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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mardi 29 janvier 2008

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 27

Présidence de Pierre Méhaignerie Président et de Didier Migaud Président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan

– Audition, commune avec la commission des finances, de l’économie générale et du plan, ouverte à la presse, de M. Jacques Attali sur le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française 2

La commission a procédé à l’audition commune avec la commission des finances, de l’économie générale et du plan, ouverte à la presse, de M. Jacques Attali, sur le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan : Avec M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, je suis heureux d’accueillir M. Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française. M. Olivier Dassault est également présent en sa qualité de président du groupe d’étude sur l’attractivité et le rayonnement de la France.

Monsieur Attali, vous avez remis le 3 janvier dernier un rapport au Président de la République comprenant 316 propositions visant à mettre la France sur le chemin d’une meilleure croissance. Vous avez insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un « rapport », au sens classique du terme, non plus que d’une simple étude, mais vous l’avez présenté comme un mode d’emploi. Vous avez enfin souligné que les propositions sont articulées les unes aux autres et qu’elles n’ont de sens qu’à être mises en œuvre très rapidement dans leur totalité ou leur quasi-totalité.

Leur contenu, mais aussi vos déclarations sur le « tout ou rien », ont fait l’objet de nombreuses et vives réactions, tant à droite qu’à gauche. Le Parlement, quant à lui, sera amené à statuer à l’issue d’un débat. Nous souhaitons que vous nous fassiez part du sens global de vos propositions et que, dès vos propos liminaires, vous nous en disiez plus sur ce « tout ou rien ». Ne faut-il pas opérer des distinctions selon la nature et l’importance des mesures ? Que répondez-vous à ceux qui considèrent que vos propositions s’inscrivent dans une logique purement libérale ?

La commission des finances étant particulièrement intéressée à la suite qui pourrait être donnée aux propositions relatives à la gestion des finances publiques, qu’en est-il de leur chiffrage ? Qu’en est-il, plus précisément, de l’examen et du contrôle du volet recettes des PLF et des PLFSS, de l’obligation d’évaluer ex ante et ex post tout projet de loi ainsi que les principaux textes communautaires et, enfin, de l’évaluation approfondie de l’efficacité des dépenses fiscales et sociales d’un montant élevé ?

Le président Pierre Méhaignerie : Je me sens toujours à l’aise avec les préconisations sociales et libérales, car ce sont elles qui ont réussi en Europe. J’ajoute souvent : préconisations européennes et décentralisatrices. Or le rapport pèche peut être par une trop grande volonté d’uniformisation : ainsi, la suppression des départements dans les zones rurales ne constitue pas nécessairement une bonne solution quand il est en revanche possible de l’envisager dans les zones très urbanisées, où l’essentiel des pouvoirs des départements peut être conféré aux communautés de communes, aux communautés d’agglomération ou aux régions.

La commission des affaires culturelles se saisira du rapport après les élections municipales et elle travaillera en particulier sur les marges de manœuvre concernant les niches fiscales et sociales, le poids des dépenses de santé, l’unicité du PLF et du PLFSS ainsi que la mise sous condition de ressources des allocations familiales.

Quoi qu’il en soit, une adaptation globale de nos dispositifs est nécessaire.

M. Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française : C’est pour moi un grand honneur d’être reçu ici même pour la sixième fois depuis le début de ce travail.

Je souhaite tout d’abord faire amende honorable : lors d’une émission de radio, j’ai récemment tenu des propos sur deux de vos collègues, M. Claude Goasguen et M. Jean-Pierre Raffarin, qui ont été mal interprétés. J’ai pu donner le sentiment de me livrer à des attaques personnelles alors que je voulais simplement critiquer leurs critiques. Peut-être ai-je moins que vous l’habitude de faire le départ entre les attaques personnelles et celles portant sur des projets ?

Je n’ai pas demandé à faire ce rapport : ce sont M. François Fillon puis M. Nicolas Sarkozy qui me l’ont demandé. J’ai posé trois conditions avant de constituer la commission : écrire moi-même le texte de la lettre de mission qui me serait envoyée, pouvoir composer librement cette commission et bénéficier du concours des services de l’État afin de préparer les documents nécessaires pour que le rapport soit aussi sérieux, pratique, raisonnable et applicable que possible. J’ai eu toute liberté pour le faire.

Nous avons voulu chercher ensemble « ce qui marche », indépendamment de toutes considérations partisanes. Nous n’avons jamais eu recours au vote et nous avons visé le consensus en auditionnant plus de 450 représentants d’institutions ou d’associations diverses, mais aussi en travaillant avec les administrations. La commission est composée de chefs d’entreprises, de syndicalistes, de gens de gauche et de droite mais, également, de personnalités étrangères de très haut niveau.

Je tiens à présenter quelques uns de ses membres ici présents : Jean-Michel Darrois, Nathalie Hanet, Eric Labaye, Emmanuel Macron, rapporteur général adjoint, et Josseline de Clausade, rapporteure générale.

Nous sommes parvenus à un certain nombre de conclusions, non libérales, mais issues de notre libre réflexion. Non seulement elles libèrent un certain nombre de freins et de contraintes, mais elles sont justes car nous avons eu à l’esprit, en permanence, le souci des plus faibles, notamment des jeunes. Enfin, l’ensemble de ces propositions nous paraît réaliste, applicable et cohérent d’un point de vue financier. Dans un pays moderne et donc complexe, ce n’est pas un ensemble de mesures disparates prises dans une liste de recommandations qui peut fonctionner.

J’ajoute que j’ai remis ce rapport au Président de la République puis au Parlement et, le même jour, à l’ancienne candidate à l’élection présidentielle, que je considère comme le leader de l’opposition : il était en effet de mon devoir d’associer symboliquement toute la nation à la remise ce travail. Maintenant, notre responsabilité s’achève et c’est la vôtre qui commence. Si nous ne nous engageons pas dans la mise en œuvre de ce rapport, nous serons en revanche concernés par son suivi et nous nous réunirons tous les trois mois pour donner notre avis sur ce qui aura été fait. Le Président de la République a d’ailleurs fait savoir qu’il assisterait à la réunion du mois de juin.

