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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mardi 27 mai 2008

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 45

Présidence de Pierre Méhaignerie Président

– Examen du rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’information sur la pénibilité au travail (M. Jean–Frédéric Poisson, rapporteur) 2

– Informations relatives à la commission 11

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport d’information, en conclusion des travaux de la mission d’information sur la pénibilité au travail, présenté par M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur, après avoir remercié ses collègues membres de la mission, a présenté le contexte de la mission d’information. Les partenaires sociaux ont entamé sur le sujet de la pénibilité au travail, après le vote de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, une négociation qui a peu de chances d’aboutir en raison de divergences profondes. La mission d’information devait rendre ses conclusions après l’éventuel accord entre les partenaires sociaux et avant la présentation par le gouvernement de son projet de réforme des retraites dans le cadre du rendez-vous de 2008. La remise du rapport a été repoussée pour tenir compte des reports de la date d’échéance de la négociation interprofessionnelle mais, à un moment donné, il faut bien conclure. Pris en porte-à-faux entre l’esprit de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social et son habitude de faire des propositions concrètes, le rapporteur a souhaité ne pas empiéter sur les compétences des partenaires sociaux en présentant des conclusions très détaillées ; le rapport est d’ailleurs une invitation à la négociation interprofessionnelle et professionnelle par branche.

Le rapport va au-delà de ce que prévoyait l’article 12 de la loi de 2003 et l’occasion a été saisie de dresser un état des lieux aussi complet que possible. Le rapport comporte ainsi, outre l’étude de la compensation, un important volet sur la prévention. Il est riche en statistiques et fait le tour de la sécurité au travail, des accidents du travail, des maladies professionnelles ainsi que des dispositifs d’interruption de carrière. Cette approche a permis de distinguer la pénibilité au travail de toutes les autres raisons qui peuvent justifier de raccourcir une carrière professionnelle.

La mission a abouti à une définition : « La pénibilité au travail est le résultat de sollicitations physiques ou psychiques qui, soit en raison de leur nature, soit en raison de la demande sociale, sont excessives en regard de la physiologie humaine et laissent, à ce titre, des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé et l’espérance de vie d’un travailleur ». Elle est proche de la définition à laquelle les partenaires sociaux sont sur le point d’aboutir ; elle s’en distingue néanmoins sur deux points. D’une part, la pénibilité résulte d’un excès, ce qui constitue un gage de pérennité de sa prise en compte. En effet, si tout travail est pénible, il faut envisager des compensations pour tous les métiers. La pénibilité doit être isolée en tant que telle. Or, pour qu’elle le soit, il faut des critères précis, en l’occurrence l’excès. Il faut ensuite justifier les raisons pour lesquelles on se résout à soumettre des travailleurs à des conditions que l’on sait excessives et qui ont un impact sur leur espérance de vie, donnée qui est unanimement reconnue, notamment par les épidémiologistes. Le travail explique, en partie seulement, la différence d’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres.

Certaines tâches sont pénibles à accomplir par nature – le port de charges lourdes, par exemple – ou le deviennent dans les conditions que commande la demande sociale. Cette notion, sujette à interprétation, a donné lieu à des échanges au sein de la mission. Ainsi, le travail de nuit est indispensable dans certaines branches, comme la santé publique, la presse quotidienne, les transports. Il est question de demande sociale, et non plus de nécessité sociale, pour tenir compte de l’industrie, dont l’activité nocturne n’est pas une conséquence de considérations d’ordre public, mais qui est soumise à des contraintes sur lesquelles nous n’avons que peu de prise.

Une fois le constat dressé, il convient de distinguer la pénibilité qui peut être réduite de celle qui ne peut pas l’être – les déménageurs devront toujours porter à un moment ou à un autre des charges lourdes –, cette dernière devant prioritairement être prise en compte. Afin de pérenniser le système de compensation, il est impératif de distinguer la pénibilité par rapport aux risques professionnels, aux métiers dangereux et aux contraintes et astreintes. Certains métiers sont dangereux sans être pénibles, et inversement. Quant aux astreintes et contraintes diverses, elles n’ont pas forcément d’incidences sur l’espérance de vie. Certaines branches ont déjà fait des efforts très importants pour améliorer les conditions de travail, en particulier le bâtiment et les travaux publics, ainsi que la grande distribution, qui se sont attaqués à la frange réductible de la pénibilité, qui doit être la cible de campagnes de prévention. Mais certains métiers resteront toujours pénibles. Ce sont eux qui doivent faire l’objet de compensations. Prévention et compensation, tels sont les deux axes des propositions du rapport.

