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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 13 mai 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 44

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Audition de M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, dans le cadre du projet de loi relatif à la gendarmerie nationale (n° 1336)

Audition de M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, dans le cadre du projet de loi (n° 1336) relatif à la gendarmerie nationale

La séance est ouverte à neuf heures trente.

M. le président Guy Teissier. Je suis très heureux d’accueillir en votre nom M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale. Je vais donner à la commission, si vous le permettez, quelques éléments sur votre carrière. Vous êtes devenu commissaire de police en 1981. Après avoir été affecté à la brigade des stupéfiants et du proxénétisme de la préfecture de police de Paris, vous y avez occupé successivement les fonctions de chef de la brigade de répression du banditisme, de chef de la brigade criminelle puis de sous-directeur des affaires économiques et financières. Vous êtes directeur général de la police nationale depuis le 15 mai 2007.

Nombre d’entre nous ont été approchés par les syndicats de police, dont certains prônent la fusion entre police et gendarmerie. Pratiquement tous les députés sont très opposés à cette formule car très attachés au statut militaire de la gendarmerie. Ces prises de position syndicales ne font d’ailleurs qu’accroître le malaise et les craintes suscités par le rapprochement. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Avant de vous donner la parole, j’indique à mes collègues que les dates des 8 et 9 juin, initialement prévues pour l’examen du projet de loi relatif à la gendarmerie nationale, seront finalement celles de l’examen du projet de loi de programmation militaire. Je ne peux que m’en féliciter mais je souhaite aussi une inscription rapide du projet de loi sur la gendarmerie.

M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale. Le rapprochement entre la police et de la gendarmerie, qui a commencé bien avant le rattachement de cette dernière au ministre de l’intérieur, ne remet nullement en cause la coexistence des deux forces.

Bien que les médias et certains syndicats de police parlent parfois de fusion en évoquant la réforme en cours, il me faut rappeler que telle n’est pas la volonté du Président de la République ni celle du Gouvernement. Lors du discours qu’il a prononcé le 29 novembre, à La Défense, devant les préfets, les policiers et les gendarmes, le Président de la République a été très explicite : « Je veux vous dire clairement, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, et honnêtement, le principe de l’existence de deux forces de sécurité dans notre pays, l’une à statut militaire, l’autre à statut civil, est et sera maintenu. ».

Ce statut a plusieurs justifications ; outre le fait qu’il est le fruit d’une longue tradition historique, il est lié à des modalités particulières d’exercice du métier, en particulier l’absence de droits syndicaux, la résidence en caserne et l’obligation de disponibilité qui en est indissociable. Il est également considéré par certains, mais c’est discutable, comme une garantie au regard des libertés publiques, toute la force publique n’étant pas placée entre les mains d’un seul service. Enfin, il faut souligner que la gendarmerie est aussi une force de défense, non seulement sur le territoire national mais aussi dans le cadre des opérations extérieures (OPEX).

La véritable justification « philosophique » du statut militaire réside évidemment dans ce dernier point : c’est parce que la gendarmerie occupe une place particulière dans le dispositif de sécurité intérieure et extérieure de la France que son statut doit être original. Sa nature mixte, mi-civile, mi-militaire, en fait une force particulièrement adaptée aux situations intermédiaires que sont les crises aiguës entre état de guerre et paix civile, comme en Nouvelle-Calédonie dans les années 1980, au Kosovo dans les années 1990 ou bientôt en Afghanistan. Cette dimension particulière a été reconnue par la loi d’orientation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002 qui relève que « cette spécificité permet à la gendarmerie nationale de constituer, au sein des forces de sécurité intérieure, un élément de continuité de l’action de l’État avec le domaine de la défense. ».

À l’inverse, si les missions de la gendarmerie étaient exactement identiques à celles de la police, la coexistence de deux forces à statuts différents n’aurait plus de réelle justification.

Pour autant aucun obstacle juridique ne s’oppose à ce qu’une force à statut militaire exerce des missions civiles. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, en particulier, n’a jamais exigé l’abandon du statut militaire.

Les choses sont donc claires : la fusion entre les deux grandes forces de sécurité intérieure française n’est pas un objectif et ne peut pas l’être. Ce principe étant rappelé, il est tout aussi important de bien identifier les enjeux du statut militaire de la gendarmerie. Il convient d’abord d’expliquer ce que le statut militaire de la gendarmerie n’est pas.

Les travaux du Sénat concernant la gendarmerie ont fait apparaître des interrogations parfois surprenantes montrant que les véritables enjeux du statut militaire ne sont pas parfaitement clairs pour tout le monde. Lors de la discussion parlementaire, on a pu entendre un sénateur déclarer que la disposition plaçant les responsables locaux de la gendarmerie sous l’autorité directe des préfets constituait une « nouvelle atteinte à l’équilibre des pouvoirs » et que « l’autorité pleine et entière sur les unités de gendarmerie confiée aux préfets » était « de nature à renforcer le déséquilibre entre les deux forces de sécurité intérieure et à porter atteinte au statut militaire ». Dans le rapport de la commission des lois du Sénat, on peut lire par ailleurs que la direction générale de la gendarmerie nationale « sera une structure autonome au sein du ministère de l’intérieur ».

Il est nécessaire de dissiper le malentendu que reflètent de tels propos : l’identité militaire de la gendarmerie ne repose nullement sur une quelconque autonomie à l’égard de l’autorité civile. L’idée même que cette autonomie puisse exister ou qu’on en fasse une composante de « l’équilibre des pouvoirs » est assez choquante : comme la police nationale et comme tout service public civil ou militaire, la gendarmerie est soumise à l’autorité légitime. Dans un État républicain, il serait inacceptable que l’autorité militaire ne soit pas entièrement responsable devant l’autorité civile. C’est pourquoi, en vertu de l’article 20 de la Constitution, le Gouvernement « dispose de l’administration et de la force armée ».

Cette soumission à l’autorité civile met-elle à mal le statut militaire ? Bien sûr que non ! Personne ne songe d’ailleurs à revendiquer pour les armées une quelconque autonomie vis-à-vis du ministre de la défense qui est pourtant une autorité civile. De surcroît, certaines forces armées sont déjà rattachées à d’autres autorités civiles que le ministre de la défense. L’article 2 du décret du 28 novembre 2000 relatif aux missions et à l’organisation de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris dispose, par exemple, qu’elle « est placée, pour emploi, sous l’autorité du préfet de police ». Ce rattachement n’a jamais empêché les sapeurs-pompiers de Paris de conserver leur spécificité militaire à laquelle ils sont très attachés et ils n’ont jamais vu dans l’autorité du préfet de police comme une menace pour leur statut. De même, les unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile sont des forces militaires placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur.

En définitive, il n’y a aucune raison de penser que la gendarmerie doive être plus autonome que d’autres services à l’égard du ministre de l’intérieur et des préfets. Ceux-ci ne doivent certes pas s’immiscer dans la gestion quotidienne des services, mais cela vaut aussi bien pour la police que pour la gendarmerie.