Nous ne sommes pas dans une synarchie et ce n’est certes pas aux experts de gouverner ; cependant nous pensons que les préconisations de ce rapport seront sans effet si elles ne sont pas appliquées avec cohérence. Si tel devait être le cas, nul ne pourrait se targuer de la légitimité de cette commission. Je n’ai quant à moi jamais parlé de « tout ou rien » : j’ai seulement dit qu’il y avait une cohérence, domaine par domaine, et que l’on ne peut, par exemple s’agissant de la concurrence commerciale, libérer les conditions actuelles de la concurrence sans renforcer le petit commerce. Ce serait par ailleurs une folie que de donner davantage de moyens au petit commerce si, en même temps, on ne libère pas les conditions d’une concurrence réelle entre ce qui constitue aujourd’hui un cartel de cinq groupes de grandes surfaces.

De même, nous pensons que c’est un très mauvais service à rendre à l’emploi que de permettre une rupture à l’amiable du contrat de travail sans créer un nouveau « contrat d’évolution » permettant de mieux accompagner celui qui risque d’être à la recherche d’un emploi. Le compromis est nécessaire pour parvenir à trouver le juste équilibre.

Enfin, concernant le rapport, je vous demande d’avoir la gentillesse de bien vouloir appliquer ces deux principes : lisez-le avant de le commenter ; si vous êtes opposés à une mesure, demandez-vous ce que vous envisageriez de faire à la place.

Notre rapport s’articule donc autour de trois principes.

Premier principe : priorité à l’économie de la connaissance. Celle-ci commence avant la classe maternelle et se poursuit dans les universités, les PME et les PMI. Il faut investir massivement dans de nouveaux secteurs où nous sommes hélas absents : le numérique, les biotechnologies, l’environnement, les nanotechnologies et les neurosciences.

Deuxième principe : la mobilité.

La mobilité sociale tout d’abord. Pour cela, il faut débloquer l’ascenseur social grâce notamment à l’enseignement, mais également à travers la politique des entreprises qui devront faire leur part aux minorités.

La mobilité économique, ensuite, d’où l’importance de la compétitivité et de la concurrence. Nous proposons des mesures en faveur des PME : délais de paiement, conditions de renforcement du petit commerce, rôle des plans locaux d’urbanisme (PLU) et des schémas de cohérence territoriale (SCOT) dans les règles d’installation des différentes formes de commerces, renforcement des lois en matière d’autorité de la concurrence en favorisant les actions de groupe et en les réservant aux consommateurs.

La mobilité géographique, avec des mesures pour les locataires et les propriétaires, les promoteurs privés et les bailleurs publics.

La mobilité du travail, qui passe par une modification profonde des conditions de représentativité et de financement des partenaires sociaux, qu’ils soient ouvriers ou patronaux.

La mobilité internationale, enfin : notre pays doit pouvoir accueillir des talents étrangers, qu’ils soient scientifiques, chercheurs, cadres, ingénieurs ou artistes. Que l’on ne dise pas que cela est contraire aux intérêts des chômeurs français ! La croissance obtenue grâce à ces nouveaux talents créera des emplois. Que l’on ne dise pas non plus que cela serait contraire aux intérêts des pays du sud parce que leurs cadres partiraient ! Ces pays disposent de trop de cadres par rapport au nombre qu’ils peuvent employer. Que l’on ne dise pas non plus que nous réduisons l’aide au développement ! Celle-ci s’élève à 8 milliards d’euros, mais si l’on déduit de cette somme la réduction de la dette, les bourses des étudiants étrangers en France et l’aide aux demandeurs d’asile politique, il ne reste que 500 millions d’euros. Les travailleurs immigrés, eux, envoient 9 milliards d’euros à leurs familles. L’aide au développement effective, c’est eux qui l’apportent. Nous avons tout à gagner à accueillir les étrangers selon leur compétence et non selon leur origine.

Troisième principe : la réforme de la gouvernance.

Partout dans le monde, dans tous les domaines, elle a évolué infiniment plus vite que chez nous. L’État doit accepter d’être plus transparent ; si les douze programmes d’administration électronique que nous préconisons étaient mis en place, ce sont 15 milliards d’euros qui seraient économisés. Les activités les plus répétitives de l’État doivent être exécutées dans des agences gérées comme des entreprises avec des fonctionnaires qui conservent leur statut, les directeurs pouvant à l’avenir recruter des agents sous statut public ou privé.

Il importe également de simplifier la hiérarchie territoriale, qui est chez nous de six échelons quand la plupart des autres pays en comptent trois. Nous ne disons pas que les départements font mal leur travail, mais les conflits de compétences et l’absence de clarté favorisent la bureaucratie, laquelle, avec 4% du PIB, pèse très lourd sur notre économie. Il faut donc clarifier les compétences et réduire le nombre d’échelons. Certaines missions des départements pourraient être attribuées aux agglomérations, d’autres, aux régions. Enfin, il est très difficile de demander aux Français d’accepter un certain nombre de réformes si les élus, eux, s’y refusent.

Nous avons également proposé des réformes s’agissant de la gestion des systèmes parapublics ou de la sécurité sociale.

Je tiens à noter que l’on ne demande pas souvent aux auteurs de rapports la manière dont ils envisagent la mise en œuvre de leurs préconisations. J’aurais d’ailleurs bien aimé qu’il en aille ainsi pour le Grenelle de l’environnement : comment fera-t-on ? Combien cela coûtera-t-il ? Qui paiera ? Qu’est-ce que cela rapportera ? Les promesses, en l’occurrence, se retourneront contre ceux qui les ont faites et l’impact écologique sera bien moindre que les illusions entretenues.

Notre rapport, lui, comporte des propositions très constructives en matière environnementale et dont l’impact sur la situation écologique de la France sera considérable. Mes collaborateurs et moi avons travaillé avec la direction du budget au chiffrage de ces réformes. Une note à ce propos vous sera distribuée par M. le Président, s’il le veut bien. Notre objectif : réduire chaque année la part des dépenses publiques d’un point de PIB, soit, de 20 milliards d’euros. Cela signifie que les dépenses publiques doivent être stables en volume. L’essentiel de nos préconisations n’a pas d’impact budgétaire : ce sont des mesures règlementaires qui portent sur l’amélioration du système éducatif, les conditions de la distribution, le droit du travail…

Les mesures qui ont un impact budgétaire sont soit financées par le secteur privé, soit pas la Caisse des dépôts et consignations, soit dans le cadre d’un redéploiement. Nous suggérons un très grand nombre de mesures afin d’améliorer la gouvernance des dépenses publiques : responsabilisation des administrations, suppression, dans la Constitution, de la distinction entre PLF et PLFSS, définition pour l’assurance maladie de crédits limitatifs, modulation des allocations familiales et de la franchise médicale en fonction des revenus des ménages, renforcement de l’action du comité d’alerte de l’assurance maladie, adoption d’un pilotage régional effectif de la carte sanitaire.