Les mesures de prévention reposent sur le constat que la pénibilité est un phénomène largement culturel. Dans ce domaine, il y a à la fois une attente forte de tous les acteurs sociaux et une prise de conscience limitée des actions concrètes à mener énergiquement sur le terrain.

La première raison de ce paradoxe tient au manque d’interlocuteurs. Ainsi, dans 30 % des entreprises de 100 à 500 salariés et dans 40 % des entreprises de 50 à 100 salariés, on ne trouve pas de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui sont pourtant pleinement compétents en la matière. Par ailleurs, quand il y a un délégué du personnel, sa formation en matière de santé au travail est le plus souvent nulle ; c’est notamment le cas dans l’artisanat. Il existe aussi des interlocuteurs externes à l’entreprise, qui sont censés l’aider : les inspecteurs du travail, les médecins du travail, les réseaux de l’Agence nationale et des agences régionales pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT-ARACT). La compétence du réseau ANACT-ARACT est unanimement reconnue mais il n’emploie que 270 personnes, soit trois par département.

Les employeurs font parfois de la résistance, car ils ne voient pas toujours le bien-fondé des dépenses liées à la santé au travail, faute de mesurer le retour sur investissement ou la rentabilité. Par ailleurs, certains salariés, par négligence ou par inconscience, ne respectent pas la réglementation à laquelle ils sont soumis. Enfin, force est de reconnaître que la culture dominante dans l’entreprise considère comme antinomiques performance de l’entreprise et respect des personnes. On ne comprend pas que les gens travaillent d’autant mieux qu’ils sont respectés.

De ce constat découlent trois types de mesures de prévention de la pénibilité : une information en amont grâce à une campagne nationale pour modifier l’environnement culturel ; des dispositions relatives à la vie interne de l’entreprise ; une action à destination des partenaires de l’entreprise.

Pour comprendre les modalités de cette campagne, il faut se référer à deux grandes causes nationales, le soutien aux personnes handicapées et la lutte contre l’insécurité routière. Des méthodes différentes ont donné des résultats différents. Dans le premier cas, les grands principes humanistes que les pouvoirs publics ont été amenés à arrêter pour agir avec des objectifs ambitieux sont justifiés mais qui n’ont pas suffi pour obtenir des résultats nets dans tous les domaines importants, comme l’accessibilité ou l’emploi. Dans le second, tous les efforts se sont concentrés sur deux causes majeures des accidents de la route – l’alcoolémie et l’excès de vitesse –, en levant le pied sur les autres. Le rapport préconise la même approche et propose de s’inspirer de l’exemple britannique de la Social Exclusion Unit : à partir d’un constat partagé, mettre en œuvre un programme d’actions concrètes et très ciblées, plutôt que d’arroser très large.

Le professeur William Dab, qui enseigne la santé au travail au Conservatoire national des arts et métiers, estime, tout comme le rapporteur, que sa discipline devrait obligatoirement être enseignée dans les écoles d’ingénieurs et les écoles de commerce. Trop de cadres arrivent dans l’entreprise en ignorant l’enjeu que représentent les conditions de travail. Les apprentis et les techniciens devraient, eux aussi, être informés.

Quatre propositions du rapport ont trait à la vie interne de l’entreprise. La première consiste à renforcer la présence et le rôle du CHSCT. Rien n’a été fait pour remédier aux carences qui ont été dénoncées. Si l’on n’envisage pas de sanctions en cas de non-respect des obligations légales, il y a fort à parier que les choses ne bougeront pas. Il faut faire du CHSCT en matière de santé au travail ce que le comité d’entreprise est à la vie socio-économique de l’entreprise. La question, qui n’a pas été tranchée, de savoir s’il faut protéger, à l’instar des membres des comités d’entreprise, les salariés membres des CHSCT se posera fatalement car s’opposer au patron sur la mise aux normes d’une machine sera plus délicat que de lui demander des augmentations de salaires. Par ailleurs, des sanctions financières à l’encontre des entreprises qui ne respecteraient pas les obligations concernant le CHSCT devront être prévues.

Les systèmes incitatifs à l’aménagement des postes de travail devront encore être élargis, jusqu’à la défiscalisation totale.

