre de ce programme et que la mesure de sa performance changeront en 2010, quel sera l’impact de la création des agences régionales de santé (ARS) sur sa configuration ?

Enfin, des inquiétudes se sont fait jour, y compris dans les rangs de la majorité, s’agissant de la lutte contre la drogue et la toxicomanie. L’UMP, en particulier, s’interroge sur l’évolution des crédits concernant la création et l’expérimentation des communautés thérapeutiques pour lesquelles la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) était chargée de lancer des appels à projet. Qu’en adviendra-t-il précisément ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Suite aux difficultés rencontrées pour suivre les crédits alloués aux GRSP, la direction générale de la santé (DGS) a effectué un très important travail de retraitement afin de rendre le rapport annuel de performance (RAP) plus lisible et de mieux rendre compte au Parlement de leur utilisation.

Nous avons réaffecté aux différentes actions les crédits que les DRASS avaient versés globalement aux GRSP sur l’action 1, « Pilotage de la politique de santé publique ». Ce retraitement de l’imputation des dépenses a permis de mieux identifier les dépenses de pilotage : il fait ainsi apparaître qu’alors que la prévention initiale de ces dernières s’élevait à un peu plus de 15 millions, la consommation réelle a dépassé 30 millions – d’où l’écart de 15 millions que vous avez à juste titre pointé. Nous atteignons ainsi les limites du retraitement et c’est là une difficulté qui est régulièrement évoquée avec les services déconcentrés même si, en l’occurrence, l’absence de visibilité de l’action 1 n’a pas permis de corriger ce point précis. Certaines opérations du programme 204 relèvent tout autant de l’action 1 que des autres actions et, notamment, de l’action 3, « Pathologies à forte morbidité/mortalité », ce qui rend difficile la ventilation de certains crédits. Cet écart indique également que les crédits du programme 204 jouent un rôle de pilotage important car ils sont des leviers d’incitation à la structuration de la prise en charge. Ce rôle se traduit en outre par des actions envers la démocratie sanitaire locale, le développement de l’action régionale en santé, l’organisation de manifestations de santé publique ou le soutien aux réseaux des comités régionaux d’éducation pour la santé (CRES) et aux comités départementaux d’éducation pour la santé (CODES).

Pour mieux comprendre la dynamique de ces dépenses, j’ai demandé à la DGS de questionner les services déconcentrés sur cette surconsommation afin de réaliser une meilleure prévision pour 2010. Je veillerai également à donner des instructions claires à ces derniers afin d’améliorer l’imputation de la dépense.

Je suis une militante associative de la première heure contre le virus du sida. Comme vous l’avez de plus rappelé, Monsieur le rapporteur spécial, j’ai eu l’occasion d’expliquer ma politique budgétaire en la matière lors de l’examen du PLF 2009. Là encore, le retraitement des données budgétaires des GRSP permet d’avoir une meilleure lecture de ces dépenses. Avant retraitement, le taux d’engagement des crédits alloués à la lutte contre le VIH est de 65 %, après, il passe à 96,5 %. Je m’étonne donc des 76 % dont vous avez fait état. Quoi qu’il en soit, il importe de faire évoluer ces crédits en prenant en compte l’ensemble des actions de lutte contre les infections sexuellement transmissibles (IST). Au-delà, il me paraît évident que l’amélioration de la santé sexuelle mérite d’être mieux structurée.

Le dépistage du cancer colorectal, quant à lui, a été expérimenté entre 2003 et 2006 dans 23 départements avant d’être généralisé depuis 2007. Sa montée en charge est progressive et il n’a donc pas été possible de déterminer un indicateur dès 2008. Comme vous le suggérez, nous examinerons la possibilité de le faire pour l’ensemble du dépistage. Dans le cadre des travaux menés pour 2010, je vous soumettrai prochainement nos réflexions concernant la régionalisation des indicateurs : la création des ARS et l’accent mis sur la lutte contre les inégalités dans la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) justifient cette priorité.

