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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 29 avril 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 42

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Audition des représentants des associations de retraités de la gendarmerie nationale, dans le cadre du projet de loi (n° 1336) relatif à la gendarmerie nationale

– Information relative à la commission 16

Audition des représentants des associations de retraités de la gendarmerie nationale, dans le cadre du projet de loi (n° 1336) relatif à la gendarmerie nationale : M. le général Jean-Pierre Bedou, président de la Société nationale des anciens et des amis de la gendarmerie (SNAAG), M. le général Pierre Jacquet, président d’honneur du Trèfle (Société d’entraide des élèves et anciens élèves de l’École des officiers de la gendarmerie nationale), M. Jean-Pierre Virolet, vice-président de l’Union nationale du personnel en retraite de la gendarmerie (UNPRG), M. Pierre Verdier, président de la Fédération nationale des retraités de la gendarmerie (FNRG), et M. André Dosset, vice-président de la FNRG

La séance est ouverte à dix heures cinq.

M. le président Guy Teissier. Je vous propose d’entamer aujourd’hui un cycle d’auditions dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la gendarmerie nationale, qui, vous le savez, a été adopté par le Sénat le 17 décembre 2008. Nous l’examinerons en commission le 27 mai et il devrait venir en séance publique les 10 et 11 juin prochains.

J’ai le très grand plaisir d’accueillir les représentants des associations des retraités de la gendarmerie : le général Pierre Jacquet, président d’honneur de l’association Le Trèfle, le général Jean-Pierre Bedou, président de la Société nationale des anciens et des amis de la gendarmerie, la SNAAG ; M. Jean-Pierre Virolet, vice-président de l’Union nationale du personnel en retraite de la gendarmerie, l’UNPRG ; M. Pierre Verdier, président de la Fédération nationale des retraités de la gendarmerie, la FNRG ; M. André Dosset, vice-président de la FNRG.

La gendarmerie va connaître un changement majeur en étant désormais placée sous l’autorité du ministre de l’intérieur. Nous avons déjà évoqué cette question à maintes reprises et beaucoup d’entre nous s’interrogent sur les conséquences de ce transfert. Il me paraissait essentiel de recueillir votre sentiment, messieurs, notamment sur les possibilités d’améliorer le texte qui nous vient du Sénat.

M. le général Pierre Jacquet, président d’honneur du Trèfle. Nous vous remercions de recevoir le Comité d’entente des associations de gendarmerie, le CEAG, qui est soucieux d’apporter sa pierre à l’édifice en construction. Il est important que vous vous imprégniez du vécu des gendarmes, sinon pour enrichir le projet de loi, du moins pour nourrir le débat qui aura lieu à l’occasion de son examen, prendre conscience de certains écueils à éviter et orienter en conséquence la préparation des textes d’application à venir.

Nous devons impérativement contribuer à la réussite du rattachement organique de la gendarmerie au ministère de l’intérieur, dont l’objet est de renforcer la synergie et la complémentarité des actions au profit de la sécurité intérieure. Cette réforme est destinée à pérenniser le modèle de pluralisme policier à la française auquel notre nation est attachée. Elle doit être conduite avec la préoccupation de ne pas rompre les équilibres permettant à la gendarmerie de remplir la fonction particulière qui lui est assignée. Or force est de constater qu’il s’agit d’inclure dans le même périmètre deux organisations très différentes, l’une civile, fortement syndiquée, et l’autre militaire, naturellement dépourvue de représentation de ce type. C’est dire la difficulté de l’entreprise : le rapprochement programmé ne doit pas ouvrir le champ à des inégalités de traitement.

Il faut absolument éviter la fongibilité opérationnelle entre police et gendarmerie. Rien ne saurait naturellement s’opposer à ce que la gendarmerie vienne renforcer la police pour l’exécution de missions de sécurité publique très ponctuelles, mais il y a lieu de s’en tenir à ces cas d’exception et il ne faudrait pas transformer cette possibilité en solution tentante de facilité. Les inconvénients seraient multiples : ce serait porter préjudice à la politique de la gendarmerie en matière de recherche de résultats, confondre les attributions des responsables, entraîner des difficultés de coordination et surtout provoquer des réactions très vives de la part des militaires de la gendarmerie, amenés à se considérer comme des supplétifs de la police.

Si des déséquilibres de charges sont observés entre police et gendarmerie, il convient de les corriger par le redécoupage des zones de compétence. À titre indicatif, la gendarmerie couvre 50 % de la population française avec des effectifs équivalant à deux tiers de ceux de la police.

Il faut proscrire le démembrement de la gendarmerie. Elle est une force armée, caractérisée par son unité de commandement et son autonomie de fonctionnement, qui lui permettent d’agir en situation dégradée, à l’occasion de conflits durs. Or la tentation existe de vouloir lui appliquer certains modes de fonctionnement des services civils. Il pourrait en être ainsi de l’intégration de ses fonctions logistiques dans les secrétariats généraux pour l’administration de la police, les SGAP, de la mainmise sur les budgets déconcentrés des régions, de l’intégration de la sous-direction des transmissions et de l’informatique, la SDTI, dans un grand service d’information et de communication du ministère de l’intérieur, de la prise de contrôle de l’ensemble de la chaîne immobilière de la gendarmerie, etc.

Sa cohérence s’en trouverait affectée, de même que son efficacité, dans le service quotidien mais aussi et surtout en temps de crise. L’autonomie qu’elle revendique n’a pas pour but de lui permettre de faire n’importe quoi. La gendarmerie n’est pas son propre donneur d’ordres, elle ne choisit pas ses missions ; elle souhaite seulement conserver l’autonomie opérationnelle indispensable à son fonctionnement en toutes circonstances. Elle a encore récemment fait la preuve de son efficacité lors des conflits sociaux outre mer.