Le document unique par site, qui recense l’ensemble des risques encourus par le personnel, a pris du retard, malgré son caractère obligatoire et il se résume trop souvent à un document de sécurité incendie.

Il faut enfin généraliser la gestion prévisionnelle des carrières pour pouvoir aménager la fin de carrière et les parcours professionnels. Toutefois, la taille des PME est un obstacle à leur bonne volonté. La rotation en fonction de l’âge entre les postes pénibles et les autres n’est pas possible partout, sauf à l’envisager au sein d’une branche, ce qu’ont fait les partenaires sociaux. Mais aucune solution n’a émergé des auditions et il manque un outil de prévision.

En ce qui concerne les partenaires de l’entreprise, le rapport propose de doubler le budget annuel du réseau ANACT-ARACT, qui ne dispose pour le moment que de 26 millions d’euros. Pour la médecine du travail, le rapport se fonde sur celui du Conseil économique et social présenté par M. Christian Dellacherie, qui préconise une revalorisation de la filière et du statut, ce qui répond à une stricte nécessité. Il n’est pas donné suite à une demande de plusieurs organisations syndicales tendant à soustraire le médecin salarié à l’emprise de son employeur : tout dépend des personnes, plus que du statut du médecin du travail. En revanche, il faudrait faire pour la médecine du travail ce qui a été fait pour la médecine générale, en accélérant les créations de poste.

La compensation de la pénibilité a été la question la plus débattue, d’abord pour une raison de principe qui a sans doute fait achopper les négociations entre partenaires sociaux. Deux conceptions sont possibles. Selon la première, celle des représentants des salariés, la pénibilité doit ouvrir de plein droit l’accès aux compensations qui sont déterminées en fonction du métier et de la durée d’exposition aux facteurs de pénibilité. Selon la seconde, celle des représentants des employeurs, c’est non pas le statut qui détermine la compensation, mais l’état de santé de chaque personne. De deux choses l’une : soit la pénibilité est définie par les conséquences qu’elle a sur l’espérance de vie, mais ce n’est pas le seul facteur et il est impossible de l’isoler en tant que telle, soit c’est l’état de santé qui est la manifestation, auquel cas les droits à compensation ne doivent être attribués qu’à ceux dont la santé et l’espérance de vie ont été effectivement altérées par les conditions de travail. Cette conception relève d’une logique purement individuelle et médicale. Il n’est pas facile de dire qui a tort et qui a raison mais, à partir du moment où la collectivité est mise à contribution, même s’il s’agit de droits légitimes, il y a une forme d’injustice à les accorder à des personnes qui n’ont pas subi les effets de ce qui fonde lesdits droits. C’est cet esprit qui a guidé les propositions concernant le curriculum laboris, ou carnet de santé, et les mesures de compensation directe.

Pour la détermination des métiers et des personnes éligibles, le rapport propose de solliciter les partenaires sociaux. Une commission devra avoir pour mission de décider, au vu du dossier individuel, si le travailleur a droit à une compensation sous la forme d’une réduction du temps de travail en fin de carrière avec maintien intégral des conditions contractuelles, ou sous la forme d’une retraite anticipée pour les salariés qui ne seraient plus en état d’exercer une activité professionnelle ou dont le métier aurait été particulièrement dur, les deux mesures n’étant pas forcément exclusives.

L’économie française peut supporter la charge d’une telle mesure qui concernerait environ 250 000 personnes si l’on retient une durée d’exposition de vingt ans, un cumul de facteurs de pénibilité listés dans le rapport et des salariés âgés de 55 à 59 ans, la durée d’exposition, le cumul de facteurs et l’âge du travailleur étant les trois critères habituellement retenus pour déterminer l’éligibilité à une mesure de compensation. Le rapport comporte également une évaluation haute d’un million de personnes. Le chiffrage auquel le rapport aboutit est du même ordre de grandeur que le coût des retraites anticipées pour carrière longue qui est de 2,5 milliards d’euros par an pour l’assurance vieillesse. La mesure de réduction du temps de travail pourrait se traduire par une compensation salariale d’un montant de 500 euros par mois.