Je ne peux qu’adhérer à votre souhait d’une meilleure articulation entre les PQE du PLFSS et le volet « performance » de la mission « Santé » mais également d’une meilleure cohérence dans l’application de la démarche « objectifs-résultats » en politique de santé – que ce soit l’État ou l’assurance maladie qui s’en charge. La DGS participe grandement à la définition et au suivi des indicateurs des PQE, de même que les travaux de ces derniers sont parfaitement intégrés à ceux sur la maquette « performance » du programme annuel de performance (PAP) de 2010. Je souhaite d’ailleurs que ce dernier comporte un indicateur qui figure dans les programmes constituant l’annexe 1 du PLFSS, qui permettrait de mesurer la prévalence du surpoids et de l’obésité chez l’enfant et qui, comme dans les PQE, pourrait être décliné en trois tranches d’âge : 5-6 ans, CM2 et classe de 3e.

La lutte contre les inégalités sociales ou territoriales de santé est au cœur de la loi HPST. Il serait donc souhaitable, dans la refonte de la maquette « performance » du nouveau programme 204, que les objectifs 2 – réduction des inégalités de santé –, 3 – réduction de la contamination par les IST –, et 4 – réduction de la mortalité évitable attribuée au cancer – soient remplacés par un objectif transversal de prévalence et de réduction des inégalités sociales et territoriales. Ainsi l’objectif 2 du PAP 2010 s’intitulera « améliorer l’état de santé de la population et réduire les inégalités sociales et territoriales  de santé » et comportera quatre indicateurs déclinés à chaque fois en un indicateur de prévalence nationale, puis un indicateur de dispersion régionale.

La mesure de la performance du programme 204 a été retravaillée à l’occasion de l’élaboration du PAP 2010. Deux objectifs ont guidé les travaux : réduire le nombre d’indicateurs et mieux rendre compte de la lutte contre les inégalités territoriales de santé en régionalisant les indicateurs nationaux. En ce qui concerne les éventuels changements de périmètres liés à la mise en place des ARS, l’intégralité des moyens du programme dédié aux services déconcentrés – plus de 180 millions, dont près de la totalité sont versés aux GRSP –, ira dans les ARS et continuera à être consacré à la politique de prévention à partir du programme 204. Toutefois, avec l’entrée en vigueur de la loi HPST, il faudra également réfléchir à la façon d’améliorer la qualité du suivi budgétaire et comptable des ARS. Leur création implique d’ailleurs une gestion transversale et elles seront suivies et exploitées en tant qu’opérateurs de l’État. Leurs moyens de fonctionnement, hors crédits d’intervention, devront être globalisés dans les budgets des établissements qui recevront une subvention de fonctionnement courant de l’État mais aussi de l’assurance maladie. La création des ARS devrait donc conduire à regrouper tous leurs crédits dans un seul programme à caractère transversal. Ce pourrait être le programme support n°124 de la mission solidarité-insertion des chances en raison de sa nature transversale. Néanmoins, les 21,1 millions de crédits consacrés au fonctionnement des ex-ARH et actuellement situés sur le programme 171 « Offre de soins et qualité du système de soins » pourraient tout aussi bien constituer le programme 204 qui regroupe d’ores et déjà les moyens budgétaires en faveur de la prévention. Ce programme pourra en outre regrouper les crédits de fonctionnement et les personnels des nouvelles ARS, soit les trois-quarts des effectifs et des moyens de fonctionnement des DRASS et des DDASS qui se retrouveront désormais dans ces établissements. Outre qu’un tel regroupement de ces crédits au sein du programme 204 et leur versement sous forme de dotation pour charge de service public serait cohérent avec l’autonomie des futurs établissements publics, il irait également dans le sens d’une plus grande sincérité budgétaire.

S’agissant du programme « drogue et toxicomanies » Les communautés thérapeutiques répondent à la nécessaire diversification de l’offre de soins et sont particulièrement adaptées à certains patients. Nous n’avons toutefois pas choisi leur développement systématique car nous ne parvenons pas à démontrer une supériorité des traitements résidentiels par rapport aux traitements en ambulatoire – sauf en ce qui concerne les patients les plus désocialisés. En outre, la mise en place de communautés thérapeutiques n’est pas facile en raison de la difficulté à trouver des opérateurs et des locaux adaptés à des coûts raisonnables. Ainsi, sur les quatre projets sélectionnés dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, seuls deux ont pu être lancés à ce jour. Le plan 2008-2011 a ainsi prévu un développement limité et étalé dans le temps pour de nouvelles communautés thérapeutiques – une par an pendant trois ans. Enfin, la procédure implique davantage les services du ministère de la santé – tant déconcentrés que centraux – qui veilleront en particulier à la qualité de la prise en charge et au respect des droits des patients. C’est un sujet difficile.