Par ailleurs, le statut militaire n’est pas contradictoire avec les efforts de rapprochement et avec la construction d’un dispositif de sécurité intérieure cohérent. La cohérence d’ensemble de notre politique de sécurité intérieure, organisée autour du ministre de l’intérieur et des préfets, n’a cessé d’être réaffirmée ces dernières années : à l’échelon territorial, les pouvoirs des préfets ont été consacrés par la loi, qui place explicitement les services de police et de gendarmerie sous leur autorité ; à l’échelon central, la gendarmerie a été placée sous l’autorité du ministre de l’intérieur en 2002 et la réforme en cours doit permettre un rattachement organique à partir de cette année.

De manière générale, tous les efforts menés depuis quelques années dans le domaine de l’organisation de la sécurité intérieure, qu’ils concernent la police, la gendarmerie ou les deux, ont consisté à renforcer la cohérence de l’ensemble du dispositif. La création de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) l’année dernière poursuivait cet objectif, puisqu’il s’agissait de construire un service unique du renseignement intérieur en France. Fidèles à cette logique, les directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale mettent en œuvre une politique de rapprochement qui s’est déjà traduite par de nombreuses initiatives.

J’en retiendrai quelques exemples. En matière d’équipement et de logistique, un conseil commun à la police et à la gendarmerie a été créé dès 1996 pour formuler des propositions en matière de coordination des recherches sur les équipements et les matériels de la police.

Dans le même esprit, la coopération entre les deux forces s’est considérablement renforcée en matière de logistique, par exemple pour les réparations de véhicules ou l’achat du pistolet Sig Sauer.

Le réseau des attachés de sécurité intérieure, désormais unique, comprend des policiers et des gendarmes.

Des passerelles entre les carrières de fonctionnaire de police et de militaire de la gendarmerie sont actuellement à l’étude.

Cette coopération accrue se manifeste également dans l’exercice des missions opérationnelles.

En matière de maintien de l’ordre, une unité unique de coordination des forces mobiles, placée au sein de mon cabinet, gère depuis 2002 la répartition des forces mobiles de police et de gendarmerie.

Depuis 2002 également, les groupements d’intervention régionaux, commandés soit par un policier soit par un gendarme, permettent aux services de police et de gendarmerie de travailler ensemble.

La mutualisation des fichiers de police, inscrite dans la loi d’orientation du 29 août 2002, se traduira dans les prochains mois par la mise en service d’ARIANE, qui se substituera aux fichiers STIC (Système de traitement des infractions constatées) de la police et JUDEX (Système judiciaire de documentation et d’exploitation) de la gendarmerie.

Dans le domaine des transports aériens, un protocole permet depuis 2007 à la police de bénéficier des hélicoptères et des équipages de la gendarmerie. Cette coopération ne cesse de prendre de l’ampleur : elle s’était traduite par 105 heures de vol en 2007, pour passer à près de 830 heures en 2008 et devrait sans doute atteindre 1 300 heures en 2009.

En matière de police judiciaire, le ministre de l’intérieur a annoncé très récemment la création d’équipes communes d’enquête entre la police et la gendarmerie.

Ces efforts ne pourront qu’être accentués dans les années à venir. Ils ne représentent pas seulement un moyen d’économiser des crédits, ce qui serait déjà un objectif très suffisant ; ils sont le gage d’une meilleure cohésion de notre dispositif de sécurité intérieure, à l’échelon central comme à l’échelon territorial.

Alors que les efforts de rapprochement ont été constants ces dernières années, sans que personne y voie une menace contre le statut militaire de la gendarmerie, il serait étrange que, au moment même où la gendarmerie passe sous l’autorité complète du ministre de l’intérieur, le mot d’ordre devienne celui de l’autonomie. L’autonomie est un faux problème ou du moins un problème qui n’a aucune espèce de lien avec le statut civil ou militaire d’un service.

Les véritables enjeux du statut militaire de la gendarmerie résident dans la complémentarité entre les deux grandes forces de sécurité intérieure.

Même si, dans leurs activités quotidiennes, exception faite des forces spécialisées que sont la gendarmerie maritime ou la gendarmerie de l’air, la gendarmerie et la police exercent des missions presque identiques, elles n’ont pas tout à fait la même raison d’être. Comme l’a affirmé la loi d’orientation du 29 août 2002, le caractère spécifique des missions de la gendarmerie confère sa légitimité à son statut militaire. Le Président de la République l’a d’ailleurs rappelé le 29 novembre 2007 en indiquant que « c’est bien cette dimension “défense” de la gendarmerie qui exige de lui conserver le caractère militaire de son statut. »

C’est dire de la manière la plus claire que la spécificité militaire de la gendarmerie ne repose pas sur l’existence d’une organisation territoriale et hiérarchique propre, toutes les administrations centrales et territoriales de l’État sont dans le même cas, mais sur quelque chose de beaucoup plus intéressant et beaucoup plus fécond : la gendarmerie n’est pas une deuxième police nationale mais une force sui generis dotée de missions spécifiques.

Le corollaire paraît aller de soi : l’avenir de la gendarmerie n’est pas dans la duplication de ce que fait la police mais dans la complémentarité des deux forces. Pour qu’elles puissent durablement subsister, elles doivent démontrer qu’elles sont toutes deux utiles, chacune à sa manière. Pourquoi conserver deux forces si l’une et l’autre accomplissent les mêmes missions ? Pourquoi conserver le statut militaire s’il est la seule spécificité d’une force devenue sur tous les autres points identique à l’autre ?

Quelle grave erreur de croire que les efforts de rapprochement et de mutualisation accomplis depuis plusieurs années, consacrés par le projet de loi sur la gendarmerie, menacent la spécificité de la gendarmerie ! C’est même tout le contraire : c’est parce que les deux forces auront su supprimer les doublons tout en développant leurs complémentarités opérationnelles qu’elles seront toutes les deux conservées. Pour qu’une organisation soit conservée, il faut qu’elle fonctionne ; or, elle ne fonctionnera pas si les deux forces ne savent pas travailler ensemble et ne s’inscrivent pas dans une politique de sécurité intérieure cohérente, à l’échelon local comme à l’échelon national.

Ces deux thèmes de la complémentarité opérationnelle des deux forces et de la cohérence de la politique de sécurité intérieure devraient alimenter les réflexions actuelles, bien plus que les spéculations sur l’affaiblissement de la spécificité militaire. Cette dernière ne doit pas être considérée comme une fin ; que sa justification opérationnelle disparaisse et elle disparaîtra elle aussi.

M. le président Guy Teissier. Je ne crois pas que les membres de la commission de la défense s’opposent à la mutualisation des moyens entre la police et la gendarmerie. L’exemple des hélicoptères me semble d’ailleurs révélateur de bonnes pratiques et doit être poursuivi.