Cela ne signifie pas que toute mutualisation soit à rejeter – il existe des domaines dans lesquels ce principe est parfaitement applicable – mais il importe de ne pas toucher à ce qui conditionne sa capacité à fonctionner en temps de crise ou de simple désordre social. Il faut se garder des excès d’une rationalisation qui conduirait à réduire son champ d’action. Il serait pour le moins fâcheux que la recherche de prétendus « doublons » conduise à restreindre les compétences de la gendarmerie en la confinant notamment dans les missions de sécurité publique, d’ordre public, d’intervention et de sécurité routière, cependant que la police se verrait reconnaître l’exclusivité en matière de criminalité organisée, de renseignement, de lutte antiterroriste ou de relations internationales. La gendarmerie a considérablement investi pour répondre à des besoins auxquels la police n’était pas toujours en mesure de faire face et elle apporte chaque jour la preuve de son savoir-faire. Sans même évoquer l’impact psychologique qu’aurait un tel confinement, il en résulterait à coup sûr une perte d’efficacité globale importante pour notre système de sécurité.

Le but de la réforme voulue par le Président de la République et le Gouvernement n’est pas de faire disparaître des capacités existantes mais de les valoriser par une meilleure coordination. Cela passe par le développement des structures, des formations, des projets communs. Améliorer l’indispensable coopération entre la police et la gendarmerie repose avant tout sur la confiance mutuelle. Aucun progrès n’est envisageable si une force développe une stratégie de domination sur l’autre. Il y a toujours eu des tensions entre police et gendarmerie ; le rapprochement actuel exacerbe les inquiétudes, non pas au sein de la gendarmerie mais au sein de la police.

Il faut régler durablement la question de la « parité globale de traitement », seule façon d’assurer la coexistence au sein d’un même ministère d’une force civile et d’une force militaire. Or, avant même que la réforme ne soit effective, les syndicats de police, qui ont obtenu des avancées catégorielles et indiciaires et affichent leur volonté de poursuivre leur démarche revendicative, se livrent à des surenchères. L’application du principe de « parité globale » nécessite une transposition à la gendarmerie de ces mesures, qui, compte tenu des différences fondamentales d’organisation entre les deux corps, ne peuvent généralement être appliquées telles quelles. Cette situation génère un risque de multiplication des demandes reconventionnelles en « échelle de perroquet », particulièrement nuisibles dans la situation budgétaire actuelle de notre pays et qui, financées sous plafond des budgets, se traduiraient par une baisse des effectifs préjudiciable à la qualité du service. À une époque, nous parlions de « dualisme équitable ». Une mesure au profit de la police ne peut être transposée à l’identique dans la gendarmerie, et vice versa.

Pour observer à la loupe l’évolution de la situation et régler les problèmes en amont, un haut comité pourrait être créé, sur le modèle du haut comité d’évaluation de la condition militaire, qui ne comprendrait ni gendarmes ni policiers. Cette disposition pourrait-elle être intégrée au projet de loi ?

M. le général Jean-Pierre Bedou, président national de la SNAAG. La SNAAG s’interroge sur les répercussions du projet de loi. Le texte, amendé par le Sénat, comporte sans nul doute un certain nombre d’aspects positifs, dont l’affirmation de l’existence d’une force de police à statut civil et d’une autre à statut militaire. Mais il n’apporte pas de garanties suffisantes pour maintenir, à terme, la militarité de la gendarmerie et le pluralisme policier français auxquels nos compatriotes sont très attachés. Aussi, il nous apparaît nécessaire de vous exposer nos inquiétudes, nos craintes et notre opposition à plusieurs dispositions.

Rapprocher de trop près police et gendarmerie sous couvert de rationalisation est dangereux. Le développement inéluctable de la mutualisation des moyens, en application de la révision générale des politiques publiques (RGPP), gommera progressivement les différences avec la police, qui sont pourtant nécessaires. Il en découlera inéluctablement une perte de spécificité et d’identité pour la gendarmerie. La future loi doit totalement encadrer cette mutualisation afin, d’une part, de garantir, notamment en situation de crise, l’autorité du Gouvernement et la défense des institutions, et, d’autre part, d’éviter une déliquescence progressive du statut militaire de la gendarmerie.

L’article 2 du projet de loi prévoit la suppression des réquisitions au maintien de l’ordre. Certes, les quatre types de réquisition actuels sont d’un formalisme désuet et d’une certaine lourdeur administrative. Il faut les revoir mais non les supprimer, car ce serait contraire aux principes républicains relatifs à l’emploi de la force publique et aux fondements mêmes du statut général des militaires. La réquisition est en effet une garantie du contrôle de l’emploi de la force par l’autorité administrative et également une garantie pour le commandant d’unité de gendarmerie. De plus, cette suppression atténuerait la notion de « force armée » rappelée dans l’article 1er du projet de loi, seul élément sur lequel est fondée et garantie la militarité de la gendarmerie.

L’article 3 prévoit le renforcement du pouvoir des préfets. Cette soumission de l’action des gendarmes à leur autorité directe portera gravement atteinte au principe d’obéissance hiérarchique et au caractère militaire de la gendarmerie. Les termes : « le préfet a autorité sur », devraient être remplacés par ceux en vigueur : « le préfet dirige l’action », conformément à la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Si cet article était maintenu, la gendarmerie deviendrait un simple service déconcentré de l’État, d’où une incompatibilité de plus avec la notion de force armée.