Pour instituer ce que la CFE-CGC appelle le « curriculum laboris » et la CFDT le « carnet de santé » et couper court aux injustices, il faut éliminer autant que faire se peut toute subjectivité. Un des moyens consiste à reconstituer la carrière des individus en affectant à chaque poste occupé un coefficient de pénibilité. Le système repose donc sur une traçabilité des carrières. Les organisations patronales ne sont pas hostiles à ce système. À ce stade, il a paru souhaitable d’étudier sa mise en place parce que les moyens informatiques et humains pour définir et gérer les grilles ne sont en aucun cas disponibles, ni à la sécurité sociale ni ailleurs. En outre, si l’on se fie aux débats qui ont présidé à la mise en place de la carte Vitale et au dossier médical personnel, il reste du chemin à parcourir pour savoir qui alimentera le système, qui le vérifiera, qui y aura accès, etc. Ce carnet de santé doit donc faire l’objet d’un travail concerté entre les partenaires sociaux. Le législatif ou l’exécutif devront fixer un calendrier de décision, d’autant plus nécessaire que les effets concrets ne se feront pas sentir avant vingt ans.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

M. Régis Juanico a rappelé que les deux objectifs initiaux de la mission étaient, d’une part, de dresser un état des lieux le plus précis possible auquel le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche adhère grosso modo, et, d’autre part, de faire des propositions dans le sillage de l’article 12 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, qui prévoyait une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité, en contrepartie de l’allongement de la durée de cotisation. C’est sur le second point que le bât blesse. Le rapport manque d’audace en matière de réparation et de compensation, même s’il ouvre des pistes intéressantes en matière de prévention et d’amélioration des conditions de travail.

La définition de la pénibilité est davantage source de confusion que le point d’équilibre auquel étaient parvenus les partenaires sociaux après trois ans de négociations laborieuses. Au-delà, le rapport privilégie une approche individuelle, au détriment des éléments collectifs. Ainsi, on peut lire dans le rapport : « Le rapporteur considère comme fondé l’argument selon lequel les facteurs personnels et privés (hygiène de vie, addictions, etc.) influant sur la santé du travailleur doivent être pris en compte pour apprécier la mise en œuvre d’une mesure de compensation ». Il y a là une vraie différence d’approche, même si le rapport est cohérent.

Sur la prévention, le travail n’est pas terminé. Oui, il faut renforcer les CHSCT car il est anormal que près d’un salarié sur deux ne dispose pas d’un CHSCT sur son lieu de travail, mais c’est une erreur de fermer la porte aux CHSCT territoriaux ou de site. Oui, il faut renforcer la médecine du travail en revalorisant cette filière, mais attention à ne pas considérer les services de santé au travail comme relevant seulement des médecins du travail. C’est l’affaire de bien d’autres acteurs : les caisses régionales d’assurance maladie ou les chefs d’entreprise eux-mêmes et les CHSCT. Ces mesures auraient dû être accompagnées d’un calendrier et d’un plan précis relatif aux moyens humains et financiers, le rapport ne demandant de manière concrète que le doublement du budget du réseau ANACT-ARACT, ce qu’il convient d’approuver.

Le rapport est très timide sur le curriculum laboris, se contentant de proposer de le mettre à l’étude, timide aussi sur l’aménagement des fins de carrière et la réduction, entre un quart et un tiers, du temps de travail, ce qui est en deçà de la plus basse des positions patronales. Une telle position augure mal de l’issue de la négociation sociale, qui s’enlise. Il y a contradiction entre la page 167 du rapport, où il est répété que les cessations progressives d’activité et les retraites anticipées ne sont pas une solution à la pénibilité au travail et la conclusion qui les réintroduit. De toute façon, le dispositif de retraite anticipée qui a été ajouté à la dernière minute est très insuffisant et il faudra le revoir.

En conclusion, il est juste d’accorder des avantages spécifiques à des salariés qui ont subi des conditions de travail difficiles. L’écart d’espérance de vie entre un cadre et un ouvrier âgés de trente-cinq ans atteint sept années, ce qui justifie le principe d’un départ anticipé en raison de la pénibilité au travail. Parce que les propositions en matière de réparation sont insuffisantes, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC) n’a pas voté ce rapport auquel sa contribution sera annexée.