En revanche, je ne suis pas tout à fait d’accord avec le parallèle que vous dressez entre la gendarmerie et les sapeurs-pompiers ou la protection civile. La gendarmerie n’est pas un service mais une force armée, c’est-à-dire une structure d’essence tout à fait différente. Il m’apparaît compréhensible que la subordination d’une telle force aux préfets soulève de l’émoi et des questionnements parmi les parlementaires.

Les gendarmes ont été choqués par les prises de position syndicales en faveur de la fusion des deux forces et surtout par l’absence de réaction de la direction générale de la police nationale. Quel message souhaitez-vous leur adresser, notamment en ce qui concerne la pérennité de la dualité entre les forces de l’ordre dans notre pays ?

M. Frédéric Péchenard. Je l’affirme solennellement : je suis fermement opposé à toute fusion entre la gendarmerie et la police, car c’est la volonté très clairement exprimée par le Président de la République et la ministre de l’intérieur et que je suis par ailleurs profondément convaincu de la pertinence de cette dualité. Pour que les policiers travaillent encore mieux avec les gendarmes, ils doivent éviter de les inquiéter. Les positions des syndicats de police ont une vocation interne mais ces déclarations me semblent être très contre-productives car elles ne peuvent que crisper la gendarmerie et compliquer le rapprochement.

Je rappelle que le général Guy Parayre et moi avons signé un rapport sur la « parité globale » entre nos deux forces. Nous établissions que les gendarmes couvrent 95 % du territoire et que les policiers traitent 75 % de la délinquance. Pour autant, ces éléments ne permettent pas de tirer la moindre conclusion, faute d’une approche globale. Les deux forces relevant de deux statuts distincts, elles ne sauraient être assujetties à un traitement strictement identique. Le rapport souligne d’ailleurs très explicitement l’importance de la parité globale et écarte fermement toute possibilité de fusion.

En ce qui concerne le positionnement de la direction générale de la police nationale, il me semble inutile de communiquer alors que la ministre de l’intérieur et le Président de la République s’expriment régulièrement sur le sujet et rappellent leur opposition à la fusion. Toute déclaration de ma part serait alors superfétatoire ou maladroite.

M. Alain Moyne-Bressand, rapporteur. Au moment où nous apprêtons à examiner ce texte, nous ne demandons pas mieux que de vous croire, mais le retard du projet de loi ne manque pas d’alimenter les interrogations et les craintes au sein de la gendarmerie.

Pour dissiper cette inquiétude, le Sénat a proposé de créer une haute autorité chargée de suivre l’évolution de l’organisation des services de police et de gendarmerie. Quelle est votre position à ce sujet ?

Les syndicats, voire certains responsables de la police, ont souhaité que la police judiciaire soit entièrement placée entre les mains de la police. Pouvez-vous nous rassurer à ce sujet et vous inscrire en faux contre cette proposition ?

En ce qui concerne les efforts de mutualisation, pensez-vous qu’il soit possible de réaliser des économies sur la formation sans pour autant remettre en cause la spécificité des formations initiales ?

Avez-vous analysé la situation des pays voisins où la police et la gendarmerie ont été rapprochées, car a priori, ces évolutions ne semblent pas très positives ?

M. Frédéric Péchenard. Dans la police aussi les inquiétudes sont fortes. Il me semble important de rassurer les gendarmes, mais il m’appartient également de répondre aux interrogations des policiers.

Je ne m’oppose pas au principe d’une haute autorité mais je suis hostile à la création d’un organisme qui aurait pour objet de superviser et de coordonner les deux forces, comme c’est le cas en Espagne, où elles relèvent d’un directeur commun. Deux raisons principales expliquent ce refus : cela préfigurerait une fusion et cela priverait les deux directeurs généraux de l’accès direct au ministre de l’intérieur dont ils jouissent actuellement. Cette proximité est en effet indispensable pour que l’autorité politique puisse trancher en cas de besoin.

Les propos que j’ai tenus en ce qui concerne la police judiciaire ont été parfois déformés. Je tiens à être très clair : il n’est pas question qu’elle devienne une compétence exclusive de la police nationale ; aucun policier ne l’a d’ailleurs jamais prétendu. Cette mission concerne toutes les forces de sécurité intérieure. Cependant, dans deux domaines spécifiques de la police judiciaire que sont la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la criminalité organisée, je ne souhaite pas voir se développer des pôles de compétence non coordonnés. Ainsi, l’unité chargée de coordonner l’action de police judiciaire dans ces deux domaines, la direction centrale de la police judiciaire, au travers de sa plate-forme SCCOPOL (section centrale de coopération opérationnelle de police), point d’entrée unique vers INTERPOL et EUROPOL, est animée par des policiers, des magistrats mais aussi, naturellement, par des gendarmes. Pour le reste de la coopération internationale, nous disposons d’offices centraux interministériels, rattachés soit à la gendarmerie soit le plus souvent à la police, mais au sein desquels les gendarmes sont toujours nombreux. En matière de police judiciaire, 80 % des affaires sont réalisées par la police nationale et 20 % par la gendarmerie, ce qui n’est pas marginal. L’essentiel est que les structures de coordination, notamment des échanges internationaux, demeurent communes.

Sur les formations, nous allons travailler à la mutualisation de la formation des maîtres-chiens et des motards, cette dernière devant être regroupée sur un site unique à Fontainebleau. Il pourrait en être de même pour les officiers de police judiciaire. En revanche, il n’est pas envisageable de regrouper toutes les formations et certainement pas les formations initiales. L’enjeu consiste à être efficace, c’est-à-dire à gagner de l’argent et du temps, sans prendre le risque de se confondre.

Deux pays européens ont fusionné leur police et leur gendarmerie : la Belgique et plus récemment l’Autriche. En Espagne, l’une des difficultés est la démilitarisation progressive de la guardia civil avec la constitution d’associations qui peuvent ressembler de plus en plus à des syndicats ; cela entraînera automatiquement la disparition du statut militaire et, par voie de conséquence, des interrogations sur le positionnement des deux forces. Quoi qu’il en soit, l’instauration d’un état-major et d’un chef communs préfigure incontestablement la fusion. C’est pour cela que je suis très prudent sur la possible création de toute structure de commandement commune aux deux forces.

M. Jean-Jacques Candelier. Je prends acte que les séances du 8 et du 9 juin seront donc consacrées à l’examen du projet de loi de programmation militaire, mais je déplore qu’aucune date ne soit fixée pour le texte relatif à la gendarmerie.

Les inquiétudes sont fortes, de part et d’autre. Pour régler les problèmes qui ne manqueront pas de survenir, ne serait-il pas opportun de créer une commission paritaire d’harmonisation des statuts sur le modèle du haut comité d’évaluation de la condition militaire ?

J’ajoute que, comme mes collègues, je suis défavorable à la fusion entre les deux entités.