M. Dominique Dord. Qu’en est-il des dépenses sociales et de santé dans les pays voisins ? Les volumes sont-ils sensiblement les mêmes ou différent-ils sensiblement chez les plus libéraux d’entre eux ? Certains consacrent-ils plus de moyens à des actions que nous délaissons quelque peu ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Le taux des dépenses de santé consacrées à la prévention est classiquement fixé à 7 % mais son contenu diffère sensiblement en fonction des experts et des pays. Quoi qu’il en soit, il est en général accepté par la plupart des acteurs de la santé. En voulant le porter à 10 %, le Président de la République a fixé un objectif particulièrement ambitieux – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les ARS seront un outil essentiel de la politique de prévention.

Cette politique est organisée selon deux dimensions. Verticale d’abord : les politiques de santé publique et de prévention doivent évidemment être régionalisées, pour pouvoir tenir compte des différences territoriales. C’est en déconcentrant notre administration de la santé, qui est extrêmement régalienne, vers les agences régionales de santé que nous pourrons mener des politiques de prévention pertinentes. L’autre dimension est horizontale : chaque agence régionale comprendra deux commissions de coordination, consacrées l’une au médicosocial, l’autre à la prévention. Chacun de ces deux secteurs voit ses crédits, qui étaient auparavant traités en variables d’ajustement au profit des dépenses de soins, garantis par le principe budgétaire de la fongibilité asymétrique, qui est maintenant inscrit dans la loi. C’est très important

Le niveau de prévention dans un pays n’est absolument pas lié au caractère plus ou moins libéral de la gestion de la santé. Des politiques de prévention beaucoup plus vigoureuses peuvent par exemple être menées si les assureurs privés assortissent leurs remboursements de clauses liées à la prévention ou à la santé publique, ce qui est absolument impossible dans un système de santé solidaire. Un système tel que le nôtre, au niveau de dépenses très élevé, n’implique donc pas forcément une politique de prévention très forte, ce qui n’est pas le moindre de ses paradoxes.

Mme Catherine Lemorton. À propos des communautés thérapeutiques expérimentales, en matière de toxicomanie, vous avez dit, Madame la ministre, qu’il était difficile d’aider les opérateurs fragiles. Mais inversement, lorsque les opérateurs qui essayent de se monter n’obtiennent pas leurs financements assez vite, ils disparaissent et les communautés thérapeutiques n’arrivent pas à se mettre en place ! Le problème de la drogue, et surtout du cannabis, est crucial en France. Quand des opérateurs « sortent du bois », il faut les évaluer au plus vite pour pouvoir les institutionnaliser.

Quant à l’objectif d’égal accès à la prévention et à la santé, il m’amène à une de mes idées fixes : les franchises médicales. Nous attendons depuis des mois le rapport sur la première année d’application de cette mesure.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Il a été transmis aux commissions, et j’y fais référence très régulièrement !

Mme Catherine Lemorton. Le rapport qui est disponible ne concerne que la première moitié de l’année. J’attends le bilan au 31 décembre !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Il faut plus de temps que cela pour l’établir. Il sera disponible au moment de l’examen du PLFSS.

Mme Catherine Lemorton. Ce rapport sera indispensable pour évaluer la capacité de nos concitoyens à accéder aux soins quelle que soit leur origine sociale ou territoriale. Aujourd’hui, il semble que 39 % d’entre eux se refusent des soins pour des raisons financières. Je pense que les franchises sont un des freins à l’accès au système de soins. C’est aussi ce qu’a affirmé le Conseil d’État dans un arrêt du 6 mai 2009. J’espère que le rapport à venir ne se contentera pas d’un état des lieux de la consommation de médicaments ou de l’utilisation des transports sanitaires mais qu’il donnera une vision exacte de tous ceux qui ont retardé des soins à cause de ces franchises. A défaut, toutes les annonces de la mission santé ne seraient qu’une vitrine.

Enfin, si la régionalisation des politiques de prévention est une très bonne chose, certaines actions doivent rester gérées au niveau national afin que les messages atteignent tout le monde en même temps.