Le rapprochement nous inquiète aussi en raison du poids des syndicats de police, aux discours vindicatifs récurrents, qui risque de mettre à mal la représentativité de la gendarmerie. Ils sont récemment intervenus pour faire modifier le décret relatif aux officiers de gendarmerie et ils viennent d’obtenir l’organisation de réunions de travail sur la « parité globale entre police et gendarmerie », qu’ils dénoncent, alors que ce principe a été acté tant par le ministère de l’intérieur que par la direction générale de la police nationale (DGPN) et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Les syndicats ne font pas la loi ni les lois, mais les pressions qu’ils exercent sur le Gouvernement ont des répercussions et leur but est de parvenir à la fusion des deux forces de sécurité. Cette option est pour l’instant dénoncée par une majorité de parlementaires, mais jusqu’à quand ?

Nous ne sommes pas entièrement opposés à ce projet de loi, ni rétrogrades et tournés sur la gendarmerie du passé, mais ce rattachement au ministère de l’intérieur, voulu par le Président de la République, devrait se faire avec un texte assurant la militarité de la gendarmerie, la confirmant dans ses missions, notamment judiciaires, et respectant ses zones de compétences, faute de quoi, à terme, le pluralisme policier français disparaîtra. Vos amendements et votre vote auront une importance cruciale pour le devenir de la gendarmerie et la sécurité de notre pays.

M. Pierre Verdier, président de la FNRG. L’examen de ce projet de loi intervient dans une période marquée par une grande morosité, pour ne pas dire une grande inquiétude, tant dans les rangs du commandement que parmi les sous-officiers de gendarmerie en activité. Les effets de la RGPP affectent déjà fortement les budgets de la gendarmerie sur de nombreux chapitres. Faute de crédits suffisants, les exécutants voient diminuer les moyens matériels dont ils disposaient jusqu’alors, que ce soit pour les véhicules, les fournitures ou les moyens de communication. Des réductions d’effectifs vont entraîner la disparition ou la réorganisation de certaines unités, alors que les missions confiées à la gendarmerie sont constantes, voire plus nombreuses.

Cette morosité s’accompagne d’une crainte pour l’avenir. Les gendarmes ne savent toujours pas avec certitude à quelle sauce ils seront mangés. Nous, retraités, partageons cette inquiétude. La gendarmerie, l’une des plus vieilles institutions françaises, a survécu, au cours des siècles, à tous les changements de régime. La V° République saura-t-elle lui conserver son image et sa particularité, qui font sa réputation de force militaire intégrée au sein des populations et unanimement respectée ? Alors qu’il est question d’envoyer des gendarmes en Afghanistan, alors que leur réussite en Bosnie et ailleurs est citée en exemple aux États-Unis, convient-il de bouleverser l’essence, les structures, les méthodes, l’éthique de ces soldats de la loi ?

Les gendarmes tiennent à leur statut militaire, qui leur impose pourtant des contraintes parfois difficiles à supporter. La vie en caserne en est une, même si les syndicats de police ne cessent de proclamer qu’il s’agit d’un avantage. Nos amis policiers supporteraient-ils cette disponibilité constante et cette promiscuité imposées par l’état militaire ? Nous en doutons.

L’inquiétude des gendarmes grandit au fur et à mesure que les syndicats de police engagent des actions, parfois malheureusement couronnées de succès. N’ont-ils pas obtenu de la part de leur ministre de tutelle la modification d’un décret relatif à la situation des officiers de gendarmerie ?

Les syndicats de police font le forcing. Il n’est pas une semaine sans un appel aux parlementaires, une lettre ouverte, un tract, une déclaration, un compte rendu de réunion projetant et encourageant un rapprochement et même, à plus ou moins brève échéance, une fusion de nos deux entités dans un service unique. Si satisfaction leur était donnée, cela aboutirait à la création d’un conglomérat de fonctionnaires syndiqués ayant le droit de grève et de manifestation, risquant un jour ou l’autre de refuser d’obéir à toute autorité, de paralyser les institutions, voire de se rebeller contre elles. En mai 1968, certains services de police ou de transmissions préfectorales ont été défaillants ; la gendarmerie, corps militaire, a pris le relais pour assurer les liaisons et le renseignement. Cela n’arrive certes que très exceptionnellement, mais n’est-ce pas au Parlement de tout prévoir, même le pire ?

Nous aurions été rassurés si, parmi les hauts fonctionnaires de la police nationale, quelques-uns avaient apporté un démenti ou fait une déclaration pour calmer les ardeurs des syndicalistes et affirmer que leurs propos n’étaient pas partagés par la majorité des personnels policiers. À notre connaissance, il n’en est rien ; qui ne dit mot consent.

La syndicalisation de la gendarmerie n’est pas envisageable. Déjà, l’arrivée de personnels civils syndiqués dans ses états-majors vient de démontrer leur propension à participer aux arrêts de travail, privant le commandement de personnels administratifs nécessaires.

Les gendarmes, s’ils disposent de moyens de concertation internes, n’en sont pas moins conscients de leur état de faiblesse pour répondre à ces campagnes extérieures des syndicats de la police nationale. Ils craignent qu’un jour ou l’autre, sous la pression constante du lobbying policier, le pouvoir se laisse convaincre, puis que cela finisse en France comme dans un pays voisin : que la gendarmerie disparaisse à son tour.

Le Président de la République a clairement indiqué que la gendarmerie conserverait son statut militaire tant qu’il aurait en charge la mission de conduire le pays. Mais qu’en sera-t-il de ses successeurs ?