S’agissant des collectivités territoriales, nous proposons d’établir et de rendre publics des coûts standards par type de collectivité et par fonction pour mettre en évidence les gaspillages, nous proposons aussi de mettre en place partout où cela sera possible des institutions d’audit et d’évaluation, de désindexer l’ensemble des dotations de l’État, de privilégier l’autonomie budgétaire sur l’autonomie fiscale comme condition de responsabilisation des élus, de développer des indicateurs de performance de services publics locaux, de transformer les intercommunalités en agglomérations, entités de niveau constitutionnel permettant d’avoir un regard global sur la dotation globale de fonctionnement.

De même, s’agissant de l’État, nous proposons de poser le principe de l’interdiction de l’endettement pour les opérateurs, de renforcer la capacité d’arbitrage du Président de la République et du Premier ministre en rapprochant de lui la direction du budget et celles de la fonction publique et de la comptabilité, de limiter le nombre de ministères, de compenser la création de tout nouvel organisme par des réductions d’effectifs, de réduire les dépenses d’intervention les moins efficaces.

Pour les secteurs parapublics, nous proposons de réduire le nombre d’offices d’HLM, de chambres de commerce et de métiers, de faire évaluer ex ante et ex post tout projet de loi et de règlement ayant des conséquences budgétaires, de créer un comité permettant de faire le point sur les certifications administratives, d’évaluer l’impact des décisions sur l’action publique, de procéder à une évaluation approfondie de l’impact et de l’efficacité des dépenses fiscales, de restructurer l’ensemble des niches de l’impôt sur le revenu et de faire en sorte qu’elles ne dépassent pas 10 % du montant de l’impôt, de réduire les effectifs de l’État en réduisant les conditions de renouvellement des personnels partant à la retraite, de modifier assez largement les conditions de rémunération des fonctionnaires en consacrant le tiers des économies réalisées par les progrès de productivité à les augmenter.

Cela constitue une vraie révolution dans la gouvernance publique, mais c’est la condition du succès national et le remède au déclin annoncé

M.  Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan : Je vous remercie pour cette présentation.

M. Olivier Dassault : La France n’exploite pas ses atouts comme elle le devrait. A la lecture de votre rapport, les membres du groupe d’étude ont éprouvé une certaine satisfaction, notamment quant au constat lucide sur la situation exacte de notre pays. Parmi ceux qui le composent, je salue ici Lionnel Luca, Hervé Mariton, Lionel Tardy, Jean-Claude Beaulieu, Loïc Bouvard, Valérie Boyer, Nicolas Forissier.

Je ne vous interrogerai pas sur les incidences de vos propositions sur les finances publiques, mais, s’agissant de l’attractivité de notre pays, nous avons la même analyse : les finances de l’État doivent être prioritairement assainies. L’attractivité, cela consiste à savoir retenir nos talents, à promouvoir ceux qui veulent réussir en France et à attirer les meilleurs parmi nos voisins. Or la qualité de nos finances publiques est l’un des critères déterminants pour les investissements étrangers. J’ai notamment apprécié votre proposition visant à revenir sur le principe de précaution, car cette mesure contraignante agit comme un puissant répulsif pour nombre de sociétés étrangères.

J’applaudis l’idée de refaire de Paris une grande place financière. J’y ai d’ailleurs contribué avec M. Yves Censi, vice-président de la commission des finances, à travers un amendement supprimant l’impôt sur les opérations de bourse, largement salué par les professionnels. Toutefois nous devons aller plus loin. Je suis ainsi partisan de la constitution d’un fonds souverain français, outil d’investissement qui permettrait de regrouper l’ensemble de nos participations industrielles en y associant l’épargne des ménages et des institutions. Ce modèle viserait à regrouper 200 milliards d’euros de participations et 150 milliards de souscriptions venues du public et d’institutions françaises. Le fonds ainsi créé par rapprochement de l’agence des participations de l’État, de la CDC et d’une partie de l’assurance vie – sans négliger la nécessité de créer un nouveau produit fiscal d’épargne au rendement incitatif – distribuerait à ses souscripteurs, État comme particuliers, la totalité de ses revenus, qu’il s’agisse de dividendes ou d’intérêts perçus. Je serai heureux d’avoir votre point de vue à ce sujet.

Parmi vos proposions, celles concernant l’immigration nous dérangent le plus. Certes, il faut accueillir des talents, des chercheurs, des scientifiques, mais votre proposition 222 préconise la simplification des procédures d’octroi de visas pour des travailleurs d’origine étrangère peu qualifiés, ce qui implique une ouverture du marché du travail et une augmentation mécanique du nombre de personnes potentiellement bénéficiaires de nos mécanismes de protections sociale. Vous estimez que 50 000 nouveaux entrants sur notre sol génèrent 0,2 % de croissance supplémentaire, mais il serait utile que vous précisiez ce raisonnement, sur lequel nous sommes réservés.

Vous avez également proposé la formation de dix grands pôles de recherche universitaire par voie d’appels d’offre. Ces centres d’excellence rassembleraient sur un même campus universités, laboratoires de recherche et grandes écoles. Nous ne pouvons qu’y souscrire, d’autant que vous avez suggéré que des collaborations pourraient être mises en place avec les pôles de compétitivité. Pour autant, nous craignons que vous ne soyez pas allé assez loin dans cette stratégie : notre compétitivité doit être multipolaire autour d’un triptyque enseignement, recherche, entreprises. Nous militons donc pour des pôles de compétitivité et d’excellence favorisant des coopérations entre les universités, les enseignants, les laboratoires publics et privés ainsi que les entreprises. Après les zones franches urbaines, il faut créer des zones franches intellectuelles.