M. Bernard Carayon. Avant tout, je voudrais féliciter la ministre pour son taux de consommation des crédits : 97 %, ce n’est pas si fréquent !

Première question : est-il prévu de créer des indicateurs d’efficacité des futures communautés hospitalières de territoire ?

Ensuite, la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie mène depuis de longues années notre action dans ce domaine. Mais la lutte contre un fléau de cette nature ne devrait-elle pas être rattachée au Premier ministre plutôt qu’au ministère de la santé ? Le caractère purement administratif de la MILDT ne réduit-il pas son efficacité ? Tant que la lutte contre l’insécurité routière a été une action exclusivement administrative, fût-elle interministérielle, elle a été très limitée. La lutte contre la drogue ne mérite-t-elle pas une stratégie politique plutôt que purement administrative ?

Par ailleurs, je suis toujours frappé de ce que les questions de stratégie industrielle pharmaceutique ne fassent jamais partie des préoccupations des ministres de la santé. Il existe, dans d’autres secteurs de l’action publique, des lieux de mutualisation d’expertise et d’anticipation, ou des observatoires dont on se gausse mais qui ont leur utilité. Envisagez-vous de créer des lieux de rencontre entre industriels français de la santé, autres que leurs syndicats professionnels, où ils pourraient élaborer leurs stratégies ?

Enfin, le système des pharmacies de garde fonctionne de façon différente selon les départements, et semble parfois très distendu. Les ARH pourraient-elles donner des instructions afin que les pharmacies des hôpitaux, qui peuvent être ouvertes 24 heures sur 24, puissent fournir les médicaments qui leur sont nécessaires ?

Mme Jacqueline Fraysse. Apprécier l’utilisation de l’argent consacré à la santé est un exercice extrêmement utile, et il est donc très important de le rendre plus accessible. Or j’avoue que les échanges techniques que vous venez d’avoir avec le rapporteur, madame la ministre, m’ont parfois paru un peu hermétiques… Nous avons beaucoup d’efforts à faire pour rendre ce domaine qui reste très complexe plus clair et plus transparent.

Notre pays, qui pratique une médecine et une recherche de grande qualité, est en revanche en retard dans le domaine de la prévention, si essentielle à toutes les étapes de la vie. Il y a beaucoup d’ignorance et d’inégalités dans cette matière. La politique de prévention dépasse celle de la santé au sens strict : elle s’intéresse aussi à la santé au travail, ce qui suppose l’implication des entreprises, ou au logement par exemple. Pour la développer, il faut s’attacher à améliorer l’information du public, même s’il y a déjà eu des efforts indiscutables en la matière, notamment par le biais de la télévision. Nous ne faisons pas non plus tout ce qui convient en matière d’éducation. La santé scolaire est d’ailleurs un problème important. Les moyens mis en œuvre dans ce domaine sont-ils suffisants ? Enfin, la prévention passe par le dépistage.

Dans tous ces domaines, nous sommes en retard et je me félicite que le Président de la République souhaite y consacrer plus de moyens. Mais cela ne suffira pas : sans évaluation et sans ciblage, un dépistage systématique à grande échelle, par exemple, ne sera guère efficient. Le dépistage doit être ciblé et tenir compte des différences régionales et sociales. Cela ne pourra se faire qu’après un important travail de recherche en matière de santé publique et la mise au point d’indicateurs de mesure, de risque et d’efficacité.

Il faut donc augmenter les moyens et les efforts en matière de prévention. Cela éviterait beaucoup de misère humaine, sans compter les gains financiers. La cholestérolémie par exemple n’est pas bien difficile à connaître et joue un rôle important dans les affections cardiovasculaires. Les examens appropriés éviteraient bien des infarctus très coûteux, d’un point de vue autant humain que financier.

L’accès aux soins est un des facteurs importants de la prévention : les médecins conseillent leurs patients et prescrivent des examens de dépistage. Les franchises médicales sont donc très préoccupantes, particulièrement dans une période de difficultés économiques. Ce sont des pénalités financières qui mettent un frein à la prévention.