M. Christian Ménard. Certains des propos que vous avez tenus lors d’un séminaire de la direction centrale de la police judiciaire, le 27 janvier dernier, ont blessé nos amis gendarmes. Vous avez notamment évoqué les « pratiques proactives de la gendarmerie nationale ». Qu’entendez-vous par là ?

Vous avez également préconisé que les sujets du terrorisme et de la criminalité organisée continuent de relever « de la compétence exclusive de la direction centrale de police judiciaire et de la DCRI ». Cette position n’est-elle pas en contradiction avec la volonté de faire travailler les services en symbiose et d’en finir avec les prés carrés ?

M. Frédéric Péchenard. Je regrette le report de l’examen du projet de loi sur la gendarmerie nationale car nous avons hâte que ce texte soit adopté. À titre personnel, je suis impatient que le directeur général de la gendarmerie rejoigne les locaux qui lui sont destinés au ministère de l’intérieur. Même si nous nous voyons déjà presque quotidiennement, cette proximité géographique facilitera encore nos relations.

Je suis absolument hostile à une commission paritaire d’harmonisation des statuts car je suis défavorable à une telle harmonisation ! Ce qui nous rapproche est plus fort que ce qui nous divise. Il n’en demeure pas moins que la coopération avec la gendarmerie n’est pas un long fleuve tranquille. Dans certains domaines, comme la sécurité publique au quotidien ou la répartition entre les forces mobiles, nous ne rencontrons aucune difficulté. En revanche, trois points d’achoppement demeurent : l’international, le renseignement et la police judiciaire.

Les propos que vous rapportez sont sortis de leur contexte. Lorsque je tiens un discours public, il m’incombe aussi de galvaniser mes troupes qui se font l’écho de problèmes qu’elles rencontrent avec la gendarmerie sur le terrain ; il m’arrive de trancher en leur défaveur mais je ne peux pas le faire systématiquement, surtout lorsqu’elles ont raison.

Il est par exemple arrivé que, pour conserver la maîtrise d’une enquête, un officier de gendarmerie commette une faute professionnelle en s’efforçant d’empêcher la cosaisine de l’organisme compétent, à savoir l’office central pour la répression des violences aux personnes qui dispose du logiciel SALVAC, destiné à opérer des recoupements entre crimes sériels. Se priver d’un tel outil pour préserver ses prérogatives personnelles est inadmissible. Je connais bien la spécificité du travail de la police judiciaire, mais au-delà, il m’appartient d’imposer à l’ensemble de mes services de travailler en commun avec la gendarmerie. Faute de coopération, on peut peiner à résoudre une enquête : on peut par exemple disposer d’un ADN sans suspect dans une affaire et d’un suspect sans ADN dans une seconde qui se caractérise par le même mode opératoire. Si la première affaire est traitée par la police et la seconde par la gendarmerie et si les deux services ne communiquent pas, aucune des deux affaires ne sera réglée. Au contraire, si les informations sont croisées, les deux affaires seront résolues en même temps.

S’agissant du terrorisme, je reconnais que je suis beaucoup plus incisif. Pour le terrorisme islamique et pour le terrorisme basque, la police dispose d’une compétence pleine et entière. Je souhaite conserver cette prérogative dans un souci d’efficacité. La gendarmerie essaie de récupérer de petites « parts de marché » dans ce domaine, ce qui constitue une erreur opérationnelle fondamentale, la lutte contre le terrorisme nécessitant une coordination et un recueil du renseignement en un seul endroit. La DCRI a été créée dans cet objectif, tout comme la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) est le seul organisme pour ce qui concerne les contacts avec l’extérieur.

Sachez que 75 % des affaires de terrorisme islamique traitées par la DCRI proviennent d’informations communiquées par les services amis. Ce n’est possible que parce que la DCRI est considérée comme un service de renseignement fiable. Le renseignement ne s’improvise pas et ne se partage pas. Le réseau CRISTINA de la DCRI n’est d’ailleurs accessible ni à la gendarmerie, ni à la police judiciaire, ni à la sécurité publique, ni d’ailleurs aux membres de mon cabinet et c’est très bien ainsi.

Je ne voudrais pas que la gendarmerie vienne polluer des coopérations opérationnelles qui marchent à la perfection, notamment en ce qui concerne la lutte contre l’ETA. Nous travaillons excellemment avec nos partenaires espagnols qui ne doivent avoir comme interlocuteurs que la DCRI et la direction centrale de la police judiciaire.

M. Christian Ménard. Alors pourquoi vouloir rapprocher la police et la gendarmerie ?

M. Frédéric Péchenard. Parce que la lutte contre le terrorisme représente moins de 5 % de notre activité. Au reste, je n’ai jamais prétendu engager l’unité d’intervention de très grande valeur qu’est le RAID pour des missions qui relèvent de la compétence du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Le RAID n’a pas à intervenir en Irak, en Afghanistan ou au large de la Somalie car il a avant tout une vocation urbaine. L’Union européenne a demandé au RAID de participer à la création d’une force d’intervention au Kosovo, ce que j’ai refusé, considérant que cette unité n’a pas vocation à s’installer de manière pérenne à l’étranger. Je laisse au GIGN cette primauté ; que la gendarmerie nous laisse la primauté de la lutte contre le terrorisme. Il n’en reste pas moins que, pour la première fois depuis la création conjointe du RAID et du GIGN en1985, des entraînements communs ont été organisés en 2007 et en 2008, de façon à pouvoir intervenir massivement ensemble si cela était nécessaire.

Je rappelle que le dernier attentat sur le territoire national date de 1996 alors que la France figure incontestablement parmi les pays les plus ciblés. Nos intérêts sont d’ailleurs régulièrement visés à l’étranger, quatre de nos compatriotes ont été tués en Mauritanie et deux attentats ont été perpétrés en Algérie, mais nous arrivons toujours à arrêter les coupables, grâce au travail de la DCRI et de la DGSE. Notre outil de lutte contre le terrorisme fonctionne très bien. Ne le fragilisez pas !

M. Philippe Folliot. Je partage les interrogations de mon collègue Christian Ménard sur ce sujet. Il est intéressant d’associer les deux forces pour valoriser leur complémentarité, mais il me semble que l’apport de la gendarmerie à la lutte contre le terrorisme islamiste ou le terrorisme corse n’est pas négligeable.

S’agissant de l’emploi des forces mobiles, on remarque parfois que les CRS sont appelés pour les actions de faible intensité en semaine tandis que les gendarmes mobiles sont mobilisés pour les actions de plus forte envergure le week-end, sans parler de l’Outre-mer, compétence exclusive de la gendarmerie depuis une dizaine ou une quinzaine d’années.

Je souhaiterais également connaître votre appréciation sur le fonctionnement de l’office central de lutte contre la délinquance itinérante.