M. Jean Mallot a reconnu que des ajustements ont été effectués par le rapporteur par rapport à la première version de son rapport. Il a notamment atténué l’automaticité du lien entre augmentation de la pénibilité et réduction du temps de travail et revu l’expression selon laquelle certains salariés créeraient leur propre pénibilité. Mais le rapprochement de la pénibilité et des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) peut créer des confusions, tout comme le flou qui entoure la distinction entre la pénibilité réductible et la pénibilité irréductible, la première relevant en principe de la prévention, la seconde de la réparation. Par ailleurs, le rapport procède à des analogies contestables avec le dispositif des carrières longues et avec les retraites anticipées dans le cadre de plans de licenciement du type Fonds national pour l’emploi (FNE), qui n’ont rien à voir avec la pénibilité. Il reste donc des points de désaccord, mais surtout en ce qui concerne les propositions qui sont de trop faible portée.

La première phrase de la conclusion générale, qui invite à poursuivre le travail des partenaires sociaux, laisse perplexe le lecteur qui se demande à quoi sert ce rapport. L’exercice était certes difficile puisque le travail du rapporteur s’inscrivait dans le calendrier d’une négociation qui n’a pas abouti, l’enfermant dans une alternative : soit décrire la pénibilité au travail dans tous ses états et les traitements qui l’accompagnent, ce qui aurait donné un rapport universitaire, soit se substituer à la négociation en partant du principe qu’elle ne déboucherait pas, au risque de la compromettre. Cet entre-deux n’est pas satisfaisant. Ainsi, conclure qu’il faut mettre le curriculum laboris à l’étude laisse franchement sur sa faim. Quant aux réparations envisagées, le rapporteur s’est prononcé a priori contre toute formule de retraite anticipée, mais a mangé à moitié son chapeau en concédant finalement qu’une moindre espérance de vie due à un travail pénible pouvait se réparer par une diminution de la période d’activité. Remédier aux écarts d’espérance de vie entre ouvriers et cadres en réduisant d’un quart ou d’un tiers le temps de travail, sans toucher à l’âge de départ à la retraite, aurait été franchement inadapté. On ne meurt pas à temps partiel ! Si l’espérance de vie est réduite, alors il faut réduire la période d’activité. La formule de la retraite anticipée est seulement évoquée, parce qu’on ne pouvait pas l’éviter, mais elle n’est que le croupion du rapport. La procédure de l’examen du dossier par une commission médicale est d’ailleurs contestable dans la mesure où elle pose la question du choix entre objectivation ou individualisation de la prise en compte de la pénibilité. Quels seront les critères retenus ? Enfin, l’articulation entre le champ de la loi et celui de la négociation, qui a été l’objet de maintes discussions, n’est pas traitée dans le rapport. Or il faudra bien trancher.

Compte tenu de l’importance accordée à l’écart d’espérance de vie, le président Pierre Méhaignerie s’est étonné qu’il ait fallu attendre 2003 pour que ceux qui avaient l’espérance de vie la plus faible, et en fait la durée d’activité la plus longue, puissent partir plus tôt à la retraite. L’opposition ayant exercé le pouvoir, elle aurait pu remédier à cette inégalité majeure.

Mme Martine Billard a répondu que les erreurs commises ne doivent pas empêcher de progresser. Au nom du groupe de la gauche démocrate et républicaine (GDR), elle a voté contre le rapport en raison, non pas du constat qu’il établit, mais de l’interprétation de ce constat. Le rapporteur explique ainsi que les politiques publiques ne doivent pas avoir pour objectif de réduire l’écart d’espérance de vie à la retraite. La volonté de faire retomber la responsabilité de l’intensification du travail sur les 35 heures relève chez lui quasiment de l’obsession. Le phénomène est pourtant observable dans l’ensemble des pays développés.

Le désaccord porte, en premier lieu, sur la définition même de la pénibilité qui s’appuie sur la notion de « demande sociale ». Il y a certes des nécessités sociales qui expliquent que certains services publics travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre mais, au nom de la « demande sociale », on peut justifier le travail le dimanche. La formulation choisie correspond à un choix de société.

Par ailleurs, faire de la pénibilité le résultat de sollicitations physiques ou psychiques qui laissent des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé, implique qu’elle n’est pas considérée comme une probabilité. Cette approche conduit à la personnalisation de la prise en compte de la pénibilité. Ce n’est plus le poste de travail qui est considéré, mais l’état de santé du travailleur. Il y a là un désaccord de fond qui se prolonge dans les propositions qui sont faites. Ainsi, la compensation n’est consentie qu’à une double condition : que le poste de travail soit pénible et que la commission médicale constate une altération irréversible de l’état de santé du travailleur. Le rapport opère ainsi un glissement entre la pénibilité et la maladie professionnelle.