J’ai été heureux de trouver dans votre rapport une analyse commune avec le groupe d’étude que je préside s’agissant de la formidable capacité d’adaptation et d’innovation de ce que vous appelez les « élites nouvelles ». Sous ce terme, nous pouvons rassembler créateurs, chercheurs, entrepreneurs, mais aussi animateurs sociaux et éducatifs. Comme vous l’avez écrit cette semaine dans une chronique, nous partageons l’idée que ces élites modernes sont « de plus en plus réceptives aux sollicitations étrangères et de moins en moins loyales envers un pays dont elles ne se sentent pas solidaires. » Les clés de notre attractivité sont donc liées à notre faculté de réinventer nos liens sociaux et à notre capacité d’innovation, ce que nous devrions en dernière analyse appeler le génie français. Ayons le courage de sortir des sentiers battus et des idées préconçues !

M. Gilles Carrez, rapporteur général : La réflexion des experts est une étape indispensable à la réforme et vous l’avez présentée avec beaucoup de cohérence. Je rappelle que, dans les années cinquante, toutes les préconisations de la commission Rueff-Armand n’avaient pas été retenues, mais que nombre d’entre elles avaient ensuite servi aux politiques publiques.

Quid de la mise en œuvre des propositions avancées ? Il est en tout cas certain que le Parlement y a toute sa place. Si je suis heureux que M. Attali ait répondu à la question du chiffrage, je note que des propositions en apparence très techniques cachent en fait de véritables choix de société. La proposition 227 évoque ainsi des crédits limitatifs en matière d’assurance maladie. Mais qu’est-ce que cela signifie ? S’agit-il de la mise en place d’un système étatique semblable au NHS britannique dans lequel, lorsque les crédits sont épuisés, c’est la gestion « par la file d’attente » qui prend le relais ? Est-ce un système privé dans lequel une dotation publique est incluse ex ante avant que de faire jouer le marché ? Quels sont donc les choix qui sous-tendent un certain nombre de propositions ?

M. Didier Migaud et moi-même vous avons adressé, au mois de décembre, un certain nombre de propositions sur la gouvernance en matière de finances publiques. L’une d’entre elles, en particulier, n’a pas été reprise alors qu’elle nous apparaît chaque jour un peu plus importante : nous ne pouvons plus continuer à gérer de façon cohérente si nous ne réservons pas les exonérations fiscales et sociales aux lois de finances et aux lois de financement. C’est la même démarche que celle que vous proposez en termes de consolidation entre loi de finances et lois de financement du point de vue des recettes, car on ne peut découper en tranches les prélèvements obligatoires. C’est une petite clé, mais elle peut avoir des conséquences considérables pour redresser nos finances publiques.

M. Jérôme Cahuzac : L’audition de M. Attali ne peut que m’inciter à lire son rapport in extenso, ce que je n’ai pu encore faire. Même si nous ne sommes pas en effet dans une synarchie, les élus n’ont pas le monopole de la parole. Ce qui est revanche plus contestable, c’est la légitimité que certains s’arrogent à parler au nom de l’État alors qu’ils n’ont aucune fonction élective. M. Attali ne se situe pas du tout dans cette perspective et je le remercie pour les précautions oratoires qu’il a utilisées.

L’inquiétude est réelle : le rapport fait état d’une dette qui s’élèverait à 80 % du PIB à l’horizon 2012 alors qu’elle est aujourd’hui de près de 65 % et que l’exécution du budget de 2007 traduit une aggravation du déficit budgétaire de l’État. Vos propositions nous intéressent donc d’autant plus.

Etes-vous favorable ou hostile à la taxation de l’héritage ? Reprenez-vous à votre compte la formule de Warren Buffett qui estime que la mobilité du capital et de la fortune doit être aussi parfaite que possible étant entendu que si les enfants de l’équipe olympique américaine de 2000 feront peut-être une très bonne équipe en 2020, nous ne sommes néanmoins pas certains qu’elle sera la meilleure.

Que pensez-vous du cumul des mandats, puisque vous vous êtes à bon droit aventuré sur le terrain politique en évoquant la suppression des départements ?

M. Jean-Claude Sandrier : N’ayant pas lu le rapport dans son intégralité et craignant de tomber sous le coup de l’interdiction de donner un avis, je me fonderai sur l’appréciation du président Méhaignerie. Avons-nous affaire à un rapport « social-libéral », sachant que les deux notions ne sont pas toujours représentées à parts égales dans les politiques ainsi qualifiées ? Avez-vous ménagé un équilibre entre le social et le libéral ?

En matière d’impôt sur le revenu, par exemple, la proposition que vous faites va à rebours de ce qui se pratique en Europe, puisque vous vous proposez de le réduire alors que, dans la plupart des autres pays, sa part est particulièrement importante.

M. Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française : J’ai été mal compris. Ce sont les niches fiscales que nous proposons de réduire à 10 % du montant de l’impôt.

M. Jean-Claude Sandrier : Dont acte. Je me demande toutefois si c’était un rapport sur la libération de la croissance qu’il fallait rédiger. N’aurait-il pas été plus opportun de poser la question de savoir qui crée les richesses, comment on les crée et, le cas échéant, qui les gaspille ? Pourquoi, notamment, envisage-t-on toujours le travail comme un coût ? Pour ce qui est des gaspillages, les exemples ne manquent pas : la Société générale, les crédits immobiliers à risque, les rendements exigés par les fonds de pensions, les paradis fiscaux, les transactions financières… Quelles mesures de régulation financière proposez-vous sur la spéculation, les rendements excessifs ou les paradis fiscaux ?

Recommandez-vous de mettre en place un financement sélectif des crédits en fonction de leur utilité pour l’emploi ? Vous parlez de sécuriser la rupture amiable : je préférerais que l’on assure une sécurité d’emploi et de formation tout au long de la vie. Il y a, de mon point de vue, une différence considérable entre les deux.

M. Michel Bouvard : Ce rapport a le grand mérite d’offrir une vision globale tout en proposant des mesures concrètes. Il est heureux que l’on nous fasse distribuer des éléments chiffrés car, pour soutenir comme il se doit l’objectif du point de croissance, il convient d’examiner les efforts à consentir secteur par secteur.

Je me réjouis des propositions formulées en matière de normes. L’inflation normative coûte très cher à notre pays. Au-delà des recommandations sur la cohérence entre les textes, ne conviendrait-il pas d’adopter un principe de stabilité normative ou, à tout le moins, de fixer un délai durant lequel on n’aurait plus le droit de revenir sur la norme édictée ?