Le secours en haute montagne relève actuellement de trois entités : la gendarmerie, la sécurité civile et les CRS. Mais, en corollaire des secours, les accidents nécessitent souvent un travail de police judiciaire, ce qui impose une intervention de la gendarmerie quand l’intervention a été opérée par l’une des deux autres forces puisque l’essentiel des zones concernées se situent dans une zone où la gendarmerie est territorialement compétente. Ne serait-il pas judicieux de rationaliser cette situation, soit en conférant la responsabilité exclusive des secours en montagne à la gendarmerie, soit en plaçant en zone police les sites sur lesquels les CRS interviennent ?

M. Bernard Deflesselles. Vous m’avez convaincu : vous avez démontré qu’il n’est pas question de fusionner les deux forces mais au contraire de trouver des synergies. À titre personnel, je ne peux d’ailleurs que me féliciter de cette dualité : une partie de ma circonscription est située en zone police, l’autre en zone gendarmerie et je m’en porte très bien. Même si le Président de la République et la ministre de l’intérieur interviennent avec force, n’ayez pas peur de répéter leurs arguments afin de rassurer l’ensemble des personnels.

Il serait bon que vous remettiez en perspective les forces en présence, les effectifs respectifs de la police et de la gendarmerie, ainsi que la façon dont elles sont positionnées sur le territoire.

Pourriez-vous également faire le point sur la situation en opérations extérieures en indiquant comment les forces de gendarmerie sont prépositionnées à l’extérieur du territoire national ?

Pourriez-vous enfin nous donner deux ou trois exemples concrets de mutualisation des équipements entre la police nationale et la gendarmerie ?

M. Frédéric Péchenard. Je m’élève contre l’idée reçue concernant la répartition du travail entre CRS et gendarmes mobiles : dans toutes les opérations de maintien de l’ordre, ils interviennent à peu près à parité. Je m’engage d’ailleurs à vous transmettre dans les meilleurs délais les statistiques d’emploi des CRS et des gendarmes mobiles.

Chaque force a sa spécificité, les gendarmes mobiles étant plus « bloquants » et les CRS plus mobiles ; l’utilisation de l’une ou de l’autre force est laissée à la libre appréciation de chaque préfet. Les CRS travaillent d’autant mieux la nuit et le week-end que leurs heures supplémentaires sont intégralement payées et non récupérées. Les seules différences tiennent certainement aux exigences en ce qui concerne le cantonnement, les gendarmes acceptant des conditions de vie plus rudimentaires que les CRS. C’est sans doute la marque de leur statut militaire.

En revanche, l’Outre-mer est de la compétence exclusive de la gendarmerie mobile. Je précise que des compagnies départementales d’intervention y sont également positionnées. Celle de la Guadeloupe, composée à 100 % de personnels locaux, s’est d’ailleurs récemment avérée très utile : aucun problème de racisme n’a par exemple pu être mis en avant lorsqu’elle a été déployée.

Il n’est pas question de dénier à la gendarmerie le droit, mais aussi le devoir de recueillir du renseignement. Elle le fait du reste au quotidien pour fournir de l’information aux préfets et la plupart des informations recueillies sont transmises à l’autorité compétente sur un même document qui récapitule les informations émanant des deux services. Sur le renseignement lié à la lutte contre le terrorisme, les informations recueillies par la gendarmerie sont très utiles : ainsi elle est la première informée des vols de véhicules au pays basque qui est sa zone de compétence. À l’étranger, la police est peu présente, que ce soit en Afghanistan, à Gaza ou en Irak ; la gendarmerie assure alors la collecte du renseignement pour l’ensemble des organismes français. Tout le monde doit recueillir du renseignement brut ; l’important est que son exploitation soit centralisée.

Un colonel de gendarmerie est intégré à mon cabinet et fait fonction d’interface entre la police et la gendarmerie. Il assiste à ce titre à toutes les réunions et peut en faire état à son directeur général. Quand les deux directeurs seront dans le même bâtiment, sa fonction ne présentera plus d’intérêt. J’ai proposé qu’il soit alors nommé numéro deux de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, qui dépend de mon cabinet, c’est-à-dire à une position centrale pour faire monter et descendre les informations avec la gendarmerie. Il me semblait indispensable que la gendarmerie soit plus étroitement associée à cet organisme où sont déjà représentés tous les autres services de sécurité.

La lutte antiterroriste en Corse présente la particularité d’être partagée entre la police et la gendarmerie. C’est une idée des magistrats mais, franchement, je ne suis pas sûr qu’elle soit bonne. Quand un même groupe attaque à la roquette un cantonnement de CRS le lundi et une caserne de gendarmerie le jeudi, il serait plus efficace et plus opérationnel que les deux enquêtes soient menées par le même service. Pour que les services communiquent, je souhaite au moins que soient créées des équipes communes d’enquête, même si je suis conscient de l’importance du facteur humain en la matière.

Pour le secours en haute montagne, j’avais le sentiment que le problème se posait surtout avec la sécurité civile. Les gendarmes et les CRS me semblent travailler ensemble dans d’excellentes conditions, les deux forces intervenant pour une semaine à tour de rôle. J’ai accepté il y a un an et demi que la gendarmerie conserve les enquêtes sur la totalité des missions, les CRS n’y étant pas trop défavorables. Il serait tout à fait envisageable que le secours en montagne soit du ressort exclusif de la gendarmerie, des CRS ou de la sécurité civile mais le dispositif actuel me semble déjà très efficace et il serait inutile de le remettre en cause.

Pour ce qui est des effectifs, il s’agit d’environ 150 000 policiers et de 100 000 gendarmes. La zone police couvre 5 % du territoire national et la zone gendarmerie 95 % mais la délinquance se concentre dans la zone police avec plus de 70 % de la délinquance générale, plus de 80 % de la criminalité organisée et 90 % des cités sensibles. Sur les 500 000 placements en garde à vue de l’an dernier, 400 000 ont été effectués par la police.

Quant aux mutualisations, facteur d’économies, je vous en donnerai trois exemples: l’achat de la Peugeot 308 sérigraphiée au terme d’un marché public conjoint ; l’acquisition de pistolets Sig Sauer, conditionnés et réparés sur un site unique ; l’équipement en lanceurs de balles de 40, fusil appelé à remplacer le flash ball, permettant de toucher un individu à trente ou quarante mètres. À Bastia, lors de la dernière manifestation, faute d’un tel outil qui leur aurait permis de tenir les émeutiers à distance, les CRS et les gendarmes mobiles engagés ont compté soixante-dix-sept blessés. Il est indispensable que les forces mobiles, qui ne peuvent faire usage de leurs armes qu’en cas de légitime défense, disposent de moyens intermédiaires de réponse. Pour autant, toute arme, y compris le Taser ou le lanceur de 40, est potentiellement létale et peut occasionner des blessures graves. Un jeune homme vient ainsi de perdre un œil à Villiers-le-Bel, ce qui constitue pour nous un problème majeur.