Ensuite, les propositions manquent d’audace sur le CHSCT territorial. Même si la tâche n’est pas simple, il faut étudier des solutions pour les centaines de milliers de salariés qui sont aujourd'hui, de fait ou de droit, privés de CHSCT, donc exclus de la prévention.

La proposition n° 10, qui réintroduit la possibilité de la retraite anticipée par rapport au premier projet de rapport, interpelle, comme l’incitation fiscale pour aménager les postes de travail. Normalement, c’est bien à l’employeur de faire en sorte que les postes de travail ne nuisent pas à la santé des employés. Annoncer des avantages fiscaux risque de pousser les chefs d’entreprise à l’attentisme, pour profiter de l’effet d’aubaine, et de coûter très cher aux finances publiques. Opter pour la retraite anticipée, plutôt que pour la cessation anticipée d’activité, est aussi une solution onéreuse, la participation des entreprises étant moindre, ce qui réduit les droits à la retraite de ceux à qui il manquera des trimestres, même si leur santé est définitivement altérée, alors qu’ils pourraient légitimement prétendre à un dispositif plus favorable.

M. Xavier Breton a insisté sur le travail de définition accompli par le rapporteur. La pénibilité est une notion complexe, à la fois hétérogène dans l’approche qui en est faite – pénibilité réductible et irréductible, subjective et objective – et évolutive en fonction du contexte économique et social. Les statistiques fournies dans le rapport sont riches d’enseignements sur l’impact de l’individualisation du travail et de son intensification, en particulier dans le sillage de la réforme des 35 heures. La loi du 21 août  2003 invitait les partenaires sociaux à négocier sur la définition même de la pénibilité, et ils ont du mal à se mettre d’accord. À cet égard, la proposition qui est faite dans le rapport constitue une bonne base de travail, alors que l’exercice était difficile.

Le rapport est en accord total avec les trois principes politiques posés au départ : respecter le travail des partenaires sociaux, conformément à la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, et envisager des allers-retours entre eux et le Parlement ; ne pas solliciter abusivement les finances publiques ; ne pas reconstruire des régimes spéciaux.

Les dix propositions présentées sont intéressantes et témoignent d’un souci de souplesse et de pragmatisme, par exemple en invitant à appliquer la réglementation en vigueur, déjà abondante en matière d’hygiène et de sécurité, avant d’en créer de nouvelles. Elles privilégient la mobilisation, plutôt que la contrainte. Dans les très petites entreprises et les PME, les obligations légales sont perçues souvent comme un frein à l’efficacité immédiate au travail. Il faut les convaincre que les progrès à venir peuvent renforcer l’attractivité de certains métiers qui souffrent aujourd'hui d’une mauvaise image. Dans cette optique, infliger des sanctions financières aux entreprises qui n’ont pas mis en place un CHSCT est-il approprié ? Les incitations fiscales sont préférables.

La proposition n° 5 tend à simplifier le document unique de prévention et d’évaluation des risques professionnels, qui constitue, aux yeux de certains employeurs, une « corvée ». Il faudra veiller à ce que le curriculum laboris n’en devienne pas une non plus, en modérant les ambitions et en avançant pas à pas. S’inspirer, pour une campagne de prévention ciblée et découpée en phases, de l’expérience conduite par Tony Blair est très intéressant. Bien des politiques publiques devraient en faire autant. Il faudra, sur le terrain, tenir compte de la taille des entreprises, le problème se concentrant dans les plus petites d’entre elles.

En conclusion, ce rapport – le premier consacré à la pénibilité – est didactique, complet, équilibré entre les différentes positions exprimées, concret dans ses propositions. Enfin, il est constructif car il entend ne pas opposer les acteurs économiques et sociaux les uns aux autres, et inviter les partenaires sociaux à poursuivre leur négociation, en plein accord avec la volonté de moderniser le dialogue social dans notre pays. Puisse ce rapport contribuer à lui permettre d’aboutir.

M. Alain Néri a souligné combien la notion de pénibilité est évolutive. Maintenant, la pénibilité n’est plus seulement physique et les auditions ont permis d’en prendre conscience. La pénibilité a des conséquences directes sur l’espérance de vie.