La question du devenir des départements ne date pas d’hier : voilà plus de soixante ans que l’on en parle. Dans les années cinquante, Michel Debré avait suggéré, dans un rapport, des regroupements de départements. L’argument de l’« échelon de trop » est recevable, même si, en Italie, il existe des provinces en plus des communes et des régions, en Allemagne des Kreise en plus des communes et des Länder. On peut considérer que l’instauration des intercommunalités en France correspond à la création d’un nouvel échelon. Cependant, si l’on doit supprimer les départements, se pose alors le problème de la cohérence économique et géographique du découpage des régions.

La décision 226, dans l’objectif de consolider les dépenses de l’État et de ses opérateurs – ce pour quoi la commission des finances milite de longue date –, pose le principe de l’interdiction de l’endettement pour les opérateurs. Je considère pour ma part qu’une consolidation de la dette est nécessaire, mais l’endettement lui-même ne me semble pas choquant pour permettre à un opérateur de remplir ses objectifs. Il peut représenter, au surplus, une souplesse de gestion pour l’État.

À ce propos, comment concevez-vous la place des partenariats public-privé dans la dette ? Un PPP est-il une dette à terme ? Un opérateur de l’État peut-il y recourir ?

M. Alain Néri : Pour moi, il existe une filière générale de l’éducation, de la connaissance et de la formation tout au long de la vie. Les choses se jouent, comme vous le soulignez dans votre rapport, dès la petite enfance. Il appartient donc à la puissance publique d’assurer une égalisation des chances pour l’ensemble des très jeunes citoyens, quel que soit l’endroit du territoire où l’on se trouve. Jusqu’à présent, l’égalité des chances s’est révélée un leurre. Comme le disait Platon dans La République : « L’égalité est juste entre égaux et l’inégalité est juste entre inégaux ». Le rôle régulateur de l’État est donc de donner plus à ceux qui ont moins. C’est dans cette voie qu’il faut s’engager, notamment ce qui concerne les structures d’accueil de la petite enfance qui font défaut à certains territoires parmi les moins favorisés.

La suppression des départements est un véritable serpent de mer. La loi du 2 mars 1982 « relative aux droits et libertés des communes, départements et régions » préconisait une organisation plus rationnelle et plus proche du citoyen et du territoire. Sans doute existe-t-il trop d’échelons, mais c’est surtout à la complication excessive du système qu’il faut s’attaquer. L’État devrait commencer par avoir le courage de dire quelles compétences il veut ou peut assumer, en apportant les financements correspondants. Corrélativement, les communes, communautés de communes, départements et régions se verraient signifier précisément quelles sont leurs véritables compétences. Nous sommes aujourd'hui victimes de financements croisés qui entraînent une véritable déperdition d’énergie et d’argent. Pour un même projet, un maire se voit obligé d’aller faire la quête auprès de divers organismes et doit remplir six ou sept dossiers !

Dans la situation actuelle, les départements et les régions s’arrogent tant de compétences que les hôtels de département et de région ne sont plus assez grands pour accueillir les services que l’on ne cesse de créer. Plutôt que de supprimer les départements, il faut définir clairement les compétences de chaque collectivité et interdire les financements croisés.

M. Charles de Courson : Je félicite la commission Attali pour l’inspiration libérale dont elle a fait preuve en matière économique et pour l’équilibrage social dont elle assortit ses propositions. Quelques-unes des 316 décisions peuvent certes être qualifiées de folkloriques ou d’inadaptées – ainsi l’abandon du principe de précaution, que j’approuve pourtant puisque j’étais parmi les dix qui ont voté contre son introduction dans la Constitution : comme il est improbable que la grande majorité de mes collègues reviennent sur leur vote, il faudra bien vivre avec… –, mais cela est secondaire au regard de la grande masse de celles qui vont dans le bon sens.

Je suis moins optimiste que vous sur la cohérence financière et budgétaire globale de vos propositions. C’est pourquoi j’aimerais pouvoir disposer d’une estimation en termes de coûts et de recettes supplémentaires sur la durée. La baisse des dépenses de 1 % par an est, n’en déplaise à beaucoup de mes collègues, tout à fait possible si l’on fait preuve de courage politique. Il nous faudrait cependant des éléments chiffrés.

M. Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française : En matière d’attractivité, le danger encouru par la France est considérable. Selon les démographes, nous perdons environs 50 000 jeunes diplômés par an.

Nous ne sommes pas contre le principe de précaution en tant que tel, mais contre la façon dont il est inscrit dans la Constitution. Je n’ai pas compris ce que cette rédaction veut dire. Sans doute ceux qui l’ont votée ont-ils, eux, compris : j’aimerais donc qu’ils me l’expliquent.

Il est essentiel pour la croissance que Paris soit une grande place financière internationale et je suis fier que le rapport insiste sur ce sujet, de même que je suis fier des nombreuses pages sur la spéculation financière. Nous étions parmi les rares personnes, en France et dans ce monde insouciant, à voir venir la crise. Vous trouverez dans l’exposé des motifs et dans les décisions 312 à 316 de nombreux éléments, dont la création d’un fonds souverain français.

Pour ce qui est des zones franches et des pôles d’excellence, il faut savoir que nous avons fui comme la peste tout ce qui pouvait ressembler à de nouvelles niches fiscales ; et Dieu sait que l’on est venu nous en proposer !

Au sujet de la spéculation financière, le rapport souligne ce qui apparaît comme une évidence aujourd'hui, à savoir le danger de la valorisation des entreprises par le marché – le fair market value –, et présente des propositions précises.

Quant au chiffrage, nous serions ravis de travailler avec vous en petit groupe, comme nous l’avons aussi proposé au Sénat. Je me refuse à mettre sur la table un chiffrage, car j’estime que ce serait tromper l’opinion. Je puis vous dire en détail combien chaque mesure coûte ou rapporte ; je garantis que l’ensemble est équilibré, mais il n’est pas question de lâcher une demi-page caricaturale.