M. le président Guy Teissier. Le lanceur de balles de 40 est-il un fusil à pompe ?

M. Frédéric Péchenard. Non, car nous n’avons pas voulu que cette arme puisse être confondue avec une autre, susceptible de tirer des projectiles différents. C’est un gros fusil en plastique, un peu plus long que le flash ball, qui tire un projectile mou de la taille d’une grosse balle de tennis. Il est employé uniquement en cas de légitime défense, jamais en direction de la tête, par des personnels formés et chaque utilisation donne lieu à un rapport. S’il le faut, nous les équiperons d’une caméra, comme les Taser.

M. Jean-Claude Viollet. La gendarmerie est une force armée en état permanent de projection. Son organisation territoriale est spécifique, notamment avec un échelon régional. Dans ce cadre original, comment fonctionnera la chaîne de commandement, notamment vis-à-vis des nouveaux pouvoirs des préfets ?

La gendarmerie doit également conserver la totalité du spectre de ses interventions qu’il s’agisse de police judiciaire, de renseignement, ou de lutte antiterroriste, notamment pour ne pas limiter son action en opérations extérieures.

Les besoins en effectifs sont liés aux conditions d’emploi. Or les normes d’emploi ne sont pas identiques : dans la gendarmerie, c’est le temps de repos qui est normé alors que dans la police, c’est le temps de travail. Comment ces deux paramètres seront-ils croisés ?

J’observe d’ailleurs que ces contraintes d’emploi seront d’autant plus difficiles à tenir que les redécoupages de zones créent de nouveaux problèmes. Pour les communes de mon département passant en zone police, j’avais obtenu du précédent ministre de l’intérieur l’engagement d’ouvrir vingt-neuf postes supplémentaires qui n’ont pourtant pas encore été pourvus. Avec les trente-six suppressions de postes dans le département, le manque à gagner atteint donc soixante-cinq, ce qui met les forces de l’ordre en limite de rupture permanente. Je salue au passage le travail des policiers, qui font tout ce qu’ils peuvent pour remplir l’ensemble de leurs missions.

L’exécution de la précédente loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure a montré que les objectifs d’équipement pour la gendarmerie n’avaient pas été aussi bien respectés que ceux de la police. Dans ce contexte, la prochaine loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) dont nous attendons l’inscription, suscite donc des inquiétudes légitimes. Il faut analyser la mutualisation à la lumière des moyens des deux forces. Même si je suis favorable à ce que les hélicoptères de la gendarmerie soient mis à la disposition de la police, je rappelle que les appareils en service ne sont pas adaptés aux missions en zone urbaine et que le ministre a indiqué que le remplacement de ces appareils mono-turbines n’est pas programmé pour 2009. Je pourrai faire la même observation sur le parc de blindés de la gendarmerie.

Au vu de ces éléments, il m’apparaît nécessaire de disposer d’orientations claires avant d’envisager le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur. Avant de signer, nous attendons de voir. Il est positif que le projet de loi de programmation militaire soit examiné avant le texte relatif à la gendarmerie, mais je souhaiterais que nous soyons saisis du projet de LOPPSI immédiatement après. Nous pourrons alors ensuite discuter sereinement du texte relatif à la gendarmerie et garantir réellement la cohérence sans cesse invoquée entre défense et sécurité intérieure.

M. Frédéric Péchenard. Le respect de la chaîne de commandement est un de mes soucis permanents. Les forces de police sont placées sous l’autorité opérationnelle du préfet de département, ce qui me semble un très bon système, car il est mieux à même de donner des instructions que le directeur général ou le directeur zonal. Il n’en demeure pas moins que le directeur départemental de la sécurité publique est placé sous l’autorité administrative du directeur central de la sécurité publique, qui le note, le promeut et le mute.

Contrairement à la gendarmerie, la police est constituée de directions spécialisées, assez autonomes les unes vis-à-vis des autres. Le préfet a autorité sur la sécurité publique, la police aux frontières et l’information générale, c’est-à-dire 80 % des activités de la police nationale, mais pas sur la police judiciaire ni le renseignement intérieur. Il n’est jamais facile de dépendre de deux chefs, mais c’est aussi le cas pour la police judiciaire : le commandement opérationnel est assuré par l’officier de gendarmerie ou le commissaire de police et le commandement judiciaire est assuré par le procureur et le juge d’instruction, ce que personne ne remet en cause.

Le fait que les instructions viennent du préfet, représentant du Gouvernement dans le département, est une bonne chose pour l’ordre public. Quand un élu veut évoquer un problème, il s’adresse d’ailleurs directement au préfet. La hiérarchie de la gendarmerie pourra très bien coexister avec l’autorité fonctionnelle du préfet. Je pense qu’il faut réfléchir à la création de directions zonales de la sécurité publique, avec son pendant pour la gendarmerie, sans pour autant remettre en cause le rôle du préfet de département. Il est l’autorité adéquate pour exercer une compétence sur l’ensemble des forces de l’ordre.

Je ne veux pas entrer dans le débat sur les mérites respectifs de la police et de la gendarmerie. Puisque nous sommes des civils, nous sommes soumis à un temps d’emploi, mais nous n’avons pas le droit de grève et nous sommes disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Entre un gendarme qui attend qu’il se passe éventuellement quelque chose et un policier qui travaille à la brigade anticriminalité de La Courneuve, il y a un écart important qu’il ne faut pas réduire à une question de temps de travail. L’organisation de la police et celle de la gendarmerie se sont adaptées à leur environnement et à l’état de la délinquance.

Je suis très inquiet pour mes personnels, mes moyens et mon budget. Il est programmé que la police nationale perde 4 829 équivalents temps plein (ETP) sur les trois ans à venir, soit la quasi-totalité des postes créés par la LOPSI. Dans le même temps, la police aux frontières doit prendre à sa charge les centres de rétention administrative jusqu’alors gérés par la gendarmerie, afin d’en améliorer la cohérence opérationnelle avec des fonctionnaires spécialisés dans ce domaine. Il n’en reste pas moins que cela représente un nouvel effort de 600 ETP. Par ailleurs, le Président de la République souhaitant que nous nous investissions davantage dans les quartiers difficiles situés en zone police, nous allons créer une centaine d’unités territoriales de quartier et des compagnies de sécurisation, soit un redéploiement de 4 000 ETP. Comment faire pour trouver tous ces fonctionnaires ? Est-il envisageable de supprimer les CRS ou de réduire leur format de façon drastique ? Cela ne serait possible que si la gendarmerie augmentait celui de ses escadrons mobiles. Or elle pense au contraire à le réduire car elle doit aussi contribuer à la diminution des effectifs.

Si le budget de la police nationale présente cette année une progression faciale de 2 %, hors titre 2, il accuse une baisse de 4 % sur les autres titres. Les crédits hors titre 2 s’élèvent à 8,5 milliards d’euros alors que ceux de la gendarmerie sont de 7,5 milliards d’euros : le budget dont bénéficie chaque gendarme est donc supérieur de 30 % à celui dont bénéficie chaque policier. Les gendarmes éprouvent peut-être des difficultés à remplacer leurs hélicoptères ou leurs blindés, mais le budget de la police nationale est encore plus médiocre, ce qui rend la mutualisation d’autant plus nécessaire.