M. Gérard Bapt, rapporteur spécial. Les 76 % de consommation des crédits faisaient référence, madame la ministre, à votre dotation en loi de finances initiale. Les 96 % que vous évoquez se rattachent aux crédits qui ont été effectivement disponibles, sans tenir compte notamment des annulations budgétaires. Dès lors que le Président de la République a fixé un objectif de 10 % des crédits consacrés à la prévention, je forme le vœu que les programmes de prévention et de santé publique ne subissent plus d’annulation de crédits ! Je précise que cet objectif de 10 % doit s’entendre comme incluant les dépenses de dépistage, lequel n’est pas à strictement parler de la prévention puisqu’il permet d’accéder aux soins le plus précocement possible alors que la prévention consiste à éviter que l’affection ne se déclenche.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Merci à Bernard Carayon d’avoir souligné les efforts de sincérité budgétaire que nous avons accomplis en 2008. Deux programmes ont vu leurs crédits intégralement consommés : le programme « Santé publique et prévention », qui atteint 99 % en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement, y compris la réserve pour aléas de gestion et les crédits non affectés en début d’année, et le programme « Protection maladie », qui avait déjà frôlé les 100 % en 2007.

Parallèlement, l’insuffisance de financement du dispositif a été considérablement réduite, à 14,2 millions seulement au lieu de 264,3 en 2007. Une ouverture de crédits de 94,2 millions en loi de finances rectificative et 6 millions de redéploiements de crédits en provenance des deux autres actions du programme ont permis de couvrir les besoins de financement estimés par la CNAMTS. Au final, 97 % des dépenses de l’aide médicale d’État de droit commun ont été couvertes. Seule leur augmentation imprévue en fin d’exercice explique le manque de 14,2 millions, mais le contraste avec les années précédentes est remarquable.

Les trois autres programmes enregistrent quant à eux une légère sous-consommation. Le programme « Veille et sécurité sanitaires » conserve un stock de crédits disponibles représentant 4,5 % des crédits ouverts. Le taux d’exécution du programme « Offre de soins et qualité du système de soins » se monte, lui, à 96,8 % en autorisations d’engagement et 95,6 % en crédits de paiement, ce qui est légèrement inférieur à 2007. Cela est dû au fait que les crédits obtenus en loi de finances rectificative pour le paiement des formations médicales n’ont pas pu être entièrement consommés. Ils ont été reportés sur 2009. Enfin, le taux d’exécution du programme de la MILDT, laquelle est désormais placée auprès du Premier ministre, Monsieur Carayon, s’est élevé à 81,76 % en autorisations d’engagement et 79,36 % en crédits de paiement. Cela s’explique par un rattachement tardif des crédits du fonds de concours, ce qui a entraîné le report des crédits de paiement en 2009.

Au plan budgétaire donc, les moyens de la MILDT ont été transférés du ministère de la santé au Premier ministre. Cette clarification répond à une demande récurrente, mais ne signifie bien évidemment aucun désengagement de la part du ministère. Nous nous consacrerons pleinement à la mise en œuvre du volet sanitaire du plan de la MILDT.

Pour ce qui est des franchises médicales, les premiers mois d’application ne font apparaître aucun impact sur les consommations. Le rendement qui en était attendu a été atteint, ce qui a permis de financer les objectifs définis par le Président de la République .

Quant à la régionalisation des politiques de prévention, elle ne se fait évidemment pas aux dépens des politiques nationales qui doivent être menées sur les grands objectifs de santé publique. Les campagnes sont conduites par l’INPES, dont le taux d’exécution budgétaire a été de 93 %, contre 87,7 % pour 2007. Le fonds de roulement s’établit à 24,05 millions, en diminution de 15 % par rapport à 2007. Les grandes actions de 2009 et 2010 concerneront bien sûr les domaines de l’alcool et du tabac, mais aussi la nutrition, l’environnement et les accidents de la vie courante, l’enfance et la jeunesse – avec un volet sur la contraception qui me tient particulièrement à cœur – et enfin la grippe A.

M. Jean-Yves Cousin. L’application de la tarification à l’activité – la T2A – a révélé les forces et les faiblesses des établissements hospitaliers. Quand, dans ce cadre, un service se trouve en déficit structurel chronique en raison d’une activité particulière indispensable, peut-on définir cette activité comme une mission d'intérêt général et d’aide à la contractualisation ?

Mme Jacqueline Fraysse. Je reviens sur la nécessité de renforcer la prévention par la recherche. Je prendrai comme exemple les IVG, dont le nombre ne diminue pas en France bien que plusieurs méthodes de contraception soient accessibles. Des études sont nécessaires pour trouver les raisons de la persistance de cette situation très insatisfaisante.