Avons-nous tort de nous inquiéter alors que la gendarmerie va apporter dans la corbeille de la mariée ses moyens importants et modernes, ses hélicoptères, ses techniques, ses spécialistes, ses centres d’instruction, ses laboratoires, sa discipline, son obéissance et qu’en contrepartie, on l’invite poliment à s’éloigner des grandes agglomérations, voire à se retirer de certaines zones et à circonscrire son engagement dans les régions les moins peuplées ? N’est-ce pas déjà la démonstration d’une volonté de réduction de ses capacités ?

Il y a quelques années, la gendarmerie a accepté un premier retrait, fermant des brigades pour laisser la place à la police nationale. Que disent les statistiques ? La délinquance est-elle mieux contrôlée depuis que les policiers assurent la surveillance de ces zones ? En revanche, dans les quarante et une agglomérations où, depuis le dernier redéploiement, les gendarmes ont remplacé des commissariats, malgré des effectifs moindres, ils ont fait aussi bien et même souvent bien mieux que leurs collègues policiers ; cette démonstration devrait guider les débats.

La différence entre la déontologie, les méthodes, l’état d’esprit des deux grands services de police de France a parfaitement été décrite par les sénateurs, qui ont fait état d’une crainte de surenchère. Celle-ci se révèle aujourd’hui ; elle va sans doute s’amplifier encore, exacerber les passions, nuire à l’efficacité des deux services et fragiliser la gendarmerie, qui n’a pas les moyens d’y répondre.

C’est l’une des raisons pour lesquelles il conviendrait que le texte comporte des dispositions claires, précises, formelles, garantissant à la gendarmerie une totale indépendance par rapport au service homologue, qu’il établisse la plénitude des moyens et des compétences de celle-ci, ainsi que la conservation de l’étendue de ses zones d’activité.

Le code de procédure pénale affirme que les magistrats ont le libre choix du service enquêteur pour la conduite des enquêtes ou des investigations qu’ils diligentent. N’est-ce pas une raison suffisante pour que la gendarmerie garde sa compétence sur la plus grande partie du territoire national ? Quand est envisagée une modification d’assiette d’un service de police ou de gendarmerie quelconque, ne conviendrait-il pas que la chancellerie, employeur principal, soit partie prenante et donne son avis très autorisé ? Est-elle sollicitée et toujours entendue dans de tels cas ?

Un seul ministère de tutelle pour deux services différents, cela n’entraîne-t-il pas un risque de prééminence de l’un sur l’autre ? Les syndicats de police, malgré leur prolifération, possèdent une force de pression indéniable. Ils tombent ouvertement d’accord entre eux pour ne pas accepter de bon cœur l’existence d’un service à statut militaire obtenant des résultats comparables aux leurs et ils feront tout pour être entendus.

Qu’adviendrait-il si les syndicats de police, comme cela leur est déjà arrivé, participaient massivement à un mouvement de grève et à des manifestations de rues appelées à dégénérer ? Quelle serait la position du ministre de tutelle ? Enverrait-il la partie militaire de ses troupes s’opposer à la partie policière civile ? Quelles en seraient les conséquences ?

Il nous paraît souhaitable que la nature des relations entre les préfets et les commandants d’unité de gendarmerie soit formalisée avec précision. Dernièrement, un préfet est intervenu pour désavouer un contrôle d’alcoolémie effectué par la gendarmerie, sous prétexte que plusieurs maires sortant d’une réunion y auraient été soumis. Est-ce normal ?

La disparition de la procédure de réquisition nous semble critiquable. En matière d’ordre public, pour éviter toute incompréhension sur le moment et toute contestation a posteriori, il est impératif que les ordres donnés par les préfets soient transmis par écrit.

La DGGN s’emploie de toutes ses forces à préparer la mise en place des dispositions qui découleront du vote de la future loi. C’est donc avec confiance que notre gendarmerie aborde le changement proposé. La mutualisation de certains moyens ne devrait pas poser problème. En résumé : mutualisation, oui ; aliénation, non. Les deux forces, tout en collaborant, devront rester totalement indépendantes.

Nous formulons des vœux pour que la loi qui sera issue de vos débats parvienne pleinement à assurer à la gendarmerie nationale, arme d’élite, l’avenir qu’elle mérite : celui d’un service exceptionnel, incontournable, moderne, innovant, compétent, d’une totale disponibilité, d’une efficacité remarquable et estimé de tous les citoyens. Aidez la gendarmerie à progresser tout en conservant son indépendance, vos électeurs vous en seront reconnaissants.

M. Jean-Pierre Virolet, vice-président national de l’UNPRG. Je m’associe aux remarques de mes camarades du CEAG.

Le règlement des difficultés susceptibles d’apparaître après l’adoption de la loi pourrait être assuré par un médiateur.

La défense opérationnelle du territoire, la DOT, est un peu mise en sommeil actuellement. Si une crise majeure était déclenchée, dans le cas où la gendarmerie aurait perdu son statut militaire et aurait été fusionnée avec la police, qui opérerait la transition avec l’état de guerre ?

M. Philippe Leymarie, dans un article intitulé « Comment les armées se préparent au combat urbain » paru dans Le Monde diplomatique, fait état de manœuvres, à Sedan, sous le flambeau de la gendarmerie.

Tout le monde souhaite le rapprochement mais certainement pas la fusion, revendication de nos camarades syndiqués de la police nationale, qui n’hésitent pas à nous traiter de « paranoïaques ». Ce conflit doit cesser car il est préjudiciable à la police comme à la gendarmerie. L’avenir ne se construit pas en regardant dans le rétroviseur.