M. Albert Facon. Les gendarmes, sur le terrain, sont très inquiets pour leur statut, d’autant que nous pouvons parfois avoir l’impression qu’ils sont corvéables à merci. Il me semble que tout nouveau report du texte ne ferait qu’augmenter les inquiétudes légitimes des personnels. Il serait préjudiciable que ce décalage soit le fait des prochaines échéances électorales.

Pour ma part, vous ne m’avez pas du tout convaincu. Vous donnez l’impression que vous allez accueillir le directeur général de la gendarmerie chez vous, dans un de vos bureaux. L’absorption est en cours, les gendarmes ayant perdu leur statut militaire à partir du moment où ils ont été rattachés au ministère de l’intérieur.

J’ai trouvé assez choquant que vous disiez apprécier les gendarmes parce qu’ils travaillent le week-end et parce qu’ils se satisfont de conditions de casernement rustiques. J’ajoute que la réponse de la ministre lors des questions d’actualité d’hier ne m’a pas plus rassuré.

M. Jean-Paul Bacquet. Le directeur général de la gendarmerie estimait la semaine dernière que seule l’histoire pourrait sauver la gendarmerie. J’aurais aimé que vous y fassiez référence, ne serait-ce que pour souligner les différences entre les deux forces. La réforme que vous souhaitez pourra-t-elle être conduite en tenant compte de cet aspect ?

Ce qui vous rapproche est peut-être supérieur à ce qui vous sépare, mais encore faut-il que ce qui vous sépare ne soit pas l’essentiel. Or l’essentiel n’est pas le statut militaire mais la militarité. À cet égard, les gendarmes sont inquiets. Ceux qui se manifestent sont essentiellement des généraux de deuxième section puisqu’ils ne sont pas tenus à la même obligation de réserve que leurs collègues d’active. Ces officiers brillants qui ont fait fonctionner la gendarmerie, arme d’élite, pendant des décennies, en particulier durant les événements de mai 1968, mais aussi en projection outre-mer ou à l’étranger, sont unanimement opposés au projet de loi. Certains officiers d’active n’hésitent d’ailleurs pas à marquer leur approbation à cette prise de position, montrant, s’il en était besoin, le caractère controversé de ce projet.

Je souhaiterais revenir sur deux éléments de votre intervention. Avez-vous personnellement refusé l’envoi du RAID au Kosovo ou bien cette décision a-t-elle été prise par votre ministre de tutelle ?

Vous avez établi une distinction entre ceux qui dorment bien et sont payés plus quand ils travaillent plus et ceux qui ne touchent pas de rémunération supplémentaire, dorment par terre et sont prêts à partir faire la guerre. Je note que les premiers peuvent se permettre de contester quand les seconds doivent se contenter de l’inquiétude.

Enfin, où sera situé le bureau du directeur général de la gendarmerie place Beauvau ? Son bureau sera-t-il au-dessus, au-dessous, ou à côté du vôtre ?

M. François Cornut-Gentille. Il faut abandonner les réflexes catégoriels car l’enjeu dépasse les clivages. L’approche très pragmatique du directeur général de la police nationale me paraît relever du bon sens.

Qu’attendez-vous du rapprochement ? En ce qui concerne les mutualisations, quelles sont les deux ou trois priorités que vous vous assignez ?

Les seules inquiétudes qui vous traversent sont-elles d’ordre budgétaire ?

M. le président Guy Teissier. Je tiens à préciser à monsieur Facon que j’interviens autant que possible pour que le projet de loi de programmation militaire soit examiné dans les meilleurs délais. Je relève d’ailleurs qu’il sera finalement adopté bien après le vote du budget, ce qui ne s’était encore jamais produit. En la matière, la fixation de l’ordre du jour reste cependant dans les mains du Gouvernement.

Il est temps aussi que nous débattions du texte relatif à la gendarmerie mais son report est avant tout le fait d’un encombrement législatif. En tout état de cause, la loi devrait être votée avant la fin de cette session.

M. Frédéric Péchenard. L’excellent travail de la gendarmerie est loué en permanence, mais je m’efforce toujours de rendre également hommage à la police nationale car c’est mon rôle et parce qu’elle le mérite.

En mai 1968, la gendarmerie a rempli sa mission, mais l’essentiel du maintien de l’ordre a reposé sur les épaules des commissaires de la préfecture de police de Paris, des compagnies d’intervention et des compagnies républicaines de sécurité, qui sont restés nuit et jour face aux barricades pendant un mois. L’homme le plus marquant de mai 1968 fut le préfet Maurice Grimaud qui a posé les bases du maintien de l’ordre moderne en écrivant que « frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même ». L’histoire de la police nationale est extrêmement récente puisqu’elle n’existe sous sa forme actuelle que depuis 1966, après la fusion de la préfecture de police avec la sûreté nationale.

Sur la participation du RAID à une mission au Kosovo, c’est le ministère des affaires étrangères qui avait demandé l’affectation permanente de cinq fonctionnaires. Je ne suis qu’un maillon de la chaîne hiérarchique ; la décision négative a été validée par la ministre de l’intérieur, après que j’en ai discuté avec son directeur de cabinet et le directeur général de la gendarmerie.

J’ai voulu rendre hommage à la gendarmerie mobile, force efficace et rustique qui sait évoluer dans des endroits difficiles. Les gendarmes mobiles ne sont pas mal payés puisqu’ils perçoivent l’indemnité journalière d’absence temporaire, au même titre que les CRS. En OPEX ou Outre-mer, les conditions de vie qui leur sont imposées ressemblent à celles d’autres militaires, comme les légionnaires ou les parachutistes. Les CRS ont, depuis leur création, toujours répondu présents lorsque la République et la démocratie étaient menacées, que ce soit à Villiers-le-Bel, pendant les émeutes de 2005, pendant la guerre d’Algérie ou en mai 1968. S’ils n’interviennent plus Outre-mer, c’est en partie en raison des conditions de casernement, mais aussi parce qu’en 1967 les opérations de maintien de l’ordre avaient fait plusieurs morts. Pour le maintien de l’ordre, le statut militaire de la gendarmerie constitue incontestablement un avantage.

Sur la localisation des bureaux, il me semble que les deux directeurs généraux bénéficient d’un même traitement et d’une considération réciproque. Il n’est pas question d’instituer un quelconque rapport hiérarchique entre nous. Je ne suis pas le chef de la gendarmerie et le directeur général de la gendarmerie n’est pas le chef de la police : c’est le chef de l’autre force de sécurité intérieure et je le considère comme mon égal.