Au titre des avancées sociales antérieures à la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, le Président Pierre Méhaignerie devrait reconnaître que dans certains métiers pénibles, ceux des mineurs ou des conducteurs de train par exemple, on partait plus tôt à la retraite. En 1982, l’âge de la retraite est passé à soixante ans, sous un gouvernement de gauche. En revanche, c’est le gouvernement de M. Edouard Balladur qui a décidé d’allonger la durée de cotisation et de calculer la retraite sur les vingt-cinq meilleures années. Mme Elisabeth Guigou avait proposé une allocation équivalent retraite pour permettre à ceux qui avaient fait une carrière longue de partir, ce qui revenait à prendre en compte la pénibilité de leur travail et leur moindre espérance de vie.

Au-delà des divergences, la vie est le bien le plus précieux. Dès lors, la justice voudrait que l’espérance de vie soit effectivement prise en compte. Or ceux qui exercent les métiers les plus pénibles sont souvent ceux qui ont les carrières les plus longues. Il faudra bien, un jour ou l’autre, s’en préoccuper. La pénibilité physique n’est pas la seule en cause, il faut penser au stress, aux produits toxiques. Aujourd'hui, un premier pas a été fait mais il faudra aller plus loin, notamment en se penchant sur les conséquences de la pénibilité non plus seulement sur l’espérance de vie mais aussi sur les maladies professionnelles.

Le rapport aurait dû faire preuve de davantage de persuasion pour mettre en œuvre la compensation. D’ailleurs, la conclusion de la dernière version envisage le départ anticipé à la retraite, en contradiction avec le corps du rapport.

M. Jacques Domergue a estimé qu’il fallait d’abord se demander à quoi allait servir le rapport. Selon sa finalité, les critères retenus pour définir la pénibilité ne seront pas les mêmes. Le rapporteur tend à confondre pénibilité et dangerosité. Or les deux notions ne sont pas identiques. Par ailleurs, il est souvent fait référence à l’état de santé de la personne considérée, qui influence sa perception de la pénibilité d’un travail. Il faudrait s’appuyer sur les critères les plus objectifs possible pour définir la pénibilité qui relève souvent d’une appréciation subjective. Tous les Français ne trouvent-ils pas leur métier pénible ? L’espérance de vie peut être un élément objectif, par exemple pour déterminer la durée de cotisation. Mais on n’a pas aujourd'hui les moyens d’évaluer la situation de chaque travailleur. Après tout, le métier de Premier ministre en période de cohabitation est sûrement un métier pénible !

Enfin, il manque une proposition pour « positiver » la notion de métier et de travail, d’autant que la majorité a à cœur de revaloriser le travail. Le travail est aussi un bienfait, y compris sur le plan psychologique.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé qu’en 2003 la prise en compte des carrières longues a fait faire un bond en avant fantastique qu’ont pu mesurer les quelque 400 000 bénéficiaires. Il s’agit d’une reconnaissance de fait de la pénibilité du travail car ceux qui ont commencé à travailler à quatorze ou quinze ans ont en général un métier manuel, donc difficile. C’était la meilleure mesure possible tant qu’on ne pouvait pas définir la pénibilité de tel ou tel secteur.

M. Jacques Domergue a répondu que la durée de cotisation est un critère objectif, même s’il faut reconnaître qu’il y a souvent un lien entre carrière longue et travail pénible. Il ne faut pas négliger l’intérêt du travail, qu’il est difficile de mesurer.

Mme Catherine Génisson a souligné l’intérêt des propositions de Jacques Domergue. Par ailleurs, personne ne conteste la mesure en faveur des carrières longues, que la gauche aurait aimé prendre.

Un parallèle systématique, mais contestable, est fait dans le rapport entre durée de la carrière et pénibilité. Existe-t-il des études sur l’espérance de vie en fonction des métiers exercés ? Selon ce critère, les médecins ne sont pas bien classés.

Le rapporteur a précisé que chaque profession dresse ses propres statistiques mais, à sa connaissance, l’INSEE n’a pas établi de comparatif global par métiers. Cela étant, on peut être d’accord sur le principe.

Le Président Pierre Méhaignerie a relevé que l’espérance de vie à trente-cinq ans des actifs est supérieure à celle des inactifs, même en bonne santé, et suggéré, pour favoriser les bonnes pratiques, de s’inspirer des expériences qui ont fait leurs preuves dans les pays de l’Union européenne.