Une action doit être menée en direction des syndicats de police, qui, malheureusement, trouvent parfois une oreille attentive à leurs revendications. Leur audience est meilleure que celle des gendarmes. Nos instances de concertation sont insuffisantes et à revoir ; souvent des informations pertinentes ne remontent pas.

Vous avez en main toutes les clés. La gendarmerie couvre 95 % du territoire, elle travaille avec honnêteté et les résultats sont là. Il ne faudrait pas qu’elle suive le même destin que la gendarmerie belge.

M. le président Guy Teissier. Je vous remercie sincèrement pour vos remarques pertinentes, vos critiques positives et vos propositions intéressantes. Nous l’avons bien compris, vous tenez à la militarité de l’arme des soldats de la loi, qui donne une singularité à la France et fait l’admiration partout à l’étranger.

Monsieur le général Jacquet, les articles 1 et 3 ont déjà été modifiés par le Sénat, mais sans doute pas assez en profondeur.

Vous avez émis le souhait que les gendarmes ne soient pas des « supplétifs » de la police nationale. Même modifié, l’article en question place la hiérarchie de la gendarmerie sous l’autorité des préfets.

L’expression « parité globale » est intéressante car une même réforme ne peut être appliquée à une force civile et à une force militaire.

L’exemple belge, pointé du doigt par M. Virolet, est éclatant : devenue une force civile, la gendarmerie belge a perdu une grande partie de ses savoir-faire.

Monsieur le général Bedou, vous avez exprimé des craintes à propos des articles 2 et 3 et souligné les différences entre les deux forces.

Vous estimez que l’article 2 doit être revu et non supprimé ; il nous appartiendra d’examiner vos préconisations.

Quant à l’article 3, son second alinéa est désormais ainsi rédigé : « Dans le respect du statut militaire pour ce qui concerne la gendarmerie nationale, les responsables départementaux de ces services et unités sont placés sous son autorité et lui rendent compte de l’exécution et des résultats de leurs missions en ces matières. ». Sans doute, comme je l’ai indiqué, faudra-t-il aller plus loin.

Le plaidoyer de M. Verdier a été remarquable. Cette affaire n’a rien à voir avec la modernité ; seule compte l’efficacité.

Enfin, monsieur Virolet, la DOT est foncièrement dévolue à la gendarmerie et en constitue l’une de ses missions militaires.

M. Alain Moyne-Bressand. Nous avons écouté les retraités de la gendarmerie avec beaucoup d’attention. Le rôle des parlementaires est de proposer, d’écouter, puis de décider.

Je me félicite que nous disposions maintenant d’un calendrier pour l’examen de ce projet de loi. La période d’attente dont nous sortons n’était pas agréable pour nos forces de police et surtout de gendarmerie.

Nous aimons la gendarmerie ; il est hors de question d’aller vers sa fusion avec la police. Notre travail consistera à graver cette dualité dans le marbre, dans l’intérêt de notre sécurité actuelle et future.

Il faut aussi observer que le Sénat a souhaité que le Parlement puisse, à terme, analyser, aménager et améliorer les dispositions que nous aurons votées.

Nous allons procéder à d’autres auditions, notamment à celle du directeur général de la police nationale, mais nous prenons l’engagement de maintenir la militarité de la gendarmerie, qui constitue une force et une chance pour la France.

M. Philippe Folliot. Nous vivons dans une société de communication et la police se distingue de la gendarmerie par l’importance de son champ d’expression, ne serait-ce que par le canal syndical. Votre audition est donc particulièrement utile et, pour rééquilibrer les choses, il convient que vous interveniez également à l’extérieur.

Je partage nombre de vos préoccupations. Il était nécessaire d’aller au-delà des décisions de 2002 mais, pour garantir les spécificités de la gendarmerie, la prudence est de mise. La gendarmerie exerce des missions de plusieurs types, dont certaines sont de nature purement militaire, à commencer par la DOT ou la sécurité des armements nucléaires.

Notre travail consistera à poursuivre l’œuvre de nos collègues sénateurs, qui ont amendé ce texte dans le bon sens, afin de dresser des garde-fous juridiques. En effet, si la ministre de l’intérieur actuelle est animée par une certaine culture de la gendarmerie, ses successeurs n’auront peut-être pas le même profil.

Je confirme que nous avons reçu nombre de courriers des syndicats Alliance et Synergie contenant des affirmations très fortes. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous des contacts directs avec les syndicats de police ?

M. Jean-Pierre Bedou. Le CEAG n’a reçu aucune demande de rencontre de la part des syndicats de police.

M. Philippe Folliot. Et de votre côté, avez-vous exprimé des demandes ?

M. Jean-Pierre Bedou. Non, car nous n’en voyons pas l’utilité. Tous les syndicats de police, même celui des commissaires de police, ont tellement attaqué le travail des gendarmes qu’il n’est pas question pour nous de les rencontrer ; ce serait vraisemblablement peine perdue. Ils contestent les décisions actées par le ministère de l’intérieur, la DGPN et la DGGN concernant la « parité globale ». Ils se réunissent actuellement avec le directeur de cabinet de Mme Michèle Alliot-Marie. Soit quelque chose sort de ces rencontres et les syndicats auront eu gain de cause, soit il n’en sort rien et ils crieront au scandale. Au final, ils ont toujours raison.

M. Damien Meslot. Nous sommes tous attachés au statut militaire de la gendarmerie. Tout changement entraîne de l’inquiétude mais la gendarmerie a toujours montré qu’elle savait s’adapter. Nous devons trouver, par des amendements, le moyen de vous convaincre et de convaincre l’ensemble des personnels de la gendarmerie qu’il n’y a pas de volonté cachée, motivée par la RGPP, de supprimer les deux statuts pour tout fondre dans un grand magma. Placer les deux forces sous un même commandement sera un atout, à condition qu’elles ne soient pas soumises au même statut.