Nous nous rencontrons très régulièrement : nous avons constitué un comité stratégique commun pour nous mettre d’accord et, quand nous n’y parvenons pas, le ministre de l’intérieur, autorité de tutelle, tranche.

J’attends deux choses du rapprochement : une autorité unique, celle du ministre de l’intérieur, et la proximité physique qui nous permettra de régler les problèmes à venir, notamment en ce qui concerne l’international. Nous disposons d’un réseau commun d’attachés de sécurité intérieure, c’est-à-dire des policiers et des gendarmes affectés en ambassade, dans une centaine de pays. Pour améliorer ce système, qui ne fonctionne pas parfaitement, une véritable stratégie doit être élaborée, ce qui demandera du temps.

M. Jacques Lamblin. Le Président de la République, les ministres ainsi que les deux directeurs généraux sont clairement opposés à la fusion. Ces engagements me semblent suffisamment forts pour calmer les inquiétudes qui ont pu naître.

Pour garantir la démocratie, il semble assez prudent que les forces chargées de la sécurité et du maintien de l’ordre ne soient pas réunies dans la même main. Ce système est d’ailleurs en vigueur dans la plupart des démocraties.

Si l’essentiel de vos arguments en faveur de la dualité convergent avec ceux du directeur général de la gendarmerie il semble exister une pomme de discorde : vous voulez privilégier la complémentarité tandis que la gendarmerie entend conserver tout le spectre de ses missions. Il appartiendra à l’autorité politique de trancher cette divergence de vues.

Sous l’appellation romantique de « gens du voyage », se cachent souvent des bandes organisées. Le phénomène, en zone rurale comme en zone urbaine, est extrêmement difficile à maîtriser. L’amélioration de l’accueil humanitaire des gens du voyage crée un appel d’air dans d’autres pays européens et le problème devient de plus en plus compliqué. La complémentarité entre police et gendarmerie peut-elle ouvrir des pistes sur ce sujet ?

M. Franck Gilard. Le rapprochement entre la police et la gendarmerie induit-il une harmonisation des horaires des deux corps ? Et si oui, quels seront ces horaires ?

Les gains financiers de la mutualisation ont-ils été évalués ?

M. Philippe Nauche. L’inquiétude des gendarmes n’est pas seulement catégorielle mais aussi existentielle. La synergie et la complémentarité sont positives mais quel est l’intérêt d’aller au-delà du rattachement fonctionnel de la gendarmerie au ministère de l’intérieur ? Compte tenu des traditions en vigueur dans la plupart des pays démocratiques, je ne suis pas sûr que la présence de ces deux directions sous une seule autorité ministérielle constitue une avancée.

M. Jérôme Lambert. Le directeur départemental de la sécurité publique, bras droit du préfet en la matière, jouera-t-il demain un rôle dans la chaîne de commandement ? Quel sera son positionnement par rapport au responsable départemental de la gendarmerie ?

M. Frédéric Péchenard. Demain comme aujourd’hui, le directeur départemental de la sécurité publique n’aura autorité que sur les forces de police. Les deux forces resteront séparées, avec deux commandements complètement distincts.

Personne ne m’a demandé mon avis sur le rapprochement organique, et ce n’est pas à moi d’en juger. Je vous ai donné mon avis sur la réforme, mais celle-ci comporte aussi des inconvénients. Nous sommes aujourd’hui au milieu du gué et la transition me paraît plus inquiétante que la résultante. Tant que les choses ne seront pas tranchées dans un sens ou l’autre, l’incertitude suscitera de l’inquiétude. Une fois la réforme réalisée, chacun prendra ses marques. Quand un service change d’étage, les fonctionnaires sont inquiets et les syndicats s’alarment ; une fois que c’est fait, tout le monde se remet au travail.

Il est impossible d’évaluer l’ampleur de la mutualisation et les économies globales qui en découleront. Je ne peux donner que des exemples. Le fait que les gendarmes aient accepté de former nos maîtres-chiens nous évite de construire notre propre centre à Gramat et nous fait donc économiser 15 millions d’euros. Le Sig Sauer vaut environ 1 000 euros l’unité ; l’acquisition en très grand nombre par la police et la gendarmerie nous a permis de ramener le prix à 300 euros.

Les horaires ne seront évidemment pas harmonisés. La police est une force civile régie par un statut spécial : nous pouvons faire travailler les gens au-delà de la durée légale du travail à condition de garantir un droit à récupération horaire pour les gardiens de la paix et de leur payer des heures supplémentaires. J’ajoute que cette contrainte ne s’applique pas aux commissaires ni aux officiers qui sont passés cadres A depuis le 1er janvier 2008.

La délinquance des gens du voyage est réelle et importante ; j’ai coutume de dire qu’en France, c’est la seule vraie mafia. Puisqu’elle sévit essentiellement en zone gendarmerie, il me paraît logique que la gendarmerie soit le maître d’œuvre de la lutte contre la délinquance itinérante. L’office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), auquel sont rattachés des policiers, est d’ailleurs placé sous l’autorité du directeur général de la gendarmerie. La complémentarité ne signifie pas que la police prend tout à sa charge. La sécurité, c’est de l’intervention, du maintien de l’ordre, du renseignement, de la répression et de l’investigation. Chaque force doit intervenir sur la totalité du spectre ; ensuite, il faut discuter de la répartition exacte. Si la direction centrale de la police judiciaire était dotée d’une sous-direction de lutte contre la criminalité des gens du voyage, cela n’aurait aucun sens car cette structure constituerait un doublon par rapport à l’OCLDI. Si nous voulons nous impliquer davantage sur ce sujet, nous devons travailler plus au sein de cet office.

La gendarmerie doit être pilote dans certains domaines comme la sécurité routière, la majorité des accidents mortels se produisant en zone gendarmerie, sans pour autant qu’elle en ait l’exclusivité. C’est aussi vrai dans l’autre sens : pour le terrorisme islamique, par exemple, la gendarmerie ne doit pas créer de nouvelles structures mais participer à celles qui existent déjà sous l’autorité de la police. Je préconise donc une logique de complémentarité et non d’opposition frontale.

J’ai bien noté que vous souhaitiez que je rappelle plus officiellement mon attachement à la dualité des forces : la prochaine fois qu’un syndicat de police se prononcera contre le maintien de deux forces dotées de statuts différents, je ne manquerai de communiquer pour marquer mon désaccord.

Je note toutefois que certains pays démocratiques, comme le Royaume-Uni disposent d’une force de sécurité unique sans que cela pose des problèmes majeurs. C’est un problème d’histoire et de tradition. En France, une fusion serait extrêmement compliquée à mettre en œuvre et je ne suis pas certain que les résultats seraient bons. Les changements doivent apporter une amélioration opérationnelle pour un moindre coût ; une réforme qui n’atteint pas cet objectif est mauvaise.

M. le président Guy Teissier. Je vous remercie pour vos réponses très claires.

La séance est levée à onze heures trente.

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