M. Jean Mallot a souligné que, parmi la catégorie des inactifs des tableaux statistiques reproduits dans le rapport, se trouvent des personnes en mauvaise santé et qui, pour cette raison précisément, ne peuvent pas travailler, ce qui explique l’écart d’espérance de vie au sein de cette catégorie. Par ailleurs, les recommandations sont bien conditionnées par la volonté, confirmée par le rapporteur lui-même, de limiter à 6 milliards d’euros, à répartir entre les entreprises et les comptes publics, le coût global maximal du dispositif.

Le rapporteur a dit son désaccord avec l’idée selon laquelle la justice sociale consisterait à assurer à chaque retraité la même durée de vie en bonne santé, ce qui serait d’ailleurs irréalisable en pratique. Ce serait confier à la puissance publique une responsabilité excessive. S’il faut réduire les écarts d’espérance de vie à la retraite en améliorant les conditions de travail, le nivellement mécanique par le biais du départ à la retraite ne relève pas de la justice sociale. Sur ce point, le désaccord avec l’opposition est très net.

Par ailleurs, il n’y a pas confusion entre pénibilité et maladie professionnelle : celle-ci est définie selon des critères différents de ceux employés pour analyser la pénibilité au travail.

Le curriculum laboris, même s’il n’est pas parfait, est un moyen de tendre à l’objectivité réclamée par M. Jacques Domergue, et la proposition n° 9 consiste bien à fixer un calendrier de mise en place. Le plus tôt sera le mieux.

Les critères de pénibilité sont classés selon qu’ils auront été jugés pertinents, ou non. Ainsi la pénibilité psychique est très difficile à mesurer objectivement.

S’agissant de la finalité du rapport, il a été souligné à juste titre que le contexte est délicat. Il ne fallait pas aller trop loin dans les propositions, la discussion entre les partenaires sociaux n’étant pas achevée. L’esprit de la loi du 31 janvier 2007 doit être respecté et le législateur n’a pas à apprécier la pénibilité de chacun des métiers, ni à déterminer les modalités d’accès à la compensation. En tout état de cause, la retraite anticipée n’est pas une bonne solution, même s’il est probable qu’il faudra prendre acte des demandes en ce sens.

M. Jean Mallot a indiqué que, même s’il a voté contre son adoption, le groupe SRC est favorable à la publication du rapport, sa contribution devant y être intégrée.

La commission a autorisé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

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Informations relatives à la commission

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a désigné :

– M. Richard Mallié, rapporteur sur la proposition de loi visant à rénover les dérogations au repos dominical (n° 837) ;

– Mme Sandrine Mazetier, membre de la mission d’information sur la gouvernance et le financement des structures associatives, en remplacement de M. Michel Ménard ;

– Mme Odile Bouillé, membre de la mission d’information sur l’offre de soins sur l’ensemble du territoire, en remplacement de Mme Catherine Génisson ;

– M. Jean-Frédéric Poisson, membre de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant modernisation du marché du travail, en remplacement de M. Bernard Perrut ;

– les rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2009 :

Avis

Rapporteurs pour avis

Action extérieure de l’État : Rayonnement culturel et scientifique

Mme Michèle Delaunay (SRC)

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

M. Jean-Claude Mathis (UMP)

Culture

M. Marcel Rogemont (SRC)

Enseignement scolaire

M. Frédéric Reiss (UMP)

Médias

M. Christian Kert (UMP)

Recherche et enseignement supérieur : Recherche

M. Olivier Jardé (NC)

Recherche et enseignement supérieur : Formations supérieures et recherche universitaire ; Vie étudiante

Mme Valérie Rosso-Debord (UMP)

Santé

M. Jean-Marie Rolland (UMP)

Sécurité sanitaire

Mme Jacqueline Fraysse (GDR)

Solidarité, insertion et égalité des chances

Mme Valérie Boyer (UMP)

Solidarité, insertion et égalité des chances : Handicap et dépendance

Mme Bérengère Poletti (UMP)

Sport, jeunesse et vie associative

Mme Laurence Dumont (SRC)

Travail et emploi

M. Gérard Cherpion (UMP)

– M. Benoist Apparu (UMP) et M. Régis Juanico (SRC), pour participer aux travaux de la mission d’évaluation et de contrôle de la commission (MEC) des finances sur le thème de l’allocation des moyens des universités.