Comme l’a très justement relevé M. Gilles Carrez, la question du caractère limitatif des crédits de la santé est une question de société fondamentale. Je considère que l’expression « charges sociales » est extrêmement trompeuse, car elle associe une notion de poids, de contrainte, à ce qui est en fait une prime d’assurance permettant de financer quelque chose de très positif. Pour la commission, les dépenses de santé sont une bonne chose et leur augmentation une bonne nouvelle, parce que l’espérance de vie s’allonge et parce que ce secteur est porteur de croissance.

Reste à savoir qui finance cette augmentation : la collectivité, par l’impôt ou les « charges sociales », ou l’individu, par une cotisation d’assurance privée, voire en payant lui-même ? Sur cette question, qui est d’ordre philosophique, nous ne prenons pas parti. La notion de crédit limitatif n’est en aucune façon un appel à un rationnement de la santé, mais il faut que la collectivité soit lucide sur son choix. On peut fixer un crédit limitatif à 70 % du PIB : il faut alors le décider et le voter. Nous vivons dans un monde étrange où l’individualisme s’accroît en même temps que la demande de socialisation de la dépense de santé.

Soit on choisit de poursuivre le couplage entre les dépenses de santé et les prélèvements obligatoires, ce qui portera le niveau de ces derniers à 65 ou 70 %, soit on choisit un découplage, et c’est à la représentation nationale de le décider et d’afficher un crédit limitatif en indiquant qu’il revient à l’assurance privée de faire le reste. Nous vous demandons d’accomplir cette démarche d’explicitation démocratique, s’agissant d’un choix de société essentiel.

En matière de dette, nous proposons simplement de réduire d’un point par an la part des dépenses publiques dans les prélèvements obligatoires. Comme ces prélèvements ne varieront pas, nous sommes amenés à penser que, au lieu d’être portée à 80 % du PIB en 2012, la dette serait ramenée à 55 %, ce qui nous placerait dans une certaine moyenne.

Le sujet de l’héritage, tout comme celui du cumul des mandats, nous a beaucoup occupés. L’impôt sur les successions est certainement un impôt juste pour la croissance, mais le dispositif en vigueur taxe déjà les héritages importants et exonère les petits héritages. Après beaucoup de débats, nous avons estimé que l’équilibre actuel est satisfaisant.

S’agissant de la limitation du cumul des mandats, il n’aurait pas été mauvais, selon nous, d’aller plus loin pour renouveler les élites et accélérer les changements, mais nous avons jugé aussi que le nombre de nos ennemis serait déjà assez grand pour ne pas le multiplier, en particulier dans cette salle.

Nos propositions portent-elles l’étiquette « social-libéral » ? Je pourrais vous répondre par une pirouette, M. Jean-Claude Sandrier, et vous dire que, comme nous ne sommes pas à vendre, nous ne portons par d’étiquette. Il est vrai que c’est une chose que nous voulons absolument éviter. Notre rapport est équilibré. Il comporte des réformes sociales radicales et des mesures d’élimination des rentes – qui sont aussi des gaspillages – pour favoriser ceux qui n’en sont pas bénéficiaires. Dans l’introduction du rapport, il est longuement expliqué comment se créent les richesses et qui sont les acteurs de leur création. Nous ne disons pas que le travail est un coût : c’est au contraire le principal facteur de croissance. En matière de spéculation et de fonds souverains, je vous renvoie aux décisions 309 à 313.

Comme vous le soulignez, la sécurité ne doit pas porter seulement sur la compensation de la rupture à l’amiable : il faut en même temps sécuriser l’emploi et la formation. C’est au moment où une personne n’a pas encore perdu son travail que la formation est nécessaire. Le contrat d’évolution n’est pas réservé à ceux qui perdent leur emploi. Par ailleurs, nous mettons fortement l’accent sur la formation par alternance – forme moderne de l’apprentissage, mais qui revêt bien d’autres dimensions –, sur laquelle nous formulons un ensemble de propositions.

S’il faut en effet stabiliser les normes, M. Michel Bouvard, il faut aussi se garder de leur donner trop de stabilité, car on s’interdit alors la réforme. Nous souhaitons surtout que l’on procède à une évaluation préalable de toutes les réformes et que l’on mette en place tous les décrets d’application en même temps, de telle sorte que la réforme soit d’application immédiate au moment où elle est complètement prête et où son impact et ses conditions de mise en œuvre sont connus.

Nous pensons que les partenariats public-privé, même s’ils ont du sens puisqu’il s’agit d’investissements, doivent être considérés comme une dette. Il faut en être conscient.

Quant à la cohérence du découpage des régions, je ne vois pas d’obstacle à des modifications, mais c’est aux élus d’en décider.

Pour ce qui est de la séparation des compétences partagées, M. Alain Néri, la décision 261 correspond presque exactement à ce que vous avez dit.

Je suis soulagé que seul le principe de précaution soit apparu comme « folklorique » aux yeux de M. Charles de Courson. Je suis à sa disposition pour entrer dans le détail du chiffrage, que nous avons travaillé de façon approfondie avec la direction du budget.

M. Hervé Mariton : On doit rendre acte de la force de la démarche et de la cohérence des propositions du rapport. Sur la façon de mettre en œuvre les mesures, vous avez indiqué que certaines – la concurrence, la rupture du contrat de travail – s’équilibraient d’elles-mêmes. Vous venez de nous communiquer des éléments de chiffrage pour d’autres, mais il n’y a aucune indication pour beaucoup d’entre elles. Des sujets essentiels sont abordés en trois lignes : ainsi la décision 268, « conditionner les prestations familiales aux revenus des ménages », qui reprend une proposition ancienne et souvent contestée.

Alors que beaucoup de critiques très injustes vous ont été adressées, on a peu relevé que le rapport, s’il contient beaucoup de propositions pertinentes, n’a pas l’originalité pour qualité première. Parmi les décisions plus originales que d’autres, on mentionnera la décision fondamentale 8, qui vise à renverser la charge de la complexité administrative au profit des très petites entreprises, mais ce discours a déjà été entendu. Nous restons donc un peu sur notre faim et aimerions que vous vous risquiez à nous faire part de quelques idées que vous auriez écartées lors des débats de votre commission parce qu’elles vous seraient apparues trop originales.

Enfin, quelles sont les propositions qui vous paraissent adaptées à une démarche d’expérimentation ? Il me semble que la suppression des départements pourrait en faire partie. Y en a-t-il d’autres ?