La scission avec les syndicats de la police est profonde. Même si chacun campe sur ses positions, il ne serait sans doute pas inutile de vous rencontrer pour ouvrir le débat, sachant que, pour nous, les forces de gendarmerie ne doivent pas être syndicalisées.

J’ai tout de même trouvé excessif votre allusion à de possibles refus d’autorité de la part des forces de police, qui ne s’appuient que sur un ou deux exemples, dans des circonstances exceptionnelles.

Vous avez par ailleurs évoqué l’institution d’un médiateur ou d’un haut comité. J’y suis un peu réticent car la multiplication des structures est de nature à entraver le bon fonctionnement des institutions.

Enfin, placer la gendarmerie sous l’autorité du préfet ne procède pas d’un objectif caché.

Je retiens de vos propos que vous n’êtes pas opposés au projet de loi mais que la façon dont il est rédigé vous inspire des inquiétudes. Il faut trouver les moyens de vous rassurer car, pour la plupart d’entre nous, nous partageons vos positions de principe.

Enfin, je n’ai pas bien compris votre allusion à Sedan, monsieur Virolet.

M. Jean-Pierre Virolet. Des manœuvres ont été organisées à Sedan dans le cadre de la DOT, afin de simuler une prise d’otages en milieu urbain par des rebelles infiltrés.

M. Philippe Vitel. Nous sommes animés par le souci de conserver le caractère élitiste de notre gendarmerie nationale – les premiers au classement de sortie de Saint-Cyr choisissent toujours cette arme –, sa valeur opérationnelle. C’est le défi qui nous est lancé.

La modification légère apportée par le Sénat au sujet de la définition de l’autorité hiérarchique du préfet vous satisfait-elle ? Jugez-vous qu’il faut aller plus loin ?

M. Pierre Jacquet. La gendarmerie n’a pas peur que son statut disparaisse, tout simplement parce que l’État n’y a pas intérêt du point de vue financier : si elle se mettait à travailler au même rythme que la police, il faudrait sans doute créer des forces communales ou régionales, ce qui est impossible. Il serait intéressant, à cet égard, que vous entendiez des députés élus dans des circonscriptions où un commissariat a été remplacé par une brigade.

Discuter avec les syndicats n’est pas dans notre culture. De plus, nous n’attendons rien d’eux ; ce sont eux qui réclament à être logés comme nous ou à bénéficier du quart de place SNCF, en contradiction avec le principe de « parité globale ».

Le récent rapport sur la parité globale n’a pas été soumis aux syndicats et ceux-ci obtiennent une nouvelle négociation. Le haut comité que nous proposons serait un organisme indépendant, placé au-dessus de la gendarmerie et de la police, sans représentant de l’une ni de l’autre force.

M. Jean-Pierre Bedou. Dans la version du projet de loi soumise au Sénat, le préfet avait autorité sur les unités de gendarmerie ; les sénateurs ont amendé cette disposition en faisant porter l’autorité sur le commandant de groupement, afin de préserver la chaîne hiérarchique militaire.

Au terme « autorité », très fort, trop fort, nous préférons l’expression « donner des directives », employé dans la loi de 2003 pour la sécurité intérieure. L’autorité du préfet sur les commandants d’unité de gendarmerie ne peut être directe. Ces derniers doivent exécuter et rendre compte, tant à l’autorité préfectorale qu’à leur hiérarchie. Les préfets, depuis quelques années, apportent une appréciation sur le travail des commandants de groupement. Ils vont maintenant les noter et cette procédure prendra de plus en plus d’importance. Dans ces conditions, comment imaginer qu’un commandant de groupement s’oppose aux directives de son préfet ?

M. Christophe Guilloteau. Nous sommes effectivement tous très attachés à ce que représente la gendarmerie mais cette institution ancienne est peut-être un peu rétive aux réformes, elle a du mal à évoluer ; la preuve, aucune femme ne figure parmi les représentants d’associations ici présents.

Les grandes démocraties du monde disposent toutes de deux forces de police. La gendarmerie est présente au cœur de la France.

Le mot « soumission » aux préfets est un peu fort. Il s’agit uniquement de redéployer les moyens de la gendarmerie et de revoir son fonctionnement.

Des redécoupages seront inévitables car la carte administrative de la France évolue, mais cela ne remet pas en cause l’existence de la gendarmerie, force de police indispensable qui ne passera pas par pertes et profits.

Au demeurant, si la gendarmerie reste militaire et si elle est placée sous la tutelle du ministère de l’intérieur, elle est employée à 30 ou 40 % par le ministère de la justice, dont nous n’avons pas encore parlé ce matin.

Les policiers sont différents de vous mais leurs syndicats ne sont pas forcément vos ennemis.

M. le président Guy Teissier. Ce n’est pas ce qui a été dit !

M. Bernard Cazeneuve. Ce débat se déroule dans un contexte particulier : la ministre qui va défendre le texte s’était naguère opposée à cette réforme. Comment résoudra-t-elle cette équation compliquée ?

La coexistence de deux forces de police constitue une garantie pour la démocratie mais, dans la plupart des pays où a été fait ce choix, elles sont soumises à deux tutelles différentes. N’est-il pas gênant, du point de vue démocratique, de placer les deux forces sous une seule tutelle ?