M. Gérard Bapt, rapporteur spécial. Dans toutes les régions, des laboratoires de biologie moléculaire s’installent pour pratiquer des tests génétiques destinés à évaluer la réceptivité des patients atteints de diverses pathologies à différents protocoles thérapeutiques. Ces tests, non codés, sont financés par une dotation exceptionnelle de l’INCa. Leur financement ne devrait-il pas relever de l’assurance-maladie, puisqu’ils conduisent à terme à une économie pour elle en évitant le recours à des protocoles dont il est démontré qu’ils seraient inefficaces ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Nous n’avons pas prévu d’indicateurs pour les CHT, monsieur Carayon. Leur création tient à une démarche volontariste d’acteurs locaux désireux de regrouper plusieurs établissements. Idéalement, il devrait s’agir de structures de 400 à 600 lits de médecine-chirurgie-obstétrique, créées selon des modalités précises. Si je me suis réservée la possibilité d’une coercition très encadrée pour remédier à des difficultés budgétaires éventuelles ou pour assurer, si nécessaire, la qualité des soins, je ne souhaite pas enfermer les CHT dans un carcan.

Si la stratégie industrielle n’est pas, traditionnellement, dans la culture du ministère de la santé, le lien avec le ministère des finances se fait par le biais du Conseil stratégique des industries de santé installé auprès du premier ministre. Mais le ministère de la santé est actuellement conduit à traiter la fabrication de vaccins à grande échelle et il est bon, me semble-t-il, qu’il soit à la manœuvre à ce sujet, qui soulève des questions éthiques difficiles.

Monsieur Cousin, les missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation – les MIGAC – n’ont aucunement été conçues comme des variables d’ajustement en cas de mauvaise gestion. Je le redis, la T2A n’a pas diminué les crédits alloués aux établissements hospitaliers et, sur les quelque 700 établissements qui y sont soumis, beaucoup plus nombreux sont les bénéficiaires que les perdants. Il est vrai que le nouveau dispositif a révélé certaines situations acquises et il est vrai aussi que l’on ne peut plus négocier dans le bureau du ministre ce qui relève d’insuffisances de gestion et que masquait la dotation globale. Personne ne peut soutenir que la T2A n’est pas d’une très grande transparence.

Bien entendu, le mécanisme évolue au fil du temps. Nous en sommes à la onzième version et lors de la campagne tarifaire qui a pris effet le 1er mars 2009 j’ai introduit deux dispositifs de modulation : un coefficient de sévérité à quatre niveaux pour tenir compte de la lourdeur des cas soignés, et un coefficient de précarité pour prendre en considération la proportion de personnes en difficulté reçues. C’est par un pilotage fin de ce type qu’il faut trouver les ressources nécessaires, certainement pas en utilisant indûment les MIGAC.

La question de Mme Fraysse me donne l’occasion de faire le point sur les interruptions volontaires de grossesse. Un tiers des grossesses demeurent non désirées en France, dont une sur deux aboutira à une IVG. Trente pour cent des grossesses non désirées surviennent chez des femmes utilisant une méthode contraceptive «médicalisée».

Par ailleurs les conclusions de l'enquête sur « La sexualité en France » publiée début 2008 montrent que si 90 % des premiers rapports sexuels sont protégés par le recours à un préservatif, ce taux est inférieur chez les non diplômés. C'est aussi chez les jeunes femmes sans diplôme que le taux d'IVG est le plus élevé, s’établissant à 11 % contre 5 % pour les femmes diplômées. Comme pour beaucoup d’autres déterminants de santé, le niveau d’éducation est donc un facteur primordial. Il est nécessaire de renforcer l'information du grand public, mais l’on voit les limites des campagnes généralistes ; elles ont leur utilité, mais elles doivent être complétées par des campagnes destinées à des publics ciblés.

Chaque année depuis 2007 la réalisation d'une campagne de communication sur la contraception a été confiée à l’INPES. Nous insistons sur le fait que la pilule n’est pas la seule méthode contraceptive et que la contraception peut être adaptée aux femmes et aux couples, car le « tout pilule » fait des ravages. Les campagnes 2008 et 2009 s'adressent plus particulièrement aux jeunes et aux populations les plus vulnérables. Elles visent à libérer la parole sur la sexualité et la contraception, à promouvoir la diversité de l'offre contraceptive, à remobiliser et à accompagner les professionnels de santé et les relais de terrain agissant auprès de ces publics.