M. Pierre-Alain Muet : Je m’interroge sur la nature de ce document. Ce n’est ni une étude ni un rapport. Je ne suis guère convaincu par l’idée que ce serait un mode d’emploi. Il est utile en ce qu’il lance 316 propositions dans le débat public, mais, si nous voulons débattre au fond chacune d’entre elles, il nous faudra du temps. Au bout du compte, je me demande si vous n’êtes pas en train de réinventer à vous tout seul le Commissariat au plan. Celui-ci recherchait lui aussi un consensus sur un certain nombre de propositions. Cependant, ce consensus avait alors un sens puisque cette instance intégrait les partenaires sociaux et pas seulement des experts. En outre, ce qui est intéressant pour le politique est, bien plus que le consensus, l’expression des différents points de vue. Il serait facile de trouver des économistes formulant des recommandations totalement opposées aux vôtres.

Sur la mobilité et la sécurité de l’emploi, les partenaires sociaux ont évidemment leur mot à dire. De même, les propositions très intéressantes en faveur de l’économie de la connaissance méritent d’être discutées avec les personnes concernées.

Enfin, je cherche en vain le lien entre ces propositions et l’objectif du point de croissance supplémentaire. Il est seulement dit que la compensation de l’allégement des cotisations salariales par la CSG et la TVA est neutre financièrement et à peu près neutre pour la croissance. Cela ne suffit pas.

Mme Martine Billard : L’objet de ce rapport est « la libération de la croissance française » et sa première partie s’intitule « Participer pleinement à la croissance mondiale ». On commence pourtant à considérer que le PIB n’est pas le meilleur indicateur de l’état réel des pays et de la planète. Votre commission s’est-elle déjà posé la question ?

Par ailleurs, alors que nous consommons beaucoup trop de ressources par rapport aux capacités de la planète, ce point n’apparaît pas, ou peu, dans le rapport. Celui-ci comporte certes un certain nombre d’idées en matière de développement durable. Les propositions concernent largement les enjeux énergétiques, qui sont en effet primordiaux. Qu’en est-il des enjeux que représentent les autres matières premières, des enjeux d’aménagement du territoire et des choix concernant les types d’agriculture ?

M. Jean-François Lamour : Vous avez raison de considérer que le savoir est un élément crucial. Sur ce sujet, le rapport entre dans le détail, allant jusqu’à parler de la formation des assistantes maternelles et des responsables de crèches.

Vous proposez également un renforcement de l’autonomie et des moyens des universités et évoquez l’autonomie des établissements primaires et secondaires, avec un vivier national où chaque directeur d’école, principal de collège ou proviseur irait puiser les meilleurs enseignants en les « motivant », principalement, j’imagine, par une perspective financière, mais aussi par un projet d’établissement attractif. Dans cette architecture, comment envisagez-vous la gestion des ressources humaines ? Pensez-vous maintenir un ministère de l’éducation nationale, ou faut-il commencer à parler d’un transfert de compétences vers telle ou telle collectivité territoriale ? C’est un point que vous n’évoquez pas : vous vous contentez d’affirmer que le responsable des ressources humaines doit être le chef d’établissement. Sera-t-il inscrit dans la « feuille de route » du ministre de l’éducation nationale l’objectif de fermer les portes de son ministère ?

Mme Sandrine Mazetier : Comme M. Pierre-Alain Muet, je me demande quelle est la nature de ce document. Sur la petite enfance, par exemple, vous entrez dans le détail sans qu’il existe de cohérence entre les propositions. Il est indiqué que les dix premiers mois de la vie sont décisifs et qu’un tiers des enfants sont condamnés par leur expérience dans cet intervalle, ce qui est d’ailleurs un peu surprenant de la part d’une commission dont fait partie M. Boris Cyrulnik, l’auteur du concept de résilience. Vous en concluez que tous les nouveaux-nés doivent pouvoir être accueillis dans des structures collectives, mais sans en évaluer le coût. Vous vous contentez de recommander d’améliorer la formation des assistantes maternelles et des éducatrices de crèche. Le problème n’est-il pas plutôt celui des enfants qui ne sont pas accueillis dans les crèches et dont les parents, le plus souvent, n’ont pas le français pour langue maternelle ? N’y a-t-il pas là un formidable gâchis ?

De plus, vous passez ensuite à des propositions sur l’apprentissage à l’école primaire, faisant l’impasse sur la maternelle.

Plus généralement, je suis surprise du caractère peu iconoclaste de vos préconisations en matière éducative. Ne retenir du modèle suédois que l’implantation d’établissements privés dans les quartiers défavorisés me semble par exemple très décevant.

M. Frédéric Lefebvre : Pour mener à bien ce travail considérable, vous avez développé une méthode spécifique dont j’apprécie l’équilibre. Vous avez fait appel à des experts reconnus. Vous insistez sur l’urgence de mettre en œuvre ce que vous définissez comme un « mode d’emploi ».

Comme vous l’avez vous-même anticipé, la question du chiffrage revêt pour nous une grande importance. En matière de réduction des dépenses publique, par exemple, le rythme que vous proposez rejoint des propositions de loi que nous avons déposées avec le groupe Nouveau Centre.

Vous insistez également sur l’évaluation, qui dictera le rythme de la réforme. Quelle sera la répartition des rôles entre votre commission, le Parlement et les administrations de l’État ? Devrons-nous travailler avec celles-ci directement ? Quelle place sera laissée à l’initiative parlementaire ? En tout état de cause, avant de nous prononcer sur certains points, nous avons besoin d’évaluations précises.

M. Patrick Roy : Je suis d’accord avec la notion d’obligation de cohérence que vous avez exposée et j’apprécie l’intitulé de votre chapitre I – Au commencement, le savoir – qui pose comme principe que l’important est que chaque enfant et chaque citoyen puisse être plus heureux et plus créatif.

Cependant, les propositions relatives aux crèches et aux écoles maternelles et primaires sont peu nombreuses et assez floues. Comment, par exemple, éviter les redoublements comme vous le recommandez ? Vous indiquez également que la France peut faire beaucoup mieux avec les mêmes moyens : j’en conclus qu’il ne faut pas supprimer ces moyens comme on le fait aujourd'hui. Vous préconisez une extension du socle commun mais, les horaires n’étant pas extensibles, que retranche-t-on en contrepartie ? Enfin qu’en est-il de cette dotation d’État qui dispenserait les communes du financement des écoles ? Il pourrait s’agir d’un élément positif.