Le préfet étant le principal collaborateur du ministre de l’intérieur sur le territoire, dès lors que celui-ci prend la tutelle de la gendarmerie, comment la chaîne hiérarchique fonctionnerait-elle si l’autorité ne s’exerçait pas localement par son intermédiaire ? Le texte ne perdrait-il pas sa cohérence globale ?

Une mutualisation se traduit rarement par des créations d’emplois mais plutôt par des économies drastiques. Ne craignez-vous pas que ce regroupement soit une manière agréable de parler d’un sujet qui fâche, celui de la réduction du format des forces de l’ordre ?

M. le président Guy Teissier. Je précise que la Guardia cvil espagnole, qui ressemble beaucoup à notre gendarmerie, dépend du ministère de l’intérieur.

M. Pierre Jacquet. Absolument.

M. Bernard Cazeneuve. Mais l’Espagne n’a pas toujours été une démocratie. Cette organisation n’est-elle pas un héritage du franquisme ? Et qu’en pensent les personnes auditionnées ?

M. Pierre Jacquet. Pour moi, ce n’est pas un problème.

Le Sénat a effectivement modifié le texte pour que l’autorité préfectorale ne s’applique qu’aux responsables départementaux de la gendarmerie.

M. Jean-Pierre Bedou. Mon avis est un peu plus nuancé. Je préférerais que nous conservions deux autorités de tutelle mais j’admets cette décision, en espérant que vous dresserez des garde-fous.

En cas de problème, le ministre de l’intérieur donnera ses ordres, mais il faudra aussi que les policiers et les gendarmes soient en mesure d’intervenir. Si les policiers font grève et manifestent – ils en ont le droit –, les gendarmes devront avoir les moyens d’agir.

Je ne crains pas des réductions d’effectifs puisqu’elles sont déjà programmées : pour tenir compte des difficultés financières de l’État, dans le cadre de la RGPP, 3 500 postes de gendarmes seront supprimés d’ici à 2012.

La mutualisation est prévue pour des moyens spécifiques comme l’instruction des maîtres-chiens, celle des pilotes d’hélicoptère ou l’entretien des véhicules – nous espérons que les personnels ainsi dégagés ne s’ajouteront pas aux 3 500 suppressions de postes mais seront redéployés sur le terrain. Mais la mutualisation ne doit pas aller trop loin. Peut-on admettre, par exemple, une formation commune pour les élèves gendarmes et les élèves policiers ? Personnellement, je ne le pense pas car la gendarmerie perdrait sa spécificité militaire.

M. le président Guy Teissier. Je partage pleinement votre avis.

M. Jean-Pierre Bedou. Pour l’anecdote, nos camarades et amis CRS ne souhaitent plus fréquenter le Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier car ils y trouvent la formation trop dure…

Mme Françoise Olivier-Coupeau. Qui donc a inspiré cette loi ? Pas la ministre de l’intérieur, qui ne l’approuve pas totalement, une certaine lettre en témoigne. Pas les gendarmes, qui n’y trouvent pas leur compte. Pas les policiers non plus, qui prônent une fusion non pas dans une perspective constructive pour nos forces mais parce qu’ils s’imaginent qu’elle leur procurerait des avantages de nature à lever leur malaise. Pas les Français non plus, qui aiment leur gendarmerie et l’aiment comme elle est.

Ce projet de loi a ouvert la boîte de Pandore : il révèle des haines factices. J’ai lu des tracts vindicatifs à l’égard de la gendarmerie, qui n’auraient jamais été rédigés sans ce projet de loi. Fallait-il pour autant ne rien changer ? Certainement pas. Le devoir du législateur n’est pas de vous « rassurer » mais de graver des principes dans le marbre : l’existence de deux forces de sécurité distinctes ; le caractère militaire de la gendarmerie ; le maintien de ses compétences, notamment en matière de police judiciaire ; son maillage territorial pour garantir le droit à la sécurité de tous nos concitoyens.

M. Pierre Jacquet. Quand le Président de la République était ministre de l’intérieur, il a constaté que le ministère de la défense considérait la gendarmerie comme une variable d’ajustement. Il en a tiré argument pour porter la réforme en cours.

Nous ne sommes pas inquiets. C’est la police qui l’est, car elle voit la gendarmerie comme un monolithe, avançant en carré.

Mme Marguerite Lamour. Nous avons aussi été saisis par vos représentants départementaux. Nous sommes tous conscients de la nécessité de mutualiser certains postes mais nous sommes aussi très attachés à ce que la gendarmerie, institution intégrée dans la population et assurant seule la sécurité sur les territoires les plus reculés, conserve des spécificités.

Nous partageons vos craintes. Il nous appartiendra de les lever, en faisant surtout en sorte que la gendarmerie conserve son statut militaire. Elle a connu des évolutions, comme celle de la création des communautés de brigades, qui nous inquiétaient en leur temps et ont finalement été des réussites.

Pourquoi des représentants des gendarmes et des policiers ne siégeraient-ils pas au sein de l’instance d’évaluation que vous proposez, sans pour autant qu’ils y soient majoritaires ?

M. Jean-Pierre Bedou. Pour qu’elle soit indépendante.

M. Serge Grouard. Sur le terrain, le maire de grande ville que je suis constate que les forces de police et de gendarmerie coopèrent plutôt bien.

Vous souhaitez un rapprochement opérationnel et non une fusion. Le texte traduit précisément cette logique.

De même, j’ai bien compris que vous ne souhaitez pas entamer de discussions avec les syndicats de policiers pour ne pas leur reconnaître de légitimité particulière et en faire des interlocuteurs privilégiés.

Tel que le texte est rédigé, peut-il y avoir conflit d’autorité entre celle du préfet et celle de la hiérarchie de la gendarmerie ?