Le nombre d’IVG pratiquées est globalement stable depuis de nombreuses années et il est encore supérieur à 200 000 par an. Près de 40 % des femmes y ont recours.

L'IVG demeure un acte souvent difficilement accessible, les femmes étant confrontées à de nombreux refus de prise en charge par les établissements de santé, notamment pour les IVG à dix ou douze semaines de grossesse. J'ai souhaité faciliter cet accès. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a permis aux médecins des centres de planification ou d'éducation familiale et des centres de santé d'effectuer ces actes. La multiplication des acteurs susceptibles de pratiquer des IVG médicamenteuses hors établissements de santé facilitera progressivement l'accès à l'IVG. Par ailleurs, la rémunération de l’acte a été considérablement augmentée, ce qui ne manquera pas de remobiliser les professionnels concernés.

Le taux de recours à l'IVG demeurait, en 2006, de 14,5 pour mille femmes âgées de 15 à 49 ans. Si ce taux ne progresse que légèrement dans certaines tranches d’âge, telle celle des 20-24 ans, il augmente sensiblement depuis plusieurs années dans les tranches d'âge les plus basses, sans doute en raison de l’abaissement de l’âge du premier rapport sexuel, en particulier dans certains publics que l’information a précisément le plus de mal à toucher.

La plus grande diffusion de la contraception a permis que le nombre des grossesses non prévues diminue, passant de 46 % des grossesses en 1975 à 33 % aujourd'hui. L’amélioration de l’accès à l’IVG en cas de grossesse non prévue a fait diminuer le nombre des grossesses non désirées, ce dont on ne peut que se réjouir. Enfin, en dépit des difficultés signalées, le recours à l’IVG est relativement facile en France, bien davantage en tout cas que dans d’autres pays.

Mme Lemorton et M. Carayon m’ont interrogée sur la lutte contre la drogue et la toxicomanie. Le 1er avril 2008, le directeur général de la santé et le directeur de la sécurité sociale ont signé un arrêté visant à limiter le mésusage de certains médicaments, notamment des traitements de substitution. Le mésusage entraîne non seulement des coûts supplémentaires importants pour l’assurance maladie mais aussi des risques accrus pour les patients. C’est donc dans le double objectif de réduction des coûts et d’amélioration de la qualité des soins que le nouveau dispositif a été construit. Il prévoit une meilleure traçabilité de la prescription et la définition de nouveaux protocoles de soins définis entre le médecin traitant et le médecin conseil de la caisse d’assurance maladie.

Je propose de renforcer la mise à disposition de matériels stériles, d’évaluer la place des pharmaciens dans la politique de réduction des risques, de développer le dépistage du VHC et du VHB, d’améliorer la prévention du passage à l’injection des substances. Il faut aussi mieux informer le public en intensifiant les campagnes de prévention et la diffusion de messages sur les risques liés à la réutilisation et le partage des seringues. Enfin, une attention particulière doit être portée à l’aide à la réinsertion, qui passe avant tout par l’aide au logement, notamment pour les usagers les plus démunis sous traitement anti-VIH ou anti-VHC. Cette politique marquera des progrès considérables dans la lutte contre la toxicomanie.

M. Bapt a évoqué le développement de la biologie moléculaire et l’adaptation des traitements en fonction de la réceptivité des malades. C’est une voie très prometteuse ; la Haute autorité de santé a la responsabilité de définir les protocoles utiles.

Monsieur Carayon, la question de la permanence des soins, tant médicale que pharmaceutique, est posée. La création des agences régionales de santé conduit à la déconcentration et le problème se réglera aussi par le biais du décloisonnement entre médecine de ville et médecine hospitalière. Mais la délivrance de médicaments de confort dans les pharmacies des hôpitaux de procède pas de la permanence des soins cette permanence et je considère que je ne serais pas dans mon rôle en l’encourageant.

M. le président Didier Migaud. Madame la ministre, je vous remercie.

La réunion de la commission élargie s’achève à douze heures trente.

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