M. Jean-Michel Fourgous : Tout d’abord, bravo ! Les échos que votre rapport rencontre en France en prouvent les vertus pédagogiques. Étant donné le déficit de compréhension des mécanismes marchands dans notre pays, c’est déjà un grand résultat.

Comment introduire la pluridisciplinarité dans la formation de nos élites ? On peut sans doute aller plus loin que vos propositions.

Vous avez raison de vouloir supprimer la référence au principe de précaution dans la Constitution : encore faut-il réaliser une étude d’impact pour convaincre la représentation nationale de la bêtise qui a été commise.

En ce qui concerne la superposition des structures, autant je suis favorable à l’intercommunalité en milieu rural, autant j’y suis hostile en milieu urbain. En la matière, je vous trouve singulièrement bienveillant. La France ayant une culture de la dépense publique, on ne peut continuer ainsi.

Je suis favorable à la suppression des départements, de même qu’à l’évaluation des professeurs par les élèves à partir du secondaire.

Enfin, j’aimerais savoir où vous en êtes dans votre réflexion sur les fonds souverains.

M. Christian Eckert : Alors que le PIB est, semble-t-il, l’alpha et l’oméga de votre réflexion sur les choix de société, que pensez-vous de l’idée, avancée par le Président de la République, d’adopter d’autres indicateurs ?

Par ailleurs, la décision 98 recommande de regrouper la Commission bancaire et l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, « avec la mission de promouvoir la place financière de Paris ». Ne pensez-vous pas, en ces jours où la déréglementation montre ses limites, que le rôle de la Commission bancaire est plutôt un rôle de contrôle ?

M. Henri Nayrou : Au sujet des Écopolis évoquées dans la décision 91, avez-vous choisi l’articulation entre l’urbain et le rural ? S’agit-il de désengorger l’urbain et d’organiser le rural ? Prenez-vous en compte l’aspiration de nos concitoyens à quitter les villes pour aller à la campagne, aspiration qui rejoint ce qu’Edgar Morin appelle la « politique de civilisation », à savoir le choix du « mieux » au lieu du « plus » ?

M. Christian Paul : Alors que vous avez rappelé à juste titre les enjeux de la société de la connaissance, je n’ai pas trouvé dans votre traitement de la question de la formation des adultes la révolution que l’on aurait pu attendre.

Le Président de la République a approuvé le rapport Olivennes tout comme il a approuvé le vôtre, qui lui est diamétralement opposé. Quand et comment la conciliation se fera-t-elle ?

M. Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française : Notre rapport, j’y insiste, n’est pas un rapport d’experts. Il a été élaboré par des personnes qui ont une expérience, une pratique. Nombre d’entre elles sont chefs d’entreprise ou syndicalistes. J’ai voulu que tous les partenaires sociaux soient représentés. Notre commission comprenait le président de la commission économique du MEDEF, le principal négociateur social du MEDEF, un ancien secrétaire général de la CFDT, des personnalités rattachées à d’autres syndicats. Beaucoup des consensus ont été obtenus par négociation.

J’ai travaillé, non pas avec des experts raisonnant dans l’abstrait, mais avec de grands praticiens. Parmi les commissaires qui m’accompagnent aujourd'hui, M. Jean-Michel Darrois est un juriste de réputation mondiale, M. Éric Labaye est le directeur général d’un des plus grands cabinets de conseil au monde, Mme Nathalie Anet est responsable de la première organisation française d’aide à la réinsertion des personnes en difficulté.

S’agissant de l’application du rapport, j’ai remis au Président de la République et au Premier ministre un document détaillé et chiffré – qu’il leur appartiendra, s’il le souhaitent, de communiquer au Parlement – sur les conditions et le calendrier de mise en œuvre des vingt mesures que nous considérons comme fondamentales, sachant que l’on peut ensuite aller plus loin.

Contrairement aux critiques de certains d’entre vous, il y a beaucoup de choses originales dans ce rapport, même s’il ne s’agit pas non plus du concours Lépine. Du reste, si vous aviez des idées plus originales, cela se saurait !

M.  Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan : Vous constaterez une fois de plus, mes chers collègues, que M. Attali ne manie pas la langue de bois. (Sourires.)

M. Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française : Le premier homme politique que j’ai côtoyé, Pierre Mendès-France, m’a dissuadé de faire ce métier qui consiste à répéter sans cesse. Voilà pourtant que je m’inscris dans cette lignée et que je m’emploie à répéter ces mesures indispensables qui n’ont été prises ni par la gauche ni par la droite. C’est ce qui conduira peut-être à faire, dans cinquante ans, ce qui aurait dû être fait il y a vingt ans.

Le PIB est le seul indicateur existant aujourd'hui pour mesurer la richesse matérielle, mais il existe aussi un excellent indicateur international, l’indice de développement humain, qui le complète très bien. Le rapport explique d’ailleurs pourquoi le PIB est à la fois nécessaire et insuffisant.

C’est bien un rôle de contrôle que joue la Commission bancaire, mais le renforcement du contrôle est la condition de la puissance de la place financière.

Le ministère de l’éducation nationale doit bien entendu être maintenu. Cependant, une partie importante de son activité pourrait être progressivement assurée par des agences. Ce point ne figure pas parmi nos priorités, car il doit être préalablement soumis à expérimentation.

Notre commission pourrait en effet, M. Pierre-Alain Muet, être qualifiée de commissariat éphémère au plan, dont la page se tourne déjà.

Il est vrai également que nous n’avons pas détaillé les mesures relatives à l’école maternelle. Quant au passage que vous critiquez, Mme Sandrine Mazetier, il est de la main de M. Boris Cyrulnik.

On ne peut dire que le rapport n’insiste pas assez sur la formation des adultes alors qu’il comporte au moins vingt-cinq mesures à ce sujet.

Enfin, nous pensons que la solution proposée dans le rapport Olivennes n’est pas la meilleure : on ne peut développer la croissance en installant la surveillance et le traquage.

Pour le reste, nous sommes à votre disposition pour approfondir la réflexion, notamment sur les conditions de mise en œuvre de nos propositions.

M.  Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan : Monsieur le président Attali, je vous remercie. Chacune des deux commissions poursuivra son travail sur ce rapport.