D’autres dispositions de ce texte suscitent-elles vos réticences ? Avez-vous réfléchi à des suggestions d’améliorations ?

M. le président Guy Teissier. Les gendarmes ne craignent pas tant une fusion qu’une perte de leur militarité.

M. Serge Grouard. Dans le texte, il n’est pas question de cela.

M. le président Guy Teissier. Mais on peut saper une institution en la vidant de sa spécificité.

M. Jean-Pierre Bedou. Je ne crois pas au risque de conflit d’intérêt car le commandant de groupement, je le répète, sera noté par le préfet. Toutefois, l’autorité du préfet sera de nature administrative et non judiciaire, alors que l’essentiel du travail du gendarme est d’ordre judiciaire. Que fera le commandant de groupement si le préfet lui demande des troupes pour assurer l’ordre public alors que ses effectifs sont déjà mobilisés pour des recherches de personnes ? Il prendra ses directives auprès du commandant de région de gendarmerie – si cet échelon est maintenu, ce que nous espérons – et le risque de conflit sera alors important.

Les décrets d’application ne devront pas inverser le sens de la loi, j’insiste sur ce point au nom du CEAG.

Mme Françoise Hostalier. Soyez assurés de la volonté du Parlement de maintenir la spécificité militaire de la gendarmerie, qui fait ses preuves dans le cadre des missions de coopération internationale.

Je suis étonnée du ton assez rude que vous employez vis-à-vis des syndicats de la police. Lors d’un forum Libertés et sécurité auquel j’ai participé, j’ai pourtant eu l’impression que, sur le terrain, tout fonctionne bien. Dans les Flandres, les résultats sont si bons que nous craignons des diminutions d’effectifs ! Il m’a semblé que les services étaient demandeurs de mutualisation, en matière de moyens, d’informations, de fichiers, voire d’entraînements.

M. Jean-Pierre Soisson. Il est essentiel que le rapprochement réussisse, c’est le sentiment général. Il est tout à fait normal que vous émettiez des réserves, et nous nous efforcerons d’améliorer le texte du Sénat.

Il importe avant tout de voter la loi rapidement car cette période intermédiaire est propice à l’essor des mécontentements et des amertumes.

L’État est un ; il convient donc que son autorité s’exprime par un seul canal. Il est évident que le préfet ne doit pas avoir autorité directe sur les unités de gendarmerie car cela nierait la hiérarchie militaire. En revanche, il est logique que le préfet ait autorité sur le chef de groupement – c’est d’ailleurs déjà ce qui se passe actuellement.

Je tiens à la gendarmerie car je lui dois la vie : sous-lieutenant en Algérie, alors que mon poste était attaqué, son intervention m’a sauvé. J’ai toujours pensé que la force de l’État repose sur deux piliers : le corps préfectoral et la gendarmerie. Je considère donc que l’aménagement proposé par le Sénat va dans le bon sens et qu’il ne faut guère y toucher. Dans cette réforme difficile, le corps préfectoral est l’un de vos soutiens essentiels car il défend le maintien du statut militaire de la gendarmerie ; pour garantir l’unité de l’État, il demande seulement l’unité de commandement.

M. Michel Voisin. La question de la gendarmerie me tient particulièrement à cœur et je dois dire que la rupture de la chaîne de commandement militaire m’inquiète. Aujourd’hui, le préfet coordonne les forces de sécurité basées dans son département ; il va changer de casquette et opérer le commandement, ce qui risque de provoquer des frictions.

La coexistence entre des gendarmes et des policiers travaillant respectivement 38 heures et 22 heures posera aussi des problèmes. Souvenez-vous du choc que nous avions ressenti lorsque les gendarmes étaient descendus dans la rue. En rapprochant les deux forces, des mouvements de contestation risquent de se développer.

M. Pierre Jacquet. La gendarmerie a longtemps été dirigée par des magistrats, qui « mangent » du préfet ; la gendarmerie, plus ou moins consciemment, avait donc pris l’habitude d’accorder davantage de considération aux demandes du procureur de la République qu’à celles du préfet. Puis nous avons été dirigés par des préfets et nous nous sommes rendu compte qu’il est le personnage central du département, le chef. La formulation du décret de 2002 est « dirige l’action » ; le Sénat a retenu la notion d’« autorité », mais limitée au responsable départemental et pour les seules attributions préfectorales, ce qui va dans le bon sens.

Mme Françoise Hostalier. Que penseriez-vous d’une redistribution des zones territoriales, qui permettrait de clarifier les limites de compétence géographiques ?

M. Jean-Pierre Bedou. Heureusement, sur le terrain, les relations entre police et gendarmerie sont bonnes. J’ai longtemps travaillé au contact de policiers et je compte encore d’excellents amis dans leurs rangs. Un problème ne se pose qu’au niveau des syndicats de police, qui veulent toujours obtenir davantage. Aujourd’hui, ils exigent que leurs officiers soient intégrés dans le corps des commissaires, tout cela pour qu’ils soient considérés à égalité avec les officiers de gendarmerie. Leurs attaques systématiques contre la gendarmerie sont totalement inadmissibles.

M. le président Guy Teissier. L’exemple que vous donnez montre combien comptent les mots : la réforme Pasqua, en transformant les inspecteurs de police, a créé une confusion.

Je vous remercie, messieurs, pour cet éclairage instructif.

La séance est levée à onze heures cinquante-cinq

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Information relative à la commission

La commission a nommé MM. Yves Vandewalle et Jean-Claude Viollet, rapporteurs d’une mission d’information sur les drones.

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